Révolution féministe dans la révolution bolivarienne : « Nostalgiques du futur » en tournée européenne.

Tout au long de ce mois des luttes des femmes, le documentaire vénézuélien « Nostalgiques du futur » sera projeté en France, en Suisse et en Belgique (programme ci-dessous). Les projections du film sous-titré en français ou en allemand seront suivies d’un débat en présence de deux communardes du Venezuela – Ayary Rojas et Jenifer Lamus (photo).

Ce film est le fruit de deux ans d’immersion dans des territoires où les femmes s’organisent pour transformer leurs espaces de vie et occuper les espaces de décision. Collectif d’auto-constructrices sur les hauteurs de Caracas, commune rurale organisant sa souveraineté alimentaire, écoles populaires de cirque, de musique ou d’agroécologie, assemblées de quartier de la santé… un féminisme populaire invente un « pouvoir pour » qui remplace peu à peu le vieux « pouvoir sur ».

Réalisation: Thierry Deronne. Coréalisation: Victor Hugo Rivera. Production: Terra TV/EPLACITE. Venezuela 2022. Durée : 97 minutes.

Contact pour la diffusion (UE): lesrencontres@fal33.org / gloria.verges@fal33.org

Quelques avis sur le film :

« Une histoire extraordinaire ! Je crois que personne n’a la moindre idée de cette révolution chaviste qui continue à grandir au Venezuela…. Ces bâtisseuses sont le symbole d’un autre monde possible » Hilary Sandison, productrice et scénariste de documentaires.

« Une œuvre magnifique. Il faut la diffuser partoutNatalie Benelli, présidente d’Alba Suisse.

« Le meilleur hommage à Chávez » Omar Valiño, président de la Bibliothèque Nationale de Cuba.

« Magnifique dans sa manière d’aborder les multiples dimensions du processus révolutionnaire. » Douglas Estevam, Collectif Culture de la Direction Nationale du Mouvement des Travailleurs Sans Terre du Brésil.

« Un documentaire passionnant qui dégage une énergie communicative et nous plonge au cœur d’une révolution porteuse de ses propres utopies » Maurice Lemoine, journaliste, écrivain, ex-rédacteur en chef du Monde Diplomatique

« Un film beau comme les luttes des peuples. C’est le Venezuela d’aujourd’hui, en résistance, au visage de femme. » Vladimir Sosa Sarabia, président de la Cinémathèque Nationale du Venezuela.

« Un témoignage incroyable sur le pouvoir de décision de toute une communauté Vénézuélienne à travers l’instauration de communes sur tout le territoire, sur le modèle de la commune de Paris avec en première ligne l’implication des femmes dans ce mouvement ! Le capitalisme, l’impérialisme, l’individualisme est remis en cause. Malgré l’embargo des États Unis et des pays capitalistes, ils et elles se réinventent sans cesse ! De l’agriculture, au logement, en passant par l’éducation et la culture. Une vraie claque pour nos yeux d’occidentaux sclérosés. On a perdu ce feu, cette conscience de classe et de faire ensemble pour nous toutes et nous tous, mais il n’est jamais trop tard ! Merci merci pour cet espoir » Angélique Neutens, responsable syndicale, CGT Santé 74, France.

Programme de la tournée :

En France :

Cinéma La TURBINE Cran Gevrier – ANNECY -74- Jeudi 9 mars à 20h30. Organisée par la CGT 74 dans le cadre de la journée internationale des droits des femmes soirée, film et débat en présence des communardes Ayary Rojas et Jenifer Lamus

Cinéma de TANINGES – 74 – 203 rue des Corsins,Vendredi 10 mars à 20h. Organisation Cinébus. Film et débat en présence des communardes Ayary Rojas et Jenifer Lamus

Médiathèque LOUIS ARAGON, Parvis Hubertine Auclert, 93240 STAINS, Mardi 21 mars 2023 à 18h. Dans le cadre du mois de l’égalité homme /femme, film et débat en présence des communardes Ayary Rojas et Jenifer Lamus. En partenariat avec le LIHP (Laboratoire International pour l’Habitat Populaire) et l’Ambassade du Venezuela en France.

Maison de L’AMÉRIQUE LATINE – PARIS 217 Bd Saint-Germain, 75007 Paris, Mercredi 22 mars à 19h, film et débat en présence des communardes Ayary Rojas et Jenifer Lamus. En partenariat avec le LIHP (Laboratoire International pour l’Habitat Populaire) et l’Ambassade du Venezuela en France.

FESTIVAL DE BORDEAUX, 40 ème édition du cinéma latino américain, Cinéma Jean Eustache de PESSAC, Vendredi 24 mars à 20h30, film et débat en présence de Thierry DERONNE, Ayary ROJAS et Jenifer LAMUS

Cinéma La Brèche de SAINTE-FOY-LA-GRANDE. Samedi 25 mars à 20h30, film et débat en présence de Thierry DERONNE, Ayary ROJAS et Jenifer LAMUS

FESTIVAL DE CHAMBÉRY, 29ème édition Festival du Cinéma Espagnol et Latino-Américain Forum Cinémas (Astrée) 7, boulevard du théâtre, Lundi 27 mars à 20h30, film et débat en présence des communardes Ayary Rojas et Jenifer Lamus

Film débat , ASSOCIATION ECREVIS, Meythet -ANNECY, 36 RUE DE L’AÉRODROME, Mardi 28 mars à 19H, Film et débat en présence des communardes Ayary Rojas et Jenifer Lamus

FESTIVAL GRENOBLE – association FA SOL LATINO, 11ème édition du festival OJO LOCO, Cinéma le Méliès -28 allée Henry Frenay-, Jeudi 30 mars à 19h45, en présence des communardes Ayary Rojas et Jenifer Lamus

POITIERS, campus Sciences Po (programme eurolatinoaméricain), 4 avril, 17 h., vidéo-débat avec Thierry Deronne. Organisé par l’Union des Étudiants Communistes de Sciences Po.

En Suisse :

BERNE – Breitsch-Träff – Breitenrainplatz 27 Samedi 11 mars à 17h, Film sous-titré en allemand et débat en présence d’Ayary ROJAS et Jenifer LAMUS avec traduction allemande.

FRIBOURG au Centre culturel Passerelles 3 rue Locarno Jeudi 16 mars à 19h. Film et débat en présence d’Ayary ROJAS et Jenifer LAMUS, film sous-titré en français.

GENÈVE, Vendredi 17 mars, Chacun.e Son Paradis, – 5 rue Leschot Plainpalais 1205 Genève, à 18 h. 30, « Féminisme communal : réflexions depuis le Venezuela ». Rencontre avec Ayary ROJAS et Jenifer LAMUS, protagonistes du documentaire « Nostalgiques du futur ». Présentation par Renata Cabrales, féministe et journaliste colombienne. Organisé par le Collectif La Trenza.

BELLINZONA, Via Antonio Ciseri 5 – Samedi 18 mars à 17h. Film sous-titré en français et échange en présence de nos deux invitées Ayaray Rojas et Jenifer Lamus

En Belgique :

« Venezuela, au-delà des clichés ». Projection de « Nostalgiques du Futur », Salle L’Aurore, 162, rue du Midi, 1000 Bruxelles, jeudi 23 mars à 19 h.

Le billet de Maurice Lemoine sur le film : https://www.medelu.org/A-propos-d-un-film-sur-le-Venezuela

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/03/08/revolution-feministe-dans-la-revolution-bolivarienne-nostalgiques-du-futur-en-tournee-europeenne/

(Video:) Mango de Ocoita, coeur de la révolution bolivarienne (Terra TV)

Venezuela, janvier 2023. Sur les terres de la résistance héroïque des ex-esclaves emmenés par Guillermo Ribas, le Ministère des Communes et des Mouvements Sociaux – accompagné de membres du mouvement afro-vénézuélien et du Mouvement des Sans Terre du Brésil – se réunit avec la communauté organisée de Mango de Ocoita. Objectif: écouter les critiques et les propositions pour construire un plan de travail commun, entre autres sur la production du cacao comme maillon de la nouvelle économie communale. Reportage sous-titré en français (17 min.). Prod. Terra TV, République Bolivarienne du Venezuela 2023.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/02/15/video-mango-de-ocoita-coeur-de-la-revolution-bolivarienne-terra-tv/

L’alliance entre les Sans Terre du Brésil et la révolution bolivarienne s’intensifie

L’alliance inédite entre un mouvement social et un gouvernement révolutionnaire, scellée par le président Chávez en 2006, se renforce : le président Nicolas Maduro a demandé à son Ministère des Communes et des Mouvements Sociaux d’intensifier la coopération avec les Sans Terre du Brésil.

Le ministère dirigé par Jorge Arreaza, et le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre du Brésil (MST), représenté par son coordinateur national Joao Pedro Stédile, ont tenu le 30 novembre 2022 une vidéoconférence dans le but de renouveler et d’intensifier le programme de coopération et de travail. Un moment particulièrement propice, a rappelé Arreaza, puisque le Venezuela aborde une nouvelle étape de sa transition vers le socialisme et le Brésil entame une nouvelle étape politique avec la victoire de Lula da Silva.

En août dernier, le président Nicolás Maduro avait déjà demandé aux Sans terre de l’aider à développer un projet agro-écologique de plantation de riz. Des représentants du Mouvement ont alors effectué une visite technique au Complexe électronique de systèmes technologiques d’Alcaraván, situé dans l’État rural de Guárico, et ont étudié la possibilité d’une coopération technique. Le protocole d’accord entre ce mouvement social et le ministère des communes existe déjà et a été signé en 2014, huit ans après le premier accord signé avec le gouvernement bolivarien à la suite d’une visite-surprise du Président Chavez à une terre occupée et mise en production par les Sans Terre au Brésil.

Dans son discours, le ministre des Communes Arreaza, a défini le rapprochement comme une nouvelle étape pour générer une alliance politique, technique, technologique et sociale, une alliance intégrale entre le Venezuela et le Brésil, dans laquelle le Mouvement des Sans Terre (MST) et le ministère des communes et mouvements sociaux du Venezuela sont les principaux interlocuteurs.

Un échange de techniques et de savoirs : le Venezuela met à la disposition du MST les processus et les connaissances sur l’expérience de l’organisation du pouvoir populaire et des organisations communardes comme l’outil technologique Sistema de Integración Comunal (SINCO), plate-forme en ligne créée par le Conseil Fédéral du Gouvernement bolivarien pour maintenir une communication directe avec les Conseils Communaux, les Communes, les Mouvements Sociaux et toute organisation de base qui formule ses propres projets et demande l’appui des ressources de l’État.

« Nous avons toujours compris, en théorie et en pratique, que les changements structurels et sociaux ne sont possibles dans une société que lorsque nous parvenons à une équation qui unit un gouvernement populaire à des mouvements populaires forts et disposant d’une masse organisée. Nous suivons votre expérience vénézuélienne avec grand intérêt, car vous avez la possibilité de réunir cette équation » a déclaré Joao Pedro Stedile, de la coordination nationale du MST brésilien, au début de sa participation, au cours de laquelle il a remercié le Venezuela pour sa solidarité constante dans sa lutte politique.

Stedile a expliqué l’expérience particulière du Mouvement en matière « d’organisation, de production, de vie dans les zones rurales« , afin que le ministère des Communes puisse décider comment en faire bénéficier le Venezuela, un aspect de la coopération qu’il a divisé en plusieurs domaines : l’éducation technique, « nous avons investi beaucoup d’énergie dans le développement d’écoles supérieures d’agroécologie et de coopérativisme » ; la formation politique pour élever le niveau de culture et de conscience ; le contrôle des semences, l’agro-industrie coopérative, les machines et outils agricoles, et les bio-intrants, fondamentaux pour affronter le modèle agro-industriel.

Le coordinateur national des Sans Terre a également avancé l’idée d’établir un bureau ou une antenne à Caracas pour la coordination technologique et scientifique, ce que le ministre Arreaza a accueilli positivement, tandis qu’il a proposé de renforcer l’Institut universitaire d’agroécologie « Paulo Freire », situé à Barinas, né de la coopération avec le Mouvement des Sans Terre, dont le leader a ajouté que des écoles d’agroécologie devraient également être créées dans les organisations communardes. Lors de cette vidéoconférence organisée à Caracas le 30 novembre, les deux parties se sont engagées à maintenir la communication et à établir d’autres réunions directes afin de concrétiser et de faire le suivi de ces actions.

Source : https://www.comunas.gob.ve/2022/11/30/ministerio-comunas-movimiento-sin-tierras-brasil-renuevan-programa-trabajo/

Traduction : Thierry Deronne
URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/12/03/lalliance-entre-les-sans-terre-du-bresil-et-la-revolution-bolivarienne-sintensifie/

Les Sans Terre du Brésil à l’école du Venezuela: « ici, le peuple est vraiment le sujet de la révolution. »

Photo: Messilene Gorete, coordinatrice de l’équipe des Sans Terre du Brésil au Venezuela. « Parfois, à gauche, nous avons des schémas très fermés sur le niveau de préparation et de planification nécessaire pour avancer, et cela peut devenir un obstacle. Au Venezuela, les gens savent que tout cela est nécessaire, mais la créativité – dans un pays où les gens sont très spontanés – est une grande vertu de la révolution bolivarienne. Et la commune vénézuélienne est un modèle dont notre continent a besoin.« 

Le Mouvement brésilien des Travailleurs Sans Terre est une puissante organisation paysanne qui lutte pour une réforme agraire radicale et populaire. L’organisation a une longue tradition internationaliste et envoie des brigades de solidarité dans le monde entier pour accompagner les mouvements paysans. Au Venezuela, l’équipe des Sans Terre a été invitée par Hugo Chávez et travaille depuis près de 18 ans. Elle y joue un rôle important dans l’aide aux mouvements communaux et paysans de ce pays des Caraïbes. Entretien avec Messilene Gorete, qui coordonne cette équipe.

L’internationalisme a toujours été important pour le Mouvement des Sans Terre. Ici, au Venezuela, la Brigade Apolônio de Carvalho accompagne les mouvements paysans depuis près de deux décennies. Comment le Mouvement des Sans Terre conçoit-il l’internationalisme ?

L’internationalisme est dans l’ADN de notre organisation. Depuis la naissance de l’organisation, nous appuyons les luttes qui ont lieu au-delà des frontières du Brésil comme si elles étaient les nôtres. Sur le drapeau des Sans Terre, on voit un homme et une femme sur fond de carte du Brésil, mais aussi une machette paysanne qui s’étend au-delà de la frontière. Nous avons intégré l’internationalisme à notre stratégie politique de manière plus formelle, car nous comprenons que la lutte pour la réforme agraire ne peut être menée de manière isolée. Il est nécessaire de construire des liens de solidarité, d’apprendre avec les autres et de lutter ensemble.

Notre internationalisme découle d’une longue tradition en Amérique latine et dans le monde. La révolution cubaine est un exemple clé pour les Sans Terre; l’internationalisme extraordinaire du peuple cubain nous a beaucoup enseigné. Nous avons également appris des luttes de libération en Amérique Centrale, en particulier des brigades internationalistes qui ont accompagné les révolutions sandiniste et salvadorienne. Bien sûr, l’internationalisme bolivarien du processus vénézuélien a également laissé sa marque sur notre organisation. Nous comprenons l’internationalisme à la fois comme un principe et comme une pratique. En tant qu’organisation révolutionnaire, nous ne pouvons survivre que si nous construisons et apprenons avec les autres de manière solidaire.

La brigade Apolônio de Carvalho, l’équipe des Sans Terre basée au Venezuela, tire son nom d’un grand révolutionnaire brésilien : Apolônio est parti en Espagne pour lutter contre Franco avec les Brigades Internationales. Lorsque nous sommes arrivés au Venezuela, nous avons pris ce nom pour lui rendre hommage.

Photos : Le drapeau des Sans Terre du Brésil

L’un des défis auxquels le Venezuela est confronté aujourd’hui est de surmonter la logique rentière qui a transformé l’économie vénézuélienne en une économie dépendante et « portuaire ». Le Mouvement des Sans Terre, fort de sa vaste expérience, accompagne les organisations paysannes et communales dans tout le Venezuela, en promouvant une agriculture durable qui peut rompre avec la dépendance et construire la souveraineté alimentaire.

Comment travaillez-vous avec ces organisations locales ?

La Brigade Apolônio de Carvalho est présente au Venezuela depuis 2005. Hugo Chávez avait demandé que le Mouvement des Sans Terre apporte son expérience au Venezuela et accompagne les organisations paysannes dans la production alimentaire, avec pour objectif la transition vers la souveraineté alimentaire. Nous avons accompagné diverses organisations paysannes dans le pays. Nous avons fait de la production de semences une priorité afin que l’agriculture locale puisse assurer la souveraineté alimentaire du pays. Mais la production de semences ne peut être un objectif isolé. L’objectif est de changer l’ensemble du modèle de production. L’ensemble du modèle doit être radicalement modifié. Pour cela, il faut appliquer un schéma agroécologique intégral.

Dans notre travail, nous nous concentrons également sur les chaînes productives, terme utilisé par Chávez pour désigner le cycle intégral de production, de commercialisation et de consommation des aliments. C’est une chose à laquelle nous devons penser lorsque nous tentons de construire la souveraineté alimentaire. Sortir de l’économie rentière basée sur le pétrole passe par développer une nouvelle conscience. Cependant, cette conscience ne viendra que lorsque de nouvelles pratiques de production et d’organisation commenceront réellement à émerger.

Photos: En 2005, Hugo Chávez a visité le campement du MST de Lagoa do Junco, à Río Grande do Sul, au Brésil. Un accord de coopération a été signé lors de cette visite. (MST)

Avec quels types d’organisations et d’institutions le Mouvement des Sans Terre travaille-t-il au Venezuela ?

À nos débuts, nous avons travaillé avec le mouvement paysan Frente Campesino Ezequiel Zamora. Nous avons également travaillé avec des institutions gouvernementales et des organisations communales. Nous avons assumé les communes comme une priorité. Nous soutenons les organisations communales au Venezuela, mais nous apprenons aussi d’elles. Le modèle communal est quelque chose dont tout le continent a besoin ; c’est une façon de faire qui transforme vraiment le système existant, et la révolution bolivarienne en a fait une pratique. C’est très important pour les Sans Terre du Brésil.

Ce que nous avons fait avec les communes, c’est les aider comme nous le pouvons. Mais il est encore plus important d’apprendre des pratiques quotidiennes des gens lorsqu’ils se réunissent, construisent une commune sur leur territoire et développent une stratégie de production ayant pour objectif le bien commun. Dans une commune, tout cela se passe en construisant une nouvelle hégémonie. Au fur et à mesure que les conseils communaux, les entreprises de propriété sociale et le parlement communal se développent, le projet prend forme comme quelque chose de viable dans l’esprit des gens. Je pense que le plus grand enseignement de la révolution bolivarienne pour ceux qui luttent, y compris les Sans Terre, est la commune.

Le Mouvement des Sans Terre s’est engagé dans l’agriculture écologique. Comment faites-vous pour promouvoir cela ici au Venezuela ?

Il n’est possible de construire un projet souverain que si nous changeons réellement le modèle productif dans les zones rurales. Pour ce faire, une formation et une préparation techniques sont nécessaires, mais l’éducation politique est également indispensable. Pour qu’un tel changement se produise, les gens doivent comprendre que si nous luttons pour un modèle social différent, si notre horizon est le socialisme et si nous travaillons avec l’idée d’une nation souveraine, il est urgent de repenser nos modes de production. Pour résoudre ce casse-tête, l’agroécologie est un élément important. Par ailleurs, l’agriculture technologique doit devenir une politique d’État. En d’autres termes, l’agroécologie n’est pas seulement une méthode pittoresque à appliquer dans la production de conucos [parcelles traditionnelles de production familiale] ; le modèle doit être viable et permettre de nourrir l’ensemble de la société de manière durable. En ce qui concerne l’agriculture durable, notre tâche consiste à la promouvoir, à offrir un soutien technique et une éducation politique. Les Sans Terre ont également fait don de semences à l’Union Communarde pour aider à la transition vers l’agriculture durable.

Lorsque nous organisons des ateliers avec les paysans, nous enseignons les techniques de l’agriculture durable : de la production d’intrants agricoles biologiques aux méthodes non toxiques d’éradication des parasites. Il est intéressant de noter que la crise et le blocus ont fait tomber certains des obstacles au passage à l’agriculture durable. Désormais, de nombreux paysan(ne)s comprennent qu’il est possible et nécessaire de produire sans produits chimiques. Néanmoins, le passage à des pratiques écologiques dans la production à grande échelle reste un défi immense. Le but n’est pas de forcer les gens à changer leur modèle agricole, mais d’aider à créer les conditions pour qu’ils comprennent que ce changement est viable et nécessaire. Après tout, si cela ne se produit pas, les producteurs continueront à être dépendants des sociétés transnationales et le pays continuera à importer d’énormes quantités d’intrants agricoles. Il va sans dire que les pratiques agricoles traditionnelles ont des effets néfastes sur la vie des paysan(ne)s, mais aussi sur l’environnement.

Un modèle social différent exige un changement dans la façon dont la production se déroule dans les zones rurales. C’est pourquoi nous offrons des ateliers technico-politiques aux communes et aux autres organisations paysannes.

Les Sans Terre font désormais partie du paysage des mouvements populaires au Venezuela, dans une révolution qui se considère comme bolivarienne et, pour cette raison, latino-américaine. Qu’ont appris les Sans Terre de ce processus ?

Cela fait presque 18 ans que la première équipe de Sans Terre a atterri au Venezuela. Notre méthode de formation des brigades est la suivante : les compagnes et compagnons internationalistes Sans Terre restent ici pendant environ deux ans, puis nous retournons au Brésil, pour partager notre apprentissage avec d’autres membres de l’organisation. Dans l’ensemble, nous pensons que nous avons appris beaucoup plus que ce que nous avons enseigné ici.

Les membres de l’organisation qui viennent au Venezuela apprennent du processus bolivarien. Partager l’expérience des Sans Terre dans un pays en plein processus révolutionnaire constitue pour nous une école. Nous apprenons beaucoup des succès de la révolution bolivarienne, mais nous apprenons aussi des contradictions de la vie quotidienne des gens. Nous apprenons ce que nous devons et ne devons pas faire dans une société en transition vers le socialisme.

Parmi les choses les plus concrètes que nous avons apprises, il y a la façon dont le peuple vénézuélien a été l’acteur central de son processus révolutionnaire – en particulier les organisations politiques de base – et comment un processus en mouvement constant élève le niveau de conscience du peuple par la participation directe. Il ne s’agit pas d’une simple spontanéité, mais d’une participation intense, liée à une organisation territoriale et nationale. C’est une grande leçon pour nous : les gens doivent être impliqués dans les processus d’organisation dans toutes les sphères de la vie. Et oui, la commune est un espace où nous avons beaucoup appris. Dans les espaces communaux, les gens comprennent la nécessité de s’organiser pour construire une société vraiment différente.

Nous avons également appris de la créativité quotidienne des gens dans le processus bolivarien. Parfois, à gauche, nous avons des schémas très fermés sur le niveau de préparation et de planification nécessaire pour avancer, et cela peut devenir un obstacle. Au Venezuela, les gens savent que tout cela est nécessaire, mais la créativité – dans un pays où les gens sont très spontanés – est une grande vertu de la révolution bolivarienne.

Nous avons également beaucoup appris des processus électoraux. Le Mouvement des Sans Terre accompagne ces processus parce que le conflit électoral est aussi une bataille pour la défense du projet révolutionnaire. Ici, les élections ne sont pas liées à des intérêts individuels ou de groupe, mais à des intérêts collectifs. C’est très différent du Brésil, où les élections sont une sorte de marché et où la finance tend à gagner et à conserver le pouvoir. Ce qui est en jeu dans un processus électoral au Venezuela, c’est un projet politique. Ici, les élections ne sont pas un marché.

Le Venezuela nous a appris qu’une campagne n’est pas seulement un outil pour être élu, c’est aussi un moment pour se rapprocher des organisations de base et stimuler la participation du peuple. Le Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV, principal parti chaviste) est le parti le plus avancé du continent lorsqu’il s’agit de défendre une révolution dans un tourbillon électoral. Bien sûr, les élections se déroulent ici dans les paramètres de la démocratie bourgeoise, mais les campagnes aident à construire un autre type de démocratie.

Nous avons aussi appris de l’anti-impérialisme et des pratiques patriotiques de la révolution bolivarienne, qui sont très tangibles dans la vie quotidienne du peuple vénézuélien. Le Brésil n’a pas connu de lutte historique pour son indépendance, et c’est peut-être pour cela que nous avons une société très fragmentée, une société qui n’a pas la défense de la patrie comme valeur fondamentale.

D’un point de vue politique, notre société est beaucoup plus dominée. Au Venezuela, nous avons appris comment construire un sentiment patriotique – non pas au sens du nationalisme bourgeois, mais avec l’objectif d’avoir un pays véritablement indépendant à tous les niveaux : économique, politique et social.

Photo: L’école technique agricole Ernesto Guevara d’El Maizal est gérée en collaboration avec les Sans Terre. (Commune d’El Maizal)

Le Brésil a des élections présidentielles le 2 octobre 2022. La course opposera l’extrême droitier Jair Bolsonaro au progressiste Lula da Silva. Quelle est l’importance de cet événement pour le Brésil et pour le continent ?

Le Brésil traverse une grave crise sociale et économique : les conditions de vie de la population sont catastrophiques. Des dizaines de milliers de personnes vivent dans la rue, dans des conditions de misère absolue, tandis que 60 millions de personnes sont directement touchées par la crise capitaliste : le chômage et l’inflation des prix alimentaires sont endémiques et les idées fascistes continuent de progresser. Bien entendu, le gouvernement d’extrême droite de Bolsonaro n’a aucun intérêt à résoudre les nombreux problèmes sociaux de notre pays. Au contraire, ses politiques favorisent le marché et la bourgeoisie, tandis qu’il encourage les idées fascistes et promeut un discours de violence.

C’est pourquoi nous pensons que les prochaines élections présidentielles revêtent une importance stratégique pour le Brésil et pour l’Amérique latine dans son ensemble. Si Lula gagne, la carte du conflit continental changera : cela permettra à la gauche et aux projets progressistes de continuer à avancer. La confrontation avec l’impérialisme et son projet économique broyeur se fera également dans des conditions plus favorables.

Le peuple brésilien doit choisir Lula comme président. Ce ne sera pas facile, mais il y a de bonnes chances que nous réussissions. En tout cas, pour atteindre notre objectif, nous devons travailler dur ; nous luttons contre un ennemi très puissant. Il dispose d’un solide soutien de 30% d’électeurs et de nombreux pouvoirs de facto, et de tentacules de grande envergure.

Le Mouvement des Sans Terre participe à la bataille électorale en organisant des comités de base. Les débats au sein de ces comités vont de l’avenir du pays aux politiques qu’un gouvernement populaire du PT [Parti des Travailleurs] devrait promouvoir. Les élections du 2 octobre sont très importantes, mais une victoire ne serait qu’un début. Les gens devront être prêts à défendre cette victoire. La situation du pays ne sera pas résolue avec des politiques d’assistanat, mais avec des politiques qui restructurent les choses en faveur du peuple. La crise du Brésil fait partie de la crise du capitalisme. Pour aller de l’avant avec les grandes réformes dont nous avons besoin, la mobilisation sera essentielle.

Enfin, le Brésil a un rôle important à jouer en matière d’unité latino-américaine. Il est urgent de réactiver les projets qui rassemblent le continent. Chávez a promu l’intégration économique et politique avec des mécanismes tels que la CELAC [Communauté des États Latino-américains et des Caraïbes] et l’UNASUR [Union des Nations Sud-américaines]. Alors que l’impérialisme états-unien perd son hégémonie, les gouvernements progressistes du continent doivent unir leurs forces. C’est pourquoi une victoire de Lula et du Parti des Travailleurs (PT) en octobre est importante non seulement pour le Brésil mais aussi pour l’ensemble de l’Amérique latine.

Propos recueillis par Cira Pascual Marquina

Source : https://venezuelanalysis.com/interviews/15536

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/05/27/les-sans-terre-du-bresil-a-lecole-du-venezuela-ici-le-peuple-est-vraiment-le-sujet-de-la-revolution/

Souverainetés politique et alimentaire : le pari communard du Venezuela.

Ignorée par la gauche occidentale, la stratégie fondamentale de la révolution bolivarienne repose depuis 22 ans sur le retour dans le champ politique de la majorité sociale exclue par une élite coloniale. Cet objectif d’approfondir la démocratie vise à sortir d’un jeu politique faussé par l’interférence de pouvoirs non-élus (insurrections des secteurs putschistes d’extrême droite, lobbies et monopoles de l’économie privée, concentration capitaliste des médias, blocus, sanctions, sabotages, incursions paramilitaires et menaces de guerre des États-Unis et de leurs satellites européens et latino-américains, etc..). Cette volonté démocratique est palpable dans les témoignages des auto-gouvernements populaires qui se créent un peu partout sur le territoire.

Photo: Alcadio Lemus est un des parlementaires de la commune de Monte Sinaí. José Luis Pinto est enseignant et cultive des haricots et des avocats sur sa petite parcelle familiale. Il est parlementaire de Monte Sinaí. Ariaska Llovera est parlementaire de la commune. Maritza Solano est productrice de café, porte-parole du conseil communal de Peñas Blancas et parlementaire de la commune de Monte Sinaí. Luis González est communard, travaille au parc Guacamayal et s’occupe de la pépinière communale. Domingo Llovera dirige avec sa famille la chocolaterie Los Lloveras et fait partie de la commune. Llubidit Llovera est parlementaire communale et s’occupe des projets éducatifs. Luis Solórzano est producteur de fromage, porte-parole du conseil communal de Las Pichiguas et parlementaire communale. (Voces Urgentes).

Histoire et production

Les communard(e)s de la Comuna Monte Sinaí ont formé une jeune organisation qui s’efforce de développer la production communale et les relations sociales non marchandes. Le territoire de cette commune s’étend sur les États d’Anzoátegui et de Miranda, mais son épicentre se trouve dans la petite ville de Santa Bárbara, dans la vallée de Guanape. On y cultive le café, le cacao, les haricots noirs, divers tubercules et l’avocat. Comme les caféiers sont vieux et peu productifs, la commune a construit une pépinière pour faire pousser les nouveaux plants de café.

Maritza Solano : Ces terres d’altitude embrassent la commune de Rio Guanape, mais celle-ci était trop grande et s’est divisée en cinq communes plus petites. La nôtre est une commune jeune qui doit faire face à de nombreux défis. Par exemple, certaines personnes doivent marcher pendant des heures pour se rendre à la réunion hebdomadaire de Santa Bárbara, car les routes sont en mauvais état et il est difficile de se procurer de l’essence. Cependant, nos terres possèdent un énorme potentiel productif.

Alcadio Lemus : Le processus de formation de notre commune a commencé il y a environ un an. Depuis, nous avons travaillé très dur. Comme on dit, notre diamant est encore brut, mais la beauté du projet émerge. Notre parlement se réunit tous les mercredis, quoi qu’il arrive. C’est là que nous apportons nos idées, que nous débattons et que nous planifions.

Ariasca Llovera : Notre « commune mère » [la commune de Rio Guanape] était très grande, et ceux d’entre nous qui vivaient à Santa Bárbara devaient marcher des heures pour se rendre aux réunions. Ce n’était pas facile pour tout le monde. Aujourd’hui, certaines personnes peuvent faire un court trajet à pied, d’autres doivent encore marcher longtemps pour assister à une réunion.

Alcadio Lemus : Chávez a promu le pouvoir populaire. Son héritage est très important pour nous, nous travaillons dur pour organiser la commune à partir de la base. Nous sommes confrontés à de nombreux défis, mais nous avons le potentiel suffisant pour construire une commune solide. Ici, les gens travaillent dur mais la nature est généreuse. La principale culture de la région est le café. Historiquement, celui que nous cultivions était la variété régionale, mais nous sommes en train de passer au C27 [une nouvelle variété de café plus productive] avec l’aide de la CVC [la Corporation d’État Vénézuélienne du Café]. Ils nous aident à faire pousser des plants pour rénover nos petites parcelles, ce qui est très important car nos caféiers sont très vieux. Le cacao est également important ici, nous cultivons aussi l’ocumo (tubercule), l’igname, le manioc, les haricots noirs, les bananes plantains et les avocats. Il y a de petits producteurs de fromage dans la commune. Enfin, nous avons deux petites Unités de Production Familiale [UPF] : une usine de traitement du manioc et une usine de chocolat.

Lenin González : Notre commune a également un grand potentiel pour l’écotourisme. Notre principal atout est le parc Guacamayal, un parc municipal de loisirs abandonné pendant un certain temps mais qui est en train d’être récupéré grâce à une initiative conjointe du gouvernement local et de la commune.

Yuvidí Llovera : Nous pensons que notre commune va réussir, mais nous avons besoin de formation politique et technique pour progresser. Nous avons besoin d’ateliers pour mieux prendre soin de la nouvelle variété de café que la Corporation Vénézuélienne du Café introduit dans la région, et nous devons en apprendre davantage sur les processus administratifs qu’implique la construction d’une commune.

Photo : Café et cacao (Voces urgentes)

Sanctions des États-Unis : impacts sociaux et solutions locales

Luis Solórzano : En 2015, Barack Obama a publié un décret qui déclarait que le Venezuela constituait une « menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité des États-Unis. » (sic). Avec les sanctions, la vie s’est détériorée très rapidement. Nous nous demandions : Qu’allons-nous faire ? Qu’allons-nous manger ? Comment allons-nous obtenir les médicaments pour notre mère ou notre tante ? Puis est venu le blocus pétrolier, qui est une politique véritablement criminelle. Pendant ces années, le CLAP [aide alimentaire mensuelle du gouvernement aux familles populaires] est devenu très important pour tout le monde, mais cet apport de nourriture n’était pas suffisant. Je connais des familles qui faisaient des repas avec de l’eau de riz et rien d’autre. Ces années ont été très dures !

José Luis Pinto : La situation est devenue très pénible vers 2018. Obtenir de l’essence était presque impossible, et nous ne pouvions plus transporter nos récoltes au marché. La santé dans la commune a commencé à se détériorer à peu près au même moment, certaines personnes sont mortes et d’autres ont quitté le pays. Ce furent des années vraiment difficiles, mais maintenant les choses vont un peu mieux.

Domingo Llovera : Pendant les années les plus difficiles du blocus, nous n’avions plus d’intrants agricoles comme l’urea, les engrais ou les pesticides.

Luis Solórzano : La production est tombée à zéro pendant un certain temps. Je vous le dis en connaissance de cause parce que je suis un enseignant, mais aussi agriculteur. Je cultive des haricots noirs, de l’igname, de l’ocumo et des avocats. Pendant ces années, je suis passé à une agriculture de subsistance. En plus, nous souffrons des impacts du changement climatique. Nous avons connu des périodes de pluies intenses suivies de longues sécheresses. Et la déforestation et l’agriculture sur brûlis assèchent de nombreuses sources d’eau. Les pauvres sont toujours les grands perdants… Mais nous avons gardé la force de nous organiser.

Maritza Solano : Depuis un certain temps, il est devenu très difficile de se procurer des pesticides et autres intrants agricoles. D’abord, il n’y en avait pas, puis les prix ont grimpé en flèche. Cela signifie que la production ici, dans les terres hautes de la Valle Guanape, est devenue essentiellement biologique. Nous avons également appris à faire du compost à partir de déchets organiques. Tout cela a des avantages – puisque nous ne sommes pas exposés aux produits agro-toxiques mais il ne faut pas romantiser. La production a chuté ces dernières années. L’agriculture biologique nécessite des connaissances, des formations et des ressources. L’État, à travers la Corporation Vénézuélienne du Café, nous a proposé des ateliers. Ils nous ont aidés à passer du café local à la variété C27, qui est meilleure, mais nous devons acquérir davantage de connaissances pour tirer le meilleur parti de nos nouveaux caféiers.

Luis Solórzano : Nous avons appris plusieurs choses pendant le blocus. Par exemple, en tant que pays, nous ne pouvons pas dépendre exclusivement de la rente pétrolière. Pour garder la tête hors de l’eau, notre seule option dans les zones rurales est de travailler collectivement. Aujourd’hui, nous faisons plus attention aux ressources : nous apprécions le soutien de la Corporation Vénézuélienne du Café, nous prenons soin de nos quelques outils et nous bénissons la commune – car s’y trouve la solution. Cependant, construire une commune dans un pays en état de siège n’est pas facile. Notre principal défi est qu’il s’agit d’une commune rurale sur un territoire très étendu. Une grande partie de la population est concentrée à Santa Bárbara, mais il y a des gens qui doivent marcher deux ou même trois heures pour se rendre à une réunion.

Photo : pépinière communale de café en haut ; pépinière de Maritza Solano en bas. (Voces Urgentes)

Pépinières de café

Lenin González : L’année dernière, nous avons obtenu le soutien de la Corporation Vénézuélienne du Café pour renouveler nos plants à Valle Guanape. Notre objectif est maintenant d’augmenter notre production, qui est très faible actuellement. Ici, dans le parc Guacamayal, nous avons une pépinière et nous avons récemment planté 32 kilos de graines de café C27. Elles sont en train de germer en ce moment.

Yosmel Díaz : Nous avons cinquante mille plantules dans la pépinière, mais notre objectif est de produire un million de plantes en 2022 pour remplir les collines de la commune. Cependant, nous ne voulons pas seulement faire pousser des plants de café ici ; nous voulons aussi faire pousser des plants de cacao.

Unités de production familiales

Lenin González : Nous avons deux UPF ici dans la commune : une usine de chocolat et une usine de gaufres de casabe. Toutes deux ont un grand potentiel. Les UPF font partie du système économique communal de Chávez. Elles intègrent le travail des familles qui possèdent leurs propres parcelles ou des moyens de production dans le projet communal.

William Flores : Nous plantons le manioc amer dans notre conuco [lopin traditionnel de culture intensive] et, dix mois plus tard, nous récoltons. Chaque jour, très tôt, nous transportons la récolte à l’usine de manioc amer, à dos d’âne. D’abord, nous pelons le manioc, puis nous le lavons et en extrayons le poison, nous le traitons [c’est le seul procédé mécanique] et nous le mettons à sécher au soleil. Pendant ce temps, ma femme ramasse du bois pour allumer le feu et préparer les galettes de manioc sur le budare [feuille de métal placée sur un feu ouvert]. Toute ma famille travaille à l’UPF : mon père, mon oncle et ma femme. Des enfants nous aident aussi à charger le manioc, à l’éplucher et à apporter de l’eau à l’usine. Nous nous levons tous à 3 heures du matin et nous travaillons jusqu’au coucher du soleil. C’est un travail difficile.

Domingo Llovera : Nous cultivons un bon cacao ici, il est évident que nous devrions produire du chocolat. En l’état actuel des choses, nous produisons des barres de chocolat et du cacao en poudre à petite échelle, mais nous espérons augmenter notre production. Il est important de dépasser la logique d’exporter nos matières premières et de générer des revenus pour la communauté avec des usines de transformation. Même une petite usine de chocolat fait la différence. Imaginez ce que ce serait si nous avions plusieurs usines ! C’est l’un de nos objectifs.

Troc communal

José Luis Pinto : Dans la montagne, entre producteurs, il y a une longue tradition de troc. Cette tradition a été ravivée pendant la crise : si j’ai du fromage et que j’ai besoin de manioc ou de café, je vais faire du troc avec mon voisin. Cela présente un avantage évident : nous échangeons en dehors des lois du marché. Nous pensons qu’en tant que commune, nous devons promouvoir le troc, notamment avec d’autres communes.

José Luis Pinto : Quand les choses sont devenues vraiment difficiles ici, notre production est tombée à presque rien : les gens produisaient juste pour leur subsistance et pour un troc à petite échelle. Cela nous a aussi obligés à diversifier notre production : maintenant nous produisons des bananes plantains et nous cultivons la canne à sucre pour faire du guarapo [jus de canne à sucre] avec lequel nous sucrons notre café. Les choses s’améliorent un peu, mais une partie importante de notre économie reste basée sur le troc. De temps en temps, nous apportons encore un sac de café en ville et l’échangeons contre un outil.

Photo : le parlement communal de Monte Sinaí se réunit tous les mercredis. (Voces Urgentes)

Alcadio Lemus : Nous avons un long chemin à parcourir parce que nous sommes une jeune commune – et une commune née dans le feu de la crise en plus ! Il y a beaucoup de facteurs défavorables. Néanmoins, nous gardons le projet de Chávez en tête et nous comprenons que la construction d’une commune est un effort collectif : il s’agit de défendre les biens communs. Telle nous le comprenons, une commune, c’est le peuple qui s’organise pour produire et satisfaire les besoins collectifs.

Luis Solórzano : Chávez a parlé de la nécessité de construire une nation souveraine. Quand il parlait de souveraineté, il ne faisait pas seulement référence à la souveraineté territoriale et politique. Il parlait aussi de la souveraineté alimentaire. Malheureusement, nous n’avons pas compris l’importance de sa conception : si nous avions intériorisé sa pensée, nous ne serions pas dans cette situation aujourd’hui, les choses auraient été différentes et moins douloureuses lorsque l’impérialisme états-unien allié à l’oligarchie locale ont conspiré pour renverser le gouvernement du président Maduro. Bien sûr, nous ne devons pas oublier que le gouvernement de Chávez était déjà assiégé en permanence : rappelez-vous le coup d’État, le sabotage du pétrole et les incursions paramilitaires. La crise nous a frappés durement, elle a également endommagé l’organisation de base : nous luttions tous pour survivre. Aujourd’hui, les choses reprennent, et nous avons bon espoir de faire en sorte que notre commune s’enracine et se développe.

Entretien réalisé par Cira Pascual Marquina et Chris Gilbert pour Venezuelanalysis

Photos : Voces Urgentes

Source : https://venezuelanalysis.com/interviews/15512

Traduction : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/05/11/souverainetes-politique-et-alimentaire-le-pari-communard-du-venezuela/

Au Venezuela, la révolution agroécologique des « grands-mères rebelles »

Face aux lobbies qui veulent imposer le business de l’importation de semences, le gouvernement révolutionnaire du Venezuela et les organisations paysannes viennent de certifier une nouvelle semence autochtone : la pomme de terre des Andes. Le journaliste Roberto Malaver dialogue avec Liccia Romero sur l’importance de cette lutte patiente et sur les résistances économique, culturelle, qu’elle incarne. Liccia Romero est biologiste, diplômée de l’Universidad Simón Bolívar, titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat en écologie tropicale, et enseignante universitaire. Cette caraquègne a décidé de vivre à Mérida, dans les Andes. Chercheuse passionnée de la pomme de terre autochtone, elle est aussi une des roues motrices de l’extraordinaire projet Proinpa consacré notamment à cette variété autochtone. Pour elle, « à partir de maintenant, de merveilleuses possibilités s’ouvrent pour le Venezuela, si le rôle dirigeant des organisations paysannes et l’esprit d’articulation et la cohérence de l’Etat vénézuélien se maintiennent. »

Liccia Romero (à droite) reçoit la reconnaissance de la part de la Ministre de Science et de Technologie Gabriela Jimenez pour ses recherches comme investigatrice scientifique

Liccia Romero (à droite) reconnue par la Ministre de Science et de Technologie Gabriela Jimenez pour ses recherches comme investigatrice scientifique

Avril 2022, dans les Andes vénézuéliennes. Le gouvernement révolutionnaire du Venezuela et les organisations paysannes certifient une nouvelle semence autochtone de pomme de terre.

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Roberto Malaver – D’où vient l’expression « grands-mères rebelles » ?

Liccia Romero – C’est une manière de rappeler les actes de résistance des femmes âgées, des grand-mères qui étaient responsables de familles avec de jeunes enfants, à une époque où la modernisation commençait dans les Andes vénézuéliennes. Cette modernisation s’est accompagnée d’une modification importante du modèle de production agricole. Les familles des hautes Andes, en particulier dans les hauteurs des « páramos », ont dû transformer leur technologie de production, basée sur l’agriculture avec jachère. Elles étaient des rebelles parce que, tout d’abord, elles ont refusé d’abandonner l’agriculture, et non seulement ne l’ont pas abandonnée, mais l’ont enseignée à leurs enfants, l’ont maintenue comme un système qui survit encore dans une grande partie des « paramos ». En outre, elles ont conservé les semences autochtones, non seulement celles de la pomme de terre mais aussi d’autres tubercules d’origine andine. Elles ont même conservé des variétés qui ne sont pas indigènes mais historiques, comme le blé ancien, les haricots anciens, et tout cela aujourd’hui, dans le cadre de la crise de ce modèle moderne, est devenu une alternative, pour elles comme pour beaucoup de communautés.

R.M. – Et pourquoi dites-vous « qu’elles ont déjoué le piège » ?

L.R. – Elles ont démonté le piège que signifie ne pas disposer de la semence, car cela signifie que vous continuez à être une agricultrice ou agriculteur, mais que vous êtes dépendant du type de semences, de tubercule, qui peut changer à tout moment. Dans ce cas, circulent des tubercules de variétés ou d’hybrides à croissance rapide qui sortent du contrôle des producteurs, proviennent de l’extérieur par le biais d’un circuit commercial. On a donc besoin d’argent pour pouvoir acquérir cette semence, et pas seulement la semence, mais aussi l’ensemble des produits agrochimiques qui entourent cette semence pour pousser, pour qu’elle puisse donner le rendement le plus abondant. Elles ont réalisé que sans leurs propres semences, elles allaient manquer de nourriture, parce qu’en plus, à cette époque, dans un environnement très patriarcal, ceux qui allaient travailler à l’extérieur étaient les hommes, donc elles allaient être plus dépendants des salaires des hommes, entrés dans un régime salarial. Avant l’habitude était de travailler principalement avec des figures d’échange, de travail collectif solidaire, avec lequel on pouvait se soutenir mutuellement : avec le contrôle des graines, le travail, l’eau et les nutriments fournis par le sol, tout marchait. Lorsqu’ils se sont retrouvés sans semences, ils se sont retrouvés sans leur propre outil de production et sont devenus dépendants de tiers. Il était donc très intelligent de conserver les semences, cela signifiait préserver l’autonomie en matière de production alimentaire.

R.M. – Un processus de résistance, donc ?

L.R. – Oui, parce que cette modernisation de l’agriculture s’accompagnait de termes défavorables envers elles, qu’on accusait de maintenir des méthodes arriérées, improductives, gaspilleuses de terres, parce que l’agriculture en jachère apparaissait, sous le prisme obscurantiste du modernisme, comme un « abandon de terres ». Alors que pour nous, d’un point de vue agroécologique, cela fait partie du processus productif, de la régénération de la terre.

R.M. – Ces connaissances sont-elles encore transmises ?

L.R. – Oui, bien sûr. Ces connaissances sont transmises des enfants à leurs petits-enfants. Nous intervenons à un moment où nous rencontrons ces enfants pour les aider à résister au discours qu’on entend encore à l’école : « si tu ne veux pas devenir paysan comme ton père, tu dois étudier », ou « si tu veux être quelqu’un, tu dois cesser d’être un paysan ». Nous intervenons pour renforcer ce pont, cette transmission, pour que celles et ceux qui ont reçu cet enseignement puissent surmonter ce discours de sous-estimation et puissent le transmettre à leurs enfants.

R.M. – Qu’est-ce que le « tinopó » ?

L.R. – C’est une forme de gestion de la pomme de terre. Une partie des semences reste dans le sol. Vous avez une parcelle de terre, vous récoltez une partie de la pomme de terre, vous l’arrachez, mais une partie reste dans la terre. Il n’y a là aucune négligence (au sens où certains disent : « quelle négligence de laisser la pomme de terre dans le sol ! »). En fait on la laisse en terre ex profeso, il s’agit d’un cycle de reproduction, on peut gérer simultanément une parcelle qui produit pour la consommation et une parcelle productrice de semences. Voyez aussi l’importance du « tinopó » selon l’endroit où il se trouve. Soit il est situé à côté de la maison, et dans ce cas c’est un endroit où l’on a des pommes de terre toute l’année, une façon de rendre la pomme de terre disponible pour la consommation dans le temps, on garde la semence. Soit ce « tinopo » est situé dans des zones éloignées, à plusieurs heures de route, même dans des zones plus élevées, des zones sauvages où les pommes de terre entament un processus de progression génétique, commencent à se croiser avec la pomme de terre sauvage, c’est ainsi qu’on génère patiemment la diversité. Puis, là-haut, on arrache des pommes de terre, on les ramène, on les sélectionne et on crée de nouvelles variétés, c’est un laboratoire de diversification.

Bernabé Torres, gardien des semences de Gavidia

R.M. – Peut-on parler de patrimoine alimentaire des Andes ?

L.R. – En 2015 notre IPC – Institut du Patrimoine Culturel – a émis une déclaration, un décret en quelque sorte : la déclaration du patrimoine culturel immatériel des connaissances sur les graines indigènes de la communauté Gavidia. Cette déclaration reconnaît les connaissances, les matériaux physiques et biologiques, par ailleurs protégés par la Loi sur les Semences également approuvée en 2015. Ce qui est important dans cette déclaration, c’est qu’elle établit ce qu’on appelle le plan de gestion, c’est-à-dire tout ce qu’il faut faire pour que ce patrimoine culturel et immatériel soit transmis et continue son processus d’enrichissement pour les générations futures. Nous avons une forte composante éducative, à travers les communautés d’apprentissage, nous sommes alliés au Système National d’Études ouvertes et nous avons une communauté d’apprentissage locale. Dans cette communauté d’apprentissage, l’épine dorsale de la colonne est la connaissance, bien sûr, puis chacun est impliqué de son point de vue particulier, santé, tourisme, aquaculture, mais c’est là tout l’enjeu de cette communauté d’apprentissage : la connaissance est développée comme partie intégrante du plan de gestion que nous appliquons sur le terrain.

R.M. – Tout cela se passe-t-il à Gavidia ?

L.R. – Le centre est Gavidia, qui se trouve dans un parc national, il ne s’agit donc pas d’un espace de production intensive, mais d’un espace de diversification et de création d’options de diversification. Que faisons-nous ? Nous apportons ces matériaux à l’ensemble du processus mené à bien par l’association paysanne, dont le chef de file est Proinpa, l’Association des producteurs intégraux du Paramo, qui dispose d’un laboratoire appelé CEBISA, à Mucuchíes, et là, en planifiant des techniques de culture tissulaire et de propagation in vitro, nous reproduisons cette semence pour disposer d’une quantité à reproduire et à produire en masse. Ce que l’on ne peut pas faire, c’est passer à une autre échelle, parce qu’il est impossible de déboiser un grand nombre de terres pour planter beaucoup de pommes de terre, il faut se spécialiser.

R.M. – Alors comment aller plus loin si on ne peut le faire à Gavidia ?

L.R. – Il faut amener la pomme de terre là où il y a de grandes zones qui ne sont pas des zones protégées, qui ont la capacité de produire des semences, et c’est pourquoi nous tissons ensemble les noyaux de semences pour qu’il y ait une organisation sociale responsable et spécialisée dans les semences.

R.M. – Tu as cité Bernabé, un paysan qui semble tout savoir…

L.R. – Bernabé est un de mes plus chers compagnons. C’est avec lui que j’ai commencé à travailler, il est très ouvert, nous avons une empathie très forte. C’est un éleveur, et ils sont tous très particuliers : chacun possède sa propre personnalité, et lui c’est un « domestiqueur ». Les pommes de terre qui se trouvent dans ces « tinopos » doivent suivre une sorte de processus de domestication, parce qu’elles sont « sauvages », alors il crée ce qu’on appelle un « paramito », il les fait descendre de niveau en niveau, elles passent par une transition en plusieurs récoltes, jusqu’à ce qu’il les amène sur la parcelle où il les multiplie massivement, les sélectionne, en tentant de les unifier phénotypiquement comme des pommes de terre, il les baptise avec un nom particulier. Ce processus de domestication est bien sûr rejeté par les grandes corporations privées qui travaillent dans le sens contraire, celui de l’homogénéisation des semences de la pomme de terre, et des cultures en général. La compétence et la connaissance de Bernabé, peu de monde la possède… reconstruire avec lui tout ce processus et l’aider à prendre conscience que c’est un savoir très puissant, a été l’une des choses que j’ai le plus aimée dans ma vie, vraiment.

Spécimens de pommes de terre noires récoltées par Benabé Torres (Gavidia, décembre 2021)

R.M. – Quel bénéfice tire le Venezuela de cette pomme de terre ?

L.R. – Imaginez ! Il a tant de gènes pour créer la pomme de terre de rêve, tous ces génotypes, une fois développés, offrent une infinité de possibilités.

R.M. – On peut donc résister à une guerre économique en produisant et en consommant cette pomme de terre ?

– C’est le futur. Dans l’histoire des Andes, la pomme de terre incarne la culture de la résistance. Elle est un organe de stockage, de résistance. La plante stocke ses réserves d’énergie afin de les utiliser quand elle en a besoin. En outre existent ces pommes de terre noires, qu’on n’appelle pas seulement noires à cause de la couleur, mais aussi « papas de año » (pommes de terre de l’année). Ce sont des pommes de terre qui prennent beaucoup de temps pour sortir de terre, plus que les 90 jours de la pomme de terre blanche. Je pensais que le nom « papa de año » était dû au fait qu’il fallait un an pour le récolter, mais non, les « grands-mères rebelles » me l’ont expliqué : on l’appelle « papa de año » parce qu’on peut la garder dans une pièce jusqu’à un an, comme réserve alimentaire, c’est-à-dire qu’elle est très résistante.

R.M. – Il y a de nombreuses variétés de pommes de terre…

L.R. – Bien sûr. Ce qui se passe, c’est que nous avons été éduqués à ne manger que les produits les plus commerciaux. Celle qu’on appelle la pomme de terre jaune, ou la pomme de terre colombienne, (si on prend la Colombie dans l’acception de Miranda et Bolivar, une seule nation faite du Venezuela et de la Colombie actuelle), qui vient aussi du nord des Andes, où nous nous trouvons. Dans nos paramos, cette pomme de terre est appelée papa reinosa, et il en existe différents types : à fleurs blanches, à fleurs violettes. Il y a une diversité, donc on pense que c’est la pomme de terre colombienne, mais non, cette pomme de terre est nôtre.

R.M. – Et qu’en est-il de la pomme de terre noire, ou « arbolone noire » ?

L.R. – Si tu te dis producteur de pommes de terre noires, c’est que tu cultives des pommes de terre autochtones, sans compter les spécialités, par exemple, il y a des pommes de terre qui répondent au profil de l’agriculteur, et qui ont le nom de l’agriculteur, comme la Dorilera noire, parce qu’elle appartient à Mr. Dorilo, il est le seul à la cultiver.

R.M. – Est-ce que cette pomme de terre est abondante là-bas ?

L.R. – Aujourd’hui, elle est abondante à Gavidia, parce que nous en avons pris soin. Elle se limitait même à certaines familles de Gavidia.

R.M. – Qui a le privilège de manger cette pomme de terre ?

L.R. – Au départ, on ne le voyait pas comme un privilège, c’était le problème, on le voyait comme ce qui nous restait. Lorsqu’on a pris conscience qu’il s’agissait d’un privilège, c’est là que nous avons commencé à tout inventer, comme l’Eco-Festival de la pomme de terre autochtone. Nous avons décidé de transmettre cette culture de notre pomme de terre à d’autres, de là est venue la déclaration du patrimoine culturel immatériel parce que l’idée était, bon, développons-la, mais nous avons besoin de mécanismes de protection. De fait, la chose à peine connue, le représentant de la corporation privée Frito Lay au Canada m’a appelée personnellement, en me disant qu’il voulait avoir accès au germoplasme indigène, cette déclaration est donc un mécanisme de protection crucial contre la privatisation ou ses tentatives.

Liccia Romero

R.M. – Et Liccia Romero continue de planter avec la même énergie ?

L.R. – Je continue à travailler avec ce groupe de familles, avec cette relation de fraternité qui nous dit que nous sommes ensemble dans une cause, que nous sommes solidaires dans cette cause. Et avec l’Alliance scientifique-paysanne, nous nous sentons plus forts. Et nous avons reçu beaucoup de soutien de la part du Ministère de la Science et de la Technologie, au début on comprenait davantage l’importance de ce travail au Ministère de la Science et de la Technologie, qu’au Ministère de l’Agriculture et des Terres. La dimension des investissements que le ministère de la Science et de la Technologie a réalisés pour toute cette structure de laboratoires qui existent à Mucuchíes, est immense. C’est un énorme potentiel. C’est pourquoi j’ai proposé une gestion enracinée dans les communautés, on y développe tous les aspects de la gestion territoriale, avec tous les champs de diversification, avec la sagesse ancestrale, tout ce potentiel de diversité agroécologique.

Il existe un Centre international de la pomme de terre, avec une banque de matériel génétique, mais toutes ces banques sont comme des photos figées de l’évolution agroécologique. Ils doivent ensuite sortir ces matériaux pour les refroidir, afin de les rendre à la vie et recommencer à faire ce que fait notre « tinopó », ici. Ces gens là-bas font ce travail, c’est leur vie… Vous avez le laboratoire de technologie là-bas, composé de gens de là-bas, mais vous avez aussi le réseau des multiplicateurs de ces pommes de terre ici même, dans les Andes, de manière beaucoup plus appropriée, ce qu’il manque, c’est une politique qui gère et renforce tout cela. Et par exemple, nous permette d’éviter de revenir à l’histoire de l’importation de pommes de terre de semence du Canada ou d’ailleurs.

R.M. – Pour l’instant, au Venezuela, on ne le fait pas ?

L.R. – Non, le Venezuela ne le fait pas, mais il y a de fortes pressions pour pousser nos dirigeants à les faire revenir à l’importation. À l’âge d’or de l’importation de semences de pommes de terre, on m’a raconté que des gens qui vivaient au Canada sont devenus millionnaires rien qu’en fabriquant les caisses de bois pour les semences que le Venezuela importait. Chávez a raconté, je m’en souviens comme si c’était aujourd’hui, dans l’un de ses premiers programmes « Allo Président », que le premier ministre du Canada l’avait appelé pour le féliciter de son investiture, et qu’ensuite il s’est rendu compte que cet appel concernait en fait la rénovation du contrat d’importation de semences de pommes de terre au Venezuela… Aujourd’hui, de nouveaux acteurs entrent en lice, les petits-fils et petites-filles qui commencent à assumer la coordination de la coopérative. Et je crois qu’une opportunité est créée pour renforcer et recréer toutes ces connaissances au sein des nouvelles générations.

Source : https://lainventadera.com/2022/03/14/la-papa-es-el-cultivo-de-resistencia/

Traduction : Thierry Deronne

Photos: Proinpa, La Inventadera, MinCyT

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/04/08/au-venezuela-la-revolution-agro-ecologique-des-grands-meres-rebelles/

(Photos et vidéos :) L’école de communication des mouvements sociaux « Hugo Chavez » forme les communicatrice(eur)s de la Commune El Maizal, de la Commune « Altos de Lidice » et les étudiant(e)s en agroécologie de l’IALA.

Le nouvel atelier intégral de l’École de Communication des Mouvements Sociaux « Hugo Chavez » dans la Commune populaire d’El Maizal a eu pour principal objectif de soutenir et de renforcer l’équipe de communication de cette commune et des communes voisines (« cité communale »), du 10 au 22 octobre 2021. Parmi les sujets abordés figuraient les concepts de la communication participative, la photographie, le son, le reportage, le documentaire, avec une devise claire : « Le nouveau ne peut être une copie de l’ancien. Il faut que ce soit autre chose » (Simón Rodríguez).

Grâce à la révolution bolivarienne, la commune a créé sa propre radio communautaire, d’où, au cours de l’atelier, la réalisation de plusieurs exercices de création sonore. Dans le cadre des 12 journées/assemblées de construction du plan du gouvernement municipal, le formateur Victor Hugo Rivera a également formé l’équipe de communicateurs sur « Comment filmer une assemblée populaire ».

Un autre atelier sur la réalisation de documentaires sociaux a été donné aux jeunes reporters communautaires de la commune socialiste « Altos de Lidice » à Caracas par Thierry Deronne. L’école de communication des mouvements sociaux « Hugo Chavez » a également soutenu l’Escuela del Constructor Popular avec la production d’un reportage et a aidé les étudiant(e)s en agroécologie de l’Institut agroécologique « Paulo Freire » dans l’État de Barinas, à rendre visible leur échange de savoirs avec les paysan(ne)s. Ateliers et films produits par Jesus Reyes et Victor Hugo Rivera avec le soutien d’Eskell Romero, Ayari Rojas, Johana Yarley et Jacques France Sandra.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/10/23/photos-et-videos-lecole-de-communication-des-mouvements-sociaux-hugo-chavez-forme-les-communicatriceeurs-de-la-commune-el-maizal-de-la-commune-altos-de-lidice-et-les-etudiantes-en-a/

Au Venezuela, symphonies agroécologiques paysannes

« On sent dans les yeux
et dans les doigts
la pression, la patience,
le travail
de germes et de bouches,
de lèvres et de matrices.
Le vent transporte des ovaires.
La terre enterre les roses.
L’eau jaillit et cherche.
Le feu bout et chante.
Tout
naît
« .
Pablo Neruda, Ode à la fertilité de la terre

Dans les montagnes, à une heure de Barquisimeto, il y a trois villages productifs de paysans où tout aujourd’hui est un bien commun. Monte Carmelo, Bojó et Palo Verde résonnent comme un « orchestre agroécologique » au cœur de la municipalité d’Andrés Eloy Blanco, dans l’état de Lara.

Depuis les années 1970, plus de 120 familles et leurs nouvelles générations ont cultivé avec beaucoup de sens mystique l’organisation et le travail comme une sorte de symphonie. Ces familles rurales font bouger leurs bras, leurs esprits, leurs jambes, leurs regards, avec une telle synchronicité qu’il semble qu’elles dansent sur le même air : elles partagent des sentiments, des idées, des récits, des expériences, des territoires, de la nourriture. Monte Carmelo, Bojó et Palo Verde ont trouvé leur voie dans l’organisation communautaire autour de pratiques et de connaissances agricoles ancestrales, profondément humaines et en harmonie avec la nature. Ces villages sont le berceau de l’agroécologie au Venezuela.

Olga Domené

Cette organisation paysanne, connue sous le nom de La Alianza, a été étudiée par la scientifique vénézuélienne Olga Domené (photo) pendant quatre ans. Docteure vétérinaire, elle a obtenu un master en agroécologie à l’université de Pinar del Río, à Cuba, et vient de terminer un doctorat en écologie au Colegio de la Frontera Sur, au Mexique. Elle est la fondatrice du programme de formation en agroécologie de l’Université bolivarienne du Venezuela.

Les recherches de cette native de la ville de Maracay ont pris fin en 2020, en pleine pandémie de covid-19. Olga a constaté que, dans ces hameaux paysans, le traditionnel « conuco » (parcelle productive) est un espace d’apprentissage, de coexistence et de subsistance, généralement géré par les femmes et les enfants. Le conuco est une unité de production essentiellement familiale, ancrée dans l’histoire du Venezuela, qui prend vie dans les cours des maisons. Y sont cultivées des espèces locales, allant des végétaux alimentaires aux plantes médicinales, en passant par les plantes qui purifient l’âme, car les maladies ne sont pas seulement physiques. L’espace-temps est fondamental dans cette stratégie : les familles ont une connaissance approfondie du territoire pour savoir où, quand et à quelle heure elles vont semer et récolter. Il existe des associations et une diversification des espèces. La famille s’alimente grâce au conuco, tous les jours. On y trouve des bananes à cuire, du manioc, du maïs, des haricots, certaines racines cultivées dans la région, des plantes médicinales, des poulets, des chèvres et des vaches.

Gaudy Garcia, directrice de l’école de Monte Carmelo.

Un autre résultat intéressant de l’étude est de percevoir ces symphonies agroécologiques dont le rythme favorise l’émergence et la permanence de l’organisation communautaire, à partir de la conformation d’un tissu social, avec des intersubjectivités qui ne voient pas seulement le territoire comme un espace biophysique, mais comme des lieux symboliques avec une histoire, où s’entrecroisent des connaissances, des faits, des saveurs, des pensées, des sentiments. C’est un travail qui évoque la magie de « faire de la musique ensemble » : à travers des synchronicités symboliques dans un temps partagé et vécu simultanément. Une agroécologie construite à partir des bases, des pratiques de relations sociales qui ont transformé la réalité de la municipalité Andrés Eloy Blanco, collectivement : les paysans sans terre ont entrelacé un réseau d’organisations dotées de pouvoir. Dans cette vision, le social est dans la relation elle-même.

La recherche d’Olga sur les processus de territorialisation de l’agroécologie dans les environs de Sanare part d’une perspective socio-historique critique, qui laisse de côté les théories et les catégories d’analyse imposées par les sciences conventionnelles. Il s’agit d’une étude réalisée à partir du tissu communautaire, de la systématisation des expériences et des histoires. Cette méthode nous a permis de retisser un événement historique qui rend visibles les facteurs et les dispositifs sociaux qui ont permis l’avancée de l’agroécologie dans l’état de Lara.

Parmi les résultats, certains facteurs de transformation surgissent : 1) l’organisation horizontale comme base de la participation communautaire, qui favorise la consolidation de diverses coopératives et associations. 2) L’importance de la mobilisation des processus éducatifs comme stratégies clés pour la territorialisation de l’agroécologie. Un exercice qui rend visible un sujet pensant atypique : le maître-peuple (maestro pueblo), dont la pédagogie émerge dans l’oralité, qui lit le temps et ne réifie pas la vie, mais au contraire s’immisce dans celle-ci. Un(e) enseignant(e) qui insère un cursus différent et favorise des structures telles que l’école paysanne. 3) Le sauvetage des cultures et des savoirs ancestraux, méprisés par la modernité eurocentrique, qui protègent la vie. 4) Le sauvetage et la multiplication des semences locales, des semences autochtones, ainsi que la construction de laboratoires communautaires d’intrants biologiques.

Dans ces processus, la contribution des femmes a été essentielle pour maintenir la vie. Les femmes ont conquis des espaces, des garanties et des rôles, une lutte très difficile dans le monde rural. Elles sont des dirigeantes communautaires, avec un pouvoir considérable sur leur lieu de travail et d’étude ; beaucoup sont des enseignantes. Elles vivent à la recherche de nouveaux lieux pour recréer des horizons différents.

Les expressions de solidarité, de travail collaboratif et de complémentarité, nécessaires pour créer et maintenir la résistance dans les territoires paysans, se manifestent dans tous les espaces vitaux de Monte Carmelo, Bojó et Palo Verde. Dans les travaux collectifs, les familles aident à construire les maisons d’autres compagnes et compagnons dans les communautés, à nettoyer les routes, à organiser des foires alimentaires.

L’étude montre que le son des symphonies change également avec le temps. La question intergénérationnelle est très importante. Il y a de nouveaux défis, de nouvelles menaces, de nouvelles opportunités.

Les fondateurs de cette organisation paysanne se souviennent que le premier accord dans les montagnes de Sanare a été une campagne d’alphabétisation paysanne influencée par trois courants de pensée : la théologie de la libération, des pères jésuites qui sont arrivés et se sont installés sur le territoire ; la présence du mouvement de guérilla d’Argimiro Gabaldón, avec son idéologie de construction du bien-être collectif ; le mouvement coopératif des années 1980, dont les principes d’entraide, d’union et de responsabilité partagée prévalent encore. Dans cette ligue de coopératives appelée La Alianza, Las Lajitas, Moncar, 8 de Marzo, l’Association Monte Carmelo, Palo Verde, toutes contribuent à la Central de Cooperativas del estado Lara (Cecosesola).

Aujourd’hui, la puissante organisation des mouvements paysans est présente dans toute l’entité. Les foires de consommation familiale qui font partie de la coopérative Cecosesola sont une idée qui a vu le jour dans les années 80, dans les villages de Sanare, lorsqu’ils étaient sous la coupe du libre marché et que, bien souvent, toute la production était emportée par les intermédiaires. C’est alors qu’ils ont commencé leur première expérience de vente directe d’aliments, et ce fut une bénédiction pour les habitant.e.s de Barquisimeto. A partir de là, les autres foires sont nées. Il existe désormais trois grands marchés alimentaires, qui constituent une oasis pour des milliers de familles de l’état de Lara. Ces dernières années, à Palo Verde, les femmes ont pris l’initiative de créer des épiceries communautaires où sont distribués des aliments sains, savoureux et souverains à des prix solidaires.

Cette enquête locale sur la communalité et l’agroécologie cultivées dans les territoires du Venezuela nous éclairent sur d’autres activités organisationnelles, formatives et productives, afin de prendre de grandes décisions.

Nerliny Carucí (journaliste scientifique, et professeure universitaire) et Guillermo Barreto (biologue, zoologue, journaliste scientifique et ex-ministre de écosocialisme du gouvernement bolivarien)

Source : http://ciudadccs.info/2021/05/14/date-con-la-ciencia-sinfonias-agroecologicas-campesinas/

Traduction : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/05/19/au-venezuela-symphonies-agroecologiques-paysannes/

La vision stratégique de la grande mission AgroVenezuela

Par Clara Sanchez

Des chercheurs, universitaires et familles andines travaillent sur des stratégies pour réorienter les choix alimentaires vers la production paysanne. Photo : Ministère du Pouvoir Populaire pour la Science et la Technologie 

“…Sur la question agricole, qui revêt un grand intérêt national, nous menons une dure bataille depuis le tout début de la Révolution”  

Hugo Chavez, lors de la présentation du Rapport et Compte-Rendu à l’Assemblée Nationale 

La Grande Mission Agro Venezuela a vu le jour le 25 janvier 2011 à l’initiative du Président Hugo Chavez et a été lancée depuis l’Unité de Propriété Sociale Agricole “La Productora, dans la Municipalité d’OSPINO, Etat Portuguesa dans le but d’assurer la sécurité et la souveraineté alimentaire du pays. 

Une mission hautement mobilisatrice 

Depuis sa création, cette Grande Mission est devenue une organisation hautement mobilisatrice, prenant une “nouvelle impulsion, un nouvel élan, les 3 R de la Révolution Bolivarienne » (1) ; elle a commencé par “l’enregistrement de tous et toutes les Vénézuélien(ne)s ayant la possibilité de produire des aliments et affiche, entre autres, “347 points tricolores” sur tout le territoire national.  

A son premier anniversaire, la Mission comptait déjà avec 682.125 inscriptions (2) (586 789 agriculteurs vénézuéliens inscrits lors de la première phase –mai, juin, juillet, août 2011- et 95 336 lors de la deuxième phase –septembre, octobre, novembre et décembre 2011- dont 4028 sont devenus délégués et parmi ces derniers, 1 007 ont été élus dans 1 030 assemblées qui s’étaient déjà tenues quand le Président a annoncé le démarrage de la deuxième année de la Grande Mission Agro Venezuela au début de 2012 (3) ; il a déclaré :  “nous nous engageons à accroître la production agricole, l’élevage, la production agropastorale (…), piliers de notre nouveau modèle de développement, l’économie productive, l’économie sociale”, afin “ de faire un grand saut qualitatif et quantitatif dans la production agricole” (4) ; pour cela, il a créé l’Organe Supérieur qui devait permettre une meilleure coordination entre toutes les entités étatiques pour sa conceptualisation, ses objectifs et ses tâches. 

Des résultats modestes 

Auparavant, le 13 janvier 2012, dans son Rapport et Compte-Rendu présenté à l’Assemblée Nationale, le Président Hugo Chavez a déclaré : “Sur la question agricole, qui revêt un grand intérêt national, nous menons une dure bataille depuis le tout début de la Révolution, (…) cet effort et ces modestes résultats, nous devons les utiliser comme base pour exiger un engagement national et pour cela, nous prenons plus d’initiatives chaque jour, nous travaillons plus efficacement pour continuer à augmenter a production nationale”. (5)

Au sujet des modestes résultats obtenus, il a annoncé que sur 47 produits agricoles, 39 avaient vu s’accroître leur superficie de culture et leur production par rapport à 2010 : la production de riz a augmenté de 6%, celle des haricots de 17%, celle du coton de 21,9%, celle du café de 2%, celle du cacao de 9%, celle du tournesol de 23%, celle du lait de 7%, celle du poulet de 8%, celle du porc de 26%, celle des œufs de 26% et celle de viande bovine de 6%, ces chiffres prouvant les progrès réalisés ;  dans la production de maïs, une diminution de 17% a été constatée bien que la superficie ensemencée ait augmenté de 397ù en raison de pluies abondantes qui ont gravement affecté les récoltes. 

Parmi d’autres résultats, on peut noter la création du programme d’agriculture urbaine, dont le nom initial, Agro Ciudad, a ensuite cédé la place à l’actuel “Pouvoir Populaire pour l’Agriculture Urbaine”. 

Une mission hautement stratégique 

Depuis notre espace, Nourriture et Pouvoir”nous avons donc mis l’accent sur le fait qu’au Venezuela le système agroalimentaire doit être considéré comme hautement stratégique et nous saluons la proposition de constitutionnalisation de la Grande Mission Agro Venezuela ; mais que signifie concrètement “hautement stratégique” ? 

En 2012, le Président Chavez a fait la lumière sur ce qu’il avait compris lui, en tant que chef d’état : “ c’est une secteur-clé pour la souveraineté alimentaire, pour l’Indépendance nationale”. (6)

La stratégie déployée consiste à garantir les besoins vitaux de la nation, ce qui, pour le Venezuela, signifie “atteindre la souveraineté alimentaire pour assurer le droit sacré du peuple à l’alimentation” (7) tel que décrit dans le Plan de la Patrie 2019-2025, dont le premier Grand Objectif Historique est l’Indépendance nationale.

En 2011, le Président Hugo Chavez lance la Grande Mission Agro Venezuela. Photo d’archive 

C’est donc pour sa propre sauvegarde que le pays s’engage dans ces actions, en essayant d’annuler ou de réduire les conséquences négatives découlant de desseins hostiles (la chute du prix du pétrole ou de sa production, mais surtout du blocus et des mesures coercitives unilatérales imposées par les Etats-Unis et ses alliés), en prenant les initiatives nécessaires pour canaliser le développement et la construction du pouvoir national, qui pour la Révolution Bolivarienne doit être un modèle alternatif de développement socialiste garantissant le “bien vivre” à sa population. 

Ceci en tenant compte du fait qu’à partir de 2014, lorsque le conflit ouvert avec les Etats-Unis a été dévoilé, conflit qui augmente ou baisse d’intensité à différents niveaux depuis qu’il a été déclenché, il a fallu introduire des mesures énergiques et durables dans le système agroalimentaire national, c’est-à-dire exploiter tout son potentiel en temps de paix –en admettant que cette situation de siège, de guerre non conventionnelle puisse s’appeler paix-, afin de préciser une politique nationale permettant d’anticiper ou d’affronter les périodes de crise, voire de guerre, qui avant ce jour n’étaient pas considérée par la société comme quelque chose qui pouvait vraiment arriver au Venezuela. 

Je veux parler du blocus contre la nation et de la menace constante d’intervention militaire de la part de la première puissance mondiale, dans lequel la nourriture devient un enjeu national vital car la survie même de la nation dépend de sa garantie ; la population étant le facteur de puissance d’une nation le plus important à protéger. 

Par conséquent, le Plan de la Patrie fait partie d’une planification générale et la Grande Mission Agro Venezuela est l’instrument de mise en œuvre qui permettra d’atteindre l’objectif 1.4 de ce Plan. 

C’est en partant de là que toutes les forces doivent se coordonner pour une politique de défense permettant de résoudre un problème d’importance stratégique : la vulnérabilité de la Révolution Bolivarienne devant la nécessité de nourrir de manière autonome ou au moins en quantité suffisante la population ; bien que de gros efforts aient été faits dans ce sens de 2000 à 2014 et malgré le fait que certains secteurs nient que les meilleurs résultats de la hausse des indicateurs nutritionnels de la population et de de la production nationale à des niveaux historiques aient été obtenus au cours de cette période, la réalité concrète est que cette hausse s’est produite dans un contexte totalement différent de celui d’aujourd’hui, avec un effondrement évident au cours de l’année 2014 qui, je le répète, était dû à la chute brutale du prix du pétrole, fait don certains analystes ne tiennent pas compte. 

Objectif : protéger la population 

Au sujet de l’annonce faite par le Président Nicolas Maduro sur la relance de la Grande Mission Agro Venezuela (8) avec la mise en œuvre d’un processus contribuant à l’élaboration collective de son redémarrage, nous considérons, depuis notre espace, que la participation de l’ensemble du système agroalimentaire est indispensable. 

Pour le dire plus clairement, “tous les facteurs ou éléments tangibles et intangibles qui impliquent le peuple et le gouvernement, ainsi que le public et le privé” (9) ; ou, pour paraphraser Chavez, “le communal ou le direct, l’Etat ou l’indirect, ou le mixte Etat-Privé, mais aussi l’Etat-Pouvoir Communal doivent œuvrer en vue de la formation d’un pouvoir national dont le but ultime n’est pas juste de renforcer la production alimentaire nationale, mais de préserver le facteur population, en particulier celui qui est touché au quotidien par la pénurie alimentaire en plein milieu du blocus et de la pandémie COVID-19. 

Car le blocus et les mesures unilatérales ont non seulement rendu difficile l’obtention de la quantité d’engrais nécessaire pour les semailles, mais sont aussi utilisés comme instrument de spoliation des Monomères Colombo-Vénézuéliens ou de diminution de la production de Pequiven (10) , au grand préjudice de la population vénézuélienne que l’on veut faire mourir de faim, même si cela entraîne des souffrances plus grandes encore pendant des mois et des années, tous ces moyens étant utilisés par les Etats-Unis pour parvenir au changement de régime qu’ils veulent obtenir. 

A l’heure actuelle, l’insuffisance alimentaire atteint 31,4% de la population du Venezuela (11), son augmentation étant proportionnelle au nombre de mesures coercitives unilatérales ou des actions menées par les Etats-Unis et leurs alliés, dont le blocus imposé à la nation, contre ses actifs, ses biens, ses ressources, ses habitants, ce afin d’atteindre leur objectif, la nourriture leur servant d’arme de guerre. 

C’est pour cette raison que certains ont affirmé qu’il était inutile d’augmenter la production nationale dans une perspective purement économique si l’objectif transversal n’est pas de nourrir en priorité l’ensemble de la population vénézuélienne, ce qui équivaudrait à réduire sa vulnérabilité et à obtenir une plus grande liberté d’action en parallèle du développement des forces de production susceptibles de réduire les attaques constantes contre la nation depuis l’étranger. 

Le Président Nicolas Maduro a relancé la Grande Mission Agro Venezuela dans le contexte du blocus américain contre le Venezuela. Photo : archives 

D’une part, on veut “faire mourir la population de faim” ce qui déclencherait une flambée de violence contre le gouvernement national, d’autre part on accuse constamment la révolution bolivarienne au niveau international comme seule responsable de l’augmentation de la pénurie d’aliments tout en empêchant l’accès du pays au commerce mondial pour acquérir des denrées alimentaires, des intrants ou des matières premières au moyen du blocus et d’autres mesures. 

Prenons l’exemple de l’Argentine qui “produit de la nourriture pour 400 millions de personne” d’où son surnom de “grenier du monde” ou plus récemment de “supermarché du monde” alors que sa population souffre de restrictions à l‘accès à cette nourriture en raison du manque de ressources économiques qui a augmenté de manière exponentielle ces dernières années, touchant actuellement 35,8% de la population ou –ce qui revient au même- environ 15,8 millions de personnes souffrant d’insécurité alimentaire modérée à sévère, 11 millions de personnes mangeant, en ces temps de pandémie, dans des cantines ou des soupes populaires ; 3,5 millions d’entre elles sont des enfants (12) ; pourtant ce pays ne connait ni sanctions, ni blocus, ni siège. Mais juste un système agroalimentaire principalement contrôlé par de grandes transnationales de l’alimentation et de l’agro-industrie pour lesquelles la nourriture n’est qu’une marchandise à laquelle seuls ceux qui peuvent la payer ont accès ; système qui ne peut ni ne doit tolérer la viabilité d’un nouveau modèle de production comme celui du Socialisme Bolivarien. 

Par conséquent, tous les acteurs et circuits du système agroalimentaire vénézuélien doivent être inclus dans la Grande Mission Agro Venezuela à tous les niveaux d’articulation, de contrôle et de responsabilité tout en donnant de l’importance aux comportements alimentaires comme moyen d’élargir ce système à un niveau supérieur, comme l’a fait la Grande Mission Venezuela à ses débuts en 2011. 

Dernières réflexions 

En résumé, étant donné que le système alimentaire est une composante du pouvoir national, que c’est par ce biais que l’autosuffisance agroalimentaire peut être atteinte, autosuffisance qui représente pour la Révolution Bolivarienne la souveraineté alimentaire, augmenter la production signifie en accroître la disponibilité, mais aussi l’engagement des politiques nécessaires pour assurer à la population un accès opportun et permanent aux aliments ; en particulier à celle qui dans l’immédiat est le plus affectée par la pénurie alimentaire et, pour cela, il faut prendre des mesures fermes avec la Grande Mission Agro Venezuela, susceptibles de briser le statu quo d’une configuration de relation de dépendance depuis une position périphérique de subordination du système agroalimentaire vénézuélien au restant du monde, aux transnationales et d’une condition fortement oligopolisée, tout en évitant de se laisser happer par un cycle de privatisation, de dénationalisation, d’oligopolisation et de transnationalisation dans lesquels peut tomber l’exploitation des terres cultivables elle-même. 

Par conséquent, l’utilisation rationnelle des ressources naturelles (terre, eau, pétrole, gaz et biodiversité) doit être prise en compte en toute connaissance de cause du scénario actuel et de la concurrence internationale pour accaparer ces ressources dont le Venezuela est un réservoir très attrayant pour les grandes multinationales. C’est une question primordiale, en lien avec d’autre facteurs déjà considérés comme la science et la technologie, avec tous les circuits et à tous les niveaux, pas seulement dans le domaine de la génétique, mais aussi dans le domaine de l’innovation, des usines et des pièces détachées, des machines et des instruments agricoles, des modèles alimentaires nationaux ou des engrais, grâce à l’expérience et aux connaissances ancestrales et au savoir-faire populaire ; sans oublier la géographie, les caractéristiques du territoire, l’armée et, facteur essentiel, la population qui a une importance stratégique dans la géopolitique. 

Car c’est elle qui en termes de quantité comme de qualité, en plus de son caractère et du niveau de son moral, a les capacités humaines nécessaires pour continuer à se battre, à vivre et à se reproduire pour le travail, le développement de son intelligence qui lui permettront de dépasser les niveaux élevés d’enseignements requis par la science et la technologie et qui mèneront à la réalisation des objectifs de la Révolution Bolivarienne, du Socialisme Bolivarien, de l’Indépendance Nationale, de la Souveraineté Agroalimentaire, dans la cadre d’un nouveau modèle de développement alternatif. 

Clara Sanchez est chercheuse, ingénieure agronome, Master en Stratégie et Politique. Elle publie des articles de recherche et d’anayse dans le domaine de l’alimentation et tout ce qui en dérive, sur son site ”Nourriture et Pouvoir”.  

Notes :

[1] (Instituto de Altos Estudios del Pensamiento del Comandante Supero Hugo Rafael Chávez Frías, 2011) Intervención del Comandante Presidente Hugo Chávez en Consejo de Ministros. Recuperado el 04 de 09 de 2020, de http://www.todochavez.gob.ve/todochavez/277-intervencion-del-comandante-presidente-hugo-chavez-en-consejo-de-ministros

[2] 586.789 Agrovenezolanos registrados en la primera fase (mayo, junio, julio, agosto de 2011) y 95.336 en la segunda fase (septiembre, octubre, noviembre y diciembre de 2011).

[3] En febrero del año 2012. Lanzamiento de la Gran Misión AgroVenezuela 2012. Recuperado el 04 de 09 de 2020, de https://www.youtube.com/watch?v=10Xz24kqj8c

[4] (MinAgricultutaVe, 2012) Lanzamiento de la Gran Misión AgroVenezuela 2012. Recuperado el 04 de 09 de 2020, de https://www.youtube.com/watch?v=10Xz24kqj8c

[5] (andresoasis, 2012)13 Ene 2012 Hugo Chávez: mensaje anual de Memoria y Cuenta ante la AN. Recuperado el 22 de 08 de 2019, de https://www.youtube.com/watch?v=3Q7EdMV4jvo

[6] (andresoasis, 2012)13 Ene 2012 Hugo Chávez: mensaje anual de Memoria y Cuenta ante la AN. Recuperado el 22 de 08 de 2019, de https://www.youtube.com/watch?v=3Q7EdMV4jvo

[7] (Ministerio del Poder Popular para la planificaión, 2019) Plan de la Patria 2019 – 2025. El futuro es hoy. Recuperado el 10 de 08 de 2020, de http://www.mppp.gob.ve/wp-content/uploads/2019/04/Plan-Patria-2019-2025.pdf

[8] (Nicolás Maduro, 2020) Miércoles Productivo. Recuperado el 02 de 08 de 2020, de https://www.youtube.com/watch?v=4u2ASVmBbVI

[9] (Sánchez, Sistema agroalimentario venezolano, componente del poder nacional, 2016) Sistema agroalimentario venezolano, componente del poder nacional. Buenos Aires, Argentina: Instituto de Enseñanza Superior del Ejército.

[10] (Gobierno Bolivariano de Venezuela, 2020) Gran Misión AgroVenezuela. Resumen ejecutivo. Caracas.

[11] (FAO, FIDA, UNICEF, PMA y OMS, 2020)The state food security and nutrition in the world. Recuperado el 01 de 08 de 2020, de TRANSFORMING FOOD SYSTEMS FOR AFFORDABLE HEALTHY DIETS: http://www.fao.org/3/ca9692en/CA9692EN.pdf

[12] (El Economista, 2020) Arroyo aseguró que más de 11 millones de personas están recibiendo asistencia alimentaria. Recuperado el 01 de 08 de 2020, de https://eleconomista.com.ar/2020-04-arroyo-aseguro-que-mas-de-11-millones-de-personas-estan-recibiendo-asistencia-alimentaria/

Source originale: https://alimentosypoder.com/2020/09/11/lo-estrategico-de-la-gran-mision-agrovenezuela/

Traduction : Frédérique Buhl pour Venezuelainfos

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2020/10/09/la-vision-strategique-de-la-grande-mission-agrovenezuela/

L’IALA, une école d’agroécologie en résistance au Venezuela

La télévision paysanne Terra TV continue de former les étudiant(e)s de l’IALA, une école latino-américaine d’agroécologie qui comme beaucoup d’autres projets résiste aux épreuves que traverse le Venezuela aujourd’hui et en particulier au blocus très lourd de l’économie par les Etats-Unis. Voici un nouvel épisode de leur chronique audiovisuelle et un résumé des tâches récemment accomplies, rédigé par Leiber Montana :

✓ La brigade permanente de 15 membres formée par les étudiants nationaux et internationaux, et les professeurs accompagnateurs, bénéficie du soutien à mi-temps des familles paysannes vivant autour de l’école.

✓ Avancement du processus pédagogique-académique avec des études de la communauté familiale et des communautés d’origine de chaque étudiant. On a initié les processus de 18 recherches en agroécologie sur les mêmes territoires.

✓ Appui agroécologique aux projets sociaux et productifs intégrés pour l’élevage, l’ensemencement et la production de bio-intrants. Tous ces éléments sont renforcés par le potentiel des unités de production.

✓ Prise en charge et protection du territoire local. Avec la volonté de ne pas abandonner les espaces d’éducation et de production, mais plutôt de les renforcer de manière durable.

✓ La territorialité agroécologique travaille main dans la main avec les communautés du Pie de Monte Andino, pour générer des processus agroécologiques à partir de l’agriculture familiale et communautaire.

✓ Ouverture et renforcement des projets : semis communautaires, semences paysannes, élevage collectif de porcs.

Dans les moments actuels de crise structurelle, où le capitalisme intensifie son contrôle hégémonique de la biosphère planétaire dans l’extraction, la contamination et la marchandisation de la nature et continue à étendre son contrôle culturel de la population, à la fragmentation des relations humaines, de la société et de la nature, la formation de l’être humain est plus que jamais un axe transversal de toute transformation révolutionnaire.

Ces moments de difficulté doivent devenir des leviers de grandes transformations et nous avons réussi à réparer des machines endommagées, un camion, une pompe…En inventant des formes d’appui qui viennent des organisations populaires et du gouvernement bolivarien, nous devons continuer à rassembler nos forces, échanger, troquer pour donner une réponse à ces difficultés et ouvrir de nouveaux projets qui renforcent la souveraineté alimentaire et les processus d’éducation populaire.

Étude, lutte et organisation, avec l’agroécologie dans la révolution

Pour la Coordination Politico-Éducative de la Coordinadora Latinoamericana de las Organizaciones del Campo (CLOC-VIA CAMPESINA), CLOC-LVC.

Leiber Montana

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