En Occident il y a bien longtemps que la gauche n‘ose plus parler de démocratiser la propriété des médias. Les grands groupes privés imposent leur image du monde au service public et… balisent l'imaginaire de la gauche. Comme le Venezuela construit une démocratie participative et bat les records en nombre d'élections, les grands médias personnalisent le processus : «Chavez ceci», «Maduro cela», «populiste», «dictateur». Ceci est le journal d'une révolution, aux antipodes de l’AFP ou de Reuters
Porté par le Laboratoire International pour l’Habitat Populaire*, « Petare Norte » est une expérience-pilote unique au monde, menée avec une commune populaire du vaste « barrio » de Petare, à l’est de Caracas, État de Miranda. Vous pouvez suivre pas à pas chacune des étapes de ce projet participatif de transformation urbaine en vous abonnant à sa chaîne YouTube (sous-titrée en français) : https://www.youtube.com/@terratv2023
« Petare Norte » revêt une importance stratégique au niveau local et international. Son objectif est de trouver des solutions aux problèmes d’une grande agglomération populaire avec la participation directe des habitant(e)s, à toutes les étapes du processus. L’État communal comme plan de la révolution bolivarienne ouvre la la possibilité pour les organisations populaires du territoire de participer, avec voix et vote, à la prise de décision.
La stratégie du projet est l’appropriation du territoire, l’inclusion des habitant(e)s dans l’espace et le temps, le droit d’habiter qui va au-delà du simple droit à la vie et de l’accès à la ville, compris dans ses deux dimensions : le droit d’accès aux biens et aux services et le droit de participer pleinement à la planification de la ville.
Photo : Jean-François Parent, président du LIHP. Carte participative du projet « Petare Norte ». Photo TD
Texte : LIHP
Photos : Thierry Deronne / Vidéo : Jesus Reyes. Production : Terra TV 2023
* Pour plus d’informations : en France : Laboratoire International de l’habitat Populaire, LIHP, 25 rue Jean Jaurès, 93200 Saint-Denis, France / +33 1 42438090 / contact@lihp.info / www.lihp.info Au Venezuela : LIHP Agencia América Latina, Torre Este de Parque Central, Piso 19, A.P. 1010, Caracas, Venezuela / + 58 212 5732543
Tout au long de ce mois des luttes des femmes, le documentaire vénézuélien « Nostalgiques du futur » sera projeté en France, en Suisse et en Belgique (programme ci-dessous). Les projections du film sous-titré en français ou en allemand seront suivies d’un débat en présence de deux communardes du Venezuela – Ayary Rojas et Jenifer Lamus (photo).
Ce film est le fruit de deux ans d’immersion dans des territoires où les femmes s’organisent pour transformer leurs espaces de vie et occuper les espaces de décision. Collectif d’auto-constructrices sur les hauteurs de Caracas, commune rurale organisant sa souveraineté alimentaire, écoles populaires de cirque, de musique ou d’agroécologie, assemblées de quartier de la santé… un féminisme populaire invente un « pouvoir pour » qui remplace peu à peu le vieux « pouvoir sur ».
Réalisation: Thierry Deronne. Coréalisation: Victor Hugo Rivera. Production: Terra TV/EPLACITE. Venezuela 2022. Durée : 97 minutes.
« Une histoire extraordinaire ! Je crois que personne n’a la moindre idée de cette révolution chaviste qui continue à grandir au Venezuela…. Ces bâtisseuses sont le symbole d’un autre monde possible » Hilary Sandison, productrice et scénariste de documentaires.
« Une œuvre magnifique. Il faut la diffuser partout.» Natalie Benelli, présidente d’Alba Suisse.
« Le meilleur hommage à Chávez » Omar Valiño, président de la Bibliothèque Nationale de Cuba.
« Magnifique dans sa manière d’aborder les multiples dimensions du processus révolutionnaire. » Douglas Estevam, Collectif Culture de la Direction Nationale du Mouvement des Travailleurs Sans Terre du Brésil.
« Un documentaire passionnant qui dégage une énergie communicative et nous plonge au cœur d’une révolution porteuse de ses propres utopies » Maurice Lemoine, journaliste, écrivain, ex-rédacteur en chef du Monde Diplomatique
« Un film beau comme les luttes des peuples. C’est le Venezuela d’aujourd’hui, en résistance, au visage de femme. » Vladimir Sosa Sarabia, président de la Cinémathèque Nationale du Venezuela.
« Un témoignage incroyable sur le pouvoir de décision de toute une communauté Vénézuélienne à travers l’instauration de communes sur tout le territoire, sur le modèle de la commune de Paris avec en première ligne l’implication des femmes dans ce mouvement ! Le capitalisme, l’impérialisme, l’individualisme est remis en cause. Malgré l’embargo des États Unis et des pays capitalistes, ils et elles se réinventent sans cesse ! De l’agriculture, au logement, en passant par l’éducation et la culture. Une vraie claque pour nos yeux d’occidentaux sclérosés. On a perdu ce feu, cette conscience de classe et de faire ensemble pour nous toutes et nous tous, mais il n’est jamais trop tard ! Merci merci pour cet espoir » Angélique Neutens, responsable syndicale, CGT Santé 74, France.
Programme de la tournée :
En France :
Cinéma La TURBINE Cran Gevrier – ANNECY -74- Jeudi 9 mars à 20h30. Organisée par la CGT 74 dans le cadre de la journée internationale des droits des femmes soirée, film et débat en présence des communardes Ayary Rojas et Jenifer Lamus
Cinéma de TANINGES – 74 – 203 rue des Corsins,Vendredi 10 mars à 20h. Organisation Cinébus. Film et débat en présence des communardes Ayary Rojas et Jenifer Lamus
Médiathèque LOUIS ARAGON, Parvis Hubertine Auclert, 93240 STAINS, Mardi 21 mars 2023 à 18h. Dans le cadre du mois de l’égalité homme /femme, film et débat en présence des communardes Ayary Rojas et Jenifer Lamus. En partenariat avec le LIHP (Laboratoire International pour l’Habitat Populaire) et l’Ambassade du Venezuela en France.
Maison de L’AMÉRIQUE LATINE – PARIS 217 Bd Saint-Germain, 75007 Paris, Mercredi 22 mars à 19h, film et débat en présence des communardes Ayary Rojas et Jenifer Lamus. En partenariat avec le LIHP (Laboratoire International pour l’Habitat Populaire) et l’Ambassade du Venezuela en France.
FESTIVAL DE BORDEAUX, 40 ème édition du cinéma latino américain, Cinéma Jean Eustache de PESSAC, Vendredi 24 mars à 20h30, film et débat en présence de Thierry DERONNE, Ayary ROJAS et Jenifer LAMUS
Cinéma La Brèche de SAINTE-FOY-LA-GRANDE. Samedi 25 mars à 20h30, film et débat en présence de Thierry DERONNE, Ayary ROJAS et Jenifer LAMUS
FESTIVAL DE CHAMBÉRY, 29ème édition Festival du Cinéma Espagnol et Latino-Américain Forum Cinémas (Astrée) 7, boulevard du théâtre, Lundi 27 mars à 20h30, film et débat en présence des communardes Ayary Rojas et Jenifer Lamus
Film débat , ASSOCIATION ECREVIS, Meythet -ANNECY, 36 RUE DE L’AÉRODROME, Mardi 28 mars à 19H, Film et débat en présence des communardes Ayary Rojas et Jenifer Lamus
FESTIVAL GRENOBLE – association FA SOL LATINO, 11ème édition du festival OJO LOCO, Cinéma le Méliès -28 allée Henry Frenay-, Jeudi 30 mars à 19h45, en présence des communardes Ayary Rojas et Jenifer Lamus
POITIERS, campusSciences Po (programme euro–latino–américain), 4 avril, 17 h., vidéo-débat avec Thierry Deronne. Organisé par l’Union des Étudiants Communistes de Sciences Po.
En Suisse :
BERNE – Breitsch-Träff – Breitenrainplatz 27 Samedi 11 mars à 17h, Film sous-titré en allemand et débat en présence d’Ayary ROJAS et Jenifer LAMUS avec traduction allemande.
FRIBOURG au Centre culturel Passerelles 3 rue Locarno Jeudi 16 mars à 19h. Film et débat en présence d’Ayary ROJAS et Jenifer LAMUS, film sous-titré en français.
GENÈVE, Vendredi 17 mars, Chacun.e Son Paradis, – 5 rue Leschot Plainpalais 1205 Genève, à 18 h. 30, « Féminisme communal : réflexions depuis le Venezuela ». Rencontre avec Ayary ROJAS et Jenifer LAMUS, protagonistes du documentaire « Nostalgiques du futur ». Présentation par Renata Cabrales, féministe et journaliste colombienne. Organisé par le Collectif La Trenza.
BELLINZONA, Via Antonio Ciseri 5 – Samedi 18 mars à 17h. Film sous-titré en français et échange en présence de nos deux invitées Ayaray Rojas et Jenifer Lamus
En Belgique :
« Venezuela, au-delà des clichés ». Projection de « Nostalgiques du Futur », Salle L’Aurore, 162, rue du Midi, 1000 Bruxelles, jeudi 23 mars à 19 h.
Venezuela, janvier 2023. Sur les terres de la résistance héroïque des ex-esclaves emmenés par Guillermo Ribas, le Ministère des Communes et des Mouvements Sociaux – accompagné de membres du mouvement afro-vénézuélien et du Mouvement des Sans Terre du Brésil – se réunit avec la communauté organisée de Mango de Ocoita. Objectif: écouter les critiques et les propositions pour construire un plan de travail commun, entre autres sur la production du cacao comme maillon de la nouvelle économie communale. Reportage sous-titré en français (17 min.). Prod. Terra TV, République Bolivarienne du Venezuela 2023.
Photo: Joel Galindez. « De très longs processus de résistance ont laissé une graine qui s’est finalement transformée en un projet communal. Nous devons nous pencher sur notre histoire pour comprendre notre présent. »
Au sud de l’État de Yaracuy, Urachiche est une commune nichée entre les montagnes d’Aroa et les plaines qui s’ouvrent sur les llanos vénézuéliens. Elle a une longue histoire de lutte et constitue, avec la commune voisine de Bruzual, le cœur du culte dynamique de María Lionza, une déesse syncrétique qui rassemble des traditions indigènes et africaines.
Urachiche abrite également deux communes étroitement liées : Hugo Chávez et Alí Primera. Nous découvrons ici l’histoire de ces communes et leurs luttes pour le contrôle collectif de la terre.
Photos : Joel Galíndez est membre de la coopérative du Fundo San Simón et parlementaire des organisations socio-productives de la commune Hugo Chávez | Germán Prado est porte-parole de la commune Hugo Chávez | Arturo Cordero est communard, fondateur des communes, et conseiller municipal d’Urachiche | José Alvarado est membre de la Commune d’Alí Primera | Wladimir Alvarado est parlementaire de la Commune d’Alí Primera et producteur de café | Ana Morales est parlementaire de la Commune d’Alí Primera et membre de la banque communale. (Voces Urgentes)
La résistance à la colonisation espagnole et le « cumbe »
Joel Galíndez : Ce que nous voyons aujourd’hui prendre forme ici à Urachiche s’inscrit dans le courant historique. Les processus de résistance de longue date ont laissé une graine qui a fini par se transformer en un projet communautaire. Nous devons regarder notre histoire pour comprendre notre présent.
Notre lutte a commencé lorsque les peuples indigènes ont résisté à la colonisation, qui a été suivie par la création des cumbes. Les cumbes étaient des communautés égalitaires où les personnes qui avaient échappé à l’esclavage s’associaient aux peuples indigènes pour vivre librement en marge de l’empire espagnol.
Ces terres ont également vu les paysans s’unir à José Antonio Páez dans la lutte pour l’indépendance. Ce sont les pardos [que l’on peut traduire par peuple brun] qui ont mené les guerres d’indépendance, et ils peuvent revendiquer l’indépendance du Venezuela comme leur propre victoire autant que celle de Bolívar. Cette victoire a jeté les bases d’un avenir prospère, mais l’oligarchie est retournée à ses anciennes habitudes.
La guerre d’indépendance [1810-23] et la trahison du projet émancipateur qui s’ensuivit furent suivies de la guerre fédérale [milieu du XIXe siècle], lorsque le peuple fit sien le slogan d’Ezequiel Zamora « Terre et hommes libres » [tierra y hombres libres]. Quelque 300 ans de lutte et de guerre ont culminé avec la mort de Zamora et les intérêts oligarchiques semblaient s’installer pour de bon… Mais est-ce le cas ? En fait, les gens ont continué à lutter ici, dans le sud de Yaracuy. Plus tard, dans les années 1960, la guérilla a fait de ces montagnes son port d’attache.
Douglas Bravo [un des commandants de la guérilla vénézuélienne] était ici et le commandant Magoya a dirigé un front basé dans ces montagnes. Ils ont laissé leurs enseignements chez nous. Ainsi, alors que les années 1970 ont vu la défaite militaire des Forces armées de libération nationale [FALN], l’héritage de ces hommes et femmes courageux est toujours présent parmi nous.
Nous sommes les héritiers du courant historique, et les communes d’ici sont leur héritage autant qu’elles sont notre fait. Il est triste que certains remettent en question notre passé rebelle et se tournent vers un avenir mercantile, mais le courant historique est dans notre sang et l’avenir, pour nous, va de pair avec notre passé.
Germán Prado : Les traités colonialistes nous disent que les Jirajara, le peuple indigène qui vivait ici, ont été exterminés par les troupes espagnoles en trois ans. Cette histoire n’est que cela : une histoire ! En fait, les Jirajara ont résisté avec des personnes qui fuyaient l’esclavage, et après une longue guerre, les Espagnols ont dû capituler. C’est l’histoire du premier cumbe [communauté marrone].
Arturo Cordero : Les peuples indigènes qui habitaient ces territoires avant la colonisation étaient les Jirajara, mais aussi les tribus Guachire, Chirimagüe et Urachiche. Ils étaient Caribes, et la propriété de la terre était communautaire.
La colonisation de ces territoires s’est produite vers 1539, lorsqu’ils avaient été cédés aux Welser [banquiers allemands à qui la couronne espagnole avait donné le contrôle de ce que nous connaissons aujourd’hui comme le Venezuela entre 1528 et 1546]. Cependant, en 1552, il y a eu un soulèvement à Buría [Yaracuy], une région montagneuse. Ce fut le premier soulèvement contre les colons espagnols, et il a duré 75 ans.
À cette époque, les Jirajaras et les esclaves qui s’étaient enfuis ont commencé à former des cumbes dans ces terres. Après cette longue guerre, la Couronne espagnole a reconnu la « République des Zambos Nirgua » ou ce que l’on appelle aujourd’hui un « resguardo » [réserve].
Le territoire qui a été déclaré « république » était quatre fois plus grand que n’importe quelle autre réserve. Qu’est-ce que cela nous apprend ? Yaracuy a été un bastion de la résistance à l’impérialisme et une réserve d’organisation communautaire. Bien avant la Commune de Paris, nous avions des cumbes qui étaient organisées démocratiquement avec des terres communes.
Germán Prado : Nous sommes les héritiers des peuples indigènes qui ont résisté à la violence des colonialistes, et il y a des éléments dans nos communes qui ont des racines dans leur cosmovision. Je vais en souligner un qui est important pour nous : dans les communes Hugo Chávez et Alí Primera, il n’y a pas de gros bonnet ou de gros bras qui dirige, comme c’est le cas dans d’autres organisations. Ici, non seulement nous respectons les préceptes formels établis par la loi des communes, qui sont basés sur l’assemblée, mais notre ADN organisationnel se mêle à l’organisation égalitaire des Jirajaras.
Arturo Cordero : De même, contrairement aux peuples indigènes du nord de Yaracuy, ceux du sud étaient matriarcaux. On peut le voir dans les saints patrons ici, qui sont toujours des femmes et souvent liés aux mythologies précoloniales, alors que dans le nord, les saints patrons sont des hommes. Mais l’héritage matriarcal va au-delà de ces autels : le mode de vie communautaire est également lié à ces formes d’organisation anciennes et nouvelles.
Photo : paysage de la commune Hugo Chavez (Voces Urgentes)
L’indépendance, la guerre fédérale et la trahison
Arturo Cordero : La Ley de Haberes Militares [loi sur les possessions militaires] de Bolívar de 1817 a constitué une réforme agraire radicale. Elle remettait les terres prises à la Couronne et aux colons aux soldats et officiers patriotes. Toutefois, les années suivantes ont vu une recomposition des classes et la réforme a été inversée : de nombreux soldats n’avaient pas les moyens de produire sur leurs terres, de sorte que les hommes puissants de la république naissante ont pris le contrôle de la plupart des terres par différents moyens.
Cela s’est produit dans tout le pays. De plus, en 1846, avant la guerre fédérale, Fernando Espinal, un juge d’Urachiche, a statué en faveur des plus puissants, dépossédant les indigènes de leurs terres. C’est ainsi qu’ils sont devenus des serfs [« tributarios »] sur leur propre territoire.
S’ensuivit la guerre fédérale [dirigée par le général Zamora], qui nous a légué le cri de guerre « Terre libérée et hommes libres ». Quelque 150 ans plus tard, ce slogan révolutionnaire a défini une grande partie de ce que la révolution bolivarienne allait essayer de faire dans les zones rurales.
Avec beaucoup d’autres, Prudencio Vásquez et José Blandfort – tous deux originaires d’Urachiche – ont combattu avec Zamora dans les premiers jours de la guerre. En fait, il est documenté que lors d’une conversation entre Zamora et Blandfort, ce dernier a évoqué la thèse de Proudhon selon laquelle « la propriété est un vol ». Ce à quoi Zamora a répondu : « La propriété est un vol quand elle n’est pas le produit du travail ».
Les luttes populaires pour la terre et la dignité provoquèrent la colère de l’oligarchie. Les troupes de Zamora ont été vaincues, mais les braises de la révolution se sont constamment rallumées, car le peuple a poursuivi son combat.
Cent ans plus tard, le peuple a repris les armes contre l’oppresseur.
Photos : De gauche à droite : Un enfant de Maimire, commune Alí Primera ; l’église d’Urachiche ; la commune Alí Primera. (Voces Urgentes)
La guérilla
José Alvarado : Je suis un communiste et un guérillero. J’ai été élevé à Cerro Atravesado, dans les montagnes entre Lara et Yaracuy, dans une famille de paysans pauvres.
Tout a commencé quand j’étais enfant. Alors que l’armée harcelait et dépossédait les travailleurs du campo, la guérilla était respectueuse et solidaire avec les paysans. Quand ils avaient besoin de quelque chose, ils l’achetaient chez nous.
C’est pourquoi j’ai rejoint la guérilla, où j’ai appris à lire et je suis devenu un cadre politico-militaire.
Arturo Cordero : Dès que les FALN ont pris les armes, Urachiche est devenu un épicentre de la guérilla. Un groupe d’hommes armés portant le nom de Livia Gouverneur – une jeune étudiante communiste qui avait été tuée un an auparavant – est entré dans le territoire et a commencé à tisser des liens avec les paysans, qui avaient beaucoup de sympathie pour la cause. Les camarades de Livia Gouverneur faisaient partie du Front José Leonardo Chirinos, plus important.
De nombreux habitants se sont joints à cette lutte de résistance et les montagnes d’Urachiche sont devenues connues dans tout le pays comme un important bastion de guérilleros. En fait, elle est devenue une sorte d’épicentre pour les fronts de guérilleros. Dans la chaîne de montagnes la plus rude qui se trouve derrière nous, à Cerro Atravesado, il y a un endroit appelé la Place Rouge, et c’est là que les fronts de guérilleros se rencontraient.
Des gens comme Calistro Efraín Rojas, l’un des premiers combattants, viennent d’ici, tout comme son fils, notre professeur bien-aimé Felipe Rojas. Magoya, le commandant des guérilleros, a fait de cette terre son port d’attache avec sa femme, la commandante Milagros, qui était en fait originaire d’Urachiche.
Ana Morales : La persécution des guérilleros était brutale : si l’armée les attrapait, ils étaient soit torturés, soit tués. Dans ces montagnes, la sympathie envers les guérilleros était large. Après tout, les gens d’ici étaient eux aussi victimes de la répression et du despotisme de l’État. Ils partageaient la vision de la guérilla pour un monde plus juste. Ils [les guérilleros] étaient aussi des enseignants : beaucoup de gens apprenaient à lire avec eux.
Wladimir Alvarado : Certains disent que la guérilla a été vaincue, mais l’histoire n’est pas si simple. La vérité est qu’ils ont laissé de nombreux enseignements derrière eux. C’est pourquoi je dis que la révolution bolivarienne est l’héritage des luttes passées et que le communisme est un projet que les guérilleros nous ont légué. Nous devons la lutte pour la terre à Zamora, et nous devons le socialisme à la guérilla. En fait, Chávez soulignait souvent l’importance de l’insurrection des années 60 lorsqu’il réfléchissait à notre passé.
Ana Morales : Les guérilleros ont ravivé d’anciennes luttes et nous ont laissé de nombreux enseignements. En fait, Felipe Rojas était notre professeur. Il nous expliquait souvent que le vrai socialisme est une question d’égalité et de solidarité, de vie dans la dignité et de reconstruction des communautés. C’est ce que sont nos communes.
* * *
José Alvarado : Notre lutte remonte à loin. Nous étions déjà sur le terrain – luttant contre l’oligarchie oppressive – bien avant la guerre d’indépendance. En tant que communistes, nous avons souffert de persécutions, mais le plus important est que ces luttes ont laissé derrière elles une communauté organisée.
C’est pourquoi, lorsque Chávez est arrivé, nous étions prêts. Nous avions traversé des années de préparation politique, idéologique et militaire. Nous étions aussi subversifs que Chávez lui-même ! Nous n’avions jamais pensé que nous aurions une révolution par le vote, car nos principaux modèles étaient le Che et Fidel. Mais quand nous avons vu l’homme, nous avons vu le potentiel pour faire une révolution, et les habitants d’Urachiche se sont engagés dans un projet qui s’appellerait d’abord bolivarien et ensuite socialiste.
Il y a encore beaucoup à faire. Il y a beaucoup de contradictions et tout le monde n’est pas engagé dans le socialisme, mais ne vous y trompez pas : ici, dans ces montagnes, les communes et le rêve d’une société communiste sont bien vivants ! Dans les terres basses, en particulier dans les grandes villes, certains ont abandonné, mais ici, le projet est vivant et bien vivant.
Germán Prado : La nôtre est une organisation paysanne et, depuis des siècles, nous luttons pour que la terre revienne à ceux qui la travaillent. Bien sûr, lorsque Chávez est arrivé au pouvoir, la corrélation des forces a changé, mais la lutte continue. C’est pourquoi – avec les peuples indigènes qui ont résisté à l’empire espagnol, avec les paysans qui ont combattu avec Zamora, et avec les guerrilleros qui ont laissé leurs empreintes dans nos montagnes – nous continuons à lutter avec les opprimés.
Arturo Cordero : Urachiche a une longue histoire de lutte, avec au centre la lutte pour avoir la terre et la justice. C’est pourquoi, lorsque Chávez a défini la commune comme le chemin historique vers le socialisme, tout cela a pris un sens pour nous, et c’est pourquoi Urachiche a trois communes combatives : Camunare Rojo (un peu moins active aujourd’hui), Alí Primera, et Hugo Chávez.
Les communes d’Urachiche sont unies dans la lutte : nous avons tous une dette envers nos ancêtres. Nous, les habitants et les paysans, sommes les arrière-petits-enfants des indigènes et des Noirs qui ont résisté à la colonisation ; nous sommes les élèves d’Argimiro Gabaldón [un commandant de la guérilla mort en 1964] et des guérilleros ; et nous sommes les fils et les filles des producteurs de café qui, à partir de 1961, ont réussi à déloger le terrible clan Giménez. Les Giménez étaient une famille qui avait dépouillé les paysans de leurs récoltes pendant de nombreuses années. Aujourd’hui, les paysans d’Urachiche sont propriétaires des terres où ils produisent et les communes sont au centre de la vie politique d’Urachiche.
Photos : De gauche à droite : Maïs, membres de la commune Hugo Chávez, feu de cuisson à Maimire. (Voces Urgentes)
Entretien réalisé par Cira Pascual Marquina and Chris Gilbert – Venezuelanalysis
L’alliance inédite entre un mouvement social et un gouvernement révolutionnaire, scellée par le président Chávez en 2006, se renforce : le président Nicolas Maduro a demandé à son Ministère des Communes et des Mouvements Sociaux d’intensifier la coopération avec les Sans Terre du Brésil.
Le ministère dirigé par Jorge Arreaza, et le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre du Brésil (MST), représenté par son coordinateur national Joao Pedro Stédile, ont tenu le 30 novembre 2022 une vidéoconférence dans le but de renouveler et d’intensifier le programme de coopération et de travail. Un moment particulièrement propice, a rappelé Arreaza, puisque le Venezuela aborde une nouvelle étape de sa transition vers le socialisme et le Brésil entame une nouvelle étape politique avec la victoire de Lula da Silva.
En août dernier, le président Nicolás Maduro avait déjà demandé aux Sans terre de l’aider à développer un projet agro-écologique de plantation de riz. Des représentants du Mouvement ont alors effectué une visite technique au Complexe électronique de systèmes technologiques d’Alcaraván, situé dans l’État rural de Guárico, et ont étudié la possibilité d’une coopération technique. Le protocole d’accord entre ce mouvement social et le ministère des communes existe déjà et a été signé en 2014, huit ans après le premier accord signé avec le gouvernement bolivarien à la suite d’une visite-surprise du Président Chavez à une terre occupée et mise en production par les Sans Terre au Brésil.
Dans son discours, le ministre des Communes Arreaza, a défini le rapprochement comme une nouvelle étape pour générer une alliance politique, technique, technologique et sociale, une alliance intégrale entre le Venezuela et le Brésil, dans laquelle le Mouvement des Sans Terre (MST) et le ministère des communes et mouvements sociaux du Venezuela sont les principaux interlocuteurs.
Un échange de techniques et de savoirs : le Venezuela met à la disposition du MST les processus et les connaissances sur l’expérience de l’organisation du pouvoir populaire et des organisations communardes comme l’outil technologique Sistema de Integración Comunal (SINCO), plate-forme en ligne créée par le Conseil Fédéral du Gouvernement bolivarien pour maintenir une communication directe avec les Conseils Communaux, les Communes, les Mouvements Sociaux et toute organisation de base qui formule ses propres projets et demande l’appui des ressources de l’État.
« Nous avons toujours compris, en théorie et en pratique, que les changements structurels et sociaux ne sont possibles dans une société que lorsque nous parvenons à une équation qui unit un gouvernement populaire à des mouvements populaires forts et disposant d’une masse organisée. Nous suivons votre expérience vénézuélienne avec grand intérêt, car vous avez la possibilité de réunir cette équation » a déclaré Joao Pedro Stedile, de la coordination nationale du MST brésilien, au début de sa participation, au cours de laquelle il a remercié le Venezuela pour sa solidarité constante dans sa lutte politique.
Stedile a expliqué l’expérience particulière du Mouvement en matière « d’organisation, de production, de vie dans les zones rurales« , afin que le ministère des Communes puisse décider comment en faire bénéficier le Venezuela, un aspect de la coopération qu’il a divisé en plusieurs domaines : l’éducation technique, « nous avons investi beaucoup d’énergie dans le développement d’écoles supérieures d’agroécologie et de coopérativisme » ; la formation politique pour élever le niveau de culture et de conscience ; le contrôle des semences, l’agro-industrie coopérative, les machines et outils agricoles, et les bio-intrants, fondamentaux pour affronter le modèle agro-industriel.
Le coordinateur national des Sans Terre a également avancé l’idée d’établir un bureau ou une antenne à Caracas pour la coordination technologique et scientifique, ce que le ministre Arreaza a accueilli positivement, tandis qu’il a proposé de renforcer l’Institut universitaire d’agroécologie « Paulo Freire », situé à Barinas, né de la coopération avec le Mouvement des Sans Terre, dont le leader a ajouté que des écoles d’agroécologie devraient également être créées dans les organisations communardes. Lors de cette vidéoconférence organisée à Caracas le 30 novembre, les deux parties se sont engagées à maintenir la communication et à établir d’autres réunions directes afin de concrétiser et de faire le suivi de ces actions.
Photo: Messilene Gorete, coordinatrice de l’équipe des Sans Terre du Brésil au Venezuela. « Parfois, à gauche, nous avons des schémas très fermés sur le niveau de préparation et de planification nécessaire pour avancer, et cela peut devenir un obstacle. Au Venezuela, les gens savent que tout cela est nécessaire, mais la créativité – dans un pays où les gens sont très spontanés – est une grande vertu de la révolution bolivarienne. Et la commune vénézuélienne est un modèle dont notre continent a besoin.«
Le Mouvement brésilien des Travailleurs Sans Terre est une puissante organisation paysanne qui lutte pour une réforme agraire radicale et populaire. L’organisation a une longue tradition internationaliste et envoie des brigades de solidarité dans le monde entier pour accompagner les mouvements paysans. Au Venezuela, l’équipe des Sans Terre a été invitée par Hugo Chávez et travaille depuis près de 18 ans. Elle y joue un rôle important dans l’aide aux mouvements communaux et paysans de ce pays des Caraïbes. Entretien avec Messilene Gorete, qui coordonne cette équipe.
L’internationalisme a toujours été important pour le Mouvement des Sans Terre. Ici, au Venezuela, la Brigade Apolônio de Carvalho accompagne les mouvements paysans depuis près de deux décennies. Comment le Mouvement des Sans Terre conçoit-il l’internationalisme ?
L’internationalisme est dans l’ADN de notre organisation. Depuis la naissance de l’organisation, nous appuyons les luttes qui ont lieu au-delà des frontières du Brésil comme si elles étaient les nôtres. Sur le drapeau des Sans Terre, on voit un homme et une femme sur fond de carte du Brésil, mais aussi une machette paysanne qui s’étend au-delà de la frontière. Nous avons intégré l’internationalisme à notre stratégie politique de manière plus formelle, car nous comprenons que la lutte pour la réforme agraire ne peut être menée de manière isolée. Il est nécessaire de construire des liens de solidarité, d’apprendre avec les autres et de lutter ensemble.
Notre internationalisme découle d’une longue tradition en Amérique latine et dans le monde. La révolution cubaine est un exemple clé pour les Sans Terre; l’internationalisme extraordinaire du peuple cubain nous a beaucoup enseigné. Nous avons également appris des luttes de libération en Amérique Centrale, en particulier des brigades internationalistes qui ont accompagné les révolutions sandiniste et salvadorienne. Bien sûr, l’internationalisme bolivarien du processus vénézuélien a également laissé sa marque sur notre organisation. Nous comprenons l’internationalisme à la fois comme un principe et comme une pratique. En tant qu’organisation révolutionnaire, nous ne pouvons survivre que si nous construisons et apprenons avec les autres de manière solidaire.
La brigade Apolônio de Carvalho, l’équipe des Sans Terre basée au Venezuela, tire son nom d’un grand révolutionnaire brésilien : Apolônio est parti en Espagne pour lutter contre Franco avec les Brigades Internationales. Lorsque nous sommes arrivés au Venezuela, nous avons pris ce nom pour lui rendre hommage.
Photos : Le drapeau des Sans Terre du Brésil
L’un des défis auxquels le Venezuela est confronté aujourd’hui est de surmonter la logique rentière qui a transformé l’économie vénézuélienne en une économie dépendante et « portuaire ». Le Mouvement des Sans Terre, fort de sa vaste expérience, accompagne les organisations paysannes et communales dans tout le Venezuela, en promouvant une agriculture durable qui peut rompre avec la dépendance et construire la souveraineté alimentaire.
Comment travaillez-vous avec ces organisations locales ?
La Brigade Apolônio de Carvalho est présente au Venezuela depuis 2005. Hugo Chávez avait demandé que le Mouvement des Sans Terre apporte son expérience au Venezuela et accompagne les organisations paysannes dans la production alimentaire, avec pour objectif la transition vers la souveraineté alimentaire. Nous avons accompagné diverses organisations paysannes dans le pays. Nous avons fait de la production de semences une priorité afin que l’agriculture locale puisse assurer la souveraineté alimentaire du pays. Mais la production de semences ne peut être un objectif isolé. L’objectif est de changer l’ensemble du modèle de production. L’ensemble du modèle doit être radicalement modifié. Pour cela, il faut appliquer un schéma agroécologique intégral.
Dans notre travail, nous nous concentrons également sur les chaînes productives, terme utilisé par Chávez pour désigner le cycle intégral de production, de commercialisation et de consommation des aliments. C’est une chose à laquelle nous devons penser lorsque nous tentons de construire la souveraineté alimentaire. Sortir de l’économie rentière basée sur le pétrole passe par développer une nouvelle conscience. Cependant, cette conscience ne viendra que lorsque de nouvelles pratiques de production et d’organisation commenceront réellement à émerger.
Photos: En 2005, Hugo Chávez a visité le campement du MST de Lagoa do Junco, à Río Grande do Sul, au Brésil. Un accord de coopération a été signé lors de cette visite. (MST)
Avec quels types d’organisations et d’institutions le Mouvement des Sans Terre travaille-t-il au Venezuela ?
À nos débuts, nous avons travaillé avec le mouvement paysan Frente Campesino Ezequiel Zamora. Nous avons également travaillé avec des institutions gouvernementales et des organisations communales. Nous avons assumé les communes comme une priorité. Nous soutenons les organisations communales au Venezuela, mais nous apprenons aussi d’elles. Le modèle communal est quelque chose dont tout le continent a besoin ; c’est une façon de faire qui transforme vraiment le système existant, et la révolution bolivarienne en a fait une pratique. C’est très important pour les Sans Terre du Brésil.
Ce que nous avons fait avec les communes, c’est les aider comme nous le pouvons. Mais il est encore plus important d’apprendre des pratiques quotidiennes des gens lorsqu’ils se réunissent, construisent une commune sur leur territoire et développent une stratégie de production ayant pour objectif le bien commun. Dans une commune, tout cela se passe en construisant une nouvelle hégémonie. Au fur et à mesure que les conseils communaux, les entreprises de propriété sociale et le parlement communal se développent, le projet prend forme comme quelque chose de viable dans l’esprit des gens. Je pense que le plus grand enseignement de la révolution bolivarienne pour ceux qui luttent, y compris les Sans Terre, est la commune.
Le Mouvement des Sans Terre s’est engagé dans l’agriculture écologique. Comment faites-vous pour promouvoir cela ici au Venezuela ?
Il n’est possible de construire un projet souverain que si nous changeons réellement le modèle productif dans les zones rurales. Pour ce faire, une formation et une préparation techniques sont nécessaires, mais l’éducation politique est également indispensable. Pour qu’un tel changement se produise, les gens doivent comprendre que si nous luttons pour un modèle social différent, si notre horizon est le socialisme et si nous travaillons avec l’idée d’une nation souveraine, il est urgent de repenser nos modes de production. Pour résoudre ce casse-tête, l’agroécologie est un élément important. Par ailleurs, l’agriculture technologique doit devenir une politique d’État. En d’autres termes, l’agroécologie n’est pas seulement une méthode pittoresque à appliquer dans la production de conucos [parcelles traditionnelles de production familiale] ; le modèle doit être viable et permettre de nourrir l’ensemble de la société de manière durable. En ce qui concerne l’agriculture durable, notre tâche consiste à la promouvoir, à offrir un soutien technique et une éducation politique. Les Sans Terre ont également fait don de semences à l’Union Communarde pour aider à la transition vers l’agriculture durable.
Lorsque nous organisons des ateliers avec les paysans, nous enseignons les techniques de l’agriculture durable : de la production d’intrants agricoles biologiques aux méthodes non toxiques d’éradication des parasites. Il est intéressant de noter que la crise et le blocus ont fait tomber certains des obstacles au passage à l’agriculture durable. Désormais, de nombreux paysan(ne)s comprennent qu’il est possible et nécessaire de produire sans produits chimiques. Néanmoins, le passage à des pratiques écologiques dans la production à grande échelle reste un défi immense. Le but n’est pas de forcer les gens à changer leur modèle agricole, mais d’aider à créer les conditions pour qu’ils comprennent que ce changement est viable et nécessaire. Après tout, si cela ne se produit pas, les producteurs continueront à être dépendants des sociétés transnationales et le pays continuera à importer d’énormes quantités d’intrants agricoles. Il va sans dire que les pratiques agricoles traditionnelles ont des effets néfastes sur la vie des paysan(ne)s, mais aussi sur l’environnement.
Un modèle social différent exige un changement dans la façon dont la production se déroule dans les zones rurales. C’est pourquoi nous offrons des ateliers technico-politiques aux communes et aux autres organisations paysannes.
Les Sans Terre font désormais partie du paysage des mouvements populaires au Venezuela, dans une révolution qui se considère comme bolivarienne et, pour cette raison, latino-américaine. Qu’ont appris les Sans Terre de ce processus ?
Cela fait presque 18 ans que la première équipe de Sans Terre a atterri au Venezuela. Notre méthode de formation des brigades est la suivante : les compagnes et compagnons internationalistes Sans Terre restent ici pendant environ deux ans, puis nous retournons au Brésil, pour partager notre apprentissage avec d’autres membres de l’organisation. Dans l’ensemble, nous pensons que nous avons appris beaucoup plus que ce que nous avons enseigné ici.
Les membres de l’organisation qui viennent au Venezuela apprennent du processus bolivarien. Partager l’expérience des Sans Terre dans un pays en plein processus révolutionnaire constitue pour nous une école. Nous apprenons beaucoup des succès de la révolution bolivarienne, mais nous apprenons aussi des contradictions de la vie quotidienne des gens. Nous apprenons ce que nous devons et ne devons pas faire dans une société en transition vers le socialisme.
Parmi les choses les plus concrètes que nous avons apprises, il y a la façon dont le peuple vénézuélien a été l’acteur central de son processus révolutionnaire – en particulier les organisations politiques de base – et comment un processus en mouvement constant élève le niveau de conscience du peuple par la participation directe. Il ne s’agit pas d’une simple spontanéité, mais d’une participation intense, liée à une organisation territoriale et nationale. C’est une grande leçon pour nous : les gens doivent être impliqués dans les processus d’organisation dans toutes les sphères de la vie. Et oui, la commune est un espace où nous avons beaucoup appris. Dans les espaces communaux, les gens comprennent la nécessité de s’organiser pour construire une société vraiment différente.
Nous avons également appris de la créativité quotidienne des gens dans le processus bolivarien. Parfois, à gauche, nous avons des schémas très fermés sur le niveau de préparation et de planification nécessaire pour avancer, et cela peut devenir un obstacle. Au Venezuela, les gens savent que tout cela est nécessaire, mais la créativité – dans un pays où les gens sont très spontanés – est une grande vertu de la révolution bolivarienne.
Nous avons également beaucoup appris des processus électoraux. Le Mouvement des Sans Terre accompagne ces processus parce que le conflit électoral est aussi une bataille pour la défense du projet révolutionnaire. Ici, les élections ne sont pas liées à des intérêts individuels ou de groupe, mais à des intérêts collectifs. C’est très différent du Brésil, où les élections sont une sorte de marché et où la finance tend à gagner et à conserver le pouvoir. Ce qui est en jeu dans un processus électoral au Venezuela, c’est un projet politique. Ici, les élections ne sont pas un marché.
Le Venezuela nous a appris qu’une campagne n’est pas seulement un outil pour être élu, c’est aussi un moment pour se rapprocher des organisations de base et stimuler la participation du peuple. Le Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV, principal parti chaviste) est le parti le plus avancé du continent lorsqu’il s’agit de défendre une révolution dans un tourbillon électoral. Bien sûr, les élections se déroulent ici dans les paramètres de la démocratie bourgeoise, mais les campagnes aident à construire un autre type de démocratie.
Nous avons aussi appris de l’anti-impérialisme et des pratiques patriotiques de la révolution bolivarienne, qui sont très tangibles dans la vie quotidienne du peuple vénézuélien. Le Brésil n’a pas connu de lutte historique pour son indépendance, et c’est peut-être pour cela que nous avons une société très fragmentée, une société qui n’a pas la défense de la patrie comme valeur fondamentale.
D’un point de vue politique, notre société est beaucoup plus dominée. Au Venezuela, nous avons appris comment construire un sentiment patriotique – non pas au sens du nationalisme bourgeois, mais avec l’objectif d’avoir un pays véritablement indépendant à tous les niveaux : économique, politique et social.
Photo: L’école technique agricole Ernesto Guevara d’El Maizal est gérée en collaboration avec les Sans Terre. (Commune d’El Maizal)
Le Brésil a des élections présidentielles le 2 octobre 2022. La course opposera l’extrême droitier Jair Bolsonaro au progressiste Lula da Silva. Quelle est l’importance de cet événement pour le Brésil et pour le continent ?
Le Brésil traverse une grave crise sociale et économique : les conditions de vie de la population sont catastrophiques. Des dizaines de milliers de personnes vivent dans la rue, dans des conditions de misère absolue, tandis que 60 millions de personnes sont directement touchées par la crise capitaliste : le chômage et l’inflation des prix alimentaires sont endémiques et les idées fascistes continuent de progresser. Bien entendu, le gouvernement d’extrême droite de Bolsonaro n’a aucun intérêt à résoudre les nombreux problèmes sociaux de notre pays. Au contraire, ses politiques favorisent le marché et la bourgeoisie, tandis qu’il encourage les idées fascistes et promeut un discours de violence.
C’est pourquoi nous pensons que les prochaines élections présidentielles revêtent une importance stratégique pour le Brésil et pour l’Amérique latine dans son ensemble. Si Lula gagne, la carte du conflit continental changera : cela permettra à la gauche et aux projets progressistes de continuer à avancer. La confrontation avec l’impérialisme et son projet économique broyeur se fera également dans des conditions plus favorables.
Le peuple brésilien doit choisir Lula comme président. Ce ne sera pas facile, mais il y a de bonnes chances que nous réussissions. En tout cas, pour atteindre notre objectif, nous devons travailler dur ; nous luttons contre un ennemi très puissant. Il dispose d’un solide soutien de 30% d’électeurs et de nombreux pouvoirs de facto, et de tentacules de grande envergure.
Le Mouvement des Sans Terre participe à la bataille électorale en organisant des comités de base. Les débats au sein de ces comités vont de l’avenir du pays aux politiques qu’un gouvernement populaire du PT [Parti des Travailleurs] devrait promouvoir. Les élections du 2 octobre sont très importantes, mais une victoire ne serait qu’un début. Les gens devront être prêts à défendre cette victoire. La situation du pays ne sera pas résolue avec des politiques d’assistanat, mais avec des politiques qui restructurent les choses en faveur du peuple. La crise du Brésil fait partie de la crise du capitalisme. Pour aller de l’avant avec les grandes réformes dont nous avons besoin, la mobilisation sera essentielle.
Enfin, le Brésil a un rôle important à jouer en matière d’unité latino-américaine. Il est urgent de réactiver les projets qui rassemblent le continent. Chávez a promu l’intégration économique et politique avec des mécanismes tels que la CELAC [Communauté des États Latino-américains et des Caraïbes] et l’UNASUR [Union des Nations Sud-américaines]. Alors que l’impérialisme états-unien perd son hégémonie, les gouvernements progressistes du continent doivent unir leurs forces. C’est pourquoi une victoire de Lula et du Parti des Travailleurs (PT) en octobre est importante non seulement pour le Brésil mais aussi pour l’ensemble de l’Amérique latine.
Ignorée par la gauche occidentale, la stratégie fondamentale de la révolution bolivarienne repose depuis 22 ans sur le retour dans le champ politique de la majorité sociale exclue par une élite coloniale. Cet objectif d’approfondir la démocratie vise à sortir d’un jeu politique faussé par l’interférence de pouvoirs non-élus (insurrections des secteurs putschistes d’extrême droite, lobbies et monopoles de l’économie privée, concentrationcapitaliste des médias, blocus, sanctions, sabotages, incursions paramilitaires et menaces de guerre des États-Unis et de leurs satellites européens et latino-américains, etc..). Cette volonté démocratique est palpable dans les témoignages des auto-gouvernements populaires qui se créent un peu partout sur le territoire.
Photo: Alcadio Lemus est un des parlementaires de la commune de Monte Sinaí. José Luis Pinto est enseignant et cultive des haricots et des avocats sur sa petite parcelle familiale. Il est parlementaire de Monte Sinaí. Ariaska Llovera est parlementaire de la commune. Maritza Solano est productrice de café, porte-parole du conseil communal de Peñas Blancas et parlementaire de la commune de Monte Sinaí. Luis González est communard, travaille au parc Guacamayal et s’occupe de la pépinière communale. Domingo Llovera dirige avec sa famille la chocolaterie Los Lloveras et fait partie de la commune. Llubidit Llovera est parlementaire communale et s’occupe des projets éducatifs. Luis Solórzano est producteur de fromage, porte-parole du conseil communal de Las Pichiguas et parlementaire communale. (Voces Urgentes).
Histoire et production
Les communard(e)s de la Comuna Monte Sinaí ont formé une jeune organisation qui s’efforce de développer la production communale et les relations sociales non marchandes. Le territoire de cette commune s’étend sur les États d’Anzoátegui et de Miranda, mais son épicentre se trouve dans la petite ville de Santa Bárbara, dans la vallée de Guanape. On y cultive le café, le cacao, les haricots noirs, divers tubercules et l’avocat. Comme les caféiers sont vieux et peu productifs, la commune a construit une pépinière pour faire pousser les nouveaux plants de café.
Maritza Solano : Ces terres d’altitude embrassent la commune de Rio Guanape, mais celle-ci était trop grande et s’est divisée en cinq communes plus petites. La nôtre est une commune jeune qui doit faire face à de nombreux défis. Par exemple, certaines personnes doivent marcher pendant des heures pour se rendre à la réunion hebdomadaire de Santa Bárbara, car les routes sont en mauvais état et il est difficile de se procurer de l’essence. Cependant, nos terres possèdent un énorme potentiel productif.
Alcadio Lemus : Le processus de formation de notre commune a commencé il y a environ un an. Depuis, nous avons travaillé très dur. Comme on dit, notre diamant est encore brut, mais la beauté du projet émerge. Notre parlement se réunit tous les mercredis, quoi qu’il arrive. C’est là que nous apportons nos idées, que nous débattons et que nous planifions.
Ariasca Llovera : Notre « commune mère » [la commune de Rio Guanape] était très grande, et ceux d’entre nous qui vivaient à Santa Bárbara devaient marcher des heures pour se rendre aux réunions. Ce n’était pas facile pour tout le monde. Aujourd’hui, certaines personnes peuvent faire un court trajet à pied, d’autres doivent encore marcher longtemps pour assister à une réunion.
Alcadio Lemus : Chávez a promu le pouvoir populaire. Son héritage est très important pour nous, nous travaillons dur pour organiser la commune à partir de la base. Nous sommes confrontés à de nombreux défis, mais nous avons le potentiel suffisant pour construire une commune solide. Ici, les gens travaillent dur mais la nature est généreuse. La principale culture de la région est le café. Historiquement, celui que nous cultivions était la variété régionale, mais nous sommes en train de passer au C27 [une nouvelle variété de café plus productive] avec l’aide de la CVC [la Corporation d’État Vénézuélienne du Café]. Ils nous aident à faire pousser des plants pour rénover nos petites parcelles, ce qui est très important car nos caféiers sont très vieux. Le cacao est également important ici, nous cultivons aussi l’ocumo (tubercule), l’igname, le manioc, les haricots noirs, les bananes plantains et les avocats. Il y a de petits producteurs de fromage dans la commune. Enfin, nous avons deux petites Unités de Production Familiale [UPF] : une usine de traitement du manioc et une usine de chocolat.
Lenin González : Notre commune a également un grand potentiel pour l’écotourisme. Notre principal atout est le parc Guacamayal, un parc municipal de loisirs abandonné pendant un certain temps mais qui est en train d’être récupéré grâce à une initiative conjointe du gouvernement local et de la commune.
Yuvidí Llovera : Nous pensons que notre commune va réussir, mais nous avons besoin de formation politique et technique pour progresser. Nous avons besoin d’ateliers pour mieux prendre soin de la nouvelle variété de café que la Corporation Vénézuélienne du Café introduit dans la région, et nous devons en apprendre davantage sur les processus administratifs qu’implique la construction d’une commune.
Photo : Café et cacao (Voces urgentes)
Sanctions des États-Unis : impacts sociaux et solutions locales
Luis Solórzano : En 2015, Barack Obama a publié un décret qui déclarait que le Venezuela constituait une « menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité des États-Unis. » (sic). Avec les sanctions, la vie s’est détériorée très rapidement. Nous nous demandions : Qu’allons-nous faire ? Qu’allons-nous manger ? Comment allons-nous obtenir les médicaments pour notre mère ou notre tante ? Puis est venu le blocus pétrolier, qui est une politique véritablement criminelle. Pendant ces années, le CLAP [aide alimentaire mensuelle du gouvernement aux familles populaires] est devenu très important pour tout le monde, mais cet apport de nourriture n’était pas suffisant. Je connais des familles qui faisaient des repas avec de l’eau de riz et rien d’autre. Ces années ont été très dures !
José Luis Pinto : La situation est devenue très pénible vers 2018. Obtenir de l’essence était presque impossible, et nous ne pouvions plus transporter nos récoltes au marché. La santé dans la commune a commencé à se détériorer à peu près au même moment, certaines personnes sont mortes et d’autres ont quitté le pays. Ce furent des années vraiment difficiles, mais maintenant les choses vont un peu mieux.
Domingo Llovera : Pendant les années les plus difficiles du blocus, nous n’avions plus d’intrants agricoles comme l’urea, les engrais ou les pesticides.
Luis Solórzano : La production est tombée à zéro pendant un certain temps. Je vous le dis en connaissance de cause parce que je suis un enseignant, mais aussi agriculteur. Je cultive des haricots noirs, de l’igname, de l’ocumo et des avocats. Pendant ces années, je suis passé à une agriculture de subsistance. En plus, nous souffrons des impacts du changement climatique. Nous avons connu des périodes de pluies intenses suivies de longues sécheresses. Et la déforestation et l’agriculture sur brûlis assèchent de nombreuses sources d’eau. Les pauvres sont toujours les grands perdants… Mais nous avons gardé la force de nous organiser.
Maritza Solano : Depuis un certain temps, il est devenu très difficile de se procurer des pesticides et autres intrants agricoles. D’abord, il n’y en avait pas, puis les prix ont grimpé en flèche. Cela signifie que la production ici, dans les terres hautes de la Valle Guanape, est devenue essentiellement biologique. Nous avons également appris à faire du compost à partir de déchets organiques. Tout cela a des avantages – puisque nous ne sommes pas exposés aux produits agro-toxiques mais il ne faut pas romantiser. La production a chuté ces dernières années. L’agriculture biologique nécessite des connaissances, des formations et des ressources. L’État, à travers la Corporation Vénézuélienne du Café, nous a proposé des ateliers. Ils nous ont aidés à passer du café local à la variété C27, qui est meilleure, mais nous devons acquérir davantage de connaissances pour tirer le meilleur parti de nos nouveaux caféiers.
Luis Solórzano : Nous avons appris plusieurs choses pendant le blocus. Par exemple, en tant que pays, nous ne pouvons pas dépendre exclusivement de la rente pétrolière. Pour garder la tête hors de l’eau, notre seule option dans les zones rurales est de travailler collectivement. Aujourd’hui, nous faisons plus attention aux ressources : nous apprécions le soutien de la Corporation Vénézuélienne du Café, nous prenons soin de nos quelques outils et nous bénissons la commune – car s’y trouve la solution. Cependant, construire une commune dans un pays en état de siège n’est pas facile. Notre principal défi est qu’il s’agit d’une commune rurale sur un territoire très étendu. Une grande partie de la population est concentrée à Santa Bárbara, mais il y a des gens qui doivent marcher deux ou même trois heures pour se rendre à une réunion.
Photo : pépinière communale de café en haut ; pépinière de Maritza Solano en bas. (Voces Urgentes)
Pépinières de café
Lenin González : L’année dernière, nous avons obtenu le soutien de la Corporation Vénézuélienne du Café pour renouveler nos plants à Valle Guanape. Notre objectif est maintenant d’augmenter notre production, qui est très faible actuellement. Ici, dans le parc Guacamayal, nous avons une pépinière et nous avons récemment planté 32 kilos de graines de café C27. Elles sont en train de germer en ce moment.
Yosmel Díaz : Nous avons cinquante mille plantules dans la pépinière, mais notre objectif est de produire un million de plantes en 2022 pour remplir les collines de la commune. Cependant, nous ne voulons pas seulement faire pousser des plants de café ici ; nous voulons aussi faire pousser des plants de cacao.
Unités de production familiales
Lenin González : Nous avons deux UPF ici dans la commune : une usine de chocolat et une usine de gaufres de casabe. Toutes deux ont un grand potentiel. Les UPF font partie du système économique communal de Chávez. Elles intègrent le travail des familles qui possèdent leurs propres parcelles ou des moyens de production dans le projet communal.
William Flores : Nous plantons le manioc amer dans notre conuco [lopin traditionnel de culture intensive] et, dix mois plus tard, nous récoltons. Chaque jour, très tôt, nous transportons la récolte à l’usine de manioc amer, à dos d’âne. D’abord, nous pelons le manioc, puis nous le lavons et en extrayons le poison, nous le traitons [c’est le seul procédé mécanique] et nous le mettons à sécher au soleil. Pendant ce temps, ma femme ramasse du bois pour allumer le feu et préparer les galettes de manioc sur le budare [feuille de métal placée sur un feu ouvert]. Toute ma famille travaille à l’UPF : mon père, mon oncle et ma femme. Des enfants nous aident aussi à charger le manioc, à l’éplucher et à apporter de l’eau à l’usine. Nous nous levons tous à 3 heures du matin et nous travaillons jusqu’au coucher du soleil. C’est un travail difficile.
Domingo Llovera : Nous cultivons un bon cacao ici, il est évident que nous devrions produire du chocolat. En l’état actuel des choses, nous produisons des barres de chocolat et du cacao en poudre à petite échelle, mais nous espérons augmenter notre production. Il est important de dépasser la logique d’exporter nos matières premières et de générer des revenus pour la communauté avec des usines de transformation. Même une petite usine de chocolat fait la différence. Imaginez ce que ce serait si nous avions plusieurs usines ! C’est l’un de nos objectifs.
Troc communal
José Luis Pinto : Dans la montagne, entre producteurs, il y a une longue tradition de troc. Cette tradition a été ravivée pendant la crise : si j’ai du fromage et que j’ai besoin de manioc ou de café, je vais faire du troc avec mon voisin. Cela présente un avantage évident : nous échangeons en dehors des lois du marché. Nous pensons qu’en tant que commune, nous devons promouvoir le troc, notamment avec d’autres communes.
José Luis Pinto : Quand les choses sont devenues vraiment difficiles ici, notre production est tombée à presque rien : les gens produisaient juste pour leur subsistance et pour un troc à petite échelle. Cela nous a aussi obligés à diversifier notre production : maintenant nous produisons des bananes plantains et nous cultivons la canne à sucre pour faire du guarapo [jus de canne à sucre] avec lequel nous sucrons notre café. Les choses s’améliorent un peu, mais une partie importante de notre économie reste basée sur le troc. De temps en temps, nous apportons encore un sac de café en ville et l’échangeons contre un outil.
Photo : le parlement communal de Monte Sinaí se réunit tous les mercredis. (Voces Urgentes)
Alcadio Lemus : Nous avons un long chemin à parcourir parce que nous sommes une jeune commune – et une commune née dans le feu de la crise en plus ! Il y a beaucoup de facteurs défavorables. Néanmoins, nous gardons le projet de Chávez en tête et nous comprenons que la construction d’une commune est un effort collectif : il s’agit de défendre les biens communs. Telle nous le comprenons, une commune, c’est le peuple qui s’organise pour produire et satisfaire les besoins collectifs.
Luis Solórzano : Chávez a parlé de la nécessité de construire une nation souveraine. Quand il parlait de souveraineté, il ne faisait pas seulement référence à la souveraineté territoriale et politique. Il parlait aussi de la souveraineté alimentaire. Malheureusement, nous n’avons pas compris l’importance de sa conception : si nous avions intériorisé sa pensée, nous ne serions pas dans cette situation aujourd’hui, les choses auraient été différentes et moins douloureuses lorsque l’impérialisme états-unien allié à l’oligarchie locale ont conspiré pour renverser le gouvernement du président Maduro. Bien sûr, nous ne devons pas oublier que le gouvernement de Chávez était déjà assiégé en permanence : rappelez-vous le coup d’État, le sabotage du pétrole et les incursions paramilitaires. La crise nous a frappés durement, elle a également endommagé l’organisation de base : nous luttions tous pour survivre. Aujourd’hui, les choses reprennent, et nous avons bon espoir de faire en sorte que notre commune s’enracine et se développe.
Entretien réalisé par Cira Pascual Marquina et Chris Gilbert pour Venezuelanalysis
Les communard(e)s de Cinco Fortalezas devant un champ de canne à sucre. (Voces Urgentes)
« Las Cinco Fortalezas de la Revolución Bolivariana » – « les cinq forces de la révolution bolivarienne« , tel est le nom complet d’une merveilleuse organisation communarde de l’est du Venezuela, dans le chef-lieu de Cumanacoa, où l’on cultive la canne à sucre. Dirigée principalement par des femmes, cette commune a connu une histoire de lutte intense. Elle s’est consolidée vers 2016, lorsqu’un groupe de travailleurs journaliers de la région a occupé les terres du propriétaire initial. Six ans plus tard, les communard(e)s se sont retrouvé(e)s pour une deuxième bataille, après qu’un homme d’affaires a escroqué les producteurs locaux en s’emparant de leurs récoltes sans paiement.
La récente escroquerie – ainsi que la crise et les sanctions occidentales – sont des obstacles importants sur la route, mais les communard(e)s de « Cinco Fortalezas » sont prêt(e)s à travailler dur et à se battre. Avec 57 hectares collectivisés consacrés à la culture de la canne à sucre et un engagement puissant en faveur de la communalisation de la vie, « Cinco Fortalezas » est appelé à devenir concrètement une sorte de vivier pour le socialisme. Dans la première partie de cet entretien, nous découvrons l’histoire récente de la commune et ses différentes entreprises de production communale. Dans la deuxième partie, les communards nous parleront de l’impact de la crise et du blocus sur leur vie, ainsi que des moyens créatifs qu’ils utilisent pour surmonter ces obstacles.
Yusmeli Domínguez est secrétaire du parlement communal et fait partie du conseil de planification du Bloc Productif la Esperanza. Oswaldo Noguera est porte-parole de la commune. Vanessa Pérez est parlementaire communale et fait partie de la direction nationale de l’Union Communarde. Wilfredo Enrique est membre du comité de planification de la commune de Cinco Fortalezas et dirige, avec sa compagne María Romero, le laboratoire Réseau Tilapia. José Luis Gamboa est un parlementaire communal. Carlos Andrade fait partie de la directive de l’association des producteurs de canne à sucre de la commune de Montes (Cumanacoa) et est porte-parole de la commune de Río San Juan. (Voces Urgentes)
Histoire récente
Cinco Fortalezas a beau être une commune relativement jeune, la rébellion des habitants de cette région s’ancre dans l’histoire longue. La commune se trouve dans une belle vallée longtemps habitée par les peuples Kari’ña et Chaima, qui ont farouchement résisté aux incursions espagnoles dans la zone depuis le début du XVIIe siècle. Des siècles plus tard, la zone constituera une importante base d’arrière-garde pour les guérilleros vénézuéliens inspirés par la révolution cubaine.
Vanessa Pérez : Nous avons fait les premiers pas dans la construction d’une commune il y a six ou sept ans. À cette époque, nous luttions également pour récupérer les terres de l’Hacienda Rosario, qui est finalement devenue l’épicentre de notre commune.
Oswaldo Noguera : La terre qui est maintenant le siège de la commune appartenait autrefois à Asunción Rodríguez. A l’époque, elle s’appelait l’Hacienda Rosario. Rodríguez contrôlait les bonnes terres, tandis que les campesinos ne pouvaient cultiver que sur les terres d’altitude, où ils n’avaient pas accès à l’eau et étaient éloignés des routes.
Yusmeli Domínguez : Je suis née ici. Quand j’étais enfant, mes parents n’avaient pas de terre et ils travaillaient pour le terrateniente [propriétaire terrien]. Nous le voyions devenir de plus en plus riche, alors que nous n’avions rien. Ils lui ont donné leur vie, et lui ne leur a rien donné en retour.
Quand la réforme agraire de Chávez a commencé, nous avons commencé à nous organiser pour que ceux qui travaillaient la terre ne restent pas sans terre. Vers 2007, l’INTI [l’institut National des Terres du Venezuela] a commencé à inspecter ces terres dans l’idée de les récupérer. À cette époque, la production avait chuté.
En 2011, un groupe de dix paysans s’est installé sur certaines des terres abandonnées. L' »entreprise » [une sucrerie industrielle appartenant à l’État] s’est opposée à eux et a détruit leurs cultures. Cela a suscité beaucoup d’indignation. Après tout, il s’agissait de pauvres gens qui n’avaient d’autre objectif que de produire.
Puis, en 2016, la sucrerie a tenté de s’approprier 80 hectares de terres pour y faire pousser de la canne à sucre, mais ils ont été bloqués par la résistance des paysans. Quelques mois plus tard, nous avons commencé à travailler sur la terre collectivement. À peu près au même moment, l’INTI est venu nous voir et nous a dit que les terres seraient réparties entre le chef-lieu, l’État et le peuple. C’était très injuste et nous l’avons fait savoir. Qu’en est-il des 500 familles qui ont travaillé et lutté pour ces terres pendant des décennies, voire des siècles ?
À peu près à la même époque, nous sommes allés parler au propriétaire foncier. Nous lui avons dit que nous nous organisions et que nous allions reprendre la terre… et c’est ce que nous avons fait.
L’INTI n’a pas immédiatement reconnu notre utilisation de la terre comme légitime. En fait, il y a eu beaucoup de frictions et de conflits. L’INTI a même essayé de mobiliser la population de Cumanacoa contre la commune.
Quoi qu’il en soit, nous avons continué à nous organiser et à travailler. Après tout, nous étions motivés par l’idée que la terre appartient à ceux qui la travaillent. Ce que nous faisions était un pas vers la justice historique et c’était inspiré par Chávez lui-même.
Enfin, en 2018, nous nous sommes rendus à Caracas et avons exigé que le titre d’occupation productive [carta agraria] soit accordé à la commune par l’Etat… Nous avons réussi !
Les communards de Cinco Fortalezas se tiennent devant le moulin à sucre communal, bientôt au travail. (Voces Urgentes)
Cinco Fortalezas a la chance de posséder des terres fertiles et une source naturelle qui irrigue les plus de 60 hectares communaux qu’elle cultive. Cependant, la commune manque de machines agricoles pour la récolte de la canne à sucre. La récolte se fait encore à l’aide de machettes et est ensuite portée sur les épaules des communards. C’est pourquoi la mécanisation est l’un des principaux objectifs de la commune.
Vanessa Pérez : Nous avons deux Entreprises de Propriété Sociale [EPS] enregistrées appartenant à la commune : le projet de canne à sucre et l’élevage de tilapia. Nous aurons bientôt une usine de transformation de la canne à sucre [une nouvelle EPS], et nous envisageons de former une autre EPS pour prendre en charge la commercialisation et la distribution.
Le projet de canne à sucre, qui s’appelle « Bloc Productif La Esperanza« , est chargé de l’ensemble du processus, de la plantation à la récolte. Le moulin à sucre de l’Entreprise de Propriété Sociale transformera la canne à sucre en plaques de sucre brun, en sucre cristallin et en jus de canne à sucre. Nous évoluons vers l’autonomie de notre production : nous voulons aller au-delà de la production de matières premières et passer à la maîtrise du cycle complet de production et de distribution.
La commune compte également deux Unités de Production Familiale, une UPF de tilapias et une UPF de fabrication de briques.
Oswaldo Noguera : En plus de la culture du sucre, nous cultivons également des cultures à cycle court comme le maïs, la citrouille, les haricots noirs, la yuca (manioc) et d’autres légumes sur nos terres communales. Nous avons six hectares consacrés à ces cultures à cycle court.
ENTREPRISE COMMUNALE DE CANNE À SUCRE ET LUTTE POUR LA JUSTICE
La Centrale Sucrière de Cumanacoa est une entreprise publique de raffinage de sucre. En 2020, un contrat a été signé avec un entrepreneur, Juan Ramírez, pour que ce soit TecnoAgro, l’entreprise privée de Ramírez, qui gère la sucrerie.
Vanessa Pérez : La principale entreprise de la commune est le Bloc Productif La Esperanza. Il s’agit d’une production collective de 1700 tonnes de canne à sucre par an sur 57 hectares.
La Esperanza, c’est un peu notre « Compagnie publique pétrolière ». Pourquoi ? Parce que l’excédent produit par la canne à sucre nous permet de réaliser des travaux sur tout le territoire, qu’il s’agisse de réparer l’école ou les routes, d’assurer l’éclairage public, d’obtenir des médicaments pour ceux qui en ont besoin, etc.
Mais cette dernière année, l’Entreprise de Propriété Sociale – et la commune dans son ensemble – a connu des difficultés à cause d’une escroquerie réalisée à la centrale sucrière [sucrerie industrielle].
Carlos Andrade : En 2021, Juan Ramírez a escroqué tous les producteurs de canne à sucre de la région : il a « acheté » nos récoltes mais ne les a jamais payées. La dette envers les producteurs est d’environ 300.000 dollars.
Yusmeli Domínguez : Le Sucre central appartient à CorpoSucre [entité gouvernementale régionale], mais il est maintenant entre les mains de TecnoAgro, l’entreprise de Juan Ramírez. En 2020, un accord a été conclu pour l’achat de la récolte de canne à sucre dans la zone. Nous avons fait notre part, en cédant la totalité de notre récolte en 2021. Sa dette impayée avec cette seule commune est de 14 000 dollars.
Cela a beaucoup nui à notre production et à nos vies, mais M. Ramírez a des dettes envers tout le monde, y compris les autres communes de la région et de nombreux producteurs familiaux. La situation a été dévastatrice pour de nombreuses personnes dans la région de Cumanacoa.
En outre, M. Ramírez ne paie pas les 80 travailleurs de l’usine : il n’a pas versé leurs salaires depuis cinq mois !
Bien sûr, nous ne sommes pas restés sans rien faire. Nous nous sommes rendus au siège du gouvernement de l’État de Sucre et à l’Assemblée nationale pour faire entendre notre voix. Nous avons également introduit une réclamation auprès du bureau du procureur général. Malheureusement, nous n’avons pas eu de nouvelles.
Plus récemment, nous avons eu une réunion avec Gilberto Pinto, le gouverneur de Sucre, ainsi qu’avec Juan Ramírez. La plupart des producteurs ont assisté à la réunion et nous avons conclu un nouvel accord. Cependant, nous attendons toujours que M. Ramírez remplisse les conditions.
Carlos Andrade : Les conséquences de l’escroquerie ont été dévastatrices et ont eu un effet d’entraînement. Certaines personnes sont mortes parce qu’elles n’ont pas pu obtenir leurs médicaments et d’autres sont parties. Entre-temps, deux mille tonnes de canne à sucre n’ont pas été récoltées cette année. Nous avions toujours vendu notre récolte à la centrale de Sucre, mais maintenant ce n’est plus possible. C’est pourquoi nous retardons la récolte.
Yusmeli Domínguez : M. Ramírez est un criminel… et pourtant, cette année, l’État a prolongé son contrat pour diriger la sucrerie ! Pourquoi ? Malheureusement, comme Chávez nous le rappellerait, l’État bourgeois bureaucratique n’est pas encore mort, et qu’il est encore du côté des intérêts privés plutôt que des intérêts collectifs.
Une de nos propositions est que la Centrale Sucrière soit transféré à la commune. Après tout, c’est nous qui produisons la canne à sucre, nous connaissons le processus, et certains d’entre nous ont travaillé à la centrale. Il y a ici des gens formés techniquement pour reprendre l’administration de l’usine.
Puisque le capital privé a prouvé son inefficacité et sa brutalité, il est temps d’ouvrir la porte au pouvoir populaire. Cela devient d’autant plus urgent maintenant, car ils adaptent l’usine pour pouvoir raffiner du sucre de base apporté d’Argentine ! Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’expliquer à quel point c’est absurde. Après tout, la centrale a été nationalisée en 2005 par l’État vénézuélien pour traiter la canne à sucre vénézuélienne dans un territoire producteur de canne à sucre !
L’ALTERNATIVE : UNE SUCRERIE COMMUNALE
Jose Luis Gamboa : Lorsque M. Ramírez nous a escroqués, il est devenu d’autant plus clair que nous devions travailler pour avoir le contrôle total du cycle de production du sucre. Nous avons donc décidé de réactiver un trapiche [un petit moulin à sucre artisanal] qui avait été abandonné. C’est un très vieux moulin, mais il peut traiter 30 tonnes de canne à sucre par jour.
Nous avons évalué l’état du « trapiche », et pour le remettre en marche, nous avons besoin d’un investissement de deux à trois mille dollars américains. Dès que M. Ramírez aura payé ce qu’il nous doit, nous mettrons le moulin en service. En attendant, nous recherchons également un soutien institutionnel. Nous sommes déterminés à activer le moulin d’une manière ou d’une autre.
Vanessa Pérez : Nous voulons pouvoir traiter la canne à sucre produite par la commune et par d’autres producteurs de Cumanacoa. Le nôtre ne serait pas la seule « trapiche » de la région, mais les autres moulins des environs sont nettement plus petits. De plus, nous avons l’avantage de notre situation géographique, puisque la commune se trouve dans les plaines et qu’il est facile de s’y rendre.
Nous prévoyons de travailler avec les producteurs locaux pour transformer leur canne à sucre en papelón [blocs de sucre brun], en sucre cristallin et en jus de canne à sucre. Nous ferons de même avec notre propre production, et nous espérons faire du troc avec d’autres communes. Le potentiel est énorme : il y a 13 communes dans le canton [neuf sont déjà légalement enregistrées], et elles produisent toutes de la canne à sucre.
La nôtre ne sera pas une entreprise capitaliste : le coût de la transformation de la canne à sucre sera inférieur à celui du marché et les revenus seront investis dans des initiatives sociales et productives.
Étang de pisciculture de la commune de Cinco Fortalezas. (Voces Urgentes)
LA PRODUCTION À PETITE ÉCHELLE
Vanessa Pérez : Il existe d’autres initiatives productives plus petites dans la commune. Il y a une petite usine de fabrication de briques, qui est active, et il y a une pisciculture qui se développe rapidement. Elle a été financée par SUFONAPP [institution associée au ministère des Communes]. Nous élevons des tilapias rouges, et nous apprenons beaucoup de l’expérience. Le principal goulot d’étranglement est la nourriture pour poissons, qui est très chère.
Wilfredo Enrique : L’initiative de pisciculture a commencé il y a environ trois ans avec un petit crédit pour acheter des vairons de tilapia. Nous avons ensuite mis en place le laboratoire de tilapia rouge, où nous prenons soin des vairons et des mères. Quand ils grandissent, nous les emmenons dans la lagune d’Amaguto, sur notre terrain communal.
Actuellement, entre le laboratoire et la lagune, nous avons quelque 30.000 tilapias. Nous considérons ce projet comme un vivier: nous espérons envoyer des vairons dans d’autres communes, tandis qu’une partie des tilapias récoltés sera destinée aux repas des écoles et à la cantine populaire [qui offre des repas gratuits aux personnes dans le besoin]. En d’autres termes, il ne s’agira pas d’une entreprise capitaliste. Nous la considérons comme une nouvelle initiative pour satisfaire les besoins de la commune.
Yusmeli Domínguez : Chávez a conçu un système communal holistique. Ici, au cœur de notre commune, nous avons le Bloc Productif La Esperanza, qui est en quelque sorte « notre compagnie publique pétrolière ». Mais une commune rassemble une pluralité d’initiatives. Une commune, c’est comme une courtepointe : elle nous rassemble tous.
Interview réalisée par Cira Pascual Marquina et Chris Gilbert pour Venezuelanalysis
La nature réelle de la révolution bolivarienne du Venezuela, qui la différencie d’autres processus révolutionnaires, est la vitalité de sa démocratie participative, palpable dans les autogouvernements populaires qui surgissent partout, après vingt-deux ans de processus. Les témoignages que nous publions depuis des années montrent un pouvoir citoyen cherchant à s’autonomiser sans pour autant renoncer à transformer l’État ni se départir de son esprit critique. Nulle « cooptation gouvernementale » mais une force de transformation et une intelligence sociales souvent sous-estimées par les politologues. Cet exemple inédit d’une révolution qui ne cesse d’approfondir sa démocratie s’explique par ses origines. C’est au contact des jacobins noirs de la révolution haïtienne que l’aristocrate Bolivar comprit que la libération latino-américaine ne triompherait qu’à travers l’émancipation politique des esclavisé(e)s. C’est aussi l’equilibrio del mundo de Bolivar qui inspire la politique multipolaire actuelle du Venezuela. Organisation populaire, diplomatie multipolaire : deux faces d’une même Histoire, d’une même capacité de résister à un blocus impérial.
Pourquoi, alors que le zapatisme a connu son heure de gloire dans le monde entier, le « super-zapatisme » vénézuélien aux mille visages est-il systématiquement occulté, ou dénigré, par la presse « progressiste » d’Occident ? On peut en trouver la cause dans le champ médiatique. Celui-ci peut tolérer une rébellion qui ne transforme pas le système mais pas une révolution qui affronte structurellement la globalisation néo-libérale. Qui oserait, à gauche, ruiner sa réputation en allant contre une opinion construite autour de la dictature-au-Venezuela ? Ce rendez-vous manqué, qui va du silence gêné à la « vigilance nécessaire », a contribué au désenchantement de la politique en Occident où les citoyen(nes) auraient eu le plus grand intérêt à découvrir cette passionnante synthèse de démocratie représentative et de révolution citoyenne.
Thierry Deronne, Caracas, 10 avril 2022.
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Un auto-gouvernement en temps de blocus : la commune de Luisa Cáceres (première partie).
L’est du Venezuela abrite de vastes zones d’extraction et de traitement du pétrole centrées sur les villes de Barcelona et Puerto la Cruz, dans l’État d’Anzoátegui. La commune de Luisa Cáceres de Arismendi, l’une des plus avancées du pays, a grandi dans l’ombre de ces entreprise multimilliardaires, dans l’un des quartiers populaires de Barcelona. Il s’agit d’une commune à croissance rapide – remarquable en raison de son succès dans un contexte urbain – qui s’est concentrée au départ sur le recyclage et l’élimination des déchets. Dans la première partie de cette série en deux volets, les communard(e)s de Luisa Cáceres racontent les défis de la construction d’une commune dans un pays assiégé par le blocus impérial.
Histoire, projets productifs, organisation.
La commune Luisa Cáceres a installé son siège dans un terrain vague, nettoyé par les communard(e)s et mis au service de la communauté. Il s’agit d’un espace multi-fonctionnel, devenu l’épicentre du travail de recyclage de la commune, l’espace du potager communautaire et le lieu de réunion et d’assemblée. Devant une splendide fresque murale représentant l’héroïne de l’indépendance Luisa Caceres et le célèbre écrivain du XXe siècle Aquiles Nazoa, les communard(e)s ont accepté de nous rencontrer et de nous raconter l’histoire de leur organisation.
Carlos Herrera est parlementaire communal, membre du comité exécutif de la commune et coordinateur de l’entreprise de recyclage. Ingrid Arcila est la parlementaire de la commune pour les services publics. Arturo Aguache est parlementaire communal. Johann Tovar est parlementaire communal et fait partie de la direction de l’Union Communarde. Rosa Cáceres est la porte-parole des services publics de son conseil communal ; elle est responsable de la crèche Pablo Characo. Manuel Cherema est le coordinateur de la sécurité de la commune et le superviseur en chef de la police bolivarienne à Anzoátegui.Photos: Voces Urgentes.
HISTOIRE
Carlos Herrera : « Nous avons commencé à jeter les bases de la commune il y a environ huit ans, mais le processus s’est vraiment accéléré au cours des quatre dernières années. Nous avançons dans la bonne direction – je pense – celle de l’autonomie populaire.
« Bien sûr, ce n’est pas facile. Comme le dit un proche camarade, « s’il est difficile de se mettre d’accord à la maison, alors ne nous surprenons pas des difficultés de l’organisation communale. » C’est encore plus vrai dans une société capitaliste en crise, où les intérêts individuels ont tendance à entraver les objectifs collectifs. Petit à petit, cependant, nous construisons un espace où le collectif est au centre et où la commune devient la base de la construction de la nouvelle société. Le processus de construction implique beaucoup de travail et de sacrifices. »
Arturo Aguache : « C’est en 2018 que nous avons pleinement enregistré la commune sous sa forme légale. Depuis lors, nous avançons à tâtons, avec des moments plus marqués par la coopération de l’État, et d’autres par des frictions avec les institutions étatiques. Ces dernières années, avec les sanctions occidentales qui pèsent lourdement sur nous, nous avons découvert qu’en tant que commune urbaine, nous devions nous concentrer sur les services : c’est ce que nous avons fait. Mais notre objectif n’est pas seulement de résoudre les problèmes. Notre véritable objectif est l’autonomisation populaire par le biais de l’autogestion, de manière démocratique, et en dehors de la logique du capital. »
Johan Tovar : « La commune a été baptisée » Luisa Cáceres de Arismendi » en l’honneur d’une grande patriote. Pendant les guerres d’indépendance, les royalistes ont tué son mari et l’ont emprisonnée. Dans les cachots, on a offert la vie à Cáceres si elle faisait appel à la clémence royale, prêtait allégeance au roi et respectait la loi. Elle refusa, s’empara de l’arme d’un des officiers et l’a abattu. Bien sûr, elle a été enfermée après cela, mais Luisa Cáceres ne s’est jamais inclinée devant eux. Elle était une vraie patriote, qui défendait ses principes. C’est pourquoi notre commune porte son nom. »
PROJETS PRODUCTIFS
Herrera : « Notre commune est située au cœur d’un centre urbain, dans ce que Rubén Blades appelait « la jungle de béton » [selva de cemento]. Cet emplacement a bien sûr entraîné quelques défis, car il n’y a pas de terres communales ici et ce qui « pousse » ici, ce sont les commerces et l’aliénation. A ses débuts, la commune a eu du mal à trouver des moyens de produire.
« Vers 2018 ou 2019, la crise et les sanctions ont commencé à nous frapper durement. Tous ces pouvoirs étaient unis contre le peuple vénézuélien et son gouvernement. Lorenzo Mendoza, le propriétaire du grand conglomérat privé alimentaire Polar, se battait également contre notre peuple : Harina PAN [farine de maïs Polar, d’usage quotidien au Venezuela] était difficile à obtenir et les gens avaient faim. Nous avons donc décidé de construire une petite usine de transformation de farine de maïs. Notre rêve était d’en fournir à notre communauté. L’usine a fonctionné pendant un certain temps, mais le prix du maïs a fini par monter en flèche, le carburant était introuvable et nous n’avons pas été en mesure de maintenir l’usine en activité. Bien que ce projet ait échoué, nous avons appris à maîtriser les chaînes d’approvisionnement et compris la nécessité de planifier notre production. Nous avons continué à rêver… Maintenant, il y a deux entreprises de propriété communale : une pour la collecte des ordures et l’autre pour le recyclage. »
Tovar : « Chávez avait souligné l’importance de la science et de la technologie pour résoudre les problèmes auxquels notre société est confrontée. Notre expérience montre qu’il avait raison : nous avons besoin d’engagement et d’organisation, mais aussi d’acquérir des connaissances et d’organiser efficacement la production. Chávez insistait aussi sur le fait qu’une société communale authentique signifie pratiquer une nouvelle géométrie du pouvoir, une nouvelle organisation, tant dans la sphère économique que dans la sphère politique. L’autogestion est au cœur de cette proposition. Ici, à la commune de Luisa Cáceres, nous avançons dans cette direction. Notre outil principal de gouvernement est l’assemblée, qui est un espace de délibération et de contrôle collectif des comptes : l’assemblée est le germe de l’autogouvernement. »
Réunion avec les communard(e)s de Luisa Caceres. Photo Voces Urgentes.
ORGANISATION
Herrera : « En ce qui concerne l’organisation de la commune de Luisa Cáceres, nous suivons le schéma prévu dans la Loi Organique des Communes. Notre premier organe de délibération est le Parlement communal. Ce parlement est composé d’un porte-parole pour chaque conseil communal [il y en a 24] et de trois parlementaires représentant les entreprises communales, plus le porte-parole de la Banque communale. Le Parlement se réunit le premier samedi de chaque mois pour discuter des questions opérationnelles et organisationnelles, examiner la planification et les ressources, etc.. La commune dispose également d’un Conseil exécutif composé de trois porte-parole ainsi que des Conseils économique, de contrôle, de planification et d’administration. Ce dernier coordonne des questions telles que les services publics, la santé, le logement, la culture et l’éducation, et la défense du territoire, entre autres responsabilités. »
Tovar : « Nous espérons que notre commune donnera naissance à une nouvelle réalité matérielle et à une nouvelle conscience. À l’instar de Chávez, nous considérons la commune comme la clé pour résoudre les contradictions et les problèmes de notre société, et nous pensons que nous avançons dans cette direction. »
Distribution de gaz dans la commune de Luisa Cáceres. Photo Voces Urgentes
Impact du blocus occidental et solutions communardes.
Loin d’être passive pendant la crise, la commune de Luisa Cáceres a développé une série de réponses créatives aux difficultés qui se présentent. De cette manière, elle démontre que les communes peuvent apporter une solution populaire et souveraine à la crise.
Herrera : « L’impact du blocus a été énorme, il a également nui aux organisations de base, en particulier dans les premiers jours. Lorsque les gens doivent lutter pour avoir assez de nourriture sur la table pour leurs familles, il est très difficile de dégager de l’énergie pour maintenir en activité des organisations de base. Au plus fort de la crise, de nombreuses personnes ont dû parcourir des kilomètres à pied pour se rendre au travail parce qu’elles n’avaient pas d’argent pour payer le ticket de bus, tandis que d’autres, en particulier les plus jeunes, ont quitté le pays. D’autres sont tout simplement morts parce qu’ils n’avaient pas les moyens d’acheter les médicaments dont ils avaient besoin. Tout cela était très douloureux. Le blocus touche tout le monde, des plus jeunes aux plus âgés. C’est une politique criminelle. »
Manuel Cherema : « Les premiers jours du blocus ont été très durs pour tout le monde, y compris pour la commune, mais nous ne sommes pas restés inactifs. En fait, notre première entreprise communale était une petite usine de transformation de la farine de maïs, et nous avons pu vendre la farine de maïs à un prix accessible. Cette entreprise n’est plus active aujourd’hui, mais nous avons beaucoup appris avec ce projet. »
Tovar : « Le blocus nous a durement touchés, mais la vérité est que les années les plus dures de la crise ont été celles où nous avons commencé à nous développer en tant que commune. Il est intéressant de noter que cela s’est également produit dans les communes d’El Maizal (dans l’Ouest agricole) et de Che Guevara (dans les Andes). El Maizal a repris des espaces productifs, Che Guevara a construit des installations industrielles et des serres, nous avons pris en charge la collecte des déchets et commencé le travail de recyclage. Dans notre cas, tout cela s’est produit alors que les institutions étaient en sommeil pendant la pandémie. La commune a pu donner une réponse efficace aux besoins de la population face à un problème croissant de santé publique dû à l’accumulation des déchets. »
SANTÉ
Ingrid Arcila : « Nous avons rapidement ressenti l’impact des sanctions et du blocus sur nos corps. Vers 2016, la nourriture est devenue rare : nous devions faire la queue pendant des heures. Puis sont venues les pénuries de médicaments : les médicaments de base comme le diazépam étaient difficiles à obtenir. Aujourd’hui, les médicaments et la nourriture sont disponibles, mais les prix sont exorbitants. Cette situation devient particulièrement complexe lorsqu’un proche doit subir une opération. Les hôpitaux sont à court de fournitures, et les familles doivent tout acheter, de la gaze aux gants en latex en passant par les stérilisateurs et les antibiotiques. C’est là que la commune intervient : nous nous efforçons souvent d’ouvrir des canaux institutionnels afin que les personnes à faibles ressources obtiennent un soutien de la part de la municipalité ou d’un autre organisme public. Cela aide, mais malheureusement, nous avons perdu beaucoup de personnes dans la commune à cause de cette situation. À l’avenir, lorsque les moyens de production de la commune seront consolidés, une partie de nos excédents sera destinée à de telles urgences. »
Tovar : « Ici, dans la commune, les sanctions, le blocus et la crise ont limité notre accès aux soins. Les CDI locaux [centres de diagnostic intégraux – un système médical communautaire mis en place sous Chávez] ont commencé à s’effondrer au pire moment. Lorsque nous avons vu que cela se produisait, la communauté s’est organisée pour mieux gérer le personnel médical et les ressources limitées. Nous avons commencé à organiser des journées de travail volontaire pour peindre et assainir les espaces du CDI local. Cependant, nous nous sommes également organisés pour que les établissements réparent les problèmes tels que les climatiseurs en panne. C’était très important car de nombreuses salles d’opération n’avaient pas de climatisation, ce qui les rendait inutilisables.
« La communauté s’est également organisée avec succès pour mettre fin au vol de médicaments. Cela peut vous surprendre, mais dans les situations de crise, les contradictions deviennent plus visibles. C’est pourquoi la communauté elle-même a travaillé à la supervision, à l’introduction de plaintes et à l’établissement d’un contrôle strict des soins de santé. Le blocus a coûté de nombreuses vies, et c’est très douloureux. Encore plus lorsque la situation est aggravée par des problèmes entre nous. L’individualisme se développe dans une partie de la société lorsque les choses deviennent vraiment difficiles. Lorsque cela se produit, il n’y a qu’un seul moyen d’avancer : plus d’organisation, plus de communes.
Siège de la commune de Luisa Cáceres. Photo Voces Urgentes
CARBURANT ET SERVICES.
Herrera : « Les sanctions contre [la compagnie pétrolière d’État] PDVSA ont eu un impact dévastateur sur l’ensemble de la société : la production et la distribution sont devenues un problème, et les gens ont eu des difficultés à se rendre au travail et même à l’hôpital. Pour la commune, lorsque les pénuries de diesel ont commencé, nous avons été confrontés à un problème supplémentaire : nous n’avons pu respecter le calendrier de collecte des ordures, et celles-ci se sont accumulées dans les rues. »
Tovar : « Lorsque les pénuries de carburant se sont aggravées, une autre contradiction a émergé : les grandes entreprises capitalistes jouissaient d’accords favorables et obtenaient des rations de carburant très copieuses, tandis que la commune recevait une quantité mensuelle très faible, bien inférieure au nécessaire pour effectuer la collecte des déchets sur le territoire. C’est pourquoi nous avons dû lancer une campagne publique : nous avons fait savoir que le camion de la commune ne faisait pas la collecte des ordures parce que nous n’avions pas de carburant. Finalement, les cadres locaux du parti socialiste vénézuélien [PSUV, principal parti chaviste] nous ont entendus, et nous avons conclu un accord. »
Rosa Cáceres : « Il y a environ deux ans, l’obtention de gaz de cuisine est devenue un problème très sérieux également. Comme nous sommes dans une zone urbaine où il n’est pas possible de cuisiner avec du bois de chauffage, nous avions de vrais problèmes. Après quelques mois, nous nous sommes organisés et avons conclu un accord avec PDVSA Gaz. Maintenant, la commune coordonne la distribution du gaz, et cela fonctionne très bien. En fait, ici à la commune, nous cherchons des solutions collectives à nos problèmes collectifs… et nous avons appris que le pouvoir populaire est très efficace pour résoudre les problèmes quotidiens de la communauté. Bien sûr, les institutions ont aussi un rôle à jouer dans la résolution des problèmes que le peuple rencontre au quotidien. »
Arcila : « Le blocus a eu un impact énorme sur les services publics, en particulier l’électricité, l’eau, le gaz et les transports. Le manque d’entretien a entraîné des coupures de courant, un approvisionnement en eau irrégulier et des transports publics en mauvais état. Par exemple, l’usine de traitement de l’eau ici s’arrête souvent parce qu’il n’est pas possible pour l’État d’acquérir des pièces de rechange. Cela signifie que nous avons parfois passé jusqu’à sept jours sans eau courante ici. Le service téléphonique est un autre problème auquel nous sommes confrontés. Les câbles téléphoniques sont très chers et les vols sont fréquents, mais CANTV [la compagnie nationale de téléphone] ne peut pas acheter de pièces de rechange en raison du blocus. À l’heure actuelle, plus de 70 % des habitants de la commune n’ont pas de service téléphonique. Pas facile de trouver des solutions à tous ces problèmes, mais la commune dispose d’un comité des services publics qui travaille avec les institutions publiques pour résoudre les problèmes que nous rencontrons. Nous avons également organisé des « brigades ». L’une d’entre elles, très active, est la brigade de l’eau, qui s’occupe de problèmes tels que les ruptures de tuyaux, afin que l’approvisionnement en eau soit un peu plus régulier. »
Tovar : « Le transfert des services municipaux aux communes est viable. La brigade des eaux résout de nombreux problèmes au niveau local. Auparavant, lorsque nous avions un problème tel qu’une rupture de conduite d’eau, nous devions attendre que la municipalité envoie un professionnel. Cela pouvait durer des jours, des semaines, voire des mois. Maintenant, quand il y a un problème dans la commune, nous activons la brigade. La brigade est une initiative communale, mais elle est financée par le bureau régional du ministère de l’Eau. Cette institution fournit les salaires, mais la commune organise le travail de manière autonome. Nous avons constaté que cette méthode est très efficace. Le projet communal a consisté à donner du pouvoir aux gens, à travers des initiatives comme celle-ci. Le fait que nous puissions résoudre les problèmes stimule l’organisation et donne de l’espoir aux gens. Bien que nous n’ayons pas d’autonomie financière, nous nous dirigeons vers l’autonomie sur le territoire de la commune. »
Aguache : « Comme nous sommes une commune urbaine, la détérioration des services publics due au blocus est devenue un énorme problème. Cependant, cette situation nous a poussés à nous organiser et à chercher des solutions. Ce faisant, la commune est devenue un phare ou un modèle dans la communauté. Il nous est également apparu clairement que l’organisation communale peut – si les responsabilités et les ressources lui sont transférées – résoudre nos propres problèmes. La seule chose que nous devons à ces sanctions inhumaines, c’est d’avoir appris certaines choses : en tant que commune urbaine, lorsque nous reprenons des services initialement attribués à l’État, nous pouvons le faire efficacement et de manière auto-organisée. »
Cáceres : « L’organisation a été la clé de la solution de certains de nos problèmes, mais il y a encore beaucoup à faire. J’ajoute cependant que la structure des CLAP [comités de distribution d’aliments subventionnés, créés par le gouvernement bolivarien], bien vivante dans notre région, a été un outil très utile. Elle nous a permis d’atteindre les membres de la communauté qui ne sont pas nécessairement engagés dans l’auto-organisation.
SÉCURITÉ
Arcila : « Toute crise entraîne des problèmes sociaux. Lorsque la crise a atteint son paroxysme, les vols ont augmenté et d’autres problèmes sociaux se sont intensifiés, alors nous avons commencé à réfléchir à ce qu’il fallait faire. C’est pourquoi nous encourageons la création d’équipes de sécurité dans les conseils communaux. Notre idée n’est pas de faire la police entre nous, mais de renforcer notre commune : construire une société où règnent la paix et la solidarité. »
Cherema : « Nous participons à un plan pilote de sécurité communale que l’ancien maire [et actuel gouverneur d’Anzoátegui] Luis José Marcano a proposé. Quatre communes au total participent à ce plan, qui est un pas vers la construction de la cité communale. L’objectif de cette initiative est de repenser et de mettre en œuvre un plan de sécurité à partir de la base. Il s’agit en fait d’un héritage de Chávez : il parlait de la nécessité d’évoluer vers un système de police communale qui ne viendrait pas de l’extérieur. De nouvelles conceptions de la paix et de la sécurité devraient remplacer les anciennes pratiques policières. Chávez a également déclaré que la police devait être plus proche des gens, qu’elle ne devait pas être une force extérieure. Suivant ses directives, nous mettons en place des équipes communales de terrain pour apprendre la sécurité, écouter l’intelligence populaire et défendre ce qui est commun sur le territoire.
Le plan communal de sécurité coopère avec la Police Nationale Bolivarienne (PNB) mais n’est pas un appendice de cet organisme gouvernemental. Chaque équipe de sécurité aura un porte-parole qui coordonnera son activité et, si nécessaire, pourra travailler avec la PNB. Il y aura également des personnes chargées de recueillir les informations des organisations citoyennes, et nous établirons la figure du médiateur de paix. Notre plan de sécurité communal n’est pas punitif mais plutôt conciliateur. »
Interview : Cira Pascual Marquina et Chris Gilbert – Venezuelanalysis
Le 23 mars 2022 au Venezuela est une journée parmi tant d’autres, parmi des milliers de journées d’une révolution totalement occultée par les grands médias. Dans l’ouest populaire de Caracas des mouvements féministes et le conseil communal Manuela Saénz inaugurent « La Morada », un espace d’écoute, de soins et de prévention pour les femmes et les fillettes. Pendant ce temps, la Commune Altos de Lidice à laquelle nous avons consacré un documentaire, vient d’être déclarée officiellement « territoire libre de malnutrition » et un de ses organisateurs dialogue en direct avec le président. A la demande de ce dernier, le nouveau Ministre des Communes et des Mouvements Sociaux Jorge Arreaza se réunit avec le Ministre de la Construction pour analyser les avancées des projets de logement public pensés et réalisés par les organisations populaires… tandis que les femmes organisées d’Antimano construisent de leurs mains le dernier étage de leur futur immeuble.
A l’autre bout du pays, dans l’état de Tachira, l’Institut des Terres poursuit la réforme agraire en remettant 32 titres de propriété à des paysannes qui ont développé chacune leur parcelle productive. Là, le slogan est « plus de terres sans paysannes, ni de paysannes sans terre ! » Au même moment le président Maduro annonce : « Nous devons renforcer l’articulation avec le Mouvement des Sans Terre du Brésil, répliquer au Venezuela leur production agroécologique ». Les formateurs des Sans Terre travaillent au Venezuela depuis la signature d’un accord avec le président Chávez.
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