Un certain 11 avril 2002, par Maurice Lemoine (Mémoire des Luttes)

On omet souvent de le rappeler, mais tout a commencé le 13 novembre 2001. Décidant de « radicaliser la révolution », le Président Hugo Chávez a signé quarante-neuf décrets-lois parmi lesquels la loi des terres (une réforme agraire), la loi de la pêche (pour protéger les pêcheurs artisanaux), celle des hydrocarbures (interdisant leur privatisation), etc… D’un large geste de l’avant-bras, les tenants d’un capitalisme pur et dur essuient la sueur de leur front. Chez les « escuálidos » [1] de La Castellana, Altamira, Palos Grandes, Las Mercedes – le Neuilly-Auteuil-Passy de Caracas –, on enrage : « Ce type est un démagogue, un populiste, un fou furieux ! » Au nom de l’organisation Fedecámaras, le patron des patrons Pedro Carmona décrète : « La meilleure façon de protester est de rester à la maison. » Leader de la Confédération des travailleurs du Venezuela (CTV), syndicat plutôt « jaune » sur les bords, Carlos Ortega lui emboîte le pas. Depuis quelques semaines, déjà, il menaçait : « Il n’y aura pas à attendre longtemps pour qu’on aille à la grève générale ! » Eh bien, voilà, c’est fait. Elle aura lieu le 10 décembre. C’est la première de ce type en quatre décennies au cours desquelles, pourtant, les droits des travailleurs ont été sacrément bafoués [2].

Le 10, comme prévu, la grève débute, appuyée par les médias. Et pas que par eux. La Très Sainte Inquisition peut compter sur un fort soutien des Etats-Unis. Pour les Américains, il y a eu les Apaches, le péril jaune, le communisme, les petits hommes verts, Salvador Allende, les sandinistes, Ben Laden. Maintenant, il y a Chávez, ce Vénézuélien férocement indépendant. Pour dire : un type qui joue au base-ball avec Fidel Castro…

Détail anodin, mais qui a son importance : le 27 mars 2001, devant le Congrès américain, le général Peter Pace, chef du Commandement sud de l’armée des Etats-Unis (le Southern Command), a estimé que dans le schéma de pouvoir global, qui inclut le contrôle du pétrole, « l’Amérique latine et la Caraïbe ont plus d’importance pour les Etats-Unis que le Proche-Orient ». De ce fait, qu’il le veuille ou non, le sort du Venezuela dépend du CCO (Caracas Country Office : l’ambassade américaine), des discussions qui se déroulent dans la salle 2247 du Rayburn House Office Building (la Chambre des représentants), de George W. Bush, locataire de la Maison-Blanche, de Langley où, au milieu d’un vaste terrain boisé, se dresse le QG de la CIA.

La belle affaire… La grève du 10 décembre échoue lamentablement. Improbable « Lech Walesa tropical », Ortega ne réussit même pas à immobiliser les transports collectifs dans les grandes villes et, pour paralyser les entreprises, doit être « aidé » par le patronat. Malgré ses appels aux travailleurs, la CTV ne représente pas grand-chose dans un pays où dominent le chômage et l’économie informelle. D’ailleurs, tout le monde sait qu’elle est l’institution la plus corrompue du Venezuela. Quant à l’opposition… Vingt leaders sans soutien populaire. Avec un seul programme : « Comment faisons-nous pour sortir le président ? »

Quelques jours après la grève, 500 000 partisans du chef de l’Etat descendent dans la rue pour commémorer le 171e anniversaire de la mort du Libertador Simón Bolivar. A bon entendeur, salut.

Hugo Chávez enregistrant son émission télévisée « Alo Presidente », deux semaines avant le coup d’Etat.

Pas d’attaque majeure, mais des tas d’escarmouches. L’opposition fait feu de tout bois. Editoriaux, matinales radiophoniques et plateaux de télévision s’enflamment. L’action psychologique est une arme de temps de paix. Depuis l’arrivée au pouvoir des Bolivariens, les principales chaînes de télévision privés – Venevisión, RCTV, Globovisión, Televen – et neuf des dix grands médias nationaux – El Universal, El Nacional, Tal Cual, El Nuevo País, El Mundo, etc. – se sont substitués aux partis traditionnels, renvoyés au néant par les victoires électorales du « comandante ». La peur du peuple envahit les consciences, la phobie des pauvres dévore la raison. Des notables de tout type, de préférence le plus mauvais, commencent à s’agiter très sérieusement.

Un univers de cadres en déplacements professionnels, d’hommes d’affaires, de financiers, de consultants… Au fil des années, PDVSA, compagnie pétrolière ayant pour seul actionnaire l’Etat, s’est précisément transformée en Etat dans cet Etat. Une quarantaine de cadres supérieurs – les « généraux du pétrole » – appliquent « leur » politique et imposent « leur » loi. Très souvent, ils ne parlent qu’anglais entre eux. Privilégiant les intérêts étrangers, ils violent les normes de l’OPEP, en augmentant la production, vendent à perte, affaiblissent l’entreprise, encouragent les compagnies étrangères à revenir dans le pays et, depuis le gouvernement de Rafael Caldera (1994-1999), largement convaincus des bienfaits de la réforme néolibérale, préparent activement une future privatisation. Il faut remettre de l’ordre dans ce foutoir très bien organisé. Chávez y désigne un nouveau président, Gastón Parra, et une équipe de direction. Prétextant une intolérable « politisation » de l’entreprise, les technocrates refusent ces nominations et appellent à la rébellion. Chauffée à blanc par les médias, la « société civile » prend fait et cause pour eux. Défilé des hommes, manifestation des femmes le 8 mars – rebaptisée « Marche Chanel 5 » par les chavistes hilares –, démonstrations tous azimuts.

« Chávez, le quartier de Galipan a besoin de toi »

Le 7 février 2002, muni d’une boule de cristal, le directeur de la CIA, George Tenet, manifeste devant une commission du Sénat américain que la situation du Venezuela « va probablement se détériorer ». Par le plus grand des hasards, le même jour, à Caracas, plusieurs officiers supérieurs demandent la démission du Président. Ainsi, sur fond de navettes incessantes entre Caracas et Washington, débute ce qu’on appellera bientôt « le goutte-à-goutte » – « el goteo ». Le 5 mars, sous les flashes et l’objectif des caméras, le « dirigeant ouvrier » Ortega signe en compagnie du patron des patrons Carmona et des partis politiques traditionnels un pacte national de gouvernabilité ayant pour objectif « la sortie démocratique et constitutionnelle » du Président. Les prélats les bénissent. Ah, les prélats ! Dieu les a créés, le Diable les réunit. Des opérations « concert de casseroles » permettent aux moyenne et grande bourgeoisies de se défouler sans danger en menant pendant des heures un charivari qui, somme toute, n’affecte que les quartiers chics de l’est de Caracas. Et surtout pas les vendeurs des rues – l’armée des « buhoneros ». De cœur et de tripes avec le Président, ceux-ci ne perdent pas le sens des affaires. « Les marches et les cacerolazos, c’est devenu un super negocio. On n’a jamais vendu autant de casseroles et de drapeaux ! »

En parlant de cadeaux : le Département d’Etat vient d’envoyer deux charmants bambins pour renforcer l’ambassade des Etats-Unis à Caracas, un peu démunie : le lieutenant-colonel James Rogers et le colonel Ronald Mc Cammon. Le 19 mars, Madame l’ambassadrice Donna Hrinak a été remplacée par un collègue, son excellence Charles S. Shapiro. L’un de ces types qui est toujours là où et quand se mijote un sale coup – conseiller politique à l’ambassade de Santiago du Chili, en… 1973 ; en poste au Salvador et au Nicaragua pendant les sales guerres des années 1980.

Le 3 avril, la « méritocratie » de PDVSA décrète arrivée l’« heure zéro ». Elle bloque des raffineries, étrangle la production de gaz, provoque un chaos artificiel et crée la pénurie.A sa place, qu’auriez-vous fait ? Le 7 avril, dans son émission télévisée « Aló Presidente », Chávez destitue en direct treize hauts cadres de la compagnie pétrolière et annonce la mise à la retraite de douze gérants. Propre et net. Il se borne à les virer, un point c’est tout. En direct, à coups de sifflets, tel un arbitre distribuant des cartons rouges sur un terrain de football.

Par solidarité avec ces « travailleurs du pétrole » malmenés, les désormais célèbres duettistes Ortega et Carmona convoquent une grève « civique » de vingt-quatre heures pour le 9 avril. Le Bloc de presse vénézuélien (BPV), qui vient d’accueillir en grandes pompes le nouvel ambassadeur Shapiro, décide d’appuyer le mouvement. Dès lors, les chaînes de télévision diffusent des heures durant et en direct depuis le siège de PDVSA-Chuao, situé dans l’est de la capitale, lieu de rassemblement des manifestations de l’opposition. Prolongée de vingt-quatre heures le soir du 9 avril, malgré un échec relatif, la grève générale devient « illimitée » le lendemain.

PDVSA-Chuao, lieu de rassemblement de l’opposition.

Le 10 avril, dans un salon grouillant de journalistes, de photographes et de caméras, Nestor González González, un général au crâne rasé, destitué en décembre 2001, dénonce la supposée ingérence de la guérilla colombienne des FARC au Venezuela, se déclare en rébellion, demande au haut commandement d’agir et exige la démission du chef de l’Etat. A la fin de la conférence de presse, il confie aux journalistes, avec une sorte de triomphe dans la voix  : « Vous allez voir ce qui va se passer dans les heures qui viennent… » Et ils voient. Jugeant la situation sérieuse, Chávez, qui devait se rendre au Costa Rica pour assister à une réunion des chefs d’Etat du Groupe de Río [3], suspend son déplacement.

L’appel à son renversement devient tellement évident que, depuis la veille, le gouvernement applique l’article 192 de la loi des télécommunications : à plus de trente reprises (pour l’ensemble des télévisions et radios), il réquisitionne l’antenne, pour des durées de quinze à vingt minutes, afin de faire entendre sa position. Les chaînes contournent la mesure, partagent l’écran en deux parties et continuent à appeler à l’insurrection.

Le matin du 10, dans un éditorial non signé, le quotidien El Nacional ordonne : « Prenons la rue ». « La bataille finale aura lieu à Miraflores », prévoit-il déjà à la « une ». « Ni un paso atrás ! » (« Pas un pas en arrière ») répondent des panneaux fixes diffusés sur Globovisión. « Tous à la marche », appuie Venevisión. « Vénézuéliens, tous dans la rue, le jeudi 11 à 10 heures du matin. Apporte ton drapeau. Pour la liberté et la démocratie. Le Venezuela ne se rend pas. Personne ne nous vaincra. »

« La bataille finale aura lieu à Miraflores » titre le journal de droite « El Nacional »
10 avril : veillée d’armes chaviste dans le « municipio » Libertador.
10 avril : manifestation de l’opposition, en… automobile, dans le quartier chic d’Altamira.

Le 11 avril se lève à Caracas sur plus de 300 000 manifestants d’opposition qui, partis de la station de métro Parque del Este, marchent dans le calme en direction du siège de PDVSA-Chao. Le soleil brille, radieux. Evoquant Chavez, on chante à n’en plus finir : « Se va ! Se va, se va, se va [4] ! » Un autre refrain, en alternance  : « Il va tomber, il va tomber ! » « Chavez, out ! We are the people ! » – en anglais, c’est plus distingué.

A Chuao, terme du parcours autorisé par les autorités, sur l’esplanade rebaptisée « Place de la méritocratie », se trouvent les dirigeants politiques et députés d’opposition. C’est à qui se fera le plus remarquer : le maire métropolitain Alfredo Peña, ceux des quartiers chics de Chacao et Baruta, Leopoldo López et Henrique Capriles Radonski, le gouverneur de l’Etat de Miranda, Enrique Mendoza. Stars de la démocratie, ils se succèdent à la tribune après avoir attendu leur tour de prendre la parole en rang d’oignons. Voici Carlos Ortega. Il éructe, le syndicaliste. Il appelle les manifestants à marcher sur le palais présidentiel de Miraflores. Il évoque une « junte de transition. » Un excès de langage ou un lapsus, très certainement. À moins que… Pedro Carmona lui aussi invite à marcher sur Miraflores « pour rendre effective la demande de démission du président ». Après quoi Ortega lui reprend le micro en hurlant et en écumant : « Chávez, le Venezuela ne veut plus de toi ! Va-t-en une bonne fois pour toutes, nous ne t’aimons pas, nous te répudions ! »

A Miraflores ! La foule exulte, la foule s’excite, la foule s’exalte. L’heure tant attendue arrive enfin.

Manifestation autorisée, de Parque del Este à Chuao.
Marche suivie par les médias en direct et en continu...

Prêtes à suivre n’importe qui, pour peu qu’il les débarrasse du « tyran », la droite, la droite de droite et l’extrême droite s’élancent vers l’ouest de la ville. Toutes les chaines privées de télévision filment et diffusent la progression sans discontinuer. Entre les mains du maire d’opposition Alfredo Peña, la Police métropolitaine ne s’oppose pas à la marche. Au contraire, elle lui ouvre le chemin et l’appuie. Les Uzi et pistolets 9 mm de certains de ces flics ne sont pas des armes réglementaires… Vice-ministre de la Sécurité, chef de la coordination de la police, le général Camacho Kaairuz fait partie de la conspiration !

Le premier à convoquer les cercles bolivariens, sur la radio et la télé d’Etat, sur le coup de 12h20, pour défendre la révolution, a été Freddy Bernal, le maire du « municipio » Libertador, le cœur populaire de Caracas. Un peu plus tard, il a lancé un message à l’opposition : « Señor Ortega, vous êtes totalement irresponsable d’inciter la foule à marcher sur le palais en sachant que des milliers de personnes s’y trouvent rassemblées. Ne cherchez pas l’affrontement. Nous ne céderons pas à la provocation. »

En ce début d’après-midi, le commandant en chef des Forces armées, le général Lucas Rincón pressent lui aussi un grand danger. La foule descendue des « barrios » est concentrée autour de Miraflores. Que les masses des chavistes et des opposants entrent en contact serait extrêmement périlleux. Rincón appelle Carmona. Le patron des patrons ne répond pas. Rincón joint des dirigeants de l’opposition. « La marche était autorisée sur un parcours déterminé, de Parque del Este à Chuao. Il y a des règles ou il n’y en a pas, dans ce pays ? Il y a des lois ou il n’y en a pas ? » Rincón appelle Ortega. Ortega décroche. Rincón plaide le bon sens : « Montez sur le toit d’une auto, sur une tribune et, s’il vous plaît, expliquez-leur que la marche s’arrête là. » Le syndicaliste s’exprime sans hésiter, comme s’il avait préparé sa réponse : « Général, vous allez passer à l’Histoire ! L’heure est venue de passer à l’Histoire : emprisonnez le Président ! »

L’opposition parvient à moins de cent mètres de Miraflores et des dizaines de milliers de chavistes, armés pour certains de bâtons et de pierres, descendus en hâte, en bus, en camion ou à pied, des quartiers populaires pour protéger de leur corps le Président. « Ni un paso atras ! » Ils ne passeront pas, scandent les Bolivariens. Là, effectivement repoussée par la Garde nationale, l’opposition reflue. Mais, aux alentours, la confusion devient totale.

Chavistes descendus en urgence des quartiers populaires pour protéger Miraflores.
Devant le Palais, la manifestation est contenue par une poignée de gardes nationaux.

Pour renforcer l’impact symbolique d’une multitude pacifique – la « société civile » ! – affrontant une dictature, il convient de pouvoir présenter des victimes innocentes dans ses rangs. Quelques-uns y ont pensé, entre autres le général Nestor González González, l’amiral Carlos Molina Tamayo et le contre-amiral Héctor Ramírez Pérez, chef d’état-major de la marine. Depuis le QG qu’ils se sont aménagés à Fort Tiuna (vaste complexe militaire et ministère de la Défense), ils coordonnent les opérations. Et envoient à la mort la chair à canon qui, au nom de la Démocratie, sera la victime du plan diabolique orchestré depuis des mois.

En fin de matinée, avant que la marche ne parvienne au centre de Caracas, le correspondant de CNN Otto Neustaldt a été invité par un de ses contacts dans l’opposition à filmer un moment « historique ». Pour ce faire, « des gens » avaient besoin d’un professionnel et de son matériel. Neustaldt a accepté. Au lieu-dit, se trouvaient Héctor Ramírez Pérez et un groupe d’officiers et d’amiraux. Ils ont confirmé qu’ils souhaitaient enregistrer une déclaration. Neustaldt a filmé. Debout, ses comparses alignés derrière lui, Ramírez Pérez a déclamé : « Nous avons décidé de nous adresser au peuple vénézuélien pour rejeter l’actuel gouvernement et l’autorité tant de Hugo Chávez que du commandement militaire. » Il s’est arrêté, il a repris : « Vénézuéliens, le président de la République a trahi la confiance de son peuple, il massacre des personnes innocentes avec des francs-tireurs. A l’heure où je vous parle, des morts et des dizaines de blessés gisent dans Caracas. »

L’enregistrement ne satisfaisant pas Ramírez Pérez, Neustaldt a effectué une deuxième prise. Parfait ? OK ! Neustaldt a conservé la première cassette et laissé la seconde aux officiers séditieux pour qu’ils la diffusent sur un média national. Puis il a pris congé. Mais quelque chose le turlupinait. Il a saisi son téléphone portable et a appelé un de ses confrères qui accompagnait la marche des opposants. « Salut, ici Neustaldt. Vous avez beaucoup de morts dans la manifestation ? » Silence interloqué. « Des morts ? Non, aucun, pourquoi [5] ? »

Opposition accompagnée plus que réprimée par la police à El Calvario.

Miraflores ressemble à un chaudron. Depuis de longues minutes, Chávez réclame le déploiement du Plan Ávila. Préventive plus que répressive, une procédure mise en œuvre par l’armée en cas d’altération de l’ordre public dépassant ou risquant de dépasser les capacités de la police et de la Garde nationale. Commandant de l’armée de terre, le général Efraín Vásquez Velasco exprime son désaccord : il ne veut pas prendre le risque de « réprimer », au risque de faire des victimes chez « des civils innocents ». Le suivant immédiat dans la ligne hiérarchique, le général Manuel Rosendo, chef du commandement unifié des forces armées (Cufan), « grand ami » du chef de l’Etat (mais travaillé au corps depuis des mois par l’opposition), ne répond même pas à la radio.

Au cœur de la capitale, la situation se dégrade réellement. Curieusement, les leaders de l’opposition ont oublié qu’un chef doit donner l’exemple. Carmona, Ortega, Mendoza, Enrique Capriles et Leopoldo López ainsi que leur cour de journalistes « envoyés très spéciaux » se sont esquivés discrètement. Au bon moment. Ont-ils été prévenus ? Ont-ils eu un pressentiment ?

Tous les spécialistes vous le diront : le bon tir, efficace, c’est une bonne arme, une bonne munition et un tireur bien entraîné. Un franc-tireur, en quelque sorte. Il y en aura plusieurs, juchés sur les terrasses ou dans les étages supérieurs d’immeubles stratégiquement situés. Sans qu’on sache vraiment d’où viennent les tirs, les quatre premières victimes tombent, dans les rangs des chavistes, entre l’avenue Baralt et le Palais fédéral législatif. Très vite, on compte une dizaine de blessés. Ensuite, ayant fait monter la température de cent degrés, les tueurs s’acharnent sur les opposants avec une mortelle précision.

La confusion devient totale, la mêlée généralisée. Ces coups de feu venus de nulle part provoquent des affrontements entre policiers, gardes nationaux et manifestants. Des passants hurlent et s’efforcent de trouver un abri. La mort rôde à chaque coin de rue. On commence à compter les victimes de… « la répression ». Des cris montent de partout : « Chávez, assassin ! »

Premières victimes de tireurs inconnus…
Garde nationale.

A quelques centaines de mètres de Miraflores, sur le pont Llaguno, les manifestants chavistes lancent leurs consignes – « Les rues sont au peuple ! » – serrés les uns contre les autres, le premier rang appuyé à la rambarde. Sous l’ouvrage, à la perpendiculaire, se trouve l’avenue Baralt, jusqu’où n’est arrivé aucun opposant. Ils se trouvent bien plus loin, à quelque trois cents mètres, après la station de métro Capitolio. Toutefois, dotés d’armes automatiques, des éléments de la Police métropolitaine s’abritent derrière deux lourds engins anti-émeutes à la silhouette et au surnom archiconnus – le Rinonceronte (rhinocéros) et la Ballena (baleine) – pour remonter l’avenue en direction du pont et des bolivariens.

Une série de détonations précède des cris, des regards stupéfaits et de nouveaux coups de feu. Depuis des édifices proches, dont l’hôtel Eden, situé à une soixantaine de mètres sur la Baralt, plusieurs francs-tireurs allument les chavistes à l’arme automatique. Depuis le centre de l’avenue, protégés par la Ballena et le Rinoceronte, qui leur ouvrent le chemin, les policiers entrent dans la danse et les arrosent également. Dans un mouvement de panique, la foule se met à l’abri, à chaque extrémité du pont. Tandis qu’on cherche à repérer les agresseurs, cinq bolivariens sortent une arme de poing, se plaquent au sol et échangent un tir nourri avec les « snipers » et les policiers [6].

À partir de là, la « mère de toutes les manipulations » s’articule autour de plusieurs actions simultanées. A la verticale, à des dizaines de mètres au-dessus de la scène, depuis la terrasse de l’immeuble Invegas, une équipe de Venevisión a filmé la fusillade. Une performance de tout premier ordre. Que fait-elle là, cette caméra ? On découvrira plus tard que la chaîne a retenu la terrasse le 9 avril, deux jours auparavant (le reçu de location en fait foi). Nul n’était censé savoir à ce moment que la marche de l’opposition, détournée vers Miraflores le 11 à midi, spontanément, sans préméditation, dans l’émotion du moment, se trouverait là où à proximité. Ni donc qu’il y aurait quoi que ce soit à filmer.

Lorsque, très rapidement, la chaîne diffuse les images, on ne voit que les cinq « pistoleros » bolivariens. Pas leur cible, ni le gros de la foule des chavistes, qui se protège de chaque côté du pont, dans l’ombre des immeubles mitoyens. « Regardez, assène le commentateur, ils n’ont fait aucune distinction entre ceux qui manifestaient et ceux qui sortaient de leur travail, ils ont tiré sur des personnes innocentes en se protégeant derrière les murs… Et regardez, ils vidaient leurs chargeurs, rechargeaient leurs pistolets automatiques, les déchargeaient à nouveau contre des centaines de manifestants sans défense. » Jamais la marche de l’opposition ne s’est approchée à moins de 300 mètres de cet endroit !

« La mère de toutes les manipulations » : ils ne tirent pas sur l’opposition, qui se trouve à plusieurs centaines de mètres de là, mais se protègent ou ripostent, dans un acte d’autodéfense, des tirs de « snipers » et de policiers putschistes.

Dix fois, cent fois, assorties du même commentaire mensonger, on revoit ces images à vitesse normale et au ralenti. La nouvelle court de bouche en bouche. Les « Talibans » ont tiré. « Chávez, assassin ! » Dans toute la ville, on a ramassé 17 morts et plus de 200 blessés. Le but recherché est atteint. A 18 heures, « bouleversé par le nombre des victimes », le général Efraín Vásquez Velasco annonce que l’Armée de terre n’obéira plus au Président. La quasi-totalité du commandement de la Garde nationale vient d’en faire autant.

Retranché dans le palais présidentiel, en tenue camouflée, béret rouge sur la tête et pistolet au côté, Chávez tente de reprendre la situation en main par la dissuasion. Noyautée par les comploteurs, la chaîne de commandement de l’armée ne réagit pas. Fatigué, mais s’exprimant avec calme et précision, le Président insiste à plusieurs reprises, s’adressant à ses officiers et aux membres de sa Garde d’honneur armés de FAL 762 et de mitraillettes Uzi, prêts à mourir pour lui : « Je ne veux pas un coup de feu. » Chávez se prépare à s’adresser à ses compatriotes en « cadena » – un discours retransmis obligatoirement par toutes les chaînes de télévision et radios du pays. A l’heure dite, 15 h 45, les choses ne se passent pas comme prévu : les chaînes privées sabotent le son, divisent l’écran en deux. Au fur et à mesure que Chávez parle, les scènes de violence, les images des morts, des blessés, des gens désespérés courant dans tous les sens y volent la vedette au chef de l’Etat.

Des affrontements extrêmement violents.

A partir de la fin de la « cadena », un enchaînement vertigineux de conférences de presse de militaires et de civils demande la démission du Président. Reprise en boucle sur toutes les chaînes, la première intervention a eu pour protagoniste le contre-amiral Héctor Ramírez Pérez et sa harangue (enregistrée le matin par Neustaldt). Chez les militaires, réunis au cinquième étage de Fort Tiuna, une certaine confusion règne. Des mots claquent et reviennent en boucle dans les conversations : « morts », « blessés », « répression ». « On ne peut pas tolérer l’assassinat de civils sans défense ! », s’emporte le général Vásquez Velasco. Certains émettent des doutes. On les pousse devant les écrans de télé allumés partout. « Regarde ! » Ils regardent et ils voient. Les faits sont là, irréfutables, en direct et en continu. Ils se rallient, implicitement ou explicitement. Certains par conviction : le Président a dérapé. D’autres pour ne pas risquer de contrarier leur avancement.

Dans un ronronnement de caméras et une indécente bousculade de photographes de presse, Vásquez Velasco, « bouleversé par le nombre des victimes », fait définitivement basculer la journée en annonçant, en compagnie d’un quarteron d’officiers supérieurs, ne plus reconnaître « ni l’actuel gouvernement ni l’autorité de Hugo Chávez et du haut commandement militaire, qui ont violé les valeurs, les principes et les garanties démocratiques, et ignoré les droits de l’homme des Vénézuéliens. »

Sans doute passés pour boire le thé, le lieutenant-colonel James Rodgers, chef de la cellule antiterroriste de l’ambassade américaine, et le lieutenant-colonel Mac Cammon, attaché militaire, vont et viennent au milieu des officiers.

Chávez ne dispose plus d’aucun moyen de communication. Contrainte et forcée, la chaîne d’Etat Venezolana de Televisión (VTV) a cessé d’émettre, tout comme la radio nationale. Les membres du gouvernement déambulent dans les couloirs de Miraflores. Députés chavistes et fidèles, parfois armés, attendent, la mine sombre, prêts à se sacrifier sur place, les poings serrés. L’incessant va-et-vient rappelle le matin de résistance offert par les fidèles de Salvador Allende, le 11 septembre 1973, dans la Moneda.

Pendant ce temps, les comploteurs, parmi lesquels Pedro Carmona et Carlos Ortega, ont pris leurs quartiers dans les locaux de… Venevisión. Plein de gens de la bonne société s’y coudoient et se bousculent, une bouteille de whisky à portée de main. Au hasard : Rafael Poleo (propriétaire d’El Nuevo País) ou Gustavo Cisneros, multimillionnaire d’origine cubaine, propriétaire de Venevisión et d’un empire médiatique de taille mondiale, Organización Diego Cisneros (70 entreprises dans 39 pays). Cineros entretient de forts liens d’amitié avec George Bush (père). Ils jouent au golf ensemble. En février 2001, l’ancien président des Etats-Unis a passé une semaine de vacances dans la propriété du magnat. Cette nuit-là, Cisneros parle deux ou trois fois avec le Secrétaire d’Etat aux affaires interaméricaines, Otto Reich, un « néocon » furibond.

Les négociations des officiers putschistes avec Chávez ont commencé à 20 heures. Ils lui ont fait parvenir une lettre de démission à signer. Pris dans les griffes d’un dilemme, Chávez se débat. Après quelques communications, il sait que que les généraux Raúl Baduel, à Maracay, Luis Felipe Acosta, dans le centre, ainsi que les amiraux Orlando Maniglia et Fernando Camejo Arenas l’appuient. Que même à Fort Tiuna, il dispose d’alliés de poids : les généraux Jorge García Carneiro et Julio García Montoya, des durs à cuire au parler carré. Mais l’actuel rapport de forces ne joue pas en leur faveur. S’il y a affrontements, ce ne sera pas seulement entre militaires. Les civils se jetteront dans la mêlée.

« On a eu une arme capitale : les médias. Et puisque l’occasion se présente, je tiens à vous en féliciter. » Il n’est pas encore minuit quand le vice-amiral Victor Ramírez Pérez congratule, en direct, la journaliste Ibéyise Pacheco sur les écrans Venevisíon. Vingt minutes auparavant, en entamant son entretien avec la brochette d’officiers putschistes qui lui font face, celle-ci n’a pu s’empêcher de lâcher, avec des airs de conspiratrice comblée, qu’elle entretient depuis longtemps des liens privilégiés avec eux. A peu près à la même heure, interrogée en direct depuis Madrid, une autre journaliste vedette, Patricia Poleo, étrangement bien informée sur le futur déroulement d’« événements spontanés », annonce à la chaîne de télévision espagnole TVE : « Je crois que le prochain président sera Pedro Carmona [7]. » Au même moment, retranché dans le palais présidentiel, Chávez, se refuse toujours à démissionner.

Les « golpistas » posent un ultimatum. Ils menacent de bombarder Miraflores et les centaines de chavistes qui y entourent le président, s’il ne se rend pas. Moment d’extrême tension. Entre un massacre et le don de sa vie, le choix de Chávez est fait. D’autant qu’il a en tête ce que lui a dit au téléphone une voix qu’il respecte entre toutes, celle de Fidel Castro. « Notre cause n’a pas besoin d’un martyr de plus. Ce qu’il nous faut, c’est des chefs. A quoi bon un chef mort ? » La démission ? Surtout pas ! « Si l’autorité se montre défaillante et s’en va, les “golpistas” auront beau jeu de se substituer à toi et de faire croire à la pseudo-légalité de leur mouvement. S’ils t’arrêtent, ils entrent dans l’illégalité la plus complète. Ils deviennent des généraux félons. Sauve tes gens et sauve-toi, fais ce que tu dois faire, négocie avec dignité, ne va pas t’immoler. Rends-toi. Laisse-toi prendre, “muchacho”. » Et après ? « Leur affaire ne peut pas durer très longtemps. Tu as l’appui du peuple, tu reviendras. On n’a jamais vu dans l’histoire un président avec un tel appui populaire qui ne revienne pas. »

A 4 heures du matin, le 12 avril, Chávez se rend. Tandis qu’on l’emmène, les ministre qui l’accompagnent entonnent l’hymne national, « Gloria al bravo pueblo ». On emprisonne le chef d’Etat à Fort Tiuna. Installé au cinquième étage du Commandement général, Héctor Ramírez Pérez jubile, en grande tenue et gants blancs  : « La situation a changé, je la contrôle, cela fait six mois que je prépare ce coup d’Etat. » Protégé par un garde du corps armé comme un porte-avions, un civil se trouve également là, installé dans un bureau : le patron des patrons Pedro Carmona.

De nombreux opposants et journalistes, aujourd’hui encore, affirment que Chávez, cette nuit-là, a démissionné. Ils se trompent, mentent à des fins de propagande ou refusent simplement d’accepter la vérité. Néanmoins, même le plus inconditionnel des chavistes ne peut nier que le 12 avril, à 3 h 20 du matin, le général Rincón, commandant en chef des Forces armées, un fidèle du chef de l’Etat, a lu un communiqué extrêmement concis que tout le monde – car personne n’a dormi cette nuit-là – a pu voir et entendre sur son poste de télévision : « Les membres du haut commandement militaire des Forces armées de la République bolivarienne du Venezuela déplorent les lamentables événements survenus hier dans la capitale. Devant de tels faits, il a été demandé sa démission au Président de la République. Il a accepté. » Toutes les vingt minutes, ce message a occupé l’ensemble des écrans durant les trente-six heures suivantes. Que s’est-il réellement passé ?

Les officiers putschistes continuaient à harceler Chávez. La situation empirait. Il n’avait plus aucun contrôle sur la situation. Il fallait faire quelque chose, mais quoi ? Démissionner, se rendre, résister ? C’est alors qu’il a effectivement envisagé la première solution et qu’il a, dans cette perspective, posé quatre conditions aux putschistes : que soit assurée la sécurité physique des hommes, des femmes, du peuple et de son gouvernement ; que la Constitution soit respectée au pied de la lettre, c’est-à-dire que la démission ait lieu devant l’Assemblée nationale et que le vice-président de la République [Diosdado Cabello] assume le pouvoir jusqu’à de nouvelles élections ; qu’on le laisse parler au pays en direct à la radio et à la télévision ; que tous les fonctionnaires de son gouvernement l’accompagnent, ainsi que sa garde personnelle. Et, a-t-il ajouté, « si je décide de partir, je veux que ce soit pour Cuba ». La réponse est tombée : « Perfecto, accepté. »

C’est alors que, isolé à Fort Tiuna au milieu d’un environnement hostile de « golpistas », le général Rincón, dont le téléphone portable venait de rendre l’âme et qui n’avait plus de radio, rédigea son texte et, comme il l’expliquera ultérieurement, le lit devant les caméras « pour éviter l’affrontement ». Une fois terminé, il s’en alla sans un mot.

Dans le quart d’heure qui suivit, revenant sur leur parole, les putschistes firent savoir à Chávez qu’ils n’acceptaient aucune de ses conditions. Avant de lui envoyer le fameux ultimatum : « Ou vous vous rendez ou nous bombardons le palais ! » Chávez parla avec « Fidel » et décida de se rendre. Jusqu’à son sauvetage, dans la nuit du 13 au 14 avril, et malgré les pressions, il n’accepta de signer aucune lettre de démission.

« C’est fini » – « Chávez se rend » (« Les graves événements d’hier ont précipité la fin du chavisme »), jubile la presse de droite.
« Chávez est tombé »

Dès 6 h 45 du matin, ce 12 avril, recevant l’amiral Molina Tamayo et Victor Manuel García, directeur de l’institut de sondage Ceca, l’animateur Napoleón Bravo se vante d’avoir prêté sa maison personnelle pour enregistrer, quelques jours auparavant, l’appel à la rébellion du général González González. De son côté, García évoque son rôle à Fort Tiuna : « A un moment, les communications nous manquaient et je dois remercier les médias pour leur solidarité, toute la coopération qu’ils nous ont apportée pour obtenir ces communications avec l’extérieur et donner les directives que m’indiquait le général González González. »
Dès qu’il a pris l’antenne, Napoleón Bravo a agité une feuille, dont personne n’a pu voir le contenu, devant les caméras. « Vous vous demandez… À quoi ressemble la démission de Chávez ? D’abord à une lettre. Je vais vous lire la lettre qu’il a signée. “En me basant sur l’article 233 de la Constitution de la République, je présente devant le pays ma démission irrévocable à la charge de Président de la république, que j’ai occupée jusqu’à aujourd’hui, 12 avril 2002. Fait à Caracas le 11 avril 2002, 191e année de l’Indépendance et 142e de la Fédération. Hugo Rafael Chávez Frias”. » En permanence, dans la partie basse de l’écran, les lettres scintillantes d’un bandeau annoncent : « Chávez a démissionné ; la Démocratie est revenue. »

Pas d’imprudences : il faut à tout prix éviter qu’on parle de coup d’Etat ! Dès huit heures, sous un soleil déjà chaud, les ambassadeurs américains Schapiro et espagnol Manuel Viturro de la Torre se présentent à Miraflores pour une première visite de courtoisie au « président Carmona ». Après un bref topo de la situation, Schapiro se permet quelques conseils, qui sont aussi des ordres, sur un ton familier : « Convoquez des élections dans un délai d’un an au maximum, pour qu’on vous fiche la paix avec la Charte démocratique de l’OEA. »
De ce côté-là, pas de problème. Secrétaire général de l’Organisation des Etats américains, l’ex-président colombien César Gaviria, un « grand ami », a considéré comme acquise la démission de Chávez. Il a convoqué pour aujourd’hui à 9 heures 30 une réunion informelle des membres du Conseil permanent. Et il a très sérieusement discuté du cas Jorge Valero. Que faire avec le représentant du Venezuela ? Catégoriquement, Gaviria a demandé à ce qu’il ne soit pas invité car « il ne représente plus le gouvernement ». On peut difficilement faire mieux, non ?
« Un pas en avant », titre triomphalement El Universal. Le journaliste Rafael Poleo, qui a consigné le compte-rendu de la première réunion de l’état-major « golpista », se charge (avec d’autres) de rédiger l’acte fondateur du nouveau gouvernement – dans l’après-midi, sa fille Patricia Poleo se verra offrir la direction du Bureau central de l’information par le « président » Carmona. Celui-ci, en effet, s’empare de la magistrature suprême. Contresigné par le patronat, l’Eglise et les représentants d’une pseudo-« société civile », le décret qui dissout l’Assemblée nationale, tous les corps constitués, destitue les gouverneurs et les maires issus des urnes, l’est également par Miguel Angel Martínez, au nom des médias. Il est lu par Daniel Romero, secrétaire privé de l’ancien président social-démocrate Carlos Andrés Pérez et… salarié du groupe Cisneros. Désormais doté de tous les pouvoirs, Carmona peut entendre le porte-parole de la Maison Blanche, Ari Fleisher, féliciter l’armée et la police vénézuéliennes « pour avoir refusé de tirer contre les manifestants pacifiques  » et conclure, sans autre forme de procès : « Des sympathisants de Chávez ont tiré contre ces gens, et cela a rapidement conduit à une situation qui l’a amené à démissionner.  »

Pendant ce temps, dans ce pays qui, depuis trois ans, n’avait pas déploré un assassinat, une disparition, un emprisonnement politiques, la répression s’abattait sur des ministres (Ramón Rodríguez Chacín, Tarek William Saab), des députés, des militants ; des dizaines de locaux et d’habitations étaient perquisitionnés, cent vingt « chavistes » connaissaient les affres de la prison. Sous le prétexte que le vice-président Diosdado Cabello et les députés Cilia Flores et Nicolás Maduro s’y seraient réfugiés – « On les a vus arriver en voiture ! » –, une horde fascisante entreprenait le siège de l’ambassade de Cuba. « Ils ne vont plus rien recevoir pour manger, on va leur couper l’électricité et l’eau. Ils vont devoir manger les tables ! Ils vont bouffer leurs rideaux ! » A la tête de cette horde imbécile, deux individus dont on n’avait pas fini d’entendre parler : Henrique Capriles et Leopoldo López.

Chávez a été emmené et emprisonné à Turiamo, sur l’île lointaine d’Orchila. Certes, dans un premier temps, le 12 avril, les quartiers populaires ont accusé le coup. « Coño, ils ont renversé Chavez ! Qu’est-ce qu’on va faire, maintenant ? » Tandis que, alimentées par les médias, circulaient les rumeurs les plus folles sur le sort du Président, une atmosphère glauque, faite d’incertitude et de tension, a régné. « On a commencé à communiquer avec tout un tas de réseau et à donner des instructions parce que les gens étaient choqués, témoignera un peu plus tard Freddy Bernal, passé pendant le « golpe » à la clandestinité. Ils ne comprenaient pas ce qui se passait. » Refusant de céder à la panique, décidé à ne pas se laisser submerger par le pessimisme, le peuple redresse la tête. Nourri de frustrations, son orgueil est immense. La première réaction a été viscérale : incontrôlables, incontrôlées, des hordes ont mis la ville à sac, pillant et incendiant les magasins. Surtout les commerces qui avaient participé à la grève. Partout, des gens s’égosillaient : « Vive le comandante Chávez ! » Gaz lacrymogènes, fusillades, la répression s’est abattue : on dénombrera bientôt 84 morts et 300 blessés. Puis la résistance s’est organisée.

Sous le signe de Simón Bolivar, mobilisation populaire générale conre le coup d’État.

Les téléphones portables se transforment en radio populaire. Les consignes circulent, des « motorizados » (motards) assurent la coordination. Les chavistes, avec beaucoup de cœur, défendent leur Président. Et leur révolution. Ce 13 avril, par centaines de milliers, surgis des «  barrios » de Gramovén, de la Silsa, d’El Amparo, de Catia, de Petare, de Vargas, de Guarenas, de Guatire, de 23 de Enero, de partout, coiffés de bérets rouges, à pas lents ou en camions, comme des soldats avançant vers la forteresse ennemie, les électeurs de Chávez occupent les rues et les places de Caracas – et de tout le pays. De l’ordre d’un million de personnes à Caracas. Un déferlement…
En fin de matinée, la Garde d’honneur réinvestit Miraflores et aide quelques ministres à réoccuper le bureau présidentiel. Coup de théâtre ! Depuis le lieu où on le tient prisonnier et grâce au courage d’un petit soldat, Chávez a réussi à faire sortir un message écrit de sa main : « Au peuple vénézuélien et à toute personne concernée. Moi, Hugo Chávez, président de la République bolivarienne du Venezuela, JE DÉCLARE : je n’ai pas renoncé au pouvoir légitime que le peuple m’a confié. Pour toujours, Hugo Chávez, fait à Turiamo, le 13 avril. »

Réunis à Miraflores pour célébrer la victoire, échangeant des civilités, exultant devant les cocktails dans une hystérie de narcissisme social, bouffis d’orgueil et d’ambition, endimanchés, le gratin du « golpisme », les militaires factieux, les nouveaux ministres, les futurs élus, les curés indignes n’y ont dans un premier temps vu que du feu. Mais ce feu, le feu de l’enfer, les rattrape. Voilà Miraflores peu à peu encerclé par la multitude. En panique, dans un jaillissement de vomissures et de diarrhées, les « beautiful people », évacuent les lieux par une sortie située à l’arrière du palais, en courant comme des dératés.

Suivant l’exemple du général Raúl Baduel, chef de la 42e Brigade de parachutistes de Maracay, des commandants fidèles à la Constitution reprennent le contrôle de toutes les garnisons. Divisé, sans perspective claire, craignant une réaction incontrôlable de la population et des affrontements entre militaires, le haut commandement perd pied. Peu à peu, les commandants et lieutenants-colonels se sont rendus compte qu’on les avait trompés.
Ce n’est toutefois qu’à travers CNN en espagnol – reçue par les seuls abonnés au câble –, les sites internet du quotidien madrilène El País et de la BBC de Londres, que les Vénézuéliens reçoivent des informations. Vers 14 heures, annonçant la révolte de la 42e brigade de parachutistes de Maracay, CNN s’étonne : « Les médias locaux ne disent rien. »
Effectivement, les « beautiful people », ceux qui, hier, se réclamaient de la liberté d’expression, imposent une féroce censure. Films d’action, recettes de cuisine, telenovelas, dessins animés et match de base-ball des grandes ligues américaines occupent le petit écran, (seulement entrecoupés par la retransmission de la séquence dans laquelle le général Rincón a annoncé la « démission » de Chávez).
Il faudra attendre 20 heures et la reprise des transmissions de la chaîne d’Etat VTV – remise en service par des militants des médias communautaires aidés par des militaires de la Garde présidentielle – pour que s’effondre le mur du silence et que les Vénézuéliens l’apprennent : la situation est en train de basculer. Sorti de sa clandestinité dans le quartier populaire de Catia, rentré à Miraflores, le vice-président Diosdado Cabello assume le pouvoir jusqu’au retour du chef de l’Etat. Quatre hélicoptères Superpuma et un commando d’élite volent dans la nuit vers La Orchila…
A 4 heures du matin, le président légitime de la République bolivarienne du Venezuela est rendu « al pueblo ».

A Miraflores, tout le monde s’est dirigé vers le Salon Ayacucho. Chávez apparaît. Il s’est lavé le visage et a changé de vêtements. En tenue sport, col roulé vert et blouson bleu marine, il se dirige vers la table d’où il va officier. Quelqu’un tape dans ses mains. « Nous vous demandons le plus parfait silence, car le Président va parler sans micro. » Chávez fait pivoter sa chaise et s’adresse à ses ministres, décontenancé : « Ils ont tout piqué ? Même les micros ? » Eclat de rire général. Question silence, c’est réussi. Une première voix s’élève, puis toutes à l’unisson, sur l’air de « se va, se va, se va, se va ! »
« Volvio, volvio, volvio, volvio ! »

« Il est revenu, il est revenu, il est revenu ! »
Le silence peu à peu revient. Le visage marqué par la fatigue, mais l’œil noir à peine moins pétillant que d’habitude, Chávez commence son discours en élevant la voix : « A Dieu ce qui est à Dieu, à César ce qui est à César, au peuple ce qui est au peuple… »
Il est 4h40 du matin. L’alliance d’une fantastique mobilisation populaire et de militaires loyaux vient de réussir un tour de force sans précédent en Amérique latine : un contrecoup d’Etat immédiat, rapide, décidé, victorieux. Et un nouveau slogan est né : « Tout 11 a son 13 ! »



Texte et photos : Maurice Lemoine

Illustration d’ouverture : 11 avril 2002 : chavistes et gardes nationaux protégeant le palais présidentiel de Miraflores.


[1] Gringalets ; surnom dont Chávez a affublé ses opposants.

[2] Sur les origines du chavisme, lire : https://www.medelu.org/Pour-l-instant

[3] Alors le principal Forum politique de l’Amérique latine et des Caraïbes.

[4] « Il s’en va, il s’en va ! »

[5] Neustaldt a raconté cet épisode le 16 juillet 2002, lors d’une conférence donnée à l’Université d’Aragua, sans savoir qu’il était enregistré. Après que l’enregistrement ait été rendu public, menacé, soumis à des pressions, Neustaldt se rétractera le 17 septembre, présentera ses excuses et qualifiera ses allégations d’« erreur humaine ».

[6] Précision (pas forcément superflue vu le « négationnisme » dont fait preuve, aujourd’hui encore, l’opposition vénézuélienne à propos de cet épisode) : il ne s’agit pas ici d’un récit de seconde main ; l’auteur de cet article se trouvait sur place à ce moment (voir photos).

[7] Repris de Maurice Lemoine, « Dans les laboratoires du mensonge au Venezuela », Le Monde diplomatique, Paris, août 2002.

Source : https://www.medelu.org/Un-certain-11-avril-2002

« Pour l’instant ». Naissance du chavisme, par Maurice Lemoine

jeudi 3 février 2022   |   Maurice Lemoine

Sabaneta del Orinoco : trois rues dépourvues de bitume, quelques habitations couvertes de palmes sur les rives d’un rio. C’est là que, dans une maison au sol de terre battue, Hugo Rafael Chávez Frías voit le jour le 28 juillet 1954. On se trouve au pied des ultimes collines des Andes, aux portes des vastes plaines du basin de l’Orénoque – les llanos. Humbles instituteurs, les parents de Hugo descendent d’Indiens et d’Espagnols, sûrement même de Noirs. En quelque sorte, Hugo est un zambo [1].

Hugo a 4 ans lorsque, chassé par une insurrection, le dictateur Marcos Pérez Jiménez se retire à Miami, lesté de 300 millions de dollars, à peine de quoi couvrir ses faux frais. Douze mois plus tôt, le secrétaire d’Etat américain Foster Dulles l’avait félicité : il dirigeait le gouvernement latino-américain le plus proche de celui des Etats-Unis.

Chavez a 5 ans quand Fidel Castro fait fondre La Havane et que Cuba change de mains. Séduits par l’exemple castriste, la gauche étudiante, le Parti communiste et de nombreux intellectuels vénézuéliens rêvent d’un autre pays. Ils envoient un message : que Fidel vienne pour motiver le peuple. Et Fidel vient ! Invité par le tout nouveau président Romulo Betancourt, il prononce un premier discours mémorable à Caracas, depuis la passerelle de son avion. Il parcourt les rues de la ville au milieu d’un enthousiasme délirant, mieux accueilli que Richard Nixon, convié à quelque temps de là. Nixon, la foule le hue, chahute sa voiture, le conspue. Fort imprudemment d’ailleurs. Vingt minutes après le début de l’ « outrage », la flotte américaine sort de Porto Rico. Dans un sillage d’écume, elle se dirige vers le Venezuela. Par chance, elle fait vite demi tour, on en restera là. Pour l’instant…

Très jeune, on dit que Hugo a la malice indigène. Il a 17 ans en tout cas quand, en 1971, il intègre l’Académie militaire. Ses quatre années d’études secondaires lui permettent d’accéder immédiatement au grade de sous-lieutenant. Les guérillas des années 1960 en partie disparues, l’institution militaire a été réformée. Elle tisse des liens avec l’université. Chávez découvre les sciences sociales, analyse le capitalisme, le communisme, le fascisme, la démocratie. Dans les couloirs et les salles de classe traînent des universitaires gauchisants. On peut même parfois y croiser d’anciens guérilleros.
Le 11 septembre 1973, Salvador Allende meurt au Chili. Le jeune Chávez n’apprécie pas du tout. Il établit une claire ligne de partage entre les militaires modernistes et les « gorilles » de la tendance Augusto Pinochet.


Le 8 juillet 1974, soixante-six jeunes sous-lieutenants de la promotion Simón Bolivar prêtent serment devant le drapeau national, dans la Cour d’honneur de l’Académie militaire et, pour la première fois au Venezuela, reçoivent le titre universitaire de licenciés en Sciences et arts militaires (mention « terrestre »). Chávez reçoit son sabre des mains du président social-démocrate Carlos Andrés Pérez – surnommé « CAP ». Cette même année, Chávez voyage au Pérou avec une délégation d’une douzaine des sous-lieutenants officiellement invités à assister à la commémoration du cent-cinquantième de la Bataille d’Ayacucho [2]. Il entre là en contact avec d’autres réalités et d’autres perspectives militaires. Les cadets péruviens qu’il rencontre défendent avec une grande passion le gouvernement progressiste et anti-impérialiste du général Juan Velasco Alvarado. Du général-président, qu’il rencontre, Chávez reçoit un petit livre à la couverture bleue intitulé La Révolution nationale péruvienne. Cette fois, Chávez apprécie.

Devenu instructeur, Chávez entreprend un doctorat de Sciences politiques – retour à l’université. Le voilà à nouveau plongé dans les matières scientifiques, les mathématiques, la sociologie, les systèmes politiques, les relations internationales, les problèmes du pays. Tous ceux qui l’approchent se laissent subjuguer par le personnage. Il a plutôt tendance à mettre les pieds dans le plat. Il déteste les sociétés bloquées, les privilèges vétustes, les avantages acquis. En ce sens, en ce temps, le Venezuela le révulse. Ou plutôt : ceux qui le dominent et le gouvernent. Depuis 1958 et la chute de Pérez Jiménez, deux partis se relaient au pouvoir, Action démocratique (AD), plus ou moins social démocrate, et le Comité d’organisation politique électorale indépendante (COPEI), plutôt démocrate-chrétien et un peu plus à droite qu’AD.
Chouchouté par le créateur, reposant sur une mer d’hydrocarbures, qui en fait le cinquième producteur mondial de pétrole, le Venezuela est le pays des entreprises en faillite et des entrepreneurs prospères. En 1973, les prix de l’or noir ont été multipliés par trois, portant la valeur du baril de deux dollars à trente-cinq dollars en quelques années. Pourtant, les seules choses qui fonctionnent sont les élections de Miss, le baseball et, fantastique instrument de privatisation des ressources publiques, la corruption. Les inégalités sociales atteignent des niveaux alarmants. Mais, bon, tout ne va pas si mal, n’exagérons pas : le week-end, la classe moyenne va faire ses emplettes à Miami.

Chávez grogne contre la vieille habitude, perverse, de diviser la société en militaires et en civils, comme s’il s’agissait de deux mondes totalement étrangers. D’ailleurs, il affirme un dédain grandissant contre ce qu’il considère comme une hiérarchie militaire totalement corrompue. Il suggère que si les rêves d’unité de Simón Bolivar, le libertador de l’Amérique du sud, au début du XIXe siècle, s’étaient jadis réalisés, les nations latino-américaines ne seraient pas soumises au joug des Etats-Unis.
En 1977, Chávez prend le mors aux dents, embrigade trois sergents, deux soldats, et crée l’Armée de libération du peuple du Venezuela – l’ELPV, rebaptisée Echo Lima Papa Victor, histoire de ne pas se faire repérer. Son frère Adán, qui milite au sein d’une organisation d’extrême gauche, le Parti de la révolution vénézuélienne (PRV), l’informe que son groupe cherche des militaires pour fomenter une rébellion et le met en contact avec l’ex-guérillero Douglas Bravo – ex-chef incontesté des Forces armées de libération nationale (FALN), qui a déposé les armes au début des années 1970. Chávez forme alors l’éphémère Comité des militaires bolivariens, patriotiques et révolutionnaires (CMBPR).

Lieutenant, Chávez a commencé à donner des cours sur l’histoire militaire du Venezuela, et il est tout ce qu’on veut sauf ennuyeux et pontifiant. Nationalisme, amour de la patrie, il va très vite exercer une grande influence sur les capitaines, lieutenants, sous-lieutenants. Lorsqu’il défile ou court à la tête de ses hommes, il leur fait chanter : « Le ciel couvert annonce la tempête / oligarques tremblez / vive la liberté ! » Dire que le couplet enthousiasme ses supérieurs serait exagéré. On le surveille de près. En revanche, il s’est fait un ami : Douglas Bravo, l’ancien guérillero. Raison de plus pour le surveiller.
Le 17 décembre 1983, sous le samán de Güere, l’arbre auprès duquel Bolivar avait coutume de méditer, le capitaine Chávez et deux de ses compagnons, Jesús Urdaneta et Felipe Acosta, font un serment inspiré de celui prononcé par le Libertador, à Rome, en 1805, au sommet du mont Sacré : « Je jure devant vous, je jure par le Dieu de mes pères, que je ne laisserai aucun repos à mon bras ni répit à mon âme jusqu’à voir rompues les chaînes qui nous oppriment. » Ainsi naît le Mouvement bolivarien révolutionnaire 200 – MBR-200 (200 en l’honneur du bicentenaire de la naissance de Bolivar). D’autres militaires rejoignent le mouvement, dont Francisco Arias Cardenas, qui en deviendra l’une des figures de proue. Commence la conspiration qu’ils mèneront jusqu’au bout contre l’ordre établi, n’hésitant pas à tout risquer pour donner vie à leurs idées.

Parce que oui, c’est vrai ! Le 4 février 1992, à 37 ans, béret rouge sur la tête, le cheveu et l’œil noirs, le sourire facile, animé par une formidable détermination, le lieutenant-colonel de parachutistes Hugo Chávez s’est soulevé contre le président Carlos Andrés Pérez.

Réélu le 4 décembre 1988, de retour au palais présidentiel de Miraflores, « CAP » s’est offert un couronnement pharaonique avant de s’entourer d’un bataillon de jeunes économistes formés aux Etats-Unis. En se référant aux « Chicago Boys », on les appelle « IESA Boys » – d’Institut d’études supérieures d’administration. « Maintenant, on peut travailler avec lui », disent les Yankees, qui n’avaient pas spécialement apprécie le côté « social démocrate de « CAP » lors de son premier mandat [3].
A peine intronisé et toutes affaires cessantes, « CAF » a couru assister aux épousailles du siècle. Son grand ami, le magnat des médias Gustavo Cisneros, mariait son fils avec la fille du président de la Banque centrale. Sur fond de musique hollywoodienne, caviars, langoustes, saumon fumé, arrosés de champagne, régalent les cinq mille invités. Le peuple n’a ni farine, ni sucre, ni café, ni huile, ni riz. Il survit dans des bidonvilles que hantent des femmes sans espoir, des grands-mères de trente ans, des garçons en colère, parfois porteurs de revolvers ou de couteaux. Dans les rues bondées et exubérantes, errent des sortes de vagabonds maigres à faire peur, pieds nus, vêtements déchirés. Les écoles, quand il y en a, disposent de toilettes dignes de celles d’une prison. C’est juste pour dire… On pourrait développer. D’ailleurs, Chávez ne s’en prive pas. Gouvernement après gouvernement, les exclus vivent le cauchemar d’une interminable crise économique et sociale. La manne du pétrole n’est jamais arrivée jusqu’à eux. Et ils représentent 70 % de la population.

Ce foutoir très peu démocratique explose une première fois le 27 février 1989. Dans les années de vaches grasses du choc pétrolier, à partir de 1973, et alors que l’argent rentrait à flot – 16 milliards de dollars chaque année –, le pays s’est endetté au-delà du raisonnable. Les prix de l’or noir viennent de s’effondrer. Il se vend au tarif de l’eau. La dette atteint 35 milliards de dollars, les réserves internationales touchent le fond. Pour « sauver le pays », le Fonds monétaire international (FMI) impose un ajustement structurel. Carlos Andrés Pérez et ses « IESA Boys » obtempèrent, le petit doigt sur la couture du pantalon. Pour les plus pauvres, un assassinat. Hausses de prix et de tarifs, le coût des transports publics double du jour au lendemain. Petits ou gros, les commerçants ont gonflé leurs stocks au cours des mois précédents, en attendant la hausse des prix. Dans les magasins, les produits de première nécessité ont disparu. Confusion, nervosité au début. Anxiété lentement remplacée par de la fureur. Ceux des soutes se révoltent contre « ceux d’en haut ».
Tout débute à Guarenas, dans l’Etat de Miranda. Une manifestation spontanée se déclenche lorsque les usagers de la ligne de bus interurbaine découvrent une augmentation arbitraire des tarifs de plus de 100 %. Des vagues de cris déchirent l’air. Commencée dans la nuit, spontanée, anarchique, dépourvue de leaders ou de porte-drapeaux, l’insurrection populaire trace dans les quartiers de la zone métropolitaine de Caracas – Caricuao, El Valle, Nuevo Circo, La Hoyada, Catia – un sillon de voitures brûlées, de magasins saccagés. Les manifestations s’étendent à La Guaira (Etat de Vargas), Maracay (Aragua), Valencia (Carabobo), Barquisimeto (Lara), Mérida (Mérida), Barcelona (Anzoátegui) et Ciudad Guayana (Bolívar).
De province, quatorze bataillons convergent vers la capitale où plus de 10 000 soldats sont mobilisés. Acculé, le pouvoir crache le feu. Vient le temps de la peste. Les hôpitaux et la morgue centrale de Bello Monte ne suffisent plus. Les autorités policières cachent les cadavres dans des sacs plastiques et les enterrent la nuit, en secret. Officiellement le « Caracazo » fait 347 morts. Au moins 3 000 d’après nombre d’historiens.
Cette tuerie fait monter la fièvre de tous les jeunes officiers insoumis. Ils doivent en finir avec cette fausse démocratie qu’on confisquée les « cogollos » [4]. « Les armes des soldats, les tanks des soldats, les avions des soldats, de terre, d’air ou de mer, jamais, jamais plus sur cette terre de Bolivar ne doivent se retourner comme en ce jour maudit ils l’ont fait contre la poitrine douloureuse du peuple, s’emporte Chávez. Jamais ! Nunca jamás, hermanos. Jamais plus ! »
Dans les pueblos où ils reviennent régulièrement en congés, les jeunes officiers doivent subir les récriminations des pauvres gens : « Et jusqu’à quand les militaires vont-ils tolérer ça ? » Des inconnus laissent de grands sacs de maïs devant les portes des casernes. Un message implicite : poules mouillées !
Dans les casernes, des tracts signés « Les Bolivariens » attaquent et traitent de corrompus le ministre de la Défense, le général Filmo Uzcátegui et l’ex-directeur de l’Ecole militaire, puis chef de l’état-major, le général Carlos Julio Peñaloza.

Bribes d’informations recueillies ça et là… Le 6 décembre 1989, jour des élections régionales, le major Chávez est arrêté. Le général Fernando Ochoa Antich l’interroge pendant plusieurs heures d’affilée. « Tu montes quelque chose avec les majors, je le sais. » Chávez tombe des nues. « Moi ? Je monte quoi ? Avec qui ? » Ils ne sont jamais que quinze majors dans le mouvement ! Chávez parle santé et politique. Chávez noie le poisson. Ochoa Antich maugrée. Sans preuve, il relâche l’officier, mais il n’en pense pas moins.
Il faut penser de façon stratégique : Chávez temporise. Il ne veut rien tenter avant d’être nommé lieutenant-colonel. Il aura alors des troupes sous son commandement.
On est en 1991, Chávez a les yeux fixés sur la Colombie. Ravagé par la guerre depuis les années 1950, le pays voisin vient d’élire une Assemblée constituante qui réveille beaucoup d’espoirs. Après avoir déposé les armes, l’ex-guérilla du M-19 (à laquelle appartient un certain Gustavo Petro) participe avec succès à cette Assemblée. Chávez et Arias Cardenas frappent l’une contre l’autre la paume de leurs mains. « Voilà ce qu’il faut faire. Convoquer une Constituante ! » Et pour cela, prendre le pouvoir, on y revient.
Le 28 août, désormais lieutenant-colonel, Chávez a accédé au commandement du bataillon de parachutistes de Maracay. Arias Cardenas hérite du bataillon de chasseurs de Chaguaramas, à la frontière des Etats de Guárico et de Miranda. Pour Chávez, plus aucun doute n’existe, il est temps de passer à l’action [5]. Le 1er février 1992, il écrit à sa mère : « Je crois que la corruption s’est emparée de la République et que l’unique manière de répondre est d’en terminer avec ces comportements. Cela peut me coûter la prison ou la vie, mais je suis disposé à courir ce risque. Ton fils qui t’embrasse tendrement. Hugo. »
Le 2 février au matin, il passe la consigne : « L’anniversaire est pour demain. » Comme l’a fait avant lui, en avril 1974, le commandant Otelo Saraiva de Carvalho en lançant au Portugal la « révolution des œillets », Chávez franchit le Rubicon [6].

Il est 23 heures, ce 3 février. « CAP » revient du Forum économique de Davos en compagnie de son épouse. L’avion présidentiel atterrit sur la piste de l’aéroport de Maiquetia. Au sol, les ministres de la Défense, Ochoa Antich, et de l’Intérieur, Virgilio Ávila Vivas, l’attendent. « Monsieur le Président, nous avons sans doute un problème. » « C’est à dire ? » « Des rumeurs de coup d’Etat. Mais rien de très important. » Pas de panique. « CAP » sous-estime l’avertissement et décide d’examiner la situation le lendemain matin. Il se fait conduire à La Casona, la somptueuse résidence officielle du chef de l’Etat située dans la banlieue de Caracas.

L’apparition des Bolivariens a été soudaine. Toujours lyrique, Chávez a baptisé l’opération « La nuit des Centaures », en hommage aux guerriers qui, à cheval, suivaient les généraux Ezequiel Zamora et José Antonio Páez [7]. Cinq lieutenants-colonels, 14 majors, 54 capitaines, 87 sous-lieutenants, 65 sous-officiers, 101 sergents et plus de 2 000 soldats participent au soulèvement. Chávez les dirige, assisté d’Arias Cárdenas, Yoel Acosta Chirinos, Jesús Urdaneta Hernández et Jesús Ortiz Contreras. Ils ont préparé cette opération pendant des mois. Troupes blindées du bataillon Ayala, infanterie du bataillon Bolivar, bataillon Caracas, parachutistes… Quelques Mirages et F-16 prêts à décoller. Il y a même un camion bourré d’armes à distribuer à des civils triés sur le volet.
A 20 h 30, ce 3 février, la brigade de parachutistes de Chávez a quitté Maracay. Objectif principal : le district fédéral et Caracas où les pouvoirs publics sont concentrés. Doivent être contrôlés le Haut commandement des Forces armées, l’aéroport militaire de La Carlota (situé en plein centre ville), Fort Tiuna et le ministère de la Défense, le palais de Miraflores, La Casona. En premier lieu, il s’agira de capturer le président Carlos Andrés Pérez, de l’amener devant les caméras et d’appeler les commandants de garnisons non impliqués dans le soulèvement à rejoindre la rébellion ou à se rendre. Puis d’annoncer un nouveau gouvernement. Reste à savoir ou récupérer « CAP ». Pas à l’aéroport, sous le contrôle de la marine – le corps le plus réactionnaire des Forces armées. Ce foutu président est tellement imprévisible qu’il va falloir aller à sa recherche en trois endroits : à La Casona, au palais de Mirafllores ou chez sa maîtresse Cecilia Matos.

Arrivé à proximité de la capitale, Chávez a emprunté la vieille route de Los Teques et a installé son QG dans le Musée historique de la Planicie. Une sorte de forteresse construite par des Chiliens, au sommet d’une colline, en surplomb de Miraflores. De là, il va coordonner les opérations. Les bolivariens occupent déjà la base aérienne de La Carlota, prise par le bataillon parachutiste que commande Joel Acosta Chirinos. Détenu, le général de division Eutimio Fuguet Borregales demande au capitaine Gerardo Alfredo Márquez s’il sait ce qu’il fait : « Capitaine, vous êtes fou, je ne comprends pas comment un capitaine peut se soulever contre le gouvernement ! » Agacé, le mutin réplique : « Mon général, je me soulève en tant que capitaine parce que, malheureusement, les généraux n’ont pas de couilles. On les castre quand ils sont colonels pour qu’ils puissent devenir généraux. »

Musée historique de La Planicie, QG de Chavez.

Carlos Andrés Pérez a beaucoup de chance. Il est près de 23 heures. Il est en pyjama, à La Casona. Le général Ochoa Antich l’appelle : on vient de lui confirmer qu’un soulèvement a lieu à Fuerte Mara, dans l’Etat de Zulia. Plus grave : des unités rebelles appartenant à sept régiments différents de la capitale et de plusieurs villes de l’intérieur convergent vers Caracas, pour la plupart en camions, en bus et même pour certains en hélicoptères. Certaines sont déjà là. « CAF » enfile à la hâte un costume par-dessus son pyjama. Il part en toute hâte pour Miraflores.
Quelques minutes ne se sont pas écoulées qu’une fusillade éclate. Les forces rebelles viennent de débouler et d’encercler La Casona. Trop tard. Le chef de l’Etat n’est plus dans son nid.

Très vite, depuis son QG, Chávez se rend compte qu’il y a de l’eau dans le gaz. Il l’apprendra plus tard, un capitaine proche du général Manuel Delgado Gainza, le directeur de l’Académie militaire, a trahi le mouvement. L’officier a pour fiancée la fille du général ! En toute hâte, Delgado a informé le commandant en chef de l’armée de terre, le général Pedro Rangel Rojas. Lequel s’est rendu à Fort Tiuna, siège du ministère de la Défense et du commandement général des Forces armées, a réuni le haut commandement et contacté les chefs des bataillons Caracas, O’Leary et Bolivar, les plus importants de la capitale.
Le bataillon Bolivar est très vite sous contrôle, le bataillon Caracas désarmé. Se rendant compte que l’opération a été découverte, les officiers de l’Académie militaire lâchent leurs camarades et refusent soudain toute participation.
Commandés par le major Carlos Díaz Reyes, une poignée de conspirateurs ne peuvent accepter un échec aussi cinglant. En plein cœur de Fuerte Tiuna, ils désarment des sentinelles, arrêtent quelques commandants et s’emparent de quinze blindés légers Dragon 300. Après avoir traversé la capitale sans encombre, ils débouchent sur l’avenue Urdaneta et parviennent devant Miraflores. A minuit quinze, ils attaquent. Réussissent à abattre le portail principal, à écraser un véhicule et à avoir le bureau présidentiel en vue. Des dizaines de soldats coiffés de bérets rouges s’élancent à l’assaut. Immédiatement stoppés par une quarantaine de membres de la Garde d’honneur. Le combat s’engage, acharné.

Accompagné du ministre des Relations intérieures Virgilio Ávila Vivas, du chef de la Maison militaire, le vice-amiral Iván Carratú, de ses aides de camp et du membre d’Action démocratique Luis Alfaro Ucero, « CAP » a réussi à rejoindre le palais présidentiel. De sa suite du premier étage, il perçoit l’échange de coups de feu. Dehors, les capitaines insurgés Ronald Blanco La Cruz et Antonio Suarez s’effondrent, l’un et l’autre blessés. Les tirs de leurs hommes, soudain démoralisés, baissent d’intensité. L’accalmie permet au président de sortir par une porte non contrôlée, de l’autre côté de Miraflores. Envoyé par son partenaire de longue date, Gustavo Cisneros, un véhicule l’y attend. Seuls l’accompagnent l’amiral Ivan Carratu, son aide de camp, le lieutenant-colonel Gerardo Dudamel et quatre gardes du corps. Ils se dirigent vers le Canal 8, la chaîne de télévision d’Etat. N’y parviennent pas. De forts combats ont lieu près du siège de la Direction des services de renseignements et de prévention (Disip) de Los Chaguaramos. Cap sur Venevisión, la chaîne de l’ami Cisneros. Là, « CAP » trouve tout l’appui nécessaire pour s’adresser au pays. Ce qu’il fait vers une heure du matin. Puis il s’installe pour un temps. Les locaux de la chaîne de télé se transforment en poste de commandement.

A Maracaibo, après s’être s’est emparé à minuit de la maison d’Oswaldo Álvarez Paz, gouverneur de l’Etat de Zulia, Arias Cárdenas s’est proclamé gouverneur militaire de la région et a communiqué par radio les motifs et les raisons de l’insurrection. A Maracay, sous le commandement de Jesús Urdaneta, les plans fonctionnent à la perfection. A Valencia aussi. A Caracas, dans son QG, Chávez ronge son frein. Lui sait maintenant que leur conspiration a été trahie. Les bataillons Caracas et Bolivar ont été désarmés hier, la majorité des blindés mis hors d’état de fonctionner, les colonnes vertébrales de la prise de Caracas neutralisées avant même le début des combats. Circonstance aggravante, il a de constants problèmes de communications. Depuis le début de l’opération, il ne peut donner aucun ordre, il est sourd et muet. Une unité devait se concentrer sur la prise du Canal 8, la télévision d’Etat, pour transmettre le message qu’il a enregistré. Cette prise stratégique a échoué. Pour la petite histoire, et ce que Chávez ne sait alors pas : une escouade a bien occupé le Canal 8, mais les techniciens ont roulé le jeune sous-lieutenant chargé de l’opération dans la farine en prétendant que la cassette VHS qu’il leur tendait n’était pas compatible avec leurs équipements ; non spécialiste, le sous-lieutenant s’est laissé embobiner. Conséquence, à ce moment, les seules informations disponibles au public viennent du gouvernement et des télévisions privées.
Quelque chose a foiré et la montre de Chávez marque 4 h 30 du matin. Si Miraflores avait été pris, il le saurait déjà. Il envisage de se lancer lui-même à l’assaut. Il analyse la situation. Deux voies d’accès seulement lui permettraient d’attaquer le palais. Descendre par l’avenue Sucre et par El Calvario. Il ne dispose que d’une centaine d’hommes et, depuis l’observatoire Cajigal, on leur tire dessus…
Les troupes rebelles qui assiégeaient Miraflores et la caserne du régiment de la Garde d’honneur se sont rendues à 4 heures du matin. Leurs blindés ne disposent pas de munitions. Revenu au palais, Carlos Andrés Pérez s’adresse à nouveau à la nation et confirme que la situation est maîtrisée par son gouvernement. Affirmation quelque peu optimiste : les combats s’éternisent dans tout le pays. Le général Ochoa Antich préconise une négociation. « CAP » fulmine. « CAP » donne des ordres formels pour que soit réprimée sans faiblesse l’insurrection. « Du plomb, du plomb  !  », réclame-t-il [8]. Des fusées éclairantes crèvent l’obscurité, les explosions continuent à déchiqueter la nuit. Impasse. Le chef de l’Etat se résout à parler avec Chávez à travers des émissaires. Il lui envoie le général Ramón Santeliz. Celui-ci et Chávez se connaissent bien. Santeliz récupère au passage un certain Fernán Altuve. Ancien militaire, lui-même bolivarien. Les deux hommes montent à La Planicie. Ils exposent à Chávez à quel point sa situation s’avère délicate. Pour la première fois, celui-ci a une vue exacte des positions. Lorsqu’arrive l’aube, il sait qu’il va devoir prendre une décision.
Dans le palais présidentiel, pendu au téléphone, « CAP » reçoit les messages de soutien de ses amis sociaux-démocrates. De Paris l’appelle François Mitterrand ; de Madrid Felipe González. George Bush (père) se manifeste depuis Washington. Apparu un instant à Miraflores, l’ambassadeur américain a estimé la situation désormais tranquille. Il a déjà tourné les talons. « CAP » se méfie d’Ochoa Antich et d’Altuve, revenus au palais. Tassé derrière son grand bureau, il entame une tirade d’une violence extrême  : « Il faut liquider tous ces golpistas  ! » Si Chávez ne se rend pas, il va le faire bombarder. Idée aussi absurde que criminelle. Le QG du rebellese trouve en pleine agglomération, à proximité immédiate de l’énorme quartier populaire 23 de Enero. Altuve intervient. Les mains dans le dos, il ment comme il respire, le ton cassant : « Monsieur le président, il n’y a pas d’avions. Vous n’avez aucun avion. La seule chose qui vole, en ce moment, ce sont deux hélicoptères qui vont attaquer Miraflores. Si vous continuez, je vais monter rejoindre le commandant Chávez, avec Santeliz, et on va redescendre ensemble donner l’assaut au palais. Alors, parlons d’une manière civilisée. Que voulez-vous exactement ? L’escalade ou la désescalade [9] ? » « CAP » soupire. Qu’il le veuille ou non, dans l’état actuel des choses, il a les mains liées. Il autorise Altuve et Santeliz à remonter à La Planicie. Ochoa Antich apprécie. Les deux hommes vont lui ramener Chávez dont il recevra personnellement la reddition. Son prestige de ministre de la Défense en sortira grandi.
A 8 heures du matin, Chávez accueille les deux négociateurs. Grâce à la radio d’une jeep, il vient d’établir une dernière liaison avec son fidèle Jesús Urdaneta. « Non, Hugo, non seulement les avions ne nous aideront pas, mais en plus ils vont nous attaquer. » Chávez comprend que le temps désormais jour contre eux. Il estime également que tout commandant a deux responsabilités : la réussite de la mission, mais aussi la vie de ses hommes. A 9 heures, il annonce qu’il va déposer les armes. Mais pas dans n’importe quelles conditions… Il interpelle Santeliz : « Général, je veux qu’on respecte la vie de mes hommes. Et je veux les voir tous. Même ceux qui sont dispersés dans la ville. »
De Miraflores, les appels téléphoniques de succèdent. Ochoa Antich : « Altuve, on vous attend au palais avec Chávez ! Quand descendez-vous ? » Altuve racontera plus tard qu’un ami, lui aussi depuis Miraflores, l’a averti : « Faites gaffe. Ordre a été donné à la Disip. Vous ne devez pas parvenir vivants au palais. » Vrai ou pas, nous ne confirmons ni n’infirmons. Ce qui est sûr c’est qu’Altuve se débat avec son énorme téléphone mobile. Lui aussi multiplie les appels. En particulier aux médias. « Tenez-vous prêts à rencontrer le comandante. Voilà où vous allez nous retrouver… »

Altuve a pris le volant. Chávez s’assied à l’arrière avec ses grenades et sa mitraillette, à côté de Santeliz. Ils descendent jusqu’à l’avenue Sucre, à El Paraíso, sur toutes le postions tenues par les officiers rebelles. Chávez les salue, leur donne ses instructions. Une retraite en bonne et due forme, pas une débandade. Serein, ayant mis ses hommes à l’abri, Chávez se sent maintenant prêt à assumer les conséquences de sa rébellion. Il se met à la disposition d’Altuve et Santeliz. Lesquels l’embarquent non en direction de Miraflores, comme il était prévu, mais vers Fort Tiuna, où siège l’état-major des Forces armées. Et où Altuve a convoqué… les médias.

Fort Tiuna. Une activité frénétique règne dans le bureau du ministre de la Défense – toujours à Miraflores où il attend l’insurgé ! – transformé en QG. Douze généraux et amiraux. Survol général de la situation, briefings en série. Cigarettes et café devant lui, Chávez négocie pied à pied. Dans le Zulia, Arias Cardenas s’est rendu. Dans la capitale, les rebelles ont évacué La Carlota. Mais il reste des unités qui combattent. A Valencia, ce sacré Jesús Urdaneta n’a pas flanché. Il a coupé les lignes téléphoniques. On lui a envoyé un médiateur. Il l’a reçu avec du plomb. Ici, à Fort Tiuna, un général irresponsable envisage de bombarder Valencia ! « Laissez-moi lancer un message, lance Chávez. Il faut éviter toute effusion de sang. »
« La presse est là, rebondit Santeliz. La télévision… » Les généraux se lancent dans une discussion. Chávez obtient de s’exprimer devant les caméras. On lui tend une feuille de papier. On lui demande de rédiger son intervention. Il refuse catégoriquement. Intense délibération. Les généraux craignent que ce « fou furieux » n’appelle le peuple à descendre dans la rue. Lui veut improviser. Il les rassure pour obtenir ce à quoi il tient : « Je vous donne ma parole d’honneur que je vais appeler mes camarades à déposer les armes. » Il exige qu’on lui rende son béret rouge. Il lui est venu à l’esprit l’image du général Noriega se rendant sans gloire, en T-shirt et bermuda, en 1989, au Panamá. On lui tend son béret rouge, il le coiffe fièrement. Il suit le groupe des généraux dans un grand salon.
Reporters, équipes de télévision et photographe, tout ce beau monde l’attend. Sans que personne ne puisse l’en en empêcher, il improvise, prononce la courte allocution qui va bouleverser la vie du pays : « Tout d’abord, je veux dire bonjour à tout le peuple vénézuélien. » (A ses frères d’armes : « Camarades : malheureusement, pour l’instant, les objectifs que nous nous étions fixés n’ont pas été atteints dans la capitale ; c’est-à-dire que nous, ici à Caracas, n’avons pas réussi à contrôler le pouvoir (…) De nouvelles situations vont arriver. Le pays doit s’engager définitivement sur une meilleure voie. »
Les Vénézuéliens viennent de découvrir le leader des mutins. Hugo Rafael Chávez Frías, lieutenant-colonel, 37 ans. Dans un pays où personne n’est jamais responsable de rien, il assume ses responsabilités. D’instinct, il sait que pour durer, dominer les problèmes, il ne faut pas tricher.
Un détail : ce 4-F, le Venezuela s’est laissé faire. Le peuple ne s’est pas mobilisé pour appuyer Chávez. Il n’avait jamais entendu parler de lui. Mais il n’est pas non plus descendu dans la rue pour défendre la démocratie. Et il a retenu deux mots : « Pour l’instant. »

Lourdement condamnés, les rebelles découvriront les prisons de Yare, l’un des pires établissements pénitentiaires du pays, et de San Carlos, qui ne vaut guère mieux. Le Venezuela n’en sort pas pour autant de la zone des ouragans. Dans leurs cloaques humains, les exclus ont relevé la tête. Un nom flotte, un nom résonne, un nom claque désormais entre venelles et taudis. Hugo Chávez. Personne n’a peur du « comandante ». Que peut-il arriver de pire que les « cogollos », ces parvenus ?

En 1993, Carlos Andrés Pérez est déchu pour corruption. Après le bref intérim d’un illustre inconnu, Rafael Caldera, dissident du COPEI, lui succède, élu à la tête d’une coalition de dix-sept partis, groupes et groupuscules allant de l’extrême droite à l’extrême gauche. Surendetté, désorganisé, l’Etat est en état de cessation de paiement, avec un déficit budgétaire estimé à 6 milliards de dollars. La révolte gronde dans les « barrios ». Caldera est sur la corde raide et il le sait. Il joue une carte maîtresse pour reprendre la main et pacifier la rue. « Partout, pendant ma campagne électorale, j’ai entendu une clameur populaire : il faut libérer les militaires rebelles… »
Deux ans après son incarcération, Chávez est amnistié à condition de quitter l’armée. Le 26 mars 1994, un samedi de Pâques, il sort de prison. Le pouvoir a planifié ce jour de la semaine sainte pensant que, tout le monde ayant gagné les plages, il n’y aura personne à Caracas pour accueillir l’encombrant « comandante ». Des milliers de personnes l’attendent et l’acclament. Les pauvres n’ont ni voiture ni argent leur permettant d’aller s’éclater sur les plages de la Caraïbe. Devant un groupe ému de compagnons d’armes, Chávez ôte son uniforme et revêt un costume civil.
Non sans difficulté, en ce jour mémorable, Chávez se déplace à travers la foule de ceux qui le saluent et tentent de l’approcher. Une grande silhouette le protège et, d’un bras amical mais ferme, lui sert de garde du corps et lui ouvre un chemin. Un jeune syndicaliste qui a pris contact avec lui alors qu’il purgeait sa peine : Nicolás Maduro [10].

Sortie de prison, 26 mars 1994.
1993 : première rencontre de Hugo Chavez et Nicolas Maduro.


[1] Métis d’Indien, de Noir et de Blanc (ou de Noir et d’Indien).

[2] Livrée le 9 décembre 1824, la Bataille d’Ayacucho a assuré l’indépendance du Pérou et du reste de l’Amérique du Sud. Les forces révolutionnaires, au nombre d’environ 6 000 hommes – parmi lesquels des Vénézuéliens, des Colombiens, des Argentins et des Chiliens et bien sûr des Péruviens – étaient dirigées par Antonio José de Sucre, exceptionnel lieutenant de Simón Bolivar.

[3] En 1973, lors de son premier mandat, CAP est parti en guerre contre la dictature des multinationales, a nationalisé le fer et le pétrole, a renoué avec Cuba et a aidé un temps les sandinistes au Nicaragua (de même qu’il aidera celle qui leur succédera, Violeta Chamorro !).

[4] Dirigeants des deux partis qui se partagent le pouvoir.

[5] Ils n’étaient pas les premiers militaires à le faire. Le 4 mai 1962, à Carupano, le capitaine de corvette Molina Villegas et un groupe d’officiers se soulevèrent. Les uns furent arrêtés, les autres rejoignirent la guérilla. Le 2 juin, à Puerto Cabello, ce sont les marins qui passent à l’action sous les ordres du capitaine de vaisseau Aponte Rodríguez. Par ailleurs, lorsque surgit le Mouvement bolivarien de Chávez, deux groupes d’officiers complotent déjà au sein des forces armées : l’un dans la marine, l’autre dans l’aviation, commandé par William Izarra (qui rejoindra le chavisme, occupera des fonctions de vice-ministre, d’ambassadeur et d’inlassable militant, avant de décéder le 1er octobre 2021).

[6] Lancée le 25 avril 1974 par le soulèvement de jeunes officiers portugais du Mouvement des Forces Armées (MFA), la « révolution des œillets » entraine la chute du régime initié en 1926 par António de Oliveira Salazar et poursuivi par son successeur Marcelo Caetano – une dictature qui aura duré quarante-huit années.

[7] Ezequiel Zamora : important leader populaire du XIXe siècle vénézuélien, ardent défenseur de la réforme agraire en faveur des paysans. José Antonio Páez : général, il mène au côté de Simón Bolivar la guerre d’indépendance contre l’Espagne ; désigné président provisoire de la nouvelle république du Venezuela en 1830, il est confirmé dans ses fonctions l’année suivante et dirige le pays jusqu’en 1835, puis de 1839 à 1843.

[8] Marcel Niedergang, « Les insurgés voulaient ma peau », Le Monde, Paris, 8 février 1992.

[9] Ce récit nous a été fait au cours d’une longue interview de Fernán Altuve, lors de la préparation de l‘ouvrage Chávez presidente ! (Flammarion, Paris, 2005).

[10https://www.medelu.org/Nicolas

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Sept ans d’agressions paramilitaires contre le Venezuela: la liste de tous les plans démantelés

Huit paramilitaires capturés par les forces armées bolivariennes lors de l’Opération Negro Primero à Petaquirito, La Guaira, lors de l’incursion armée au Venezuela en mai 2020. Photo: Twitter

Après le décès du Président Hugo Chavez et l’élection en 2013 de Nicolás Maduro à la présidence du Venezuela, dans un contexte de chute mondiale des prix du pétrole, les Etats-Unis ont cru l’heure venue d’anéantir la révolution bolivarienne et d’effacer son influence en Amérique Latine. S’est ouverte une ère de déstabilisation violente sans précédent dont l’objectif reste le changement de “régime” à travers l’assassinat du gouvernement élu et de ses sympathisants, dans un scénario de terreur à la colombienne. On se rappelle comment les insurrections d’extrême droite ont été transformées par les médias internationaux en “révoltes populaires” et la réaction des forces de sécurité en “répression par la dictature. Les agences de presse/photo qui sont devenues aujourd’hui la seule source de la plupart des journalistes ont même été jusqu’à transformer des terroristes en « héros de la lutte pour la démocratie« , tout en invisibilisant la majorité sociale, populaire, pacifique, qui rejetait la violence au profit des urnes (1). De nombreux courants et militants de gauche sont tombés dans le piège de cette propagande. C’est l’époque où est apparu le slogan “ni Trump, ni Maduro”.

Cacher les causes, les remplacer par les effets : pour discréditer une expérience de gauche participative et souveraine, avec record d’élections et processus communaux, les grands médias occidentaux font porter au gouvernement bolivarien la responsabilité essentielle de la guerre économique décrétée par Barack Obama et renforcée par Donald Trump. La complicité médiatique consiste à occulter les conséquences des plus de 300 “sanctions” états-uniennes – mesures de coercition unilatérales, violant le Droit International – telles les menaces sur les banques du monde entier pour qu’elles gèlent 30 milliards de dollars que le pays ne peut plus utiliser pour acheter des aliments ou du matériel médical. Mais aussi à occulter, mettre en doute ou se moquer des nombreuses agressions – sabotages des infrastructures, attentats terroristes et incursions armées, le tout financé à hauteur de centaines de millions de dollars depuis les Etats-Unis et depuis le territoire de leur principal fournisseur de drogue, la Colombie paramilitaire.

Voici par ordre chronologique les nombreux épisodes de cette guerre de basse intensité visant à renverser un gouvernement de gauche, légitimement élu (Jimmy Carter, le Conseil des Juristes Latino-américainsRodriguez ZapateroLula, ou Rafael Correa, parmi tant d’observateurs internationaux et de médiateurs entre gouvernement et secteurs non-putschistes de l’opposition, ont insisté sur la transparence, sur la légitimité, et sur le nombre record d’élections).

10 juin 2013

Neuf paramilitaires ont été capturés à Coloncito (Táchira) et Guanare (Portuguesa), membres de Los Rastrojos, liés au chef paramilitaire colombien José María Barrera, alias « Chepe Barrera », armés de fusils d’assaut, de grenades et de pistolets. Les autorités ont trouvé une boîte noire prête à être utilisée pour un faux positif dans un accident d’avion. Les paramilitaires capturés auraient dit qu’un troisième groupe se trouvait déjà dans la capitale avec des armes de sniper. Ils avaient prévu de se rendre dans la capitale de l’État, où ils se verraient confier une mission à accomplir à Caracas : assassiner le président Maduro.

25 mars 2014

Un groupe de généraux de l’aviation militaire a été capturé, qui possédaient des liens directs avec les secteurs de la droite. Ils ont eux-mêmes déclaré que « cette semaine était décisive ». Ils préparaient un plan de soulèvement militaire, dénoncé par des officiers de rang inférieur. Il s’agissait du général de brigade (Av) José Daniel Machillanda Díaz, du général de division (AV) Oswaldo Hernández Sánchez et du général de brigade Carlos Alberto Millán Yaguaracuto. Le capitaine (r) Juan Carlos Nieto Quintero (qui réapparaît avec Jordan Goudreau dans une vidéo le dimanche 5/3/2020, lors de l' »Opération Gédeon »), de la Garde Nationale Bolivarienne, a été capturé début avril.

12 février 2015

Les autorités vénézuéliennes démantèlent une tentative de coup d’État, baptisée « Coup d’Etat bleu » ou « Opération Jéricho ». Le plan consistait à doter d’artillerie un avion Tucano et à attaquer le palais de Miraflores, ou tout autre lieu où le président participerait aux « Journées de la jeunesse ». Ce projet avait été planifié par un groupe de responsables vénézuéliens de l’aviation militaire et du gouvernement états-unien.

Avion Tucano de l’aviation militaire vénézuélienne. Photo : Forces Armées Bolivariennes

12 et 13 février 2016

Un plan a été démantelé dans lequel cinq militaires et trois civils étaient impliqués opérationnellement : José Gregorio Delgado, Ruperto Chiquinquirá Sánchez, Juan Carlos Nieto Quintero, César Orta Santamaría, Víctor José Ascanio, Nery Adolfo Córdoba, Andrés Thompson Martínez, Laided Salazar et José Acacio Moreno, respectivement. L’idée était d’attaquer les points stratégiques des institutions de l’État par voie aérienne ; cela comprenait aussi des opérations contre les civils. Une tentative de coup d’Etat militaire basé sur la doctrine du choc. La capture d’Antonio Ledezma a été dérivée de ce plan, grâce au suivi des renseignements militaires.

Premier trimestre 2017

L’opération « Epée de Dieu » avait pour principaux membres Angel Vivas et Raul Baduel, respectivement ancien général de brigade et ancien général des Forces Armées Bolivariennes, qui avaient recruté des officiers subalternes afin de perpétrer un assassinat contre le président Maduro. L’État a réussi à capturer différents membres appartenant à cette opération, tous accusés de subversion ; cependant, à la fin de cette année-là, certains d’entre eux se sont échappés de la prison de Ramo Verde (Miranda). Le suivi réalisé par un agent infiltré a été la clé du démantèlement du plan.

Avril 2017

Opération Bouclier de Zamora. Eduardo Ventacourt et Johan Peña, anciens responsables de la DISIP (renseignements), ainsi que le colonel (r) Zomacal Hernández, devaient exécuter « l’opération Bouclier de Zamora« . Ce dernier s’est vu confisquer 32 kilogrammes d’explosifs C4 et d’autres armes qui seraient utilisés dans un plan de coup d’État. Parmi les planificateurs figuraient les hommes politiques Roberto Enriquez, Oswaldo Alvarez Paz (tous deux de COPEI, démocratie chrétienne) et Julio Borges (Primero Justicia, extrême-droite), directement impliqués dans l’insurrection de certains responsables des Forces Armées.

27 juin 2017

L’ancien policier Oscar Perez – du Corps scientifique d’enquêtes criminelles et pénalistes (CICPC) – a détourné un hélicoptère, survolé plusieurs sites à Caracas, mitraillé et tenté d’attaquer différentes institutions de l’État vénézuélien, dont le bâtiment de la Cour Suprême de Justice. Ce fanatique de l’Ordre Nouveau, se déclarant « envoyé de Dieu », a tenté d’attenter à la vie des personnes se trouvant dans les bâtiments des institutions sur lesquelles il a tiré, y compris des enfants, avant de prendre la fuite. Photo : Christian Veron / Reuters

Óscar Pérez le paramilitaire autoproclamé « envoyé de Dieu », transformé en « héros » par les médias. Photo: Christian Veron / Reuters

6 août 2017

Ce jour-là, une escarmouche militaire a eu lieu au Fort Paramacay (Carabobo) : la soi-disant « Opération David », dans laquelle il y a eu un vol d’armes et des appels à l’insurrection avec d’autres opérateurs non militaires, dirigée par Juan Caguaripano de la 41e Brigade blindée de Valence. Il a été neutralisé par les Forces Armées qui a capturé la plupart des membres. Les quelques personnes impliquées dans la tentative et qui ont réussi à s’échapper ont emporté les armes suivantes : 500 fusils AK-103 et 500 chargeurs de ce type de fusil ; 50 lance-grenades multiples de 40 mm ; 140 grenades de 40 mm ; 80 baïonnettes, 60 pistolets. Ce matériel de guerre a été placé dans un véhicule Toyota portant des plaques militaires et volé dans l’installation militaire correspondante.

18 décembre 2017

Pendant l’opération « Genesis », un groupe de mercenaires, de paramilitaires et d’anciens fonctionnaires de la sécurité de l’État, dirigé par Oscar Perez, a attaqué un poste de la Garde Nationale Bolivarienne à Laguneta de la Montaña (Miranda), où ils ont volé 26 fusils d’assaut et des munitions. Dans une vidéo, Perez apparaît lors de l’opération au cours de laquelle une poignée de sujets habillés en contre-espionnage militaire (DGCIM) ont attaqué le poste de la GNB. Lors de l’opération, les faux agents de la DGCIM ont également dérobé 26 fusils AK-103 de marque Kalachnikov ; 3 pistolets de 9 mm ; 108 chargeurs AK-103 ; 3 chargeurs de pistolets ; 3 240 munitions de fusil AK-103 et 67 munitions de 9 mm, selon les rapports de presse.

15 janvier 2018

La DGCIM (renseignements) a retracé la localisation de la cellule terroriste d’Oscar Pérez à El Junquito (Caracas). Après le travail du corps de sécurité et de renseignement, avec le déploiement de plusieurs brigades et de fonctionnaires du CONAS, du SEBIN, de la DGCIM, de la GNB, de la FAES de la PNB et de Policaracas, l’« Opération Gedeon » a été mise en œuvre, du nom des institutions policières-militaires, où plusieurs membres de l' »Opération Genesis » ont été tués, parmi lesquels le très médiatisé « héros » Oscar Perez.

Mars 2018

Depuis le début de ce mois, un plan de coup d’État a été détecté au sein des FANB, appelé « Mouvement de transition vers la dignité du peuple« , dans lequel l’ancien général Miguel Rodríguez Torres était impliqué. Parmi ses membres figuraient le lieutenant colonel Iver Marín Chaparro, le lieutenant colonel Henry Medina Gutiérrez, le lieutenant colonel Deivis Mota Marrero, le lieutenant colonel Eric Peña Romero, le lieutenant colonel Victoriano Soto Méndez, le lieutenant colonel Juan Carlos Peña Palmatieri, le premier lieutenant Yeiber Ariza, le sergent Julio Carlos Gutiérrez et le sergent Yuleima Medina. Au milieu du mois, il a été démantelé par la DGCIM (renseignements).

Avril 2018

L’opération « Gédeon II » des autorités de l’État, rapportée par le ministre Néstor Reverol le 18 avril, a réussi à démanteler une cellule terroriste impliquée dans des actes déstabilisateurs destinés à provoquer l’anxiété de la population et à empêcher les élections du 20 mai. L’opération était la continuation d’une enquête exhaustive qui a conduit au démantèlement de la cellule terroriste d’Oscar Pérez. Dix personnes ont été arrêtés, dont Alonso José Mora, Erick Anderson Villaba et Stephanie Madelein, membres actifs d’un groupe d’affrontement armé qui a participé aux insurrections de l’extrême droite de 2017. Dans la cellule se trouvait également Carlos Miguel Aristimuño, qui appartenait au DISIP et était pilote d’hélicoptère, engagé pour la formation des instructeurs.

Oswaldo García Palomo a coordonné plusieurs tentatives de coup d'Etat depuis le territoire colombien. Photo: Bloomberg

Oswaldo García Palomo a coordonné plusieurs tentatives de coup d’Etat depuis le territoire colombien. Photo: Bloomberg

Mai 2018

Nouvelle tentative de coup d’État menée par le général (r) Oswaldo Garcia Palomo de Colombie, dans le cadre des élections présidentielles, appelé « Opération Constitution« . Les services de renseignement et de contre-espionnage de l’État ont mis ce plan en échec et démantelé le groupe. Garcia Palomo a également été impliqué dans un autre plan de coup d’État au début de 2019. Il a été appréhendé fin janvier 2019 par les autorités vénézuéliennes. 

Mai 2018

En même temps que l' »Opération Constitution », l' »Opération Armageddon » était menée par du personnel militaire et civil et dirigée par le capitaine Luis Humberto de la Sotta Quiroga. Neuf membres de l’armée ont été accusés de trahison envers le pays, d’incitation à la rébellion militaire, d’instigation à la mutinerie. Cette fois, la tentative de coup d’État militaire visait à contrecarrer les élections présidentielles. L’opération était en cours depuis 2017 et consistait à reprendre la base aérienne de La Carlota (Caracas) et même d’assassiner le président Maduro. Le plan a été démantelé par la DGCIM (renseignements). L’enquête a montré que des militaires, Oswaldo Alvarez Paz (du parti COPEI) et des financements des États-Unis et de la Colombie étaient impliqués.

4 août 2018

Ce jour-là, une tentative d’assassinat a eu lieu contre le président (« Opération David contre Goliath« ), certains ministres et membres du haut commandement militaire à Caracas lors d’un événement marquant le 81e anniversaire de la GNB. Là, des explosifs ont été déclenchés, dirigés par des drones, pour assassiner le président Maduro. Le travail des civils, des militaires et des forces de police dans leur ensemble a fait échouer l’opération.

Les autorités ont arrêté Argenis Ruiz, le pilote du drone, et Juan Carlos Monasterio, coordinateur de l’attaque et ancien de la GNB. Plus tard, en janvier 2019, le général (r) Oswaldo García Palomo a admis que le lieutenant-colonel Ovidio Carrasco, qui faisait partie de la garde d’honneur présidentielle, avait été capté par Julio Borges en 2013 et avait participé à la planification de l’assassinat. Outre Julio Borges, d’autres hommes politiques vénézuéliens étaient également impliqués : Fernando Albán et le député d’extrême droite Juan Requesens.

30 avril 2019

La « phase finale » de l’« opération Liberté » a eu lieu avec Juan Guaidó, Leopoldo López, Cristopher Figuera et des militaires, dont Ilich Sánchez et Juvenal Sequea.

Le mouvement cherche à faire quitter le pouvoir au président Nicolas Maduro, en commençant par la prise de contrôle de la base aérienne de La Carlota, qui n’a jamais été prise. L’opération n’a duré que quelques heures le matin et a été démantelée par la DGCIM.

Les leaders d’extrême droite Juan Guaidó, Leopoldo López et des déserteurs militaires ont mis au point l’opération « Libertad », tentative de coup d’Etat qui a échoué en avril 2019. Photo : Archives MV

Juin 2019

Après 14 mois de contre-espionnage par la DGCIM, l’opération « Vuelvan caras » a été démantelée. Parmi ses membres figuraient le général à la retraite Ramón Lozada Saavedra, le général Miguel Sisco Mora, le colonel Miguel Castillo Cedeño, le major à la retraite Pedro Caraballo, le premier lieutenant Carlos Eduardo Lozada Saavedra et les commissaires José Valladares Mejías et Miguel Ibarreto.

C’est un coup d’État militaire qui visait à assassiner le président et à prendre le palais de Miraflores, la base aérienne de La Carlota et la Banque centrale du Venezuela, dans lesquels Josnars Adolfo Baduel, fils de Raúl Baduel, était également impliqué.

Août 2019

L’opération terroriste « Force et liberté » était une tentative d’attaque du siège de la FAES (police) à Propatria, du bloc 40 de la paroisse 23 de Enero et du Palais de Justice (Caracas). Il a été démantelé par la DGCIM (renseignements). Il s’agissait d’une action militaire pour tenter un coup d’Etat et un assassinat impliquant l’huissier du Palais de Justice, Ronnel Guevara, et Luis Ricardo Gómez Peñaranda, un citoyen colombo-vénézuélien qui a été arrêté alors qu’il transportait des explosifs.

A l’époque, le ministre Jorge Rodríguez avait dénoncé que Clíver Alcalá était en Colombie pour coordonner la formation de plus de 200 terroristes dans trois camps : à Maicao, Santa Marta et Riohacha.

Décembre 2019

Le matin du dimanche 29 décembre, une vidéo a été diffusée dans laquelle un groupe de militaires se soulevait, appelant à la rébellion, à un coup d’État et à un assassinat. Ils ont revendiqué le vol d’armes lors de l’attaque d’un détachement de la GNB le 22 décembre dernier dans la municipalité de Gran Sabana (Bolivar), dans le cadre de ce qu’ils ont appelé « l’opération Aurora ».

Il s’agit du lieutenant Josué Abraham Hidalgo Azuaje, du tireur d’élite José Angel Rodríguez Araña et du sergent-major Darwin Balaguera Rivas.

Directement impliqué dans l' »Opération Aurora », Gilber Caro, arrêté lors de l’agression du 22 décembre, a bénéficié du soutien public de l’ex-policier Ivan Simonovis, un membre de l’équipe de Juan Guaidó des États-Unis et proche de Donald Trump (photos ci-dessous). En janvier 2020, le ministère public a inculpé 18 personnes qui ont participé à l’opération.

Le policier spécialiste de la contre-insurrection, Ivan Simonovis, impliqué dans le coup d'Etat d'avril 2002 contre le président Chavez, fut vite adopté par les grands médias et certaines organisations de droits humains comme un “prisonnier politique, un homme très malade, à sortir d'urgence des geôles du Venezuela, etc..”. Dès sa libération, sa santé subitement retrouvée lui a permis de travailler étroitement avec la CIA et aujourd'hui de remplacer auprès de Trump un Juan Guaido de moins en moins crédible, pour poursuivre les opérations de déstabilisation du Venezuela.

Photo : le policier spécialiste de la contre-insurrection, Ivan Simonovis, impliqué dans le coup d’Etat d’avril 2002 contre le président Chavez, fut vite adopté par les grands médias et des organisations de droits humains comme un “prisonnier politique, un homme très malade, à sortir d’urgence avant qu’il meure dans les geôles du Venezuela, etc…”. Dès sa fuite de son arrêt domiciliaire et son arrivée aux USA en mai 2019, sa santé subitement retrouvée lui a permis de travailler étroitement avec la CIA et de remplacer aujourd’hui auprès de Donald Trump un certain Juan Guaido décrédibilisé par les nombreuses affaires de corruption, pour poursuivre les opérations de déstabilisation du Venezuela.

Mai 2020

Une incursion de mercenaires armés (« Opération Gedeon« ) à Macuto (La Guaira) et dans d’autres régions de la côte vénézuélienne a été neutralisée par l‘union civile-militaire (« Opération Negro Primero ») depuis le dimanche 3 mai. La DGCIM a traité les données relatives à l’opération, notamment la localisation des camps en Colombie où se déroulait la formation et la coordination dirigée par Clíver Alcalá.

Juan Guaidó, J.J. Rendón, Sergio Vergara et l’avocat Manuel Retureta avaient signé un contrat avec la société mercenaire américaine Silvercorp, appartenant à Jordan Goudreau, pour effectuer une incursion armée, exécuter un plan de capture et d’assassinat du président Maduro, et à l’aide d’un armement très sophistiqué déclencher une intervention visant à éliminer les dirigeants chavistes, les sympathisants des bases populaires et abroger la Constitution de facto de la République Bolivarienne.

Comme on peut le lire dans le contrat mis en ligne par le Washington Post, la réalisation de « l’objectif premier » était de « capturer/détenir/éliminer Nicolás Maduro, éliminer le “régime” actuel et installer le président fantoche Juan Guaidó. Venait ensuite la participation de Silvercorp à une période de 450 jours -prolongée- de « rétablissement de la stabilité dans le pays ».

La « stabilisation du pays » signifiait que le contractant militaire participerait à l’attaque et à la persécution des « éléments non militaires du commandement et du contrôle du régime précédent », aux répressions, aux détentions, à l’application des couvre-feux, aux contrôles aux frontières, avec l’autorisation de « recourir à la force, jusqu’à et y compris la force mortelle, pour éliminer la menace ».

Tout est écrit dans une annexe de 41 pages avec des détails sur, par exemple, quand et comment utiliser les mines antipersonnel M18A1 claymore, les chaînes de commandement, les formes de paiement, où, en cas d' »insolvabilité monétaire », Silvercorp facturerait « en barils de pétrole ».

Note: (1) Lire « Comment les médias blanchissent l’image du terrorisme au Venezuela » https://venezuelainfos.wordpress.com/2017/07/07/des-porteurs-de-boucliers-daltamira-a-oscar-perez-comment-les-medias-blanchissent-limage-du-terrorisme-au-venezuela/

Source : Mision Verdad, https://medium.com/@misionverdad2012/siete-a%C3%B1os-de-operaciones-mercenarias-contra-venezuela-un-registro-de-todos-los-planes-bb9eb97cc3c

Traduction : Thierry Deronne

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Exclusif: des pêcheurs du Venezuela racontent la reddition de mercenaires états-uniens, par Fania Rodrigues

L’image des mercenaires états-uniens au sol qui viennent de se rendre, ligotés à l’aide des fils de nylon des pêcheurs artisanaux dans une communauté côtière du Venezuela, a fait le tour du monde des manchettes, la semaine dernière. Au fond de l’image apparaît un mur de la “Maison des pêcheurs socialistes” orné des visages peints de héros révolutionnaires vénézuéliens : Simón Bolívar, Francisco de Miranda, Ezequiel Zamora et Hugo Chávez.

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Fania Rodrigues, journaliste indépendante brésilienne, vit au Venezuela.

Les pêcheurs disent que la scène n’était pas planifiée, mais plutôt le fruit de l’instinct de survie : il leur fallait empêcher ces hommes d’attaquer leur pays. La photo exprime également l’authentique gentillesse vénézuélienne car si ces hommes se sont retrouvés devant la maison des pêcheurs socialistes, c’est parce que c’est le seul endroit où se dresse un arbre. Ils ont donc épargné aux envahisseurs de se retrouver sous le soleil brûlant des Caraïbes, pendant que les renforts arrivaient en hélicoptère militaire.

La scène s’est déroulée le 4 mai dernier, dans le village de pêcheurs de Chuao aux 3500 habitant(e)s, sur la côte de l’État d’Aragua, dans le nord du pays. Un groupe d’environ 60 mercenaires, composé d’ex-combattants états-uniens et de déserteurs des Forces armées nationales bolivariennes, a tenté d’envahir la côte vénézuélienne pour mettre en œuvre un plan qu’ils ont appelé « Opération Gedeón ». Celle-ci visait à kidnapper ou à tuer le président Nicolás Maduro et les principaux membres de son gouvernement. (1)

Ce jour-là, à Chuao, huit hommes ont été arrêtés. Parmi eux, les sergents Airan Berry et Luke Denman, qui ont servi dans les forces spéciales américaines connues sous le nom de bérets verts. Les deux hommes ont participé aux opérations en Irak, en tant que troupes d’élite de l’armée la plus puissante du monde. Ils faisaient même partie du cercle de sécurité du président Donald Trump, comme l’attestent des vidéos et des photos de 2018. Ils travaillent maintenant pour la société de sécurité privée Silvercorp, propriété de l’ancien officier militaire américain Jordan Goudreau, qui a signé un contrat avec le leader de l’opposition vénézuélienne Juan Guaidó pour exécuter l’opération Gedeón. Le conseiller de Guaidó, Juan José Rendón, qui a également signé le contrat, a démissionné le lundi 11 mai.

Ce que les envahisseurs ne pouvaient imaginer, c’est que l’opération se terminerait par cette scène, confie Reinaldo Chávez, un habitant de Chuao. « S’ils avaient su la surprise qui les attendait ici ! Ils peuvent se prendre pour des « Rambos » et nous sommes un peuple humble, mais avec notre vérité, nous finirons toujours par gagner« , a-t-il déclaré à Telesur.

Julio Moreno, porte-parole du Conseil des pêcheurs de Chuao, a raconté comment ils ont agi. Alertés quelques jours avant par les services de renseignement, ils ont mis en place une stratégie de défense populaire. Quelques jeunes se sont dispersés dans les montagnes près de la côte pour observer et détecter une éventuelle approche par des navires inconnus dans le secteur.

« Nos hommes depuis la montagne ont vu lorsqu’ils ont scié le toit du bateau et l’ont jeté à la mer pour rendre l’identification difficile. Nous avons prévenu les autorités, l’hélicoptère militaire est arrivé rapidement. Nous avons mis en place un plan pour défendre la plage« , explique Julio Moreno.

Dans le village, il n’y avait que cinq policiers. L’aide des pêcheurs locaux a donc été fondamentale pour arrêter les mercenaires. En mer, ils ont bénéficié de l’aide d’un hélicoptère de l’armée et d’un bateau de la marine vénézuélienne, ce qui a permis d’empêcher toute tentative de fuite, mais une fois à terre, ce sont les policiers avec des fusils et des pistolets, ainsi que les pêcheurs, qui ont obtenu la reddition des suspects jusqu’à l’arrivée des renforts.

« Les militaires dans l’hélicoptère ont tiré quelques coups de semonce dans l’eau pour qu’ils éteignent le moteur du bateau. Une fois qu’ils sont arrivés dans la baie, nous leur avons ordonné de descendre du bateau, nous les avons ligotés et quand ils ont été maîtrisés, nous les avons remis à la police et au commando de la Garde nationale bolivarienne qui étaient présents » explique le délégué du Conseil des pêcheurs de Chuao.

Andrés Jesus, le chef du poste de police de Chuao, dit qu’en 19 ans d’existence de la coopérative, il n’aurait jamais pensé voir quelque chose comme ça dans ce paisible village de pêcheurs. « La population a eu peur, on n’a jamais rien vu de tel. Mais nos policiers se sont sentis soutenus par les pêcheurs et la population locale. Nous avons dû attacher les terroristes avec des lignes de pêche en nylon parce que c’était la seule chose que nous avions à ce moment-là, nous avons improvisé. Les pêcheurs eux-mêmes ont contribué à immobiliser les terroristes« .

Un des policiers a dû sortir pour aller chercher les militaires qui sont arrivés en hélicoptère et ont atterri loin du centre du village. Une fois de plus, ce sont les pêcheurs qui ont aidé à surveiller les envahisseurs. José André Bolívar, un habitant du village, nous raconte: « Ici, on produit du poisson et du cacao, rien d’autre. Nous ne sommes pas habitués à la violence, alors nous avons peur et nous nous mettons à courir pour aider la police et les attraper [les mercenaires]« .

Selon le chef de la police, la population locale était en état d’alerte depuis des mois. Le commandement de la police nationale bolivarienne avait déjà envoyé des affiches avec des visages de mercenaires qui pouvaient tenter une invasion à tout moment. « C’est pourquoi, lorsque les habitants ont vu les visages, ils ont rapidement reconnu le fils de Baduel » explique le policier Andres Jésus.

Josnars Adolfo Baduel, arrêté à Chuao, est connu parce qu’il a participé à d’autres tentatives de coup d’État, mais aussi parce qu’il est le fils du général Raúl Isaías Baduel qui fut un temps ministre de la défense de l’ancien président Hugo Chávez, emprisonné depuis 2009 pour corruption.

Chuao organise la défense de la communauté

Chuao était connue pour ses beautés naturelles et surtout pour ses exploitations de cacao, reconnues par l’industrie du chocolat comme l’une des plus sophistiquées au monde. Aujourd’hui, ce petit village est aussi une référence de la résistance révolutionnaire.

Le village n’a pas d’accès terrestre, il faut donc prendre un bateau et se rendre à environ 20 minutes depuis Choroni, la municipalité la plus proche. Ce paradis naturel a dû s’adapter à la nouvelle réalité, face aux menaces d’invasion militaire.

La population s’est organisée pour protéger la communauté, dit Julio Moreno. « Depuis que tout cela est passé, nous avons pris conscience de la dimension de l’action que nous avons organisée ce jour-là. Mais nous n’avons pas baissé la garde. Nous avons redoublé d’efforts pour assurer la sécurité de Chuao et des autres communautés qui font partie de l’axe côtier vénézuélien.« 

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Il affirme également que la population a été formée pour être capable d’identifier les situations et les personnes suspectes. « Nous avons conformé un groupe d’agents de renseignements populaires, et nous avons réussi à capturer un autre mercenaire dans la communauté voisine, au Cepe. Nous agissons en tant que citoyens armés pour défendre leur pays« , a déclaré le pêcheur.

Ces entraînements font partie de la routine de la milice nationale bolivarienne, une armée populaire de civils avec une formation militaire créée par le Président Maduro dans la ligne de l’unité civico-militaire de Hugo Chavez. Actuellement, environ 4 millions de Vénézuéliens sont engagés dans ces contingents qui font partie du système de sécurité officiel du Venezuela. En plus de la milice bolivarienne, des groupes de défense des pêcheurs sont créés sur la côte, comme celui-ci formé par les habitants de Chuao.

Dans les jours qui ont suivi, la population d’autres communautés a contribué à la capture de plusieurs groupes de mercenaires. C’est ainsi que dans le village de pêcheurs de Cepe et la communauté de El Junquito, les paysans ont identifié deux d’entre eux et ont fait appel aux militaires. Plus de 40 suspects ont déjà été arrêtés et huit abattus lors des affrontements du premier jour. Le pays maintient l’alerte de sécurité maximale, établie ce 3 mai, lorsque les premiers mercenaires ont été interceptés dans le port de La Guaira, dans l’État de Vargas.

Texte et photos : Fania Rodrigues

Note (1): le Washington Post a mis en ligne le contrat signé notamment par le président fantoche Juan Guaido, décrivant les objectifs de l’opération qui étaient non seulement d’exterminer le gouvernement élu du Venezuela mais aussi des dirigeants d’opposition et les organisations populaires et particuliers suspects d’appuyer la révolution bolivarienne, bref de transformer le Venezuela en une deuxième fosse commune « colombienne » sur orbite états-unienne. Pour cela le contrat prévoit « l’usage de tous les types d’armes possiblestels les canonnières AC-130, les drones Predator armés et les missiles à courte portée Maverick » haute technologie de coût très élevé, capable de causer un niveau de destruction impressionnant) (NdT).

Source : Revista Forum, https://revistaforum.com.br/global/pescadores-da-venezuela-contam-como-renderam-os-mercenarios-dos-eua/amp/

Traduction du portugais : Thierry Deronne

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Histoires de résistance : les héro(ïne)s méconnu(e)s du Venezuela d’aujourd’hui

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Jessica Dos Santos est professeure d’université, journaliste et écrivaine vénézuélienne. Son travail a été publié dans des revues comme Épale CCS, 15 y Último et Desafíos. Elle est l’auteur du livre « Caracas en sandales » (2018). Elle a remporté le Prix Aníbal Nazoa du Journalisme en 2014.

Il y a quelques jours, certain(e)s de mes ami(e)s, comme beaucoup d’autres vénézuélien(ne)s, se moquaient des milicien(ne)s (membres de la Milicia Bolivariana): “Ce sont eux qui vont nous défendre en cas de guerre ?” “Ils sont si vieux qu’ils peuvent à peine tenir debout”, “Ils sont tous gros” “Des sans-dents” !

En guise de réponse, comme dans d’autres occasions, j’ai évoqué le “Journal de Marquetalia” et ses récits sur une “commune” improvisée, une micro-société socialiste, écrit par un dirigeant de la guérilla colombienne, Jacobo Arenas, en 1972.

Adolescente, j’y découvris le rôle que nous avons toutes et tous à jouer dans la construction de nouvelles structures sociales: celle ou celui qui connaît et utilise correctement les médicaments, celle ou celui qui sait cuisiner sans faire de fumée (dans une guerre de guérilla) pour que le campement ne soit pas repéré, celui ou celle qui est capable de couper les cheveux pour changer totalement une apparence.

Dès lors, comment pourrais-je rabaisser celles et ceux qui, malgré leur âge ou leurs apparences, dans des conditions aussi difficiles que celles que traverse aujourd’hui le Venezuela, ont encore la force de revêtir un uniforme, de déclarer leur amour pour la patrie, et de sortir de chez eux pour accomplir un nombre infini de petites tâches sociales ?

Par exemple, les milicien(ne) ont la responsabilité de percevoir les tickets de métro, restant debout durant des heures et des heures, souvent dans une chaleur torride, tout en étant la cible de nombreuses moqueries de la part de nos médias privés, y compris internationaux. Dans un système où les tourniquets automatiques ne fonctionnent plus et où chaque réparation est extrêmement coûteuse, c’est une responsabilité importante, tout comme celle de maintenir l’ordre et le calme des files d’attente, celle d’assurer la surveillance des espaces publics, etc.

Ce n’est pas l’idéal, mais cela nous aide à « mettre de l’ordre » dans une vie quotidienne durement touchée par l’impact des sanctions états-uniennes et l’absence de réponses nécessaires.

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Il en va de même pour celles et ceux qui crient leur conviction: « Peu importe la faim et le chômage, je reste fidèle à ce processus » (« con hambre y desempleo con este peo me resteo »). D’une façon ou d’une autre, ce sont des gens qui connaissent depuis longtemps les difficultés, mais qui sont prêts à tout faire pour défendre ce en quoi ils ont appris à croire.

De tels héros et héroïnes, il y en a un nombre infini, qui restent invisibles dans les reportages des médias sur le Venezuela d’aujourd’hui. Par exemple, j’ai récemment filmé un court documentaire dans le barrio La Vega (Caracas) où chaque semaine, du lundi au vendredi, quelques femmes cuisinent pour plus de cent personnes dans l’une des cantines populaires du secteur (« comedor popular »).

« Ça commence à 9h du matin, quand les gens commencent à apporter leurs bols pour qu’on les remplisse. Parfois, il n’y a qu’un seul poulet et on le coupe en petits morceaux. Tout le monde en prend un peu et on peut utiliser ce poulet dans plusieurs repas. La même chose arrive avec la viande, le riz. Nous improvisons aussi, nous faisons des arepas (galettes traditionnelles, généralement faites avec de la farine de maïs) avec des pommes de terre, du yucca, des bananes plantains. Aujourd’hui, au Venezuela, il y a de la nourriture, ce qui manque, c’est de l’argent, un salaire pour joindre les deux bouts, donc nous devons agir collectivement« , m’a dit Alicia, l’une de ces femmes.

A certains, ces mots sembleront « conformistes », mais la vérité est que ce « conformisme » sauve cette communauté humaine, et bien d’autres, de la faim.

Parce que, d’une manière ou d’une autre, la crise économique et le blocus américain ont affecté l’accès des populations à l’alimentation et ces espaces (cantines populaires) sont devenus un moyen de prendre soin des secteurs les plus vulnérables du pays. Néanmoins, sans le courage de ces responsables féminines, rien de tout cela ne serait possible.

Je le répète : les femmes. Parce qu’au Venezuela, 70% des personnes qui dirigent les différentes organisations sociales (conseils communaux, communes, programmes alimentaires subventionnés, Comités Locaux d’Approvisionnement et de Production) sont des femmes. Ce sont elles qui, de leur sueur, soutiennent ces projets d’en bas.

De même, au Venezuela, il y a encore beaucoup de fonctionnaires honnêtes, qui non seulement essaient de faire leur travail, mais qui luttent aussi pour que les gens ne tombent pas dans les griffes de la corruption. Il y a quelques semaines, l’un d’eux m’a donné beaucoup de conseils pour que je ne tombe pas entre les mains d’un « gestionnaire » à l’heure de renouveler mon passeport.

Tou(te)s font partie d’un groupe de personnes en bonne santé qui, même au-delà de leurs penchants politiques, sont animés par une essence humaine qui surmonte toute « tentation ». Ils ou elles possèdent une honnêteté, une dignité et un dévouement à l’égard du bien-être commun qui font défaut à bon nombre de ceux qui dirigent ou dirigeraient le pays. Ils savent tous ce que signifie le sacrifice, même s’ils ne méritent pas de continuer à devoir le faire.

Cette semaine, je passais en revue un article du journaliste argentin Luis Bruschtein intitulé « Le Sacrifice ». L’un de ses paragraphes dit : « Nombreux sont ceux qui pontifient sur le sacrifice qu’exige la croissance, comme s’ils avaient jamais eu besoin de se sacrifier eux-mêmes. Mais ils le demandent aux gens, aux citoyens, au « pueblo », aux travailleurs et aux chômeurs, pour qui toute la vie n’a été qu’un sacrifice (…) Les classes moyennes et supérieures ont peut-être souffert, c’est sûr. Mais dans les secteurs les plus humbles et les plus vulnérables, l’impact de la crise est dévastateur. On le voit sur les visages, les dents, le langage corporel. Écouter des politiciens bien nourris exiger des « sacrifices » de ces gens n’engendre aucune bonne volonté. »

Et oui, la même chose s’est produite ici, des deux côtés.

La vérité est que ceux qui se sacrifient (mais jamais ceux qui exigent ces sacrifices), les héros silencieux d’aujourd’hui, celles et ceux qui possèdent une dignité que ceux d’hier n’avaient pas, devraient être la seule réponse quand quelqu’un demande : comment se fait-il que le processus politique au Venezuela reste vivant ? C’est par elles et par eux que tout reste possible.

Jessica Dos Santos

Source: https://venezuelanalysis.com/analysis/14658

Traduction de l’anglais: Thierry Deronne

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« Les États-Unis n’arrivent pas à trouver un Augusto Pinochet dans l’armée vénézuélienne »

Entretien du 12/9/2019 avec Maurice Lemoine, journaliste, écrivain, spécialiste de l’Amérique Latine, auteur de nombreux ouvrages sur ce continent dont récemment « Venezuela, chronique d’une déstabilisation« . L’ex-rédacteur en chef du Monde Diplomatique analyse la réactivation par les Etats-Unis d’un ancien traité militaire régional contre le Venezuela. Cette annonce du secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo intervient en réponse à de supposés mouvements «belliqueux» de la part du gouvernement vénézuélien le long de la frontière avec la Colombie.

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« Venezuela, le coup d’Etat manqué »: le documentaire d’Ahmed Kaballo (2019) sous-titré en français

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Le journaliste Ahmed Kaballo (Press TV, London)

« Venezuela, le coup d’Etat manqué », le nouveau documentaire du journaliste britannique Ahmed Kaballo est un antidote documenté, très précieux pour se libérer de ce que martèlent 99 % des médias depuis si longtemps.

Six semaines passées sur place en 2019 à la rencontre des diverses sensibilités politiques font pivoter le regard des effets vers les causes et permettent de découvrir les invisibles du champ médiatique. Kaballo démonte les catégories du storytelling (« Etat répressif », « crise humanitaire ») et les stratagèmes états-uniens. Il décrit la violence exercée par les insurrections de l’extrême droite contre les personnes identifiées au chavisme.

Le réalisateur révèle également les grandes occultations journalistiques, comme les ressorts de classe et de race qui propulsent un processus de changement que nombre de vénézuélien(ne)s continuent d’appuyer. « Pendant mon séjour, j’ai rencontré beaucoup de gens qui luttent contre de sévères sanctions économiques, formellement condamnées par les Nations Unies (…) J’ai rencontré beaucoup de gens critiques envers le gouvernement et beaucoup de gens qui le soutiennent, mais, surtout, des gens vivant une vie normale avec un sens profond de la communauté. Un contraste total avec ce que montrent les médias occidentaux« .

Une réalisation d’Ahmed Kaballo pour Press TV et APARAT MEDIA Productions (Londres, UK 2019). Durée : 26 min. 40 sec.

Traduction de l’anglais et sous-titrage en français: Thierry Deronne

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Une victoire

D5a2pDpWwAEQADD30 avril 2019, Caracas. Le peuple appuie massivement le Président Nicolás Maduro face à la tentative de coup d’état dirigé par les Etats-Unis et appuyé par les médias privés du Venezuela et internationaux. L’extrême droite du milliardaire Leopoldo Lopez, un temps relookée en « Obama » (Guaido), n’a pas réussi à briser l’union civico-militaire construite par Hugo Chavez.

L’image mise aussitôt en boucle planétaire d’un « blindé de l’armée vénézuélienne fonçant sur la foule », alors qu’il s’agit de véhicules utilisés par des putschistes, montre que lorsqu’un « sens commun » est sédimenté par une hégémonie médiatique, chaque « journaliste » peut grimper sur une branche de plus en plus haute de la désinformation. Cette existence d’un « Venezuela » virtuel créé par les plans serrés des caméras depuis vingt ans est une leçon pour la gauche du monde entier : comprendre que les médias actuels ne peuvent que désinformer sur ce pays comme sur les Gilets Jaunes, comme sur toute bataille de l’émancipation humaine, et légitimer les coups d’Etat ou la répression d’un mouvement social.

D’où l’urgence de passer du marketing électoraliste à des programmes politiques centrés sur la démocratisation de la propriété des médias, la fondation de nouvelles écoles de journalisme, la création d’un puissant réseau de médias associatifs et de nouvelles technologies numériques plus organisatrices que les réseaux inventés par les Etats-Unis.

T.D., Caracas, 30 avril 2019

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L’hypothèse du double gouvernement et du conflit prolongé

« Manifestants pacifiques » attaquant les passagers d’un transport en commun à Caracas

Par Marco Teruggi

Le problème de la droite vénézuélienne est de s’être fixé un objectif en l’absence des rapports de force nécessaires. En réalité, les décisions ne sont pas prises au niveau national mais aux Etats-Unis où a été conçu le plan stratégique et opérationnel des actions en cours.

La corrélation nécessaire pour renverser le gouvernement passe par le concours des classes populaires et des Forces Armées Nationales Bolivariennes (FANB). Or, aujourd’hui, à 90 jours de son déclenchement, le cycle de violences se poursuit sans l’intervention d’aucun de ces deux facteurs. Ce qui ne signifie pas que tout travail politique dans cette direction ait été abandonné.

Pour ce qui est des classes populaires, cette droite étant nettement convaincue qu’elle ne réussira pas à les faire adhérer à son appel à renverser le gouvernement, a décidé de les frapper plus durement encore au moyen de l’asphyxie économique. D’où des actions comme l’incendie d’un dépôt de denrées alimentaires – 60 tonnes parties en fumée – qui étaient destinées à des quartiers populaires, l’attaque de camions transportant des vivres pour le gouvernement ou l’augmentation des prix par le secteur privé, majoritaire au Venezuela. Elle cherche à aggraver les conditions matérielles de vie et l’exaspération, ouvrant la voie à des pillages qu’elle-même organise avec ses groupes de choc.

Quant au travail pour diviser les forces armées, la droite a opté pour plusieurs actions simultanées. L’une d’elle a consisté en une série d’attaques armées de la base militaire principale de Caracas, la Carlota, ainsi que de casernes et de bataillons situés dans divers endroits du pays, la dernière en date ayant eu lieu la nuit de mardi dernier à Acariqua ou des armes ont été volées et un soldat tué.

Une autre de ces manoeuvres consiste à démoraliser sans répit la population par le biais des réseaux sociaux, notamment avec l’appui de robots de Twitter.

Troisième élément de cette stratégie, utilisé dès le début du cycle : appeler les forces armées à désobéir aux ordres du gouvernement et à se joindre au Coup d’État. Julio Borges, le président d’extrême droite de l’Assemblée Nationale, un des organisateurs du coup d’État de 2002 contre Hugo Chavez, présenté par « Le Monde » comme une personnalité démocratique (1), vient de le répéter le 5 juillet lors d’une allocution publique, allant jusqu’à offrir l’amnistie automatique aux militaires qui renverseraient le gouvernement élu : 

L’appel au coup d’État lancé le 5 juillet par le président de droite de l’Assemblée Nationale (voir ci-dessus) et les provocations des députés d’extrême droite ont dégénéré en affrontements avec les partisans de la révolution, violences condamnées par le gouvernement. Dans les « médias » européens cela devient : « Des pro-Maduro séquestrent l’assemblée ». Sans la moindre mention de l’appel au coup d’État. (NDLR)

Mais cet ensemble de tactiques n’a pas eu le résultat escompté. N’ayant pas réussi à obtenir le soutien d’acteurs de poids comme les forces armées, ils envisagent une prolongation du scénario et semblent s’y préparer.

L’hypothèse d’un conflit prolongé repose sur deux éléments clés : le facteur politique et le facteur militaire.

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Au début du mois les partis de la droite vénézuélienne ont annoncé qu’ils organiseraient eux-mêmes un plébiscite le 16 juillet.

En ce qui concerne le facteur politique, les partis de droite se sont déjà prononcés : leur plan est de ne pas reconnaître le gouvernement de Nicolas Maduro ni l’Assemblée Nationale Constituante qui sortira des urnes le 30 juillet et d’accélérer la création de nouveaux pouvoirs publics. Ce qui veut dire essayer de mettre en place un gouvernement parallèle. Pour donner une légitimité à ce schéma d’action déjà en cours, ils ont convoqué un « plébiscite » pour le 16 juillet, hors du contrôle du Centre National Électoral et pour anticiper les élections du 30 juillet, où parmi diverses questions sera posée celle de la création de nouvelles autorités et d’un gouvernement d’unité. Leur problème n’est pas de définir si le référendum sera légal ou non, ni le nombre de votants, mais de valider leur stratégie au niveau international, médiatique et diplomatique. Mais lorsqu’ils se seront engagés dans cette voie se présentera la difficulté de donner un poids réel à ces nouvelles autorités. Il ne suffit pas d’énoncer les choses pour qu’elles arrivent, pratique récurrente chez la droite. La réaction des alliances internationales aura son importance, ainsi que l’intensification de la stratégie de violence.

Sur ce dernier point, la droite a un avantage et a un problème.

L’avantage est qu’ils ont réussi en bonne partie à donner une légitimité à leur violence, surtout au niveau international grâce à la participation active des grands groupes médiatiques et d’autres rouages de l’Empire. Selon la vulgate construite pour « fabriquer le consentement » international, il n’existerait pas de paramilitaires au Venezuela, ni de groupes de choc organisés, ni de bandes de délinquants payés pour commettre des actes de vandalisme, il n’y aurait que des étudiants, un peuple affamé, des jeunes résistant à la dictature. Les actes violents commis, tel le lancement de grenades depuis un hélicoptère sur le Tribunal Suprême de Justice, la destruction d’aliments, etc., sont qualifiés d’auto-coups d’état réalisés par le gouvernement lui-même.

Le problème est que la légitimité ainsi obtenue ne suffit pas, il s’agit aussi de disposer de forces matérielles sur le terrain. Et si de toute évidence ils ont réussi à déployer des actions de grande envergure dans différentes villes du pays pendant plusieurs jours, ils ne semblent pas réunir les conditions pour soutenir leurs positions selon un plan de « territoires libérés », par exemple.

Ils ont l’avantage de s’être acquis l’opinion internationale, mais au niveau national l’opinion reste indécise. Leur violence les discrédite et provoque le rejet de 80 % de la population, et il semblerait que l’appui de la rue leur fait défaut pour mener à bien un plan d’une telle ampleur.

Le scénario risque donc fort de se prolonger. Ils donneront une identité politique à leurs actions violentes, anonymes jusqu’à présent, et déploieront publiquement leur structure armée – allant jusqu’à se différencier des autres partis d’opposition en établissant une distinction entre la MUD (plate-forme politique des partis de droite) et la Résistance (extrême droite armée et active dans la rue). Ils disposent de deux bases arrière pour alimenter cette organisation armée : l’État de Táchira et la Colombie voisine.

Il est difficile de prévoir comment se terminerait un plan présentant de telles caractéristiques.

Certains dirigeants de droite donnent à entrevoir leurs desseins. Tel le député Juan Requesens, du parti d’extrême droite « Primero Justicia », qui vient d’effectuer un aller-retour aux Etats-Unis pour expliquer dans un forum organisé le 6 juillet à l’Université Internationale de Floride (FIU), centre cofinancé par le Southern Command du Pentagone : « Nous devons passer par cette étape de violences de rue pour en arriver à une invasion étrangère ».

D’autres questions se posent qui trouveront leur réponse dans les semaines à venir. L’une d’elles est : la droite (ou une partie de la droite) inscrira-t-elle ses candidats début août pour les élections de gouverneurs qui auront lieu au début de décembre 2017 ?

Si elle ne le fait pas, ce sera la confirmation d’un point de non retour, de l’impossibilité de résoudre le conflit par le dialogue entre les parties. Dans ce cas, l’hypothèse d’une prolongation du conflit jusqu’à une éventuelle fracture au sein des forces armées ou, à un tout autre niveau, d’une intervention étrangère se confirmerait clairement.

Par contre, inscrire leurs candidats signifierait que la résolution finale du conflit reposera en partie sur les élections.

Le scénario se modifiera aussi en fonction des résultats de l’élection à l’Assemblée Constituante du 30 juillet : une forte participation apportera une légitimité et une base politique solide au chavisme. Dans le cas contraire, la confrontation s’aggravera. La droite a annoncé qu’elle fera tout son possible pour que les élections ne puissent pas se dérouler et il est fort probable qu’un blocage des centres électoraux, des routes et des moyens de transport sera organisé avec l’utilisation de leurs organisations armées et la façade publique de leur nouvel instrument en cours d’élaboration : les Comités de Sauvegarde de la Démocratie.

Le Conseil National Électoral a déjà annoncé qu’il protègerait chaque bureau de vote.

Le scénario qui s’est ouvert au début d’avril 2017 ne semble pas prêt de s’arrêter. Les Etats-Unis ont décidé de pousser le Venezuela dans ses derniers retranchements, aux niveaux politique, social, culturel, communicationnel et militaire. Ils veulent reprendre le pouvoir politique par l’intermédiaire de la droite présente dans le gouvernement, assujettir l’économie à leurs propres intérêts et prendre une revanche massive sur un mouvement historique. Le chavisme affronte une guerre complexe et totale à laquelle il doit répondre de manière intelligente et en faisant preuve d’ un engagement ferme face à un peuple fort et créatif, comme a su le faire Hugo Chavez.

M. T.

Note :

(1) Lire « Le Monde » lâché par la BBC : Stephen Sackur démasque la droite vénézuélienne et ses rêves de coup d’État, https://venezuelainfos.wordpress.com/2017/05/25/le-monde-lache-par-la-bbc-la-droite-venezuelienne-revele-son-objectif-dun-coup-detat/

Source : https://hastaelnocau.wordpress.com/2017/07/07/la-hipotesis-del-doble-gobierno-y-el-conflicto-prolongado/

Traduction : Frédérique Buhl

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« Permettre l’utopie, organiser l’impossible » – Ma première vie, par Hugo Chávez (Conversations avec Ignacio Ramonet)

Cet ouvrage publié aux Editions Galilée (2015, 720 pages, 32€) dans une présentation très soignée peut être vu comme un document de référence pour ceux qui s’intéressent à l’histoire latino-américaine1, mais aussi comme un récit de vie profondément humain, ou encore comme une mine de réflexions sur la stratégie révolutionnaire, dans le contexte anti-impérialiste de la dernière partie du XXe siècle.

CECjHTLWMAAwkUWDéjà auteur d’une biographie à deux voix de Fidel Castro, Ignacio Ramonet a travaillé avec le président vénézuélien – rencontré dès 1999 – pendant plusieurs séances de travail échelonnées de 2008 à 2012 et à partir d’une documentation considérable. La maladie qui a emporté Hugo Chávez en 2013 n’est pas la raison pour laquelle le livre s’arrête au moment de l’investiture présidentielle. Cette « première vie » a été voulue à la fois comme une œuvred’histoire sur une période dont le recul permet une certaine sérénité et comme une approche de la personne de Hugo Chávez, de sa formation, une réflexion aussi sur son « destin ». De fait, il n’y a pas de ces allers-retours entre le présent et le passé dont les biographies sont coutumières mais dont la sincérité peut parfois être mise en doute. En totale empathie avec son interlocuteur, Ramonet relance, précise, ramène au fil de la chronologie sans juger : sur deux points seulement Chávez semble devoir se justifier, sur sa solidarité « patriotique » avec le terroriste Carlos, sur ses relations avec l’Argentin Rafael Ceresole aux thèses antisémites « inacceptables ».

L’évocation de l’enfance est pleine de couleurs, de senteurs et de sentiments, dans les LLanos, ces plaines de cet Etat de Barinas que « Huguito » ne quittera qu’à 15 ans pour aller à l’Académie militaire de Caracas. Une famille pauvre de paysans sans terre, des parents maîtres d’école qui le confient pour être élevé à une grand-mère qu’il vénère2. Une région de métissage où lui-même porteur de sang noir, indien et blanc dit que le racisme n’existait pas. Par contre l’histoire des luttes sociales y est très présente : c’est le peuple y garde la mémoire d’Ezequiel Zamora, chef d’une révolution paysanne que Chávez qualifie de « présocialiste » et liée au mouvement des idées en Europe en 1850-1860. Sa famille a éloigné la mémoire d’un autre héros local qualifié d’assassin, « Maisanta » qui est son aïeul et sur lequel il fera des recherches prolongées : en fait, un des derniers guérilleros à cheval, un rebelle politique. Dans une zone où le pétrole a causé l’exode rural, les guérillas ne peuvent plus prospérer, analyse Chávez ; il en verra les derniers épisodes dans l’État de Sucre, en tant que jeune officier chargé de la répression. Il en retire une profonde horreur de la violence et l’analyse politique de ce qu’une rébellion sans le peuple est condamnée à l’échec.000_Mvd64743331

Sur le jeune Chávez, notons encore l’empreinte du catholicisme : le Christ fera définitivement partie de son panthéon, à côté de Simón Bolívar et Ezequiel Zamora. Notons la soif d’apprendre et la mémoire d’un excellent élève, la façon dont il a appris à former son esprit avec l’Encyclopédie autodidactique Quillet, alors qu’il rêve de devenir peintre, puis joueur de base-ball. Notons son caractère éminemment sociable : animateur, organisateur de concours de beauté… il est populaire, partout à l’aise, toujours prêt à chanter, il ne lui sera pas difficile, pour suivre Gramcsi « d’être le peuple » plutôt que « d’aller au peuple »3.

Sa formation militaire sera aussi une formation scientifique et politique. Dans les transmissions puis dans les blindés, le jeune sous-lieutenant s’interroge encore sur sa vocati,on. Il découvre une armée vénézuélienne où la troupe est formée des fils du peuple les plus humbles, tandis que les officiers proviennent des couches moyennes ou supérieures avec d’ailleurs certains progressistes (à plusieurs occasions, et parfois au travers d’anecdotes savoureuses, on découvre comment les activités clandestines deChávez sont percées à jour par ses supérieurs et font l’objet d’une certaine bienveillance, de même que le traitement des mutins emprisonnés). Appliquant la notion d’alliance civico-militaire due à Fabricio Ojeda4, Chávez prend conscience du rôle social et politique du soldat, et fait de l’alphabétisation au sein de l’armée.

Or, suite à la nationalisation du pétrole en 1976 et malgré l’argent qui coule à flot, les inégalités sociales et le mécontentement s’accroissent. Chávez participe au Mouvement Rupture et est proche du parti d’extrême gauche Causa R. Il travaille à implanter dans l’armée des cellules bolivariennes et recrute en profitant même de ses activités officielles d’instructeur.

Devenu capitaine de parachutistes en 1982, il crée à la fin de la même année un MBR-200 (Mouvement bolivarien révolutionnaire-200) bien modeste : 8 ou 10 officiers, 20 ou 30 élèves officiers au début. Il faudra compter 10 ans avant le déclenchement d’une première rébellion, années qu’il est impossible de résumer ici mais que ponctue le Caracazo, grand soulèvement populaire du 27 février 1989 dû au virage austéritaire néolibéral du président social-démocrate Carlos Andrés Pérez, et qui se termine dans le sang. « Le peuple nous a pris de vitesse », analyse douloureusement Chávez. Trois ans plus tard, l’alliance civico-militaire sera au rendez-vous lors du « 4-F », 4 février 1992, qui parvient presque à la prise de pouvoir. Le Commandante en attribue l’échec à la démoralisation de la gauche. Il est fait prisonnier avec 300 officiers et 10 000 soldats.

Paradoxalement, c’est l’intervention télévisée de 50 secondes qu’il fait pour expliquer la reddition qui sera au départ de son immense popularité et implante l’idée que le dernier mot n’est pas dit. Une seconde rébellion, principalement due à l’armée de l’air, se produit en novembre. Chávez la soutient mais sans participer à sa direction stratégique. La conspiration reprend en prison, période « féconde » pour travailler sur le programme politique, la démocratie participative, les modalités d’une assemblée constituante… Tant et si bien que lorsque Chávez est libéré en 1994, sous condition de démissionner de l’armée, il est prêt à faire ouvertement campagne dans une longue tournée à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Il reçoit notamment à La Havane un accueil exceptionnel de Castro. Le voilà plus clairement perçu sur le nuancier politique mais aussi cible d’une propagande violente de plusieurs bords. La réflexion le conduit alors à préférer désormais l’action électoraliste à l’action militaire, et face aux critiques de la gauche il se décide à « assumer le leadership que le peuple [lui] réclamait ».

Finalement, en avril 1997, le Mouvement Ve République est lancé et la pré-candidature deChávez annoncée. On sait la suite avec les 56,20 % de voix obtenues aux présidentielles du 6 décembre 1998.

La fin du livre revient sur des notions plus générales, le socialisme, la révolution et sur un « mythe Chávez » qui n’était pour l’intéressé que l’expression d’une espérance collective, destinée à être dépassée pour que le « mythe du nouveau Venezuela » puisse émerger, pour que l’utopie (bolivarienne) soit enfin possible, et c’est pour pour cela que Chávez dit avoir surmonté ses doutes en travaillant à organiser l’impossible5.

Voilà donc gros ouvrage qui peut être le compagnon de longues semaines d’été. L’histoire a beau se dérouler sur un autre continent et au siècle dernier, je mets le lecteur au défi de ne pas en tirer de fructueuses réflexions pour le monde dans lequel nous vivons !

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Un briseur de protocole. Ici à Caracas conversant avec un jeune SDF. Ci-dessous lors d’une promotion d’officiers.

Un président qui cassait le protocole. En haut, avec un jeune SDF, en bas lors d'une promotion d'officiers

Avec les travailleurs du Mouvement des Sans Terre (Brésil, Tapes, janvier 2003)

Avec les travailleurs du Mouvement des Sans Terre (Brésil, Tapes, janvier 2003)

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Dans le llano vénézuélien

à la rencontre du peuple haïtien

A la rencontre du peuple haïtien

Notes

  1. Le lecteur peu familier avec le contexte historique sera aidé par les notes concernant les centaines de personnages mentionnés et par l’index qui les regroupe. []
  2. Sur le machisme, il écrira : « La femme libre libère le monde… la femme libre nous libère, nous, les hommes. » []
  3. Pour lui, c’est le peuple « l’intellectuel organique ». []
  4. Il lit alors beaucoup d’histoire et de stratégie militaires et évoque Mao : le soldat au milieu du peuple comme le poisson dans l’eau. []
  5. Marc Aurèle : « Le secret de toute victoire réside dans l’organisation de l’impossible. » []

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