Venezuela: culture d’une Caraïbe en résistance, par Maria Claudia Rossel

Photo : Mídia NINJA

L’auteure : Maria Claudia Rossel. Ingénieure culturelle, artiste, productrice et coordinatrice de réseaux et féministe cofondatrice de la plateforme Cyberculture.

Depuis 2014, le Venezuela traverse une forte crise qui s’est encore aggravée depuis 2016, une crise économique pour l’essentiel. Cette crise englobe plusieurs éléments : d’une part, les effets dus aux sanctions et blocus émanant des pays centraux, que nous appelons la Guerre Economique proprement dite, et d’autre part, les facteurs liés à l’épuisement du modèle économique vénézuélien lui-même. 

Dans ce contexte, le secteur culturel a été touché de plein fouet, c’est pourquoi une analyse sur la situation du pays et les mesures palliatives à envisager en ce moment pour ce secteur doit être faite à la lumière d’une réalité antérieure de forte résistance, dans des conditions qui, avant le Covid déjà, pouvaient être qualifiées de conditions de guerre. 

Voici quelques idées et réflexions susceptibles de décrire notre réalité culturelle dans une Caraïbe en état de résistance.

  • Le Venezuela a été l’un des pays de la région qui a mis en place des mesures vraiment efficaces contre le Covid-19, comme le montrent les indicateurs – confirmés par l’OMS – qui présentent l’une des courbes de cas les plus plates de la région; ces mesures ayant eu pour effet, non seulement de réduire fortement la contagion, mais aussi de maintenir un taux très bas de mortalité, alors que le taux de dépistages (gratuits) est le plus élevé du continent.
  • Les mesures préventives prises par l’Etat ont accompagné l’évolution des politiques visant à enrayer en amont cette nouvelle crise. Dans un pays assiégé comme le nôtre, ces politiques se sont focalisées sur la base de la Pyramide de Waslow, basée sur deux axes essentiels : 
  •  L’accès à des aliments subventionnés au travers des Conseils Locaux d’Approvisionnement et de Production (CLAP), 
  •  et l’attribution d’allocations à divers secteurs sociaux par l’intermédiaire du système “Carnet de la Patria”. 

Ce système est un mécanisme que nous pourrions réexaminer dans le cadre de la reprise d’un débat historique sur la nécessité d’un revenu universel, après la pandémie. 

Ces politiques ont été conçues pour la protection de la population en général, et plus particulièrement pour les zones populaires et les secteurs les plus vulnérables.  Ce ne sont donc pas des mesures prises uniquement pour le secteur culturel. Pourtant, un certain nombre d’artistes et de créateurs de culture bénéficient de ces prestations ; je trouve donc important de présenter ces dispositifs, qui font partie du paysage actuel.

Photos: Cacica Honta/ Cacri Photos

Evidemment, face à une situation d’hyperinflation et de dollarisation de l’économie, face à un dollar qui augmente de jour en jour de manière exponentielle et indiscriminée, et fait bondir les prix des biens de consommation, ces bons représenteraient dans le meilleur des cas des allocations de subsistance.

Au niveau du Ministère de la Culture, organisme responsable de la politique culturelle au niveau de l’Etat, aucune politique officielle d’inclusion de ce secteur n’a été menée. Cependant, divers organismes publics ont développé des programmes afin de réinventer leurs activités suivant trois axes : la formation en ligne, la reconversion numérique de certains espaces (par exemple, les festivals) et la remise d’allocations comme encouragement à la création.

Diverses expériences ont été menées par des gouvernements locaux comme la Mairie de Caracas, non seulement dans le but d’ouvrir des champs de possibilités pour les artistes et les créateurs ou dans certains cas, de préserver des contrats antérieurs, mais aussi pour garantir une offre de consommation culturelle aux citoyens.

En voici quelques exemples :

  • L’un des évènements qu’il me paraît essentiel d’analyser en ce moment, sont les tentatives de reconfiguration analogique de l’activité culturelle entrepris par la mouvance indépendante, et parfois par la Mairie. Je me réfère à diverses activités expérimentées dans la rue et sur tout le territoire, à la réalisation d’évènements sans public à proximité immédiate et dans des zones de forte densité de population comme les zones urbaines ou celles dont la situation géographique le permet. Des équipements y sont installés pour l’organisation de concerts, d’activités ou de “sérénades”, tout en respectant les mesures de distanciation sociale, ce qui permet de créer des espaces de divertissement et de consommation culturelle.

Voici quelques exemples de ces expérimentations analogiques : 

  • Les activités de Radio Verdura (système sonore Tiuna+Tiuna El Fuerte 

On peut les regarder dans l’article suivant  

Photos: Giuliano Salvatore / CACRI photos

Photo: Dikó/ Cacri Photos

Pourquoi nous paraît-il si important d’évaluer ces expériences ? 

Parce que dans un pays où l’accès à internet est précaire, ou la fourniture d’électricité est instable, penser que la seule et unique manière de réinventer le secteur culturel est d’utiliser internet pose problème. 

S’y ajoutent d’autres raisons, découlant toutes des « sanctions » – mesures coercitives unilatérales – occidentales contre le Venezuela, par exemple : 

  •  Les possibilités de rémunération des créateurs et créatrices de ces contenus deviennent de plus en plus précaires;    
  • Il existe des plateformes comme Spotify dont l’accès est bloqué au Venezuela ; dans le cas de Facebook et Instagram, des plateformes existent et fonctionnent mais modifient chaque semaine leurs interdictions et règles d’utilisation en fonction de leur promotion et rentabilisation. 

Pour mieux illustrer la situation au Venezuela, nous donnerons un exemple récent qui a agité les réseaux sociaux : le cas de DirectTV, un opérateur de chaînes de télévisions qui, suite aux sanctions états-uniennes, a cessé d’émettre sur le territoire national; dans un pays dont nous venons de vous rappeler la situation de confinement généralisé, et où la consommation culturelle est fortement réduite à la télévision, un tel évènement nous permet d’évaluer le niveau des difficultés  que rencontre ce secteur, et donne un exemple de la dimension géopolitique du conflit qui nous impacte durement. 

A mon avis, le Venezuela a sans cesse démontré, au risque de tomber dans le lieu commun, que « les crises représentent des opportunités ». Comme l’affirme un dicton populaire vénézuélien : “nous sommes un cuir sec, si on l’écrase d’un côté, il se relève de l’autre”. C’est pourquoi, sans minimiser la gravité de cette nouvelle crise liée à la pandémie, je préfère croire, étant une incorrigible optimiste, que les solutions surgiront du terrain. 

Mai et juin sont les mois les plus effervescents pour ce qui est des fêtes populaires au Venezuela, et nos créateurs nous ont démontré que la culture cherchera toujours les formes, les interstices et les moyens qui lui permettront de renaître. Car, pour nous autres créateurs, créer ne se réduit pas à un simple choix, mais est l’expression de la vie même. Ne pas créer, c’est mourir. 

Depuis le 3 mai, date de la Fête de la Croix de Mai, fête de l‘abondance et de la prospérité, la culture populaire s’est mise à expérimenter des dispositifs qui tout en respectant les règles de distanciation sociale, permettent de perpétuer la tradition vivante. C’est pourquoi, voyant de nouvelles activités émerger quotidiennement, je m’approprie les mots d’un grand Vénézuélien Aquiles Nazoa et de son Credo en affirmant que je crois aux pouvoirs créateurs du peuple. Je suis certaine que malgré les moments difficiles que nous traversons, nous trouverons ensemble les meilleures technologies, collaborations et redistributions collectives et en réseau qui nous permettront de rebondir face aux défis de cette nouvelle ère où la culture doit jouer un rôle vital et devrons saisir cette deuxième opportunité qui nous est offerte, pour faire mieux encore.

María Claudia Rossell

Source : https://medium.com/especial-observa-culturas/venezuela-caracas-la-cultura-desde-un-caribe-en-resistencia-3d1e920b4e9a

Traduction : Frédérique Buhl

URL de cet article : https://wp.me/p2ahp2-5tB

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