
A l’origine, une nouvelle lubie de notre camarade de Vive, nous faire voir du pays.
Et le voici qu’il nous parle d’une entreprise nommée La Gaviota qui va être nationalisée officiellement le jour même et que ce serait bien qu’on y aille, admettons.
Nous, c’est le camarade toulousain Maxime Vivas (écrivain, auteur notamment de la Face Cachée de Reporters sans Frontières) et moi même.
Il est donc 6h du matin quand nous quittons Caracas pour Cumana, dans l’Etat de Sucre, à 8h de route (en comptant les heures de bouchons).
Voyage cahoteux avec des nids de poule en plein milieu des « autoroutes », si gros qu’on parlerais plutôt de nids d’autruches, mais pas chaotique pour autant. Quelques arrêts dans les panaderias (boulangeries) pour touriste, à vous faire regretter les mêmes des quartiers chics de la capitale pourtant déjà excessivement chers.
Nous traversons l’Etat de Miranda, descendant les collines vers les plaines verdoyantes. Puis la forêt touffue, ou jungle, ou ne sais plus, avec les vendeurs de fruits, bananes, fruits de la passions, mandarines, …


Voici un péage, le seul, nous payons quelques centimes. On croise des postes de péages sur toutes les routes au Venezuela mais il est rare que ceux-ci servent encore à leur usage premier. les routes du Venezuela appartiennent elles aussi au domaine public.
Nous voici dans l’Etat Azoantegui, avec ses grandes plaines entre plaines semi-désertiques, faisant penser au Mexique, avec les cactus au bord de la route, sous un climat chaud et sec.

Puis une lagune, bleue océan, calme, au bord de laquelle j’ai appris par une traduction du début de mon séjour qu’il s’y trouve une coopérative socialiste de pêche. Invisible à l’oeil de l’autoroute mais bien réelle
On roule, roule, et on passe devant les puits de pétrole, le cœur de la richesse de cette nation. Cette richesse qui est aussi source de beaucoup de problèmes, comme un cadeau empoissonné. Rien n’est possible sans, mais on ne put rien faire tant qu’il est là. cette richesse qui appauvrit. Encore un paradoxe. pas des moindres.*

On traverse les villes, on arrive à Barcelona, eh oui ici aussi, et on reprend l’autoroute. Puis voici Puerto la Cruz, à la limite avec l’Etat Sucre, une ville clairement touristique et nous commençons à grimper les montagnes pour suivre la route du bord de mer et redescendre vers notre destination, avec tout le long vue sur la mer, la côte, les plages, qu’on dit ici encore plus paradisiaques qu’à Choroni.
Enfin, nous finissons notre périple et derrière les collines on arrive à Cumanà, une cité balnéaire, hôtels, plages, vendeurs, tout pour les touristes. Sauf que ce n’est pas précisément le motif de notre visite.

En bon gauchistes, nous sommes une fois de plus là pour suivre le processus révolutionnaire à partir de la base (révolutionnaire). Et évidemment, nous nous concentrons dans les lieux où ça marche afin de généreusement collaborer à la (honteuse) propagande chaviste.
Nous arrivons sur place sur les coup de 14h. On passe le portail et nous entrons.
Un immense espace s’offre à nous, avec devant une grande usine, plutôt sobre, même austère, s’il n’y avait devant tout un petit monde s’affairant à monter une scène de spectacle, et ces gens discutant tranquillement sur les chaises installées devant la scène.

Au dessus de la scène, cette photo, si explicite, et pourtant ce n’est que plus tard que nous comprendrons un peu mieux de quoi il s’agit vraiment. « La Gaviota alzó el vuelo al socialismo »

Je retrouve Rafael, notre contact, que j’avais rencontré Fama de America quand ces ouvriers étaient venus jouer pour ces autres travailleurs en lutte une pièce de théâtre sur leur combat. Embrassades chaleureuses, présentation de tout le petit monde. Il y a là des ouvriers et ouvrières, des militants sociaux, des membres du conseil communal, des représentant des fonds d’aide du gouvernement.
Devant nous la scène, derrière nous et plus loin dans la place, un bâtiment plus petit avec des groupes s’affairant devant. On se rapproche.
On se trouve face à la Salle de Bataille Sociale « Subversion Caribe », un lieu où peuvent se rassembler les conseils communaux, les commissions, les lutteurs sociaux.
Devant, une sono crache à plein poumon la voix d’Ali Primera et ses chants populaires et révolutionnaires. On entre dans les lieux et on nous dirige vers les cuisine où les ouvrières et les ouvriers de l’usine préparent la hallaca, le plat de noël au Venezuela, et nous en offre une immédiatement, que nous dégustons avec saveur.
Étant passablement épuisés, Rafael nous désigne en souriant des matelas stockés dans un coin et nous nous écroulons dans une sieste réconfortante.
Mais où sommes nous donc me direz vous ?
La Gaviota est une fabrique de conserves de sardines et de fruits de mer. Une usine qui emploie 330 ouvriers, majoritairement des femmes, qui distribue les sardines en conserve dans le pays. Il y a 6 mois ces travailleurs ont commencé une lutte pour obtenir la nationalisation de l’entreprise. Condition de travail difficile, faibles salaires, exploitation des gérants. Les ouvriers effectuait alors les deux 12, en non pas les trois 8, en étant payé la moitié des (au minimum) 58 heures de travail hebdomadaires.Comme chaque fois dans ce cas, le gouvernement a pris une mesure d’occupation temporaire afin de mesurer la viabilité de l’entreprise et si elle est d’importance à l’économie nationale, dans le cadre d’un programme de souveraineté alimentaire.

Après quelques mois de lutte, le gouvernement a accepté rapidement la nationalisation.
Ce 5 décembre 2009 est la date où l’usine est officiellement nationalisée.
Mais pas dans n’importe quelle condition car comme nous l’explique un des ouvrier, l’usine est totalement gérée par les ouvriers. Il n’y a pas de patron, un simple comité de coordination. ils sont arrivés à s’organiser pour les commandes, les contrats, les ventes. Les pêcheurs du coin livrent la matière première, les travailleurs font leur travailleur de mise en conserve et les produits sont exportés sur les marchés locaux, mais également dans tout le pays via les réseaux de distribution à bas prix Mercal et Pdval. Dans cette organisation, ils ont réussi en diminuant la production de 50% pour retrouver un niveau de pénibilité du travail acceptable, en réorganisant la structure avec des salaires garantis pour tous et non plus au fonction du rendement, avec tout cela, ils ont encore un bénéfice record et peuvent s’octroyer à tous un salaire de 2500 BsF mensuel, presque le triple de leur salaire antérieur.
Nous sommes donc dans une usine nationalisée ET autogérée.
Alors, pour fêter cet évènement exceptionnel, les ouvriers et les communautés de Cumana ont organisé un festival intitulé : « la Gaviota a fait le saut vers le socialisme »

Comme dit précédemment, l’usine accueille la salle de bataille socle et les ouvriers sont aussi investits dans la vie de quartier, dans le PSUV et des les luttes sociales extérieures.
On se réveille sous le coup de 16h. Beaucoup de monde est arrivé. On voit défiler les camionettes et descendre les groupes de musique et de danseurs.
Programmé à13h, le spectacle commence à 16h30.
La musique commence.

Un groupe de danseuses folkloriques de musique traditionnelle vénézuelienne nous fait une démonstration de robes de couleurs et de mouvements pleins d’allégresse.
Vient ensuite sur scène une chanteuse locale, apparemment très connue ici, qui dans un sanglot d’émotion déclame un chant composé à la gloire des travailleurs de la Gaviota.
Puis vient le tour des jeunes de l’école de danse de Cumana. Devant nous une démonstration de sensualité, de rapidité et de maitrise ..
… Le joropo, danse traditionnelle des llanos, les plaine du centre, une danse majestueuse, avec les tenues qui vont avec.

Puis c’est le tour d’une groupe de la gaïta, chant traditionnel de noël, venu de Maracaibo, dans l’Ouest, devenu culture nationale, sauf qu’ici il n’y a que des femmes qui chantent et elles parlent de socialisme et de la Gaviota.
Peu après vient un autre groupe de danse, cette fois des enfants, qui procèdent aux aussi un joropo endiablé, au milieu d’une coupure d’électricité du secteur.
Entre chacune des chansons, les organisateurs remettront un titre de reconnaissance aux groupes. Les pauses et les installations de chacun des musiciens laisseront un laps de temps disponible pour des lectures, déclarations ou poèmes en tous genres. Il y en aura à la fin de chaque chanson.
Je me souviendrais longtemps de ce musicien, ouvrier de la Gaviota, timide et tremblant, amené sur le devant de la scène guidé par la main, prenant le micro et déclamant un poème de sa composition, qui fit l’effet d’un soufflet qui s’abat sur nous et nous laisse cois d’admiration.
Il y a aussi cet autre ouvrier qui au moment de débuté une chanson, prendra soudainement le micro et déclarera la Gaviota « base de Paz, base de paix contre l’impérialisme yankee dans Notre Amérique ». Je discute avec mon voisin, lui parle du 23 de Enero, il connait, évidemment.
Viendront ensuite des mariachis (chanson traditionnelle mexicaine) vénézueliens, avec leur chanteur complètement ivre qui tentera en vain de nous convertir à une secte protestante évangéliste, tout en chantant horriblement faux. Moment de fou rire collectif mémorable.

Et puis viennent des groupes de jeunes, de Caracas, du reggea, du rock, on change de ton. Joue un groupe de Caracas, que j’avais déjà croisé au 23 de Enero lors du concert pour le référendum.
On sent a ce moment dans la foule comme un souffle, les gens commencent à danser plus massivement. Les percussionnistes sont déchainés, deux, trois temps, quatre temps, ils changent selon le morceau et s’adaptent à la musique.

Vient un autre jeune, qui reprend de manière très rythmée les grands succès d’Ali Primera avec la foule debout qui chante et danse. J’apprendrais plus tard qu’il s’agit du fils du chanteur populaire.
Et puis viendra la conclusion, où sur scène ils se retrouveront tous, tous ceux qui ont participé au festival. Les jeunes sur le devant de la scène, Les petits encore devant et tout les autres là où il reste de la place, derrière, sur les côtés, dans le public.
Ils entament la chanson du groupe « La Cantera » : Libertad, la luna en mi pensamiento.
La chanson commence doucement, soudain je vois un ouvrier, le sourire jusqu’aux oreilles, courant précipitamment à l’intérieur de l’usine et en ressortant avec un but de tissu coloré.
Puis une ouvrière accroche à un ballon de baudruche un drapeau rouge qu’elle brandit.
Le bout de tissu coloré est un drapeau, le drapeau du Venezuela, l’ouvrier juché sur une chaise le tend au dessus de la scène. Il projette son ombre sur le mur blanc de l’usine. Et puis. et puis,


Il y aura cet instant de pure synchronie, de parfaite cohésion. Tout le public monde chantant, dansant, assis ou debout, peu importe, toute la scène répétant ces mots « libertad, libertad, libertad, la luna en mi pensamiento », (liberté, la lune dans mes pensées). La lumière des projecteurs se reflette au travers du drapeau vénézuelien tendu au dessus de tous, et au fond cette image de la gaviota, la mouette, volant au devant d’un coucher de soleil en forme d’étoile. L’image est surréaliste.
Personne n’a eu besoin de crier « patria socialismo o muerte, venceremos », le slogan des chavistes. Il n’y avait pas de caméra, pas de journalistes, seulement des homme et des femmes. Pa de manipulation ni de propagande, un simple évènement collectif. Ca n’a pas duré certes, mais,
Au milieu de tous ces chavistes, les critiques, les contradictions, les oppositions, la propagande, quittaient les pensées. Il n’y avait qu’une mystique commune, un sentiment d’unité si fort, celui qui fait croire qu’on peut déplacer les montagnes et qui donne envie de sourire aux autres, de serrer son voisin dans ses bras et de chanter et danser ensemble de rire et de croire que tout est réellement possible sur cette terre.
Si futile, si irréel, si enfantin et naïf mais, au moins pour moi c’était là.

L’espace d’un peu plus d’une minute, j’ai vécu un instant de socialisme. Et la seule chose que je peux désormais espérer c’est que ça ne soit pas le dernier… La musique s’arrête. Pas brutalement, la descente s’est faite en douceur avec quelques autres chansons, les gens partent progressivement.
Un petit vieux m’accoste et me parle des héros du Venezuela. Je lui confie mon ignorance crasse de l’histoire des figures historiques du pays. Il s’en va, me dit de l’attendre. Dix minutes plus tard le voila revenu chargé de bouquins, portant sur les héros du pays et de l’Amérique Latine. il me les offre.
Nus nous dirigeons vers l’infirmerie de l’usine où nous posons nos affaires et nous endormons sous l’oeil des affiches du gouvernement.
Réveil à 6h du matin. Difficile. Pas la gueule de bois (pas d’alcool) mais presque. Sueur, poussière, on est pas super propre et on ne sent pas forcément le jasmin.On cherche le gardien pour qu’il nous ouvre les portes. Celui-ci nous propose de visiter l’usine. Nous acceptons.
Effet de la veille ou de la fatigue, toujours est il que j’ai immédiatement été pris d’une envie de photographier chacun des détails de l’usine et de ses machines. la tête embrumée, tentant de cadrer et d’avoir des photos nettes, je me fais la réflexion qu’avant de venir au Venezuela, je n’avais jamais regardé une usine ni ne m’étais intéressé à son fonctionnement, son histoire, la vie des gens à l’intérieur. On est le révolutionnaire qu’on peut..




Le gardien travaille aussi et les gardes de nuit se font à tour de rôle. Il nous explique chaque phase de la production : arrivée des poissons, découpe, cuisson, préparation des condiments, pose des couvercles, expédition.
Il nous raconte aussi tout ce qu’ils ont gagné : médecine du travail, infirmerie, ticket restaurants, augmentation des salaires, diminution de la pénibilité, mais surtout, faisant écho une phrase que j’ai déjà entendu à plusieurs reprises :
« nous avons retrouvé notre dignité ».
Il est l’heure de partir, retrouver les bouchons, la ville, l’agitation et la pollution. Le « processus » et le quotidien révolutionnaires ou pas. Cet ouvrier me dira alors cette phrase, la dernière qui me reste de la Gaviota :
« Tant que nous serons là, tant qu’il y aura ne serait-ce qu’une Gaviota dans ce pays, existera la Révolution ».
Nous nous disons au revoir. On passe la porte. Et nous partons.

Epilogue :
Sur la route nous avons faim, nous payons à nouveau cher pour une petite empanada. Notre chauffeur s’arrête à cinq reprises pour charger des denrées, bananes plantin, mandarines, gateaux tradtionnels, lard séché (! !!), essence aussi. 0.10 Bolivars le litre. 2 centimes d’euros. 90 centimes pour 30 litre. On prend une bouteille d’eau de 33 cl : 7 BsF, 2 euros. Paradoxe des contradictions.

On croise en traversant Portuguesa un panneau publicitaire immense pour une bière avec dessus une nana quasiment à poil. La question féminine n’est pas encore tout à fait résolue, elle non plus.
Que restera-t-il de cette escapade à la Gaviota ?
Est-ce une autre de ces exceptions ne confirmant pas la règle comme j’en ai déjà vu d’autres en ce pays ?
Et quand bien même, est-ce qu’un pays qui peut, grâce à des changements politiques arriver à créer ce genre d’évènement, est-il vraiment foutu, pétris de contradictions, s’autodétruisant de jour en jour ?
Certains disent que toute société totalitaire est vouée à s’effondrer dès lors qu’une personne arrive à porter une voix dissidente en son sein. N’est pas l’apanage de processus révolutionnaire d’exister à partir du moment où en un lieu donné une personne y croit et la met en pratique ?
Je ne vois bien que ce que je veux voir de ce pays, j’en suis conscient, mais le peu que je ne me cache pas existe lui aussi, il serait fâcheux de l’oublier, un rêve une utopie, un processus, une révolution, une raison de vivre ?
Bien des choses que je ne sache pas. Et c’est tant mieux car c’est la seule raison qui me (et nous) permette d’espérer.
Grégoire Souchay, décembre 2009.
Source : http://escapades-bolivariennes.blogspot.com/2009/12/instants-socialistes.html
Voir aussi :
08.09.2009. « LA GAVIOTA », nouveau documentaire sous-titré en français sur la lutte des travailleurs au Venezuela.
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