« Ici, il n’y a pas de patron » : la commune populaire El Panal au Venezuela

Modeste initiative face à l’homogénéité médiatique sur le Venezuela, le blog Venezuelainfos fête dix ans de travail volontaire. 1051 articles ont été mis en ligne depuis 2012, grâce à l’aide de nombreux traducteurs et traductrices bénévoles, pour vous réinformer gratuitement sur la révolution bolivarienne et sur son ressort profond, ignoré par la gauche occidentale : une démocratie participative, multiforme, autonome et critique, en majorité féminine.

En ce mois de mars, le nouveau ministre des communes et des mouvements sociaux Jorge Arreaza parcourt le pays à la demande du président Maduro, pour écouter les propositions, critiques et besoins des communard(e)s (photos). « L’organisation du pouvoir populaire au Venezuela est unique au monde. Le peuple dispose de véritables canaux pour parvenir à l’autonomie communale avec l’accompagnement d’un gouvernement révolutionnaire. Dans cette nouvelle étape de la transition vers le socialisme, nous allons avancer à toute vapeur ». Arreaza rappelle la définition de l’État communal qui doit à terme substituer le vieil État, tel que le définissait Hugo Chávez : « La commune est comme la cellule et les cellules doivent se ramifier, se relier, elles doivent former un système, s’articuler, pour donner forme à un corps ».

Ces dernières années, les grands médias ont relooké les insurrections d’une extrême droite raciste – nostalgique de l’apartheid d’avant Chávez – en « révoltes populaires », tout en occultant la majorité du peuple, pacifique, qui n’a jamais voulu participer à ces violences. L’objectif était de sédimenter l’image d’une « dictature ». Mais la révolution bolivarienne, qui a fait entrer dans le champ politique une majorité sociale jusque-là exclue, ne cesse de renforcer sa démocratie directe. Elle a aussi construit la démocratie représentative la plus dynamique du continent, avec 29 scrutins en 22 ans, reconnus par la grande majorité des observateurs internationaux et qualifiés par Lula d’« excès de liberté ».

Par ailleurs, les médias ont caché huit ans de sanctions occidentales et la perte consécutive de 99% des revenus pétroliers. Que n’a-t-on ri des files à Caracas : « l’échec-du-socialisme-fait-fuir-la-population ! ». Aujourd’hui, les mêmes médias admettent la réussite économique du président Maduro et le retour des migrant(e)s chez eux au Venezuela mais… c’est parce que « Maduro-est-devenu-capitaliste » ! A titre d’exemples, le budget de l’État en 2022, approuvé par les député(e)s, comporte 76% d’investissements sociaux; Nicolas Maduro accélère la Mission du Logement Public destinée aux familles populaires, pour atteindre un total de 5 millions de logements d’ici 2025. La politique publique de santé contre le Covid, qui a permis d’éviter les hécatombes des régimes néo-libéraux voisins, est étudiée comme exemplaire par l’OMS et saluée par l’ONU. Les revenus en hausse du pétrole – que le gouvernement bolivarien a sauvé de la privatisation – vont en priorité à la reconstruction des services publics.

Revenons à la participation citoyenne qui est une des clefs de la résistance au blocus occidental. La vitalité de la révolution bolivarienne, qui étonne souvent ceux qui décident de voyager au Venezuela, est le fruit d’une tension permanente, créatrice entre les organisations populaires et un « État ancien » (qui n’en finit pas de mourir, comme disait Chávez). Après les reportages de Venezuelainfos sur la commune paysanne d’El Maizal, la commune « Che Guevara », la commune socialiste de Altos del Lidice, ainsi qu’une soixantaine d’autres, nous nous attardons aujourd’hui sur une commune située à Caracas : El Panal 2021 qui incarne bien cette volonté d’autonomie dans sa relation avec l’État. Quelques photos de ce reportage proviennent d’une formation audio-visuelle que notre école populaire (EPLACITE/TERRA TV) a offerte aux mouvement sociaux du Venezuela, et au cours de laquelle nous avons réalisé un tournage dans l’entreprise textile autogérée d’El Panal.

Vies et voix de la commune « El Panal 2021 »

Située dans le secteur «  23 de Enero », dans l’ouest populaire où vit 80% de la population de la capitale (et où ne vont jamais les journalistes étrangers), cette commune est née en 2008. Elle regroupe 3.600 familles, environ 13.000 personnes. Sept conseils communaux la composent formellement. « Lorsque Chávez a lancé l’idée des conseils communaux et, plus tard, de la commune, nous avons aussitôt adhéré » se souvient Robert Longa. Ana Caona responsable de planification, rappelle que « la commune est la somme des conseils communaux, et que nous étions une commune dès cette époque ».

Au sein de la commune cohabitent diverses entreprises communales. Salvador Salas : « D’abord, la boulangerie, puis l’usine d’emballage du sucre, puis la briqueterie, la fabrique de pneus, le restaurant et l’entreprise textile. Par la suite, à cause de la guerre économique et du blocus imposé par les États-Unis, l’accès aux denrées alimentaires de base s’est vu gravement affecté. On a misé sur le secteur primaire et noué une alliance avec des groupes de paysans afin d’acheter leur production et de la vendre le week-end sur un marché aux voisins de la commune

Une centaine de personnes travaillent actuellement dans les entreprises communales d’El Panal. La commune dispose également de sa propre station de radio communautaire : « Radio Arsenal ». Parmi toutes les entreprises mentionnées, Robert Longa met en avant l’entreprise textile, « Las Abejitas del Panal », fondée en 2012 dans le quartier de Santa Rosa, dans des locaux abandonnés que la communauté a récupérés, et devenue une référence non seulement au sein de la commune mais aussi dans tout Caracas et même à l’échelle nationale. Actuellement, 12 personnes travaillent dans cette entreprise autogérée, produisant toutes sortes de vêtements et autres articles textiles.

Pour décrire leur vision, les communard(e)s d’El Panal parlent d’un socialisme différent de celui pratiqué au 20ème siècle. Un socialisme qui s’engage dans l’autogestion et la décentralisation, et qui se matérialise par le pouvoir communal. Un socialisme qui implique nécessairement le dépassement du capitalisme : « nous voulons construire un monde différent de la voracité du capitalisme et c’est là que nous défendons le socialisme du XXIe siècle ».

Principaux organes de la commune

La structure créée à El Panal n’est pas une copie exacte de celle proposée dans la loi sur les communes. La loi des communes stipule en effet que « le Parlement communal est la plus haute instance d’autogestion de la commune » (article 21) et se compose de représentants des conseils communaux, des organisations socio-productives et de la Banque Communale » (Assemblée nationale, 2010b : 23-26).

En revanche, El Panal 2021 ne dispose pas d’un parlement, mais d’une « Assemblée Patriotique », à laquelle tou(te)s les résident(e)s de la commune peuvent participer. D’autre part, la loi sur les communes désigne une série de conseils qui effectuent des tâches de gestion et de planification, tels que :

  1. Le Conseil exécutif, qui « exerce la représentation légale de la commune », exécute le plan de développement, convoque le parlement et est composé d’un groupe restreint (deux membres du Parlement communal et un membre des organisations socio-productives).
  2. Le Conseil communal de planification, qui conçoit le plan de développement et est composé de six personnes (trois porte-parole des conseils communaux, deux du parlement et un des organisations socio-productives).
  3. Le Conseil de l’économie communale, qui promeut et accompagne les entreprises communales (Assemblée nationale, 2010b:28-41).

A El Panal 2021, il existe une structure de coordination générale appelée « Instance de Communardes et Communards », qui exerce des tâches de direction et de planification, composée d’un groupe d’environ 60 personnes (porte-parole des conseils communautaires, des organisations sociales, des entreprises communautaires et du collectif Alexis Vive). Une autre différence en termes de structure organisationnelle par rapport à la loi est qu’à El Panal, il existe un organe parallèle aux conseils communaux, appelé « Panalitos por la Patria ». Cet espace de coordination est ouvert à tous ceux qui veulent y participer. La philosophie des « panalitos » est que toutes celles et ceux qui sont prêts à travailler entrent dans la coordination : « Au conseil communal, les élections ont lieu tous les deux ans. Au Panalito il n’y a pas d’élection, celui qui veut travailler y entre ».

Il existe un autre corps très important dans la commune appelé « Brigadistas ». C’est une instance de participation directe, pour ces « personnes qui veulent participer, mais qui ne veulent pas s’impliquer dans le travail de coordination » ; « les personnes qui veulent soutenir la radio, le sport, la culture, l’éducation, entre autres », mais sans prendre de responsabilités de gestion.

Caona signale également deux autres instances de grande importance dans la structure de la commune : la défense et la politique. Dans un contexte où l’agression contre le processus de changement au Venezuela a été constante et extrêmement violente (coups d’État, incursions militaires depuis la Colombie ou les États-Unis, sabotages, attentats d’extrême droite, etc..) , il est essentiel de disposer d’une structure de défense qui garantisse la sécurité, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur afin que la commune puisse être protégée et se développer en toute sérénité.

L’organe principal de la démocratie directe dans la commune El Panal 2021 est donc l’Assemblée patriotique permanente. Elle est ouverte aux 13 000 habitants de la commune, et le niveau de participation est remarquablement élevé, atteignant dans certains cas jusqu’à 1 000 personnes. La fréquence des réunions varie en fonction de la saison, mais l’objectif est de tenir une assemblée mensuelle, qui se déroule toujours sur le terrain de sport, un soir de semaine, afin que chacun puisse venir après le travail. Plusieurs personnes interrogées s’accordent à dire que l’Assemblée décide de tout ce qui est important pour la commune:

« L’assemblée des citoyens décide de tout » (Guerra).

« C’est l’espace où les décisions stratégiques sont prises » (Lugo) ;

« Dans notre commune, tout est décidé en assemblée » (Caona).

« Les gens se sentent à l’aise et parlent sans problème, il y a un échange d’idées ». (Reinosa)

Un autre exemple de démocratie directe est l’assemblée de chaque conseil communautaire. Judith Guerra souligne que dans son quartier, Santa Rosa, l’assemblée rassemble environ 150 personnes et a lieu tous les mois. Elle assure que « personne ne gouverne ici en solitaire, nous faisons tout à travers les assemblées de citoyens […] la décision est toujours collective ; ce que la communauté dicte est la loi ».

Dans le cadre des entreprises communales, l’assemblée des producteurs fonctionne également comme le plus haut organe de décision. L’entreprise textile « Las abejitas del Panal », tient son assemblée tous les mois, à laquelle participent tous les producteurs. « L’important est que les travailleurs eux-mêmes disent se sentir libres de décider de tout ce qui les concerne » explique María Plaza, une jeune femme du quartier qui travaille depuis sept ans à l’entreprise textile. « Oui, nous décidons de tout dans l’assemblage ». Pour sa part, Maribia Jayaro, productrice intégrée dès 2013, explique :  « Il n’y a pas de patron ici. Nous prenons les décisions ensemble. Quand quelqu’un de l’extérieur passe une commande, nous nous asseyons et décidons ensemble si nous la faisons ou pas ». Margarita Márquez, la plus ancienne et qui, comme Maribia, fait partie de la première équipe, assure qu’ « il n’y a personne pour te donner des ordres, car nous n’avons pas de  patron qui donne des ordres, qui met un prix sur le travail [..] ici nous avons le droit de décider de la valeur d’une chemise ..] c’est nous qui décidons ». Grecia Pacheco, une jeune femme ayant cinq ans d’ancienneté dans l’entreprise, indique : « pour décider de faire un produit, nous avons une assemblée et nous décidons du prix entre nous tous [..] Nous ne faisons rien sans écouter l’assemblée ». Maribia Jayaro : « Avant, je travaillais dans le secteur privé. J’avais l’habitude de travailler avec un avocat ; nous faisions ce que le patron disait, il imposait le calendrier, et le salaire… ..] toutes les décisions ont été prises par lui. Ici, c’est différent, ici on nous écoute, mon opinion compte, et la tienne aussi ».

Toute activité de production dans « El Panal 2021 » doit répondre à une priorité : les besoins de la communauté. Pour Ana Caona, actuellement responsable du Centre de Planification et production politique et économique : « Le Che avait l’habitude de dire que « l’économie doit être évaluée en termes de vie, et non de marché ». Nous devons mettre la politique au premier plan, et nous le faisons de manière participative avec les gens, avec le peuple. »

Caona explique qu’il existe deux types d’économie dans la commune : un volet dit socio-politique, pour garantir l’alimentation de la population ; et une autre, dit mixte, pour dégager des excédents qui permettent d’investir dans de nouveaux projets. Exemple du premier type d’économie, la boulangerie, qui vend à des prix populaires afin qu’aucun voisin ne soit privé de pain. Pour Joel, un jeune homme originaire de la communauté qui est actuellement en charge de la boulangerie : « C’est beau de voir les personnes âgées nous remercier chaque matin de leur avoir vendu du pain à un prix… en leur vendant du pain à un prix non spéculatif […] on se sent très fier ».

Caona souligne que « la politique l’emporte toujours sur la question du marché, en garantissant les besoins de la population, même s’il n’y a pas de profit ». Robert Longa confirme que « la commune n’est pas faite pour le business, pour faire des affaires, pour mercantiliser […] ici, les entreprises ont un rôle politique. »

Et puisque la guerre économique des États-Unis a un impact direct sur la capacité d’accès aux aliments de toutes sortes, « nous avons décidé d’aller à la campagne pour planter […] la commune a acheté 11 hectares dans l’état de Cojedes et nous y sommes allés pour semer […] plus tard nous avons acheté 37 hectares de plus près de Caracas, à Caracas, dans l’état de Miranda […] En même temps, nous avons créé le projet « Pueblo a Pueblo », en établissant des liens avec des agriculteurs de l’intérieur du pays, auxquels nous achetions directement leur production. » Tant notre propre production que les produits achetés sont vendus à des prix populaires tous les samedis matin à une foire de la commune. Ainsi, l’accès aux denrées alimentaires de base est garanti pour l’ensemble de la communauté. Salas ajoute qu’ils ont établi un recensement de la demande dans la commune, autour des produits de première nécessité, afin d’essayer de garantir leur approvisionnement tout au long de l’année.

Conditions de travail

La stabilité de l’emploi au sein de l’entreprise textile « Abejitas del panal » est un élément mis en avant par plusieurs des travailleurs, tant par les travailleurs les plus anciens que les plus jeunes. José Lugo affirme que « presque personne n’est parti […] la plupart d’entre eux travaillent depuis des années ». Celle qui est là depuis le plus longtemps, Elisabeth Torrelles, est arrivée il y a plus de trois ans. Le témoignage de Grecia Pacheco est très significatif pour comprendre comment la stabilité est liée à la satisfaction personnelle, contrairement à ses expériences dans le secteur privé : « Ici, je me sens valorisée, dans les entreprises privées, je changeais beaucoup, j’étais dans les entreprises privées, j’ai beaucoup changé, je n’ai été dans chacune d’elles que quelques mois […] ici, je suis là depuis des années, je ne suis pas partie ». Maribia Jayaro souligne que « l’emploi du temps est le meilleur pour moi, nous décidons nous-mêmes […] il est confortable, adapté aux besoins de notre famille […] nous essayons d’éviter le calendrier strict de l’entreprise privée ». En fait, le calendrier est décidé annuellement en assemblée. Si les commandes le nécessitent, on prolonge parfois la journée de travail, bien que leur principe soit de ne pas s’auto-exploiter. « Le climat de travail lui-même est harmonieux, pas stressant […] nous ne nous permettons pas d’exploiter, nous ne nous permettons pas non plus d’être exploités. […] si quelqu’un vient commander 5 000 tee-shirts en deux jours, on ne l’accepte pas, c’est interdit ».

Le salaire est un aspect apprécié très positivement par l’ensemble du personnel. Au cours de ces sept années, ils ont toujours réussi à doubler le salaire minimum du pays. En effet, le salaire est fixé en fonction de la productivité, ce qui est souligné par plusieurs travailleuses. Grecia Pacheco : « Ici, ce n’est pas comme dans le secteur privé, ici je travaille et je suis bien payé. Ici, si je fais cinq chemises, je suis payée pour elles ». Jorgelis Soto évoque son année précédente avec des entreprises privées, où « le salaire est moins bon […] ici, si je travaille plus, je reçois plus, je suis mieux payée ». Margarita Márquez (2019) précise que «  nous créons notre propre salaire […]. si je veux travailler, je gagne ; et si je ne travaille pas, je ne gagne pas. Nous n’avons pas de salaire fixe ».

La bonne ambiance au travail est un élément unanimement apprécié, surtout si on la compare à l’atmosphère endurée dans différentes entreprises privées: « Je me souviens que j’ai visité une entreprise textile privée : 100 machines collées les unes aux autres, avec une chaleur insupportable, un petit ventilateur, un de ces vieux ventilateurs, qui sonnait… et des panneaux interdisant de se parler, d’utiliser le téléphone, tout était interdit […] Je suis entré et une personne est sortie d’un bureau climatisé pour s’occuper de moi. Je lui ai dit que j’étais venu pour en savoir plus sur l’expérience et il m’a répondu que je ne pouvais pas leur parler, seulement avec lui. Nous avons le contraire de cela. Nous avons de l’air conditionné, les producteurs parlent, rient, écoutent de la musique […] c’est un travail digne et libérateur. »

Grecia Pacheco : « Ici, on écoute de la musique, on parle, on fait des blagues, on rit […] dans le secteur privé, cela ne se fait jamais… ici, nous partons à six heures et parfois il est sept heures et on commence à parler et nous ne voulons pas partir ».

Margarita Márquez se souvient : « Dès mon arrivée, j’ai vraiment aimé l’atmosphère. Nous n’avons pas de personne qui nous met la pression, nous pouvons parler, faire des blagues, rire, écouter de la musique, boire du café, s’arrêter un moment. […] c’est une atmosphère très harmonieuse ». Un aspect que plusieurs productrices soulignent est l’autonomie qu’elles ont acquise au sein de l’entreprise grâce au principe selon lequel tous les travailleurs doivent connaître le fonctionnement de toutes les machines : « Dans l’entreprise privée, nous avons une seule personne qui ne fait que les cols de chemise, une autre ne cout que les poches… Pas ici, ici la personne qui apprend, apprend à faire la chemise entière ; nous sommes tous capables de faire un vêtement entier et si demain vous allez ailleurs, vous emportez les connaissances avec vous, vous êtes autonome. » (Jayaro).

L’une des réalisations qu’ils mettent en avant est d’avoir réussi à instaurer un travail d’équipe, coopérer les uns avec les autres, se soutenir mutuellement, au lieu de se faire concurrence pour voir qui peut produire le plus. Margarita Márquez : « ici, il y a une harmonie entre nous tous ». « Nous partageons nos connaissances et notre travail, nous travaillons beaucoup en équipe ; quand quelqu’un ne sait pas, on lui apprend ». María Plaza : « il n’y a pas de jalousie entre collègues. Nous essayons de partager, nous nous entraidons ». « Il y a une formation socio-politique, il ne s’agit pas seulement de faire des chemises, il s’agit de comprendre que nous allons vers un nouveau modèle économique-productif. Comprendre pourquoi dans une entreprise privée, vous allez être exploité, comprendre ces concepts ».

Un autre aspect très significatif est que la grande majorité des femmes disent qu’elles se sentent épanouies et valorisées au travail, contrairement à d’autres expériences dans l’entreprise capitaliste. Maribia Jayaro est claire : «  il y a beaucoup de femmes qui sont dans le secteur privé, exploitées, sous le fouet du secteur privé ; et ici, je me sens reconnue […] quand je vois un petit sac qu’une personne porte dans la rue, je me dis : « Je l’ai fait », et je me sens fière de moi ». « De toutes les expériences, travailler ici a été la meilleure, la plus belle, travailler pour la communauté […] le meilleur, le plus beau, travailler pour la communauté […] c’est une satisfaction que votre travail soit un travail social […] » Grecia assure que « vous assumez votre responsabilité, si quelque chose a été mal fait […] et en même temps, on est fier des choses bien faites, de les avoir faites soi-même ».

Judith Guerra souligne les changements intervenus dans son quartier de Santa Rosa, puisque grâce à l’organisation populaire, de nombreuses personnes sont devenues politiquement actives. Surtout dans le cas des femmes : « Beaucoup de femmes ont cessé d’être enfermées, elles ont cessé d’être les femmes au foyer, elles sont allées faire la Révolution ». Ismael González, membre du groupe de coordination des Panalitos dans la commune, souligne le changement de mentalité suite à son engagement dans le militantisme communautaire : « Il y a trois ans, je pensais que l’État était largement responsable de la situation du pays; la commune m’a montré que nous devons assumer notre part de responsabilité. […] si nous ne le faisons pas, personne ne le fera pour vous ».

Jefferson González souligne l’importance d’empêcher les adolescents et les jeunes d’entrer dans les circuits de la drogue et du crime organisé, en créant un large éventail d’activités sportives et culturelles.

Les entreprises communales répartissent leurs excédents de la manière suivante : 40% restent dans l’entreprise et 60% vont au Fonds de réinvestissement social. C’est l’Assemblée de la commune qui décide comment investir l’argent qui est déposé dans ce Fonds. Si nous revenons à l’exemple concret de l’entreprise communale « Las Abejitas del Panal », c’est l’assemblée communale qui décide comment investir l’argent. D’un côté, une partie de la production est directement destinée à la communauté et est vendue à des prix populaires, faisant ainsi face à la spéculation des entreprises privées. D’autre part, il arrive que des vêtements soient fabriqués gratuitement, pour être donnés à un groupe communautaire : « Pour le groupe de danse des enfants de la communauté, nous faisons les robes pour elles. Nous ne facturons pas pour cela […] c’est un plaisir de voir les enfants de l’école porter les costumes que nous avons confectionnés pour eux. Nous faisons des chemises pour le conseil communautaire, des sacs pour les enfants qui en ont besoin (…) Nous avons fabriqué des sacs pour des enfants à faibles revenus d’autres régions du pays. Nous pensons aux gens, pas à nous-mêmes ».

L’engagement des producteurs envers la communauté va au-delà des quatre murs de l’entreprise. Lugo souligne qu’ils participent régulièrement aux activités bénévoles de la commune : « Quand il y a des foires aux légumes, on peut nous voir. En décembre, l’Etat a apporté des jouets pour les enfants et nous avons distribué des jouets aux enfants […] On distribuait le jambon de Noël ».

Différents comités de travail ont été créés, auxquels participent les habitants du quartier afin de mener à bien des activités éducatives, sanitaires et sportives. 22 personnes, la majorité d’entre eux sont des femmes, constituent le noyau de ces comités, qui ont réussi à impliquer un bon nombre de personnes du quartier. Judith énumère un certain nombre de travaux du « Panalito » qui ont eu un grand impact sur la communauté ces dernières années. D’une part, en raison de la guerre économique, la nourriture et les médicaments pour les groupes le plus nécessiteux du quartier : « L’important est que personne ne manque de nourriture […] et pour ceux qui ne peuvent pas acheter de médicaments, nous les obtenons pour eux ».

Toutefois, le domaine dans lequel Panalito Santa Rosa a le plus investi est celui de « l’amélioration intégrale de l’environnement de travail ». Migdalia Reinosa, l’architecte qui coordonne depuis plus de dix ans les travaux d’amélioration de l’habitabilité du quartier, évoque les deux projets majeurs de ces années, pour remplacer les « ranchos » (logements précaires) par des logements décents. Le premier a été développé entre 2012 et 2016 et impliquait le « remplacement des ranchos par des logements », notamment la « construction de 42 nouveaux logements ». Le modèle était l’un des modèle d’auto-construction communautaire, puisque ce sont les « fils du quartier » qui ont construit les maisons, avec le soutien occasionnel des bénéficiaires.

Le deuxième projet vient de commencer et consiste à construire « 48 maisons supplémentaires, deux bâtiments de 24 maisons chacun ». Les bénéficiaires seront « les producteur(trice)s des entreprises communautaires, les garçons et les filles de la brigade de construction (qui ont déjà participé à la construction du premier projet de 42 maisons) et des membres de la Fondation Alexis Vive ». Ce modèle de l’autoconstruction communautaire s’appuie sur des brigades de travail de la commune elle-même, ainsi que le travail bénévole des bénéficiaires, certains week-ends.

En outre, « Panalito » a réalisé un investissement important dans les domaines suivants : changement d’une partie des canalisations d’eau dans un secteur du quartier. Judith Guerra insiste sur le fait que « Santa Rosa a beaucoup changé au cours des dix dernières années ».

Il faut souligner l’engagement social auprès de l’ensemble de la population de la commune. Dans le domaine de la sécurité alimentaire, nous avons déjà mentionné les « foires aux légumes » hebdomadaires pour garantir la sécurité alimentaire en dehors du marché spéculatif et de la guerre dont souffre le pays. Les programmes de garde d’enfants sont remarquables, principalement pour les enfants les plus vulnérables. La cantine sociale, qui fournit le dîner de plus d’une centaine d’enfants chaque soir, est un projet d’un grand impact, tout comme la livraison de fournitures scolaires, de vêtements et de médicaments.

Une autre fonction très appréciée par toutes les personnes interrogées est le haut niveau de sécurité que la commune a été en mesure de garantir à ses voisins. Elisabeth Torrelles, ouvrière du textile, assure que dans la commune elle se sent « plus en sécurité » que dans d’autres parties de la ville. Migdalia Reinosa, l’architecte, souligne également la tranquillité avec laquelle elle se déplace « librement dans la commune ». « on ne voit pas de barreaux aux fenêtres ici. Cela signifie que vous pouvez être sûr que rien ne va vous arriver ».

Ceci est extrêmement important, étant donné que les quartiers ouest de Caracas et la ville dans son ensemble sont perçus par leurs habitants comme étant très dangereuse. Ana Caona affirme que pour la Fondation Alexis Vive, garantir la sécurité de la commune est un enjeu stratégique. C’est pourquoi ils lui ont toujours accordé une grande importance.

Autre contribution à la communauté dans la sphère financière : la création de la banque de la commune, la « BanPanal ». En raison de la guerre économique, la spéculation et la dépréciation de la monnaie nationale – le bolívar – qui se sont produites jusqu’en 2021, la commune avait créé un fonds commun de placement et a créé une monnaie communale appelée « Panalito » à la fin de l’année 2017. Salvador Salas souligne que la monnaie communautaire a permis de créer un marché intérieur où les produits et les services sont accessibles en dehors des circuits spéculatifs. De cette manière, le pouvoir d’achat de la communauté a été stabilisé. En outre, la « BanPanal » accorde des crédits aux producteurs de la commune (petits magasins) et de la communauté, tant à l’intérieur de la commune (petits commerces) qu’à l’extérieur (agriculteurs de l’intérieur qui approvisionnent la commune).

Articulation avec d’autres expériences

« El Panal 2021″ a une stratégie claire pour sortir des limites de son espace territorial actuel et pour promouvoir la solidarité communautaire et des projets communaux plus vastes, dans la perspective de l' »État communal ».

Tout d’abord, l’articulation avec les paysans de l’intérieur du pays, afin de créer leurs propres circuits de production, distribution et consommation, en dehors du marché spéculatif actuel. Le projet « Pueblo a Pueblo » est une expression concrète de ce projet. Salvador Salas indique que « BanPanal » finance les paysans pour qu’ils puissent produire en fonction de la demande fixée par la commune. Ils sont ainsi assurés de la production et de son transport jusqu’à sa destination. Salas ajoute que cette production est agroécologique.

Deuxièmement, l’intention de la commune de se développer à court terme dans tout l’ouest de la ville (dans les quartiers populaires) à court terme. Pour Robert Longa, « le plan est de s’étendre à tout l’ouest de Caracas » par la création de la « Banque du Sud-Ouest de Caracas » qui pourra accorder « des microcrédits à la population pour s’émanciper, afin qu’il puisse créer des entreprises dans une logique d’autogestion.

Troisièmement, la commune a commencé à construire, dans différentes régions du pays, les « Axes Communards Nationaux », notamment avec des partenaires de Valencia, Lara, Táchira et Sucre. Ce qui a permis l’émergence d’articulations avec d’autres régions du pays et la pose des bases d’une confédération communale. Enfin, bien qu’il n’y ait pas d’articulation formelle avec d’autres communes ou d’autres collectifs, « El Panal » a une bonne relation de coopération avec d’autres communes importantes, comme, par exemple, avec l’emblématique commune « El Maizal » dans l’État de Lara.

Il existe également des liens dans la sphère productive. L’entreprise textile de « Las Abejitas del Panal » a impulsé « le Front Textile au sein de Caracas« , composé de plusieurs entreprises communales de la région qui se sont regroupées pour « réaliser de grandes productions lorsque cela est nécessaire ». Ces derniers temps, afin de faire face au blocus et aux prix spéculatifs, le Front textile a produit un grand volume de vêtements pour les vendre à des prix populaires.

La relation avec l’État

La relation d' »El Panal 2021″ avec les institutions publiques, comme c’est le cas pour le reste des communes, n’est pas idyllique. Mais elle n’est pas non plus aussi conflictuelle que certains le revendiquent. En réalité, il s’agit d’une relation dialectique, d’un « bras de fer » qui dépend pour beaucoup du moment politique et des personnes qui se trouvent derrière chaque institution avec laquelle ils entretiennent des relations. Le soutien économique est un facteur fondamental, et l’on peut affirmer que, de la part de l’État, il y a eu une nette amélioration de la situation.

Si le soutien économique est un facteur fondamental, on peut affirmer que, de la part de l’État, il y a eu un soutien clair à l’économie communale (concrètement, par les crédits accordés) et que cette coopération a repris avec force en 2022. A propos des crédits accordés à « El Panal » pour lancer différentes entreprises communales, Judith Guerra explique que « le capital d’amorçage pour lancer les entreprises communales était fourni par le gouvernement ».

Salvador Salas, un communard-clé dans le domaine économique, se souvient que la première entreprise communale créée fut la boulangerie, grâce à un crédit accordé par le bureau du maire de Caracas. Ana Caona (2019), pour sa part, évoque l’importance du soutien de Chávez dès le début, « un soutien vital. La machine à emballer le sucre a été donnée à la commune afin qu’elle puisse la gérer directement. Chávez nous l’a donnée parce qu’il y avait une volonté politique ». Une partie du soutien économique se traduit par un appui salarial pour certains des cadres travaillant dans la commune. « Il y a un groupe de camarades qui sont payés par des institutions étatiques, mais nous, nous travaillons dans la commune ».

Ainsi l’architecte Migdalia Reinosa (2019) explique qu’elle travaille formellement pour Fundacaracas, entité de la mairie de Caracas, mais qu’en pratique elle effectue son travail quotidien dans la commune, main dans la main avec le « Panalito » du quartier Santa Rosa.

Le soutien de l’État s’exprime également dans les achats publics qu’il effectue aux entreprises de la commune. Le cas de l’entreprise textile est le plus pertinent, car il existe une « alliance avec l’État ». José Lugo, porte-parole de l’entreprise textile, souligne que l’un des deux principaux acheteurs des produits qu’ils fabriquent sont des institutions publiques (ministères, organismes publics, etc…) et l’autre étant la communauté elle-même. Ces derniers temps, un acheteur public très important est la compagnie pétrolière d’État PDVSA (Petróleos de Venezuela S.A.). En effet, pendant notre enquête de terrain, les travailleur(se)s de « Las Abejas del Panal » produisaient un lot de chemises pour PDVSA Gas.

L’État apporte également un soutien sous forme de matières premières. D’une part, plusieurs entreprises communales reçoivent des intrants directement des institutions publiques. L’usine de conditionnement du sucre reçoit les matières premières directement de l’État, et dans le cas de la boulangerie, une entreprise publique l’approvisionne en farine. L’usine textile a obtenu ses premières machines grâce à l’État, bien que les plus récentes aient été achetés avec les surplus de l’entreprise .

En revanche, dans les projets susmentionnés de remplacement de « ranchos » précaires par des maisons, l’État a apporté son soutien avec la livraison de matériaux de construction. Pour le projet actuel de 48 logements, l’architecte Migdalia Reinosa souligne le soutien de la mairie de Caracas. En outre, l’Institut National des Terres a cédé 600 hectares dans l’État de Guárico à la Commune « El Panal « , pour la « production de céréales et de viande ».

Dans le domaine de la formation technique, l’Institut national de formation et d’éducation socialiste (INCES) fournit un soutien avec différents cours. Judith Guerra évoque le soutien que la commune reçoit du vice-ministère de la formation communale. Gabriela Reyes, actuelle vice-ministre de la formation communale, souligne l’effort réalisé dans le domaine de la formation communautaire, en nouant la formation technique avec la formation politique, car les deux sont fondamentales pour que les communes aient un avenir générationnel. Elle assure qu’il y a « plus de 100 communes solides en termes de productivité et de formation politico-idéologique », et que la commune d’El Panal est une des grandes références […] pour de nombreuses communes du pays ».

Le gouvernement bolivarien et le président Hugo Chávez ont commencé à édifier toute une architecture juridique pour promouvoir et légaliser l’idée de la commune. Parmi les instruments juridiques approuvés, les suivants se distinguent : la Loi organique du pouvoir populaire (Assemblée nationale, 2010c :); la Loi organique des communes (Assemblée nationale, 2010b :); la Loi organique des Communes (Assemblée nationale, 2010b) ; et la Loi organique du système économique communal (Assemblée nationale, 2010a).

Le gouvernement Chávez a créé un outil ministériel au service des communes : le ministère des communes et des mouvements sociaux, et a revendiqué politiquement et symboliquement l’utopie de la construction d’un État Communal pour remplacer « l’État bourgeois et représentatif ».

Cependant, l’appareil juridique n’est pas suffisant et, selon certains membres d' »El Panal », la production communale doit avoir la priorité sur l’entreprise privée. Pour Salvador Salas: « Nous voulons que l’État traite les communes différemment des privés en termes d’imposition. Par exemple, nous ne voulons pas payer de droits d’importation sur les matières premières ». Ana Caona considère que « les institutions de l’État continuent de parier sur la commune […] certains organismes d’État nous ont fait confiance, certains organismes d’État […] nous ont fait confiance, mais la relation a été de sujet à sujet ».

Judith Guerra affirme que « le gouvernement révolutionnaire a été très favorable à cette commune, mais nous ne pouvons pas vivre à la mamelle du gouvernement […] maintenant le temps est venu pour la commune de se mettre au travail, qu’elle soit plus autonome, nous avons déjà nos propres moyens de production et nous ne sommes plus aussi dépendants ». Salas : « l’État continue à nous financer, bien sûr, bien qu’aujourd’hui beaucoup moins qu’au début, et nous rêvons à l’avenir de ne pas demander d’argent à l’État […]. nous voulons proposer à l’État de nous laisser exploiter certains puits de pétrole […] une source qui nous permette de développer la production et de ne pas avoir à nous battre chaque année avec l’État pour obtenir un soutien ».

Robert Longa : « avec les secteurs bureaucratisés, il y aura toujours des contradictions, mais je pense que nous sommes dans une guerre économique et que c’est à la commune d’assumer ses responsabilités envers l’État et de faire son autocritique. C’est aux membres de la communauté de rendre compte des choses que nous avons reçues de l’État […]. qu’avons-nous fait ? […] on ne peut pas être un enfant gâté. Nous ne voulons pas être dépendants […] notre horizon est de dépasser l’État ».

Enquête : Luis Uharte

Source : https://observatorio.gob.ve/presentacion-del-panal-comunal/

Traduction : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/03/23/ici-il-ny-a-pas-de-patron-la-commune-populaire-el-panal-au-venezuela/

Erika Farías, nouvelle mairesse de Caracas: « pour faire la ville que nous voulons, la clef est de rendre le pouvoir au peuple »

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En 450 ans de l’histoire de Caracas, c’est la première femme à la tête du gouvernement municipal, et elle assure qu’en tant que caribéenne elle ne reste pas un instant sans inventer quelque chose. Comme toute femme elle est passionnée, volontariste, comme disait le commandant Chávez lorsqu’il parlait de cette audace des femmes, aussi nourrit-elle beaucoup de projets et de rêves pour notre ville. Voilà pourquoi l’organisation populaire sera pour elle une priorité dans sa tâche à la tête de la Mairie de Caracas.

« Sa première obligation en tant que mairesse ? » : s’attaquer aux problèmes que les gens souhaitent voir affrontés par n’importe quel maire : les ordures, l’eau, la circulation et les services. Sa principale préoccupation ce sont les jeunes, cible de l’hyper-consumérisme de la culture capitaliste – elle voit son propre reflet dans leur révolte. Elle dit qu’elle a été et qu’elle reste une rebelle. Elle mise sur la sauvegarde de la Caracas solidaire, pleine d’espoir. La Caracas où les histoires se transmettent par les contes des aïeux, où d’un rien naît une rumba, une fête sans fin, une blague impertinente, la conversation sans fin, pour le plaisir, où prévaudra la culture de paix, propre à un révolutionnaire.

Erika est une femme directe, sans détours, qui va droit au but. Elle aime la vérité, le travail quand il a du sens. Elle aime s’impliquer dans des causes et convaincre les autres. Elle fait confiance au peuple, voilà pourquoi elle s’est fixé le tâche de lui restituer son pouvoir originaire, constituant. Avec ses 24 scrutins en 18 ans de révolution, le Venezuela est sans doute une des démocraties représentatives les plus vivantes au monde, mais elle est plus que cela : une volonté et un besoin de développer la démocratie participative. Ce samedi 6 janvier, des citoyens ont entamé dans tout le pays la discussion pour apporter des idées en fonction du programme de gouvernement 2019-2015 et fortifier une révolution féministe, écosocialiste et communale.

— De votre point de vue féministe, que pensez-vous apporter à Caracas ?

— Sans doute y a-t-il des choses très concrètes auxquelles la population aspire et qu’elle attend d’un maire. On peut philosopher, être créatif, innover, il n’y a pas de limites, mais, au départ, les ordures doivent être ramassées, les trous rebouchés, les rues éclairées. Tout passe par la nécessité de résoudre le principal problème qu’a Caracas : le manque de coordination entre nous qui y vivons et nous qui y gouvernons, qu’il s’agisse de la mairie, du pouvoir populaire ou du ministère. Nous n’avons pas atteint un degré de coordination qui permette de faire de Caracas le lieu auquel aspire le président Maduro ou le peuple. C’est en ce sens que nous les femmes avons une forte potentialité, car de tous temps, en raison des responsabilités qui nous ont été attribuées, nous avons eu la mission de mettre de l’ordre, plus que les hommes ne le font. Et cela a à voir avec les pratiques historiquement assumées : l’agriculture, la répartition des choses dans les lieux que nous habitons, la famille. Tout cela te donne de l’expérience. Quand la coordination manque, on perd beaucoup de temps et d’effort. Par ailleurs, les femmes, nous sommes très dynamiques, inventives. Voilà pourquoi Chávez nous disait «hyper-engagées». Moi je suis ainsi. Dans le monde des hommes on ne discute pas beaucoup, on impose beaucoup, tandis que dans le monde des femmes, le dialogue est toujours présent. Le débat, la discussion, la réflexion sont toujours présents, cela nous plaît et c’est une valeur qu’il faut sauver. Nous, les femmes en général, nous ne restons pas immobiles, nous sommes toujours en train d’inventer une nouveauté et comment ne pas inventer à Caracas, une ville jeune, diverse, qui bouge, un peu chaotique, hystérique, bipolaire. Comment ne pas inventer dans une Caracas pareille ! dans une ville marquée par le passage quotidien de plus d’un million de personnes qui viennent pour la visiter ou parce qu’ils y travaillent ou qu’ils y étudient ou simplement qui passent par plaisir. Alors, en plus de nous qui vivons ici, et nous sommes près de 4 millions, tout cela fait que Caracas a besoin de beaucoup d’inventivité, de créativité, de flexibilité et de beaucoup de force. Et autre chose encore : nous les femmes sommes têtues. Ce que nous disons, nous le faisons, avec de la formation, avec de l’organisation et avec de la planification.

— Quelles sont les tâches prioritaires à prendre en compte et comment aborder ces problèmes stratégiques de la ville ?

— En premier lieu, il y a la question économique, en insistant sur l’approvisionnement, non seulement des aliments, mais c’est le principal. En deuxième lieu, les services publics (ordures, transport, circulation, eau potable) et en troisième, l’organisation communale. Ce sont les trois grandes priorités parmi les six défis que nous nous sommes lancés sur le plan du gouvernement.

Le mode d’organisation va nous permettre de rendre au peuple son pouvoir d’origine. Il n’y a pas un seul problème qui puisse se résoudre sans la participation populaire. Par exemple le ramassage des ordures. On pourra avoir les meilleures équipes et la meilleure technologie, mais si l’on ne parvient pas à faire comprendre que c’est une question de culture, il y aura toujours des ordures. La solution se joue à moyen terme avec la participation principale de la population. Pour les denrées alimentaires, c’est la même chose. Le CLAP (comité local d’approvisionnement et de production) est une mesure de guerre qui nous a permis, à Caracas, de secourir près de 805000 familles. L’appareil économique qui est au service de la bourgeoisie, de l’empire, a miné tout le système d’investissement et le processus de production, distribution et commercialisation, mais également le modèle de consommation. Les gens font la queue pour acheter des choses qui peuvent être remplacées dans le régime alimentaire de base. En situation de guerre il nous faut nous tourner vers d’autres choses, sinon, le degré de dépendance augmente dans le désir angoissé d’obtenir ce qu’on ne peut avoir. Malheureusement la culture de la consommation s’est imposée et c’est pour cela que la bataille doit être menée dans le domaine économique avec tous les secteurs de la population, afin de changer de modèle de consommation. On ne peut voir triompher un processus révolutionnaire sans un peuple organisé, sans un sujet historique conscient, mobilisé, organisé. Voilà pourquoi je crois fermement que seul le peuple sauve le peuple. Toutes les secondes de ma vie que je passerai à la tête de cette institution, je les mettrai au service de l’organisation populaire. C’est pour moi une priorité.

— Comment rendre son pouvoir au peuple ?

— Rendre son pouvoir au peuple signifie lui faire comprendre qu’il fait partie du problème car il est le demandeur. Il ne peut demander et attendre que la solution vienne. Il doit faire partie du processus de la solution. Il doit réclamer, car ce sont ses droits : l’eau, l’alimentation, la culture, le loisir, et cela grâce à la Révolution. Les droits, il nous faut les protéger et les construire.

Si en plus, on fait entrer ce peuple dans ce processus de planification et de réalisation des solutions, alors il fait preuve de ses capacités. Cet instant-là devra marquer la fin des vieilles institutions car le peuple exercera pleinement son pouvoir et il y aura des institutions qui n’auront plus de raison d’être – elle dit cela avec un sourire convaincu. Mais cela est un processus, il ne faut pas l’imposer à coup de matraque. D’où la nécessité du débat, de l’organisation, de la réflexion, parce que le pays est un, le projet aussi. Au milieu de tout ceci il faut protéger la Patrie comme une force unique ainsi que notre projet révolutionnaire, car c’est lui qui nous permet de faire ceci, c’est pourquoi une extrême responsabilité s’impose. L’un des grands défis que doit relever notre révolution est donc d’obtenir que le peuple soit l’acteur principal. Si le peuple se sent habilité, s’il est conscient que c’est son heure, qu’il a un rôle historique, personne ne peut l’abattre. Lorsque nous parlons d’une Caracas Communale c’est le peuple qui en est le sujet central, qui reconnaît son moment historique, qui reconnaît sa diversité, ses luttes et son identité ; dans cette conscience, en opposition au système hégémonique, il doit nécessairement, non seulement créer les bases d’un nouveau modèle mais aussi développer toute sa potentialité dans cette entreprise.

— Comment faire un gouvernement communal ?

— Notre Révolution a créé de nombreux mécanismes aptes à rendre le pouvoir au peuple, comme par exemple la Municipalité, le Conseil Fédéral de gouvernement, le Conseil des ministres, et le Président lui-même, lequel a la faculté de valider des ressources extraordinaires pour des projets en particulier. Mais il y a aussi l’autogestion. Nous ne devons pas laisser perdre les efforts fournis. Notre peuple a garanti un ensemble de conditions qui lui permettent d’être partie prenante de la solution de certains problèmes autrefois inexistants. Écoute, ma mère a passé toute sa vie à construire une maison, pour nous, pour ses enfants. Quand enfin elle a fini, nous étions déjà partis. Quand je passe par le tunnel de La Planicie je vois toujours la maison, mais nous n’y sommes plus. Mais maintenant il en est autrement, une famille a la possibilité de bâtir sa maison, parce qu’il y a un gouvernement qui garantit cela, elle a un emploi, il y a un système de missions et chacun peut prendre part à la solution de son problème. Voilà les concepts qu’il faut se réapproprier : l’autogestion, la coresponsabilité, les devoirs partagés. L’Etat a des devoirs, mais la communauté aussi. C’est l’un des débats que nous allons avoir en leur temps et à leur rythme, mais je suis sûre que nous allons avancer suffisamment, car c’est un travail à moyen et long terme. Il ne faut pas désespérer sur ce point, zéro angoisse. Nous les révolutionnaires nous savons quoi faire et ce qu’il faut faire, c’est s’occuper, sans angoisser. Les choses ne vont pas se résoudre du jour au lendemain, ou par magie, -souligne-t-elle simplement, insufflant ce calme nécessaire auquel elle fait référence.

— Quelle est votre stratégie pour le thème de la sécurité en ville ?

—La sécurité se ressent quand un ensemble de thèmes est résolu. La Municipalité a une police administrative, cependant nous avons notre responsabilité sur l’insécurité, qui est résultat et non cause. Nous avons la responsabilité de l’existence d’un bon aménagement, des normes de vie en commun, du loisir, de la culture et du sport pour éviter l’insécurité. Lorsqu’il y a des cas d’insécurité, il y a des mécanismes que l’Etat utilise, et en ce sens notre Révolution a une stratégie que sont les « secteurs de paix» où sont intégrées à l’organisation populaire des activités récréatives, sportives et culturelles pour le contrôle de la criminalité. Il faut souligner qu’ont été importées à Caracas des pratiques criminelles étrangères à notre culture et qui portent atteinte à la normalité de quelques communautés. Je m’engagerai dans ces équipes pour continuer à garantir l’éradication de cette conduite criminelle introduite par des groupes étrangers à notre culture et totalement démobilisés. Il y a à Caracas 11 « secteurs de paix » et nous allons les soutenir aux côtés de la Police Nationale Bolivarienne et des corps d’intelligence, de police de proximité pour continuer la bataille contre le crime.

— Comment la Mairie stimulera-t-elle l’Economie Productive ?

— Il y a une grande expectative avec le Conseil Economique de Caracas. Nous avons une forte potentialité dans le secteur du textile, des services, de la chaussure et dans l’alimentaire, non seulement en agriculture urbaine mais aussi sur la conservation et la transformation des aliments, tout comme dans le Tourisme. En ce sens nous pensons travailler conjointement avec l’état de Vargas, avec lequel nous partageons le parc naturel Waraira Repano et le bord de mer. Caracas a de magnifiques sites pour connaître l’histoire, toutes ces activités bien faites et planifiées peuvent s’avérer une source significative de revenus pour la ville. De plus –ajoute-t-elle- le vénézuélien est plus productif qu’hier, nous ne sommes pas un peuple de mous, d’ignorants, de paresseux. Si tel était le cas, aucune des luttes qui au long de plus de 500 ans ont été conduites pour conquérir la liberté et pour libérer cinq nations sud-américaines et davantage, n’aurait été menée ; c’est là l’œuvre d’un peuple vaillant, travailleur, d’un peuple qui pense, cultivé et intelligent. Pour que le Venezuela soit une puissance économique, son territoire et son peuple doivent être forts. Caracas a ces possibilités, il y a une voie, un plan unifié.

— Quelle est selon vous la principale potentialité de Caracas ?

— Caracas a une grande potentialité du point de vue des structures organisationnelles que la Révolution a construites, qui sont nombreuses et très diverses. Et grâce à elles nous créons des liens, nous intégrons quiconque aime Caracas et la Patrie. Nous allons y inviter toute personne qui voudra faire de Caracas un espace aimable où nous pourrons nous sentir chez nous, où nous pourrons développer nos propres capacités, afin de construire une Caracas sûre, productive, où la culture, les loisirs et le sport nous aideront à édifier cette culture nouvelle, ce sens commun qu’il nous faut bâtir dans le cadre du socialisme.

— Quels projets avez-vous pour poursuivre la récupération des espaces publics ?

—Jorge Rodríguez, le maire qui m’a précédée, a fait beaucoup pour notre ville et l’effort réalisé dans ce sens a été réellement extraordinaire. Cependant, le travail n’est pas encore terminé car cela requiert une programmation propre à chacun des espaces récupérés afin qu’ils soient en utilisation permanente. Un terrain de sport par exemple, peut avoir beaucoup d’usages, pour des aînés qui s’entraînent, pour des enfants qui s’initient à l’activité sportive, pour des évènements culturels, des réunions de la communauté, des débats… Ces espaces doivent être constamment utilisables, et, naturellement, il faut impliquer la communauté dans leur utilisation. Caracas est une ville universitaire, par exemple, et les jeunes gens de la Unearte pourraient exprimer leurs talents, animer des ateliers, dans un partage avec la communauté. Telle est la vraie « Culture Au Cœur ». Mettre dans ces espaces toute cette potentialité qui existe dans nos universités et parmi nous. Est-ce que vous imaginez –dit-elle le visage souriant- dans l’un ou l’autre de ces espaces nos grands -pères et grand- mères en train de raconter notre histoire. Il faut retrouver la culture orale.

Elle marque une pause et décide de nous raconter une anecdote : « Ma grand-mère Luisa était une indienne Karina, extraordinaire, forte et elle me racontait toujours ses histoires sous le manguier, et je ne vous dis pas tout ce qu’elle me racontait » -ajoute-t-elle tout en lançant un grand éclat de rire complice. – Les vénézuéliens nous sommes des conteurs, nous aimons raconter nos histoires. Ces choses se sont perdues, dans la précipitation de la ville capitaliste, de l’hyperconsommation, de ce machin – elle prend le téléphone portable et plonge les yeux sur l’écran, comme pour envoyer un message- nous avons perdu la véritable Caracas.

— Et quelle est la véritable Caracas à laquelle vous faites référence ?

—Cette Caracas qui, quand elle se lève, a le souci de l’autre, la Caracas solidaire. Cette Caracas elle est là, en attente. Elle n’est pas morte. L’hyperconsommation, la culture capitaliste de l’individualisme nous a fabriqué une société qui nous fait courir tout le temps comme hébétés et il faut combattre cela, car parfois c’est par plaisir, or personne ne peut vivre ainsi pressé en permanence, à ces niveaux d’angoisse qui font que les gens tombent malades et qu’ils veuillent même se battre avec tout le monde. Cela ne permet pas de voir la véritable Caracas, celle qui se retrouve un dimanche et fait une soupe collective. Cette Caracas où d’un rien naît une rumba, une fête, un mauvais tour, un joli boniment. Il faut retrouver cela, voilà la culture de la Paix.

— Quelle est votre plus grande préoccupation?

— La jeunesse. Une des choses qui me préoccupent beaucoup c’est cette tendance destructrice que l’empire nord-américain et la bourgeoisie veulent inoculer chez nos jeunes, avec comme devise « consomme à en mourir ». La jeunesse est une saine préoccupation, non pour les juger mais pour les accompagner car j’ai été jeune moi aussi et j’ai été très révoltée, je suis très reconnaissante à ma famille de ne pas m’avoir laissée seule dans ma période de plus grande révolte. Et avec le reguetón, tous ces hits commerciaux érotiques, et la petite fille qui tombe enceinte, surgit le thème de la sexualité, propre aux jeunes, car aujourd’hui ils sont initiés de plus en plus tôt. Il y a des gens qui ont peur de ce sujet, mais moi, non, rien n’est plus naturel, sans elle l’humanité n’existerait pas. Mais si l’on écoute les chansons c’est presque un retour à l’animalité … qu’est-ce que cela ?… où est passé l’amour, le fait de tomber amoureux ? – demande-t-elle, se plaignant des paroles des chansons de reguetón.- Nous cessons d’être des animaux et redevenons des êtres humains lorsque nous commençons à apprécier chez l’autre la beauté, la capacité à développer le meilleur de moi-même en l’autre, mais il convient au capitalisme que cela se perde. Nous devons dire comme le poète : Il faut lutter pour la joie, pour la beauté, pour l’amour, nous ne pouvons déboucher sur une société de barbares. Nous ne pouvons pas accuser les jeunes, il ne faut pas les laisser seuls – insiste-t-elle, sinon la culture antagonique les avale. C’est pour moi une grande préoccupation car notre pays est jeune. Et cette jeunesse est le futur. Chez nos ancêtres s’occuper des enfants est une affaire collective, cela ne concerne pas que papa et maman, la communauté doit les soutenir et les accompagner et moi, c’est en cela que je crois. Voilà pourquoi c’est mon souci et pour cela on me verra parmi les jeunes.

— Quel est le défi spécifique?

— Nous devons valoriser notre idéologie, nos contenus, notre identité, parce que, parfois, nous ne faisons que reproduire ce qui est étranger, qui nous asservit. Nous devons retrouver et reconstruire notre esthétique … Notre commandant disait que l’homme de la révolution doit être beau, cultivé, soigné, personne de référence, exemplaire. La Révolution est la plus belle chose du monde. Nous devons continuer à fouiller pour retrouver cette Caracas profonde, ce Venezuela profond, qui est capable de faire ce qu’il a fait le dimanche des élections. Au milieu d’une guerre comme celle que nous connaissons, où l’on croirait qu’il n’y a aucun motif pour nous faire bouger, qu’il n’y a rien ni personne à soutenir car nous sommes dans un conflit permanent, la saleté, le ticket de bus, la monnaie … tout un problème et la file en prime, pour s’approvisionner… au milieu d’un machin chaotique … et malgré tout cela le peuple a dit oui, mais c’est la Révolution et non le capitalisme qui va résoudre cela … peut-être n’a-t-elle pas tous les arguments, mais notre peuple sait qu’ils sont en train d’attaquer tout ce que Chavez a fait, afin d’enfoncer Nicolás Maduro… Ce qu’eux ne savent pas c’est que, nous les chavistes, nous sommes têtus et avons de la mémoire. Je suis militante, missionnaire de cette unité extraordinaire qu’il faut nouer sans cesse entre notre direction et notre peuple indissociable, pour l’unité, pour la détermination, pour l’adéquation, pour les enjeux, pour les défis. Nicolás est présent, un homme du peuple, courageux. C’est la plus belle qualité qu’a notre peuple, ils n’ont pas pu nous abattre et ne le pourront pas, ils ne vont pas pouvoir. Je le dis avec ma conviction de femme révolutionnaire, ici il n’y a pas de lâches et personne ne va se rendre.

Dans mon vieux San Juan

Erika est née dans le quartier Los Eucaliptos et jusqu’à quelque temps de là, elle vivait à Capuchinos, deux endroits de la paroisse San Juan. Pour elle, parcourir les rues de Caracas est un plaisir auquel, actuellement, elle s’adonne peu en raison de ses responsabilités politiques. « Je m’en allais de San Juan jusqu’à la Place des Musées, aller et retour à pied. A n’importe quelle heure, et j’étais la personne la plus heureuse du monde. Et cela me manque beaucoup». Le parc naturel Waraira Repano est l’un de ses lieux préférés, non seulement parce qu’il enserre Caracas, mais aussi parce qu’elle le connaît en long et en large car elle y monte depuis l’âge de trois ans quand, avec sa mère, elle allait voir son oncle qui était garde forestier. “Des 5 frères et sœurs, l’aînée et moi- même, gardons ce lien avec Waraira. Je connais presque toutes ses montées et j’y suis restée souvent, en différents moments : joyeux, tristes, méditatifs. Je choisis toujours la montagne. »

Sa façon de se distraire est de voir des films, des séries ainsi que la lecture. Elle dit qu’elle adore les enquêtes policières. Sur la musique, elle nous a dit que ses goûts sont variés, mais lorsque nous lui avons demandé si elle incluait les jukebox elle a éclaté de rire et nous raconta cette anecdote : « J’étais alors ministre des Communes, il était tard, j’étais fatiguée, mais avant d’arriver chez moi, à Capuchinos, je voulais me vider un peu la tête et je suis entrée dans un troquet immonde, tout près. J’hésitai à entrer, mais je me persuadai qu’à cette heure-là personne ne me verrait, alors je suis entrée et j’ai vu qu’il y avait un jukebox, je me suis installée, car il n’y avait presque personne, pour écouter Toña La Negra, la Lupe, Felipe Pirela, Javier Solís… à partir de ce jour, chaque fois que je le pouvais, j’allais faire le vide un petit moment pour « déconnecter un brin ». Sur un ton mélancolique elle se souvient du café Rajatabla. «  Il n’y a pas à Caracas un endroit comme celui-là, il faudrait qu’on rouvre ce bar ! ».

Biographie

La nouvelle mairesse de la Municipalité Libertador de Caracas a été élue le 30 juillet comme députée à l’assemblée constituante pour le District-Capitale. Le 22 septembre le chef de l’Etat l’a désignée comme ministre du Pouvoir Populaire auprès du Bureau de la Présidence de la République. Elle a aussi occupé les portefeuilles ministériels de l’Agriculture Urbaine, celui des Communes et Mouvements Sociaux et a été élue gouverneure de l’état de Cojedes, un mandat exercé de 2012 à 2016. La militante du PSUV (Parti Socialiste Uni du Venezuela) a fait des études de Philosophie à l’UCV et à l’Université Pédagogique Expérimentale Libertador. Elle a été la directrice nationale du Front Francisco de Miranda, organisation politique de la jeunesse vénézuélienne spécialisée dans le travail social. “J’ai commencé à travailler avec le commandant Chávez comme assistante civile. Dans cet espace intime on pouvait percevoir sa qualité humaine, sa capacité à comprendre les personnes et les choses. L’une de ses qualités qui m’a beaucoup marquée ce fut son authenticité, Chávez était ce qu’on voyait, il n’était pas autre chose, affectueux et très juste. Avec Chávez nous avons appris la nécessité de l’étude. « Un cadre révolutionnaire doit être constamment en train d’étudier, il ne peut être une personne superficielle, nous disait-il », se souvient-elle. Comme anecdote Erika nous a raconté qu’une fois quelqu’un l’a fustigée en tant que membre du gouvernement, à quoi, lui, le commandant, lui répondit : « rien de ceci n’est contre toi en tant que personne, c’est la vision révoltée d’un peuple qui un jour s’est dressé contre un gouvernement qui l’a toujours exclus, c’est pourquoi nous nous sommes engagés à écouter notre peuple et à changer la vision qu’il a du gouvernement. Voilà pourquoi nous devons être de plus en plus révolutionnaires. Ce peuple n’a jamais pu parler. Il faut toujours gagner son adhésion afin qu’il nous accompagne aussi fortement qu’il nous critique, car nous sommes convaincus que c’est le gouvernement révolutionnaire lui-même qui va établir les bases de la libération. »

Source : ODRY FARNETANO / CIUDAD CCS, http://ciudadccs.info/entrevista-erika-farias-restituir-poder-al-pueblo-la-caracas-queremos/

Traduction : Michele ELICHIRIGOITY

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Venezuela : pourquoi il est si important d’avoir reconquis électoralement l’état de Miranda

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« Guarimbas », violences organisées par les couches riches à partir des quartiers chics de Caracas. En invisibilisant la majorité populaire et en inversant le montage des news, les médias nous ont fait croire pendant des mois que cette minorité imprégnée de mépris racial et social était le « peuple du Venezuela » et que l’action défensive des forces de l’ordre était une « répression ».

par Ernesto Cazal

Miranda, un état stratégique détenu pendant très longtemps par l’opposition, vient d’élire comme gouverneur le jeune candidat chaviste Hector Rodriguez.

Son prédécesseur, Henrique Capriles Radonsky, dirigeant de Primero Justicia (PJ) et membre de l’oligarchie vénézuélienne, avait tenté pendant des années de s’imposer comme le leader principal d’une droite aujourd’hui en cours d’implosion. Il a été gouverneur de l’état de Miranda pendant deux périodes consécutives (2008-2012 et 2012-2017). Lors de sa défaite aux présidentielles de 2013, le milliardaire refusa le verdict des urnes et demanda à ses partisans de “décharger leur rage” dans la rue. Le soir-même commença une campagne “à la colombienne” : actes de vandalisme, tirs contre des centres de santé, des magasins publics d’alimentation, des médias associatifs, et meurtres de leaders sociaux, souvent motivés par le racisme social. Bilan : 13 morts et plus de 100 blessés. Une répétition à moindre échelle de l’insurrection armée de 2017 qui a fait, elle, près de 200 morts. On sait comment les médias internationaux ont fabriqué la plus grande fake news de l’histoire contemporaine en attribuant les victimes au gouvernement et en faisant croire que celui-ci était la source de la violence.

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L’ex-gouverneur de l’État de Miranda, Henrique Capriles Radonski (à gauche), ici réuni avec l’ex-secrétaire de gouvernement de Pinochet Jovino Novoa à Santiago en 2013. Radonski est impliqué dans le coup d’État meurtrier contre le président Chavez en avril 2002, dans les assassinats de militants bolivariens le 15 avril 2013 et dans l’insurrection armée de la droite en 2017.

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Capriles avec un des plus grands criminels contre l’humanité, l’ex-président colombien Alvaro Uribe dont le réseau paramilitaire profite des « accords de paix » pour réoccuper les espaces abandonnés par la guérilla et les « nettoyer » des militants sociaux et des défenseurs de droits humains, tout en prêtant main forte aux insurrections de ses alliés de droite au Vénézuéla.

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En avril 2013 déjà, Capriles Radonski appelait ses partisans à « décharger leur rage » dans la rue pour refuser le résultat des élections. Bilan : 13 morts et plus de 100 blessés.

En décernant un “prix Sakharov” à ce type d’opposants, la majorité de droite du Parlement Européen et ses alliés sociaux-démocrates se placent dans l’apologie de nombreuses violations des droits humains, du racisme, de la violence politique et du coup d’État (1). Bien que naturalisé par la concentration privée des médias et l’inféodation croissante aux États-Unis, ce pari persistant sur le « wrong horse » contraste avec la diplomatie équilibrée, prospective et informée de la communauté internationale (Mouvement des Non Alignés, UNASUR, CARICOM, Russie, Chine… jusqu’au Vatican et aux médiateurs officiels tels que l’ex-président espagnol Zapatero). Tous ont condamné les violences et recommandé le retour au dialogue et à la voie électorale. Le Venezuela continue à battre le record mondial en termes de quantité de scrutins puisqu’après l’élection de la Constituante de juillet 2017, et celle des gouverneurs le 15 octobre, viennent les municipales de décembre qui seront suivies en 2018, des présidentielles.

Cette alliance de la droite vénézuélienne avec une extrême droite sous influence du paramilitarisme colombien ne s’exprime pas que dans les violences des cycles insurrectionnels. Depuis des années l’État de Miranda a constitué leur base, avec cellules dormantes infiltrées depuis Bogota par les réseaux de l’ex-président Uribe et mises à couvert dans des grands domaines terriens.

Cet état représente en lui-même un état stratégique pour la stabilité générale de la région centre-nord du Venezuela, car c’est le point par lequel circulent quotidiennement les marchandises et les personnes qui vont de l’est à l’ouest et vice-versa. Des millions de personnes y vivent et y cohabitent et il représente un axe fondamental dans le domaine politique et juridique à cause de la proximité du district de la Capitale où sont réunis les sièges des pouvoirs publics vénézuéliens.

En termes de sécurité nationale, de stabilité économique et de rentabilité politique, la signification de la récupération de Miranda par le chavisme est extrêmement importante. Nous allons voir pourquoi.

La vie économique et la surface

Miranda est traditionnellement un pôle économique très important surtout dans le domaine de l’agriculture, de l’industrie et du tourisme. Au nord, entre les montagnes (comme El Hatillo) et les côtes des Caraïbes comme celles de Barlovento, les visiteurs venus d’autres états et même de l’étranger affluent assez régulièrement. Là et vers l’ouest et le sud de l’état, les fermes, les grands potagers et les grands vergers fournissent les villes et les villages de l’état ainsi que Caracas et d’autres états voisins en cacao, fruits, fleurs, légumes divers et céréales par tonnes.

Les secteurs industriels de la manufacture sont concentrés dans les municipalités où la population est le plus pauvre ou appartient à la classe moyenne basse et qui possèdent, par conséquent, des quartiers populaires comme les « barrios » et des résidences qui n’ont rien d’opulent. Par exemple, les municipalités de Sucre (Petare), Plaza (Guarenas), Guaicaipuro (Los Teques), Cristóbal Rojas (Charallave), Lander (Ocumare del Tuy). C’est précisément dans cette partie de Miranda que le chavisme a augmenté son score et que la majorité a élu Rodriguez gouverneur le 15 octobre dernier.

Le dernier recensement (2011) de l’Institut National des Statistiques (INE) enregistre un nombre d’habitants de plus de 2.600.000 et on estime qu’il y en a 3 millions en 2017. Miranda est l’état le plus peuplé du Venezuela, après le Zulia.

Sur les 21 municipalités qui le composent, quatre appartiennent au District Métropolitain de Caracas: Baruta, Chacao, El Hatillo et Sucre. On appelle habituellement cet ensemble « l’Est de Caracas. » A Baruta, Chacao et El Hatillo résident les gens les plus riches non seulement de l’état mais aussi du pays et c’est ce bloc minoritaire de la population qui, traditionnellement, d’un point de vue de classe, affronte les chavistes, dont la majorité appartient aux secteurs populaires.

396 ans après sa fondation, le “barrio” de Petare est le plus important d’Amérique Latine en termes de population. Comme tout « cordon de misère, » – on appelait ainsi les “barrios” dans les années où les paysans se déplaçaient vers les grandes villes (1960-1970), Petare se dessine entre l’autoroute Francisco Fajardo, l’avenue Boyacá également appelée Côte Mille, des zones opulentes comme les Terrasses d’ Ávila, les centres résidentiels de Palo Verde et du fleuve Guaire, ce qui représente environ 70% du territoire de la municipalité de Sucre.

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Le « barrio » géant de Petare vu du satellite

Petare lui-même est composée de 50 secteurs avec de hauts indices de violence criminelle, de gros problèmes dans les services publics et une population qui, selon l’INE, frôle les 400.000 habitants, c’est à dire environ 46% de la population de la municipalité de Sucre. D’autres estimations non officielles donnent à Petare une population de plus de 500.000 habitants, parmi lesquels les gens non recensés – population étrangère, surtout des Colombiens, des Péruviens et des Chinois.

Beaucoup de reportages, émanant pour la plupart de médias d’opposition, ont montré Petare comme un endroit malsain, ultra-violent et en font retomber la responsabilité essentiellement sur le Gouvernement national. Cependant, lorsque Carlos Ocariz était maire de la municipalité de Sucre (2008-2017) et Henrique Capriles gouverneur de Miranda, tous 2 dirigeants du parti d’extrême droite Primero Justicia, les indices de délits ont grimpé fortement, une donnée que les médias anti-chavistes ne mentionnent pas.

L’importance de ce quartier populaire ne réside pas seulement dans le nombre de ses habitants ni dans la para-économie qui se développe en son sein, ni dans la violence criminelle ou dans les illégalités organisées, mais aussi dans sa domination stratégique territoriale.

Les relations de l’est et de l’ouest avec le nord du Venezuela

Alors que Petare constitue un lien direct vers l’est du pays et représente la principale issue vers Guarenas, Santa Lucía et l’est du pays, la capitale de l’état de Miranda (Los Teques) en constitue un vers l’ouest. Des milliers de personnes circulent tous les jours sur les couloirs centraux de la région, entre les montagnes, pour aller d’un côté à l’autre du Venezuela ou pour travailler dans les différents centres (commerciaux, industriels, agro-alimentaires, touristiques) qui constituent la vie économique de ce territoire.

Les voies de communication ont été pensées pour le transport des marchandises et des personnes des villes et des villages de l’état de Miranda vers le centre urbain de Caracas où travaillent et font du commerce la plupart des habitants de Miranda.

Ces routes servent aussi de communication directe et relativement rapide entre les états voisins de Miranda et de Caracas. Ce facteur est important pour comprendre le scénario des violences de bandes paramilitaires.

Les corridors paramilitaires et leurs relations avec des dirigeants de l’opposition à Miranda

La capture et le démantèlement de groupes, d’individus et de campements impliqués dans des activités criminelles par les corps de sécurité et du renseignement de l’État vénézuélien ont été la preuve la plus évidente.

Même si les groupes criminels ont commencé à agir dès 2002 dans l’état de Miranda, il leur a été facile de s’étendre à cause de la permissivité (et souvent de l’implication) de l’ex-gouverneur Radonsky et d’autres membres de la direction de l’opposition.

En 2015, lors du démantèlement de la bande criminelle paramilitaire « Gamma » qui opérait à Dolorita, municipalité de Sucre, Gustavo González López, alors Ministre de l’Intérieur, expliquait : « le para-militarisme est, à la base, une réponse, une structure de l’élite économique, de l’élite financière, de l’élite politique, qui cherche à reprendre le pouvoir par n’importe quel moyen ou de n’importe quelle façon. »

L’assassin de Liana Hergueta, José Pérez Venta, qui fut aussi un militant de Volonté Populaire (VP), a admis en août 2015 avoir reçu un entraînement paramilitaire à Cúcuta (Colombie) sur instructions d’Antonio Rivero. Henrique Capriles, alors gouverneur de Miranda, a été impliqué par ce même Pérez Venta dans des délits en territoire vénézuélien.

En octobre de cette année, González López a informé que 10 paramilitaires qui, d’après lui, faisaient partie d’une bande qui faisait le trafic de drogues de la Colombie vers les îles des Caraïbes et l’Afrique, avaient été capturés dans une grange à los Valles del Tuy : « Les liens sont confirmés par les trafiquants de drogues arrêtés. »

González López a informé sur son compte Twitter en avril 2016 que les corps de sécurité de l’Etat ont détecté et affronté des commandos installés dans des « campements de structure paramilitaire improvisés » dans les municipalités de Páez et d’Andrés Bello, à Barlovento.

En juillet 2016, González López a assuré que l’états-unien Joshua Holt et sa compagne vénézuélienne avaient transformé leur appartement en une véritable planque d’armes militaires à fins privées, et se trouvaient en relation avec des acteurs qui ont impliqué le gouverneur de Miranda. Nous écrivions alors: « (…) le rôle que joue l’opposition vénézuélienne dans cette infiltration d’agents des forces spéciales (comme Holt) a été révélé par le ministre González López suite à la perquisition des services de renseignement et des services de sécurité : « Selon les investigations, les 2 individus ont établi « une relation par internet au contenu  suspect. » Quelques mois plus tard, ils se sont rencontrés en personne en République Dominicaine et 5 jours après l’arrivée de l’états-unien au Venezuela, et sont mariés à la Mairie de la municipalité de Sucre de l’état de Miranda gouverné par Carlos Ocariz du parti Primero Justicia. (..)»

Dans une conférence de presse, à propos de l’affaire Holt, González López avait décrit le paramilitarisme au Venezuela de cette façon : « Cette façon d’agir correspond à des activités propres à des bandes criminelles de paramilitaires qui s’installeraient en territoire vénézuélien avec la protection de secteurs de l’opposition dont la stratégie est le rapprochement avec ces organisations criminelles pour exécuter des activités terroristes en utilisant diverses façades. »

Les informations obtenues montrent l’existence de corridors dans les environs de Petare (La Dolorita, municipalité de Sucre) qui débouchent sur Barlovento, c’est à dire, depuis l’est de Caracas pour arriver à l’est de l’état de Miranda et un autre qui avait comme point central los Valles del Tuy et débouchait au sud de Miranda. Tout cela entre les montagnes, les confluents fluviaux et les installations agricoles : ce qu’on appelle les « raccourcis clandestins», loin de la présence de l’Etat mais proches des yeux des policiers municipaux et des policiers du gouvernement de de l’opposition.

Il faut souligner aussi que le corridor qui part du nord, de la municipalité de Sucre vers los Valles del Tuy débouche au sud et au sud-ouest ainsi que d’autres corridors qui ont déjà été démantelés par l’Etat vénézuélien où opéraient les bandes « d’El Juvenal » et « d’El Picure », des clones de Pablo Escobar à Guárico et à Aragua.

« L’Est de Caracas » : capitale de la “révolution de couleur” au Venezuela

En termes d’anti-politique, les manifestations violentes de l’anti-chavisme entre avril et juillet de cette année ont été l’apogée « naturelle » des expressions de l’opposition dans les zones les plus riches de l’état de Miranda. Les municipalités de Chacao, Baruta et Sucre, en plus des Hauts de Miranda (là où sont concentrées les classes hautes et moyennes, minoritaires au Venezuela) ont été le théâtre des violences les plus importantes organisées par la table de l’Unité Démocratique (MUD), à l’exception des états frontaliers avec la Colombie.

Les marches, les protestations, les troubles, les attaques d’administrations de l’Etat, les sit-in, les barrages de rues, les sabotages de services publics, parmi les tactiques violentes utilisées par les révolutions de couleur destinées à conduire à une insurrection armée, ont été utilisées pendant les 3 mois de 2017 dans diverses municipalités de Miranda dont les habitants ont souvent été les otages.

Les classes les plus hautes de la société sont toujours les commanditaires les plus actives dans ce genre de manifestations, où que ce soit. Au Venezuela, ce sont les plus réactives aussi bien à ce que représente le chavisme en tant que culture radicale et politique qu’à ce que le gouvernement Bolivarien fait en dirigeant l’Etat.

L’ex-gouverneur de Miranda, Henrique Capriles incarne, par sa situation sociologique, cette haine et cette violence de classe. Avec la complicité des corps de police de ces municipalités et  la Police de Miranda (Polimiranda), l’opposition vénézuélienne a réussi des choses qui, s’il n’avait pas été gouverneur de l’état, auraient été un peu différentes. La même chose est arrivée en 2014, au moment de la mise en place du plan « La Sortie » de Leopoldo López et de María Corina Machado.

Auparavant, en mai 2016, la Police de Chacao (Polichacao) a dû être reprise en main par le Ministère de l’Intérieur, de la Justice et de la Paix à cause de la découverte d’un réseau interne de tueurs à gages impliquée dans divers délits déjà jugés, y compris l’assassinat politique du journaliste chaviste Ricardo Durán. En outre, des membres de la police ayant des liens avec l’opposition ont soutenu les actions de mercenaires et des manifestants violents.

En juin 2017, dans le cadre de cette révolution de couleur manquée qui a essayé d’organiser un coup d’Etat contre le Gouvernement du Président Nicolás Maduro et a même encouragé une intervention étrangère des Etats-Unis, le ministre Néstor Reverol a officialisé le contrôle de Polimiranda à cause de l’existence « d’éléments suffisamment convaincants qui impliquent la participation de fonctionnaires (de ce corps de police) à des violations des droits de l’homme et à des réseaux de délinquants. »

A son tour, la négligence du gouvernement de Miranda vis-à-vis de la stabilité et la sécurité des citoyens, s’est exprimée dans l’inéligibilité de Capriles à des charges publiques pendant 15 ans pour faits de corruption et autres irrégularités administratives.

Avec l’Assemblée Nationale Constituante (ANC), la stabilité politique est revenue et a mis un terme à la stratégie de l’insurrection de l’anti-chavisme. Cela a ouvert la voie à l’organisation des élections régionales qui ont vu dans l’état de Miranda la défaite du candidat d’opposition Carlos Ocariz et la victoire du chaviste Héctor Rodríguez. Cette victoire permet de restaurer la paix et de reprendre la lutte contre la forte insécurité locale. Un territoire de moins pour le secteur putschiste de la droite.

Note : (1) Sur les violations des droits humains commises par cette opposition, on peut lire notamment « la rage raciste de l’extrême droite vénézuélienne »https://venezuelainfos.wordpress.com/2017/05/24/la-rage-raciste-de-lextreme-droite-venezuelienne/ et « Venezuela: la presse française lâchée par sa source ? » : https://venezuelainfos.wordpress.com/2015/08/04/venezuela-la-presse-francaise-lachee-par-sa-source/

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Le jeune candidat chaviste Hector Rodriguez, ici en campagne, a gagné son pari de vaincre l’oligarchie locale de Miranda dans les urnes. Ci-dessous, après la victoire – au festival de théâtre de Los Teques et à l’inauguration d’un point d’approvisionnement d’eau désalinisée.

Source: http://misionverdad.com/LA-GUERRA-EN-VENEZUELA/por-que-es-importante-que-el-chavismo-haya-recuperado-el-estado-miranda

Traduction: Françoise Lopez pour Bolivar Infos

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Venezuela – 28 organisations des droits humains demandent le respect du droit au suffrage pour l’Assemblée Constituante

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La présidente de la Fondation Latino-Américaine pour les Droits Humains et le Développement Social (Fundalatin), María Eugenia Russián, signataire de l’appel.

Caracas, le 28 Juillet – Vingt-huit organisations et mouvements de défense des droits humains au Venezuela ont exprimé ce mercredi, leur soutien au processus de vote de l’Assemblée nationale constituante (ANC) qui aura lieu le dimanche 30 Juillet 2017 : « Nous soutenons ce processus électoral constitutionnel convoqué par le Conseil national électoral (CNE), et nous avons l’intention de participer, conformément aux principes démocratiques énoncés à l’article 348 de la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela ». Pour ces organisations, qui vont de mouvements féministes de défense de la femme contre toute forme de violence aux associations qui mènent un travail de mémoire et de dédommagement avec les familles des disparus et des torturés vénézuéliens des années 60-90, l’Assemblée Nationale Constituante « crée une société démocratique, participative, et permettra d’aborder des questions d’intérêt national et de progrès dans la construction de la paix et de la justice. Elle est aussi l’occasion d’aller plus loin, de renforcer et d’élargir l’éventail des droits consacrés par la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela en 1999. Pour ces raisons, en tant qu’organisations des droits humains, nous avons décidé d’installer une équipe avec des délégués de toutes nos organisations, pour développer une proposition liée aux droits humains, aux garanties et aux devoirs, afin de la soumettre à la nouvelle assemblée. »

Les ONG appellent les pouvoirs publics, les organisations et les partis politiques et la société en général à respecter et à protéger le droit de vote: « Ce processus démocratique doit être effectué dans des conditions qui permettent à tous ceux qui le souhaitent de participer librement et de façon responsable au scrutin. En tant que mouvement national des droits humains, nous demandons instamment à tous de respecter la décision individuelle de ceux qui souhaitent élire et électeurs et condamnons toute criminalisation, les menaces, l’intimidation ou ingérence dans l’exercice de ce droit de l’homme, que ce soit par des actions prises par l’État, les partis politiques et leurs membres ou même par les organisations sociales » .

« Nous appelons toutes les parties à faire preuve de sagesse et demandons aux organisations ou aux personnes qui ont publiquement appelé à empêcher ou tenté de dissuader les électeurs de se rendre aux bureaux de vote, à revenir sur leur position, au nom du respect des droits humains de ceux qui veulent participer à ce processus démocratique ».

(NDLR:) Récemment l’ONG vénézuélienne PROVEA, source d’Amnesty International, a publié plusieurs communiqués visant à dissuader les fonctionnaires d’exercer leur droit au suffrage lors de l’élection de l’assemblée constituante, leur rappelant qu’ils pourraient être sanctionnés. Une position surprenante vu les objectifs d’impartialité et de défense des droits supposés de cette ONG. L’ensemble des partis de droite a annoncé publiquement son intention d’empêcher ce scrutin « par tous les moyens ». Le président Trump ainsi que l’Union Européenne ont exigé du Venezuela qu’il renonce à l’organisation de cette consultation démocratique, curieusement occultée par les médias internationaux. Depuis 48 heures, les commandos d’extrême droite ont attaqué des centres de vote, détruit du matériel électoral, incendié ou lancé des explosifs contre des médias communautaires comme Radio Crepuscular (état de Lara) ou Montana TV (état de Tachira), les 27 et 28 juillet. La Présidente du Centre National Électoral Tibisay Lucena, a annoncé que des mesures de protection seront prises pour protéger les électeurs et éviter qu’ils ne soient agressés au moment d’exercer leur droit au suffrage. Elle a expliqué que « l’opposition peut ne pas être d’accord avec l’élection du 30 juillet mais ce qu’elle ne peut faire, c’est l’empêcher, la saboter, ce qui serait antidémocratique. »

Signataires de la déclaration :

1. Fondation Latino-Américaine des Droits de l’Homme et de Développement Social (FUNDALATIN)

2. Comité des victimes de Guarimba

3. Association civile « Sures ». Études et défense et droits de l’homme

4. Institut du développement humain et de l’économie sociale (IDHES)

5. Fondation Ricardo Durán

6. Association des victimes du coup d’État 2002

7. Fondation des familles de militants du droit à la terre victimes d’assassinats au Venezuela.

8. Observatoire National des Prisons .

9. Les victimes du massacre du « Caracazo »

10. Centre Juvénile pour les Droits Humains

11. Front Alberto Lovera

12. Fondation Américo Silva

13. Mouvement Équateur Alfariste bolivarien.

14. Fondation Argimiro Gabaldon

15. Front des Familles IVème République / ASOFACY

16. Conseil pour la défense des droits (José Félix Ribas)

17. Famille et amis Torturés et persécutés politiques (1958-1999)

18. Fondation vénézuélienne du droit au logement (Fundavendervi)

19. Collectif d’Études féministes Aquelarre Caribeno

20. Association des défenseurs des droits humains

21. Association Genre et Classe

22. Association des psychologues pour le socialisme

23. Association « Cantaura est vivant »

24. Association des survivants, amis et familles des victimes du massacre de Yúmare

25. Réseau National des collectifs « Araignée Féministe »

26. Conseil National pour la Défense des Droits Humains à la Santé

27. Fondation capitaine de navire Manuel Ponte Rodriguez

28. Collectif pour l’éducation et la recherche pour le développement social (Ceides).

Traduction : Thierry Deronne

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Le Venezuela lance la campagne des législatives

Ce village est un terrible résumé de ce que fut et de ce qu’est encore aujourd’hui, la Colombie d’Alvaro Uribe. Sauf qu’il se trouve du côté vénézuélien, à 300 mètres de la frontière et qu’il est ironiquement baptisé “La Invasión”. « Je fuyais les paramilitaires et je panique car ici je retrouve mes bourreaux » raconte un réfugié colombien. Avec ses caves secrètes pour cacher les victimes d’enlèvement, ses bordels où étaient violées des centaines de fillettes, “La  Invasión” est aussi une des nombreuses bases de la “para-économie” qui a phagocyté les  2.219 km de frontière entre les deux pays.

Depuis des années les réseaux de contrebandiers extraient chaque jour 30 % des produits subventionnés par le gouvernement bolivarien pour les revendre en Colombie au décuple, au centuple, avec la complicité de nombreux fonctionnaires des deux pays, militaires comme civils. Des millions de litres d’essence (alors que le Venezuela n’exporte pas de carburant en Colombie), des milliers de tonnes d’aliments, de médicaments, de véhicules et de pièces de rechange… jusqu’aux billets de banque vénézuéliens eux-mêmes, vendus au-delà de leur valeur pour repartir acheter dans le pays voisin tout ce qui peut faire du bénéfice en Colombie. Un député colombien a dénoncé que des hôpitaux de Bogota font main basse sur les médicaments à bas prix destinés aux patients vénézuéliens, pour les revendre aux leurs au prix du marché. ECOPETROL, l’entreprise pétrolière colombienne, importe illégalement et… réexporte l’essence vénézuélienne, la moins chère du monde. Depuis des années, la manne des produits subventionnés par le Venezuela socialiste fait vivre un tiers de la population colombienne, soit plus de 16 millions d’habitants des 40 municipalités du Nord du département de Santander (dont 70 % des habitants de Cucuta, ville-frontière qui engrange un bénéfice mensuel estimé à 9 milliards de dollars) et de 15 autres municipalités du département de la Guajira (1). « Alors que les accords avec la Colombie prévoient que toute marchandise sortie en contrebande sera rendue au Venezuela, la Colombie ne nous a pas rendu un seul paquet de riz » explique le vice-Président bolivarien Jorge Arreaza. Pour la chancelière colombienne Holguin, le problème disparaîtra… dès que le Venezuela éliminera ses subventions aux produits de base en faveur des secteurs populaires.

“Non, ne me filme pas le visage !”. Depuis la fermeture de la frontière par le Venezuela, la population locale commence à peine à rêver à la fin de la terreur paramilitaire. Photo: Telesur

“Non, ne me filme pas le visage !”. Depuis la fermeture de la frontière, la population vivant du côté vénézuélien commence à peine à rêver à la fin de la terreur paramilitaire. Photo: Telesur

Trafic de billets de 100 bolivars vénézuéliens. Le nord de la Colombie abrite une mafia composée de centaines de maisons de change, autorisées depuis 2000 par la Banque de Colombie et de banquiers corrompus ayant fui la justice du Venezuela et qui, à travers le site Dólar Today, fixe artificiellement la valeur du dollar parallèle, facteur d’inflation au Venezuela.

Trafic de billets de 100 et 50 bolivars vénézuéliens. Le nord de la Colombie abrite une mafia composée de centaines de maisons de change, autorisées depuis 2000 par la Banque de Colombie, et de banquiers corrompus ayant fui la justice du Venezuela. A travers le site Dólar Today, ce réseau fixe la valeur du dollar parallèle, facteur d’inflation au Venezuela.

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Puerto Portete, un port sous contrôle exclusif des paramilitaires qui exploitent les indigènes de la Alta Guajira pour charher et décharger les tonnes de produits volés au Venezuela.

Puerto Portete, un des ports sous contrôle exclusif des paramilitaires qui exploitent les indigènes de la Alta Guajira pour charger et décharger les tonnes de marchandises pillées quotidiennement au Venezuela.

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Ce camion-citerne sortait chaque mois 100 mille litres de combustible vers la Colombie, un trafic qui dans l’État d’Apure est également organisé par la guérilla de l’ELN (Ejercito de Liberación Nacional)

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Transport par voie fluviale : les barils portent les sigles des cartels colombiens ou, dans ce cas, de la guérilla auxquels ils sont destinés…

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La fermeture partielle de la frontière

C’est après que des paramilitaires ont fait feu sur les soldats vénézuéliens qui allaient les arrêter, le 19 août dernier, que le président Maduro a ordonné le démantèlement de “La invasión” et fait fermer la frontière de l’État du Táchira avec la Colombie. L’objectif est de libérer la population de la terreur paramilitaire et de construire un territoire de paix : “nous considérerons les cas des familles exploitées qui auraient besoin de logements sociaux. Nous rouvrirons la frontière quand le gouvernement colombien fera cesser l’extraction illégale de nos produits vers son territoire et les attaques à notre monnaie”.

Il y a un an nous avons dénoncé le danger de l’intromission des paramilitaires colombiens au Venezuela. Aujourd’hui il se confirme que c’est une réalité” a twitté Ernesto Samper, Secrétaire général de l’Union des Nations Sud-Américaines (Unasur) et ex-président de la Colombie. (2)

Ces 9 dernières années, près de six millions de colombien(ne)s ont fui leur pays pour chercher la paix et un travail au Venezuela. Le dernier exode a eu lieu lors de la grève paysanne de 2013 : quelques 150 personnes parmi lesquelles des femmes, des enfants et des vieillards fuirent au Venezuela par crainte des attaques continuelles de la Force Publique contre les paysans. De tous ces sans terre, déplacé(e)s, persécuté(e)s fuyant la misère, les massacres, les fosses communes, les “faux positifs” et les extorsions des paramilitaires, beaucoup furent légalisés sur l’initiative de Hugo Chavez pour qu’ils puissent bénéficier des programmes sociaux, du Droit du travail, de l’accès aux études supérieures. Profitant de cette politique, des milliers de paramilitaires se sont infiltrés dans le pays d’accueil, allant jusqu’à chasser des familles vénézuéliennes de leurs logements sociaux pour y monter des bases du trafic de drogue et de contrebande vers la Colombie. De temps à autre, ces “cellules dormantes” reçoivent les instructions d’Alvaro Uribe pour épauler les violences de l’extrême droite locale (que les médias occidentaux transforment en “révoltes populaires”) ou pour commettre des assassinats sélectifs (tel ceux de dirigeants communaux dans l’État de Lara ou du jeune député bolivarien Robert Serra et de sa compagne). (3)

Depuis la fermeture de la frontière, les forces armées du Venezuela ont arrêté une dizaine de chefs paramilitaires, remis aux autorités colombiennes. Les assassinats ont cessé (on en comptait vingt par jour dans l’état de Tachira). Les pompes à essence et les supermarchés ont rouvert, et les files d’attente se résorbent malgré les menaces persistantes de la mafia contre les commerçants vénézuéliens. C’est à Cucuta (Colombie) que les pénuries se sont déplacées avec les premières files d’attente d’automobilistes et l’envol des prix des denrées de base. Forte de son monopole médiatique, l’oligarchie colombienne répond par une campagne “nationaliste” contre “le dictateur Maduro qui piétine nos droits comme colombiens”.

Où est passée la droite vénézuélienne ?

Alors qu’elle comptait sur la guerre économique et l’internationale médiatique pour mettre à genoux le gouvernement bolivarien et remporter haut la main les élections législatives du 6 décembre prochain, la droite vénézuélienne vit les pires heures de son existence, en proie aux divisions, proche de l’implosion. Les révélations sur ses liens avec la mafia uribiste n’ont rien fait pour améliorer son image (4). Mais ce sont sa mise à l’écart de la nouvelle génération, sa misogynie et son racisme persistants, ses nominations autoritaires d’entrepreneurs blancs comme candidats aux législatives, qui ont fait se révolter une partie de sa base et fait voler en éclats l’unité de ses partis. Ses manifestations se vident de militants et certains députés ont fait défection comme Ricardo Sánchez qui se présentera aux élections de décembre sous l’étiquette bolivarienne. (5)

Une guerre économique à double tranchant

Pa’lante queda lejos pero par’atrás queda más lejos aún” : “aller de l’avant, c’est loin mais retourner en arrière c’est encore plus loin”. Ce graffiti de Caracas parle de ce qui reste la seule voie raisonnable pour une majorité. Si le socialisme bolivarien reste en tête des intentions de vote dans les sondages de firmes privées, le salut de la droite ne peut venir que de l’abstention massive de secteurs populaires poussés à bout par la guerre économique. 80 % des médias et de l’économie restent aux mains du secteur privé et à mesure que le temps passe, le mécontentement populaire face à des prix hors de contrôle grandit mais s’adresse autant aux mafias d’un secteur privé dominant qu’au gouvernement, aux incapacités et aux lenteurs de son action. Les gens savent que ce n’est pas Nicolas Maduro qui organise les pénuries, fait monter l’inflation ou le dollar parallèle mais veulent une réaction forte et une solution rapide de la part de l’État. Les mesures décidées récemment par le président comme la fermeture partielle de la frontière avec la Colombie, l’opération d’envergure lancée le 13 juillet pour démanteler les cellules paramilitaires, avec la restitution de logements sociaux aux familles dépossédées, l’organisation d’alternatives économiques avec les communes et l’accélération des investissements productifs, recueillent l’approbation d’une majorité de sondés. (6)

Comment faire rentrer la population vénézuélienne dans le  storytelling?

Bien sûr il ne faut pas sous-estimer la contre-offensive de la droite latino-américaine toujours à la recherche de nouveaux relais (courant droitier du mouvement indigène en Équateur (7), “ONGs écologistes” opposées au canal interocéanique au Nicaragua, para-maras au Salvador, secteurs populaires déçus au Brésil, etc..). Mais le fait qu’elle doive jouer les cartes de la violence et la déstabilisation médiatique révèle l’absence de projet politique et la faiblesse sociale à long terme. D’où la nervosité des médias occidentaux qui de CNN au Monde n‘hésitent plus à sortir du bois pour réaliser leurs désirs : “pillages au Venezuela”, “chute imminente de Dilma Roussef” ou “forte mobilisation contre Rafael Correa”.

Le réel suivra-t-il les médias ? (8)

Le Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV) fut lui-même surpris, en juin dernier, par l’affluence de ses propres partisans – en pleine guerre économique – à une simple élection primaire en vue de désigner leurs candidats, en majorité des femmes et des jeunes, au scrutin qui renouvellera l’assemblée nationale en décembre prochain.

Le sociologue Franco Vielma explique que “le pouvoir ancien s’était fait une spécialité d’éviter l’implosion des classes populaires, en démontant tout catalyseur qui nous mènerait au changement politique. La nature du pouvoir institué fut précisément cela : se préserver, tout préserver. C’est ce qui a changé au Venezuela. Les institutions ont accouché d’un Venezuela qui explose tous les jours. (..) Tous les jours il y a des escarmouches entre le pouvoir institué et le pouvoir émergent. Au Venezuela depuis deux ans la relation entre “entrepreneurs et consommateurs” a cessé d’être « harmonieuse » (comme on nous l’affirmait jadis).” (9)

Il faut prendre en compte, aussi, l’étape nouvelle que représente la présidence de Nicolas Maduro. Hugo Chávez était pris par le vertige d’une transformation rapide, passionné par sa vision d’un Venezuela enfin réuni avec ses frères latino-américains, caraïbes et africains, un pays préférant lire que regarder la télé, souverain, sans pauvreté, économiquement puissant, au point qu’il voulait être de toutes les batailles à la fois, et faire vite. Cette énergie très personnelle (qui servit aux médias à fabriquer l’image d’un “caudillo”) et ce volontarisme paradoxal dans le désir d’accélérer la participation populaire, contrastent avec la méthode de Maduro.
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Dès son élection à la présidence en avril 2013, celui-ci a dû assumer tous les fronts à la fois : insécurité, corruption, inflation, guerre économique, improductivité nationale, déstabilisation tous azimuts d’une droite excitée par la mort de Chávez. Mais dans sa recherche d’une réponse structurelle, le président a forgé sa méthode : mettre la population face à ses responsabilités, donner un rang présidentiel aux conseils de mouvements sociaux, attendre que ceux-ci formulent leurs propositions pour prendre les décisions “de commun accord” (10). Cet espace nouveau – que certains critiquent comme “faiblesse” de Maduro – implique une responsabilité plus collective, où les femmes et les jeunes en particulier, le monde du travail en général, ont leur place à prendre. Après les fulgurantes étapes de montagne des années Chávez a commencé la marche en terrain plat, réputée plus difficile.

Thierry Deronne, Caracas, 30 août 2015
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Marche populaire contre le paramilitarisme et pour la paix à Caracas le 27 août 2015. Nicolas Maduro était présent, à quelques heures de s’envoler vers le Vietnam et la Chine pour un renforcement du partenariat économique. Pour déminer la xénophobie anti-colombienne qui se nourrit des exactions des paramilitaires, le président vénézuélien a brandi les drapeaux des deux nations, invité un musicien colombien à ouvrir le meeting et répondu à l’oligarchie de Bogota : “Nous ne sommes pas anti-colombiens. Nous sommes anti-mafia et anti-paramilitaires”.

Marche populaire contre le paramilitarisme et pour la paix à Caracas le 27 août 2015. Nicolas Maduro était présent, à quelques heures de s’envoler vers le Vietnam et la Chine pour un renforcement du partenariat économique. Pour déminer la xénophobie anti-colombienne qui se nourrit des exactions des paramilitaires, le président vénézuélien a brandi les drapeaux des deux nations, invité un musicien colombien à ouvrir le meeting et répondu à l’oligarchie de Bogota : “Nous ne sommes pas anti-colombiens. Nous sommes anti-mafia et anti-paramilitaires”.

Notes :

  1. Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les files d’attente au Venezuela sans jamais oser le demander http://wp.me/p2ahp2-1J7 , et sur les caractéristiques de la contrebande locale : http://www.rnv.gob.ve/tras-la-medida-vendidos-1-millon-de-litros-menos-de-gasolina-en-tachira/ ; http://www.correodelorinoco.gob.ve/nacionales/cucuta-venden-billetes-bs-100-aplicando-operacion-tres-patas/
  2. http://www.conelmazodando.com.ve/ernesto-samper-incursion-de-paramilitares-colombianos-en-venezuela-es-una-realidad/
  3. Les clefs de la mort d’un jeune député bolivarien et de sa compagne, http://wp.me/p2ahp2-1Fu ; http://www.noticias24.com/venezuela/noticia/292237/los-alcances-del-paramilitarismo-la-mano-colombiana-detras-de-los-crimenes-en-venezuela/
  4. “Venezuela : la presse française lâchée par sa source ?”, http://wp.me/p2ahp2-20J ; Voir aussi http://www.noticias24.com/venezuela/noticia/292237/los-alcances-del-paramilitarismo-la-mano-colombiana-detras-de-los-crimenes-en-venezuela/
  5. Démocratisation des élections : la lutte entre l’ancien et le nouveau au Venezuela http://wp.me/p2ahp2-1TS et La misogynie de l’opposition vénézuéliennehttp://wp.me/p2ahp2-1ZO Sur la faible affluence aux manifestations de la droite : http://www.prensa-latina.cu/index.php?option=com_content&task=view&idioma=1&id=4076391&Itemid=1 , http://www.correodelorinoco.gob.ve/nacionales/mud-admitio-escasa-asistencia-a-marcha-realizada-caracas/ ; Sur les divisions internes : http://www.ultimasnoticias.com.ve/noticias/actualidad/politica/gomez-sigala-en-la-mud-se-repartieron-el-botin-de-.aspx , http://www.avn.info.ve/contenido/entre-divisiones-seis-partidos-pol%C3%ADticos-se-desligan-mud-cara-parlamentarias , http://www.avn.info.ve/contenido/partidos-opositores-dejan-sola-mud-para-elecciones-parlamentarias ; Sur l’absence de projethttp://www.celag.org/economia-en-venezuela-la-oposicion-y-su-vuelta-al-pasado-por-alfredo-serrano-mancilla/#sthash.rHcP0QPW.dpuf
  6. Sur le soutien de la population vénézuélienne aux opérations anti-paramilitaires : http://www.avn.info.ve/contenido/hinterlaces-87-poblaci%C3%B3n-respalda-operativo-liberaci%C3%B3n-y-protecci%C3%B3n-al-pueblo et la récupération de logements sociaux : http://www.aporrea.org/poderpopular/n275828.html ; Sur les mesures alternatives économiques : http://www.avn.info.ve/contenido/venezuela-se-afianza-poder-comunal-para-construir-econom%C3%ADa-productiva-y-vencer-guerra-econ et http://www.avn.info.ve/contenido/gobierno-dise%C3%B1ar%C3%A1-plan-especial-abastecimiento-productos-y-defensa-precios-justos
  7. Sur le soutien de la CONAIE indigène par les partis néo-libéraux en Équateur, lire la récente analyse de Romain Migus:  http://www.romainmigus.com/2015/08/tentatives-de-destabilisation-en.html
  8. Sur les désirs frustrés des médias occidentaux : http://albaciudad.org/wp/index.php/2015/08/cnn-en-espanol-reconoce-haber-mentido-sobre-supuestos-saqueos-en-venezuela/ Traduction en français: http://cubasifranceprovence.over-blog.com/2015/08/venezuela-cnn-reconnait-avoir-menti-sur-les-pillages-au-venezuela.html
  9. Article de Franco Vielmahttp://misionverdad.com/la-guerra-en-venezuela/habra-un-estallido-social-en-venezuela
  10. « La commune, coprésidente du Venezuela »http://wp.me/p2ahp2-1ev

URL de cet article : http://wp.me/p2ahp2-21z

« Comment nous avons ouvert les yeux »

articuloSi l’on souhaite précisément localiser le lieu dont on va parler, il faut dire qu’il dépend du quartier Altagracia. Ceux de San José, Cotiza, La Pastora le flanquent à l’ouest, et celui de Catedral, au sud. En fait, c’est un grand corredor (zone à couvrir qui regroupe divers quartiers, où existent des Communes constituant de ce fait une unité socio-territoriale spécifique, dont il faut reconnaître l’unité) qui s’étend sur la vaste plaine de Narauli.

Jaskeherry -Kerry- Rivas, 26 ans, qui est né et vit dans le secteur La Esperanza, du quartier El Retiro (Altagracia) précise: « Avant, il n’y avait aucune division, tout le secteur qui correspond au piedmont d’Avila, on l’appelait Cotiza. De plus, on considère que l’on est coticeño (du quartier de Cotiza), d’Avila jusqu’à Chapellin ».

Jaskeherry est tout à la fois sportif avéré et disc-jockey de salsa. C’est une figure notoirement connue des jeunes gens de son secteur et des communautés attenantes. Sa largeur de vue, il la doit certainement au fait qu’il a fréquenté une multitude d’organisations locales. Toutefois, vivre dans son quartier d’origine, est sa seule et unique quête.

« A l’âge de 15 ans, on a rejoint les équipes de travail volontaire. Cela fait plus de 10 ans maintenant. A la même époque, on a réalisé un recensement au collège. Sur 100 gamins, 70 d’entre eux sont morts avant d’avoir atteint les 18 ans, victimes de la délinquance et de la drogue. On sait maintenant que cette hécatombe est le fruit d’un système. Avant on ignorait tout cela, jusqu’à ce que l’action menée par Chavez a réussi à élever notre niveau de conscience. Ici, on est tous convaincus que c’est bel et bien le système capitaliste qui nous détruit à petit feu, à travers la drogue et le consumérisme débridé ».Captura de pantalla 2014-07-26 a la(s) 21.20.13

Actuellement, une équipe de travailleurs auxquels les jeunes du coin prêtent main forte, s’occupent de la réalisation des projets communautaires. Sur le grand groupe de volontaires qui a vu le jour il y a 10 ans, seuls 5 d’entre eux sont encore d’attaque aujourd’hui.

On commence néanmoins, à recueillir les dividendes de ces longues années d’activités.

La première action à laquelle Kerry a participé, c’est la réalisation d’un double terrain de foot-ball et de basket. « Avant cela » dit-il, « il n’y avait rien. On a peu à peu aménagé le terrain, pour aboutir à ce que l’on voit maintenant. On garde vraiment le souvenir d’une grande tâche, réalisée collectivement. Tous les camarades y ont participé. Je voudrais tout de même citer le nom de ceux qui ont été partie prenante de cette initiative, et qui ont rejoint les rangs de la première équipe de basket du secteur H2O : Maicol, Tusa, Cesita et Gasparin mon frère. Qu’il repose en paix maintenant ».

La mission que Kerry s’assigne, ne se cantonne pas au secteur où il vit. Elle s’étend à l’ensemble du maillage territorial correspondant à la grande Communauté actuelle : la Commune Zone Nord Altagracia, formée de l’agrégation des secteurs tels que Villas del Sol, La Esperanza, Terrazas del Avila, El Retiro I, El Retiro II, Nueva Esperanza Revolucionaria, Sol de Caraballo, José Maria Vargas, Brisas del Avila, Gracia de Dios, Providencia et Alcantamar.

Pour en revenir au terrain de sport, il faut préciser qu’avant sa création, cette zone était passablement hostile. Il était en effet courant de tomber sur les cadavres de personnes victimes de règlements de compte entre bandes rivales. De plus, la violence qu’engendrait la lutte pour le contrôle des territoires où écouler la drogue, était monnaie courante ici.Captura de pantalla 2014-07-26 a la(s) 21.18.45

On en était là, jusqu’au moment où la communauté -bardée d’un armement bien plus pacifique relevant du registre de l’argumentation et de projets à réaliser- décide de faire entendre sa voix.

Kerry :« On s’est extirpé de notre indolence une fois pour toutes, et on a rapidement compris que la pacification de ce secteur violent passait par sa réappropriation, pour en faire un espace récréatif pour les gamins. D’une manière plus générale, nous sommes également convaincus que l’on a pu sortir de cette impasse -et pas uniquement ici- du fait qu’on a ouvert les yeux des jeunes. C’est Hugo Rafael Chavez qui a rempli ce rôle ».

Avant, il était malheureusement facile de dénombrer tous les coups de feu tirés en une heure de temps. Désormais, ce sont les acclamations accompagnant les buts marqués par les équipes du coin, qu’on entend à longueur de journée.

Il suffit d’une étincelle, et toute la prairie s’enflamme.

Cette étincelle a bien accompli son travail. En effet, de nombreuses communautés ont commencé à s’apercevoir qu’il était possible de sortir de ce cercle vicieux. Kerry : « Oui, effectivement, aujourd’hui on s’affronte encore ici. Mais cette confrontation se fait à l’aide d’une balle aux pieds, d’une batte à la main pour jouer au base-ball. On pense aussi à prendre du bon temps ensemble, en flânant. Ce qui importe surtout, c’est que désormais, il n’est plus nécessaire de tuer pour survivre ».

Tout en haut du quartier de La Esperanza, se situe un îlot d’urbanisation baptisé Villas del Sol. On peut recueillir ici de nombreux témoignages qui attestent du fait que le Président Chavez en personne, s’est déplacé au moment où ce secteur était en pleine restructuration. Pourvu d’un déguisement adéquat (une perruque, des lunettes ou des moustaches), il s’est promené du côté de La Cota Mil. Toutefois, quand les gens du coin l’ont reconnu, il a été fêté et traité comme un roi. La rumeur a enflé de telle manière, qu’en peu de temps, toutes les rues adjacentes ont été littéralement prises d’assaut. C’est Kerry qui nous rapporte tout cela. Il insiste également sur le fait que plus d’une fois, Chavez s’est personnellement heurté aux bandes de délinquants qui écumaient la zone. « C’est ainsi que l’idée nous est venue d’aborder ces problèmes différemment. La venue du Président de la République bolivarienne, sa présence parmi nous, nous a gonflé à bloc. »Captura de pantalla 2014-07-26 a la(s) 21.20.28

De cet état de fait découlera la décision collective de s’organiser sérieusement : l’aficionado de basket-ball réunira une belle équipe autour de lui ; il en sera de même pour celui qui sera en charge du base-ball ; l’apprenti DJ réunira patiemment les fonds pour faire l’acquisition du matériel idoine; le chanteur amateur suivra à peu près la même voie, cherchant à améliorer ses propres performances vocales. Kerry : « On peut en conclure qu’à ce jour, de nouvelles perspectives s’ouvrent à nous, du fait du chemin parcouru. Evidemment, abandonner le quartier à ce stade, après tous ces efforts, ce serait contre-productif, tant sur le plan personnel, que collectif. Mais on est bien décidé à rester ici, et à poursuivre ce cheminement tous ensemble ».

Aujourd’hui, Kerry vient en aide à des jeunes de la zone (qu’ils soient ou non originaires du secteur) en veillant à leur intégration aux divers programmes de développement communautaire. Dans cette optique, les potentialités de chacun d’entre eux sont mises au service de tous. Les réunions étaient initialement destinées à mettre les jeunes gens en relation avec les diverses organisations sportives locales. Sportives, mais également, culturelles et récréatives. Kerry : « à ce jour, nous en sommes à la formalisation de multiples commissions ad hoc. On en compte 16 pour l’instant : sport, culture, communication, formation, finances, orientation et diversité sexuelles, politique étrangère et internationale, et de nombreuses autres, dont l’appellation m’échappe pour l’instant ».

Pour être plus précis, à Altagracia, Kerry s’emploie en ce moment, à structurer une nouvelle équipe de travail, en relation avec les mères de famille, parties prenantes des réunions organisées avec la jeunsesse du Parti Socialiste Unifié du Venezuela (JPSUV) . L’idée consiste à fusionner les aptitudes que chaque jeune recèle en lui -des jeunes de la Commune Zona Norte-afin de les placer au service de la collectivité, de l’intérêt général. On pense aussi à la période des congés, puisqu’une équipe s’est cristallisée autour de cette thématique.

A 17 ans, Franyeli Mota est chargée de l’élaboration des diverses stratégies communicationnelles qu’il s’agit d’activer à travers le vecteur des Arts graphiques. Elle vient tout juste de terminer son parcours dans le secondaire et s’attelle à la recherche d’une Université susceptible de lui permettre de suivre un cursus en Conception graphique.Captura de pantalla 2014-07-26 a la(s) 21.19.22Captura de pantalla 2014-07-26 a la(s) 21.19.57

Franyeli et Drexler Daniel Veliz Diaz sont de la même famille. Drexler à 16 ans, et sa discipline de prédilection, c’est le sport. Diana Briceno et ces deux derniers, sont voisins. C’est la raison pour laquelle ils ont uni leur force en rejoignant tous ensemble le secteur récréatif mis en place dans le cadre du plan « Congés/vacances ». Antony da Silva a le même âge que Drexler. Il suit les cours du soir au lycée, car il souhaite ardemment intégrer les rangs de l’Inces  (Institut National de formation professionnelle).

Quant à Gilbeny Romero qui est issu de l’OP 6, il se consacre à l’art urbain du tag. Il a rejoint le collectif en suivant un parcours analogue à ses camarades : grâce à sa mère ? .Pour l’instant, on ne peut pas dire qu’il soit très prolixe.

Kerry : « Contrairement à ce l’on peut penser, nous savons d’expérience que le dossier jeunesse est complexe. Il faut garder à l’esprit que notre objectif majeur, c’est capter l’attention des gamins, bien les recevoir, puis les insérer en douceur au sein du groupe organisé déjà existant. Il ne faut en aucune manière les faire fuir. Par la suite, chacun apportera sa part à l’ordonnancement du projet collectif ». Voici exposés les termes d’une réorganisation générale -concernant notamment la Commune Zona Norte Altagracia- dont on ne perçoit ici, qu’une infime partie. Dans ce cas de figure, on rompt radicalement avec le découpage politico-territorial traditionnel des quartiers, pour se donner une capacité d’intervention autrement cohésive touchant un vaste territoire, une sorte de grande Commune.

A 24 ans, Adrian Bielostotzky est le pacifique « compagnon d’armes » de Kerry, depuis les origines. Ensemble, ils ont été les maîtres d’oeuvre de la lutte pour l’organisation du secteur, dont ils sont familiers. Adrian a plus d’une flèche à son arc, car il a été parmi ceux qui ont accompli un très important travail volontaire destiné à substituer sur tout le territoire de La Esperanza, le sport aux impasses tragiques de la drogue et de la délinquance. Dans ce travail, Nairoby Noguera lui a prêté main forte. Ils ont le même âge. Ensemble, ils ont été les instigateurs d’événements et rendez-vous sportifs. Un levier destiné à éradiquer la violence et le contexte social qui l’accompagne.

On se souvient de Salvador Allende, lorsqu’il a déclaré que « ne pas être révolutionnaire quand on est jeune, relève quasiment d’une contradiction biologique ». Eh bien, cette phrase Kerry se l’approprie et caractérise ainsi l’ensemble du travail qu’il accomplit (avec ses camarades) sur le terrain.

Texte : Mabe Chacín. Photographies : Jonathan Medoza.

Source : http://www.ciudadccs.info/wp-content/uploads/2014/07/20/EPALEN89_WEB.pdf

Traduction : Jean-Marc del Percio

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Nicolas Maduro reprend l’initiative. Retour de la paix… et du Carnaval.

A la fin de janvier 2014 s’est produit un fait inédit : des leaders de l’opposition et le gouvernement ont commencé à plancher ensemble sur la sécurité citoyenne, à la suite de l’appel de Nicolas Maduro à construire un “agenda commun”. Ce dialogue fut interrompu par la tentative de coup d’État d’une extrême droite qui refuse le choix de la majorité des électeurs (1).

Ce 1er mars, tandis que ces groupes violents, bien qu’encouragés par les mensonges des médias internationaux, se désagrègent, la firme privée de sondages International Consulting Services indique que 80,9% des vénézuéliens appuient l’initiative du président Maduro de reprendre le dialogue national pour la pacification du pays.

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International Consulting ServiceDans cette enquête (2) réalisée les 27 et 28 février dans 900 foyers des principales villes du pays avec une marge d’erreur de 3%, 85,4 % des persones interrogées se disent en désaccord avec la poursuite des manifestations et 91,3% en faveur du respect strict de la Constitution.

Le 27 février des représentants des mouvements sociaux, politiques et religieux, des intellectuels et des leaders de l’opposition ont répondu positivement à l’invitation de Maduro à reprendre les travaux à Caracas (photo). Seule la “Plate-forme de l’Unité Démocratique” (MUD, droite) a refusé d’y participer. Ce que 72 % des vénézuéliens sondés par ICS considèrent comme une mauvaise décision.

image_previewUn refus également critiqué par la présidente argentine Cristina Fernandez qui a recommandé le 1 mars à l’opposition vénézuélienne ”d’attendre les prochaines élections pour tenter sa chance dans les urnes, sans mettre en péril la démocratie, ou de faire usage en 2016 du référendum révocatoire, le Vénézuéla est le seul pays du monde, en tout cas de la région, où existe le droit de demander la révocation d’un président à mi-mandat”.  “Croyez-moi, a t-elle ajouté, il serait fatal pour toute la région, pour cette intégration latino-américaine dans laquelle nous avons tant avancé en résolvant tant de problèmes sans intervention externe, de permettre que des vents extérieurs détruisent un pays frère, c’est pourquoi indépendamment des idées, nous devons défendre la démocratie et condamner la tentative de coup d’État contre la République Bolivarienne”. (3)

Dilma RousseffLa Présidente du Brésil Dilma Roussef s’est exprimée dans le même sens il y a quelques jours lors d’une conférence à Bruxelles au sortir d’une réunion avec l’UE, appelant à “défendre la démocratie vénézuélienne, que nous devons considérer depuis ses nombreuses avancées sociales”, rappelant comme son homologue argentine que “le Venezuela  a organisé 19 scrutins électoraux en 14 ans”.

Camila Vallejo : « le mouvement de certains étudiants vénézuéliens n’avait rien à voir avec le nôtre »

Camila VallejoPour la chilienne Camila Vallejo, ex-dirigeante du mouvement étudiant, récemment élue députée, “au Chili, tout(e) étudiant(e), personne ou travailleur(se) qui veut s’informer à travers les médias voit une guerre civile, comme si on violait les droits humains au Venezuela. Il y a une Alliance entre la droite, les États-Unis et les grands médias pour montrer quelque chose qui n’est pas réel. Le mouvement de certains étudiants vénézuéliens n’a rien à voir avec le nôtre. Nous, nous avons lutté pour tenter d’obtenir une éducation publique et gratuite comme celle qui est déjà garantie au Venezuela. Il y a un processus bolivarien que nous devons défendre parce qu’il a démontré qu’en Amérique Latine il est possible que le peuple soit propriétaire des ressources naturelles et puisse vivre et croître en conditions d’égalité et jouir de droits sociaux qui lui étaient refusés jusqu’ici. Il est d’autant plus important de le défendre dans ce contexte de déstabilisation politique qui ne bénéficie qu’à des intérêts égoîstes et à des grands groupes économiques. L’opposition est légitime, nécessaire et fait partie de toute démocratie. Mais il faut respecter les échéances électorales et le processus démocratique. Nous appuyons le dialogue de paix organisé par le président Maduro pour protéger ce processus et empêcher toute tentative de coup d’État.

Le gouvernement bolivarien compte désormais sur le soutien de l’ensemble de ses pairs latino-américains (UNASUR, ALBA, MERCOSUR et de 120 gouvernements du Mouvement des Pays Non-Alignés).  Comme l’écrit le politologue argentin Juan Manuel Karg (4), “le gouvernement bolivarien semble reprendre fortement l’initiative. Le large consensus sur la nécessité de pacifier la conjoncture politique du pays montre un antagonisme clair avec le cycle de protestations de rue menées contre le gouvernement ces deux dernières semaines.”

La violence qui était au départ confinée à 19 municipalités sur 335, c-à-d à celles où prédominent les classes aisées ou le paramilitarisme colombien, puis à 15, puis à 6, a dû refluer faute de base sociale. La grande majorité des vénézuéliens, qu’indiffère « la violence d’une poignée de fils à papa » est descendue dans la rue… pour fêter le Carnaval.

Concert public de salsa, Caracas, 1 mars 2014.

Concert public de salsa, Caracas, 1 mars 2014.

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BhvLg0xCYAEQh5gBhqCgPPIMAAuxDB.jpg largeBhvQTgbCYAEgNxNOn s’attend à un mouvement d’environ 17 millions de personnes  à l’intérieur du  territoire. Tous les billets d’avion (en interne et pour l’étranger) ont été vendus. Alors que l’extrême droite avait affirmé  manifester “contre la vie chère” – une thèse reprise par les médias du monde entier – ce boom s’explique par la hausse des salaires, la baisse du chômage (5) et les subventions au tourisme populaire. Malgré la guerre économique et l’inflation, un nombre croissant de citoyens peut jouir de vacances. Une ambiance très “Front populaire”  – lorsque les premiers congés payés en France (1936) virent les familles de travailleurs débarquer sur la Côte d’Azur, au grand dam de la bourgeoisie.

T. D., Caracas, le 2 mars 2014.

Notes :

(1)  Voir l’article de Maurice Lemoine https://venezuelainfos.wordpress.com/2014/02/20/strategie-de-la-tension-au-venezuela-par-maurice-lemoine/

(2)  http://www.avn.info.ve/contenido/ics-809-venezolanos-apoya-conferencia-paz

(3)  Lire http://www.telesurtv.net/articulos/2014/03/01/cristina-fernandez-ratifica-apoyo-a-democracia-de-venezuela-3857.html

(4) http://www.telesurtv.net/articulos/2014/02/28/camila-vallejo-201chay-una-alianza-entre-la-derecha-internacional-y-el-gobierno-de-ee.uu201d-994.html

(5)  Lire “Nicolas Maduro retoma la iniciativa” de Juan Manuel Karg, http://www.rebelion.org/noticia.php?id=181465

(6)  Voir https://venezuelainfos.wordpress.com/2014/01/22/venezuela-laugmentation-du-salaire-et-la-baisse-du-chomage-continuent/

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2014/03/02/nicolas-maduro-reprend-linitiative-retour-de-la-paix-et-du-carnaval/

Vers les rives de l’Arauca

Un jour au hasard du temps invisible dans les médias. La pluie tambourine sur l’arsenal remis aux autorités par 97 groupes du quartier populaire 23 de enero. On broie les armes et le délégué communal explique : « elles nous ont servi autrefois à nous défendre des gouvernements sociaux-démocrates, elles sont vaines aujourd’hui » avant de lire un par un l’intitulé et les responsables d’une trentaine de projets productifs, socio-culturels. Le président Maduro exige des ministres présents qu’ils prennent rendez-vous avec chacune des organisations pour leur transférer des ressources «qui n’appartiennent pas au gouvernement mais au peuple». Les armes seront fondues et transformées en poutrelles pour les milliers de chantiers de la Grande Mission Logement.avn

On pariait peu, il y a quelques mois encore, sur l’appel à désarmer lancé par Maduro. Les médias privés nationaux ou internationaux avaient reconduit le cliché de Caracas-sanglante-capitale-du-crime. Mais la république bolivarienne n’est plus une photo du scénario occidental. Alors que depuis 2006, dans un Mexique sur orbite états-unienne, 116.000 citoyens ont été assassinés par les cartels de la drogue et les forces de sécurité, le Venezuela forme sa police nationale bolivarienne aux droits humains et a réduit de 30 à 50 % les homicides en quelques semaines. La récupération des espaces publics, la réforme de la justice et du système pénitentiaire, l’appui aux mouvements urbains de jeunesse visent le même objectif. En septembre 2013 la rentrée des classes, avec distribution de 35 millions de livres et d’ordinateurs gratuits, permet aux écoliers, comme l’explique Nicolas Maduro, «d’apprendre non plus à manier une arme mais à construire et à interpréter des personnages, à pratiquer des sports, à s’initier à l’art de jouer du violon. Chaque commune pourra disposer de son propre réseau de théâtre ».

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Groupe de jeunes musiciens vénézuéliens avec Nicolas Maduro à la batterie (septembre 2013)

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Le Mouvement Théâtral César Regifo va se développer progresssivement dans toutes les écoles à partir de la rentrée 2013 (ici à l’Escuela Nacional Básica San José, sept. 2013)

Ce même jour, pendant qu’on broie des armes, une équipe de l’entreprise nationalisée PDVSA inaugure au large des Caraïbes le plus grand gisement de gaz ; Maduro tient une autre réunion avec les militants de tout le pays pour réviser le financement et relancer toutes les missions sociales pour des millions de vénézuéliens ;  de nouvelles communes s’auto-organisent dans l’État de Lara; à la frontière colombo-vénézuélienne les chanceliers inaugurent une douane dans une zone contrôlée par les mafias du carburant et des aliments. La stratégie de Chavez – la paix avec les colombiens – a contribué à faire reculer le paramilitarisme de Uribe. Pour la première fois des mouvements sociaux imposent leur dynamique au gouvernement Santos, connectent un nouveau champ politique au reste du continent. Dans la quête de sa seconde indépendance, l’Amérique Latine voit son horizon intérieur s’élargir.

Obstacles externes et internes

Comme chaque jour depuis quatorze ans, ce jour-ci fut invisibilisé par la plupart des médias. Au Venezuela les chaînes privées de radio et télévision (satellitaires, nationales, régionales et locales) font 80 % d’audience (1). Beaucoup de citoyens vivent ainsi dans une zone grise, opaque à tout ce qui concerne la révolution bolivarienne, et restent connectés à la telenovela du narcotrafiquant sympathique, prisonniers de la grande ville où vivre se résume à consommer individuellement. Le Venezuela n’a pas encore démocratisé la propriété des médias comme l’ont fait l’Argentine puis l’Équateur. Quant au cinéma national, la réalisatrice vénézuélienne Liliane Blaser observe que «presque toute notre fiction exclut le processus politique actuel, et se déroule dans un pays où rien de tout cela n’a lieu. Nous voyons certains films policiers qui pourraient se dérouler à n’importe quelle époque ou dans la nôtre mais qui sont expurgés de tout ce qui touche à la politique, à la société, à la culture. Or nous vivons un phénomène intégral qui devrait être visibilisé et décrit”.

La droite fonctionne à partir de cette domination culturelle. Avec ses alliés états-uniens et sa patiente infiltration de centaines de paramilitaires « dormants » entre deux assassinats sélectifs, elle recycle une synthèse des scénarios « chilien » et « nicaraguayen ». Éroder la patience populaire en sabotant l’alimentation, en coupant le courant ici et là, en paralysant une raffinerie pétrolière, en injectant du dollar parallèle pour gonfler l’inflation, en achetant des agents dans l’administration… Il s’agit de générer du mécontentement en vue des municipales de décembre 2013 et de maintenir les conditions d’une opération militaire directe pour reprendre le pouvoir et reprivatiser le pays en profondeur. Il y a peu le gouvernement colombien a aidé les autorités vénézuéliennes à arrêter des paramilitaires en pleins préparatifs d’un attentat contre Nicolas Maduro (2), confirmant les dénonciations du gouvernement bolivarien.

La droite et le patronat vénézuéliens peuvent compter sur les médias internationaux pour traduire leurs sabotages ou leurs accaparements en «faillites du régime», les condamnés pour corruption en « prisonniers politiques » ou la violence en « guerre civile ». Combien de journalistes occidentaux qui prêtent leur concours si docile à cette guerre contre une démocratie de gauche savent-ils qu’ils recyclent la campagne de la SIP préparant le coup d’État contre Salvador Allende en 1973 ( « menaces sur la liberté d’expression au Chili », « liens avec le totalitarisme soviétique »…) et que leurs épithètes sont vieux de deux cents ans, lorsque les premiers émissaires des États-Unis menaient campagne contre un certain Simon Bolivar, «  César assoiffé de pouvoir absolu » ?

Le président Maduro lors de la marche de commémoration de l'Unité Populaire de Salvador Allende (Caracas, 11 septembre 2013)

Le président Maduro lors de la marche de commémoration de l’Unité Populaire de Salvador Allende (Caracas, 11 septembre 2013)

«Nous allons défendre le peuple » répond Maduro qui prend des mesures économiques concertées avec les mouvements sociaux, investit 600 millions de dollars pour importer 3,5 millions de tonnes d’aliments de Colombie et garantir l’approvisionnement de la population, promet d’exproprier les entreprises qui accaparent les produits de première nécessité. Avec son homologue Xi Jinping, il vient de signer à Pékin ce 22 septembre un accord avec la Banque de Crédit chinoise : 5 milliards de dollars seront injectés pour accélérer le développement de l’agriculture, de la santé publique, de l’industrie et de la recherche scientifique, de la construction, du système électrique vénézuéliens.

De cette manière, Maduro poursuit la mise en œuvre du programme proposé par son prédécesseur, et approuvé par les électeurs d’octobre 2012 et d’avril 2013. Il parie sur le réveil des forces populaires, passé le choc lié au probable assassinat de Hugo Chavez, pour reprendre «la transformation active, révolutionnaire » d’un État resté, malgré quatorze ans de révolution, le fief d’une classe moyenne « professionnalisée » avant la révolution, et minoritairement révolutionnaire. Le problème (qui est en général celui de toute révolution) est celui du « levier ». Où trouver les formateurs du type nouveau si la majorité des enseignants disponibles sont ceux qu’ont légués le libre marché et un État antipopulaire et non-participatif ?

Quand on dialogue avec les vénézuéliens, on entend parfois la crainte que les nombreuses mesures prises par le président Maduro (par exemple dans sa lutte contre la corruption au sein de l’État ou l’insécurité, approuvées par une large majorité selon des firmes privées de sondage) soient un « modismo » – qu’elles ne durent qu’un temps ou que se « tuerzan en el camino » – qu’elles se perdent en chemin.

Il est vrai que malgré l’appel insistant de Nicolas Maduro aux ministres, gouverneurs, maires et candidats-maires pour qu’ils “résolvent en profondeur les problèmes du peuple car c’est lui qui possède les solutions et c’est á nous d’apprendre à l’écouter”, la vision bolivarienne s’enlise encore souvent dans les pratiques coloniales de fonctionaires dont le seul souci est d’arriver au pouvoir pour y rester. En imposant plusieurs candidats à sa base, le PSUV (parti de la révolution) s’expose à perdre plusieurs mairies lors des municipales en décembre prochain. En dehors de la forme « Etat » ou  « parti », combien des 1.150 communes et des 31.670 conseils communaux, combien des centaines de médias communautaires sont-ils de véritables instances de pouvoir collectif ? Et pourquoi la démocratie participative avance-t-elle lentement ?

Parce qu’il faut encore beaucoup de temps pour surmonter la tradition politique de domination coloniale externe et interne, d’imposition et de castration.

Mais Chavez a réveillé un peuple et Maduro reprend le travail sur un socle qui, comme le rappelle Jesse Chacón, ne pourra être détruit même si la droite remportait les élections : celui de la montée en puissance de ceux d’en bas, de la récupération de la souveraineté et du rôle défensif, citoyen, des forces armées, la redistribution de la richesse nationale et l’égalité sociale comme composantes essentielles de la démocratie. Des experts des Nations Unies, dans leur récent rapport World Happiness Report for 2013 ont conclu que le Vénézuéla est le pays le plus heureux d’Amérique du Sud, confirmant les conclusions d’autres organismes internationaux (3). Mutation aussi sûre que celle du roseau face au chêne. La « guerre des temps » oppose à présent le court terme du « consomme et tais-toi, l’État est un obstacle à ton plaisir.. » à la conscience de l’Histoire longue comme capital du peuple. L’enjeu est la construction d’un imaginaire qui libère le citoyen du narcissisme de la réussite individuelle et le pousse à s’engager davantage au service de la collectivité.

La ferveur des habitants de Caracas saluant le retour de leur fils Simon Bolivar peut sembler une parenthèse folklorique aux touristes ou aux experts occidentaux impatients de voir le Venezuela revenir à la “normale” du libre marché et des gros contrats industriels. Mais lorsque Nicolas Maduro montre au peuple l’épée qui va rejoindre le corps du Libertador dans son Panthéon, chacun comprend qu’il s’agit d’une idée proclamée il y a deux siècles lorsque Caracas poussa le « cri de l’Égalité » et se mua en « berceau de l’indépendance américaine ».

Entrée triomphale de Simón Bolívar (Caracas 6 août 2013)

Entrée triomphale de Simón Bolívar (Caracas 6 août 2013)

Comme l’écrit Gonzalo Ramírez Quintero, l’oligarchie vénézuélienne, celle qui faisait main basse sur les finances de l’État pour s’installer à Paris ou à Miami, « voudrait que Bolivar redevienne une statue pour fêtes patriotiques, un motif rhétorique. Le Bolívar vivant la perturbe : il lui rappelle en permanence sa misère et son inauthenticité. La haine de ses médias, leur rejet moqueur du dialogue entre le peuple et la pensée bolivarienne n’est que la continuité de sa haine coloniale. Il s’agit aussi d’occulter le fort impact qu’a eu l’expérience de la révolution haïtienne dans la redéfinition sociale de la guerre émancipatrice par Simon Bolivar. »

Toute analyse qui se bornerait à analyser le présent pècherait par naïveté. Au Venezuela ce n’est pas seulement avec des archives que l’on commémore l’Unité Populaire chilienne de 1971-73 mais en initiant la discussion parlementaire de « la loi des conseils de travailleurs” qui donnera à ceux-ci le pouvoir non plus seulement de revendiquer syndicalement mais de participer politiquement aux décisions sur la production – dans la foulée des fameux cordons industriels, embryons du pouvoir populaire anéanti par le général Pinochet et l’administration Nixon. Ce nouveau texte complètera la loi du travail anti-néo-libérale mise en vigueur par Hugo Chavez (4). Il faudra encore que les travailleurs assument ce nouveau pouvoir.

Avec l'écrivain Eduardo Galeano, lors de la marche en mémoire d'Allende, Caracas, 11 septembre 2013.

L’écrivain Eduardo Galeano et le président, lors de la marche en mémoire d’Allende, Caracas, 11 septembre 2013.

« Certains m’on dit que Chavez est mort mais je n’en crois rien » dit l’uruguayen Eduardo Galeano, venu à Caracas en septembre 2013 présenter son livre récent « Los hijos de los días ». L’écrivain a rappelé l’empreinte qu’a laissée dans la pensée et dans la personnalité de Bolivar, le philosophe Simón Rodríguez. Un des concepts-clefs de la pensée de Rodriguez, de sa république américaine qui refusait de copier l’européenne, est la toparquia, « l’auto-gouvernement local ». C’est ce concept que Chavez et Maduro ont interprété pour transformer les actuelles relations de production capitalistes à travers une forme sociale et économique nouvelle : « la Commune ». C’est ici où le concept du temps historique rejoint celui d’espace comme fondement de la politique.

Présentation du livre d'Eduardo Galeano "Los hijos de los días" par le président Maduro, Caracas, le 10 septembre 2013.

Présentation du livre d’Eduardo Galeano « Los hijos de los días » par le président Maduro, Caracas, le 10 septembre 2013.

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Eduardo Galeano visite la « Casa de las Primeras Letras« , récemment sauvée de la destruction par le gouvernement bolivarien. Un espace interactif doté d’hologrammes permet au public de découvrir l’itinéraire intellectuel du philosophe Simón Rodríguez qui forma dans ce même lieu il y a deux siècles le jeune Simón Bolívar. José Martí, l’apôtre de l’indépendance cubaine y enseigna à son tour en 1881.

Qu’est-ce que cette « commune » dont Maduro a fait une priorité, après les critiques de Chavez sur le retard pris par le gouvernement dans sa mise en place ? (5)

Laissons la parole à José Roberto Duque (6) :

« A Caracas – et dans tout le Vénézuéla – il y a des centaines de communes en construction, mais le type de relations des grandes villes actuelles  rendent inviable une commune. Caracas est une ville capitaliste, dont la structure et le concept ont été moulés sur le mode de production de l’esclavage puis du capitalisme industriel. Avec de tels antécédents, difficile d’imaginer qu’elle serve de base au socialisme ou à la société de type nouveau que nous voulons. Difficile, oui : mais ceux qui vivent à Caracas ont la mission d’essayer. Caracas a aussi produit une étonnante culture de résistance, une citoyenneté qui sait que quelque chose doit être détruit.

« Un communard c’est quelqu’un qui se lève le matin, pour s’intégrer à une activité productive qui offre une vie et une indépendance à sa  communauté ou à sa commune. Aujourd’hui, les grandes villes n’ont pas de vocation productive (c’est ainsi que le capitalisme les a dessinées : des lieux où se concentrent les consommateurs et les esclaves des tâches inorganiques) de sorte que les citoyens doivent importer du dehors ce qu’ils consomment. Dans les villages agricoles la construction de communes est plus viable : semer pour consommer et pour vendre est un bon levier pour développer une communauté auto-soutenable.

« L’habitant des zones populaires de Caracas se lève le matin pour se rendre à un travail qui, en général, se trouve loin (et parfois très loin) de la communauté dans laquelle il vit ou, simplement, dort. Tout ce temps et cette énergie mentale et physique seraient mieux investis dans une commune. La construction des communes de Caracas doit commencer avec la destruction de cette manière de fonctionner, de cette imposition de la ville capitaliste.

« Les retrouvailles des jeunes avec leurs communautés iraient dans ce sens : l’affection pour le lieu de vie est la matière première pour créer et inventer un futur.

Un projet conçu et mis en oeuvre par un collectif autonome de femmes : la construction d'un immeuble au coeur de Caracas. Septembre 2013.

Un projet conçu et mis en oeuvre par un collectif autonome de femmes : la construction d’un immeuble au coeur de Caracas. Septembre 2013.

« Nous ne connaîtrons pas la société socialiste que nous sommes en train de construire. »

« Il y a cinq ans, ou moins, je l’avoue, je me sentais assez désespéré par certaines choses que je percevais dans le processus bolivarien, dans notre affrontement avec le capitalisme. Je disais que nous étions en train de perdre cette bataille. Cela m’enchantait de me remplir la bouche de critiques faciles parce que leur objet était visible : je disais que Caracas n’était pas une ville socialiste et que celui qui en doutait n‘avait qu’à parcourir les rues et compter chaque McDonald, chaque centre commercial, chaque contradiction de classe, chaque magasin ou bureau ou enseigne lumineuse des principales compagnies transnationales du monde capitaliste. Cela me semblait terrible et contradictoire avec notre déclaration de rébellion et notre proclamation d’une patrie marchant vers le socialisme.

« Difficulté de comprendre le temps de la révolution. Cette difficulté est liée presque exclusivement au fait que dans notre courte vie nous voulons que se produisent tous les changements sociaux dont nous rêvons. Nous passons rapidement de l’enfance à l’adolescence puis à l’âge adulte. Comme nous fonctionnons de manière individuelle, nous voudrions que le pays change très vite. Nous avons entendu de nombreux compagnons dire : “Après 14 ans nous continuons à négocier avec la bourgeoisie. Après 14 ans il y a encore de l’exploitation capitaliste. Après 14 ans il y a encore des baraques. Après 14 ans il y a encore des jeunes qui préfèrent le regguaetón á Silvio Rodríguez (vous avez déjà tenté de danser « mi unicornio azul ») ?

« Mais nous avons fini par comprendre. Nous, les vénézuéliens d’aujourd’hui, ne connaîtrons pas la société socialiste que nous voulons construire, et que nous sommes en train de construire. Nous ne verrons pas se dresser cet édifice dont nous posons aujourd’hui les premières pierres. Cette affirmation peut paraître très triste, elle mène en réalité à une belle conclusion. Tout ce que nous avons fait de 1998 jusqu’à aujourd’hui (et, depuis plus longtemps, contre les lois et parfois dans la clandestinité) sera bénéfice, jouissance et dignité pour les vénézuéliens qui ne sont pas encore nés. C’est ce qu’on appelle “construire le futur”. Certains d’entre nous sont trop aveugles pour accepter cette idée dure mais réaliste : nous mourrons individuellement sans avoir connu autre chose que ce vicieux capitalisme. »

Changer la vie passe in fine par la création d’un État communal. Ce jour-là Chavez pourra enfin réaliser son vieux rêve, accrocher son hamac sur les rives de l’Arauca.

Thierry Deronne, Caracas, septembre 2013.

Sommet de Petrocaribe à Cienfuegos, Cuba, 2007.

Sommet de Petrocaribe à Cienfuegos, Cuba, 2007.

Photos: AVN, Ciudad Caracas, Correo del Orinoco.
Notes:
  1. Voir http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2010-12-14-Medias-et-Venezuela
  2. Lire http://www.telesurtv.net/articulos/2013/06/10/detienen-grupos-paramilitares-en-venezuela-que-iban-a-atentar-contra-presidente-maduro-3346.html
  3. Lire https://venezuelainfos.wordpress.com/2012/06/02/le-venezuela-hors-de-la-caverne-de-platon-2eme-pays-le-plus-heureux-damerique-latine-selon-luniversite-de-columbia-et-5eme-pays-le-plus-heureux-du-monde-selon-gallup/
  4. Lire https://venezuelainfos.wordpress.com/2012/05/04/nouvelle-loi-du-travail-au-venezuela-un-pas-de-plus-vers-la-vraie-vie/
  5. Lire https://venezuelainfos.wordpress.com/2012/10/21/le-president-chavez-exige-davancer-vers-une-communication-plus-profonde-et-plus-populaire-avec-les-travailleurs-depuis-les-usines/
  6. Lire l’article complet : « La lenta construcción del futuro », http://www.ciudadccs.info/?p=453632

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2013/09/22/vers-les-rives-de-larauca/

Éducation bolivarienne au Venezuela, par Ken Jones

clasesLors de mon voyage au Venezuela au sein d’une délégation d’enseignants (1), je n’ai pas entendu une seule fois les mots “prise de responsabilité”ou “tests à haut risque” (2). En tant que professeur formant des enseignants aux États-Unis, je discute rarement des politiques éducatives et des réalités de mon pays sans devoir affronter ces concepts stressants. Mais dans les écoles et dans les systèmes éducatifs du Venezuela ? Cela n’entre pas dans la discussion.

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Ken Jones, professeur associé d’éducation à l’Université du Maine du Sud, États-Unis (1)

Là-bas, le dialogue porte davantage sur l’éducation comme droit humain et comme responsabilité de l’État. Il ne s’agit pas des “produits” comme nous disons aux États-Unis mais davantage “d’accès” et de “possibilités”. Ce que notre petit groupe venu des États-Unis a découvert fut une foule de témoignages, pas un “test”.

Nous avons aussi appris certaines choses quant aux résultats très concrets et positifs obtenus depuis que le Président Chavez a commencé à s’occuper de l’analphabétisme et de l’absence d’accès à l’éducation en général, à la suite de son élection en 1998.

Par exemple en 2005, l’UNESCO a déclaré le Venezuela territoire libre d’analphabétisme, avec plus d’un 1,5 millions de personnes initiées à la lecto-écriture, principalement à travers un curriculum et une approche pédagogique développés par les cubains. Le taux d’inscription de l’école secondaire a augmenté de 53.6% en 2000 à 73.3% en 2011. Récemment l’UNESCO a placé le Venezuela à la cinquième place mondiale pour le pourcentage de personnes inscrites dans l’enseignement supérieur – la deuxième place en Amérique Latine après Cuba. L’éducation publique au Venezuela est gratuite pour tou(te)s, de l’école maternelle à l’université. L’État assure également la gratuité des repas et du transport.

Chavez a mis en mouvement un système scolaire novateur – les écoles bolivariennes s’inspirent de l’émancipateur de l’Amérique Latine Simón Bolivar, qui a aussi donné son nom à la République Bolivarienne du Venezuela. Le volet éducatif de la Révolution Bolivarienne, lancé par Chavez, fait partie du nouveau tissu socialiste qui émerge dans la société, articulé avec d’autres initiatives gouvernementales visant à encourager le pouvoir communal, le coopérativisme, la santé gratuite (là aussi en coopération avec Cuba) et l’alimentation subventionnée. Ensemble, ces initiatives et d’autres mesures cherchent à transférer le pouvoir à la majorité de citoyens pauvres jusqu’ici exclus du droit de vote, et s’inscrivent dans une perspective socialiste plutôt que capitaliste.

Notre délégation a visité une école maternelle bolivarienne, un école primaire, un lycée, une école professionnelle, un centre de formation d’adultes, une université, un conservatoire de musique et une académie de la police. Nous avons également visité une coopérative de femmes dans une communauté agricole, un centre culturel dans un quartier populaire, et une agence gouvernementale de droits humains. Le point commun qui relie ces différents lieux et initiatives est l’objectif de construire une société nouvelle par la construction de connaissances et de compétences nouvelles, d’une citoyenneté responsable, de coopérativisme, de collaboration et d’apprentissage avec la communauté locale. Nous avons observé le plaisir et la réussite dans l’expression artistique, un enseignement axé sur le concept de projet, et une attention particulière portée au bien-être des personnes et à la santé des différents éco-systèmes.

“Quelque chose de plus grand que soi”

On pouvait presque palper un sentiment d’espoir et d’énergie connecté à ces écoles, au sens de ne pas travailler seulement à produire une amélioration personnelle, mais aussi pour quelque chose de plus grand que soi. Il existe aussi une conscience politique incisive, informée sur le pays et sur le monde. Les personnes ont très envie de s’exprimer sur les changements en cours dans leur pays. Ils ont parlé de leur vision démocratique de l’avenir d’un pays libéré de l’exploitation des transnationales et de notre propre nation impérialiste. Ils ont parlé consciemment d’une histoire nationale faite de dictatures et de capitalisme extrême et ont versé des larmes sincères sur la mort de leur cher enseignant et dirigeant Hugo Chavez. Ils savaient que Chavez et la révolution qu’ils continuent à mener ont été diabolisés par leurs propres médias privés comme par ceux des États-Unis et du monde occidental. Ils voulaient que nous connaissions leur réalité, sur place.

Nous avons également rencontré un couple d’étudiants universitaires qui s’identifiaient comme opposants à Chavez. Ils n’étaient pas aussi positifs au sujet des changements, bien sûr, et mettaient en cause la qualité des nouvelles écoles et des missions éducatives, exprimant des réserves sur la viabilité de ces nouveaux programmes largement financés par les revenus pétroliers. Ils ont également exprimé leurs préoccupations au sujet de la réussite individuelle et des avantages compétitifs, ainsi que sur les effets dissuasifs et les inéquités générées par ce qu’ils voient comme un système éducatif  “d’aumônes”. Pour notre délégation venue des États-Unis, ceci avait une résonance familière : nous avons pu percevoir le fort contraste entre ces valeurs issues d’une vision globale du capitalisme et celles du socialisme. Simplification excessive peut-être, mais néanmoins évidente.

Les écoles bolivariennes prennent au sérieux l’idée d’éduquer tout le monde et offrent aux éducateurs états-uniens une vision de ce qui peut être fait d’une manière tout à fait différente de la réforme éducative de notre pays. C’est perceptible dans une foule de détails, dans les approches observées, dans les points de vue recueillis tout au long de notre séjour, de lieu en lieu.

Les écoles maternelles sont appelées Simoncitos (3), en référence à Simón Bolivar. Selon les statistiques gouvernementales, près de 70% des enfants du Venezuela sont accueillis par ces écoles gratuites, où le gouvernement paie les salaires des enseignants, et où les conseils communaux (fondés par les habitants et appuyés par le gouvernement) fournissent les immeubles et les matériels scolaires. Souvent, les parents viennent aussi en tant que bénévoles, s’ils le peuvent. Lors de notre visite à une école maternelle, nous avons vu un groupe de 14 petits avec 3 adultes. Ils nous ont dit leurs noms, âges, couleurs et animaux préférés, et ont dansé le hokey-pokey avec nous.simoncitos Les écoles primaires sont aujourd’hui des écoles à temps plein (dans le passé la plupart fonctionnaient avec deux horaires de demi-journées pour deux populations étudiantes séparées) qui offrent des repas et des soins de santé gratuits, ainsi que des activités extra-curriculaires. Les édifices scolaires sont remeublés et de nouveaux bâtiments sont rapidement construits. Tous les étudiants reçoivent un ordinateur portable (bien que comme nous l’avons appris il existe encore un grand besoin de formation professionnelle des enseignants sur comment les utiliser efficacement).

A travers les projets des étudiants et les services d’éducation d’adultes, ces écoles sont connectées à la vie des communautés avoisinantes. Notre groupe de dix a obtenu d’être invité d’honneur le jour d’une remise de diplômes dans une école primaire qui a présenté des performances très réussies et maîtrisées des élèves : danses, chants, costumes traditionnels et expositions d’art original. Les étudiants diplômés sont venus vers nous pour nous demander d’ajouter notre signature sur les t-shirts qu’ils portaient – une coutume semblable à la signature des albums de promotion aux États-Unis.

“Nous devons faire évoluer notre langage”

L’école secondaire que nous avons visitée se trouve dans une communauté rurale, Monte Carmelo. Elle vient d’emménager dans un bâtiment achevé en 2010 – un cadeau du président Chavez, personnellement convaincu de le faire par sa directrice charismatique, Gaudy Garcia. Le curriculum de l’école est centré sur les vies des habitants à travers des récits oraux, les manières naturelles de cultiver les aliments, les artisanats et traditions locales, les confiseries, les guérisseurs. Cette année les projets des étudiants tournent autour de l’histoire de leur propre communauté, dont l’histoire de l’éducation. Les projets sont réalisés en sous-groupes et doivent posséder un impact social, au-delà d’une simple enquête. Les thèmes choisis par les étudiants incluent l’agro-écologie, la coopérative locale féminine, les plantes qui protègent les cultures des insectes prédateurs, la lombriculture et les serres.

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Gaudy Garcia, directrice de l'école de Monte Carmelo.

Gaudy Garcia, directrice de l’école de Monte Carmelo.

Dans ce lycée l’accent est mis sur la collecte des semences et la fabrication de plats à partir des cultures produites par ces graines. Gaudy nous a parlé en connaissance de cause du problèmes des organismes génétiquement modifiés (OGM). En 2005, lorsqu’elle a mené un inventaire des semences locales, elle a réalisé qu’il y avait encore beaucoup de semences indigènes dans sa propre communauté et qu’on devrait collecter et protéger ces semences. « Monsanto a sa main partout« , dit-elle. «Nous devons veiller à ce qu’ils ne volent plus nos semences, notamment le maïs. Nous ne voulons pas qu’il se passe chez nous ce qui s’est passé au Mexique.” L’école a créé sa «réserve» ou son «réservoir» de graines. Gaudy ne veut pas l’appeler «banque» de graines. “Nous devons faire évoluer notre langage du capitalisme au socialisme”, dit-elle.

La “Mission Robinson” est le programme d’alphabétisation d’adultes. Irlanda Espinoza, directrice régionale de ce programme dans la ville de Sanare, s’est entretenue avec nous. Elle nous a parlé avec émotion de ce programme comme une réponse à la dette sociale envers les pauvres, accumulée pendant de nombreuses années avant Chavez, lorsque la croyance dominante était que tous n’ont pas droit à l’éducation. Elle a expliqué qu’avant la révolution on avait cessé d’offrir une éducation aux jeunes filles enceintes, d’où la dette actuelle envers leurs enfants.

Irlanda nous a décrit les efforts intensifs menés pour tenter d’inclure tout le monde dans ce programme d’alphabétisation. Par exemple, le gouvernement a envoyé les statistiques de l’administration éducative réunies lors du recensement des habitants inscrits dans la nouvelle Mission « En Amor Mayor » qui offre des pensions à toutes les personnes âgées, même celles qui n’ont jamais cotisé.

Irlanda va de maison en maison pour visiter celles qui ont signalé dans ce recensement qu’elles ne savent pas lire ni écrire, et leur demande si elles souhaitent apprendre. Si non, elles signent qu’elles ne désirent pas ce service. Le programme vise une participation de 100%, qu’elle considère comme essentielle. «C’est une façon de faire de chacun un citoyen actif», dit-elle. « Si vous ne pouvez pas lire ni écrire, vous ne connaissez pas vos droits et vos responsabilités, vous ne pouvez vraiment pas faire partie d’un conseil communal. » Elle sait tout de la philosophie éducative émancipatice de Paulo Freire.

"Lire le monde avant de lire le mot" : Paulo Freire (Recife 1921-São Paulo, 1997)

« Lire le monde avant de lire le mot » : Paulo Freire (Recife 1921-São Paulo, 1997)

“La musique, une manière naturelle d’être solidaire de l’autre”

Dans la ville de Barquisimeto, nous avons visité une branche locale du Conservatoire national de musique pour la jeunesse, “El Sistema”. Il s’agit d’un programme d’éducation à la musique classique financé par le gouvernement et qui concerne 350.000 jeunes dans 125 orchestres. Selon les rapports de l’institution, près de 70% des participants proviennent de secteurs de faible revenu. Le programme a démarré en 1975 et s’est transformé en un système reconnu mondialement au point d’être adopté partout en Amérique Latine et en Europe. Le célèbre directeur Gustavo Dudamel, qui travaille actuellement comme chef d’orchestre de l’Orchestre Symphonique Simón Bolívar et du Philharmonique de Los Angeles, s’est formé dans la branche de Barquisimeto. Le “Sistema” possède des programmes spéciaux pour les enfants handicapés et un choeur White Hands de sourds-muets. Le mois dernier, le fondateur du “Sistema” (4) José Antonio Abreu a rencontré le nouveau président Nicolas Maduro et a convenu avec lui d’étendre le programme pour intégrer un million d’enfants à l’apprentissage des instruments de musique.

Gustavo Dudamel, directeur de « El sistema »

Dante_happy-band-kidsNUCLEO-articleLargesistemaAvec 2000 étudiants inscrits dans ses programmes, l’école de Barquisimeto était une vraie ruche le samedi où nous l’avons visitée. Un groupe de vingt enfants de quatre ans se familiarisait avec des violons et des violoncelles dans une cour ouverte, les couloirs étaient pleins de personnes jouant toutes sortes d’instruments. Dans de petites salles travaillaient les sections de pratique. Deux orchestres de jeunes au complet se trouvaient en pleine répétition, ainsi qu’un ensemble avec chef d’orchestre et un orchestre de musique de chambre sans chef : “cela les aide à s’écouter l’un l’autre” a dit notre guide.

Il nous a expliqué que le système suivi au conservatoire dépend du coopérativisme. “Si vous savez un peu, vous pouvez enseigner un peu” est la maxime. Notre guide a expliqué que l’instruction musicale offre un équilibre parfait d’excellence individuelle et de coopération de groupe – des étudiants de tous les âges jouent dans un orchestre. “La musique est une manière naturelle d’être solidaire de l’autre” a-t-il dit.

A Barquisimeto, nous avons aussi visité une école professionnelle pour des étudiants de 14 à 25 ans qui avaient quitté l’enseignement formel. En tant qu’états-uniens nous fûmes surpris d’apprendre que cette école fait partie du réseau d’écoles catholiques mais est financée par l’État. Des cycles courts et longs sont offerts dans des matières telles que l’électricité, la plomberie, la coiffure, la cuisine, la céramique. On compte 222 de ces programmes à travers tout le pays, situés dans les secteurs les plus pauvres, selon le gouvernement. Il est encore plus surprenant d’apprendre que bien que ces écoles sont subventionnées par le gouvernement, l’Église catholique a adopté une position fortement anti-Chavez, voyant le gouvernement comme “castro-communiste.” L’enseignant qui nous a rencontrés nous a dit “c’est quelque chose qui est dans leur tête mais pas dans la réalité. Ils voient comme un droit le fait de recevoir de l’argent du gouvernement fédéral.” 

“Articuler les savoirs populaire et universitaire”

Un des aspects les plus intéressants du système scolaire bolivarien est la “territorialisation” de l’université. Les nouvelles universités ont été initiées par Chavez comme une alternative aux universités dites autonomes, traditionnelles, qui ont principalement servi les élites et qui conservent la part du lion dans le financement de l’enseignement supérieur par l’État. Les facultés des communautés locales sont converties en universités territoriales dans le but de former chacun mais aussi de contribuer aux projets stratégiques nationaux. L’université que nous avons visitée à Barquisimeto compte 12.500 étudiants en science et technologie, ergonomie, bibliothécologie, systèmes intégraux, administration publique, sciences informatiques appliquées, souveraineté alimentaire, sécurité, protection de l’environnement, entre autres domaines. Comme dans les écoles bolivariennes de niveaux inférieurs, les curriculums cherchent à contribuer à la solution de problématiques des communautés locales. Et contrairement aux universités traditionnelles, les études ne sont pas enfermées dans les départements de chacune des disciplines mais générés par la faculté et les étudiants à travers une approche intégrée, multidisciplinaire. Les professeurs et les instructeurs ne possèdent pas toujours de diplômes formels. “Il est important d’articuler les connaissances populaires avec le savoir académique”, nous a-t-on expliqué.

Une section unique de cette université est appelée Chaires Libres et offre des études sur la culture populaire, la transformation sociale, l’égalité de genre et le “bien vivre”. Ce dernier point est développé en collaboration avec les élèves pour dégager ce que « le socialisme peut nous apporter en termes de relations mutuelles » et s’inspire largement de la pensée indigène sur la vie en harmonie avec la nature.

UBV-Graduandos

Université Indigène du Venezuela, conçue par les peuples originaires

Université Indigène du Venezuela, conçue par les peuples originaires

D’autres universités sont encore en cours de création – parmi lesquelles une Université des Travailleurs (où les connaissances sont acquises au travail et construites sur base des savoirs des travailleurs), une Université Expérimentale des Arts (5) et l’Université Indigène du Venezuela (6) située dans l’État d’Amazonas et conçue par les peuples indigènes.

Peut-être le plus grand défi posé au système éducatif vénézuélien est-il le problème de la corruption policière et de la violence. Dans ce pays les forces armées sont considérées comme un appui solide du gouvernement et appuyées par la population en général. Chavez était un militaire et les membres des forces armées sont venus historiquement des secteurs pauvres et du monde du travail, aussi défendent-elles la révolution bolivarienne. La police, en revanche, ne bénéficie pas de la même confiance, vu son rôle dans la violence et dans la corruption tout au long des dernières années, et sa collusion dans les fréquents enlèvements et homicides à Caracas.

Afin de transformer la police, Chavez a créé une Police Nationale Bolivarienne (7) et a nommé Soraya El Achkar, ex-laïque de l’ordre Maryknoll et militante des droits humains, à la tête de la nouvelle académie de la police, l’Université Nationale Expérimentale de la Sécurité (UNES) (8). Nous avons rencontré Soraya à l’université de Caracas, dont les bâtiments sont encore en cours de construction. Sur ces lieux, avant Chavez, se dressait une prison haïe par la population. Soraya a persuadé Chavez de transformer ce site en académie, en lieu d’espérance sur les cendres du désespoir.

Fondée en 2009 pour transformer les méthodes policières, pour rendre les officiers plus attentifs aux droits humains et pour qu’ils travaillent en lien étroit avec les communautés, l’UNES dispose de neuf sièges à travers le pays et en prévoit sept de plus. Pour l’heure, selon le rapport de Soraya, elle accueille 25.000 étudiants et dispose d’un personnel de 4.000 professeurs, administrateurs et travailleurs. On y forme tous les niveaux de la police ainsi que des inspecteurs et du personnel pénitentiaire

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L’approche éducative passe par une prise de décision collective des policiers, enseignants et groupements de droits humains sur ce qui doit figurer dans les curriculums. Trois axes fondent ce curriculum, selon Soraya : éco-socialisme, droits humains et égalité de genre.

Le curriculum s’articule autour de quatre aspects du travail communautaire : la jeunesse; le désarmement (ce que nous appellerions aux États-Unis le contrôle des armes); la culture, les sports, la musique et l’art; et la vie en commun (à savoir la médiation des difficultés). Les partenariats et les accords communautaires sont encouragés et des efforts sont menés pour aider les jeunes à trouver du travail et s’insérer dans des activités productives.

Il y a deux thèmes transversaux dans l’ensemble du cursus policier :

1.      L’usage progressif et différencié de la force, pour adapter la réponse policière aux personnes impliquées et au contexte. La violence est interdite. On enseigne l’usage judicieux et approprié de la force.

2.      La police communautaire. La police apprend à développer des relations de travail et de collaboration avec la communauté et la recherche de solutions communautaires à la criminalité.

Soraya nous a dit que Chavez était “grand sur l’éducation” et qu’il disait “nous avons besoin de plus d’intelligence et de moins de force”. “La réforme de la police”, a-t-elle dit, “incarne l’esprit de Chavez sur la révolution et les droits humains.”

Sa vision de l’académie est qu’elle évoluera de l’UNES (université nationale) à l’ULES (académie latino-américaine) pour devenir un équivalent de l’École Latino-Américaine de Médecine (ELAM) de Cuba. Soraya voit aussi ce travail comme un contrepoids aux états-uniennes École des Amériques (SOA) et International Law Enforcement Academy (ILEA), toutes deux connues pour avoir formé des militaires et des policiers aux méthodes de répression et dont les diplômés sont réputés pour leurs tortures, assassinats et coups d’État. Le Venezuela vient d’assumer la présidence du MERCOSUR et la formation de la police sera peut-être un des axes de travail au sein de ce groupe de nations.

Conclusion

Après ce bref parcours à travers le système éducatif vénézuélien il est apparu à notre délégation que ce qu’on entend par “réforme éducative” dans ce pays est virtuellement à l’opposé de ce que nous appelons réforme éducative aux États-Unis. Ici, ce terme a fini par désigner une approche centralisée et standardisée dont les prémisses blâment et dévalorisent les enseignants des écoles publiques. Il fonctionne à travers l’individualisme et un régime de contrôle externe, une réduction du financement public, et une politique de privatisation appuyée par le gouvernement. Sa raison d’être est de générer une plus grande compétitivité sur la scène mondiale. L’effet est d’exclusion. C’est un modèle capitaliste, modelé sur des paramètres de domination du monde.

Au Venezuela, par contraste, la réforme éducative implique des aproches locales et diversifiées, inspirantes, dont les prémisses sont la valorisation et l’autonomisation de l’ensemble du personnel travaillant dans les écoles. Il fonctionne grâce à une éthique de responsabilisation interne et de travail collectif, l’augmentation du financement public, et l’appui par le gouvernement de la prise de décision au niveau local. Sa raison d’être est de construire une coopération accrue au niveau de la communauté. L’effet est d’inclusion. Il s’agit d’un modèle socialiste, formulé en termes de «bien vivre».

Un soir au Venezuela, alors que nous discutions à  quelques uns sur ce que nous considérons comme les agressions tragiques contre l’éducation publique aux États-Unis, une personne a demandé où nous pouvions voir un espoir. J’ai répondu: «Au Venezuela».

 Ken Jones

bachilleresSource : ZNet, 26 juillet 2013, http://www.zcommunications.org/bolivarian-education-in-venezuela-by-ken-jones

Traduit de l’anglais par Thierry Deronne

Notes :

(1)  Ken Jones, auteur de cet article, est professeur associé d’éducation à l’Université du Maine du Sud. Membre de l’American Educational Research Association (AERA) et du National Network for Educational Renewal (NNER). Éditeur de “Democratic School Accountability: A Model for School Improvement”. Du même auteur, on peut lire “la guerre contre les écoles publiques”, http://www.zcommunications.org/the-war-on-public-schools-by-ken-jones. Il peut être contacté à jonesk@maine.edu

(2)    Remis en vogue sous l’administration Obama, critiquées pour leur social-darwinisne, les “high stake tests” sont des épreuves du type “quitte ou double” qui fixent en une seule fois le sort d’un élève.

(3)   Sur les Simoncitos, voir http://www.slideshare.net/edelinbravo29/05-simoncito-comunitario

(4)   Site de “El sistema” : http://www.fesnojiv.gob.ve/

(5)   Site de l’Université Expérimentale des Arts : http://www.unearte.edu.ve/

(6)   Sur l’Université Indigène, voir “Nous sommes comme des herbes qui repoussent quand on les arrache”, https://venezuelainfos.wordpress.com/2013/07/27/nous-sommes-comme-les-herbes-des-haut-plateaux-qui-repoussent-quand-on-les-arrache/

(7)    Voir “La sécurité au Venezuela : la solution depuis l’État et non comme offre électorale”, par Jesse Chacón, https://venezuelainfos.wordpress.com/2012/07/14/la-securite-au-venezuela-la-solution-depuis-letat-et-non-comme-offre-electorale-par-jesse-chacon-fondation-gisxxi/

(8)   Site de l’Université Expérimentale de la Sécurité : http://www.unes.edu.ve/

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2013/07/30/education-bolivarienne-au-venezuela-par-ken-jones/

Nicolas Maduro : “le pouvoir du peuple, quand il ne s’exerce plus, finit par s’atrophier”

reunion_maduro_gobernadoresNous sommes à Caracas le 16 juillet 2013, à Miraflores (palais présidentiel). Nicolas Maduro s’adresse à vingt gouverneurs bolivariens : “Comment est-il possible qu’à une personne âgée, à une de ces personnes que nous rencontrons lorsque le gouvernement sillonne le pays, on fasse payer 20 millions pour pouvoir accéder à une mission sociale?  Certains, ils me l’ont dit, ont payé et ils ont été effectivement inclus ensuite dans la mission ! Qu’est-ce cela veut dire? Qu’au-dessus de ces extorqueurs il y a des hauts fonctionnaires qui couvrent ces agissements, comme ceux qu’on a arrêtés. Nous devons aller jusqu’au bout de chaque enquête et vous, les gouverneurs, qui avez mille témoins dans vos régions, faites le travail sur place, car nous avons détecté beaucoup de cas lors de nos déplacements”.

Quelque semaines ont suffi pour détecter des systèmes de corruption mis en place par des hauts fonctionnaires du service des douanes, de l’immigration, de l’inspection du commerce, de l’industrie sidérurgique, de la compagnie pétrolière publique, de la banque nationale du développement… Nicolas Maduro a promis de nouvelles surprises dans cette offensive-éclair contre la corruption “où qu’elle soit, et à tous les niveaux, coiffée d’un béret rouge chaviste ou dans les rangs de la droite, dans le secteur public comme dans le privé : il n’y aura plus d’intouchables. Personne ne me fera prendre des vessies pour des lanternes. Je ferai bientôt quelques inspections-surprises sur les chantiers publics”.

Dans le même temps, le plan “Patria Segura” a déployé sur tout le territoire une police mieux formée à la protection des citoyens. Un premier bilan parle d’une baisse de 200 % des enlèvements et de 38 % des homicides. Maduro veut aller plus loin. Il rappelle comment il a vu toute une jeunesse populaire – sa génération – décimée par la drogue, la violence à partir des années 80 et veut s’attaquer frontalement à l’imaginaire des médias privés resté très puissant malgré quatorze ans de révolution, en multipliant les missions culturelles, la récupération des espaces publics et la rénovation intégrale des quartiers populaires (plan »barrio tricolor« ), le relancement de la musique populaire, l’appui aux artistes et aux mouvements de jeunes, le transfert de nouvelles technologies et la dotation de nouvelles chaînes de télévision aux secteurs jusqu’ici exclus.

Sans doute étaient-ce ces chantiers que le président Chavez voulait aborder en 2013 : quelques mois avant sa mort il appelait les jeunes du grand quartier populaire de Petare à renoncer à la drogue, à la violence pour mettre leur talent au service du pays.

La droite et les grands médias rêvaient d’enterrer la révolution bolivarienne avec son initiateur. Des politologues de gauche annonçaient la lutte fratricide des chavistes ou une “NEP” réformiste. 90 jours après la mort de Chavez, on découvre un homme d’Etat qui, s’appuyant sur une équipe élargie aux mouvements sociaux et aux partis progressistes, applique méthodiquement les cinq objectifs du “Plan Patria” légué par Chavez (1) et lance un “gouvernement de rue” (2).

BN-JYeYCUAADzyC.jpg largePresidente-Nicolás-Maduro-en-Sucre-4Né dans un quartier populaire de Caracas, militant syndical, bolivarien clandestin puis ministre de Chavez, Nicolas Maduro connaît bien les rouages de l’État et… du terrain. Avec une  moyenne de 102 projets pour chaque entité traversée – à savoir 23 états et le district de Caracas, le “gouvernement de rue” aligne déjà 2.037 projets financés par l’État. Un “banc d’essai” du pouvoir populaire que le président du Venezuela veut permanent et actif sur tout le territoire. Même la presse officielle et les partis de la gauche classique ont du mal à suivre ce dialogue direct de Maduro avec les problèmes du peuple.

« Combien de temps notre peuple s’est-il habitué à voir le pouvoir comme un concept lointain, étrange, comme le privilège d’une élite ? Et bien non: la révolution n’a d’autre sens, comme Chavez nous l’a rappelé sans cesse, que le transfert de la totalité du pouvoir aux mains d’un peuple qui doit se former sans cesse pour cela. Nous avons assez patienté, nous devons nous réveiller, redevenir des combattants de la rue, de tous les jours… Le pouvoir du peuple, quand il ne s’exerce plus, finit par s’atrophier. Comment faire une révolution avec un peuple passif ? Le pouvoir populaire sert à faire la révolution et pas n’importe laquelle : une révolution socialiste. Ou le peuple la fait, ou il n’y en aura pas. Le pouvoir populaire doit exister partout et tous les jours, dans les états, dans les rues, au palais présidentiel. Notre nouvel état sera l’État comunal, c’est un des axes principaux de notre programme, Chavez nous a exigé de lui donner la priorité (3). Nous allons redoubler d’efforts à partir du mois d’août pour construire partout la commune.”

« La commune ou rien »

venezuela_asambleacomunal7 venezuela_asambleacomunal2Deux jours plus tôt dans l’État de Lara, une assemblée d’organisations de base (photo) s’est réunie au nom des « trois R” – formule inventée par Chavez pour “revoir, rectifier, réimpulser” le gouvernement révolutionnaire. Ont fusé les critiques sur la gestion antérieure du ministère de la commune : mise sous tutelle du pouvoir populaire, arrogance de cadres auto-proclamés qui considèrent la masse populaire comme un simple champ de manoeuvres pour “ceux-qui-savent-comment-faire-la-révolution”, véritables boulets pour le travail populaire.

Le nouveau ministre de la Commune Reinaldo Itturizza (à droite), los d'une journée du "gouvernement de rue", mai 2013.

Le nouveau ministre de la Commune Reinaldo Iturizza (à droite), lors d’une journée du « gouvernement de rue« , mai 2013.

Une grande partie des demandes que nous avons recueillies tout au long des assemblées populaires concerne une meilleure présence de l’État aux côtés des processus d’organisation” explique Reinaldo Iturizza, un sociologue critique devenu le nouveau ministre de la Commune sur décision de Maduro et qui a dû s’arracher au monde des thèses sur papier. “Je suis en train de créer une équipe qui racontera les histoires de ces journées dans la rue, qui vont continuer. Ce que nous voyons doit être connu”. L’équipe d’Iturizza met au point une méthodologie nouvelle réunissant les conseils communaux et les autorités du Ministère pour résoudre des problèmes tels que l’auto-construction de logements. 60 mille foyers de la Grande Mission Logement ont pu être construits par les habitants eux-mêmes. On en prévoit 100 mille de plus en 2013.

Alors que les médias privés qui dominent la majorité des ondes au Venezuela occultent cette école de pouvoir citoyen et ciblent Maduro, le “gouvernement de rue” est devenu en soi un véritable média populaire qui attaque vraiment la forme dominante, commerciale et représentative, de la communication politique, qui cultive la participation critique et ose prendre des décisions jusqu’ici freinées par une classe moyenne d’État peu ouverte aux propositions populaires.

006_ma_4086_1373321519Le 8 juillet, c’est dans l’état d’Amazonas, au Centre de Formation et de Production Agroécologique Matuwiniyu Yekuana Rene, que Maduro et son équipe font halte. Un militant indigène leur montre la maquette d’une maison autochtone : “Je vous présente une maison fluviale indigène totalement écologique, avec sa barque, sa batterie d’élevage de poules, son vivier à poissons, chaque famille peut y vivre et produire sans devoir quitter le fleuve”. “Bravo, c’est un des projets que nous voulons approuver !” applaudit Maduro pour qui c’est là tout le sens de ce “gouvernement de rue” : réactiver les propositions, la créativité du peuple. A ses côtés la Ministre des Peuples Indigènes Aloha Nuñez, précise : “nous sommes ici en territoire Jivi, l’État d’Amazonas compte 19 peuples indigènes et nous, les ministres, ne sommes pas restés en ville, par exemple la ministre de la santé a passé la nuit dans une communauté indigène. Ces populations étaient infiltrées par les “nouvelles tribus” (une ONG états-unienne), nos compagnons commençaient à parler anglais, à présent le travail est d’assurer l’intégralité des droits à la santé, à l’éducation pour nos peuples indigènes”.

Maduro en profite pour rappeler l’insistance du président Chavez : “Pourquoi les ministres ne pourraient-ils pas vivre deux ou trois jours durant dans les communautés ? Nous, gouvernement bolivarien, sommes du peuple, nous ne venons d’aucune élite, d’aucun groupe économique et même si nous devons nous protéger face aux menaces de l’ennemi, nous ne devons pas perdre le sens de qui nous sommes : des gens humbles, qui nous devons au peuple”.

Misión-Arbol-250x187Et d’évoquer le cinquième objectif du programme légué par son prédécesseur : l’éco-socialisme, qui prévoit notamment le reboisement massif de tout le pays – la Misión Árbol sèmera quelques deux millions d’arbres dans les deux ans à venir. Une mission grâce à laquelle la surface boisée du pays atteint 47,6 millions d’hectares, réduisant de 47 pour cent le taux de déforestation.

La biodiversité, poursuit Maduro, doit être pensée dans sa dimension macro-écologique. Nous n’allons plus comme le faisaient les gouvernements antérieurs recevoir les représentants de lobbies qui veulent acheter un morceau d’Amazonie. Mais pour nous qui sommes un pays amazonien, le plus incroyable c’est que nous n’ayons pas encore créé d’institut pour étudier cet immense patrimoine de biodiversité en fonction par exemple de nos besoins en médicaments, avant que ne les brevettent des transnationales. Nous ne pouvons pas attendre 15 ans, c’est aujourd’hui que nous devons prendre la décision. Créer un institut pas seulement pour produire des thèses universitaires mais pour générer des connaissances transfomatrices, des connaissances scientifico-populaires : on a souvent considéré les peuples indigènes, et le peuple en général, comme ignorants alors qu’ils produisent des milliers de savoirs vitaux, mille choses. C’est d’ailleurs pour cela que les élites nous méprisent, parce qu’au fond, nous sommes des indigènes.

007_mg_2703_1372195635-632x421Tout en menant tambour battant ces assemblées avec la population, Maduro a bouclé en deux semaines un agenda diplomatique très dense au service de l’unité du Sud et de l’intégration des organismes existants. En visite officielle en Haïti le 25 juin pour renforcer la coopération (photo) puis le 30 juin à Managua au sommet de PetroCaribe avec de nouveaux accords sur l’éducation, sur la “misión milagro” (chirurgie et soins oculaires gratuits), les politiques alimentaires et la création d’une zone économique élargie vers le Sud ; en prenant part à Moscou le 1er juillet au sommet des 18 états producteurs de gaz – le Venezuela est la quatrième réserve mondiale – pour plaider en faveur de la création d’une “OPEP” du gaz ; à Cochabamba, le 4 juillet, au sommet d’urgence d’UNASUR, pour joindre sa voix à celle de ses homologues face à la violation du droit international par des pays d’Europe qui, sur ordre de Washington, ont fermé leur espace aérien au président de la Bolivie (4); en invité d’honneur d’un sommet des 15 pays membres du Caricom (marché commun des Caraïbes) à Trinidad et Tobago ; enfin, le 10 juillet, à Montevideo, pour assumer la présidence du Mercosur et engager le “tournant social” de ce marché commun devenu le quatrième bloc économique mondial et proposer l’association stratégique avec PetroCaribe, l’ALBA et les BRICS.

Les 22 et 23 juillet, Caracas accueillera la première réunion ministérielle de la Communauté des États Latino-américains et de la Caraïbe (CELAC) pour élaborer de nouveaux plans contre la faim et la pauvreté. Elle sera suivie du 12ème sommet des présidents de l’ALBA, le 30 juillet, à Guayaquil (Équateur), consacré lui aussi à renforcer les programme sociaux.

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Pas de socialisme sans féminisme !

La maxime de Hugo Chavez s’incarne dans les choix ministériels de Nicolas Maduro.

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Maryann Hanson

Maryann Hanson (Éducation)

Maria Cristina Iglesias

Maria Cristina Iglesias (Travail)

Iris Varela

La Ministre du Système Pénitentiaire Iris Varela

Aux côtés de Maryann Hanson (Ministre de l’Éducation), de María Cristina Iglesias (Ministre du Travail) et d’Iris Varela, la Ministre du système pénitentiaire qui s’efforce d’humaniser un système encore dominé par des mafias et de réduire les retards dans le procédures de jugement, de nouvelles responsabilités et de nouveaux visages marquent l’équipe gouvernementale nommée en avril 2013 :

La ministre des peuples indigènes Aloha Nuñez - ici réunie avec des indigènes états-uniens dans le cadre de l’octroi de gazoile de chauffage gratuit par le gouvernement bolivarien (elle était alors vice-ministre) – travaille notamment à conclure au plus vite la restitution des territoires indigènes du Venezuela.

La nouvelle ministre des peuples indigènes Aloha Nuñez – ici réunie avec des autorités indigènes états-uniennes dans le cadre de l’octroi de gazoile de chauffage gratuit par le gouvernement bolivarien (elle était alors vice-ministre) – travaille notamment à conclure au plus vite la restitution des territoires indigènes du Venezuela.

La championne d’escrime Alejandra Benitez, nommée ministre des sports pour sa connaissance pratique des problèmes des athlètes, doit réduire la bureaucratie dans les organisations sportives et fortifier tous les niveaux de formation.

La championne d’escrime Alejandra Benitez, nommée ministre des sports pour sa connaissance pratique des problèmes des athlètes, doit réduire la bureaucratie dans les organisations sportives et fortifier tous les niveaux de formation.

Première mondiale : une femme ministre de la défense, Carmen Meléndez, elle aussi pratiquante du “gouvernement de rue” au sein des forces armées, alors que le Venezuela, toujours menacé par les États-Unis, vient d’installer un nouveau système de défense anti-aérienne.

Première mondiale : une femme ministre de la défense, Carmen Meléndez, elle aussi pratiquante du “gouvernement de rue” au sein des forces armées. Face aux menaces impériales et pour garantir la souveraineté du Venezuela, Nicolas Maduro vient d’annoncer l’installation d’un nouveau système de défense anti-aérienne.

La chirurgienne Isabel Iturria, présidente-fondatrice depuis 2006 de l’Hôpital Cardiologique Infantile latino-américain qui a effectué gratuitement des milliers d’opérations du coeur, est la nouvelle Ministre de la Santé. Elle hérite de la lourde tâche de remettre sur pied le système défaillant des hôpitaux publics.

La chirurgienne Isabel Iturria, présidente-fondatrice depuis 2006 de l’Hôpital Cardiologique Infantile latino-américain qui a effectué gratuitement des milliers d’opérations du coeur, est la nouvelle Ministre de la Santé. Elle hérite de la lourde tâche de remettre sur pied le système défaillant des hôpitaux publics.

L’avocate Andreina Tarazón est nommée Ministre de la Femme et de l’Égalité de genres. Priorités de cette militante féministe : former et intégrer les femmes des secteurs populaires dans les projets socio-productifs pour lutter efficacement contre la pauvreté et mettre fin aux violences et aux discriminations qui ont survécu dans une société marquée par le machisme.

L’avocate Andreina Tarazón est nommée Ministre de la Femme et de l’Égalité de Genre. Priorités de cette militante féministe : former et intégrer les femmes des secteurs populaires dans les projets socio-productifs pour lutter efficacement contre la pauvreté et mettre fin aux violences et aux discriminations qui ont survécu dans une société marquée par le machisme.

Thierry Deronne, Caracas, le 19 juillet 2013

Notes :

  1. Sur ces cinq objectifs : “Ce que va faire la révolution bolivarienne de 2013 à 2019”, https://venezuelainfos.wordpress.com/2013/04/15/ce-que-va-faire-la-revolution-bolivarienne-de-2013-a-2019/
  2. « Nous t’écoutons, Claudia« , https://venezuelainfos.wordpress.com/2013/05/06/nous-tecoutons-claudia/
  3. Le président Chávez exige d’avancer vers une communication plus profonde et plus populaire « avec les travailleurs, depuis les usines » et critique l’incapacité du gouvernement à mettre en place l’État communal.”, https://venezuelainfos.wordpress.com/2012/10/21/le-president-chavez-exige-davancer-vers-une-communication-plus-profonde-et-plus-populaire-avec-les-travailleurs-depuis-les-usines/
  4.  “Face à une Amérique du Sud unie et souveraine, la France et l’Europe ridicules”, https://venezuelainfos.wordpress.com/2013/07/05/face-a-une-amerique-du-sud-unie-et-souveraine-la-france-et-leurope-ridicules/ et la note de protestation du Venezuela : http://www.legrandsoir.info/note-de-protestation-aux-gouvernements-d-espagne-de-france-d-italie-et-du-portugal.html

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2013/07/19/nicolas-maduro-le-pouvoir-du-peuple-quand-il-ne-sexerce-plus-finit-par-satrophier/