Révolution dans la révolution : Maduro nomme un leader communard ministre des Communes

En visite surprise le jeudi 6 juin 2024 sur les terres de l’autogouvernement de la commune rurale d’El Maizal pour donner le coup d’envoi des semailles, Nicolas Maduro coiffait la casquette du Mouvement des Sans Terre du Brésil. En 2005, Hugo Chávez avait signé avec ce mouvement social un accord de coopération, et depuis lors son équipe de formateurs en agroécologie travaille sur ces terres communardes comme dans le reste du Venezuela. Le lieu est hautement symbolique : bastion d’un chavisme authentique, originaire, où en 2009, le président Chávez a remis aux paysan(ne)s 2.000 hectares de terres expropriées d’un grand propriétaire terrien afin de progresser vers ce qu’il a appelé l’État communal.

La commune d’El Maizal est située à l’entrée de la région des Llanos, au Venezuela, entre les États de Lara et de Portuguesa. Elle se distingue comme l’une des communes les plus solides du Venezuela, car elle abrite environ 3.500 familles et dispose de vastes zones consacrées à la culture du maïs et à l’élevage de bétail, ainsi qu’à diverses initiatives productives. C’est sur les épaules de ces « comuneras » et des « comuneros » de la marche paysanne, sur un chemin de terre, que le président a effectué son premier« vol plané » communard….

Plus loin, Nicolas Maduro a mis l’accent sur la production locale de tabac et a distribué près de 4.000 nouvelles lignes de crédit à des petits producteurs individuels de cet état rural. Dans le lotissement Ernesto Che Guevara de Cabudare, il a remis à une famille populaire le 5 millionième des appartements que son gouvernement ne cesse de construire depuis que Chávez a créé en 2011 la « Gran Mision Vivienda » pour les familles qui n’ont pas les moyens d’acheter leur propre logement. Le président bolivarien a expliqué les plans d’en construire 3 millions de plus dans les 6 prochaines années et d’en rénover plus de 2 millions parmi ceux déjà remis, avant de signer en direct la nouvelle loi organique du pouvoir populaire : « Nous devons construire un nouvel État moderne, éminemment populaire, au service du peuple, un État qui balaie la bureaucratie, la paperasserie, la corruption, les formalités et qui, à l’heure du numérique, simplifie tout pour faciliter la vie du peuple et le développement des communes au niveau national ». Et de rappeler que seront organisées quatre consultations budgétaires par an pour choisir les projets des autogouvernements populaires (c’est ce que signifie le mot « commune » au Venezuela). En avril 2024, 15.617 bureaux de vote répartis dans 49.000 conseils communaux du Venezuela avaient déjà permis aux citoyen(ne)s de donner au Ministère des Communes une première liste des projets à financer et à mettre en œuvre rapidement (1).

« J’ai besoin, à la tête du bataillon principal pour la construction des communes, des conseils communaux, à la tête du Ministère des Communes, d’un leader qui vient de la base, avec un projet abouti comme celui de la commune d’El Maizal ». La surprise du jour fut l’annonce par Maduro de la nomination du leader communard Angel Prado au Ministère des Communes et des Mouvements Sociaux (en remplacement de Guy Vernaez qui occupait ce poste depuis février 2024). Prado est un des coordinateurs de l’Union Communarde, cofondateur de la Commune d’El Maizal et depuis 2021, maire de Simón Planas, la municipalité qui englobe la majeure partie d’El Maizal, ainsi que 11 autres communes. Maduro lui a confié plusieurs missions prioritaires dont « transférer immédiatement les ressources nécessaires à l’exécution des projets des communes, prévoir le financement de chaque projet arrivé en deuxième position lors du vote d’avril, enfin – ligne stratégique -, réactiver à fond le moteur économique des communes, les aider à produire des aliments, de l’artisanat, à monter de petites industries ». Le 12 juin, le nouveau ministre commence une tournée de terrain, d’assemblée en assemblée communardes, à travers tout le Venezuela : « Nous avons un gouvernement qui nous appuie et nous soutient (…) Nous devons passer à une autre étape de la révolution ».

Mon documentaire « Nostalgiques du futur » raconte la genèse de la décision de Maduro : la lutte, les visages, les idées des membres de la commune dont est issu Angel Prado, le féminisme populaire qui la caractérise, la campagne collective et victorieuse d’Angel à la mairie. Ce film est disponible en ligne sur la plate-forme des Mutins de Pangée : https://www.cinemutins.com/nostalgiques-du-futur. Le journaliste Maurice Lemoine en parle ici : https://www.medelu.org/A-propos-d-un-film-sur-le-Venezuela. Pour les projections du film, vous pouvez contacter blogvenezuelainfos@gmail.com

Thierry Deronne, Caracas le 11 juin 2024.

Photo : Nicolas Maduro et le leader communard Angel Prado, entourés des communard(e)s d’El Maizal, le 6 juin 2024.
Photo: le 11 juin 2024, le nouveau Ministre des Communes et des Mouvements Sociaux Angel Prado en réunion au ministère, à Caracas, avec (entre autres) le communard et conseiller municipal au logement de Caracas Jesus Garcia – autre personnage du documentaire « Nostalgiques du futur« .

Ci-dessous : première des assemblées communardes, le 12 juin, à Caracas, pour faire part des propositions populaires au ministre.

Photos tirées du documentaire « Nostalgiques du futur ».

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Pour mieux comprendre l’identité politique du communard Angel Prado, nous publions ci-dessous l’entretien mené en février par Chris Gilbert et Cira Pascual Marquina.

Q Certains de nos lecteurs connaissent peut-être El Maizal mais pourriez-vous nous donner une description générale de la commune ?

Angel Prado – El Maizal est un ensemble d’expériences, de pratiques, de victoires et de défaites. Mais fondamentalement, il s’agit d’un programme et d’un projet légués par Chávez, un programme qui détermine notre identité et notre structure organisationnelle. Nous cherchons à y matérialiser le mode de vie communautaire, qui repose sur la recherche de méthodes et d’approches politiques novatrices pour construire un monde meilleur. Il est important de souligner que ce nouveau mode de vie n’est pas guidé par des principes capitalistes, mais centré sur les ressources communales et la préservation et la préservation de la dignité de tous. La commune d’El Maizal est un autogouvernement populaire qui comprend 27 conseils communaux et gère 2335 hectares de terres communales. En outre, elle a tissé des liens avec les communes voisines de Simón Planas et avec l’ensemble du pays, par l’intermédiaire de l’Union communarde (« Unión Comunera »), une organisation nationale regroupant plus de 50 communes. Cette collaboration est de la plus haute importance et fait écho à l’avertissement de Chávez selon lequel les communes isolées risquent de succomber au système hégémonique capitaliste. Je crois que la commune d’El Maizal joue un rôle crucial dans notre société et dans notre classe sociale, car elle reste fidèle à la vision de Chávez. Ainsi, notre commune, comme beaucoup d’autres, peut inspirer des mouvements populaires dans tout le pays et même dans le monde entier.

Q – Les communes sont plus que de simples entités politiques ; Elles représentent un modèle économique émergent basé sur de nouvelles relations sociales. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Angel Prado – La lutte contre le capitalisme se fait à grande échelle, elle implique le démantèlement des normes existantes, notamment celles relatives à la propriété. D’où l’accent mis sur le fait que la propriété collective, la communalisation du travail et la répartition des ressources excédentaires est primordiale. Notre objectif est d’établir une culture de la propriété collective qui s’oppose à l’individualisme promu par le capitalisme. Cela implique d’unir les gens, de s’organiser au sein de la communauté et pour la communauté, et de sauvegarder nos moyens de production, tout en allant vers l’industrialisation et la distribution directe. En fin de compte, nous aspirons à contrôler l’ensemble du cycle de production. Compte tenu de notre statut de producteurs primaires, le surplus de notre production communautaire se retrouve souvent sur le marché capitaliste. Il s’agit là d’un problème grave qui souligne l’importance de l’industrialisation communale intégrale. Ce que je dis ne s’applique pas seulement à la commune d’El Maizal, mais à toutes les communes : l’industrialisation est essentielle. Sans elle, les communes risquent d’être reléguées à une économie de survie en marge du système capitaliste dominant. Après la chute de l’Union soviétique, de nombreux militants de la gauche mondiale se sont détournés de l’idée d’acquérir un pouvoir d’État. Mais on peut dire que Chávez a contribué à redéfinir le concept de « prise de pouvoir » dans les milieux de gauche.

Q À Simón Planas, le mouvement communard s’est efforcé de s’implanter au sein d’une structure de pouvoir institutionnelle existante : la mairie. Cet objectif a été réalisé en soutenant votre candidature triomphante à la mairie. Mais pourquoi était-il si important de contrôler cette institution ?

Angel Prado – En tant que chavistes et communards, notre objectif est de contrôler les ressources existantes et de les mettre au service du peuple. Dans notre cas, cela implique de prendre le contrôle des moyens de production et des institutions publiques de notre municipalité. El Maizal a une longue histoire de communalisation des terres vacantes et des moyens de production. Nous avons déjà pris le contrôle des moyens de production, mais plus récemment, nous avons pu prendre le contrôle de la mairie en participant aux élections. Comme Chávez, nous n’avons pas évité de telles batailles. Un gouvernement local peut faciliter ou entraver les progrès vers les objectifs de la commune, mais nous, nous sommes déterminés à les atteindre. Suivant l’exemple de Chávez, nous croyons qu’il faut défier l’autorité : la prendre et l’utiliser au service du peuple.

Au début, nous avons dû faire face à de nombreux défis en raison d’un scepticisme généralisé. Cependant, nous avons montré qu’avec de la détermination politique, le respect des principes et un objectif clair, nous pouvons gérer avec compétence la gouvernance municipale, en donnant la priorité aux intérêts de la population. Les intérêts des citoyens sont prioritaires. Bien sûr, cela ne reste qu’un outil, le véritable moteur de la transformation sociale est le mouvement communard. Si nous considérions la mairie comme l’épicentre de la politique, nous échouerions en tant que révolutionnaires et chavistes. Car nous négligerions ce qui devrait être le cœur de notre existence politique et économique : la commune.

Q Après votre élection comme maire de Simón Planas, les institutions municipales se sont attaquées rapidement à un certain nombre de questions liées aux infrastructures, à la santé et à l’éducation. Comment contribuent-elles à l’objectif stratégique de ce « socialisme communal » ?

Angel Prado – Depuis la mairie, nous avons constamment encouragé les débats, les référendums et les processus de prise de décision collective. La consultation est un élément fondamental de notre modèle de gouvernement, qui aspire à devenir de plus en plus communal. Par exemple, il y a un an, nous avons organisé un référendum sur le budget participatif. L’objectif principal était d’abolir les règles municipales obsolètes qui persistaient depuis plus de vingt ans et qui entravaient notre capacité à allouer des ressources, à promulguer des lois et à cogouverner avec la communauté. Le référendum avait plusieurs objectifs concrets : nous cherchions à redistribuer les fonds qui étaient auparavant sous le contrôle des hauts fonctionnaires au profit de la société civile. Nous voulions redistribuer les fonds qui étaient auparavant sous le contrôle des hauts fonctionnaires à des projets publics, et nous voulions démocratiser les processus clés de prise de décision, en les mettant entre les mains du peuple. Ce référendum a été un succès. Il a suscité une forte participation et a jeté les bases d’un nouveau modèle de gouvernement dans lequel les ressources, l’information et la prise de décision ne sont plus monopolisées par quelques privilégiés. La communauté joue désormais un rôle actif dans la trajectoire politique et économique de Simón Planas, renforçant ainsi l’organisation communale.

Q – Certains des camarades avec lesquels nous avons discuté ici à terme, le « gouvernement communal » devrait remplacer la mairie. Mais que représente réellement un « gouvernement communal » dans ce contexte ?

Fondamentalement, un gouvernement communal est un gouvernement dirigé par le peuple et pour le peuple. Il se matérialise lorsque la communauté se fixe collectivement des objectifs et participe activement à leur planification et à leur mise en œuvre. Un gouvernement communal fonctionne avec autonomie, souveraineté et liberté, prenant des décisions sans contraintes institutionnelles. Suivant la vision de Chávez, notre objectif est de démanteler les anciennes institutions, comme le gouvernement municipal, et de créer des espaces autogérés entièrement voués à construire une société communale.

Source : https://unioncomunera.org/noticias/el-equilibrio-entre-el-poder-institucional-y-el-comunal-dialogo-con-angel-prado

Traduction : Thierry Deronne

Note

(1) Lire « Au Venezuela, les communardes continuent à créer l’état nouveau » : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/23/au-venezuela-les-communardes-continuent-a-creer-letat-nouveau/

Photos : Victor Hugo Rivera, documentaire « Nostalgiques du futur », Terra TV.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/06/11/revolution-dans-la-revolution-maduro-nomme-un-leader-communard-ministre-des-communes/

Une réponse

  1. bonjour chez vous

    j’ai entendu à la radio que le Venezuela refusait les reportaires étrangers pour la surveillance des élesctions en Juillet, est ce vrai? si oui, est à cause des sanctions.

    Carter disait que c’était les élections les plus transparantes, que ce passe t’il?

    merci de m’éclairer

    marie-paule.anton@laposte.net

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