« 2023, l’heure d’un monde nouveau » : l’interview de Nicolas Maduro par Ignacio Ramonet

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président, avant toute chose je vous remercie de me recevoir à nouveau pour cette entrevue, il est bon de poursuivre cette tradition – c’est déjà la septième occasion où nous rencontrons à la fin d’une année pour aborder la suivante sur la base de vos analyses et du bilan, mis aussi des perspectives sur ce qui aura lieu. Cet entretien va tourner comme d’habitude autour de trois thèmes principaux : d’abord nous allons parler de politique intérieure, de la situation interne du Venezuela. Ensuite nous parlerons d’économie et enfin, de politique internationale. Trois questions pour chaque thème. Commençons par la situation au Venezuela. 2022 a été marqué par une série d’inondations, de tempêtes causées en partie par le phénomène appelé “La Niña”, et qui a provoqué en particulier au Venezuela des catastrophes, comme à Tejerias en octobre dernier, et je voulais vous demander Président comment est la situation sur place, qu’a fait votre gouvernement pour tenter d’aider les victimes de Tejerías? Quelle réflexion vous inspire la situation qu’a vécue le Venezuela?

Nicolás Maduro – Tout d’abord, Ramonet, tu es toujours le bienvenu au Venezuela. C’est en effet la septième fois que nous réalisons cette interview pour commencer l’année, le premier janvier. Bonne année à vous, à vos proches et bonne année à tous ceux qui nous voient et à tous ceux qui nous écoutent.

Oui, en 2022, nous avons connu des situations résultant du changement climatique qui ont douloureusement affecté des milliers de familles au Venezuela, en particulier le cas de Las Tejerías, qui était une avalanche impressionnante où, à partir d’un petit ravin, une débordement gigantesque s’est produit, un glissement de terrain qui a causé la mort de plus de 50 personnes, un groupe a disparu et des centaines de personnes se sont retrouvées sans abri. Nous avons agi immédiatement dans ce cas et dans tous les autres, car nous avons également été touchés dans le centre du pays, dans une région, dans un secteur appelé El Castaño. Nous avons également été touchés dans l’État de La Guaira sur la côte vénézuélienne, à Caracas, dans l’est du pays, dans les Andes, Mérida, Táchira, Trujillo; nous avons été actifs pendant des mois, nous entrons maintenant dans une saison un peu plus calme, mais nous sommes toujours présents directement, en personne, sur le terrain. Ici il n’y a pas de peuple orphelin, Ramonet, ici le peuple a un gouvernement pour le protéger, pour l’accompagner en toutes circonstances, surtout dans les plus difficiles, adverses, douloureuses, comme dans le cas de ces destructions causées par les pluies torrentielles; nous avons garanti à la population une assistance directe, un toit, un accompagnement constant. Puis nous avons commencé un processus de rétablissement de tous les services commerciaux, des services publics pour la vie des gens de Las Tejerías, et la vie de toutes les villes affectées par ces pluies torrentielles, qui a fait des progrès extraordinaires.

Et la garantie la plus importante : la garantie du logement, le droit d’avoir un toit au-dessus de sa tête. J’ai dit aux personnes qui ont perdu leurs maisons à Las Tejerías : vous entrerez dans l’année 2023 avec votre propre maison, et grâce aux efforts de la Grande Mission du Logement Venezuela nous avons tenu notre promesse. Ces personnes qui ont été si horriblement touchées, qui ont perdu leur maison et souvent leurs proches, ont maintenant retrouvé un logement. Le Venezuela est donc prêt à réagir. Cette année 2022 qui s’est écoulée nous a mis à l’épreuve, mais une fois de plus, le pouvoir du peuple, le pouvoir des Forces armées nationales bolivariennes et le pouvoir politique du gouvernement national se sont unis pour répondre aux besoins de la population.

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président, vous avez lancé cette année une nouvelle façon de gouverner, que vous appelez le système 1×10 de bonne gouvernance, et vous l’avez définie comme une méthode innovante, pouvez-vous nous expliquer en particulier, pour le public international, de quoi il s’agit ?

Et d’autre part, comment évaluez-vous ce système dans les politiques développées par votre gouvernement dans des circonstances particulières, celles imposées par le blocus économique international ?

Nicolás Maduro – Eh bien, nous renouvelons des formes d’action politique directe avec le mouvement populaire, avec le pouvoir populaire. Au Venezuela, il y a un pouvoir puissant, si je peux utiliser l’expression : un pouvoir populaire, un peuple doté de pouvoir et qui exerce son leadership dans les rues, dans les communautés, à la base. Il y a des millions d’hommes et de femmes qui sont les leaders des communautés, il y a plus de 48.000 conseils communaux à la base, qui fonctionnent de manière très démocratique ; et nous avons aussi un peuple mobilisé en permanence à travers des programmes sociaux, des missions éducatives, la mission de santé, avec les Comités d’Approvisionnement et de Production, les CLAP, un peuple qui s’active dans ses communautés. Nous avons donc cherché depuis quelque temps déjà, une méthode par laquelle les gens pourraient communiquer leurs alertes, leurs plaintes, leurs besoins directement au gouvernement national, en coordination avec les gouvernements régionaux et municipaux. Au-delà d’un morceau de papier, au-delà d’autres formes d’expression que les gens peuvent avoir, nous avons conçu plusieurs mécanismes. Tout d’abord, une application, une App qui est un réseau social, Ven-App, et dans l’application Ven-App nous avons placé une fenêtre : la Ligne 58, pour que les gens puissent faire leurs plaintes et que ces plaintes, ces alertes parviennent à un poste de commandement présidentiel central. Nous avons expliqué à la population que nous allions agir par le biais de cette application – qu’on peut activer depuis le téléphone portable, depuis une tablette, un ordinateur, différentes modalités technologiques. Et en effet, les gens ont commencé à l’utiliser.

Et nous nous sommes fixé trois priorités pour commencer : les plaintes concernant les situations dans le service public de l’eau, qui, selon toutes les enquêtes, était l’une des questions les plus prioritaires, les plus préoccupantes pour les gens. L’éducation et la santé. Nous avons commencé avec ces trois-là. Et ça a été fabuleux.

Puis après deux, trois mois, nous avons incorporé les télécommunications, l’électricité et d’autres secteurs. Cela signifie que nous avons traité l’équation des problèmes qui touchent le plus la population, afin que celle-ci puisse formuler ses plaintes. Et le résultat a été merveilleux, car cela nous connecte directement au véritable problème de la communauté, et oblige également l’État, les institutions, les organisations à y répondre et à les résoudre en temps réel. Nous avons atteint une capacité de réponse de 85 % en matière de plaintes, d’alertes, de résolution, par exemple, de la rupture d’une conduite d’eau ou d’un tuyau d’égout.

Après cela j’ai mis en place “le 1×10 de la bonne gouvernance”, nous l’appelons “1×10” parce que nous demandons aux gens de s’organiser en équipes de travail de dix personnes pour recueillir les plaintes, les alertes, faire ce travail communautaire. Et cela a fonctionné, près de 7 millions de personnes se sont inscrites, notamment des citoyens qui sont déjà membres des 1×10 de la bonne gouvernance. Ce système trouve son origine, Ramonet, tu dois le savoir, dans des mécanismes que nous avons historiquement appliqués pour nos mobilisations électorales : un(e) militant(e) cherche dix personnes pour les inciter à voter. Alors j’ai dit, eh bien, si ça marche pour la vie électorale, pour la vie politique, pourquoi cet immense capacité que les gens ont montré dans le 1×10 ne pourrait-il pas marcher pour gouverner, pour résoudre les problèmes des gens ? Et ça a été merveilleux.

Sur cette base du “1×10” de la bonne gouvernance, face aux problèmes de l’éducation et de la santé très affectées par le manque d’investissement en raison des sanctions et du blocus, nous avons créé quelque chose qui s’appelle les Bricomiles, les Brigades communautaires militaires pour l’éducation et la santé, leur mission est la réparation structurelle totale des établissements scolaires, écoles, lycées, des établissements de santé, des cliniques, des centres de diagnostic intégral, etc. Et ça a été merveilleux.

Nous faisons des miracles, nous faisons des choses qui seraient impossibles à planifier en raison du manque de ressources, en raison du blocus, de la persécution criminelle de l’impérialisme ; nous faisons des choses avec les ressources du pouvoir populaire, des forces armées, et avec les ressources fournies par le gouvernement national, nous avons réparé des milliers d’écoles, réparées et rénovées à 100%. Nous avons réparé des centaines de cliniques et nous progressons sur les grands problèmes. Le 1×10 de la bonne gouvernance a donc été une heureuse création de 2022. Et cette année 2023, nous allons approfondir tous les mécanismes qui nous conduisent à une connexion directe avec les gens, leurs besoins, car c’est là que l’on se demande, Ramonet, pourquoi un gouvernement existe ?

Ignacio Ramonet – Révolutionnaire en particulier, parce que c’est une des dimensions, j’imagine, de la révolution bolivarienne, justement.

Nicolás Maduro – Exact.

Ignacio Ramonet – Réaliser une sorte de démocratie directe également, en articulant la société et le gouvernement, comme vous dites.

Nicolás Maduro – La méthode du 1×10 est une expression de la démocratie réelle, de la nouvelle démocratie, de la démocratie populaire, de la démocratie directe. Le 1×10 répond à la question : A quoi sert un gouvernement ? Un gouvernement doit servir le peuple, les citoyens. Et comment va-t-il s’y prendre ? Eh bien, nous créons des moyens technologiques à travers de nouveaux réseaux sociaux, à travers de nouvelles applications, et surtout à travers l’organisation et la responsabilisation du peuple, l’organisation et la responsabilisation du pouvoir populaire.

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président, parlons de la politique en termes concrets. Fin novembre de l’année dernière, après 15 mois d’interruption, les pourparlers ont repris avec une partie de l’opposition, disons l’opposition extra-parlementaire.

Quelle est votre évaluation du processus de dialogue qui a été relancé ? Et d’autre part, quels obstacles voyez-vous à la poursuite de ce processus de dialogue avec l’opposition ?

Nicolás Maduro – Eh bien, remarquons d’abord que le monde fait une erreur, une erreur induite par les agences de presse et les grands médias hégémoniques du capitalisme mondial : dire que le gouvernement bolivarien que je préside, et les forces bolivariennes, entament un dialogue avec « l’opposition ».

Ignacio Ramonet« L’opposition ».

Nicolás Maduro – Oui, car la première chose à comprendre est qu’il n’y a pas « une » mais plusieurs oppositions, et ce processus de fragmentation, de création et d’atomisation de l’opposition est le résultat des politiques extrémistes qui ont été appliquées pendant quatre ans par le gouvernement de Donald Trump, pour mettre le Venezuela à genoux, pour soumettre le Venezuela ; Suite aux graves dommages causés dans les domaines économique, financier, commercial, énergétique et social, l’opposition a implosé en tentant d’appliquer une politique déconnectée de la réalité, avec des gouvernements parallèles, des pouvoirs parallèles qui n’étaient pas enracinés dans la réalité. L’empire états-unien, certains en Europe, plusieurs gouvernements de droite en Amérique latine, ont cru comme nous disons ici, que « le travail était fait ». Qu’il suffisait de nommer “leur président”, point final.

Mais ils n’ont pas compris le Venezuela, ils n’ont pas compris la force institutionnelle républicaine du Venezuela, ils n’ont pas compris la force populaire de la révolution bolivarienne ; ils ont pensé  » ça y est « , qu’il suffisait de mener une campagne de dénigrement contre Maduro et le destituer. Ils ne comprennent pas que Maduro est le produit d’un processus historique, d’une force, d’une puissante union civile-militaire, avec des racines idéologiques, culturelles et politiques profondes. En ne comprenant pas cela, ils se sont autodétruits, ont volé en éclats. Donc, la première chose que nous devons dire est que nous sommes en dialogue avec toutes les oppositions.

L’opposition la plus connue en Occident, appelée Plate-forme Unie du Venezuela, qui a été dirigée par Guaidó de manière erratique pendant un certain temps, et qui rassemble des gens comme Capriles Radonski, Ramos Allup et d’autres, Manuel Rosales gouverneur de Zulia, eh bien, oui, avec eux nous avons une conversation, un dialogue permanent, nous avons une négociation et nous avons trouvé certains accords. Nous avons signé deux accords, entre le gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela et la plate-forme unitaire de l’opposition.

Le dernier accord que nous avons signé est un accord social élaboré dans le détail pour récupérer 3,15 milliards de dollars gelés, séquestrés dans des banques à l’étranger. Cet argent appartient à l’État vénézuélien, à la société vénézuélienne. Le plan est de récupérer cet argent pour l’investir dans les services publics – l’électricité, l’eau, l’éducation, la santé – et pour atténuer certains des dégâts causés par les pluies torrentielles de 2022. Cet accord a été signé, mais il a été difficile d’obtenir du gouvernement états-unien qu’il prenne les mesures nécessaires pour libérer ces ressources. J’ai vraiment confiance dans le pouvoir de la parole donnée par une personne honorable comme Gerardo Blyde, par exemple, qui est le chef de la commission de négociation de ce secteur de l’opposition, ils devront montrer au pays s’ils tiennent ou non leur parole. Espérons-le.

Maintenant, je peux aussi te dire, Ramonet, qu’en 2022, nous avons promu le dialogue avec toute les oppositions. J’ai eu des réunions au palais présidentiel avec l’Alliance démocratique, qui réunit les secrétaires généraux du parti Action démocratique, de Copei (parti social-chrétien), du parti Primero Venezuela, du parti Cambiemos et du parti Avanzada Progresista. Cette alliance est celle qui a obtenu le plus de voix lors des dernières élections de gouverneurs et de maires au Venezuela. J’ai également rencontré le parti Fuerza Vecinal, un mouvement jeune composé d’une quarantaine de maires du pays, j’ai écouté leurs critiques, leurs contributions, leurs propositions, nous nous sommes écoutés, nous avons eu un long dialogue. J’ai également rencontré un jeune dirigeant vénézuélien du parti Lápiz, qui regroupe un ensemble de mouvements éducatifs, culturels et sociaux, avec Antonio Ecarri, nous sommes donc dans un dialogue politique permanent avec tous les secteurs économiques, avec tous les secteurs sociaux et culturels du pays.
Si quelque chose nous caractérise, et me caractérise en tant que président de la République, c’est que j’ai toujours tendu la main, j’ai toujours été disposé à écouter, à dialoguer, à parler avec tous les secteurs, et je pense que c’est l’une des clés qui explique qu’en 2022 nous ayons consolidé ce climat d’harmonie, de paix, de coexistence que le Venezuela a aujourd’hui.

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président, nous allons passer au deuxième sujet, nous allons parler de l’économie. Et à cet égard, il y a une opinion majoritaire, peut-être en raison de l’atmosphère dont vous parliez, de l’harmonie qui a été créée. Et c’est que la plupart des observateurs considèrent que l’année 2022 a été spectaculairement positive pour l’économie du Venezuela. Votre gouvernement en particulier a remporté une victoire, que beaucoup de gens pensaient impossible, en vainquant l’hyperinflation, par exemple. Et maintenant, la Banque centrale du Venezuela dit que la croissance au Venezuela a été d’environ 19%, alors que la CEPAL (ONU) parle d’une perspective de croissance de 12%.

La question est donc la suivante : que pouvez-vous nous dire sur ce miracle économique vénézuélien, quelle en est la raison, comment l’expliquez-vous ?
Et d’autre part, quelles sont les perspectives économiques du Venezuela en 2023, quels sont les objectifs que vous vous fixez ?

Nicolás Maduro – Les années les plus difficiles ont été celles où tout ce groupe de sanctions criminelles a été activé, plus de 927 sanctions criminelles contre toute la société vénézuélienne, contre l’économie, contre l’appareil productif, contre l’industrie pétrolière – la grande industrie du Venezuela. Pendant plus de 100 ans, le Venezuela a vécu uniquement grâce au pétrodollar, d’une part le flux de dollars, et d’autre part il a dépensé avec un chéquier gigantesque pour importer tout ce qu’il consommait.
Pratiquement 80, 85% de tout ce qui est consommé au Venezuela provient des pétrodollars, et cela a permis au Venezuela d’avoir l’un des niveaux les plus élevés de dépenses publiques et de qualité de vie, surtout à l’époque du commandant Hugo Chávez.

Pendant ces années difficiles où l’industrie pétrolière a été attaquée, je peux te donner un chiffre : le Venezuela a perdu 232 milliards de dollars, et le produit intérieur brut a subi un préjudice économique de plus de 630 milliards de dollars. Ces chiffres sont gigantesques ; pour un pays, passer d’un niveau de revenus de 56 milliards de dollars à 700 millions de dollars en un an, c’est une catastrophe. Néanmoins, grâce à la politique sociale de la révolution, aux missions sociales de la révolution, nous avons réussi à résister à l’impact dévastateur des sanctions, des persécutions et de toute cette guerre de missiles économiques, de missiles lancés contre toute l’économie, contre toute la société.

Nous avons créé les bases d’un processus de redressement structurel : le premier fut l’activation des 18 moteurs de l’agenda économique bolivarien. Le second, l’établissement d’un nouveau système de taux de change. Et puis il y a tout un ensemble de décisions et de mesures qui ont été prises pour protéger le système industriel, le système de production agricole, le système bancaire. Il s’agit d’un ensemble de politiques publiques judicieuses qui ont été accordées avec tous les secteurs économiques, sociaux et politiques du pays et qui sont le fruit de débats, de conversations et de dialogues.

A la fin de 2020, l’année de la pandémie, nous avons commencé à voir les premiers signes de reprise. En 2021, le Venezuela a connu sa première année de croissance modérée, et cette année, en 2022, les forces productives du pays se sont libérées.

Je peux te donner un autre fait : le Venezuela, qui dépendait des importations pour 80, 85% de toute sa nourriture, produit aujourd’hui 94% de la nourriture qui arrive aux foyers vénézuéliens, un record, un miracle agricole. Grâce à quoi ? Au fait que des centaines de producteurs, d’entrepreneurs ruraux, ont commencé à travailler, à produire, et que leur production parvient aux principaux marchés du pays, directement aux foyers.

Il y a une croissance industrielle qui a un grand impact mais qui connaît encore une brèche, nous pouvons croître encore plus. Le Venezuela a une croissance à deux chiffres cette année, la Banque centrale du Venezuela a déjà donné quelques chiffres importants, la CEPAL en a donné d’autres en ce sens. Cette croissance, je peux te le dire, pour la première fois depuis plus de 100 ans, est une croissance de l’économie réelle non pétrolière, c’est une croissance de l’économie qui produit de la nourriture, des biens, des services, de la richesse, qui paie aussi des impôts. Parce que nous battons des records dans la collecte des impôts pour l’année 2022.

Ignacio Ramonet – En d’autres termes, il s’agit également d’une diversification de l’économie vénézuélienne, qui était auparavant trop étroitement liée au pétrole.

Nicolás Maduro – Exact. Et c’est ce que je suis déterminé à dire à tous les secteurs économiques, à tous les secteurs politiques, à tout le Venezuela, notre chemin ne peut pas être de revenir à la dépendance pétrolière, notre chemin doit être de nous libérer de la dépendance pétrolière de manière définitive, de nous libérer du vieux modèle capitaliste rentier dépendant du pétrole. Le Venezuela a ce qu’il faut, le Venezuela a un appareil industriel avec un bon niveau technologique, une bonne capacité productive, et il le prouve.

Dans les pires années : 2018, 2019, je disais cela, et certaines personnes me regardaient comme si j’étais fou, « Maduro est devenu fou ». Mais je savais que ce dont nous disposons, nous l’avons étudié. Je peux te le dire : nous avons une équipe du plus haut niveau, de la plus haute qualité technique, économique et académique, pour formuler les politiques publiques, nous avons une super équipe pour l’économie, qui s’est aussi diversifiée et qui écoute toutes les opinions. Ce qui pourrait faire le plus de dégâts à une économie qui sort du sous-développement, qui sort de la dépendance pétrolière, qui est soumise au harcèlement et à la persécution états-unienne et impérialiste, ce qui pourrait faire le plus de dégâts, c’est que nous tombions dans des dogmes. Non ! Nous sommes anti-dogmatiques, nous avons un projet national, le projet national Simón Bolívar, nous avons des objectifs très clairs dans la construction d’un modèle diversifié, productif, et nous nous adaptons, nous nous mettons d’accord sur des politiques publiques de récupération structurelle.

Le Venezuela, je peux le dire aujourd’hui, vit la première étape d’un long cycle de reprise et de croissance structurelle, d’une nouvelle structure, d’une nouvelle économie, et c’est le chemin que nous allons poursuivre.

Ignacio Ramonet – Président, il y a cependant quelques nuages dans ce panorama très positif, à savoir la question du dollar, la pression du dollar parallèle et aussi la hausse des prix qui a été observée ces derniers mois. Pensez-vous que ces deux questions, la pression du dollar parallèle et la hausse des prix, puissent constituer un danger pour la reprise économique du pays ? Quels outils comptez-vous utiliser pour limiter la pression de la hausse des prix et la pression du dollar parallèle ?

Nicolás Maduro – C’est une grande perturbation, ce sont les blessures qui restent des instruments de la guerre économique, une phase que nous sommes en train de surmonter pas à pas, progressivement. Il y a eu une guerre contre notre monnaie et il y a eu différents instruments pour cela : le Dollar Today, le Dollar Cúcuta, c’était un dollar fictif, pour la guerre économique. Maintenant les mécanismes sont plus sophistiqués, ils passent par les crypto-monnaies, qui régissent le taux de change de manière spéculative avec un objectif politique, ce sont effectivement des perturbations. Je peux te dire que si nous comparons avec les années 2020, 2021 et 2022, nous avons réussi à calmer une bonne partie de cette perturbation, mais au cours des trois derniers mois, elle a eu de nouveau un grand impact sur le nouveau système de taux de change qui existe dans le pays, qui est fondamentalement un système de taux de change lié au marché. Pendant 100 ans, Ramonet, le Venezuela a vécu avec des systèmes de change dépendant du pétrodollar ; aujourd’hui, il n’y a pas de pétrodollar, l’économie doit donc avoir un système de change où elle se nourrit du dollar, de devises dans son propre processus productif, suivant des cercles vertueux qui lui permettent d’avoir un approvisionnement suffisant en devises. Il existe des facteurs objectifs et non-objectifs. Parmi les facteurs objectifs à l’origine des turbulences que nous avons connues au cours des trois derniers mois, il y a la surchauffe du commerce. Les échanges commerciaux ont été multipliés par sept par rapport au reste de l’année ; par exemple, dans le Banco de Venezuela, notre plus grande banque, normalement au cours de l’année dans un bon jour d’activité commerciale on effectue jusqu’à 100 mille transactions par minute, puis en octobre cela a atteint 500 mille transactions, et maintenant en décembre il y a eu des jours où il a atteint 700 mille transactions par minute. Cette surchauffe a nécessité un montant plus important et plus élevé de devises étrangères pour faire bouger le marché. Il s’agit d’une raison économique, mais elle ne justifie en rien les raisons non objectives, à savoir la spéculation pour causer des dommages économiques, pour poignarder la reprise économique. Mais nous allons contrôler cette situation, tous les secteurs économiques et le gouvernement vont construire un système de taux de change stable, pour défendre la monnaie et pour que l’économie fonctionne avec des circuits vertueux à partir de maintenant; nous allons aussi guérir cette perturbation, cette blessure.

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président, à la fin du mois de novembre, votre gouvernement a annoncé des accords avec la compagnie pétrolière américaine Chevron et, à cet égard, je voudrais vous demander si cet accord avec Chevron signifie que Washington lève certaines des sanctions contre le Venezuela et quel pourrait être l’impact des accords avec Chevron sur l’industrie pétrolière vénézuélienne.

Nicolás Maduro – Eh bien, cela ne signifie pas que les sanctions ont été levées, elles donnent simplement à Chevron, une entreprise états-unienne qui produit au Venezuela depuis 100 ans maintenant en 2023, une licence pour venir travailler, produire, investir. Les relations avec Chevron et les négociations avec eux ont eu lieu dans le cadre de la Constitution, des lois ; le dialogue et les conversations avec eux sont extraordinaires, et j’espère que tous les projets qui ont été signés, tous les contrats qui ont été signés, seront effectivement réalisés.

Et j’envoie un message à toutes les entreprises énergétiques du monde, aux États-Unis, en Europe, en Amérique latine, en Asie ; ici, au Venezuela, nous avons les plus grandes réserves de pétrole certifiées du monde, ici, au Venezuela, nous sommes en train de certifier les quatrièmes plus grandes réserves de gaz du monde. Le Venezuela est une puissance énergétique, personne ne pourra nous sortir de l’équation énergétique mondiale. Nous sommes fondateurs de l’OPEP, fondateurs et leaders de l’OPEP-Plus, et nous allons poursuivre ce processus. Le Venezuela a donc les portes ouvertes, avec des conditions spéciales pour l’investissement, pour la production, avec la stabilité politique, avec la stabilité sociale. Donc, c’est un bon pas, cette licence Chevron, lorsqu’elle sera mise en pratique va démontrer que nous pouvons travailler ensemble et qu’ils peuvent venir au Venezuela pendant encore 100 ans, s’ils le veulent.

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président, nous arrivons maintenant à la dernière étape de cette interview, la politique internationale, un sujet que vous connaissez déjà, nul n’oublie que vous avez été ministre des Affaires étrangères de la République pendant au moins huit ans.

En juin dernier, vous avez effectué une tournée internationale réussie, vous avez visité des pays comme la Turquie, l’Iran, l’Algérie, le Koweït, le Qatar, l’Azerbaïdjan, et vous avez montré que vous n’étiez pas isolé, pas plus que le Venezuela. D’autre part, d’importants changements géopolitiques et énergétiques se produisent actuellement dans le monde, notamment en raison du conflit en Ukraine, et de nombreuses capitales – comme vous l’aviez suggéré à l’époque – se rapprochent à nouveau ou pourraient se rapprocher du Venezuela, qui, comme vous l’avez souligné, est l’une des principales réserves d’hydrocarbures au monde.

Dans ce contexte, je voulais vous demander, quelles perspectives voyez-vous à une éventuelle normalisation des relations entre le Venezuela et les États-Unis, et également une normalisation des relations avec l’Union européenne, ou avec d’autres puissances qui, à un moment donné, se sont jointes aux sanctions contre votre gouvernement ?

Nicolás Maduro – Eh bien, avec l’Union européenne, je dirais que les choses avancent bien, il y a un dialogue permanent avec M. Borrell, un dialogue avec l’ambassadeur de l’Union Européenne au Venezuela. Récemment, l’Espagne a nommé un ambassadeur à Caracas, et a donné son approbation à la diplomate vénézuélienne Coromoto Godoy comme nouvelle ambassadrice à Madrid, elle sera à Madrid très bientôt. Je pense qu’en général, pas à pas, avec une patience stratégique, avec de la diplomatie, avec du respect, nous pouvons progresser avec l’Union Européenne.

Avec les États-Unis, ils restent malheureusement piégés par leur politique insensée sur le Venezuela, en soutenant des institutions inexistantes, une présidence intérimaire, une assemblée fictive qu’ils continuent à soutenir, d’une manière ou d’une autre le chantage éléctoral de la Floride, de Miami-Dade, influence fortement la politique étrangère de la Maison Blanche, du Département d’État, c’est regrettable. Le Venezuela est prêt, totalement prêt à aller vers un processus de normalisation et de régularisation des relations diplomatiques, consulaires, politiques, avec ce gouvernement des États-Unis et avec les gouvernements qui pourraient venir ; une chose sont les différences politiques stratégiques, la vision que l’on peut avoir du monde, une autre qu’il n’y ait pas de relations. C’est l’anti-politique qui a été imposée par le modèle Trump. Trump a imposé un modèle au Venezuela, l’anti-politique du coup d’Etat, la menace d’invasions, des sanctions extrémistes, la tentative de briser le pays de l’intérieur, d’imposer un président de l’extérieur. Et toutes ces politiques ont échoué, elles ont été vaincues, d’abord par la réalité et ensuite par notre force. Nous sommes une réalité au Venezuela : le chavisme, le bolivarianisme, sont une réalité puissante au Venezuela, au-delà de Nicolás Maduro. Ils ressassent leur petite musique, la même qu’ils ont appliquée au Comandante Chávez, “le régime Chávez”, “le régime Chávez”. Il n’y a jamais eu de régime Chávez, il y a eu un régime constitutionnel, un état de droit social et démocratique, de justice ; et donc maintenant ils répètent la même formule : Le “régime de Maduro”. Moi, Maduro, je voudrais construire un régime pour moi ? S’il vous plaît ! un peu de considération, un peu d’intelligence.

Nous sommes prêts pour un dialogue au plus haut niveau, pour des relations respectueuses, et j’espère, j’espère, qu’un halo de lumière éclairera les États-Unis d’Amérique, qu’ils tourneront la page et laisseront de côté cette politique extrémiste, et arriveront à des politiques plus pragmatiques par rapport au Venezuela, nous sommes prêts, j’espère que cela arrivera.

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président, en Amérique latine, il y a eu de nombreux changements relativement positifs du point de vue, je pense, de Caracas ; ce premier janvier 2023, votre ami Lula da Silva va reprendre la présidence du Brésil, c’est une immense victoire, et il y a eu aussi la récente victoire de Gustavo Petro en Colombie. Nous pourrions dire que malgré la situation actuelle au Pérou, nous sommes globalement face à une nouvelle Amérique latine avec une majorité de gauche. La question est la suivante : quelle est votre analyse de cette nouvelle Amérique latine, et quelles perspectives lui voyez-vous ? Et en particulier, comment voyez-vous l’évolution des relations entre le Venezuela et la Colombie, lorsque ce premier janvier, en principe, la continuité et la liaison routière entre la Colombie et le Venezuela seront rétablies ?

Nicolás Maduro – En 2022, il y a eu de bonnes nouvelles, dans le contexte d’une Amérique latine caribéenne en conflit – le projet impérial de domination, de recolonisation, d’assujettissement de nos pays est en conflit avec les différents projets d’indépendance, de démocratisation, d’amélioration de la vie de nos peuples ; Il s’agit d’une lutte historique, une lutte historique entre les projets latino-américains et caribéens, avec leur propre empreinte et leur propre signe national, et les projets oligarchiques liés, malheureusement, et soumis, aux intérêts impériaux ; dans cette lutte, on a dit qu’une deuxième vague se lève, on l’a beaucoup dit. Par rapport à la première vague, nous savions tout ce qui découlait du triomphe du Commandant Chávez et des triomphes de Lula da Silva, Néstor Kirchner, Tabaré Vázquez, Evo Morales, Rafael Correa, le Front Sandiniste, Daniel Ortega, la force de Cuba…

Ignacio Ramonet – Fernando Lugo…

Nicolás Maduro – … Mel Zelaya, toute cette vague.

Ignacio Ramonet – Lugo au Paraguay.

Nicolás Maduro – Cette vague qui a surgi sur le continent avait beaucoup de cohésion, beaucoup de cohérence, beaucoup de force, beaucoup d’impact. Puis vint la contre-offensive de l’extrême droite et maintenant une nouvelle vague libératrice, démocratisante, avancée et progressiste semble se lever avec force. Le triomphe de Gustavo Petro en Colombie a signifié d’importants changements pour la vie et la recherche de la paix pour le peuple colombien ; le triomphe et l’accession à la présidence de la République par Lula da Silva signifie, enfin, une formidable avancée géopolitique pour les projets régionalistes, pour la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes, pour la reprise des projets du Sud, de l’UNASUR, de la Banque du Sud, pour la reprise des projets d’intégration dans nos pays. C’est donc une bonne nouvelle. Avec la Colombie, cette année nous avons fait beaucoup de progrès, comme l’ouverture libre et totale des passages frontaliers, maintenant l’ouverture du pont Antonio Ricaurte à Tienditas, sur la frontière entre notre état du Táchira et le nord de Santander en Colombie. Nous avons également pris des mesures importantes dans le domaine du commerce. On estime que la balance commerciale des premiers mois est passée à plus de 600 millions d’euros. La balance commerciale entre la Colombie et le Venezuela commence tout juste à atteindre 600 millions, ce qui représente un grand potentiel.

De même, au Venezuela, des pourparlers de paix ont été mis en place avec le projet de paix totale du président Petro, et nous soutenons pleinement toutes les initiatives de paix, y compris celle qui a été mise en place au Venezuela, dans les pourparlers de paix avec l’Armée de libération nationale. Je crois que dans ce sens, le Venezuela et la Colombie sont en train d’embrasser la réunion des frères, et c’est une bonne nouvelle pour les deux pays et pour toute l’Amérique latine.

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président, une dernière question. Vous vous êtes récemment rendu en Égypte notamment pour participer au Sommet sur le Climat et vous avez pu y développer votre propre vision des solutions à apporter au changement climatique, ainsi que votre analyse de la situation géopolitique internationale, mais vous avez également profité de cette rencontre internationale pour établir des contacts directs avec des dirigeants internationaux. Pour conclure cette interview, j’aimerais vous demander quelle est votre vision du nouveau scénario international conflictuel, et quels sont, selon vous, les atouts et les espoirs d’un nouveau monde multipolaire ?

Nicolás Maduro – Au sommet sur le changement climatique, la COP-27 en Égypte, nous avons pu rencontrer pendant trois jours les délégations de plus de 190 pays. Je peux vous dire que j’ai serré la main de la grande majorité des chefs d’État, des chefs de gouvernement, des chefs de presque toutes les délégations ; nous avons eu de longues réunions, des conversations avec tous ces présidents et premiers ministres. Qu’ai-je ressenti, Ramonet ? Du respect. De l’admiration pour les actions du peuple vénézuélien. La reconnaissance des dirigeants du monde pour le Venezuela debout, pour le Venezuela victorieux, pour le Venezuela qui donne l’exemple et qui ne s’est pas laissé écraser, ni mettre à genoux par les empires du monde. Et c’est ainsi que les gens du monde entier m’ont dit en privé, dans des conversations, dans le couloir, dans la salle de réunion, dans des conversations bilatérales : admiration, respect, reconnaissance pour la révolution bolivarienne, pour le peuple du Venezuela, pour toute la trajectoire démocratique que nous avons accomplie pendant toutes ces années.

Nous avons porté la voix du Venezuela : véritablement les ravages causés par le modèle capitaliste en 200 ans nous ont conduit à une urgence climatique, nous vivons déjà une urgence climatique. Nous y avons rencontré le président Petro, le président du Suriname, et nous avons fait une proposition que le président Lula a acceptée, celle d’organiser très prochainement au Brésil un sommet de l’Organisation du traité de l’Amazonie, qui réunira tous les pays amazoniens d’Amérique du Sud ; Nous y porterons la voix du Venezuela pour réactiver l’Organisation du Traité de l’Amazone, et aussi pour parvenir à un plan d’urgence pour récupérer l’Amazonie, pour défendre l’Amazonie comme le grand poumon du monde ; c’est l’un des grands accords que nous avons conclus avec le président Petro, avec le président du Suriname et maintenant avec le président Lula da Silva du Brésil.

Le monde est sans aucun doute dans une situation très difficile, nous vivons les douleurs de l’accouchement d’un monde différent. Nous avons toujours prôné la construction d’un monde pluripolaire, multicentrique, de divers pôles de développement, de pouvoir, de centres qui accompagnent toutes les régions du monde. Le vieux monde des 15ème, 16ème, 17ème, 18ème, 19ème siècles, du colonialisme, puis du néo-colonialisme du 20ème siècle, doit être abandonné pour de bon. Personne ne peut croire qu’à partir de deux ou trois métropoles, on peut gouverner le monde, on peut soumettre les peuples. Il y a déjà des régions très fortes, comme l’Asie, le Pacifique, l’Afrique elle-même, l’Amérique latine et les Caraïbes, nous sommes des blocs de pays qui sont en train de devenir des pôles de la puissance mondiale. Devons-nous renoncer à nos droits à la paix, au développement, au progrès scientifique et technologique, à nos propres modèles culturels, à nos propres modèles politiques ? Devons-nous y renoncer ? Non. Devrions-nous assumer la domination unipolaire d’une métropole qui prétend dicter sa loi au monde ? Non. C’est l’heure d’un monde nouveau, d’une nouvelle géopolitique qui redistribue le pouvoir dans le monde. La guerre en Ukraine fait partie des douleurs de l’accouchement d’un monde qui va émerger.

Nous ne doutons pas que nous en serons, nous avons voulu être l’avant-garde, fermement, courageusement, depuis la diplomatie bolivarienne, depuis la diplomatie chaviste, de la construction de ce nouveau monde. Nous apportons notre contribution de manière humble mais significative, depuis les idées de Bolivar, depuis les idées de Hugo Chávez, dans la construction d’un autre monde où nous pouvons tous nous intégrer, où nous pouvons vivre ensemble en paix et où les peuples peuvent surmonter les séquelles de siècles de colonialisme et de néocolonialisme. Nous croyons en ce monde et ce monde va émerger, n’en doute pas, Ramonet.

Ignacio Ramonet – Merci beaucoup, Monsieur le Président, pour cette interview. Je profite de l’occasion pour vous souhaiter, ainsi qu’à votre famille, votre pays, votre peuple et la révolution bolivarienne, de bonnes fêtes de fin d’année et une nouvelle année prospère.

Nicolás Maduro – Bien, et mes salutations à tous ceux qui nous regardent et nous écoutent à la télévision, sur YouTube, sur Instagram, sur Facebook, sur Periscope, sur Twitter, de toutes les manières dont vous pouvez nous voir et nous entendre, mes salutations du Venezuela à tous nos amis du monde entier. Merci Ramonet.

Ignacio Ramonet – Merci, Monsieur le Président.

Entretien réalisé à Caracas et diffusé le 1er janvier 2023

Source : https://t.co/JFsB2jU18Z

Traduction : Thierry Deronne pour Venezuelainfos

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/01/01/2023-lheure-dun-monde-nouveau-linterview-de-nicolas-maduro-par-ignacio-ramonet/

L’alliance entre les Sans Terre du Brésil et la révolution bolivarienne s’intensifie

L’alliance inédite entre un mouvement social et un gouvernement révolutionnaire, scellée par le président Chávez en 2006, se renforce : le président Nicolas Maduro a demandé à son Ministère des Communes et des Mouvements Sociaux d’intensifier la coopération avec les Sans Terre du Brésil.

Le ministère dirigé par Jorge Arreaza, et le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre du Brésil (MST), représenté par son coordinateur national Joao Pedro Stédile, ont tenu le 30 novembre 2022 une vidéoconférence dans le but de renouveler et d’intensifier le programme de coopération et de travail. Un moment particulièrement propice, a rappelé Arreaza, puisque le Venezuela aborde une nouvelle étape de sa transition vers le socialisme et le Brésil entame une nouvelle étape politique avec la victoire de Lula da Silva.

En août dernier, le président Nicolás Maduro avait déjà demandé aux Sans terre de l’aider à développer un projet agro-écologique de plantation de riz. Des représentants du Mouvement ont alors effectué une visite technique au Complexe électronique de systèmes technologiques d’Alcaraván, situé dans l’État rural de Guárico, et ont étudié la possibilité d’une coopération technique. Le protocole d’accord entre ce mouvement social et le ministère des communes existe déjà et a été signé en 2014, huit ans après le premier accord signé avec le gouvernement bolivarien à la suite d’une visite-surprise du Président Chavez à une terre occupée et mise en production par les Sans Terre au Brésil.

Dans son discours, le ministre des Communes Arreaza, a défini le rapprochement comme une nouvelle étape pour générer une alliance politique, technique, technologique et sociale, une alliance intégrale entre le Venezuela et le Brésil, dans laquelle le Mouvement des Sans Terre (MST) et le ministère des communes et mouvements sociaux du Venezuela sont les principaux interlocuteurs.

Un échange de techniques et de savoirs : le Venezuela met à la disposition du MST les processus et les connaissances sur l’expérience de l’organisation du pouvoir populaire et des organisations communardes comme l’outil technologique Sistema de Integración Comunal (SINCO), plate-forme en ligne créée par le Conseil Fédéral du Gouvernement bolivarien pour maintenir une communication directe avec les Conseils Communaux, les Communes, les Mouvements Sociaux et toute organisation de base qui formule ses propres projets et demande l’appui des ressources de l’État.

« Nous avons toujours compris, en théorie et en pratique, que les changements structurels et sociaux ne sont possibles dans une société que lorsque nous parvenons à une équation qui unit un gouvernement populaire à des mouvements populaires forts et disposant d’une masse organisée. Nous suivons votre expérience vénézuélienne avec grand intérêt, car vous avez la possibilité de réunir cette équation » a déclaré Joao Pedro Stedile, de la coordination nationale du MST brésilien, au début de sa participation, au cours de laquelle il a remercié le Venezuela pour sa solidarité constante dans sa lutte politique.

Stedile a expliqué l’expérience particulière du Mouvement en matière « d’organisation, de production, de vie dans les zones rurales« , afin que le ministère des Communes puisse décider comment en faire bénéficier le Venezuela, un aspect de la coopération qu’il a divisé en plusieurs domaines : l’éducation technique, « nous avons investi beaucoup d’énergie dans le développement d’écoles supérieures d’agroécologie et de coopérativisme » ; la formation politique pour élever le niveau de culture et de conscience ; le contrôle des semences, l’agro-industrie coopérative, les machines et outils agricoles, et les bio-intrants, fondamentaux pour affronter le modèle agro-industriel.

Le coordinateur national des Sans Terre a également avancé l’idée d’établir un bureau ou une antenne à Caracas pour la coordination technologique et scientifique, ce que le ministre Arreaza a accueilli positivement, tandis qu’il a proposé de renforcer l’Institut universitaire d’agroécologie « Paulo Freire », situé à Barinas, né de la coopération avec le Mouvement des Sans Terre, dont le leader a ajouté que des écoles d’agroécologie devraient également être créées dans les organisations communardes. Lors de cette vidéoconférence organisée à Caracas le 30 novembre, les deux parties se sont engagées à maintenir la communication et à établir d’autres réunions directes afin de concrétiser et de faire le suivi de ces actions.

Source : https://www.comunas.gob.ve/2022/11/30/ministerio-comunas-movimiento-sin-tierras-brasil-renuevan-programa-trabajo/

Traduction : Thierry Deronne
URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/12/03/lalliance-entre-les-sans-terre-du-bresil-et-la-revolution-bolivarienne-sintensifie/

Les Sans Terre du Brésil à l’école du Venezuela: « ici, le peuple est vraiment le sujet de la révolution. »

Photo: Messilene Gorete, coordinatrice de l’équipe des Sans Terre du Brésil au Venezuela. « Parfois, à gauche, nous avons des schémas très fermés sur le niveau de préparation et de planification nécessaire pour avancer, et cela peut devenir un obstacle. Au Venezuela, les gens savent que tout cela est nécessaire, mais la créativité – dans un pays où les gens sont très spontanés – est une grande vertu de la révolution bolivarienne. Et la commune vénézuélienne est un modèle dont notre continent a besoin.« 

Le Mouvement brésilien des Travailleurs Sans Terre est une puissante organisation paysanne qui lutte pour une réforme agraire radicale et populaire. L’organisation a une longue tradition internationaliste et envoie des brigades de solidarité dans le monde entier pour accompagner les mouvements paysans. Au Venezuela, l’équipe des Sans Terre a été invitée par Hugo Chávez et travaille depuis près de 18 ans. Elle y joue un rôle important dans l’aide aux mouvements communaux et paysans de ce pays des Caraïbes. Entretien avec Messilene Gorete, qui coordonne cette équipe.

L’internationalisme a toujours été important pour le Mouvement des Sans Terre. Ici, au Venezuela, la Brigade Apolônio de Carvalho accompagne les mouvements paysans depuis près de deux décennies. Comment le Mouvement des Sans Terre conçoit-il l’internationalisme ?

L’internationalisme est dans l’ADN de notre organisation. Depuis la naissance de l’organisation, nous appuyons les luttes qui ont lieu au-delà des frontières du Brésil comme si elles étaient les nôtres. Sur le drapeau des Sans Terre, on voit un homme et une femme sur fond de carte du Brésil, mais aussi une machette paysanne qui s’étend au-delà de la frontière. Nous avons intégré l’internationalisme à notre stratégie politique de manière plus formelle, car nous comprenons que la lutte pour la réforme agraire ne peut être menée de manière isolée. Il est nécessaire de construire des liens de solidarité, d’apprendre avec les autres et de lutter ensemble.

Notre internationalisme découle d’une longue tradition en Amérique latine et dans le monde. La révolution cubaine est un exemple clé pour les Sans Terre; l’internationalisme extraordinaire du peuple cubain nous a beaucoup enseigné. Nous avons également appris des luttes de libération en Amérique Centrale, en particulier des brigades internationalistes qui ont accompagné les révolutions sandiniste et salvadorienne. Bien sûr, l’internationalisme bolivarien du processus vénézuélien a également laissé sa marque sur notre organisation. Nous comprenons l’internationalisme à la fois comme un principe et comme une pratique. En tant qu’organisation révolutionnaire, nous ne pouvons survivre que si nous construisons et apprenons avec les autres de manière solidaire.

La brigade Apolônio de Carvalho, l’équipe des Sans Terre basée au Venezuela, tire son nom d’un grand révolutionnaire brésilien : Apolônio est parti en Espagne pour lutter contre Franco avec les Brigades Internationales. Lorsque nous sommes arrivés au Venezuela, nous avons pris ce nom pour lui rendre hommage.

Photos : Le drapeau des Sans Terre du Brésil

L’un des défis auxquels le Venezuela est confronté aujourd’hui est de surmonter la logique rentière qui a transformé l’économie vénézuélienne en une économie dépendante et « portuaire ». Le Mouvement des Sans Terre, fort de sa vaste expérience, accompagne les organisations paysannes et communales dans tout le Venezuela, en promouvant une agriculture durable qui peut rompre avec la dépendance et construire la souveraineté alimentaire.

Comment travaillez-vous avec ces organisations locales ?

La Brigade Apolônio de Carvalho est présente au Venezuela depuis 2005. Hugo Chávez avait demandé que le Mouvement des Sans Terre apporte son expérience au Venezuela et accompagne les organisations paysannes dans la production alimentaire, avec pour objectif la transition vers la souveraineté alimentaire. Nous avons accompagné diverses organisations paysannes dans le pays. Nous avons fait de la production de semences une priorité afin que l’agriculture locale puisse assurer la souveraineté alimentaire du pays. Mais la production de semences ne peut être un objectif isolé. L’objectif est de changer l’ensemble du modèle de production. L’ensemble du modèle doit être radicalement modifié. Pour cela, il faut appliquer un schéma agroécologique intégral.

Dans notre travail, nous nous concentrons également sur les chaînes productives, terme utilisé par Chávez pour désigner le cycle intégral de production, de commercialisation et de consommation des aliments. C’est une chose à laquelle nous devons penser lorsque nous tentons de construire la souveraineté alimentaire. Sortir de l’économie rentière basée sur le pétrole passe par développer une nouvelle conscience. Cependant, cette conscience ne viendra que lorsque de nouvelles pratiques de production et d’organisation commenceront réellement à émerger.

Photos: En 2005, Hugo Chávez a visité le campement du MST de Lagoa do Junco, à Río Grande do Sul, au Brésil. Un accord de coopération a été signé lors de cette visite. (MST)

Avec quels types d’organisations et d’institutions le Mouvement des Sans Terre travaille-t-il au Venezuela ?

À nos débuts, nous avons travaillé avec le mouvement paysan Frente Campesino Ezequiel Zamora. Nous avons également travaillé avec des institutions gouvernementales et des organisations communales. Nous avons assumé les communes comme une priorité. Nous soutenons les organisations communales au Venezuela, mais nous apprenons aussi d’elles. Le modèle communal est quelque chose dont tout le continent a besoin ; c’est une façon de faire qui transforme vraiment le système existant, et la révolution bolivarienne en a fait une pratique. C’est très important pour les Sans Terre du Brésil.

Ce que nous avons fait avec les communes, c’est les aider comme nous le pouvons. Mais il est encore plus important d’apprendre des pratiques quotidiennes des gens lorsqu’ils se réunissent, construisent une commune sur leur territoire et développent une stratégie de production ayant pour objectif le bien commun. Dans une commune, tout cela se passe en construisant une nouvelle hégémonie. Au fur et à mesure que les conseils communaux, les entreprises de propriété sociale et le parlement communal se développent, le projet prend forme comme quelque chose de viable dans l’esprit des gens. Je pense que le plus grand enseignement de la révolution bolivarienne pour ceux qui luttent, y compris les Sans Terre, est la commune.

Le Mouvement des Sans Terre s’est engagé dans l’agriculture écologique. Comment faites-vous pour promouvoir cela ici au Venezuela ?

Il n’est possible de construire un projet souverain que si nous changeons réellement le modèle productif dans les zones rurales. Pour ce faire, une formation et une préparation techniques sont nécessaires, mais l’éducation politique est également indispensable. Pour qu’un tel changement se produise, les gens doivent comprendre que si nous luttons pour un modèle social différent, si notre horizon est le socialisme et si nous travaillons avec l’idée d’une nation souveraine, il est urgent de repenser nos modes de production. Pour résoudre ce casse-tête, l’agroécologie est un élément important. Par ailleurs, l’agriculture technologique doit devenir une politique d’État. En d’autres termes, l’agroécologie n’est pas seulement une méthode pittoresque à appliquer dans la production de conucos [parcelles traditionnelles de production familiale] ; le modèle doit être viable et permettre de nourrir l’ensemble de la société de manière durable. En ce qui concerne l’agriculture durable, notre tâche consiste à la promouvoir, à offrir un soutien technique et une éducation politique. Les Sans Terre ont également fait don de semences à l’Union Communarde pour aider à la transition vers l’agriculture durable.

Lorsque nous organisons des ateliers avec les paysans, nous enseignons les techniques de l’agriculture durable : de la production d’intrants agricoles biologiques aux méthodes non toxiques d’éradication des parasites. Il est intéressant de noter que la crise et le blocus ont fait tomber certains des obstacles au passage à l’agriculture durable. Désormais, de nombreux paysan(ne)s comprennent qu’il est possible et nécessaire de produire sans produits chimiques. Néanmoins, le passage à des pratiques écologiques dans la production à grande échelle reste un défi immense. Le but n’est pas de forcer les gens à changer leur modèle agricole, mais d’aider à créer les conditions pour qu’ils comprennent que ce changement est viable et nécessaire. Après tout, si cela ne se produit pas, les producteurs continueront à être dépendants des sociétés transnationales et le pays continuera à importer d’énormes quantités d’intrants agricoles. Il va sans dire que les pratiques agricoles traditionnelles ont des effets néfastes sur la vie des paysan(ne)s, mais aussi sur l’environnement.

Un modèle social différent exige un changement dans la façon dont la production se déroule dans les zones rurales. C’est pourquoi nous offrons des ateliers technico-politiques aux communes et aux autres organisations paysannes.

Les Sans Terre font désormais partie du paysage des mouvements populaires au Venezuela, dans une révolution qui se considère comme bolivarienne et, pour cette raison, latino-américaine. Qu’ont appris les Sans Terre de ce processus ?

Cela fait presque 18 ans que la première équipe de Sans Terre a atterri au Venezuela. Notre méthode de formation des brigades est la suivante : les compagnes et compagnons internationalistes Sans Terre restent ici pendant environ deux ans, puis nous retournons au Brésil, pour partager notre apprentissage avec d’autres membres de l’organisation. Dans l’ensemble, nous pensons que nous avons appris beaucoup plus que ce que nous avons enseigné ici.

Les membres de l’organisation qui viennent au Venezuela apprennent du processus bolivarien. Partager l’expérience des Sans Terre dans un pays en plein processus révolutionnaire constitue pour nous une école. Nous apprenons beaucoup des succès de la révolution bolivarienne, mais nous apprenons aussi des contradictions de la vie quotidienne des gens. Nous apprenons ce que nous devons et ne devons pas faire dans une société en transition vers le socialisme.

Parmi les choses les plus concrètes que nous avons apprises, il y a la façon dont le peuple vénézuélien a été l’acteur central de son processus révolutionnaire – en particulier les organisations politiques de base – et comment un processus en mouvement constant élève le niveau de conscience du peuple par la participation directe. Il ne s’agit pas d’une simple spontanéité, mais d’une participation intense, liée à une organisation territoriale et nationale. C’est une grande leçon pour nous : les gens doivent être impliqués dans les processus d’organisation dans toutes les sphères de la vie. Et oui, la commune est un espace où nous avons beaucoup appris. Dans les espaces communaux, les gens comprennent la nécessité de s’organiser pour construire une société vraiment différente.

Nous avons également appris de la créativité quotidienne des gens dans le processus bolivarien. Parfois, à gauche, nous avons des schémas très fermés sur le niveau de préparation et de planification nécessaire pour avancer, et cela peut devenir un obstacle. Au Venezuela, les gens savent que tout cela est nécessaire, mais la créativité – dans un pays où les gens sont très spontanés – est une grande vertu de la révolution bolivarienne.

Nous avons également beaucoup appris des processus électoraux. Le Mouvement des Sans Terre accompagne ces processus parce que le conflit électoral est aussi une bataille pour la défense du projet révolutionnaire. Ici, les élections ne sont pas liées à des intérêts individuels ou de groupe, mais à des intérêts collectifs. C’est très différent du Brésil, où les élections sont une sorte de marché et où la finance tend à gagner et à conserver le pouvoir. Ce qui est en jeu dans un processus électoral au Venezuela, c’est un projet politique. Ici, les élections ne sont pas un marché.

Le Venezuela nous a appris qu’une campagne n’est pas seulement un outil pour être élu, c’est aussi un moment pour se rapprocher des organisations de base et stimuler la participation du peuple. Le Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV, principal parti chaviste) est le parti le plus avancé du continent lorsqu’il s’agit de défendre une révolution dans un tourbillon électoral. Bien sûr, les élections se déroulent ici dans les paramètres de la démocratie bourgeoise, mais les campagnes aident à construire un autre type de démocratie.

Nous avons aussi appris de l’anti-impérialisme et des pratiques patriotiques de la révolution bolivarienne, qui sont très tangibles dans la vie quotidienne du peuple vénézuélien. Le Brésil n’a pas connu de lutte historique pour son indépendance, et c’est peut-être pour cela que nous avons une société très fragmentée, une société qui n’a pas la défense de la patrie comme valeur fondamentale.

D’un point de vue politique, notre société est beaucoup plus dominée. Au Venezuela, nous avons appris comment construire un sentiment patriotique – non pas au sens du nationalisme bourgeois, mais avec l’objectif d’avoir un pays véritablement indépendant à tous les niveaux : économique, politique et social.

Photo: L’école technique agricole Ernesto Guevara d’El Maizal est gérée en collaboration avec les Sans Terre. (Commune d’El Maizal)

Le Brésil a des élections présidentielles le 2 octobre 2022. La course opposera l’extrême droitier Jair Bolsonaro au progressiste Lula da Silva. Quelle est l’importance de cet événement pour le Brésil et pour le continent ?

Le Brésil traverse une grave crise sociale et économique : les conditions de vie de la population sont catastrophiques. Des dizaines de milliers de personnes vivent dans la rue, dans des conditions de misère absolue, tandis que 60 millions de personnes sont directement touchées par la crise capitaliste : le chômage et l’inflation des prix alimentaires sont endémiques et les idées fascistes continuent de progresser. Bien entendu, le gouvernement d’extrême droite de Bolsonaro n’a aucun intérêt à résoudre les nombreux problèmes sociaux de notre pays. Au contraire, ses politiques favorisent le marché et la bourgeoisie, tandis qu’il encourage les idées fascistes et promeut un discours de violence.

C’est pourquoi nous pensons que les prochaines élections présidentielles revêtent une importance stratégique pour le Brésil et pour l’Amérique latine dans son ensemble. Si Lula gagne, la carte du conflit continental changera : cela permettra à la gauche et aux projets progressistes de continuer à avancer. La confrontation avec l’impérialisme et son projet économique broyeur se fera également dans des conditions plus favorables.

Le peuple brésilien doit choisir Lula comme président. Ce ne sera pas facile, mais il y a de bonnes chances que nous réussissions. En tout cas, pour atteindre notre objectif, nous devons travailler dur ; nous luttons contre un ennemi très puissant. Il dispose d’un solide soutien de 30% d’électeurs et de nombreux pouvoirs de facto, et de tentacules de grande envergure.

Le Mouvement des Sans Terre participe à la bataille électorale en organisant des comités de base. Les débats au sein de ces comités vont de l’avenir du pays aux politiques qu’un gouvernement populaire du PT [Parti des Travailleurs] devrait promouvoir. Les élections du 2 octobre sont très importantes, mais une victoire ne serait qu’un début. Les gens devront être prêts à défendre cette victoire. La situation du pays ne sera pas résolue avec des politiques d’assistanat, mais avec des politiques qui restructurent les choses en faveur du peuple. La crise du Brésil fait partie de la crise du capitalisme. Pour aller de l’avant avec les grandes réformes dont nous avons besoin, la mobilisation sera essentielle.

Enfin, le Brésil a un rôle important à jouer en matière d’unité latino-américaine. Il est urgent de réactiver les projets qui rassemblent le continent. Chávez a promu l’intégration économique et politique avec des mécanismes tels que la CELAC [Communauté des États Latino-américains et des Caraïbes] et l’UNASUR [Union des Nations Sud-américaines]. Alors que l’impérialisme états-unien perd son hégémonie, les gouvernements progressistes du continent doivent unir leurs forces. C’est pourquoi une victoire de Lula et du Parti des Travailleurs (PT) en octobre est importante non seulement pour le Brésil mais aussi pour l’ensemble de l’Amérique latine.

Propos recueillis par Cira Pascual Marquina

Source : https://venezuelanalysis.com/interviews/15536

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/05/27/les-sans-terre-du-bresil-a-lecole-du-venezuela-ici-le-peuple-est-vraiment-le-sujet-de-la-revolution/

Souverainetés politique et alimentaire : le pari communard du Venezuela.

Ignorée par la gauche occidentale, la stratégie fondamentale de la révolution bolivarienne repose depuis 22 ans sur le retour dans le champ politique de la majorité sociale exclue par une élite coloniale. Cet objectif d’approfondir la démocratie vise à sortir d’un jeu politique faussé par l’interférence de pouvoirs non-élus (insurrections des secteurs putschistes d’extrême droite, lobbies et monopoles de l’économie privée, concentration capitaliste des médias, blocus, sanctions, sabotages, incursions paramilitaires et menaces de guerre des États-Unis et de leurs satellites européens et latino-américains, etc..). Cette volonté démocratique est palpable dans les témoignages des auto-gouvernements populaires qui se créent un peu partout sur le territoire.

Photo: Alcadio Lemus est un des parlementaires de la commune de Monte Sinaí. José Luis Pinto est enseignant et cultive des haricots et des avocats sur sa petite parcelle familiale. Il est parlementaire de Monte Sinaí. Ariaska Llovera est parlementaire de la commune. Maritza Solano est productrice de café, porte-parole du conseil communal de Peñas Blancas et parlementaire de la commune de Monte Sinaí. Luis González est communard, travaille au parc Guacamayal et s’occupe de la pépinière communale. Domingo Llovera dirige avec sa famille la chocolaterie Los Lloveras et fait partie de la commune. Llubidit Llovera est parlementaire communale et s’occupe des projets éducatifs. Luis Solórzano est producteur de fromage, porte-parole du conseil communal de Las Pichiguas et parlementaire communale. (Voces Urgentes).

Histoire et production

Les communard(e)s de la Comuna Monte Sinaí ont formé une jeune organisation qui s’efforce de développer la production communale et les relations sociales non marchandes. Le territoire de cette commune s’étend sur les États d’Anzoátegui et de Miranda, mais son épicentre se trouve dans la petite ville de Santa Bárbara, dans la vallée de Guanape. On y cultive le café, le cacao, les haricots noirs, divers tubercules et l’avocat. Comme les caféiers sont vieux et peu productifs, la commune a construit une pépinière pour faire pousser les nouveaux plants de café.

Maritza Solano : Ces terres d’altitude embrassent la commune de Rio Guanape, mais celle-ci était trop grande et s’est divisée en cinq communes plus petites. La nôtre est une commune jeune qui doit faire face à de nombreux défis. Par exemple, certaines personnes doivent marcher pendant des heures pour se rendre à la réunion hebdomadaire de Santa Bárbara, car les routes sont en mauvais état et il est difficile de se procurer de l’essence. Cependant, nos terres possèdent un énorme potentiel productif.

Alcadio Lemus : Le processus de formation de notre commune a commencé il y a environ un an. Depuis, nous avons travaillé très dur. Comme on dit, notre diamant est encore brut, mais la beauté du projet émerge. Notre parlement se réunit tous les mercredis, quoi qu’il arrive. C’est là que nous apportons nos idées, que nous débattons et que nous planifions.

Ariasca Llovera : Notre « commune mère » [la commune de Rio Guanape] était très grande, et ceux d’entre nous qui vivaient à Santa Bárbara devaient marcher des heures pour se rendre aux réunions. Ce n’était pas facile pour tout le monde. Aujourd’hui, certaines personnes peuvent faire un court trajet à pied, d’autres doivent encore marcher longtemps pour assister à une réunion.

Alcadio Lemus : Chávez a promu le pouvoir populaire. Son héritage est très important pour nous, nous travaillons dur pour organiser la commune à partir de la base. Nous sommes confrontés à de nombreux défis, mais nous avons le potentiel suffisant pour construire une commune solide. Ici, les gens travaillent dur mais la nature est généreuse. La principale culture de la région est le café. Historiquement, celui que nous cultivions était la variété régionale, mais nous sommes en train de passer au C27 [une nouvelle variété de café plus productive] avec l’aide de la CVC [la Corporation d’État Vénézuélienne du Café]. Ils nous aident à faire pousser des plants pour rénover nos petites parcelles, ce qui est très important car nos caféiers sont très vieux. Le cacao est également important ici, nous cultivons aussi l’ocumo (tubercule), l’igname, le manioc, les haricots noirs, les bananes plantains et les avocats. Il y a de petits producteurs de fromage dans la commune. Enfin, nous avons deux petites Unités de Production Familiale [UPF] : une usine de traitement du manioc et une usine de chocolat.

Lenin González : Notre commune a également un grand potentiel pour l’écotourisme. Notre principal atout est le parc Guacamayal, un parc municipal de loisirs abandonné pendant un certain temps mais qui est en train d’être récupéré grâce à une initiative conjointe du gouvernement local et de la commune.

Yuvidí Llovera : Nous pensons que notre commune va réussir, mais nous avons besoin de formation politique et technique pour progresser. Nous avons besoin d’ateliers pour mieux prendre soin de la nouvelle variété de café que la Corporation Vénézuélienne du Café introduit dans la région, et nous devons en apprendre davantage sur les processus administratifs qu’implique la construction d’une commune.

Photo : Café et cacao (Voces urgentes)

Sanctions des États-Unis : impacts sociaux et solutions locales

Luis Solórzano : En 2015, Barack Obama a publié un décret qui déclarait que le Venezuela constituait une « menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité des États-Unis. » (sic). Avec les sanctions, la vie s’est détériorée très rapidement. Nous nous demandions : Qu’allons-nous faire ? Qu’allons-nous manger ? Comment allons-nous obtenir les médicaments pour notre mère ou notre tante ? Puis est venu le blocus pétrolier, qui est une politique véritablement criminelle. Pendant ces années, le CLAP [aide alimentaire mensuelle du gouvernement aux familles populaires] est devenu très important pour tout le monde, mais cet apport de nourriture n’était pas suffisant. Je connais des familles qui faisaient des repas avec de l’eau de riz et rien d’autre. Ces années ont été très dures !

José Luis Pinto : La situation est devenue très pénible vers 2018. Obtenir de l’essence était presque impossible, et nous ne pouvions plus transporter nos récoltes au marché. La santé dans la commune a commencé à se détériorer à peu près au même moment, certaines personnes sont mortes et d’autres ont quitté le pays. Ce furent des années vraiment difficiles, mais maintenant les choses vont un peu mieux.

Domingo Llovera : Pendant les années les plus difficiles du blocus, nous n’avions plus d’intrants agricoles comme l’urea, les engrais ou les pesticides.

Luis Solórzano : La production est tombée à zéro pendant un certain temps. Je vous le dis en connaissance de cause parce que je suis un enseignant, mais aussi agriculteur. Je cultive des haricots noirs, de l’igname, de l’ocumo et des avocats. Pendant ces années, je suis passé à une agriculture de subsistance. En plus, nous souffrons des impacts du changement climatique. Nous avons connu des périodes de pluies intenses suivies de longues sécheresses. Et la déforestation et l’agriculture sur brûlis assèchent de nombreuses sources d’eau. Les pauvres sont toujours les grands perdants… Mais nous avons gardé la force de nous organiser.

Maritza Solano : Depuis un certain temps, il est devenu très difficile de se procurer des pesticides et autres intrants agricoles. D’abord, il n’y en avait pas, puis les prix ont grimpé en flèche. Cela signifie que la production ici, dans les terres hautes de la Valle Guanape, est devenue essentiellement biologique. Nous avons également appris à faire du compost à partir de déchets organiques. Tout cela a des avantages – puisque nous ne sommes pas exposés aux produits agro-toxiques mais il ne faut pas romantiser. La production a chuté ces dernières années. L’agriculture biologique nécessite des connaissances, des formations et des ressources. L’État, à travers la Corporation Vénézuélienne du Café, nous a proposé des ateliers. Ils nous ont aidés à passer du café local à la variété C27, qui est meilleure, mais nous devons acquérir davantage de connaissances pour tirer le meilleur parti de nos nouveaux caféiers.

Luis Solórzano : Nous avons appris plusieurs choses pendant le blocus. Par exemple, en tant que pays, nous ne pouvons pas dépendre exclusivement de la rente pétrolière. Pour garder la tête hors de l’eau, notre seule option dans les zones rurales est de travailler collectivement. Aujourd’hui, nous faisons plus attention aux ressources : nous apprécions le soutien de la Corporation Vénézuélienne du Café, nous prenons soin de nos quelques outils et nous bénissons la commune – car s’y trouve la solution. Cependant, construire une commune dans un pays en état de siège n’est pas facile. Notre principal défi est qu’il s’agit d’une commune rurale sur un territoire très étendu. Une grande partie de la population est concentrée à Santa Bárbara, mais il y a des gens qui doivent marcher deux ou même trois heures pour se rendre à une réunion.

Photo : pépinière communale de café en haut ; pépinière de Maritza Solano en bas. (Voces Urgentes)

Pépinières de café

Lenin González : L’année dernière, nous avons obtenu le soutien de la Corporation Vénézuélienne du Café pour renouveler nos plants à Valle Guanape. Notre objectif est maintenant d’augmenter notre production, qui est très faible actuellement. Ici, dans le parc Guacamayal, nous avons une pépinière et nous avons récemment planté 32 kilos de graines de café C27. Elles sont en train de germer en ce moment.

Yosmel Díaz : Nous avons cinquante mille plantules dans la pépinière, mais notre objectif est de produire un million de plantes en 2022 pour remplir les collines de la commune. Cependant, nous ne voulons pas seulement faire pousser des plants de café ici ; nous voulons aussi faire pousser des plants de cacao.

Unités de production familiales

Lenin González : Nous avons deux UPF ici dans la commune : une usine de chocolat et une usine de gaufres de casabe. Toutes deux ont un grand potentiel. Les UPF font partie du système économique communal de Chávez. Elles intègrent le travail des familles qui possèdent leurs propres parcelles ou des moyens de production dans le projet communal.

William Flores : Nous plantons le manioc amer dans notre conuco [lopin traditionnel de culture intensive] et, dix mois plus tard, nous récoltons. Chaque jour, très tôt, nous transportons la récolte à l’usine de manioc amer, à dos d’âne. D’abord, nous pelons le manioc, puis nous le lavons et en extrayons le poison, nous le traitons [c’est le seul procédé mécanique] et nous le mettons à sécher au soleil. Pendant ce temps, ma femme ramasse du bois pour allumer le feu et préparer les galettes de manioc sur le budare [feuille de métal placée sur un feu ouvert]. Toute ma famille travaille à l’UPF : mon père, mon oncle et ma femme. Des enfants nous aident aussi à charger le manioc, à l’éplucher et à apporter de l’eau à l’usine. Nous nous levons tous à 3 heures du matin et nous travaillons jusqu’au coucher du soleil. C’est un travail difficile.

Domingo Llovera : Nous cultivons un bon cacao ici, il est évident que nous devrions produire du chocolat. En l’état actuel des choses, nous produisons des barres de chocolat et du cacao en poudre à petite échelle, mais nous espérons augmenter notre production. Il est important de dépasser la logique d’exporter nos matières premières et de générer des revenus pour la communauté avec des usines de transformation. Même une petite usine de chocolat fait la différence. Imaginez ce que ce serait si nous avions plusieurs usines ! C’est l’un de nos objectifs.

Troc communal

José Luis Pinto : Dans la montagne, entre producteurs, il y a une longue tradition de troc. Cette tradition a été ravivée pendant la crise : si j’ai du fromage et que j’ai besoin de manioc ou de café, je vais faire du troc avec mon voisin. Cela présente un avantage évident : nous échangeons en dehors des lois du marché. Nous pensons qu’en tant que commune, nous devons promouvoir le troc, notamment avec d’autres communes.

José Luis Pinto : Quand les choses sont devenues vraiment difficiles ici, notre production est tombée à presque rien : les gens produisaient juste pour leur subsistance et pour un troc à petite échelle. Cela nous a aussi obligés à diversifier notre production : maintenant nous produisons des bananes plantains et nous cultivons la canne à sucre pour faire du guarapo [jus de canne à sucre] avec lequel nous sucrons notre café. Les choses s’améliorent un peu, mais une partie importante de notre économie reste basée sur le troc. De temps en temps, nous apportons encore un sac de café en ville et l’échangeons contre un outil.

Photo : le parlement communal de Monte Sinaí se réunit tous les mercredis. (Voces Urgentes)

Alcadio Lemus : Nous avons un long chemin à parcourir parce que nous sommes une jeune commune – et une commune née dans le feu de la crise en plus ! Il y a beaucoup de facteurs défavorables. Néanmoins, nous gardons le projet de Chávez en tête et nous comprenons que la construction d’une commune est un effort collectif : il s’agit de défendre les biens communs. Telle nous le comprenons, une commune, c’est le peuple qui s’organise pour produire et satisfaire les besoins collectifs.

Luis Solórzano : Chávez a parlé de la nécessité de construire une nation souveraine. Quand il parlait de souveraineté, il ne faisait pas seulement référence à la souveraineté territoriale et politique. Il parlait aussi de la souveraineté alimentaire. Malheureusement, nous n’avons pas compris l’importance de sa conception : si nous avions intériorisé sa pensée, nous ne serions pas dans cette situation aujourd’hui, les choses auraient été différentes et moins douloureuses lorsque l’impérialisme états-unien allié à l’oligarchie locale ont conspiré pour renverser le gouvernement du président Maduro. Bien sûr, nous ne devons pas oublier que le gouvernement de Chávez était déjà assiégé en permanence : rappelez-vous le coup d’État, le sabotage du pétrole et les incursions paramilitaires. La crise nous a frappés durement, elle a également endommagé l’organisation de base : nous luttions tous pour survivre. Aujourd’hui, les choses reprennent, et nous avons bon espoir de faire en sorte que notre commune s’enracine et se développe.

Entretien réalisé par Cira Pascual Marquina et Chris Gilbert pour Venezuelanalysis

Photos : Voces Urgentes

Source : https://venezuelanalysis.com/interviews/15512

Traduction : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/05/11/souverainetes-politique-et-alimentaire-le-pari-communard-du-venezuela/

Au Venezuela, la révolution agroécologique des « grands-mères rebelles »

Face aux lobbies qui veulent imposer le business de l’importation de semences, le gouvernement révolutionnaire du Venezuela et les organisations paysannes viennent de certifier une nouvelle semence autochtone : la pomme de terre des Andes. Le journaliste Roberto Malaver dialogue avec Liccia Romero sur l’importance de cette lutte patiente et sur les résistances économique, culturelle, qu’elle incarne. Liccia Romero est biologiste, diplômée de l’Universidad Simón Bolívar, titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat en écologie tropicale, et enseignante universitaire. Cette caraquègne a décidé de vivre à Mérida, dans les Andes. Chercheuse passionnée de la pomme de terre autochtone, elle est aussi une des roues motrices de l’extraordinaire projet Proinpa consacré notamment à cette variété autochtone. Pour elle, « à partir de maintenant, de merveilleuses possibilités s’ouvrent pour le Venezuela, si le rôle dirigeant des organisations paysannes et l’esprit d’articulation et la cohérence de l’Etat vénézuélien se maintiennent. »

Liccia Romero (à droite) reçoit la reconnaissance de la part de la Ministre de Science et de Technologie Gabriela Jimenez pour ses recherches comme investigatrice scientifique

Liccia Romero (à droite) reconnue par la Ministre de Science et de Technologie Gabriela Jimenez pour ses recherches comme investigatrice scientifique

Avril 2022, dans les Andes vénézuéliennes. Le gouvernement révolutionnaire du Venezuela et les organisations paysannes certifient une nouvelle semence autochtone de pomme de terre.

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Roberto Malaver – D’où vient l’expression « grands-mères rebelles » ?

Liccia Romero – C’est une manière de rappeler les actes de résistance des femmes âgées, des grand-mères qui étaient responsables de familles avec de jeunes enfants, à une époque où la modernisation commençait dans les Andes vénézuéliennes. Cette modernisation s’est accompagnée d’une modification importante du modèle de production agricole. Les familles des hautes Andes, en particulier dans les hauteurs des « páramos », ont dû transformer leur technologie de production, basée sur l’agriculture avec jachère. Elles étaient des rebelles parce que, tout d’abord, elles ont refusé d’abandonner l’agriculture, et non seulement ne l’ont pas abandonnée, mais l’ont enseignée à leurs enfants, l’ont maintenue comme un système qui survit encore dans une grande partie des « paramos ». En outre, elles ont conservé les semences autochtones, non seulement celles de la pomme de terre mais aussi d’autres tubercules d’origine andine. Elles ont même conservé des variétés qui ne sont pas indigènes mais historiques, comme le blé ancien, les haricots anciens, et tout cela aujourd’hui, dans le cadre de la crise de ce modèle moderne, est devenu une alternative, pour elles comme pour beaucoup de communautés.

R.M. – Et pourquoi dites-vous « qu’elles ont déjoué le piège » ?

L.R. – Elles ont démonté le piège que signifie ne pas disposer de la semence, car cela signifie que vous continuez à être une agricultrice ou agriculteur, mais que vous êtes dépendant du type de semences, de tubercule, qui peut changer à tout moment. Dans ce cas, circulent des tubercules de variétés ou d’hybrides à croissance rapide qui sortent du contrôle des producteurs, proviennent de l’extérieur par le biais d’un circuit commercial. On a donc besoin d’argent pour pouvoir acquérir cette semence, et pas seulement la semence, mais aussi l’ensemble des produits agrochimiques qui entourent cette semence pour pousser, pour qu’elle puisse donner le rendement le plus abondant. Elles ont réalisé que sans leurs propres semences, elles allaient manquer de nourriture, parce qu’en plus, à cette époque, dans un environnement très patriarcal, ceux qui allaient travailler à l’extérieur étaient les hommes, donc elles allaient être plus dépendants des salaires des hommes, entrés dans un régime salarial. Avant l’habitude était de travailler principalement avec des figures d’échange, de travail collectif solidaire, avec lequel on pouvait se soutenir mutuellement : avec le contrôle des graines, le travail, l’eau et les nutriments fournis par le sol, tout marchait. Lorsqu’ils se sont retrouvés sans semences, ils se sont retrouvés sans leur propre outil de production et sont devenus dépendants de tiers. Il était donc très intelligent de conserver les semences, cela signifiait préserver l’autonomie en matière de production alimentaire.

R.M. – Un processus de résistance, donc ?

L.R. – Oui, parce que cette modernisation de l’agriculture s’accompagnait de termes défavorables envers elles, qu’on accusait de maintenir des méthodes arriérées, improductives, gaspilleuses de terres, parce que l’agriculture en jachère apparaissait, sous le prisme obscurantiste du modernisme, comme un « abandon de terres ». Alors que pour nous, d’un point de vue agroécologique, cela fait partie du processus productif, de la régénération de la terre.

R.M. – Ces connaissances sont-elles encore transmises ?

L.R. – Oui, bien sûr. Ces connaissances sont transmises des enfants à leurs petits-enfants. Nous intervenons à un moment où nous rencontrons ces enfants pour les aider à résister au discours qu’on entend encore à l’école : « si tu ne veux pas devenir paysan comme ton père, tu dois étudier », ou « si tu veux être quelqu’un, tu dois cesser d’être un paysan ». Nous intervenons pour renforcer ce pont, cette transmission, pour que celles et ceux qui ont reçu cet enseignement puissent surmonter ce discours de sous-estimation et puissent le transmettre à leurs enfants.

R.M. – Qu’est-ce que le « tinopó » ?

L.R. – C’est une forme de gestion de la pomme de terre. Une partie des semences reste dans le sol. Vous avez une parcelle de terre, vous récoltez une partie de la pomme de terre, vous l’arrachez, mais une partie reste dans la terre. Il n’y a là aucune négligence (au sens où certains disent : « quelle négligence de laisser la pomme de terre dans le sol ! »). En fait on la laisse en terre ex profeso, il s’agit d’un cycle de reproduction, on peut gérer simultanément une parcelle qui produit pour la consommation et une parcelle productrice de semences. Voyez aussi l’importance du « tinopó » selon l’endroit où il se trouve. Soit il est situé à côté de la maison, et dans ce cas c’est un endroit où l’on a des pommes de terre toute l’année, une façon de rendre la pomme de terre disponible pour la consommation dans le temps, on garde la semence. Soit ce « tinopo » est situé dans des zones éloignées, à plusieurs heures de route, même dans des zones plus élevées, des zones sauvages où les pommes de terre entament un processus de progression génétique, commencent à se croiser avec la pomme de terre sauvage, c’est ainsi qu’on génère patiemment la diversité. Puis, là-haut, on arrache des pommes de terre, on les ramène, on les sélectionne et on crée de nouvelles variétés, c’est un laboratoire de diversification.

Bernabé Torres, gardien des semences de Gavidia

R.M. – Peut-on parler de patrimoine alimentaire des Andes ?

L.R. – En 2015 notre IPC – Institut du Patrimoine Culturel – a émis une déclaration, un décret en quelque sorte : la déclaration du patrimoine culturel immatériel des connaissances sur les graines indigènes de la communauté Gavidia. Cette déclaration reconnaît les connaissances, les matériaux physiques et biologiques, par ailleurs protégés par la Loi sur les Semences également approuvée en 2015. Ce qui est important dans cette déclaration, c’est qu’elle établit ce qu’on appelle le plan de gestion, c’est-à-dire tout ce qu’il faut faire pour que ce patrimoine culturel et immatériel soit transmis et continue son processus d’enrichissement pour les générations futures. Nous avons une forte composante éducative, à travers les communautés d’apprentissage, nous sommes alliés au Système National d’Études ouvertes et nous avons une communauté d’apprentissage locale. Dans cette communauté d’apprentissage, l’épine dorsale de la colonne est la connaissance, bien sûr, puis chacun est impliqué de son point de vue particulier, santé, tourisme, aquaculture, mais c’est là tout l’enjeu de cette communauté d’apprentissage : la connaissance est développée comme partie intégrante du plan de gestion que nous appliquons sur le terrain.

R.M. – Tout cela se passe-t-il à Gavidia ?

L.R. – Le centre est Gavidia, qui se trouve dans un parc national, il ne s’agit donc pas d’un espace de production intensive, mais d’un espace de diversification et de création d’options de diversification. Que faisons-nous ? Nous apportons ces matériaux à l’ensemble du processus mené à bien par l’association paysanne, dont le chef de file est Proinpa, l’Association des producteurs intégraux du Paramo, qui dispose d’un laboratoire appelé CEBISA, à Mucuchíes, et là, en planifiant des techniques de culture tissulaire et de propagation in vitro, nous reproduisons cette semence pour disposer d’une quantité à reproduire et à produire en masse. Ce que l’on ne peut pas faire, c’est passer à une autre échelle, parce qu’il est impossible de déboiser un grand nombre de terres pour planter beaucoup de pommes de terre, il faut se spécialiser.

R.M. – Alors comment aller plus loin si on ne peut le faire à Gavidia ?

L.R. – Il faut amener la pomme de terre là où il y a de grandes zones qui ne sont pas des zones protégées, qui ont la capacité de produire des semences, et c’est pourquoi nous tissons ensemble les noyaux de semences pour qu’il y ait une organisation sociale responsable et spécialisée dans les semences.

R.M. – Tu as cité Bernabé, un paysan qui semble tout savoir…

L.R. – Bernabé est un de mes plus chers compagnons. C’est avec lui que j’ai commencé à travailler, il est très ouvert, nous avons une empathie très forte. C’est un éleveur, et ils sont tous très particuliers : chacun possède sa propre personnalité, et lui c’est un « domestiqueur ». Les pommes de terre qui se trouvent dans ces « tinopos » doivent suivre une sorte de processus de domestication, parce qu’elles sont « sauvages », alors il crée ce qu’on appelle un « paramito », il les fait descendre de niveau en niveau, elles passent par une transition en plusieurs récoltes, jusqu’à ce qu’il les amène sur la parcelle où il les multiplie massivement, les sélectionne, en tentant de les unifier phénotypiquement comme des pommes de terre, il les baptise avec un nom particulier. Ce processus de domestication est bien sûr rejeté par les grandes corporations privées qui travaillent dans le sens contraire, celui de l’homogénéisation des semences de la pomme de terre, et des cultures en général. La compétence et la connaissance de Bernabé, peu de monde la possède… reconstruire avec lui tout ce processus et l’aider à prendre conscience que c’est un savoir très puissant, a été l’une des choses que j’ai le plus aimée dans ma vie, vraiment.

Spécimens de pommes de terre noires récoltées par Benabé Torres (Gavidia, décembre 2021)

R.M. – Quel bénéfice tire le Venezuela de cette pomme de terre ?

L.R. – Imaginez ! Il a tant de gènes pour créer la pomme de terre de rêve, tous ces génotypes, une fois développés, offrent une infinité de possibilités.

R.M. – On peut donc résister à une guerre économique en produisant et en consommant cette pomme de terre ?

– C’est le futur. Dans l’histoire des Andes, la pomme de terre incarne la culture de la résistance. Elle est un organe de stockage, de résistance. La plante stocke ses réserves d’énergie afin de les utiliser quand elle en a besoin. En outre existent ces pommes de terre noires, qu’on n’appelle pas seulement noires à cause de la couleur, mais aussi « papas de año » (pommes de terre de l’année). Ce sont des pommes de terre qui prennent beaucoup de temps pour sortir de terre, plus que les 90 jours de la pomme de terre blanche. Je pensais que le nom « papa de año » était dû au fait qu’il fallait un an pour le récolter, mais non, les « grands-mères rebelles » me l’ont expliqué : on l’appelle « papa de año » parce qu’on peut la garder dans une pièce jusqu’à un an, comme réserve alimentaire, c’est-à-dire qu’elle est très résistante.

R.M. – Il y a de nombreuses variétés de pommes de terre…

L.R. – Bien sûr. Ce qui se passe, c’est que nous avons été éduqués à ne manger que les produits les plus commerciaux. Celle qu’on appelle la pomme de terre jaune, ou la pomme de terre colombienne, (si on prend la Colombie dans l’acception de Miranda et Bolivar, une seule nation faite du Venezuela et de la Colombie actuelle), qui vient aussi du nord des Andes, où nous nous trouvons. Dans nos paramos, cette pomme de terre est appelée papa reinosa, et il en existe différents types : à fleurs blanches, à fleurs violettes. Il y a une diversité, donc on pense que c’est la pomme de terre colombienne, mais non, cette pomme de terre est nôtre.

R.M. – Et qu’en est-il de la pomme de terre noire, ou « arbolone noire » ?

L.R. – Si tu te dis producteur de pommes de terre noires, c’est que tu cultives des pommes de terre autochtones, sans compter les spécialités, par exemple, il y a des pommes de terre qui répondent au profil de l’agriculteur, et qui ont le nom de l’agriculteur, comme la Dorilera noire, parce qu’elle appartient à Mr. Dorilo, il est le seul à la cultiver.

R.M. – Est-ce que cette pomme de terre est abondante là-bas ?

L.R. – Aujourd’hui, elle est abondante à Gavidia, parce que nous en avons pris soin. Elle se limitait même à certaines familles de Gavidia.

R.M. – Qui a le privilège de manger cette pomme de terre ?

L.R. – Au départ, on ne le voyait pas comme un privilège, c’était le problème, on le voyait comme ce qui nous restait. Lorsqu’on a pris conscience qu’il s’agissait d’un privilège, c’est là que nous avons commencé à tout inventer, comme l’Eco-Festival de la pomme de terre autochtone. Nous avons décidé de transmettre cette culture de notre pomme de terre à d’autres, de là est venue la déclaration du patrimoine culturel immatériel parce que l’idée était, bon, développons-la, mais nous avons besoin de mécanismes de protection. De fait, la chose à peine connue, le représentant de la corporation privée Frito Lay au Canada m’a appelée personnellement, en me disant qu’il voulait avoir accès au germoplasme indigène, cette déclaration est donc un mécanisme de protection crucial contre la privatisation ou ses tentatives.

Liccia Romero

R.M. – Et Liccia Romero continue de planter avec la même énergie ?

L.R. – Je continue à travailler avec ce groupe de familles, avec cette relation de fraternité qui nous dit que nous sommes ensemble dans une cause, que nous sommes solidaires dans cette cause. Et avec l’Alliance scientifique-paysanne, nous nous sentons plus forts. Et nous avons reçu beaucoup de soutien de la part du Ministère de la Science et de la Technologie, au début on comprenait davantage l’importance de ce travail au Ministère de la Science et de la Technologie, qu’au Ministère de l’Agriculture et des Terres. La dimension des investissements que le ministère de la Science et de la Technologie a réalisés pour toute cette structure de laboratoires qui existent à Mucuchíes, est immense. C’est un énorme potentiel. C’est pourquoi j’ai proposé une gestion enracinée dans les communautés, on y développe tous les aspects de la gestion territoriale, avec tous les champs de diversification, avec la sagesse ancestrale, tout ce potentiel de diversité agroécologique.

Il existe un Centre international de la pomme de terre, avec une banque de matériel génétique, mais toutes ces banques sont comme des photos figées de l’évolution agroécologique. Ils doivent ensuite sortir ces matériaux pour les refroidir, afin de les rendre à la vie et recommencer à faire ce que fait notre « tinopó », ici. Ces gens là-bas font ce travail, c’est leur vie… Vous avez le laboratoire de technologie là-bas, composé de gens de là-bas, mais vous avez aussi le réseau des multiplicateurs de ces pommes de terre ici même, dans les Andes, de manière beaucoup plus appropriée, ce qu’il manque, c’est une politique qui gère et renforce tout cela. Et par exemple, nous permette d’éviter de revenir à l’histoire de l’importation de pommes de terre de semence du Canada ou d’ailleurs.

R.M. – Pour l’instant, au Venezuela, on ne le fait pas ?

L.R. – Non, le Venezuela ne le fait pas, mais il y a de fortes pressions pour pousser nos dirigeants à les faire revenir à l’importation. À l’âge d’or de l’importation de semences de pommes de terre, on m’a raconté que des gens qui vivaient au Canada sont devenus millionnaires rien qu’en fabriquant les caisses de bois pour les semences que le Venezuela importait. Chávez a raconté, je m’en souviens comme si c’était aujourd’hui, dans l’un de ses premiers programmes « Allo Président », que le premier ministre du Canada l’avait appelé pour le féliciter de son investiture, et qu’ensuite il s’est rendu compte que cet appel concernait en fait la rénovation du contrat d’importation de semences de pommes de terre au Venezuela… Aujourd’hui, de nouveaux acteurs entrent en lice, les petits-fils et petites-filles qui commencent à assumer la coordination de la coopérative. Et je crois qu’une opportunité est créée pour renforcer et recréer toutes ces connaissances au sein des nouvelles générations.

Source : https://lainventadera.com/2022/03/14/la-papa-es-el-cultivo-de-resistencia/

Traduction : Thierry Deronne

Photos: Proinpa, La Inventadera, MinCyT

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/04/08/au-venezuela-la-revolution-agro-ecologique-des-grands-meres-rebelles/

Au Venezuela les communard(e)s d’El Maizal construisent un « nouveau modèle de pouvoir »

Depuis le début du mois d’octobre le réalisateur et formateur Victor Hugo Rivera de Terra TV et de l’école populaire et latino-américaine de cinéma (photos ci-dessus) travaille avec les communard(e)s de El Maizal pour renforcer leurs moyens de communication. Cette commune revêt une importance stratégique car elle couvre la plus grande extension de terres communardes du Venezuela et sert de tremplin d’autres expériences communardes dans tout le pays.

Dans cette école intégrale nourrie de plus de dix ans d’expérience, où se croisent des communard(e)s de tout le pays, notre école audio-visuelle va s’établir en 2022 pour former et produire de manière permanente. C’est dans la lutte de ce mouvement social communard que se trouvent les bases d’une « communication communarde » : fédération participative de voix, de regards, surgissant des multiples territoires de vie et de travail. Ce chantier formatif devient de plus en plus urgent vu le retard pris par une gauche qui a cru naïvement qu’il suffisait d’imiter les techniques du capitalisme pour affronter celui-ci.

Vous pouvez renforcer les activités de cette école permanente d’El Maizal et des autres ateliers ouverts dans des communes au Venezuela, en nous faisant un don :

Compte Crédit Mutuel 00020487902

Titulaire: LABORATOIRE INTERNATIONAL POUR L’HABITAT POPULAIRE DURABLE, 25 RUE JEAN JAURES, 93200 ST DENIS

Code IBAN: FR76 1027 8061 4100 0204 8790 256

Code BIC: CMCIFR2A

SVP ne mentionner que : « Soutien Terra TV »

D’avance nous vous en remercions.

Comprendre la commune d’El Maizal (par Michele de Mello)

« La commune ou rien ! » insistait Hugo Chávez pour qui la révolution bolivarienne passait par l’essor des organisations communardes. Depuis 12 ans, dans l’ouest du pays, entre les États de Lara et de Portuguesa, près de 4500 familles vivent et produisent des aliments sains de manière totalement collective. Cette commune rurale est le résultat d’une occupation des terres par les paysan(ne)s en 2009, qui a permis de les consacrer à la réforme agraire.

« Chávez a jeté les bases d’une nouvelle géométrie d’un pouvoir citoyen que les institutions empêchaient historiquement en le rejetant dans l’illégalité. Pour nous la parole de Chavez avait force de loi, c’est pourquoi ici nous avons mis en place ce modèle de commune. Notre communauté de travail, loin d’être séparée par des visions différentes, se rassemble autour d’un combat, d’un projet » explique le leader communard Angel Prado.

A raison de six heures de travail par jour, 180 communard(e)s sont responsables de l’entretien de 14 entreprises de production sociale. Outre le maïs, le café, les légumineuses et les légumes, les agriculteur(trice)s transforment également la farine de maïs et produisent du lait, du fromage et de la viande avec des bovins et des porcs. « Notre histoire est liée à l’agriculture. Nos premières graines nous ont été données par le président Chávez lors d’une visite. Nous avons planté 150 hectares de haricots, puis il est revenu ici pour voir comment se passait la production. De cette culture est née l’entreprise Ezequiel Zamora, qui vise la mécanisation agricole. C’est cette entreprise qui, depuis 2010, nous a donné le plus gros excédent et nous a permis de nous développer en interne, ainsi que de servir socialement les communautés qui se trouvent dans la commune » se souvient Jennifer Lamus, travailleuse communarde.

Cette année, la commune d’El Maizal a cultivé 300 hectares de maïs, mais dans tout le pays, on compte déjà environ 1100 hectares de maïs cultivé avec des semences autochtones produites par la commune avec le soutien des militant(e)s brésilien(ne)s de la Brigade internationaliste Apolônio de Carvalho du Mouvement des Travailleurs ruraux Sans Terre (MST).

L’objectif principal est de devenir un territoire autosuffisant, tant sur le plan alimentaire qu’économique. La commune d’El Maizal a été le coup d’envoi de l’émergence de 11 autres communes dans la région centrale du Venezuela. La proposition de Chavez était que les domaines communaux unifient l’organisation à partir de la base pour construire une nouvelle « hégémonie territoriale ».

« Tout le travail que nous avons fait les premières années nous a renforcés. Lorsque l’économie a commencé à souffrir des assauts du blocus occidental, la commune d’El Maizal est restée solide. Nos ressources ont contribué à maintenir la volonté de nous battre et surtout à ce que personne ne soit démobilisé ou démoralisé », affirme Ángel Prado. « Ici dans les zones rurales il y a une autre réalité et ici nous savons que les choses ne vont pas bien, mais chaque jour les camarades font de leur mieux pour que la réalité de ceux et celles qui vivent dans la commune soit différente » précise Jennifer Lamus.

En raison de sa capacité de production, Maizal aide également les petits producteurs de la région en distribuant des crédits en échange d’une production alimentaire.  « Nous demandons un financement plus important et nous accordons ce crédit aux producteurs qui, par la voie normale de l’État, ne peuvent pas l’obtenir. Nous faisons également des échanges de produits. Souvent, les producteurs n’ont pas l’argent nécessaire pour acheter 1 kg de fromage. Ils peuvent donc nous apporter 1 kg de grains de café, en échange du fromage » explique Jennifer Lamus. 

Le travail volontaire dans les équipes d’entraide mutuelle est également une alternative pour les habitant(e), pas de manière « assistentialiste » mais comme une forme d’exemple ». « Il arrive qu’une unité de production soit en retard dans son travail, alors nous faisons appel à tout le monde pour mener cette tâche à bien et suivre le rythme des autres unités de production. Et cela ne vaut pas seulement pour la commune. S’il est nécessaire de nettoyer une école, une rue, de peindre un terrain ou d’effectuer toute autre activité dans la communauté, nous nous rendons sur place pour effectuer ce travail » raconte Jennifer.

Le territoire de la commune de El Maizal se soucie de l’aspect productif autant que de l’aspect social. Les communard(e)s ont fondé une école de formation idéologique et technique, où ils proposent des cours avec le soutien de militants d’autres mouvements populaires nationaux et internationaux. Ils ont également inauguré une école d’enseignement primaire pour les enfants des agriculteurs, en adoptant la méthode de Paulo Freire.

« La pratique et la théorie vont de pair. Sans éléments historiques de la lutte, sans théorie, les gens n’auraient pas de clarté sur les objectifs de l’horizon », dit le communard Wildenys Matos.

Comme elle produit environ 2 000 tonnes de maïs par an, la commune El Maizal cherche à établir une relation directe avec l’État pour fournir de la farine de maïs pour les paniers alimentaires distribués par les comités locaux d’approvisionnement et de production (CLAP). « Le travail de  la commune démontre qu’il existe une façon différente de faire les choses. D’abord que nous pouvons être autosuffisants en produisant. Nous pouvons substituer le modèle pétro-rentier par un modèle productif et durable, grâce à l’économie collective communale », affirme Matos.

Selon les données officielles, il y a 3567 communes enregistrées dans tout le pays. Les militant(e)s de El Maizal promeuvent l’Union Communarde comme mouvement national appuyant la construction d’un état communal au Venezuela. « Nous consacrons nos vies à ce projet. La commune est notre mode de vie. Comme la guerre d’indépendance, pour défendre notre Patrie », explique M. Prado.

Pour continuer à progresser dans le contrôle du territoire, les communard(e)s se sont présenté(e)s aux élections régionales du 21 novembre avec la candidature d’Angel Prado au poste de maire de la municipalité de Simón Planas. Il a été élu sous la bannière du chavisme avec d’autres membres de l’organisation, devenu(e)s conseiller(e)s municipales. « Nous, organisations populaires, nous devons nous approprier ces espaces non pas pour renforcer l’État, mais pour commencer à le démanteler de l’intérieur, afin que la commune avance sur le territoire. La commune ou rien. Pas une commune rhétorique mais une commune pour faire avancer les choses, pour que le pouvoir du peuple soit le pouvoir de décider, de planifier, de prendre des décisions et de continuer à lutter, à avancer » dit Wildenys Matos. L’une des propositions du nouveau maire Angel Prado est d’établir des contrats et des appels d’offres de la municipalité avec les communes de la région, ainsi que d’accroître le contrôle communautaire sur les services de base tels que la distribution de gaz et de carburant. « Notre horizon stratégique est le socialisme et nous voulons poursuivre le projet national Simón Bolívar. La commune comme modèle politique a montré qu’elle peut travailler, produire, influencer l’économie du pays, industrialiser son alimentation, peut se battre sur n’importe quel champ de bataille, gouverner et assumer des responsabilités politiques » conclut Ángel Prado.

Source : https://www.brasildefato.com.br/2021/11/10/na-comuna-el-maizal-4-5-mil-familias-constroem-projeto-socialista-para-venezuela

Traduction : Thierry Deronne

Photos : Terra TV

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/12/05/au-venezuela-les-communardes-del-maizal-construisent-un-nouveau-modele-de-pouvoir/

Au Venezuela, symphonies agroécologiques paysannes

« On sent dans les yeux
et dans les doigts
la pression, la patience,
le travail
de germes et de bouches,
de lèvres et de matrices.
Le vent transporte des ovaires.
La terre enterre les roses.
L’eau jaillit et cherche.
Le feu bout et chante.
Tout
naît
« .
Pablo Neruda, Ode à la fertilité de la terre

Dans les montagnes, à une heure de Barquisimeto, il y a trois villages productifs de paysans où tout aujourd’hui est un bien commun. Monte Carmelo, Bojó et Palo Verde résonnent comme un « orchestre agroécologique » au cœur de la municipalité d’Andrés Eloy Blanco, dans l’état de Lara.

Depuis les années 1970, plus de 120 familles et leurs nouvelles générations ont cultivé avec beaucoup de sens mystique l’organisation et le travail comme une sorte de symphonie. Ces familles rurales font bouger leurs bras, leurs esprits, leurs jambes, leurs regards, avec une telle synchronicité qu’il semble qu’elles dansent sur le même air : elles partagent des sentiments, des idées, des récits, des expériences, des territoires, de la nourriture. Monte Carmelo, Bojó et Palo Verde ont trouvé leur voie dans l’organisation communautaire autour de pratiques et de connaissances agricoles ancestrales, profondément humaines et en harmonie avec la nature. Ces villages sont le berceau de l’agroécologie au Venezuela.

Olga Domené

Cette organisation paysanne, connue sous le nom de La Alianza, a été étudiée par la scientifique vénézuélienne Olga Domené (photo) pendant quatre ans. Docteure vétérinaire, elle a obtenu un master en agroécologie à l’université de Pinar del Río, à Cuba, et vient de terminer un doctorat en écologie au Colegio de la Frontera Sur, au Mexique. Elle est la fondatrice du programme de formation en agroécologie de l’Université bolivarienne du Venezuela.

Les recherches de cette native de la ville de Maracay ont pris fin en 2020, en pleine pandémie de covid-19. Olga a constaté que, dans ces hameaux paysans, le traditionnel « conuco » (parcelle productive) est un espace d’apprentissage, de coexistence et de subsistance, généralement géré par les femmes et les enfants. Le conuco est une unité de production essentiellement familiale, ancrée dans l’histoire du Venezuela, qui prend vie dans les cours des maisons. Y sont cultivées des espèces locales, allant des végétaux alimentaires aux plantes médicinales, en passant par les plantes qui purifient l’âme, car les maladies ne sont pas seulement physiques. L’espace-temps est fondamental dans cette stratégie : les familles ont une connaissance approfondie du territoire pour savoir où, quand et à quelle heure elles vont semer et récolter. Il existe des associations et une diversification des espèces. La famille s’alimente grâce au conuco, tous les jours. On y trouve des bananes à cuire, du manioc, du maïs, des haricots, certaines racines cultivées dans la région, des plantes médicinales, des poulets, des chèvres et des vaches.

Gaudy Garcia, directrice de l’école de Monte Carmelo.

Un autre résultat intéressant de l’étude est de percevoir ces symphonies agroécologiques dont le rythme favorise l’émergence et la permanence de l’organisation communautaire, à partir de la conformation d’un tissu social, avec des intersubjectivités qui ne voient pas seulement le territoire comme un espace biophysique, mais comme des lieux symboliques avec une histoire, où s’entrecroisent des connaissances, des faits, des saveurs, des pensées, des sentiments. C’est un travail qui évoque la magie de « faire de la musique ensemble » : à travers des synchronicités symboliques dans un temps partagé et vécu simultanément. Une agroécologie construite à partir des bases, des pratiques de relations sociales qui ont transformé la réalité de la municipalité Andrés Eloy Blanco, collectivement : les paysans sans terre ont entrelacé un réseau d’organisations dotées de pouvoir. Dans cette vision, le social est dans la relation elle-même.

La recherche d’Olga sur les processus de territorialisation de l’agroécologie dans les environs de Sanare part d’une perspective socio-historique critique, qui laisse de côté les théories et les catégories d’analyse imposées par les sciences conventionnelles. Il s’agit d’une étude réalisée à partir du tissu communautaire, de la systématisation des expériences et des histoires. Cette méthode nous a permis de retisser un événement historique qui rend visibles les facteurs et les dispositifs sociaux qui ont permis l’avancée de l’agroécologie dans l’état de Lara.

Parmi les résultats, certains facteurs de transformation surgissent : 1) l’organisation horizontale comme base de la participation communautaire, qui favorise la consolidation de diverses coopératives et associations. 2) L’importance de la mobilisation des processus éducatifs comme stratégies clés pour la territorialisation de l’agroécologie. Un exercice qui rend visible un sujet pensant atypique : le maître-peuple (maestro pueblo), dont la pédagogie émerge dans l’oralité, qui lit le temps et ne réifie pas la vie, mais au contraire s’immisce dans celle-ci. Un(e) enseignant(e) qui insère un cursus différent et favorise des structures telles que l’école paysanne. 3) Le sauvetage des cultures et des savoirs ancestraux, méprisés par la modernité eurocentrique, qui protègent la vie. 4) Le sauvetage et la multiplication des semences locales, des semences autochtones, ainsi que la construction de laboratoires communautaires d’intrants biologiques.

Dans ces processus, la contribution des femmes a été essentielle pour maintenir la vie. Les femmes ont conquis des espaces, des garanties et des rôles, une lutte très difficile dans le monde rural. Elles sont des dirigeantes communautaires, avec un pouvoir considérable sur leur lieu de travail et d’étude ; beaucoup sont des enseignantes. Elles vivent à la recherche de nouveaux lieux pour recréer des horizons différents.

Les expressions de solidarité, de travail collaboratif et de complémentarité, nécessaires pour créer et maintenir la résistance dans les territoires paysans, se manifestent dans tous les espaces vitaux de Monte Carmelo, Bojó et Palo Verde. Dans les travaux collectifs, les familles aident à construire les maisons d’autres compagnes et compagnons dans les communautés, à nettoyer les routes, à organiser des foires alimentaires.

L’étude montre que le son des symphonies change également avec le temps. La question intergénérationnelle est très importante. Il y a de nouveaux défis, de nouvelles menaces, de nouvelles opportunités.

Les fondateurs de cette organisation paysanne se souviennent que le premier accord dans les montagnes de Sanare a été une campagne d’alphabétisation paysanne influencée par trois courants de pensée : la théologie de la libération, des pères jésuites qui sont arrivés et se sont installés sur le territoire ; la présence du mouvement de guérilla d’Argimiro Gabaldón, avec son idéologie de construction du bien-être collectif ; le mouvement coopératif des années 1980, dont les principes d’entraide, d’union et de responsabilité partagée prévalent encore. Dans cette ligue de coopératives appelée La Alianza, Las Lajitas, Moncar, 8 de Marzo, l’Association Monte Carmelo, Palo Verde, toutes contribuent à la Central de Cooperativas del estado Lara (Cecosesola).

Aujourd’hui, la puissante organisation des mouvements paysans est présente dans toute l’entité. Les foires de consommation familiale qui font partie de la coopérative Cecosesola sont une idée qui a vu le jour dans les années 80, dans les villages de Sanare, lorsqu’ils étaient sous la coupe du libre marché et que, bien souvent, toute la production était emportée par les intermédiaires. C’est alors qu’ils ont commencé leur première expérience de vente directe d’aliments, et ce fut une bénédiction pour les habitant.e.s de Barquisimeto. A partir de là, les autres foires sont nées. Il existe désormais trois grands marchés alimentaires, qui constituent une oasis pour des milliers de familles de l’état de Lara. Ces dernières années, à Palo Verde, les femmes ont pris l’initiative de créer des épiceries communautaires où sont distribués des aliments sains, savoureux et souverains à des prix solidaires.

Cette enquête locale sur la communalité et l’agroécologie cultivées dans les territoires du Venezuela nous éclairent sur d’autres activités organisationnelles, formatives et productives, afin de prendre de grandes décisions.

Nerliny Carucí (journaliste scientifique, et professeure universitaire) et Guillermo Barreto (biologue, zoologue, journaliste scientifique et ex-ministre de écosocialisme du gouvernement bolivarien)

Source : http://ciudadccs.info/2021/05/14/date-con-la-ciencia-sinfonias-agroecologicas-campesinas/

Traduction : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/05/19/au-venezuela-symphonies-agroecologiques-paysannes/

« Et nous revînmes aux terres de Buria »

Ce reportage tourné en mars 2021 par l’équipe de Tatuy TV peut se voir comme une suite au documentaire de Terra TV « Marche » (2018) qui raconte comment une colonne paysanne exaspérée par les assassinats commis par les mafias agraires, monte vers Caracas pour dialoguer avec Nicolas Maduro. Le reportage actuel nous permet de retrouver quelques personnages de cette épopée comme Arbonio Ortega « El Diablo ». La marche paysanne qui – comme disait Arbonio en conclusion du film « Marche » – ne « devra jamais prendre fin », renaît ici sous les traits d’une action conjointe de l’Union Communarde et de la Commune El Maizal pour récupérer les terres de la Commune « Negro Miguel ». Le gouvernement bolivarien appuye cette initiative populaire, notamment à travers la présence du président de l’Institut National des Terres David Hernandez.

Le 27 mars 2021, les membres de la Commune Negro Miguel, avec le soutien et l’accompagnement de la Commune d’El Maizal et de l’Union Communale, ont organisé la réoccupation des terres Negro Miguel situées à Buria, municipalité de Simón Planas, État de Lara. Le président de l’INTI, David Hernandez, le maire de la municipalité, Gian Ortiz, ainsi qu’une délégation de parlementaires de l’Assemblée nationale ont assisté à cette activité. Avec plus d’une centaine de membres de la communauté, ils ont procédé à l’inspection des terres de la ferme, pour planifier la politique de soutien gouvernemental en vue de récupérer leur productivité.

Cette terre de 1200 hectares avait été occupée en 2015 par l’Axe Communal Negro Miguel, compte tenu de l’état d’abandon dans lequel l’avait laissée l’administration de la Corporation Alimentaire Vénézuélienne (CVA).Quelques membres de l’organisation communale elle-même qui occupait l’espace depuis 2015, ont fini par détourner l’identité sociale du projet, en démantelant la ferme et en la ramenant à une situation d’abandon. Face à l’inquiétude suscitée par l’état actuel de l’unité de production, par ailleurs menacée de privatisation, la réoccupation des terres a été décidée par les paysans et communard.e.s pour relancer les processus organisationnels, productifs et politiques de la commune, et travailler à la formation de la Cité communale.

« Et nous revînmes aux terres de Buria« , reportage de @TatuyTv, coproduit par la @ComunaElMaizal et la @UnionComunera (Venezuela, 2021). VO (ESP) sous-titrée en français par Terra TV

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/04/22/et-nous-revinmes-aux-terres-de-buria/

La vision stratégique de la grande mission AgroVenezuela

Par Clara Sanchez

Des chercheurs, universitaires et familles andines travaillent sur des stratégies pour réorienter les choix alimentaires vers la production paysanne. Photo : Ministère du Pouvoir Populaire pour la Science et la Technologie 

“…Sur la question agricole, qui revêt un grand intérêt national, nous menons une dure bataille depuis le tout début de la Révolution”  

Hugo Chavez, lors de la présentation du Rapport et Compte-Rendu à l’Assemblée Nationale 

La Grande Mission Agro Venezuela a vu le jour le 25 janvier 2011 à l’initiative du Président Hugo Chavez et a été lancée depuis l’Unité de Propriété Sociale Agricole “La Productora, dans la Municipalité d’OSPINO, Etat Portuguesa dans le but d’assurer la sécurité et la souveraineté alimentaire du pays. 

Une mission hautement mobilisatrice 

Depuis sa création, cette Grande Mission est devenue une organisation hautement mobilisatrice, prenant une “nouvelle impulsion, un nouvel élan, les 3 R de la Révolution Bolivarienne » (1) ; elle a commencé par “l’enregistrement de tous et toutes les Vénézuélien(ne)s ayant la possibilité de produire des aliments et affiche, entre autres, “347 points tricolores” sur tout le territoire national.  

A son premier anniversaire, la Mission comptait déjà avec 682.125 inscriptions (2) (586 789 agriculteurs vénézuéliens inscrits lors de la première phase –mai, juin, juillet, août 2011- et 95 336 lors de la deuxième phase –septembre, octobre, novembre et décembre 2011- dont 4028 sont devenus délégués et parmi ces derniers, 1 007 ont été élus dans 1 030 assemblées qui s’étaient déjà tenues quand le Président a annoncé le démarrage de la deuxième année de la Grande Mission Agro Venezuela au début de 2012 (3) ; il a déclaré :  “nous nous engageons à accroître la production agricole, l’élevage, la production agropastorale (…), piliers de notre nouveau modèle de développement, l’économie productive, l’économie sociale”, afin “ de faire un grand saut qualitatif et quantitatif dans la production agricole” (4) ; pour cela, il a créé l’Organe Supérieur qui devait permettre une meilleure coordination entre toutes les entités étatiques pour sa conceptualisation, ses objectifs et ses tâches. 

Des résultats modestes 

Auparavant, le 13 janvier 2012, dans son Rapport et Compte-Rendu présenté à l’Assemblée Nationale, le Président Hugo Chavez a déclaré : “Sur la question agricole, qui revêt un grand intérêt national, nous menons une dure bataille depuis le tout début de la Révolution, (…) cet effort et ces modestes résultats, nous devons les utiliser comme base pour exiger un engagement national et pour cela, nous prenons plus d’initiatives chaque jour, nous travaillons plus efficacement pour continuer à augmenter a production nationale”. (5)

Au sujet des modestes résultats obtenus, il a annoncé que sur 47 produits agricoles, 39 avaient vu s’accroître leur superficie de culture et leur production par rapport à 2010 : la production de riz a augmenté de 6%, celle des haricots de 17%, celle du coton de 21,9%, celle du café de 2%, celle du cacao de 9%, celle du tournesol de 23%, celle du lait de 7%, celle du poulet de 8%, celle du porc de 26%, celle des œufs de 26% et celle de viande bovine de 6%, ces chiffres prouvant les progrès réalisés ;  dans la production de maïs, une diminution de 17% a été constatée bien que la superficie ensemencée ait augmenté de 397ù en raison de pluies abondantes qui ont gravement affecté les récoltes. 

Parmi d’autres résultats, on peut noter la création du programme d’agriculture urbaine, dont le nom initial, Agro Ciudad, a ensuite cédé la place à l’actuel “Pouvoir Populaire pour l’Agriculture Urbaine”. 

Une mission hautement stratégique 

Depuis notre espace, Nourriture et Pouvoir”nous avons donc mis l’accent sur le fait qu’au Venezuela le système agroalimentaire doit être considéré comme hautement stratégique et nous saluons la proposition de constitutionnalisation de la Grande Mission Agro Venezuela ; mais que signifie concrètement “hautement stratégique” ? 

En 2012, le Président Chavez a fait la lumière sur ce qu’il avait compris lui, en tant que chef d’état : “ c’est une secteur-clé pour la souveraineté alimentaire, pour l’Indépendance nationale”. (6)

La stratégie déployée consiste à garantir les besoins vitaux de la nation, ce qui, pour le Venezuela, signifie “atteindre la souveraineté alimentaire pour assurer le droit sacré du peuple à l’alimentation” (7) tel que décrit dans le Plan de la Patrie 2019-2025, dont le premier Grand Objectif Historique est l’Indépendance nationale.

En 2011, le Président Hugo Chavez lance la Grande Mission Agro Venezuela. Photo d’archive 

C’est donc pour sa propre sauvegarde que le pays s’engage dans ces actions, en essayant d’annuler ou de réduire les conséquences négatives découlant de desseins hostiles (la chute du prix du pétrole ou de sa production, mais surtout du blocus et des mesures coercitives unilatérales imposées par les Etats-Unis et ses alliés), en prenant les initiatives nécessaires pour canaliser le développement et la construction du pouvoir national, qui pour la Révolution Bolivarienne doit être un modèle alternatif de développement socialiste garantissant le “bien vivre” à sa population. 

Ceci en tenant compte du fait qu’à partir de 2014, lorsque le conflit ouvert avec les Etats-Unis a été dévoilé, conflit qui augmente ou baisse d’intensité à différents niveaux depuis qu’il a été déclenché, il a fallu introduire des mesures énergiques et durables dans le système agroalimentaire national, c’est-à-dire exploiter tout son potentiel en temps de paix –en admettant que cette situation de siège, de guerre non conventionnelle puisse s’appeler paix-, afin de préciser une politique nationale permettant d’anticiper ou d’affronter les périodes de crise, voire de guerre, qui avant ce jour n’étaient pas considérée par la société comme quelque chose qui pouvait vraiment arriver au Venezuela. 

Je veux parler du blocus contre la nation et de la menace constante d’intervention militaire de la part de la première puissance mondiale, dans lequel la nourriture devient un enjeu national vital car la survie même de la nation dépend de sa garantie ; la population étant le facteur de puissance d’une nation le plus important à protéger. 

Par conséquent, le Plan de la Patrie fait partie d’une planification générale et la Grande Mission Agro Venezuela est l’instrument de mise en œuvre qui permettra d’atteindre l’objectif 1.4 de ce Plan. 

C’est en partant de là que toutes les forces doivent se coordonner pour une politique de défense permettant de résoudre un problème d’importance stratégique : la vulnérabilité de la Révolution Bolivarienne devant la nécessité de nourrir de manière autonome ou au moins en quantité suffisante la population ; bien que de gros efforts aient été faits dans ce sens de 2000 à 2014 et malgré le fait que certains secteurs nient que les meilleurs résultats de la hausse des indicateurs nutritionnels de la population et de de la production nationale à des niveaux historiques aient été obtenus au cours de cette période, la réalité concrète est que cette hausse s’est produite dans un contexte totalement différent de celui d’aujourd’hui, avec un effondrement évident au cours de l’année 2014 qui, je le répète, était dû à la chute brutale du prix du pétrole, fait don certains analystes ne tiennent pas compte. 

Objectif : protéger la population 

Au sujet de l’annonce faite par le Président Nicolas Maduro sur la relance de la Grande Mission Agro Venezuela (8) avec la mise en œuvre d’un processus contribuant à l’élaboration collective de son redémarrage, nous considérons, depuis notre espace, que la participation de l’ensemble du système agroalimentaire est indispensable. 

Pour le dire plus clairement, “tous les facteurs ou éléments tangibles et intangibles qui impliquent le peuple et le gouvernement, ainsi que le public et le privé” (9) ; ou, pour paraphraser Chavez, “le communal ou le direct, l’Etat ou l’indirect, ou le mixte Etat-Privé, mais aussi l’Etat-Pouvoir Communal doivent œuvrer en vue de la formation d’un pouvoir national dont le but ultime n’est pas juste de renforcer la production alimentaire nationale, mais de préserver le facteur population, en particulier celui qui est touché au quotidien par la pénurie alimentaire en plein milieu du blocus et de la pandémie COVID-19. 

Car le blocus et les mesures unilatérales ont non seulement rendu difficile l’obtention de la quantité d’engrais nécessaire pour les semailles, mais sont aussi utilisés comme instrument de spoliation des Monomères Colombo-Vénézuéliens ou de diminution de la production de Pequiven (10) , au grand préjudice de la population vénézuélienne que l’on veut faire mourir de faim, même si cela entraîne des souffrances plus grandes encore pendant des mois et des années, tous ces moyens étant utilisés par les Etats-Unis pour parvenir au changement de régime qu’ils veulent obtenir. 

A l’heure actuelle, l’insuffisance alimentaire atteint 31,4% de la population du Venezuela (11), son augmentation étant proportionnelle au nombre de mesures coercitives unilatérales ou des actions menées par les Etats-Unis et leurs alliés, dont le blocus imposé à la nation, contre ses actifs, ses biens, ses ressources, ses habitants, ce afin d’atteindre leur objectif, la nourriture leur servant d’arme de guerre. 

C’est pour cette raison que certains ont affirmé qu’il était inutile d’augmenter la production nationale dans une perspective purement économique si l’objectif transversal n’est pas de nourrir en priorité l’ensemble de la population vénézuélienne, ce qui équivaudrait à réduire sa vulnérabilité et à obtenir une plus grande liberté d’action en parallèle du développement des forces de production susceptibles de réduire les attaques constantes contre la nation depuis l’étranger. 

Le Président Nicolas Maduro a relancé la Grande Mission Agro Venezuela dans le contexte du blocus américain contre le Venezuela. Photo : archives 

D’une part, on veut “faire mourir la population de faim” ce qui déclencherait une flambée de violence contre le gouvernement national, d’autre part on accuse constamment la révolution bolivarienne au niveau international comme seule responsable de l’augmentation de la pénurie d’aliments tout en empêchant l’accès du pays au commerce mondial pour acquérir des denrées alimentaires, des intrants ou des matières premières au moyen du blocus et d’autres mesures. 

Prenons l’exemple de l’Argentine qui “produit de la nourriture pour 400 millions de personne” d’où son surnom de “grenier du monde” ou plus récemment de “supermarché du monde” alors que sa population souffre de restrictions à l‘accès à cette nourriture en raison du manque de ressources économiques qui a augmenté de manière exponentielle ces dernières années, touchant actuellement 35,8% de la population ou –ce qui revient au même- environ 15,8 millions de personnes souffrant d’insécurité alimentaire modérée à sévère, 11 millions de personnes mangeant, en ces temps de pandémie, dans des cantines ou des soupes populaires ; 3,5 millions d’entre elles sont des enfants (12) ; pourtant ce pays ne connait ni sanctions, ni blocus, ni siège. Mais juste un système agroalimentaire principalement contrôlé par de grandes transnationales de l’alimentation et de l’agro-industrie pour lesquelles la nourriture n’est qu’une marchandise à laquelle seuls ceux qui peuvent la payer ont accès ; système qui ne peut ni ne doit tolérer la viabilité d’un nouveau modèle de production comme celui du Socialisme Bolivarien. 

Par conséquent, tous les acteurs et circuits du système agroalimentaire vénézuélien doivent être inclus dans la Grande Mission Agro Venezuela à tous les niveaux d’articulation, de contrôle et de responsabilité tout en donnant de l’importance aux comportements alimentaires comme moyen d’élargir ce système à un niveau supérieur, comme l’a fait la Grande Mission Venezuela à ses débuts en 2011. 

Dernières réflexions 

En résumé, étant donné que le système alimentaire est une composante du pouvoir national, que c’est par ce biais que l’autosuffisance agroalimentaire peut être atteinte, autosuffisance qui représente pour la Révolution Bolivarienne la souveraineté alimentaire, augmenter la production signifie en accroître la disponibilité, mais aussi l’engagement des politiques nécessaires pour assurer à la population un accès opportun et permanent aux aliments ; en particulier à celle qui dans l’immédiat est le plus affectée par la pénurie alimentaire et, pour cela, il faut prendre des mesures fermes avec la Grande Mission Agro Venezuela, susceptibles de briser le statu quo d’une configuration de relation de dépendance depuis une position périphérique de subordination du système agroalimentaire vénézuélien au restant du monde, aux transnationales et d’une condition fortement oligopolisée, tout en évitant de se laisser happer par un cycle de privatisation, de dénationalisation, d’oligopolisation et de transnationalisation dans lesquels peut tomber l’exploitation des terres cultivables elle-même. 

Par conséquent, l’utilisation rationnelle des ressources naturelles (terre, eau, pétrole, gaz et biodiversité) doit être prise en compte en toute connaissance de cause du scénario actuel et de la concurrence internationale pour accaparer ces ressources dont le Venezuela est un réservoir très attrayant pour les grandes multinationales. C’est une question primordiale, en lien avec d’autre facteurs déjà considérés comme la science et la technologie, avec tous les circuits et à tous les niveaux, pas seulement dans le domaine de la génétique, mais aussi dans le domaine de l’innovation, des usines et des pièces détachées, des machines et des instruments agricoles, des modèles alimentaires nationaux ou des engrais, grâce à l’expérience et aux connaissances ancestrales et au savoir-faire populaire ; sans oublier la géographie, les caractéristiques du territoire, l’armée et, facteur essentiel, la population qui a une importance stratégique dans la géopolitique. 

Car c’est elle qui en termes de quantité comme de qualité, en plus de son caractère et du niveau de son moral, a les capacités humaines nécessaires pour continuer à se battre, à vivre et à se reproduire pour le travail, le développement de son intelligence qui lui permettront de dépasser les niveaux élevés d’enseignements requis par la science et la technologie et qui mèneront à la réalisation des objectifs de la Révolution Bolivarienne, du Socialisme Bolivarien, de l’Indépendance Nationale, de la Souveraineté Agroalimentaire, dans la cadre d’un nouveau modèle de développement alternatif. 

Clara Sanchez est chercheuse, ingénieure agronome, Master en Stratégie et Politique. Elle publie des articles de recherche et d’anayse dans le domaine de l’alimentation et tout ce qui en dérive, sur son site ”Nourriture et Pouvoir”.  

Notes :

[1] (Instituto de Altos Estudios del Pensamiento del Comandante Supero Hugo Rafael Chávez Frías, 2011) Intervención del Comandante Presidente Hugo Chávez en Consejo de Ministros. Recuperado el 04 de 09 de 2020, de http://www.todochavez.gob.ve/todochavez/277-intervencion-del-comandante-presidente-hugo-chavez-en-consejo-de-ministros

[2] 586.789 Agrovenezolanos registrados en la primera fase (mayo, junio, julio, agosto de 2011) y 95.336 en la segunda fase (septiembre, octubre, noviembre y diciembre de 2011).

[3] En febrero del año 2012. Lanzamiento de la Gran Misión AgroVenezuela 2012. Recuperado el 04 de 09 de 2020, de https://www.youtube.com/watch?v=10Xz24kqj8c

[4] (MinAgricultutaVe, 2012) Lanzamiento de la Gran Misión AgroVenezuela 2012. Recuperado el 04 de 09 de 2020, de https://www.youtube.com/watch?v=10Xz24kqj8c

[5] (andresoasis, 2012)13 Ene 2012 Hugo Chávez: mensaje anual de Memoria y Cuenta ante la AN. Recuperado el 22 de 08 de 2019, de https://www.youtube.com/watch?v=3Q7EdMV4jvo

[6] (andresoasis, 2012)13 Ene 2012 Hugo Chávez: mensaje anual de Memoria y Cuenta ante la AN. Recuperado el 22 de 08 de 2019, de https://www.youtube.com/watch?v=3Q7EdMV4jvo

[7] (Ministerio del Poder Popular para la planificaión, 2019) Plan de la Patria 2019 – 2025. El futuro es hoy. Recuperado el 10 de 08 de 2020, de http://www.mppp.gob.ve/wp-content/uploads/2019/04/Plan-Patria-2019-2025.pdf

[8] (Nicolás Maduro, 2020) Miércoles Productivo. Recuperado el 02 de 08 de 2020, de https://www.youtube.com/watch?v=4u2ASVmBbVI

[9] (Sánchez, Sistema agroalimentario venezolano, componente del poder nacional, 2016) Sistema agroalimentario venezolano, componente del poder nacional. Buenos Aires, Argentina: Instituto de Enseñanza Superior del Ejército.

[10] (Gobierno Bolivariano de Venezuela, 2020) Gran Misión AgroVenezuela. Resumen ejecutivo. Caracas.

[11] (FAO, FIDA, UNICEF, PMA y OMS, 2020)The state food security and nutrition in the world. Recuperado el 01 de 08 de 2020, de TRANSFORMING FOOD SYSTEMS FOR AFFORDABLE HEALTHY DIETS: http://www.fao.org/3/ca9692en/CA9692EN.pdf

[12] (El Economista, 2020) Arroyo aseguró que más de 11 millones de personas están recibiendo asistencia alimentaria. Recuperado el 01 de 08 de 2020, de https://eleconomista.com.ar/2020-04-arroyo-aseguro-que-mas-de-11-millones-de-personas-estan-recibiendo-asistencia-alimentaria/

Source originale: https://alimentosypoder.com/2020/09/11/lo-estrategico-de-la-gran-mision-agrovenezuela/

Traduction : Frédérique Buhl pour Venezuelainfos

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2020/10/09/la-vision-strategique-de-la-grande-mission-agrovenezuela/

L’IALA, une école d’agroécologie en résistance au Venezuela

La télévision paysanne Terra TV continue de former les étudiant(e)s de l’IALA, une école latino-américaine d’agroécologie qui comme beaucoup d’autres projets résiste aux épreuves que traverse le Venezuela aujourd’hui et en particulier au blocus très lourd de l’économie par les Etats-Unis. Voici un nouvel épisode de leur chronique audiovisuelle et un résumé des tâches récemment accomplies, rédigé par Leiber Montana :

✓ La brigade permanente de 15 membres formée par les étudiants nationaux et internationaux, et les professeurs accompagnateurs, bénéficie du soutien à mi-temps des familles paysannes vivant autour de l’école.

✓ Avancement du processus pédagogique-académique avec des études de la communauté familiale et des communautés d’origine de chaque étudiant. On a initié les processus de 18 recherches en agroécologie sur les mêmes territoires.

✓ Appui agroécologique aux projets sociaux et productifs intégrés pour l’élevage, l’ensemencement et la production de bio-intrants. Tous ces éléments sont renforcés par le potentiel des unités de production.

✓ Prise en charge et protection du territoire local. Avec la volonté de ne pas abandonner les espaces d’éducation et de production, mais plutôt de les renforcer de manière durable.

✓ La territorialité agroécologique travaille main dans la main avec les communautés du Pie de Monte Andino, pour générer des processus agroécologiques à partir de l’agriculture familiale et communautaire.

✓ Ouverture et renforcement des projets : semis communautaires, semences paysannes, élevage collectif de porcs.

Dans les moments actuels de crise structurelle, où le capitalisme intensifie son contrôle hégémonique de la biosphère planétaire dans l’extraction, la contamination et la marchandisation de la nature et continue à étendre son contrôle culturel de la population, à la fragmentation des relations humaines, de la société et de la nature, la formation de l’être humain est plus que jamais un axe transversal de toute transformation révolutionnaire.

Ces moments de difficulté doivent devenir des leviers de grandes transformations et nous avons réussi à réparer des machines endommagées, un camion, une pompe…En inventant des formes d’appui qui viennent des organisations populaires et du gouvernement bolivarien, nous devons continuer à rassembler nos forces, échanger, troquer pour donner une réponse à ces difficultés et ouvrir de nouveaux projets qui renforcent la souveraineté alimentaire et les processus d’éducation populaire.

Étude, lutte et organisation, avec l’agroécologie dans la révolution

Pour la Coordination Politico-Éducative de la Coordinadora Latinoamericana de las Organizaciones del Campo (CLOC-VIA CAMPESINA), CLOC-LVC.

Leiber Montana

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