Venezuela : douze points sur les « i » d’élections présidentielles.

Par Thierry Deronne, Caracas.

1. Depuis la victoire électorale de Hugo Chávez en décembre 1999, le Venezuela a organisé 35 élections en 24 ans, dont un référendum sur la nouvelle Constitution. Le chavisme a perdu deux élections nationales. La droite a fait élire des gouverneurs, des députés, des maires et des conseillers municipaux. La transparence du système électoral vénézuélien, à double vérification, électronique et imprimée, a fait dire dès 2012 à Jimmy Carter qu’«en le comparant aux 92 processus électoraux que j’ai observés dans le monde entier, le système électoral vénézuélien est le meilleur du monde» (1). Dans l’isoloir, l’écran numérique permet à l’électeur/trice de voter sur écran puis de lancer l’impression de son vote, qu’il ou elle vérifie et plie avant de le déposer dans l’urne à proximité. Tous les partis et observateurs peuvent ainsi comparer les votes électroniques avec les votes imprimés, dans n’importe quel bureau, partout où ils le souhaitent. Les élections les plus récentes (2021) ont été validées par l’ensemble des observateurs internationaux. (2)

2. A la suite de l’«Accord des Barbades» (3), cosigné par le gouvernement du Venezuela et l’opposition de droite en octobre 2023, 40 partis d’opposition ou pro-chavistes – soit 97% des partis politiques -, et 155 délégué(e)s des principaux secteurs économiques, culturels, religieux et sociaux du Venezuela, se sont réunis pendant plusieurs jours à Caracas pour définir une feuille de route électorale (photos). Cet accord, relu et signé par toutes les parties le 4 mars 2024, a permis au Centre National Électoral (CNE) de fixer la date des présidentielles au 28 juillet.

Seule à refuser de prendre part à ces réunions : l’oligarque d’extrême droite Maria Corina Machado, admiratrice du Likoud, qui a participé à tous les coups d’État contre Chávez et Maduro, avant d’être déclarée inéligible par la justice, comme la justice brésilienne l’a fait pour le putschiste Bolsonaro. En cause : son implication dans le réseau de corruption de Juan Guaido, sa participation à l’organisation des violences, ses appels à l’invasion armée du Venezuela par les États-Unis, et avoir représenté un pays étranger (le Panama) pour appuyer cette intervention (alors qu’elle était députée vénézuélienne) ce qui est interdit par la Constitution (4). Cette décision a été confirmée en appel par la Cour suprême du Venezuela. Ces dernières semaines, son parti «Vente Venezuela», qu’elle a toujours refusé d’inscrire au Conseil National Électoral, a renoué avec les méthodes insurrectionnelles pratiquées en 2014 et en 2017 (attentats contre le président Maduro, violences de rue, destructions de services publics). Plusieurs militants du premier cercle de la dirigeante ont été arrêtés alors qu’ils préparaient des violences et un attentat contre le président (5). Ils ont aussitôt été présentés par Machado, Washington et les grands médias comme des «prisonniers politiques». Comme l’explique Ignacio Ramonet, «depuis des années, les dénonciations du gouvernement bolivarien sur les déstabilisations et les attentats terroristes sont occultées ou traitées avec les guillemets de l’ironie par les grands médias».

3. Les élections présidentielles de 2024 auront le deuxième plus grand nombre de candidats depuis 31 ans (6). Sur les treize candidats en lice pour la présidentielle, douze appartiennent à l’opposition (en majorité de droite, mais aussi de l’évangélisme ou de la social-démocratie). Ces partis vont d’«Acción Democrática» et «Copei», venus de l’ancien régime bipartisan qui a gouverné le pays pendant 40 ans, à «Fuerza Vecinal», récemment issu d’une dissidence de l’extrême droite. Le président sortant, Nicolás Maduro, a été choisi comme candidat par les onze organisations politiques du «Gran Polo Patriótico Simón Bolívar». Dans cette coalition de la gauche, le principal parti chaviste – le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) -, est le seul à avoir organisé des primaires avec plus de quatre millions et demi de sympathisant(e)s, militant(e)s et dirigeant(e)s de base qui ont tenu des assemblées dans près de 50.000 communautés populaires de tout le pays.

4. Actuellement, les sondages de la firme privée Hinterlaces donnent une majorité à Nicolas Maduro (7). Son directeur Oscar Schémel explique: «A peine 9 % des Vénézuéliens sympathisent avec un parti d’opposition. C’est le niveau le plus bas jamais atteint. La plupart de ses dirigeants sont rejetés par l’opinion publique à plus de 80 % – Juan Guaidó, Capriles, Henry Ramos et d’autres, à cause de leurs conflits internes mais aussi des sanctions occidentales qu’ils ont promues et des souffrances sociales générées (…) Pendant 25 ans, nous n’avons vu de la part de l’opposition aucun programme structurel (à part renverser le gouvernement bolivarien), aucune présence massive dans les rues. L’opposition a perdu la capacité de diriger une meeting dans un quartier populaire, elle «a perdu la rue». Une bonne partie de ses victoires est due au vote des mécontents des mauvaises gestions gouvernementales. (…) Par contre, le chavisme est la seule force politique qui, en 25 ans, a proposé un plan à long terme. Une sorte de «culture chaviste» s’est installée, mettant au cœur de la politique les thèmes de l’égalité, de l’inclusion de celles et ceux qu’une sorte d’apartheid avait écarté de la participation politique.» Les agences de renseignement des États-Unis sont arrivées à la même conclusion qu’Hinterlaces: le dirigeant vénézuélien Nicolás Maduro remporterait les prochaines élections présidentielles de la nation sud-américaine en juillet. (8)

5. Après les années les plus dures d’un blocus occidental dénoncé par les rapporteurs de l’ONU (9), et qui a entraîné la mort de 100.000 personnes, Hinterlaces note aussi que « 81% des électeurs vénézuéliens retrouvent l’espoir. » L’ex-Président et économiste Rafael Correa a expliqué récemment que malgré le blocus et les 926 sanctions renouvelées en mars 2024 par l’administration de Joe Biden, les chiffres de la CEPAL (ONU) indiquent que les politiques du gouvernement révolutionnaire (stimulation de la production nationale, alliances multipolaires..) permettront d’atteindre de nouveau cette année la croissance la plus élevée d’Amérique du Sud. L’hyper-inflation a été freinée: l’inflation du troisième trimestre 2023 fut la plus basse depuis 2012. Ce qui explique le retour progressif des migrant(e)s qui avait fui le pays massivement à partir du blocus occidental.

6. Pour s’inscrire aux présidentielles, toutes les organisations politiques qui le voulaient se sont enregistrées auprès du Centre National Électoral (sans le moindre obstacle, en respectant la législation électorale). Mais «Vente Venezuela», le «parti» d’extrême droite de Maria Corina Machado, n’a jamais demandé à être inscrit, et n’a jamais participé à une élection. Plus que d’un parti, il s’agit d’une ONG (financée par les États-Unis) qui s’est fait connaître en 2023 par le biais d’une «primaire de l’opposition» controversée, menée avec un énorme battage médiatique international mais sans inscription sur les listes électorales et avec pour seul arbitre l’ONG «Súmate», dont María Machado est membre fondatrice. Les cahiers de vote ont été détruits après le scrutin. Dès juin 2004, l’économiste états-unien Mark Weisbrot du CEPR a dénoncé devant la sous-commission des affaires de l’hémisphère occidental du Sénat états-unien, le financement de Súmate par la NED (une des façades de la CIA). (10)

7. Comme dans de nombreux pays, en Espagne par exemple, la loi électorale vénézuélienne prévoit que chaque parti qui souhaite inscrire une candidature nomme un représentant légal auprès du Conseil Électoral. Seul ce représentant légal dispose du mot de passe pour introduire les données dans le système. Ne s’étant jamais inscrite et n’ayant aucun représentant légal, Maria Corina Machado n’a pas pu entrer dans le système, tout en affirmant devant les caméras que la page était «bloquée pour elle par la dictature». En réalité, la dirigeante savait dès le départ qu’elle ne pourrait pas participer aux élections. Pourquoi, dès lors, cette mise en scène ? Explications.

8. L’an passé, Washington avait accepté de lever temporairement plusieurs des 926 sanctions contre le Venezuela, tout en menaçant de les reconduire en 2024 si Maria Corina Machado ne figurait pas parmi les candidats. En clair, les États-Unis veulent imposer la raison du plus fort contre la loi électorale du Venezuela. C’est ce sentiment de puissance que lui donne l’appui de Washington et de l’internationale médiatique, qui permet à Machado d’affirmer, devant les médias, que la «dictature l’empêche de se présenter».

9. Les médias occultent que la majorité de la gauche et des mouvements sociaux latino-américains, comme les Mouvements de l’ALBA ou le Réseau des Intellectuels en Défense de l’Humanité, appuient la démocratie vénézuélienne face à cette manœuvre. Sans Terre, féministes, communistes, syndicalistes, afrodescendant(e)s, responsables du PT (parti de Lula) : un manifeste signé par de nombreux partis de gauche et mouvements populaires brésiliens dénonce la désinformation sur les élections au Venezuela et appelle la gauche mondiale à exprimer sa solidarité (11). La Présidente du Honduras (également présidente de la CELAC) Xiomara Castro demande que cessent les «ingérences extérieures dans les élections vénézuéliennes» et, répondant favorablement à l’invitation du gouvernement bolivarien, enverra sur place une équipe d’observateurs électoraux (12). Comme le Honduras, le Nicaragua ou Cuba, la Bolivie de Lucho Arce exprime dans un communiqué officiel sa solidarité avec «la République bolivarienne du Venezuela, son peuple et notre frère le président Nicolas Maduro face aux menaces et aux actions de certaines organisations d’extrême droite qui, au lieu de se joindre à la compétition électorale comme l’ont décidé d’autres organisations d’opposition, s’emploient à déstabiliser les élections et le système politique vénézuélien. (…) Les États-Unis doivent respecter l’autodétermination du Venezuela et abandonner leurs plans d’ingérence et d’intervention.» (13)

Position semblable du célèbre «Groupe de Puebla» qui regroupe des (ex-) présidents et leaders latino-américains progressistes : «Nous sommes témoins que le gouvernement et l’opposition se sont engagés dans un dialogue intensif ces derniers temps (…) Cette étape doit garantir que la voie électorale pacifique est le moyen de régler les différends, de légitimer pleinement le processus électoral et de mettre fin aux voies déstabilisatrices, aux interventions, aux actions militaires, aux sanctions économiques ou à d’autres actions de force, toutes incompatibles avec la voie démocratique.» (14)

Pour sa part l’ex-président Evo Morales lance « un appel fraternel à tous les gouvernements et à toutes les organisations politiques et sociales de gauche, progressistes et humanistes pour qu’ils ne se laissent pas entraîner par la désinformation sur ce qui se passe au Venezuela. Comme aujourd’hui, d’autres attaques préparées par l’impérialisme ne manqueront pas de se produire plus tard. Il est de notre devoir de défendre le processus révolutionnaire initié par le Président Chávez et poursuivi par notre frère le Président Nicolás Maduro. »

Le 5 avril, le président du Mexique Lopez Obrador dénonce : « le Venezuela est attaqué par la droite du monde entier, tout comme Cuba. Nous connaissons ce type de guerre sale » et exige de laisser le Venezuela mener ses présidentielles « sans ingérence, et que le peuple choisisse librement, et en paix ». (15)

Le monde multipolaire manifeste également son appui. Le porte-parole des Affaires Étrangères de la Chine a déclaré: «Nous soutenons le Venezuela dans l’organisation des élections conformément à sa constitution et à ses lois, lui souhaitons plein succès dans ce scrutin et nous nous opposons à toute ingérence extérieure dans ses affaires intérieures. La Chine appelle la communauté internationale à jouer un rôle positif et constructif à cette fin.» (16) Comme pour les élections de 2021, l’ONU a accepté l’invitation du gouvernement bolivarien à envoyer son équipe d’observateurs (17), arrivée le 23 avril. Dans les prochaines semaines arriveront au Venezuela les équipes du Centre Carter et de l’Union Européenne (18).

10. Lorsque des fonctionnaires des affaires étrangères de Colombie et du Brésil, dont les présidents sont des alliés du Venezuela, ont émis des communiqués en phase avec les médias dominants et critiqué la non-inscription de Maria Corina Machado, les grands médias ont aussitôt annoncé «la rupture de Lula et de Petro avec Maduro». C’est faux. Les relations bilatérales se poursuivent sans obstacles (19). Quelques jours plus tard, le 9 avril, s’est tenue à Caracas la cinquième réunion de travail entre les présidents Maduro et Petro pour renforcer les relations bilatérales en économie et en politique. Le mandataire colombien a rencontré également des partis d’opposition, et la Colombie a accepté l’invitation du Venezuela d’envoyer une équipe d’observateurs électoraux aux élections du 28 juillet. En outre la guérilla de l’ELN et le gouvernement colombien vont se retrouver à Caracas pour avancer dans le processus de paix. Pour le président Petro, « le Venezuela peut beaucoup nous aider, comme il l’a souvent fait, à surmonter le problème des conflits armés. » (20)

Photo : Caracas, le 9 avril, cinquième réunion de travail entre les présidents Maduro et Petro pour renforcer les relations bilatérales.

Quant au Président Lula, il a expliqué à la presse, le 23 avril 2024, que la droite a enfin nommé un candidat unique aux présidentielles de juillet (écartant la putschiste Machado, inéligible), qu’il y aura des observateurs internationaux, que le Brésil en sera volontiers, et redemande aux USA – comme l’ont fait ses homologues colombien et mexicain -, de lever les 936 « sanctions » pour favoriser le retour des migrants économiques.

Le Coordinateur National du Mouvement des Sans Terre du Brésil Joao Pedro Stedile, les analystes Walter Smolarek de Liberation News, Zoe Alexandra de People’s Dispatch (21), les journalistes brésiliens Breno Altman d’Opera Mundi et Lorenzo Santiago de Brasil de Fato (22), l’historien Vijay Prashad du Tricontinental Institute, ont démonté la fake news de la « candidate exclue » diffusée par l’extrême droite vénézuélienne.

Une réponse particulièrement intéressante est venue du politologue espagnol Juan Carlos Monedero, ex-dirigeant de Podemos (23): «Je crains que Lula et Petro n’aient pas été informés par ces fonctionnaires sur ce qui s’est passé au Venezuela. Ne soyons pas dupes. Les États-Unis ne veulent pas que Nicolas Maduro gagne les élections et recommencent à les saboter. Le problème de l’opposition vénézuélienne, ce sont ses divisions. L’inégibilité de Maria Corina Machado n’a constitué une surprise pour personne au Venezuela. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elle n’a tenu aucun compte de la législation vénézuélienne ni de ce que dit l’«Accord des Barbades» signé par le gouvernement et l’opposition. Les milieux d’affaires vénézuéliens ne veulent pas de Machado au pouvoir car ils savent qu’elle déclencherait une guerre civile. La population déteste l’alter ego de Machado, Juan Guaido, pour les milliards de dollars qu’il a volés et pour les sanctions qui ont causé tant de souffrances. Machado a été jugée et condamnée pour exiger une intervention militaire des États-Unis. C’est comme si les juges espagnols déclaraient inéligible un politicien qui demande par exemple qu’on bombarde l’Espagne ou qui promeut la violence ou la désobéissance à la Constitution espagnole. Pour beaucoup moins que ça, en Espagne, nous avons jugé inéligibles beaucoup de personnes.

Monedero conclut : «Restons humbles: ce qu’on ne veut pas pour son pays, on ne peut le vouloir pour un autre pays. Comme l’avait d’ailleurs dit Lula, la droite vénézuélienne devrait cesser de pleurer et se chercher un autre candidat. Machado a préférer jouer à la victimisation. Le reste de la droite le sait, et a refusé d’inscrire sous sa bannière Machado ou la candidate de substitution qu’elle voulait imposer au dernier moment. La droite a fait savoir à Machado qu’elle n’acceptait pas qu’elle prenne des décisions sans les consulter, puis lui a joué un bon tour en nommant par surprise, in extremis, son propre candidat: Manuel Rosales,le gouverneur du Zulia, qui s’était déjà présenté contre Chávez. Bref, quand Machado crie à la «dictature», ou quand elle dit que la page électronique du Centre national Électoral est «bloquée pour elle», etc… la réalité est tout simplement qu’elle n’a pas de base légale pour présenter sa candidature et que les partis de droite lui ont préféré un autre candidat.» (24)

La droite vénézuélienne elle-même a reconnu, le 16 avril, que Maria Corina Machado « ne croit pas aux élections et veut toujours jouer la carte de la violence » (25).

11. Maria Corina Machado est la fille d’un magnat de l’acier vénézuélien, Henrique Machado Zuloaga, dirigeant de Sivensa, une des plus grandes entreprises sidérurgiques du Venezuela (26), nationalisée en 2008 par Hugo Chávez lorsqu’il commença une politique de redistribution en faveur des plus pauvres. Machado en a gardé une soif de vengeance et incarne parfaitement l’oligarchie raciste du Venezuela pressée d’effacer la révolution bolivarienne et l’inclusion de la population métisse. Son projet est de replacer le Venezuela sur orbite états-unienne, et d’en faire «un pays de propriétaires et d’entrepreneurs» en privatisant tout ce qui peut l’être – un programme ultra-libéral proche de celui de Milei en Argentine. Privatiser l’entreprise pétrolière mais aussi les millions de logements sociaux que le «régime» comme elle dit, construit gratuitement pour les secteurs populaires.

À l’extrême-droite de l’échiquier politique, elle a longtemps occupé une position marginale. En 2010, elle est élue députée. En 2012, elle se présente aux primaires de la droite mais n’obtient que 3% des voix. Sa «base» sont des ONGs comme «Sumate» ou «Vente Venezuela», financées par les États-Unis. Son admiration pour le Likoud est la sublimation de ce qu’elle ferait au pouvoir, après avoir appuyé en vain les coups d’État contre Chávez puis contre Maduro. Elle a signé un accord «stratégique» de coopération avec ce parti pour, en cas de victoire, compter sur le savoir-faire contre-insurrectionnel dont les israéliens sont spécialistes (voir les massacres commis par leurs « élèves » en Colombie, au Guatemala, etc…). Cette répression de la rébellion populaire a déjà eu lieu pendant les 48 heures du coup d’État contre Chávez en 2002 (27). Maria Corina était des signataires du décret putschiste qui supprima toutes les autorités démocratiques du pays et intronisa le chef du patronat Pedro Carmona comme président. En 2005, elle a rencontré George W. Bush à la Maison-Blanche pour discuter du « retour à la démocratie », c’est-à-dire du renversement du gouvernement bolivarien.

Ci-dessus: Maria Corina était des signataires du décret du coup d’État contre Chavez qui supprima toutes les autorités démocratiques du pays et intronisa le chef du patronat Pedro Carmona comme président du Venezuela en 2002.
Ci-dessus : Accord de « partenariat opérationnel » sur des thèmes comme « géopolitique et sécurité » entre deux partis d’extrême droite, le « Vente Venezuela» de Maria Corina Machado, et le Likoud.

En 2014, on la retrouve à l’origine de l’opération «La Salida» (la sortie) qui consistait à déchaîner la violence pour renverser par la force le président Maduro. Le bilan s’élève à plusieurs dizaines de morts parmi policiers et manifestants. En 2017, lors d’autres émeutes d’extrême droite, un jeune homme noir de 22 ans est lynché, poignardé puis brûlé vif parce que «noir donc chaviste» (28). La même année, des bombes sont utilisées pour attaquer des policiers et des câbles de fer sont tendus dans les rues pour décapiter les motards de la police. En 2019, elle participe activement à l’instauration du président fantoche, non élu mais nommé par Donald Trump, Juan Guaido. Les 31 tonnes d’or du Venezuela au Royaume-Uni, la filiale pétrolière états-unienne CITGO et beaucoup d’autres actifs de l’État vénézuélien sont volés par un fake-président adoubé avec empressement par des présidents comme Emmanuel Macron. Machado fait partie de son clan. Elle applaudit le blocus occidental des aliments et des médicaments : exigeant aux États-Unis de « mettre toute la pression, toutes les sanctions, et l’asphyxie financière totale pour arriver au point de rupture et renverser Maduro » (29), et se prononce publiquement à partir de 2020, en faveur d’une intervention militaire menée par les États-Unis, en invoquant l’activation du traité TIAR.

12. Vingt-cinq ans après l’élection d’Hugo Chávez et le début de la révolution bolivarienne, les États-Unis n’ont pas renoncé à la détruire, en raison de son opposition au néo-libéralisme et à l’impérialisme, de ses alliances multipolaires et de ses politiques visant à mettre les ressources du pays, notamment pétroliers, au service des majorités historiquement exclues. En avril, la commandante générale du Southern Command Laura Richardson visitera Buenos Aires, comme l’a déjà fait le directeur de la CIA William J. Burns, pour y organiser avec le président d’extrême droite Javier Milei, une nouvelle base avancée contre l’axe du mal: Cuba-Venezuela-Nicaragua et bien sûr contre « l’influence croissante des BRICS », lire : de la Chine et de la Russie, en Amérique Latine.

La méthode de Washington est bien connue : faire campagne pour jeter le doute sur l’intégrité du processus électoral de manière à présenter le résultat comme frauduleux, quelles que soient les preuves réelles le jour de l’élection. Le rôle des grands médias est d’invalider la possible élection du favori des sondages, Nicolas Maduro, en installant l’idée qu’une élection sans Machado ne peut être considérée comme légitime. Le 30 janvier, quelques jours après le rejet de son appel par la Cour suprême du Venezuela, Machado a été interviewée par CNN et présentée comme « la principale dirigeante de l’opposition vénézuélienne ». Le Washington Post a titré: «Elle est la tête de liste dans la course pour chasser Maduro. Mais il veut la bloquer».

Le président français Emmanuel Macron s’était ridiculisé en recevant le putschiste d’extrême droite Juan Guaido à l’Élysée comme « président du Venezuela» avant de reconnaitre en 2023 le président élu, Nicolas Maduro. Dénoncé par ses alliés de droite pour sa corruption, Guaido a fui la justice du Venezuela et vit un exil doré aux États-Unis. Après ce désastre diplomatique, le mandataire français est vite retombé dans l’ornière états-unienne en déclarant au Brésil, le 28 mars 2024: «Nous condamnons très fermement l’exclusion d’une candidate très sérieuse et crédible de l’élection présidentielle au Venezuela, nous demandons sa réintégration (…) Nous ne devons pas désespérer aujourd’hui, si je puis dire, mais la situation est grave et s’est détériorée avec la décision qui a été prise.» (30)

Le gouvernement bolivarien a maintenu un principe simple : les forces politiques de toute idéologie peuvent participer aux élections tant qu’elles ne conspirent pas avec des puissances étrangères pour porter atteinte à l’indépendance du Venezuela. Ce principe est pratiqué dans le monde entier. Aux États-Unis par exemple, où le 14ème amendement interdit aux coupables d’insurrection d’exercer une fonction publique. Quand le porte-parole du département d’État états-unien Matthew Miller a critiqué l’inégibilité de Machado, Caracas a répondu : «Votre communiqué montre le vrai visage du propriétaire du cirque qui voudrait délégitimer les prochaines élections présidentielles.» Les autorités du Conseil National Électoral du Venezuela ont également critiqué « l’audace » du Département d’État états-unien à vouloir diriger les élections au Venezuela: «Le CNE ne peut pas assumer la responsabilité de l’inéligibilité de certains individus qui placent leurs intérêts au-dessus de la légalité nationale, se croyant oints par une puissance extérieure ». (31)

La cible prioritaire des médias sont les militant(e)s de gauche. Les menaces occidentales contre les élections présidentielles de juillet 2024 nous rappellent qu’on n’attaque pas le Venezuela parce qu’il est une «dictature» mais parce qu’il faut endiguer l’exemple contagieux de la démocratie de gauche la plus avancée des Amériques, celle où le record en nombre d’élections côtoie le progrès constant de la démocratie participative et des autogouvernements populaires. De même que l’Occident n’a jamais pardonné aux Jacobins noirs d’Haïti de fonder la première république libre des Amériques et fait tout, à la faveur du narco-chaos, pour y renforcer son emprise, les vénézuéliens savent que les États-Unis et l’Europe ne leur pardonneront jamais leurs racines : l’armée de Bolivar servit à libérer de l’esclavage et du joug impérial les peuples latino-américains, jamais à les asservir.

Thierry Deronne, Caracas, 31 mars 2024.

Merci pour leurs contributions à Joao Pedro Stedile, Zoe Pepper, Christian Rodriguez et Maria Luisa Nunez.

Notes :

(1) « Former US President Carter: Venezuelan Electoral System “Best in the World” » https://venezuelanalysis.com/news/7272/

  1. « Les observateurs internationaux saluent la transparence du scrutin » https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/11/23/venezuela-alors-que-les-observateurs-internationaux-saluent-la-haute-transparence-du-scrutin-des-leaders-de-la-droite-appellent-a-tourner-la-page-du-putschisme-de-guaido/
  2. Sur cet accord : « Venezuelan Gov’t, Opposition Resume Dialogue, Establish Electoral Conditions » https://venezuelanalysis.com/news/venezuelan-government-opposition-dialogue/
  3. « Les lois électorales vénézuéliennes sont conçues pour garantir la démocratie en dépit des ambitions personnelles » https://www.counterpunch.org/2024/04/01/venezuelan-election-laws-are-designed-to-guarantee-democracy-despite-personal-ambitions/ et « Une fois de plus, Washington s’immisce dans les élections d’un autre pays » https://b-tornare.overblog.com/2024/04/une-fois-de-plus-washington-s-immisce-dans-les-elections-d-un-autre-pays.html / (en anglais:) https://orinocotribune.com/yet-again-washington-meddles-in-another-nations-election/
  4. Sur les préparatifs de violences et d’attentats : « Venezuela: Authorities Arrest Two María Corina Machado Associates Over Alleged Violent Plot » https://venezuelanalysis.com/news/venezuela-authorities-arrest-two-maria-corina-machado-associates-over-alleged-violent-plot/ Voir aussi :https://twitter.com/latablablog/status/1772381434486866302 / http://www.mp.gob.ve/index.php/2024/03/26/fiscal-general-informo-detencion-de-dos-hombres-armados-cerca-de-tarima-presidencial-en-caracas/ / https://diariovea.com.ve/incendio-en-transaragua-destruyo-112-autobuses-no-se-descarta-sabotaje/
  5. Lire « Les élections présidentielles de 2024 auront le deuxième plus grand nombre de candidats depuis 31 ans » https://operamundi.uol.com.br/politica-e-economia/venezuela-eleicoes-presidenciais-de-2024-terao-2o-maior-numero-de-candidatos-em-31-anos/
  6. Sondages d’Hinterlaces : https://www.hinterlaces.net/monitor-pais-6-de-cada-10-venezolanos-votara-por-el-candidato-del-psuv-en-las-presidenciales/
  7. Les agences de renseignement de Washington confirment une probable victoire de Maduro aux présidentielles : https://es-us.noticias.yahoo.com/agencias-espionaje-eeuu-creen-maduro-204010134.html
  8. Sur les souffrances causées à la population par les mesures coercitives unilatérales (« sanctions ») occidentales : https://venezuelanalysis.com/analysis/on-unilateral-coercive-measures-part-ii-a-conversation-with-alena-douhan/
  9. Témoignage de Mark Weisbrot devant la sous-commission de l’hémisphère occidental, du Peace Corps et des affaires de stupéfiants de la commission des relations extérieures (Sénat), 24 juin 2004 https://www.cepr.net/democracy-venezuela/
  10. Lire le manifeste : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/03/sans-terre-feministes-communistes-syndicalistes-afrodescendantes-les-mouvements-populaires-bresiliens-denoncent-la-desinformation-sur-les-elections-au-venezuela-et-appellent-a-la-solidarite-de/. Les mouvements sociaux de l’ALBA défendent le processus électoral du Venezuela : https://albamovimientos.net/celebramos-la-democracia-defendemos-la-soberania-abrazamos-la-dignidad-del-bravo-pueblo-declaracion-de-apoyo-a-las-elecciones-presidenciales-en-venezuela/
  11. Communiqué de la Présidente du Honduras : https://twitter.com/XiomaraCastroZ/status/1773029865119154681
  12. Communiqué du Ministère des Affaires Étrangères de Bolivie du 30 mars 2024 : https://cancilleria.gob.bo/mre/2024/03/30/14485/
  13. Communiqué du Groupe de Puebla : https://www.grupodepuebla.org/comunicado-del-grupo-de-puebla-sobre-las-elecciones-presidenciales-en-venezuela/
  14. La Jornada : https://www.jornada.com.mx/noticia/2024/04/05/politica/venezuela-y-cuba-tienen-en-contra-a-toda-la-derecha-del-mundo-amlo-4492
  15. Déclarations du Ministère des Affaires Étrangères de la Chine : https://www.fmprc.gov.cn/eng/xwfw_665399/s2510_665401/202403/t20240329_11273709.htm
  16. Rencontre ONU/gouvernement bolivarien : https://twitter.com/yvangil/status/1775641308679307744
  17. https://twitter.com/VTVcanal8/status/1775935543374643471
  18. L’ambassade du Venezuela à Brasilia a demandé une réunion avec le gouvernement de Lula, estimant qu’il ne dispose pas « d’informations claires », et précise que la réunion se déroulera sur le même ton amical que d’habitude. La réunion s’est tenue avec Celso Amorim, conseiller en chef spécial de la présidence de la République au Brésil. Le Président Lula a expliqué à la presse, le 23 avril 2024, que la droite a enfin nommé un candidat unique aux présidentielles de juillet (écartant la putschiste Machado, inéligible), qu’il y aura des observateurs internationaux, que le Brésil en sera volontiers, et redemande aux USA – comme l’ont fait ses homologues colombien et mexicain, de lever les 936 « sanctions » pour favoriser le retour des migrants économiques.
  19. Continuité des relations Colombie/Venezuela : https://twitter.com/venezuelainfos/status/1777828843337679194. Sur la médiation vénézuélienne des négociations entre gouvernement colombien et guérilla : https://venezuela-news.com/eln-gobierno-petro-reuniran-venezuela-avanzar-proceso-paz/
  20. Zoe Pepper et Walter Smolarek, « Venezuela’s election in the crosshairs of new US regime change scheme » https://peoplesdispatch.org/2024/03/15/venezuelas-election-in-the-crosshairs-of-new-us-regime-change-scheme/
  21. Lorenzo Santiago, « Entenda por que Corina Yoris, motivo de discórdia com Brasil, não disputará as eleições da Venezuela », https://www.brasildefato.com.br/2024/04/03/entenda-por-que-corina-yoris-motivo-de-discordia-com-brasil-e-colombia-nao-disputara-as-eleicoes-da-venezuela
  22. Message vidéo de Juan Carlos Monedero : https://twitter.com/i/status/1774041151789527056
  23. Maria Corina Machado aurait pu choisir la troisième option prévue par la loi organique sur les processus électoraux : l’initiative individuelle. Dans ce cas, conformément aux dispositions de l’article 52, elle devait présenter au CNE des signatures de soutien correspondant à 05 % du nombre de votant(e)s enregistrés lors de la dernière élection, afin d’approuver sa candidature. La question est de savoir pourquoi elle ne l’a pas fait, surtout si comme elle l’affirme, elle a obtenu le soutien de plus de 2 millions d’électeurs lors de primaires organisées par son ONG… Voir aussi la déclaration du dirigeant de l’opposition Manuel Rosales : https://twitter.com/manuelrosalesg/status/1773115988612948270
  24. Voir https://twitter.com/elpoliticove/status/1780578535620427818
  25. Pour une « biographie non-autorisée » de Maria Corina Machado : https://twitter.com/latablablog/status/1773758289341280369
  26. Ce coup d’État est raconté dans le documentaire passionnant de Kim Bartley : « La révolution ne sera pas télévisée » (VO STF) : https://t.co/ieL3lUMVbQ
  27. « Ils ont brûlé vif mon fils parce qu’il était noir et chaviste », https://venezuelainfos.wordpress.com/2019/05/19/ils-ont-brule-vif-mon-fils-parce-quil-etait-noir-et-chaviste/
  28. Message audio de Maria Corina Machado : https://twitter.com/yvangil/status/1777086443879379106
  29. Déclaration d’Emmanuel Macron au Brésil : https://www.france24.com/es/francia/20240328-macron-culmina-su-visita-a-brasil-qu%C3%A9-acord%C3%B3-el-presidente-franc%C3%A9s-con-lula-da-silva. Sur l’histoire incroyable de Juan Guaido et les fourvoiements de Macron et de son ambassadeur à Caracas, on lira l’excellent «thriller» du journaliste Maurice Lemoine : « Juanito roi de la vermine », Le Temps des Cerises éditeur, 2023 https://www.amazon.fr/Juanito-vermine-Roi-du-Venezuela/dp/2370712759
  30. « Le Venezuela rejette l’intervention extérieure et la campagne de délégitimation du processus électoral » : https://venezuelanalysis.com/news/venezuela-rejects-foreign-interference-in-elections-denounces-us-delegitimization-campaign/

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/01/venezuela-douze-points-sur-les-i-delections-presidentielles/

« Et au milieu coule l’Esequibo », par Maurice Lemoine (Mémoire des Luttes)

En « mission spéciale » à Georgetown le 11 janvier 2024, Mike Pompeo, l’ex-directeur de la CIA et secrétaire d’Etat de Donald Trump, informe le président du Guyana des nouveaux plans du Pentagone et d’ExxonMobil contre le Venezuela.

mardi 13 février 2024   |   Maurice Lemoine

Plusieurs semaines de fortes tensions entre Caracas et Georgetown – capitale du pays voisin, la République coopérative du Guyana. En guise d’explication, TF1 avance : « Le Guyana menacé d’invasion par le Venezuela » (1er décembre 2023). Information que complète Le Monde  : « Le Venezuela lorgne le pétrole du Guyana » (2 décembre). Radio France internationale (RFI) soulignant au passage « les discours belliqueux du Venezuela » (14 décembre).

Au cœur de cette actualité, un différend territorial concernant la région d’Esequibo, contrôlée par le Guyana, mais que le Venezuela revendique. Au large des côtes de la zone en question, la multinationale américaine ExxonMobil vient de découvrir des hydrocarbures. Donc…

« Opportuniste » et par ailleurs « en difficulté face à son opposition », le gouvernement de Nicolás Maduro lance une série de mesures pour s’approprier cette manne pétrolière. Le 3 décembre 2023, il organise un référendum, qui se solde par un oui massif de ses compatriotes au rattachement de la région au Venezuela. Une annexion en bonne et due forme ! La preuve : Caracas crée une « Zone de défense » de l’Esequibo et nomme un général pour la diriger. Désormais, tout un chacun comprend et compatit : il s’agit d’un combat du David guyanien (808 000 habitants) contre le Goliath vénézuélien (28 millions de sujets).

Agressée, Georgetown a saisi la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute instance judiciaire de l’ONU. Le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken affirme son « soutien inébranlable à la souveraineté du Guyana ». Secrétaire général de l’Organisation des Etats américaine (OEA), Luis Almagro fait de même. Ne voyant « aucun argument » susceptible de justifier ce type d’« action unilatérale », le ministre britannique des Affaires étrangères David Cameron appelle de son côté le Venezuela à cesser ses agissements.

En fait, ce qui se passe est bien plus grave que ce qu’on subodorait : le Guyana, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et ExxonMobil sont odieusement agressés par l’ogre vénézuélien.

La République coopérative du Guyana

Indépendant depuis 1966, enclavé entre l’Océan atlantique (au nord), le Venezuela (au nord-ouest), le Brésil (au sud-ouest) et le Suriname (à l’est), le Guyana – officiellement République coopérative du Guyana – couvre 215 000 kilomètres carrés et reste profondément marqué par sa longue appartenance, avec une partie des Antilles, à l’ensemble des Indes occidentales britanniques. Ce, bien qu’il ait été « découvert » par Christophe Colomb en 1498 et qu’il ait également subi la domination hollandaise.

Longtemps, les principales richesses de ce petit pays anglophone ont été la bauxite, clé de voute de son économie, la canne à sucre et le riz ; 90 % des habitants – Afro-Guyaniens (descendants d’esclaves ; environ 30 %), Indo-Guyaniens (travailleurs ultérieurement venus d’Inde ; 40 %), métis (20 %) et Amérindiens (10 %) – vit et travaille dans les zones de basse altitude, le long de l’étroite plaine côtière. La vie sociale repose sur des bases ethniques, héritées de l’époque coloniale, opposant Hindoustanis (affaires, commerce, agriculture) et Afro-Guyaniens (administration, police, armée). Un fort bipartisme, lui aussi plus identitaire qu’idéologique, caractérise la vie politique. D’une part, le Parti civique progressiste du peuple (PPP/C), qui a mené la bataille pour l’indépendance, représente peu ou prou la majorité hindoue. De l’autre, le Congrès national du peuple (PNC) possède une base électorale essentiellement afro-guyanienne.

Objet du conflit, à l’ouest du fleuve Esequibo, le plus long cours d’eau du pays, l’Esequibo ou Guayana Esequiba, tapissé de forêts tropicales, couvre sept dixièmes du territoire (159 542 km², à peu près la moitié de l’Italie) et, très peu peuplé, n’abrite que 125 000 habitants, soit un cinquième de la population.

Le 2 août 2020, au terme d’élections au résultat contesté pendant cinq mois par le président sortant David Granger, qui se représentait, Mohamed Irfaan Ali (PPP/C), fermement appuyé par le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo, est devenu le nouveau chef de l’Etat. D’emblée, il a confirmé vouloir porter le différend frontalier avec le Venezuela devant la CIJ, rappelant que – avant même le mandat de Granger, lui-même très hostile à Caracas – c’est son parti le PPP/C qui, en 2014, à mis un terme au « dialogue de bonnes manières » entretenu depuis plusieurs décennies avec le pays voisin. Le 18 décembre 2020, la CIJ déclara admissible la demande de Georgetown sur le respect d’un traité signé en 1899 (la Sentence arbitrale de Paris) lui attribuant la zone contestée. Quelques temps auparavant, l’ambassadeur des Etats-Unis au Guyana, Perry Holloway, avait abondé dans ce sens en estimant que si les deux pays voulaient « maintenir la paix et adhérer au droit international », la décision de 1899 devait être respectée [1].

Conquêtes, occupations et truanderies

Au commencement étaient les autochtones (Caraïbes, Arawak, Warao). L’inévitable Christophe Colomb (1498). Un an plus tard, les Espagnols entreprennent d’explorer la contrée – sans encore s’y installer. Les Indigènes peinent à prononcer le nom du conquistador. Ils transforment (Juan de) Esquivel en « Esequibo » (c’est du moins ce que prétendent certains historiens). Pirates et corsaires s’abattent sur la région – portugais (1541), français (1543,1544), anglais (1561), multinationaux (1567).

Surtout hollandais, mais aussi britanniques, des Européens plantent leurs cabanes en 1616 au milieu de l’exubérante végétation. En 1648, en vertu du traité de Münster, que signent le Roi catholique d’Espagne et les Seigneurs Etats Généraux des Provinces-Unies des Pays-Bas, les « hidalgos » abandonnent à la Hollande la zone située à l’est du fleuve Esequibo [2]. Quand, en 1814, la Hollande perd les guerres napoléoniennes, qu’elle a eu l’imprudence de livrer aux côtés des Français, le territoire tombe entre les mains de Londres. La Guyane britannique est née.

Trois ans auparavant, le 5 juillet 1811, Francisco de Miranda et Simón Bolivar ont arraché l’indépendance du Venezuela à l’empire espagnol. Toutes les cartes de l’époque en attestent : depuis 1777, les frontières de la capitainerie du Venezuela s’étendaient jusqu’à l’Esequibo [3]. Le 21 décembre 1811, l’ensemble du territoire appartenant à l’ex-capitainerie est inclus dans la première Constitution du Venezuela.

Lorsque les Anglais ont hérité de la Guyane britannique en 1814, ni eux ni les Hollandais qui la leur ont cédé n’ont précisément défini la frontière ouest. Profitant du chaos des luttes d’indépendance, qui se poursuivent au Venezuela, les « british » franchissent subrepticement le fleuve Esequibo et commencent à grignoter des pans entiers du pays voisin.

En 1822, Bolivar fait parvenir une première protestation formelle au Foreign Office avec pour unique réponse : « No way ! »

Sous l’impulsion des Hollandais d’abord, puis des Britanniques, le Guyana s’est peuplé d’esclaves noirs arrachés à l’Afrique et jetés dans les plantations. L’esclavage aboli en 1833, des travailleurs étrangers sous contrat – Portugais, Chinois, puis Indiens (des Indes) – débarqueront par dizaines de milliers.

En 1834, par le biais de la Royal Geographical Society de Londres, les Anglais engagent un naturaliste d’origine allemande, Robert Schomburgk, pour qu’il explore toute la région et en établisse la cartographie. Ce que fait le savant, révélant dans son premier rapport les immenses richesses existant côté vénézuélien du fleuve Esequibo. Des bords de la Tamise montent des murmures intéressés. En 1839, le gouvernement mandate Schomburgk pour fixer une ligne de démarcation, tout en lui enjoignant de « ne pas s’en tenir au traité de Londres de 1814 », mais de « s’étendre au territoire vénézuélien ».

Un an plus tard, tracée arbitrairement, la « Ligne Schomburgk » dépouille le Venezuela de 4 920 km2. Cette fois, la controverse s’envenime. En 1844, invoquant le principe de l’uti possidetis juris (« vous posséderez ce que vous possédiez déjà »), le ministre vénézuélien Alejo Fortique insiste auprès de la puissance coloniale pour que le fleuve soit reconnu comme étant la frontière naturelle entre les deux pays. Londres traîne les pieds, mais, comme Caracas, s’engage à ne pas occuper ni usurper le territoire « en dispute ». Toutefois, perfide Albion oblige, profitant des difficultés du jeune Etat à contrôler ses frontières, l’invasion va se poursuivre, arrachant au Venezuela 141 930 km2 en 1886, qui deviendront 167 830 km2 en 1887 puis 203 310 km2 en 1897 [4]. La découverte de gisements aurifères est passée par là.

Caricature d’époque.

Ivres de leurs succès, les Anglais ont définitivement dépassé les bornes. En 1890, après qu’ils eussent avancé jusqu’à l’embouchure de l’Orénoque, leur flotte a débarqué des troupes sur la côte vénézuélienne. Ils ont juste oublié une chose : la Doctrine de Monroe. Un « texte sacré » gravé dans le marbre en 1823 par les Etats-Unis.

A l’origine, la doctrine avertit : « Aux Européens le vieux continent, aux Américains le Nouveau Monde ». Dit autrement : l’ensemble des Amériques ne peut plus être soumis à la colonisation ou à l’ingérence européenne, qui, menace pour la sécurité et la paix, seront considérées comme hostiles par Washington. La proclamation n’étant pas passée inaperçue, Caracas se tourne vers le grand voisin du Nord. Qui traîne à réagir. Jusqu’à ce que l’un de ses ex-ambassadeurs au Venezuela, William Lindsay Scruggs, ne publie un pamphlet intitulé British agressions in Venezuela ; or The Monroe doctrine on trial (Agressions britanniques au Venezuela ; ou la doctrine Monroe à l’épreuve) [5]. Piqué au vif, Washington interpelle enfin Londres. Qui lui expédie un « bras d’honneur » quand le premier ministre conservateur, Lord Salisbury, rétorque que la Doctrine de Monroe « n’a aucune valeur au regard du droit international ». Ce qui objectivement n’est pas faux – mais le problème n’est pas là ! Une telle remise en cause de la sphère d’influence des Etats-Unis met le président Grover Cleveland en fureur. Cette fois, l’affaire est prise au sérieux.

Le 17 décembre 1895, dans un message au Congrès, Cleveland annonce que les États-Unis « résisteront par tous les moyens à toute appropriation par la Grande-Bretagne ou à l’exercice par celle-ci d’une juridiction gouvernementale sur tout territoire appartenant de droit au Venezuela ». A sa demande, la Chambre des représentants émet la Résolution 252 : un arbitrage international devra résoudre la dispute entre la Grande-Bretagne et le Venezuela.

Touché par une telle solidarité, le président vénézuélien Joaquín Crespo signe des deux mains. Londres grogne, mais se plie aux désidératas de la puissance montante. Le 2 février 1897, le « Traité entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis du Venezuela relatif au règlement de la question de la frontière entre la colonie de la Guyane britannique et les Etats-Unis du Venezuela » (dit plus simplement « traité de Washington ») entérine le principe de l’arbitrage. Au terme des discussions, le Venezuela se montre déjà moins emballé. Une forte pression étatsunienne le menaçant de le laisser seul, « à la merci de la Grande-Bretagne », a précédé la définition de la composition du tribunal : deux juges américains désignés par la Cour suprême des Etats-Unis (Weston Fuller et David J. Brewer) ; deux britanniques nommés par la Cour suprême de leur pays (Lord Charles Russell et Lord Richard Henn Collins) ; un cinquième magistrat désigné par le Roi de Suède et de Norvège – qui s’avérera finalement être un russe ouvertement anglophile, Federico de Martens. Les Vénézuéliens ne sont pas invités à la fête ! Ils seront représentés et défendus par l’ex-président des Etats-Unis Benjamin Harrison et deux avocats de même nationalité (Benjamin S. Tracy et Severo Mallet-Prevost).

Malgré une telle incongruité, comment ne pas faire confiance aux « yankees »  ? En protecteurs désintéressés du continent, ne viennent-ils pas d’intervenir militairement à Cuba pour y aider les patriotes à en chasser les Espagnols et à en faire un pays « libre et souverain » ? Convaincu que la justice lui donnera raison, le gouvernement vénézuélien accepte la formule qui lui est imposée avant d’expédier dix caisses de documents, de courriers et de cartes aux Etats-Unis, où ils seront traduits [6].

Juges et avocats de l’arbitrage de Paris.

C’est donc le 3 octobre 1899, à Paris, sans la présence d’un seul Vénézuélien, qu’est prononcée la sentence. Si elle restitue au Venezuela la totalité de l’embouchure de l’Orénoque, son vital débouché sur l’Atlantique, ainsi que les terres situées de part et d’autre de celle-ci, elle lui arrache la totalité des 159 542 km² illégitimement occupés par l’Angleterre, à l’ouest du fleuve Esequibo. Quelques jours plus tard, le juriste américain Mallet-Prevost, conseiller de la défense du Venezuela, s’épanche en mode discret auprès de son collaborateur et ami George Lincoln Burr : « Nos arbitres ont été contraints d’accepter la décision et, en toute confidence, je n’hésite pas à vous assurer que les arbitres britanniques n’ont été guidés par aucune considération de droit ou de justice et que l’arbitre russe a probablement été incité à adopter la position qu’il a prise pour des raisons totalement étrangères à la question (…) Le résultat, à mon avis, est une gifle à l’arbitrage [7].  »

Le Premier Ministre Lord Salisbury se félicite du résultat de l’Arbitrage et part en courant avec le butin pour le poser aux pieds de son souverain (caricature du Punch de Londres, 11 octobre 1899).

Le verdict passe tout de même comme une lettre à la malle-poste : à ce moment, le Venezuela n’a plus de gouvernement ! Aux prises avec une conspiration qui le renversera vingt jours plus tard, le président Ignacio Andrade s’apprête à quitter le pays. Son adversaire et futur successeur, le général nationaliste Cipriano Castro, n’est pas encore arrivé dans la capitale à la tête de son armée privée [8]. Dans quelques temps (1902), prenant prétexte de dettes non remboursées par Caracas, une coalition de puissances européennes – Allemagne, Angleterre, Italie – dépêchera une escadre de quinze navires pour s’emparer de la flotte vénézuélienne et verrouiller par un blocus les zones côtières du pays.

Pour mettre fin à l’outrage, il faudra que les Etats-Unis – qui viennent de favoriser la sécession du Panamá pour s’emparer d’un territoire jusque-là colombien où ils entendent construire un canal – serve tardivement de médiateur entre Vénézuéliens et Européens, au nom de l’inévitable doctrine de Monroe [9]. Mais, en tout état de cause, la spoliation de l’Esequibo passe alors au second plan. Entre novembre1900 et juin1904, composée de représentants du Royaume-Uni et du Venezuela, une commission mixte ad hoc réalise la démarcation de la frontière établie par la sentence de Paris.

De Paris à Genève

Un demi-siècle passe. En 1949, le scandale éclate au grand jour. Il y a eu de la magouille là-dessous ! Dans un mémorandum qu’il a ordonné de ne publier qu’après sa mort, feu Mallet-Prevost révèle que le « Laudo arbitral de Paris » a été une mascarade, résultat d’un « achat » du président russe du tribunal, Federico de Martens, par les deux juges britanniques et, au nom d’une forme de solidarité anglo-saxonne [10], d’un arrangement politique secret entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis.

La publication de ces révélations dans la prestigieuse revue étatsunienne The American Journal of International Law [11] coïncide, cinquante années s’étant écoulées depuis les faits, avec la possible ouverture des archives britanniques et d’archives privées aux Etats-Unis. Avec l’autorisation de leur hiérarchie ecclésiastique, deux jeunes jésuites qui se trouvent à Londres, Hermann Oropeza et Pablo Celigueta, se plongent dans l’étude des documents. Le résultat de leurs recherches, qui s’étendent sur une dizaine d’années, permet auVenezuela d’étayer la réclamation qu’il porte, en 1962, devant l’Organisation des Nations unies (ONU). Lors d’un contact direct avec son homologue britannique, le 5 octobre 1963, le ministre des affaires étrangères Falcón Briceño expose les arguments du Venezuela avant de conclure : « La vérité historique et la justice exigent que le Venezuela réclame la restitution intégrale du territoire dont il a été dépossédé. »

Après l’échec de discussions tenues à Londres, cette séquence revendicative se clôture les 16 et 17 février 1966 à Genève, à l’occasion d’une réunion entre les ministres des Affaires étrangères Iribarren Borges (Venezuela), Michael Stewart (Royaume-Uni) et Forbes S. Burnham, premier ministre d’une Guyane britannique qui, depuis 1953, jouit d’une autonomie limitée. Les deux jours de négociations débouchent sur un consensus qui, signé par tous en espagnol et en anglais, prendra le nom d’ « Accord de Genève. Lequel, officiellement transmis au Secrétaire général de l’ONU le 2 mai [12], sera validé par le Guyana, conformément aux dispositions de l’article VII, le jour de son accession à l’indépendance, le 26 mai suivant. Indépendance que reconnaît immédiatement le Venezuela.

Engageant donc la nouvelle nation guyanienne, le document signé au bord du Lac Léman prend note des réclamations de Caracas, qui considère la sentence arbitrale de 1899 « nulle et non avenue », et prévoit dans son premier article la mise en place d’une commission mixte pour régler le différend « amicalement » et de « manière acceptable » pour les parties dans un délai de quatre ans. Le texte stipule également (article IV) que, en cas d’échec des négociations bilatérales, les signataires devront « choisir sans délai l’un des moyens de règlement pacifique prévus à l’article 33 de la Charte des Nations Unies », et, si là encore il y a absence de résultat, s’en remettront au secrétaire général de l’ONU. Formule qui, on le découvrira bien plus tard, peut être diversement interprétée.

Accord de Genève.

Sur le coup, l’accord a satisfait tout le monde, mais pas pour les mêmes raisons. Vu depuis le Venezuela, il actait une remise en cause acceptée par tous de la vilenie de 1899 et le bon droit de sa revendication. La Grande-Bretagne y voyait une manière élégante de se laver les mains et de laisser les deux autres protagonistes trouver la solution de l’imbroglio qu’elle avait provoqué. A quelques semaines de l’Indépendance, Burnham considérait que, une fois la Grande-Bretagne évincée de la partie, il aurait les mains libres pour changer les règles du jeu.

Et les Etats-Unis (de Lyndon B. Johnson) ? Implicitement et explicitement, ils appuient fermement… Caracas ! Ex-premier ministre de la Guyane encore britannique, tribun populaire et indépendantiste aux sympathies affirmées pour les pays socialistes, fondateur du PPP, Cheddi Jagan, devenu leader de l’opposition dans le nouvel Etat – désormais gouverné par Burnham –, pourrait bien le transformer en un « nouveau Cuba » si des élections imprudemment « régulières » lui permettaient d’arriver au pouvoir.

Pour des raisons inverses à celles de Washington, Fidel Castro soutiendra le Guyana au cours de la décennie 1970 – Burnham, longtemps considéré comme une marionnette des Etats-Unis, affirmant graduellement son autonomie, stabilisant le pays, nationalisant la bauxite, reconnaissant tous les pays socialistes et contribuant à briser l’isolement de Cuba [13].

Soucieux pour sa part de contrôler l’ensemble du bassin amazonien tout en se préservant des accès sur la mer caraïbe, le Brésil, dans la durée, prendra parti pour le Guyana.

Quand, en 1970, les quatre ans impartis à la commission mixte arrivent à échéance, aucune solution n’a été trouvée. Les tensions s’accumulent. En 1968, oubliant déjà les engagements pris deux ans auparavant à Genève, Burnham a commencé à négocier avec des entreprises étatsuniennes l’exploitation des ressources de la zone contestée. Sachant que, dans cette même zone, en 1969, a éclaté une révolte qui a sacrément secoué le Guyana.

Le soulèvement indigène de Rupununi.

Située au sud de la Guyana Esequiba, la région de Rupununi (58 000 km2) étend ses vastes savanes entourées de forêts à 500 km de Georgetown (et à 1 600 km de Caracas). Seule la voie aérienne permet à l’époque de rejoindre Lethem, son agglomération et centre commercial les plus importants, à proximité du Brésil. Malgré cet isolement, l’agriculture et l’élevage (entre 120 000 et 150 000 têtes de bétail) offrent à la zone une certaine prospérité. Environ 40 000 indigènes wapishana (mais aussi makushi et lokono) la peuplent en compagnie d’une poignée d’Européens (anglais et écossais), d’Américains et de Canadiens à qui la couronne britannique, en son temps, a donné des terres en concession [14]. Laquelle autorité britannique avait également placé les territoires amérindiens sous sa protection.

L’indépendance venue, toutes ces terres sont devenues propriété de l’Etat guyanien. Celui-ci permet à leurs occupants, indigènes ou autres, de continuer à les exploiter, mais en vertu d’une licence renouvelable chaque année. Un statut lui permettant, si ou lorsqu’il le jugera nécessaire, d’expulser ces résidants.

Depuis l’arrivée au pouvoir de l’ « afro-centriste » Burnham en 1968, une forte agitation secoue les Amérindiens de Rupununi, grands oubliés des politiques économiques et sociales de l’Etat. Qui plus est, on prête à Burnham l’intention de confisquer les « haciendas » des grands propriétaires et les parcelles des Indigènes pour les répartir, sur une base ethnique, pour ne pas dire raciste à l’égard des autochtones, à des Noirs et à des Hindous incités à coloniser la région.

La révolte éclate le 1er janvier 1969. Le 2, un groupe de rebelles armés prend la station de police, neutralise, au prix de quelques morts parmi ces dernières, les forces de sécurité. Empêchant toute communication avec la capitale, les stations de radio sont occupées ; les pistes d’aviation secondaires ainsi que celle de l’aérodrome de Lethem sont obstruées par des obstacles et des futs de carburant.

De cette province désormais totalement isolée et sous contrôle, s’élève la voix de Valerie Hart. Une indigène, malgré son nom – qu’elle doit à un époux aviateur, Harry Hart. Depuis l’aéroport de Lethem, entourée d’une centaine de paysannes armées de fusils, Valerie Hart, au nom d’un « Mouvement Guyveno » (guyanien-vénézuélien) annonce la création du Comité provisoire du gouvernement de Rupununi.

Valerie Hart.

Grâce au silence radio qu’ils ont imposé, les rebelles pensent pouvoir contrôler l’ensemble du territoire avant que le pouvoir central n’ait pu réagir. C’est compter sans un missionnaire adventistes étatsuniens de Lethem, partisan de Burnham, qui, possédant un émetteur-récepteur, avertit l’ambassade des Etats-Unis.

La foudre s’abat immédiatement. Le modeste armement des insurgés ne fait pas le poids face à celui des Forces de défense guyaniennes, qui vont jusqu’à utiliser des lance-flammes pour les neutraliser. Très vite en grande difficulté, les révoltés se tournent vers Caracas : une annexion au Venezuela serait possible à condition que leur soient garantis « les droits de l’homme, la propriété de leurs terres et une période de transition plus ou moins longue pour adapter le système juridique de la région au système vénézuélien, ainsi que l’autonomie pour certaines questions locales [15] ».

Par radio, le pouvoir ordonne à la troupe de bombarder les populations indigènes de Pirara et d’Annai – dont les habitations sont réduites en cendre. Sous la pression, la retraite des plus vulnérables doit débuter. Femmes et enfants entreprennent une marche désespérée en direction du Brésil et du Venezuela.

Sans ambiguïtés, cette fois, Hart a lancé : « Nous, les habitants du Rupununi de Guayana et donc Vénézuéliens de naissance, conformément à l’article 35 de la Constitution nationale, lançons un appel au gouvernement, au peuple et aux Forces armées vénézuéliennes pour qu’ils nous aident et empêchent les hordes du Premier ministre du Guyana de nous massacrer. Une autre Baie des Cochons n’est pas conforme à la tradition historique de la patrie de Bolivar [16]. Dans la Baie des Cochons, les Etats-Unis ont abandonné des citoyens non américains. Nous espérons que les Vénézuéliens du Rupununi ne seront pas abandonnés par le Venezuela à une extermination tragique. »

Désormais en grand danger, Hart s’envole avec son pilote de mari pour Santa Elena de Uairén, dans l’Etat de Bolívar (Venezuela). Le 4 janvier, très amicaux à son égard, les militaires vénézuéliens affrètent un vol pour que le couple rebelle gagne Caracas. En tant que présidente du Comité provisoire du gouvernement de Rupununi, Hart y rencontre les ministres de l’intérieur et des Affaires étrangères, Reinaldo Mora et Ignacio Iribarren Borges et leur demande d’appuyer la création d’une région indépendante du Guyana, sous protection du Venezuela. Elle réclame également de pouvoir rencontrer le chef de l’Etat.

A Caracas, la cheffe de la rébellion guyanienne demande l’aide de troupes et d’armes au Venezuela.

Flottement à Miraflores (le palais présidentiel) et à la « Casa Amarilla » (le ministère des Affaires étrangères). Raúl Leoni va, le 11 mars prochain, céder le pouvoir au social-chrétien Rafael Caldera, qui, le 1er décembre 1968, a été élu président.

Nul n’ignore que, à tous les niveaux du pouvoir et par-delà les négociations avec Georgetown, le sort de la Guyana Esequiba a donné lieu en permanence à toutes sortes de spéculations. Ainsi, durant la dictature de Marcos Pérez Jiménez (1952-1958), un plan nommé « Hipótesis Negra » (« hypothèse noire ») a-t-il circulé au sein de l’Académie militaire, qui envisageait la récupération musclée de la Guyana Esequiba. Toutefois, tout despote qu’il fût, Jiménez n’a pas franchi le Rubicon.

Du ministère des Affaires étrangères, le président Leoni lui-même a reçu six possibles scénarii – genre « toutes les options sont sur la table » – pour la reprise du territoire perdu. D’après la chercheuse Sonia Romero Harrington, Leoni aurait considéré comme la moins problématique une sécession puis une annexion au Venezuela « par la libre volonté [des] habitants » [17]. Ce qui ressemble fort à la révolte de Rupununi et conforte l’historien Guillermo Guzmán quand il prétend que, dans les archives personnelles d’Iribarren Borges, figurent de nombreux documents attestant du rôle d’acteurs vénézuéliens dans la rébellion.

Informé des fameux plans par le ministre désormais sortant Iribarren Borges, le futur président Caldera rétorque prudemment qu’il va réfléchir à la question. Durant une visite à des installations militaires de Ciudad Bolivar, quelques semaines auparavant, il a affirmé qu’il traiterait « avec fermeté et conformément aux intérêts du pays la revendication sur la Guayana Esequiba, mais avec en même temps une approche pacifique et conforme aux accords signés à Genève ».

Pour l’heure, Léoni occupe toujours Miraflores. Les réfugiés de Rupununi déferlent sur Ciudad Bolivar. Par effet de contagion, des centaines d’Amérindiens du nord de la Guyana Esequiba passent au Venezuela.

Il est temps que – voyant les fourmis dévorantes du communisme cachées derrière toute manifestation de mécontentement social ou politique – les États-Unis interviennent. Washington fait savoir que ce « mouvement armé » représente une menace pour la région. De son côté, la CIA informe Caracas que, en cas d’appui aux rebelles, l’aide militaire antisubversive lui sera retirée (alors que la guérilla vénézuélienne marxiste des Forces armées de libération nationales [FALN] est encore en activité). Le Venezuela pourrait même voir arriver sur son territoire les « british » de la Royal Navy !

Valerie Hart ne rencontrera pas Leoni. Les ministres lui font comprendre que des « questions de politique internationale très délicates » interdisent toute intervention du Venezuela. Le réalisme ne se transforme toutefois pas en trahison. Accueillant à bras ouverts les milliers de réfugiés, Caracas leur accorde naturalisation et pièces d’identité en tant que « citoyens vénézuéliens de naissance » car originaires d’un territoire que le Venezuela considère lui appartenant.

Georgetown se déchaîne. Le 16 janvier, le Guyana remet une note de protestation au secrétaire général de l’ONU, lui demandant que ses accusations soient portées à la connaissance de tous les pays membres de l’Organisation. Les conséquences n’iront pas plus loin qu’une condamnation du Venezuela par les pays du Commonwealth [18]. Le Venezuela nie toute implication. Les relations diplomatiques ne sont pas rompues. La « pasionaria » Valerie Hart entre dans la légende. Et, aujourd’hui encore, certains Vénézuéliens critiquent vertement l’attitude de Leoni et Caldera, considérant le non appui au soulèvement de Rupununi comme une occasion perdue.

Une embellie nommée Hugo Chávez…

« Nous avons annoncé que nous ne voulions pas d’une situation d’hostilité militaire avec le peuple guyanien, a déclaré Caldera, maintenant installé pour son premier mandat à Miraflores… Cela ne veut pas dire que le Venezuela ne doit pas utiliser toutes ses ressources juridiques, morales et politiques pour la récupération de quelque chose dont il a été injustement privé ». Malgré les tensions, ou peut-être pour les aplanir, les deux gouvernements s’accordent le 18 juin 1979, par le « protocole de Port Spain » (Trinité-et-Tobago), sur un moratoire de douze ans pendant lequel les réclamations seront de part et d’autre gelées [19].

Au moment du dégel, en 1982, Caracas refuse de reconduire le moratoire et propose la reprise de négociations directes. Georgetown, pour la première fois, évoque la Cour internationale de justice – dite CIJ.

Nouveau changement de cap en 1987 : d’un commun accord, les deux pays entérinent la méthode des « bons offices » à laquelle, sous l’égide de l’ONU, béni par les présidents Carlos Andrés Pérez et Desmond Hoyte, se colle en 1989 et pour dix ans, l’ex-secrétaire général de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), le grenadien [20] Alister McIntyre.

Au Venezuela, la IVe République agonise. Arrive un ouragan : Hugo Chávez. Après réforme de la Constitution, le pays devient la République bolivarienne du Venezuela. Un objectif, une vision : l’intégration latino-américaine. Des instruments : paix, souveraineté, respect du droit international.

Le 19 février 2004 demeurera une date historique : tout sourire, un président vénézuélien atterrit à Georgetown pour une visite officielle. A son homologue Bharrat Jagdeo, Chávez propose de privilégier la coopération, y compris dans l’Esequibo. « Le gouvernement vénézuélien, déclare-t-il, ne s’opposera dans la région à aucun projet qui bénéficie aux habitants (…) projets hydrauliques, voies de communication, énergie, projets agricoles… »

En 2005, Chávez fait mieux encore : il incorpore le Guyana à l’initiative PetroCaribe qu’il vient de lancer en juin. L’accord permet à treize pays de la Caraïbe d’acheter du pétrole au Venezuela, avec des conditions de paiement particulièrement généreuses (ce qui les sauvera d’un naufrage assuré lors de la grande crise financière déclenchée en 2008 par la déréglementation du système financier aux Etats-Unis).

En mode de paiement original, Venezuela et Guyana procèdent à un échange « pétrole contre riz ». Sans que Caracas ne hausse un sourcil, le Guyana, cette même année 2005, commence à exploiter six gisements d’or, de bauxite et de diamants en Guyana Esequiba.

En 2010, Chávez est tombé d’accord avec Jagdeo pour relancer la mission de « bons offices » paralysée pendant deux ans du fait de la mort du diplomate nommé par l’ONU Oliver Jackman. Le Jamaïcain Norman Girvan a pris le relai. Le 26 novembre de cette même année, Georgetown accueille le IVe Sommet de l’Union des nations sud-américaines (Unasur), à laquelle participe Chávez, qui a tant œuvré pour la création de l’organisation. En remplacement de l’équatorien Rafael Correa, l’anglophone Bharrat Jagdeo va en devenir président pro tempore pour une durée d’un an. Sans être « latino », et grâce au rêve bolivarien, le Guyana occupe désormais toute sa place en Amérique du Sud.

Hugo Chávez et Bharrat Jagdeo, juillet 2010.

Qui, le premier, trahit l’esprit de cette sérénité retrouvée ?

En septembre 2011, sans en aviser Caracas, Georgetown présente à la Commission des limites du plateau continental de l’ONU (CLPC) une demande d’extension de son domaine maritime sur la zone en réclamation. N’importe quel juriste sait pourtant que la Convention de l’ONU sur les droits de la mer interdit toute démarcation entre pays qu’opposent des conflits territoriaux…

Exprimant sa « préoccupation » sans se croire obligée de hausser démesurément le ton, Chávez réagit en envoyant en terrain neutre, à Trinité-et-Tobago, son ministre des Affaires étrangères… Nicolás Maduro. Accompagné du « monsieur bons offices de l’ONU », celui-ci y rencontre son homologue guyanienne Carolyn Rodrigues-Birkett. Résumant l’entrevue, un communiqué exprime la « satisfaction quant aux excellentes relations qui se sont développées entre les deux Etats » et réitère « leur engagement à maintenir ce niveau [21] ».

Minute ! Tout le monde ne voit pas les choses de cette façon…

« La volonté intégrationniste et la construction d’un avenir harmonieux entre nos pays doivent être partagées, communique l’opposition vénézuélienne à travers la Table d’unité démocratique (MUD), mais il est inconcevable qu’elles soient unilatérales, provoquant l’abandon des droits du Venezuela au profit du Guyana ». Les critiques s’abattent sur Chávez et son ministre Maduro, venues d’une droite vénézuélienne que bientôt, chauffée par Washington et l’ « anti-chavisme primaire » des médias, la « communauté internationale » chouchoutera.

« Ils ne parviendront pas à alimenter la polémique, rétorque Chávez, évoquant les opposants (les mêmes qu’aujourd’hui). Ils brandissent des drapeaux de guerre contre le peuple frère du Guyana pour une question que nous sommes en train de traiter au niveau politique et diplomatique. Ils tentent de soulever une tempête dans un verre d’eau ! »

La découverte

Du verre d’eau, on repasse à l’Atlantique. Chávez mort, c’est en tant que chef de l’Etat que Maduro effectue une première visite à Georgetown, le 2 juillet 2013. De cette rencontre reste la forte déclaration qu’il fait en arrivant : « Il n’y aura jamais la guerre en Amérique du Sud ! »

Las, le 16 octobre 2013, la marine vénézuélienne intercepte le « Teknik Perdana ». Battant pavillon panaméen, loué par la compagnie texane Anadarko Petroleum, le navire mène un travail d’exploration dans le « Bloc Roraima », donné unilatéralement en concession par le Guyana à trois compagnies pétrolières, parmi lesquelles Esso, marque associée à la compagnie étatsunienne ExxonMobil. Non seulement le navire prospecte sur la zone contestée, mais il le fait également face au Delta Amacuro, pleinement vénézuélien. Après un bref passage par l’île de Margarita, le capitaine ukrainien du navire Igor Bekirov et ses hommes d’équipage sont relâchés.

Une demande d’explication et une nouvelle rencontre à Port Spain entre ministres des Affaires étrangères – Carolyn Rodrigues-Birkett et Elías Jaua – réitère que « le dialogue et la coopération sont le chemin pour la résolution pacifique des différends entre les Etats ».

Visite de Maduro au Guyana en juillet 2013.

Merci. Pas de quoi. Caracas a fait preuve de souplesse. Lors du VIIe Sommet des Amériques tenu au Panamá les 10 et 11 avril 2015, Georgetown renvoie l’ascenseur. Le 9 mars précédent, depuis la Maison-Blanche, le « good guy » Barack Obama a signé un décret qui, ouvrant le terrain juridique à une possible intervention, fait du Venezuela « une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique étrangère des Etats-Unis ». Comme la brésilienne Dilma Rousseff, l’Argentine Cristina Kirchner, le cubain Raúl Castro, le bolivien Evo Morales ou l’équatorien Rafael Correa, pour ne citer qu’eux, le président guyanien Donald Ramotar se solidarise avec Caracas et critique le « décret Obama ».

Néanmoins… Deux mois auparavant, le 26 janvier 2015, Washington avait invité tous les pays de la Caraïbe à un Sommet sur la sécurité de l’énergie. Animé à l’évidence des meilleures intentions, le vice-président Joe Biden y a averti ces petites nations insulaires aux équilibres fragiles que les livraisons de PetroCaribe pourraient bien, prochainement, subir une chute brutale. Mieux vaudrait, a-t-il suavement avancé, que dans le cadre de l’Initiative de sécurité énergétique des Caraïbes, en cours de création, cet accord soit remplacé par de nouvelles alliances avec un partenaire beaucoup plus fiable : les Etats-Unis.

Fin de l’éclaircie

Pour sortir d’une confrontation avec son Parlement, que domine l’opposition et qu’il a suspendu afin d’éviter une motion de censure à son encontre, le président Ramotar a convoqué des élections anticipées. Depuis 1992, le Parti civique progressiste du peuple (PPP/C), son parti, gouverne le Guyana. Le scrutin du 11 mai 2015 marque un changement historique : à la tête d’une coalition de cinq partis, que domine le Congrès national du peuple (PNC), David Granger est élu de justesse (50 % des voix) et devient le huitième président du pays.

Passé par les académies militaires de Grande-Bretagne, du Nigéria et du Brésil, perfectionné par l’Université nationale de défense de Washington, poli en Floride par la Joint Special Operations University du Commandement sud de l’armée des Etats-Unis, Granger, parfait produit « made in USA », a terminé sa carrière en 1992 comme commandant-en-chef de la Force de défense du Guyana. Depuis, il fait de la politique. Et se montre très hostile à l’égard du Venezuela.

Tout va très vite et semble avoir été soigneusement préparé. Le 20 mai, neuf jours après la victoire électorale de l’ex-général, ExxonMobil, qui en connaissait l’existence depuis le mois de mars précédent, révèle avoir découvert 1,4 milliards de barils de pétrole de grande qualité dans le « Bloc Stabroek », une zone de 60 000 km2, au large de la Guyana Esequiba. Dès le lendemain, Granger pose sur le pont du navire d’exploration « Deepwater Champion », à 120 milles (222 km) de la côte, en compagnie de dirigeants de la compagnie pétrolière et de membres de son gouvernement. Puis il part aux Etats-Unis.

Comme il était prévisible, Caracas s’insurge et exige d’Exxon qu’elle cesse ses opérations : « L’Esequibo est un territoire vénézuélien et, par conséquent, tant qu’il n’y a pas de décision sur notre territoire, les eaux ne peuvent pas être utilisées à quelques fins », déclare la ministre Delcy Rodríguez. Maduro demande à l’ONU d’activer le mécanisme des « bons offices. Une attitude si… terriblement agressive qu’elle amène Granger à retourner aux Etats-Unis en juillet pour alerter, lors d’un discours prononcé au William Perry Center of Hemispheric Defense Studies : « Le Guyana est actuellement confronté au défi d’un Etat plus grand et joue sa survie. »

En gendarme du monde censé représenter la raison, le Département de la Défense US feint s’inquiéter pour la région : « Une [autre] conséquence potentielle d’une guerre entre le Guyana et le Venezuela est la possibilité que l’un ou l’autre pays utilise des méthodes irrégulières ou asymétriques lors de l’escalade du conflit. Les méthodes irrégulières ou asymétriques décrivent des techniques telles que le terrorisme, la guérilla, la subversion et la cyber-guerre, qui évitent généralement les confrontations directes avec la puissance militaire des gouvernements [22]. »

Et pour quelques barils de plus…

ExxonMobil… En 1900, on l’appelait Standard Oil Trust – un regroupement de compagnies achetées en 1882 par John Rockefeller et ses associés. Méthodes peu orthodoxes ruinant les concurrents et organisant l’évasion fiscale ; acquisitions, fusions ; lois antitrust obligeant en 1911 le monopole à se partager en trente-trois sociétés séparées ; profusion de sigles et de marques – Standard Oil, Socony, Esso, Enco, Humble, etc…

L’actuelle ExxonMobil résulte de la fusion le 30 novembre 1999 des compagnies Exxon Corporation et Mobil Oil, respectivement numéros 2 et 4 mondiaux à l’époque, derrière BP-Amoco (BP).

Les dirigeants de la multinationale, désormais « numéro un » dans le domaine des hydrocarbures aux Etats-Unis, ont toujours entretenu des relations étroites avec la classe politique et les gouvernements. « Il s’agit, a écrit le journaliste et universitaire Steve Coll, d’un Etat corporatif qui, au sein de l’Etat américain, a ses propres règles de politique étrangère [23]. » Outre ses subventions aux « think tanks » néolibéraux, Exxon a entre autres financé les campagnes électorales des deux George Bush – Lee « Iron Ass » Raymond, directeur général de 1993 à 2005, étant pour sa part un grand ami du vice-président (de Bush II) Dick Cheney.

A Lee Raymond, succèdera Rex Tillerson, entré dans l’entreprise en 1975 en tant qu’ingénieur. En 2017, à la tête d’une fortune estimée à 151 millions de dollars, dont une bonne partie dans les paradis fiscaux (dixit les « Paradise Papers ») [24], Tillerson quittera la multinationale pour devenir le secrétaire d’Etat de Donald Trump. Sombre présage. Tillerson a un sérieux contentieux avec le Venezuela.

En 2006, alors que le gouvernement de Chávez entamait un cycle de nationalisations, la nouvelle loi sur les hydrocarbures a imposé à trente-deux compagnies pétrolières présentes dans le pays de nouveaux contrats faisant d’elle des entreprises mixtes ayant pour partenaire la compagnie publique nationale PDVSA, laquelle devenait majoritaire (60 %) dans les nouvelles associations. Qui plus est, elles ont été davantage imposées. Si la plupart des multinationales ont joué le jeu, deux ont refusé : ConocoPhillips et ExxonMobil.

Exerçant sa souveraineté, l’Etat vénézuélien a pris le contrôle des actifs des deux entreprises. Devant le Centre international pour le règlement des différends (CIRDI), une dépendance de la Banque mondiale, ExxonMobil a exigé 16,8 milliards de dollars de dommages et intérêts [25]. Et n’a obtenu, six ans plus tard, le 9 octobre 2014, que 1,6 milliard de dollars.

De quoi rendre Tillerson furibond. De mèche avec le Guyana depuis quelques années, il attend toutefois l’arrivée au pouvoir du faucon David Granger et, comble de bonheur, le « décret Obama », pour narguer la République bolivarienne en rendant public le résultat des recherches de la multinationale dans la zone contestée.

L’escalade

Suspendu par Caracas, l’accord « riz contre pétrole » subit le premier les conséquences de la provocation. Dur coup pour l’économie guyanienne : durant les quatre années précédentes, le Venezuela lui a acheté 40 % de sa production.

Schéma désormais classique : tandis que Maduro sollicite la médiation du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, le gouvernement guyanien fait savoir qu’il n’est « pas intéressé » par la poursuite du processus de « bons offices » de l’ONU. Pour lui, une résolution judiciaire devant la CIJ est « l’unique option ». Granger rejette tout autant une autre proposition de Caracas : une réunion avec les douze membres de l’Union des nations sud-américaines (Unasur) pour traiter du différend. Puis il félicite la transnationale canadienne Guyana Goldfields, qui vient d’entreprendre l’exploitation de mines d’or dans le « secteur 7 », contesté, de l’Esequibo.

La ministre des Affaires étrangères Delcy Rodríguez remet une lettre du président Maduro au secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, le 1er juillet 2015.

Alors que la Caricom et l’Association caribéenne de l’industrie et du commerce (CAIC) soutiennent, comme elles l’ont toujours fait, le Guyana, le Parlement (Parlasur) du Marché commun du sud (Mercosur) approuve les revendications territoriales avancées par le Venezuela et approuve « sa diplomatie pacifique pour résoudre le différend ». Dans le cadre de la XXIe Rencontre des partis de gauche latino-américains célébrée à Mexico, le Forum de São Paulo approuve lui aussi à l’unanimité une résolution de soutien au Venezuela et condamne ExxonMobil « pour générer des tensions politiques entre deux peuples frères ».

Un pas en arrière, un pas en avant – Georgetown invente une sorte de tango guyanien. Après une rencontre avec Maduro à New York, en septembre 2015, dans le cadre de l’Assemblée générale de l’ONU, Granger accepte la réactivation du mécanisme des « bons offices ». Pas de quoi satisfaire l’opposition vénézuélienne qui, comme elle le fera en 2023, attaque sous tous les angles, fussent-ils contradictoires, sur le thème du Guyana. La stratégie du pouvoir « semble être un renoncement à défendre nos droits sur l’Esequibo », tonne le secrétaire général du parti Primero Justicia, Tomás Guanipa (futur « ambassadeur » en Colombie du « gouvernement » du président autoproclamé Juan Guaido). « Seize ans d’une politique de sous-estimation d’un thème qui, pour nous, est vital », précise-t-il, avant d’ajouter : « Il semblerait que, comme arrivent les élections [législatives de décembre 2015], ils [le pouvoir] veulent faire une sorte de show – discours repris mot pour mot, par les mêmes, en 2023 ! – et on arrive au comble de ne pas s’en prendre au pays voisin, mais à l’entreprise [ExxonMobil] !  » » Sous prétexte de fustiger Maduro, s’agit pas de se fâcher avec les parrains de la multinationale aux Etats-Unis !

« Le Venezuela n’a pas été et ne sera pas un pays impérialiste, pro-impérialiste, pro-colonialiste, non, nous sommes anti-impérialistes, anticolonialistes, nous développons une doctrine bolivarienne et chaviste de fraternité et d’amitié profonde », a dû rétorquer une fois de plus Maduro. Message bien reçu par le Département d’Etat américain (DoE) : vingt-quatre heures après avoir présenté ses lettres de créance, le nouvel ambassadeur des Etats-Unis à Georgetown, Perry Holloway, déclare que le Venezuela et le Guyana doivent résoudre leur dispute en respectant… la sentence arbitrale édictée en 1899 à Paris.

Dans l’ombre, Rex Tillerson et ses réseaux s’activent déjà depuis longtemps. A ce stade, ce différend territorial rend juridiquement problématique la poursuite des investissements. Non seulement l’Accord de Genève n’offre pas de solution rapide, mais, de plus, il implique de négocier avec l’ennemi intime d’ExxonMobil. Les avocats de la multinationale préconisent d’abandonner définitivement cette voie et poussent à porter l’affaire devant la CIJ. L’influence des grandes puissances – Etats-Unis et Union européenne – voire du Commonwealth, permettent d’envisager une issue plus favorable pour une nation anglophone que pour un pays latino déjà accusé de tous les maux.

Le 16 décembre 2016, cinq semaines après l’élection de Donald Trump, Ban Ki-moon informe qu’il relance les « bons offices », mais qu’il leur impose unilatéralement un terme fixé au 31 décembre 2017.

De manière unilatérale, le Guyana a créé une limite maritime arbitraire qui, conjuguée avec la frontière maritime légale de Trinité-et-Tobago, implique la perte du débouché du Venezuela sur l’Atlantique.
Proyección Marítima de la Zona en Reclamación : projection maritime de la zone en réclamation.
Mar territorial de Venezuela : eaux territoriales du Venezuela.
Línea arbitraria trazada por Guyana : limite arbitraire tracée par le Guyana.

Une pierre de plus sur le chemin de la déstabilisation

Janvier 2017 : Trump s’installe à la Maison-Blanche. Le 1er février, Tillerson arrive à la tête du Département d’Etat. ExxonMobil annonce immédiatement qu’elle va investir 5 milliards de dollars dans la zone que le Guyana lui a concédée. La multinationale joue sur du velours : déjà entamée, la grande offensive pour mettre la République bolivarienne à genoux va bientôt atteindre des sommets.

Du 31 mars au 12 août, une vague de violence insurrectionnelle se solde par un bilan de « 142 morts et plus de 1 000 blessés ». Transformés en martyrs par l’internationale médiatique, la moitié des défunts, souvent chavistes ou sans camp défini, ne participaient pas aux protestations. Quant aux « manifestants pacifiques », ils réussissent la performance de tuer par balles sept membres des forces de l’ordre et d’en blesser vingt-et-un par arme à feu.

Résultat garanti : à l’instigation de Washington, et avec le relais du secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (OEA) Luis Almagro, les pays conservateurs du continent créent le 8 août 2017 le Groupe de Lima [26], destiné à « isoler diplomatiquement le gouvernement de Maduro » et, pour la galerie, à « récupérer la démocratie au Venezuela ». Le Guyana s’empresse de rejoindre la « camarilla » et de se mettre sous sa protection.

Réélu le 20 mai 2018, Maduro n’est pas reconnu par la « communauté internationale » – les Etats-Unis, l’Union européenne, le Groupe de Lima (soit une cinquantaine de pays sur les 193 présents à l’ONU). Le 4 août suivant, une tentative d’assassinat du chef de l’Etat vénézuélien échoue de peu. Sur ordre direct de Washington, le député d’opposition Juan Guaido s’« autoproclamera » président de la République le 23 janvier 2019. L’administration Trump met progressivement en œuvre les 930 mesures coercitives unilatérales illégales – dites « sanctions » – qui, en l’excluant des financements internationaux, en l’empêchant d’acheter des médicaments, de la nourriture et des équipements, de produire ou de vendre son pétrole et son or, vont étrangler économiquement le pays et imposer de très dures conditions de vie à la population.

Sautant dans le train de cette offensive générale, ExxonMobil joue sa partition. Et sait mettre la main à la poche quand il le faut. Comme le révélera l’ex-ministre des ressources naturelles du Guyana, Raphael Trotman, la multinationale a fait cadeau de 18 millions de dollars au gouvernement Granger pour financer une armée de lobbyistes et d’avocats chargés d’exercer une forte pression sur l’ONU [27]. Coïncidence ? En janvier 2018, Ban Ki-moon prend la décision unilatérale de recourir à la voie juridictionnelle et renvoie l’affaire devant la CIJ, sans l’aval du Venezuela. L’article 4#2 de l’Accord de Genève établit pourtant que les parties devront établir d’un commun accord les mécanismes de la solution Dès lors, le Guyana dépose son mémoire pour que « la validité juridique et l’effet contraignant de la sentence arbitrale de 1899 soient confirmés », arguant avec un cynisme éhonté que la dite sentence « est valide et a un caractère obligatoire pour les deux parties ». Bonne fille, la Cour internationale a ouvert le dossier. Un détail : l’article 38#5 de son règlement lui interdit d’entamer une procédure sans le consentement préalable de toutes les parties !

Fort de cette évolution positive pour lui, le duo Exxon-Granger se croit tout permis. Le 22 décembre 2018, la marine de guerre bolivarienne devra intercepter deux navires d’investigation sismique « dans la zone économique de la République coopérative de Guyana » – en réalité dans l’aire correspondant à la projection maritime du Delta Amacuro, sous totale souveraineté du Venezuela.

« Par respect envers la Cour », le président Maduro a annoncé que le Venezuela « fournirait des informations » afin d’aider celle-ci « à s’acquitter de ses obligations en vertu de l’article 53.2 de son statut ». De sorte que, le 18 juin 2018, lors de la première réunion tenue par le président de la CIJ pour recueillir les vues des parties sur des questions de procédure, la vice-présidente Delcy Rodríguez a fait le déplacement à La Haye. Ce qui lui a permis de confirmer que, pour son gouvernement, la Cour n’avait « manifestement pas compétence pour connaître de l’affaire » et que le Venezuela avait décidé « de ne pas prendre part à l’instance ».

On notera au passage que cette attitude – ne pas reconnaître de façon automatique la juridiction de la CIJ – est partagée par 118 pays, soit plus de 60 % de la communauté internationale (la vraie). S’agissant du Venezuela, il s’agit d’une position ancrée dans l’Histoire, fortement influencée par la spoliation de 1899 : ne pas faire dépendre de tiers, Cours ou arbitres les affaires relatives à l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale, considérés comme des intérêts vitaux [28].

Si l’on effectue ici un saut dans le temps, passant de 2018 à 2024, et si l’on se place dans l’optique de la République bolivarienne, on observera que la CIJ, composée de quinze juges choisis pour un mandat de neuf ans, n’a rien d’un organisme réellement neutre, froid ou indifférent. Joan Donoghue, sa Présidente depuis 2021, a occupé de 2000 à 2010 des fonctions de haut niveau – conseillère juridique d’Hillary Clinton puis de Barack Obama – au Département d’Etat américain.

Cadre de 2009 à 2013 dans ce même DoE, Sarah Cleveland a plus tard été la « modératrice »d’un débat « Droits humains et démocratie au Venezuela » auquel participait Nikki Haley (pré-candidate du Parti républicain pour la présidentielle de 2024, grande partisane des sanctions), événement au terme duquel Cleveland déclara : «  Le Venezuela pose un défi fondamental à nos institutions régionales et internationales des droits humains. »

Lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères de son pays, le magistrat roumain Bogdan Lucian Aurescu a lui reconnu en Julio Borges, comparse du président fantoche Juan Guaido, son homologue vénézuélien, ce qui, en 2022, lors d’une conférence de presse commune, lui a valu les compliments d’Antony Blinken : « Les Etats-Unis ne pourraient désirer un allié plus inconditionnel ou plus engagé que la Roumanie. »

Hilary Charlesworth ? Conseillère du gouvernement guyanien, elle a exercé les fonctions de juge ad hoc nommée par Georgetown pour siéger en son nom, le 29 mars 2018, lors de l’examen de la compétence de la CIJ sur le différend avec le Venezuela. Quant à l’ex-conseiller légal du ministère des Relations extérieures sud-africain, Dire Tladi, il a déjà tranché en 2020, sans tenir compte du contexte de l’agression multiforme menée contre Caracas :« Les attaques contre les institutions et organisations internationales impliquent le retrait du Venezuela du mécanisme interaméricain des droits de l’Homme. »
On hésiterait pour moins que cela à se lancer dans la gueule du loup.

Par rapport aux délais standard de l’industrie pétrolière, ExxonMobil avance avec une rapidité déconcertante. En 2019, cinq ans à peine après la découverte de potentiels 11 milliards de barils, la multinationale inaugure les activités du premier navire flottant de production, stockage et déchargement (FPSO).
Parallèlement, le 18 décembre 2020, par douze voix pour et quatre contre, la CIJ déclare admissible la demande du Guyana. Une décision d’autant moins acceptable pour Caracas que le Royaume-Uni, partie indispensable pour régler la controverse, car ayant signé l’Accord de Genève, n’interviendra pas.
Le chef d’orchestre s’est lui manifesté un peu plus tôt quand, en septembre, lors d’une visite à Georgetown, le secrétaire d’Etat Mike Pompeo en personne a paraphé l’Accord de Shiprider. Sous prétexte de lutte contre le narcotrafic, celui-ci permet la réalisation de patrouilles maritimes et aériennes conjointes dans les eaux légalement ou non guyaniennes. Cet accord, a précisé Pompeo, oubliant « le narcotrafic », « nous permet d’aider le Guyana à résoudre le problème de sa souveraineté et, en outre, permet aux Etats-Unis de disposer de forces navales susceptibles d’agir pour protéger la zone économique exclusive guyanienne ».
L’escalade est maintenant évidente. En janvier 2021, le chef du Commandement sud de l’Armée des Etats-Unis (SouthCom), le général Craig Faller, l’un des principaux relais des menaces bellicistes de Trump, arrive au Guyana pour assister à des manœuvres militaires conjointes des deux pays.

La concomitance des actions hostiles amène Caracas à réagir en créant un Territoire de développement du front atlantique et une Commission de défense de l’Esequibo à l’Assemblée nationale – laquelle approuve la mesure à l’unanimité.

Le conflit, dès lors, prend sa forme actuelle. L’ « opération Guaido » ayant périclité sur le plan intérieur avant d’échouer lamentablement fin 2022 [29], le différend avec le Guyana devient un élément clé dans la poursuite de la mise au ban de la République bolivarienne, présentée cette fois comme belliciste et peu respectueuse du droit international.
Nouveaux acteurs, même stratégie. A la Maison-Blanche, Joe Biden. Au Guyana, Mohamed Irfaan Ali. Au SouthCom, une nouvelle cheffe, la générale Laura Richardson. Qui défend publiquement, sans vergogne, l’hégémonie des USA sur la région et menace ouvertement le Venezuela. Qui organise en juillet 2023, au Guyana, les exercices « Tradewinds 2023 » – 1500 militaires de vingt pays pour promouvoir l’interopérabilité régionale et renforcer la sécurité et la stabilité dans la Caraïbe [30].
Pour cette seule année 2023, vingt-et-une rencontres ont lieu entre chefs militaires des Etats-Unis et du Guyana. Un défilé de notables, de personnalités officieuses, officielles et de diplomates américains déferle sur Georgetown – dont le secrétaire d’Etat Antony Blinken, le 6 juillet. Quelques jours avant de présenter ses lettres de créance, le 25 octobre, au président Irfaan Ali, la nouvelle ambassadrice étatsunienne Nicole Therlot passe par le bureau de la générale Richardson, au siège du SouthCom, à Miami, pour y discuter de « l’association de sécurité » entre les deux pays.

La générale Laura Richardson et l’ambassadrice Nicole Theriot.

Avec de tels parrains, pourquoi se gêner ? Fin octobre, après appels d’offres, le gouvernement guyanien autorise huit compagnies pétrolières à effectuer des forages au large de l’Esequibo. Parmi elles, ExxonMobil et Hess (étatsuniennes), la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC), toutes trois déjà présentes et associées, mais aussi TotalEnergies (en partenariat avec Qatar Energy et la société malaisienne Petronas), International Group Investment (basée au Nigeria), Liberty Petroleum Corporation (Etats-Unis) et SISPRO (guyanienne).
Cette fois, c’en est trop. La tension monte de plusieurs crans. « Vous transformez le Guyana en une succursale d’ExxonMobil », réagit Maduro sur son compte X. Sur la base de l’article 71 de la Constitution – « Les questions d’importance nationale particulière peuvent être soumises à un référendum consultatif » –, l’Assemblée nationale annonce une consultation des citoyens vénézuéliens.

Le référendum

Le 3 décembre 2023, « el pueblo » devra répondre à cinq questions : « Rejetez-vous l’arbitrage de Paris de 1899 » ? « Approuvez-vous l’accord de Genève de 1966 comme seul mécanisme contraignant pour résoudre le problème » ? « Acceptez-vous de ne pas reconnaître la compétence de la Cour internationale de justice » ? « Vous opposez-vous à l’appropriation unilatérale des eaux territoriales de l’Esequibo par le Guyana » ? « Acceptez-vous la création d’un nouvel Etat, appelé Guayana Esequiba, sur le territoire contesté, l’octroi de la citoyenneté vénézuélienne à ses habitants et la mise en œuvre de programmes sociaux accélérés » ?
« Dans le pays, entend-on fréquemment, quel que soit l’interlocuteur, il y a deux thèmes qui nous unissent : la Vinotinto [l’équipe nationale de football] et le Guyana. » Dans les collèges, tous les élèves vénézuéliens ont eu sous les yeux les cartes géographiques avec une portion hachurée – la zone en réclamation. Et de fait, partout surgit le slogan : « L’Esequibo est à nous ». Aucun des dirigeants d’une opposition tiraillée entre ses convictions patriotes et son hostilité au pouvoir n’ose appeler à voter « non ». A l’exception de Volonté populaire (VP) des extrémistes Leopoldo López (luxueusement exilé en Espagne) et Juan Guaido (confortablement installé à Miami), les principaux partis de droite – Acción Democrática, Un Nuevo Tiempo, Primero Justicia, El Lápiz, Fuerza Vecinal, Primero Venezuela – appellent à participer.
Vainqueure des primaires auto-organisées de la droite le 22 octobre malgré une inéligibilité connue de tous, l’ultra María Corina Machado s’aligne, elle, sur le Guyana : après l’avoir qualifiée de « distraction », elle appelle à suspendre la consultation. En effet, dénonçant une « menace existentielle » pesant sur son pays, le gouvernement guyanien s’est lancé dans une opération des plus baroques en demandant lui aussi, mais à la CIJ… d’interdire le référendum organisé dans le pays voisin.

L’ensemble de l’opposition radicale vénézuélienne sonne en tout cas le tocsin pour « chauffer un peu » l’opinion internationale : cette agitation va être utilisée par le pouvoir chaviste pour suspendre l’élection présidentielle qui doit avoir lieu en 2024 !

Les instituts de sondage prévoyaient une participation allant de 8,2 millions (Datanálisis) à 12,3 millions de votants (International Consulting Services). Le 3 décembre, d’après le Conseil national électoral (CNE), il en vient 10,4 millions (51 % de l’électorat), soit rien d’extravagant. Sans surprise, 95 % des citoyens répondent « oui » aux cinq questions posées. Aucune surprise non plus du côté de l’opposition : elle polémique immédiatement sur les chiffres et, accusant le pouvoir de masquer une forte abstention, tente de délégitimer un référendum auquel elle a majoritairement participé et dont l’issue la satisfait !

Tout en réitérant son souhait d’«  un accord diplomatique juste, satisfaisant pour les parties et amical », le président Maduro s’appuie sur ce résultat pour mettre à son tour la pression sur Georgetown. « Nous devons respecter la décision de celles et ceux qui se sont exprimés dans les urnes », déclare-t-il. Trois jours après le référendum, il propose à l’Assemblée nationale d’approuver une loi spéciale créant la province (l’Etat) de Guyana Esequiba, demande qu’un recensement y soit conduit et que soit lancé un plan d’assistance sociale pour la population. Les autorités publient également une nouvelle carte officielle de la République bolivarienne du Venezuela, qui inclue la région Guyana-Esequiba, et désignent une autorité unique pour gérer celle-ci en la personne du général Alexis Rodríguez Cabello.

Cette fois, Georgetown ne rit plus. Là où, sur un sommet de la zone contestée, dans la Sierra de Paracaima, Irfaan Alí avait par pur défi, quelques jours auparavant, hissé le drapeau guyanien,un groupe d’Indigènes – lointains héritiers de la révolte de Rupununi – descend l’emblème de son mat et le remplace par l’étendard vénézuélien.

Le 6 décembre 2023, l’Assemblée nationale vénézuélienne commence ses discussions sur la « Loi organique pour la défense de la Guyana Esequiba » qui, en quatre chapitres et vingt-deux articles, prévoit la création du vingt-quatrième Etat de la Nation. Trois jours plus tard, les huit premiers articles seront approuvés (mais, depuis, l’élaboration de la loi a été interrompue sans qu’on sache si ou quand elle sera reprise).

Alors qu’ Irfaan Ali traite Maduro de « criminel » et compare l’attitude de son voisin à celle de la Russie envahissant l’Ukraine, le procureur général Anil Nandlall fait savoir que, en cas d’aggravation de la situation, le Guyana invoquera les articles 41 et 42 de la Charte des Nations unies, qui habilitent le Conseil de sécurité à prendre des mesures militaires et à appliquer des sanctions. «  Il peut autoriser l’utilisation des forces armées par les Etats membres pour contribuer à l’exécution des ordonnances de la Cour », a-t-il précisé. Maduro de son côté prévient qu’il va proposer une loi spéciale interdisant « aux sociétés qui opèrent ou collaborent aux concessions unilatérales données par le Guyana dans la mer à délimiter » d’opérer à l’avenir au Venezuela. Celles déjà présentes dans la zone contestée ont trois mois pour obtempérer – Maduro se disant toutefois « ouvert à la discussion  ». Et pour cause : Caracas risque de se heurter en la matière à quelques difficultés.

Guerre en Ukraine. Les sanctions imposées à Moscou ont d’importantes répercussions sur les marchés de l’énergie. Les Etats-Unis puisent massivement dans leurs réserves stratégiques, tombées à leur plus bas niveau en quarante ans. Il faut trouver de nouveaux fournisseurs pour remplacer une partie du pétrole « de Poutine ». Le gouvernement de Joe Biden se souvient qu’il existe un pays producteur nommé Venezuela. L’autre paria, Maduro, redevient magiquement un interlocuteur possible. Fin 2022, la multinationale Chevron est autorisée par Washington à réactiver en partie sa co-entreprise passée avec PDVSA. Depuis, la République bolivarienne exporte une petite partie de sa production aux Etats-Unis.

Signé par le pouvoir et la Plateforme d’unité démocratique (opposition), sur l’île de la Barbade, le 17 octobre 2023, un accord permettant l’organisation de l’élection présidentielle de 2024 donne à Washington le prétexte pour alléger un peu plus, partiellement et pour six mois, les « sanctions » sur le gaz et le pétrole vénézuéliens. Il s’agit d’une décision purement pragmatique, pas d’un dégel dans les relations : « Nous ne sommes pas prêts à un changement des relations diplomatiques avec le Venezuela », précise le Département d’Etat.

Par définition, l’avertissement du gouvernement vénézuélien ne concerne pas directement ExxonMobil, sortie du pays dans les conditions que l’on connaît. Toutefois, si la multinationale a depuis 2015 découvert quarante-six gisements au large des côtes du Guyana, dont quatre en 2023, c’est en collaboration avec ses partenaires minoritaires, le groupe pétrolier new-yorkais Hess (35 % de participation) et la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC ; 20 %).
Premier problème : Chevron, qui grâce à l’autorisation de Washington opère au Venezuela en tant que premier partenaire de PDVSA, a annoncé le 23 octobre 2023 l’acquisition pour 53 milliards de dollars de… Hess. Il s’agit pour Chevron de se renforcer face à son rival ExxonMobil et, entre autres projets, d’extraire du pétrole… au Guyana.
Second embarras : également présente en République bolivarienne en tant que second associé de PDVSA, la China National Petroleum Corporation (CNPC) a le même propriétaire que la CNOOC, qui opère avec Exxon côté guyanien – CNPC et CNOOC appartenant à l’Etat chinois.

Parmi tous ces protagonistes – gouvernement vénézuélien, Hess, CNPC, CNOOC – qui négociera, qui transigera, qui choisira telle ou telle alliance ? Diplomatiquement proche de Caracas et directement intéressé, Pékin a réagi en demandant aux deux pays de résoudre leur différend « de manière correcte » car,a précisé le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Wang Wenbin, cela répond « aux intérêts des peuples des deux pays et favorise également la stabilité, la coopération et le développement en Amérique latine et dans la région des Caraïbes ». Pour sa part, sans s’étendre sur les considérations qui compliquent la présence de sa multinationale dans les deux pays, le président exécutif de Chevron, Mike Wirth, s’est déclaré confiant « dans une solution pacifique et négociée ».

Pour qui Exxon le glas

Le gouvernement de Georgetown peut sans doute s’amuser de la situation complexe que doit affronter son adversaire – pour ne pas dire son ennemi. Dans l’un des pays les plus pauvres d’Amérique du sud, gangrené par le favoritisme politique, les Guyanien ont peut-être moins de raisons de jubiler. Certes, le début d’exploitation de ce pétrole pur et relativement facile à extraire, aux coûts de production bas (entre 25 et 35 dollars le baril), a permis un taux de croissance record (62 % en 2022, 38 % en 2023). De là à considérer que cette nouvelle manne va « ruisseler »…
C’est la Banque centrale du Guyana qui est chargée de la gestion opérationnelle du fonds souverain, Natural Resource Fund (NRF), créée en 2019 et alimenté par les revenus pétroliers. L’actuelle législation ne permet pas à l’opposition de nommer des représentants à son conseil d’administration. « Une préoccupation, dans un pays où la corruption est endémique », ne manquent pas de se plaindre les opposants.

« Comment Exxon s’est emparé d’un pays sans tirer un coup de feu », a pu titrer en juin 2023, pour le site étatsunien The Intercept, la journaliste Amy Westervelt, faisant allusion au Guyana [31]… L’accord de partage des revenus pétroliers prévoit que 75 % des recettes sont initialement affectées au recouvrement des coûts initiaux liés aux travaux d’exploration et d’exploitation menés par ExxonMobil et ses partenaires. Considérés comme du profit, les 25 % restant vont pour 50 % à l’Etat guyanien et 50 % aux groupes pétroliers (la part de l’Etat n’est censée augmenter qu’une fois atteint le recouvrement du coût des investissements initiaux). L’accord fixe également une redevance de 2 % sur les ventes de pétrole. Tous calculs faits, Exxon laisse à peine 14,5 % du total des revenus pétroliers au Guyana. Pratiquement, cela signifie que, entre 2018 et juin 2023, ExxonMobil et ses associés ont récupéré la somme colossale de 19 milliards de dollars, le Guyana se contentant de 3,057 milliards [32]. On est là très loin des standards vénézuéliens !
Dans le contrat passé avec l’Etat guyanien, l’article 32 (« Stabilité de l’accord ») stipule que le gouvernement « ne peut amender, modifier, annuler, résilier, déclarer invalide ou inapplicable, exiger une renégociation, imposer un remplacement ou une substitution, ou chercher à éviter, altérer ou limiter le présent accord » sans le consentement d’ExxonMobil. En imaginant un gouvernement futur désireux de changer les règles du jeu, cela s’appelle « être pieds et poings liés ».

Quelque peu indolent, le pouvoir guyanien a également omis de mettre en place un système lui permettant de vérifier le nombre de barils quotidiens déclaré par le géant pétrolier. Deux rapports d’audit ont bien été remis au gouvernement, mais ils n’ont pas été rendus publics, provoquant l’ire de l’opposition.
Le 3 mai 2023, saisie par des défenseurs de l’environnement, la Haute Cour guyanienne a exigé que le consortium dirigé par Exxon fournisse « une assurance illimitée et non plafonnée pour tous les coûts associés » au « nettoyage et à la restauration de tous les dommages causés » par « le déversement de tout polluant résultant de ses activités » sur les côtes du pays. Sage demande. L’un des plus hauts faits d’arme de l’entreprise remonte à 1989, quand l’un de ses superpétroliers, l’Exxon Valdez, a déversé plus de 40 000 tonnes de pétrole brut sur les côtes de l’Alaska. Sur plus de 7000 km2 et 800 kilomètres de côtes, sans compter l’ensemble des îlots touchés, la catastrophe écologique a provoqué la mort de plus de 200 000 oiseaux marins, de centaines de loutres, de phoques, d’aigles, d’orques et d’innombrables poissons. Dépendantes de la pêche, les communautés riveraines ont été économiquement fort affectées.

Initialement condamnée à payer cinq milliards de dollars pour aider les victimes de la tragédie, Exxon a, pendant quinze ans et devant divers tribunaux, contesté le montant de la peine. D’appel en appel, y compris devant la Cour suprême des Etats-Unis, la somme a été ramenée à 4,5 milliards en janvier 2004, puis à 2,5 milliards en 2006 avant d’être divisée par 10 pour atteindre 507 millions de dollars en 2007. Un dixième du coût des dommages causés par sa marée noire !

Le 3 mai dernier, la Haute Cour guyanienne a donné jusqu’au 10 juin au géant pétrolier pour produire les garanties demandées, sous peine de devoir stopper sa production. En faisant appel, le président d’ExxonMobil Guyana, Alistair Routledge, rétorqua immédiatement qu’une telle suspension aurait «  des conséquences financières importantes pour tous les investisseurs, mais aussi pour le pays en termes de pertes de revenus ». Message bien reçu. Le juge de la Cour d’appel a suspendu la décision et ordonné à Exxon de déposer une simple provision de 2 milliards de dollars auprès de l’Agence de protection de l’environnement (EPA) – ce qui fut fait.
En cas de fuites ou de marée noire, plus de dix pays de la Caraïbe peuvent être affectés.

Les négociations

Voisin du Venezuela et du Guyana, le brésilien Luiz Inácio Lula da Silva plaide le bon sens. Son conseiller et ex-ministre des Affaires étrangères Celso Amorín se déplace beaucoup. Grâce à leurs efforts, Caracas et Georgetown renouent le contact et s’engagent à « garder les canaux de communication ouverts ». Ce qui n’empêche pas les Etats-Unis d’annoncer des exercices militaires « de routine » au Guyana. La solution venant forcément d’ailleurs que de Washington, la Communauté des Etats latino-américains et caraïbes (CELAC) et la Caricom se mobilisent et manifestent leur intention d’organiser une réunion entre les deux chefs d’Etat pour tenter de faire baisser la tension.
La rencontre a lieu le 14 décembre 2023 à Argyles, où est situé l’aéroport international de Kingstown, la capitale de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, que gouverne le progressiste Ralph Gonsalves (président pro tempore de la CELAC). Trois jours auparavant, Irfaan Ali n’a pu s’empêcher de provoquer, au micro de la BBC  : « Bien sûr, nos frontières ont été établies en 1899. [Il y a eu] une fixation totale et complète de nos frontières. Tous nos partenaires dans cette région, y compris le Brésil, la Caricom, la CELAC, les Etats-Unis, l’hémisphère occidental et la communauté internationale, respectent la sentence arbitrale de 1899 comme un accord plein et entier. »
« Je viens avec un mandat du peuple vénézuélien, une parole de dialogue, une parole de paix, mais aussi pour défendre les droits du peuple, de notre patrie »,
se contente de déclarer Maduro en arrivant.

Sont présents Celso Amorín, deux représentants du secrétaire général de l’ONU António Guterres, les premiers ministres Roosevelt Skerrit (République dominicaine), président en exercice de la Caricom, Philip Davis (Bahamas), Mía Amor Mottley (Barbade), Dickon Mitchell (Grenade), Philip Pierre (Sainte-Lucie), Terrence Drew (Saint-Kitts-et-Nevis), Keith Rowley (Trinité-et-Tobago), ainsi qu’Alvaro Leyva, ministre des Affaires étrangères de Colombie.
Pendant son intervention, Maduro interroge : « Que se passerait-il si c’était le Venezuela qui organisait des exercices militaires [dans la zone contestée] avec le Commandement sud des Etats-Unis ? Tout le monde nous tomberait dessus ! »
Maduro s’amuse en sortant la liste des 119 pays qui ne reconnaissent pas la juridiction obligatoire de la CIJ. Parmi eux, les Etats-Unis, bien sûr, mais aussi, gouvernés par les dirigeants assis autour de la table, les Bahamas, Trinité-et-Tobago, la Grenade, Saint-Kitts-et-Nevis, Saint-Vincent-et-Grenadines, Sainte-Lucie et même… le Guyana !
Au terme de la réunion, un texte lu par Ralph Gonsalvez – la « Déclaration conjointe d’Argyle » – permet de comprendre que les deux Etats «  s’accordent pour la création d’une commission conjointe composée des ministres des Affaires étrangères et des personnels techniques des deux Etats pour traiter des sujets mutuellement établis. » Ralph Gonsalves (au nom de la CELAC), Roosevelt Skerrit (pour la Caricom) et Lula suivront les développements de l’affaire en tant qu’ « interlocuteurs », Antonio Guterres (ONU), le fera en tant qu’ « observateur. Détail important : le point 2 de l’accord stipule que les deux pays ont convenu que tout différend entre les deux Etats serait résolu conformément au droit international, « y compris l’Accord de Genève du 17 février 1966 ».

Rencontre Mohamed Irfaan Ali – Nicolás Maduro, 14 décembre 2023.

« Les deux Etats coopéreront sur le terrain pour éviter des incidents qui pourraient engendrer des tensions entre eux », a également précisé le point 6 des Accords d’Argyle. Dix jours plus tard, pas un de plus, le ministère de la Défense britannique annonce le déploiement dans les eaux controversées d’un navire militaire, le HMS Trent, « en raison des menaces d’annexion de l’Esequibo par le Venezuela ». Une ingérence d’autant plus insupportable que, par ailleurs, depuis 2019, la Grande-Bretagne a confisqué 31 tonnes des réserves d’or (1,3 milliards de dollars) déposées par la République bolivarienne dans les coffres-forts de la Banque d’Angleterre.
Caracas réplique en mobilisant spectaculairement 5 600 soldatsn sa marine et son aviation, pour des « manœuvres de caractère défensif » sur la frontière de l’Esequibo et sur sa côte atlantique. Les ducs et les duchesses de l’opinion mondiale s’enflamment contre « le boute-feu Maduro ». Le Brésil, lui, manifeste sa préoccupation en précisant que, d’où qu’elles proviennent, « les démonstrations militaires » sont contraires aux engagements pris à Argyles.

Provocation de la frégate britannique HMS Trent.
(ML) Caracas, janvier 2024.

Une fois la frégate militaire britannique disparue à l’horizon, le 31 décembre, au terme de ses absurdes ronds dans l’eau, les opérations de la Force armée nationale bolivarienne (FANB) ont été immédiatement interrompues. Il va de soi qu’aucun observateur digne de ce nom ne croit à une possible agression du Guyana par le Venezuela. Quand bien même il le souhaiterait, l’état de son économie, très affaiblie par les mesures coercitives unilatérales des Etats-Unis, ne l’y inciterait pas. Très en pointe par ailleurs quand, le 29 janvier 2014, avec La Havane comme hôte et la présence de plusieurs chefs d’Etat des trente-trois pays de la région, la CELAC a proclamé le continent « zone de paix » – renonçant ainsi à recourir à la force pour résoudre les conflits entre voisins –, Caracas n’a jamais remis en cause cette philosophie et la grande cause de l’intégration. Quant à sa supposée voracité, s’agissant des richesses de ses voisins…

Le 25 décembre 2023, Caracas et Puerto España (Port Spain en anglais) ont signé un accord pour l’exploitation commune du champ de gaz « Dragon » – 120 millions de mètres cubes – situé dans les eaux territoriales vénézuéliennes, au nord-est du Venezuela, près de la frontière maritime avec Trinité-et-Tobago, mais près de gisements trinidadiens exploités par Shell. Plus gros producteur de gaz des Caraïbes, Trinité-et-Tobago avait signé un protocole d’accord avec le Venezuela en 2016, pour des études techniques et commerciales en vue d’une exploitation aux revenus partagés, mais, les « sanctions » étatsuniennes ont paralysé le projet.
Il a fallu le récent assouplissement de l’embargo pétrolier pour que les deux Etats, pourtant souverains, puissent enfin avancer dans leur coopération. En décembre, Caracas a octroyé une licence de trente années à Shell et à la Compagnie nationale du gaz (NGC) de Trinité pour le développement et l’exportation du gaz (sous forme de gaz naturel liquéfié ; GNL) situé entre les deux pays. « Nous avons parcouru un long chemin pour arriver à ce grand jour, a déclaré le ministre trinidadien de l’Energie Stuart Young (…) c’est une étape historique. » Ce à quoi la vice-présidente vénézuélienne Delcy Rodríguez a rétorqué que « beaucoup plus de projets » sont à venir, exemples « de relations de coopération, d’amitié et de fraternité » entre les deux pays.

C’est dans ce même état d’esprit « de dialogue et de paix » que le ministre des Affaires étrangères vénézuélien Yván Gil a rencontré son homologue guyanien Hugh Todd, le 25 janvier 2024, à Brasilia. En présence du chef de la diplomatie brésilienne Mauro Vieira, la réunion a permis aux deux parties d’exprimer une fois de plus « leurs divergences ». – CIJ ou pas CIJ. Si le ministre guyanien a affirmé que son pays reste engagé à résoudre la controverse « d’une manière très pacifique », le vénézuélien a incité à « rejeter absolument la possibilité que des tierces parties interfèrent ou puissent tirer profit » de ce conflit.
Nul ne parie encore qu’il a été entendu.

Depuis la fin 2023, un défilé de fonctionnaires civils et militaires étatsuniens (et britanniques) s’abat sur Georgetown – parmi lesquels le conseiller adjoint à la Sécurité nationale US, Jon Finer, le directeur des affaires de l’hémisphère occidental au Conseil de sécurité nationale, Juan González, le commandant de la Force aérienne du Southern Command, le général de division Evan L. Pettus (trois jours en février). Le 4 février 2024, le gouvernement américain a annoncé une augmentation de son « aide militaire urgente » au Guyana.
Deux jours plus tard, le président d’ExxonMobil Guyana, Alistair routledge, proclamait que sa multinationale avait « parfaitement le droit » d’exploiter le Bloc Starbroek et annonçait la prochaine perforation de puits exploratoire à l’ouest des zones Liza et Payara, puis Trumpet Fish et Redmoth – à nouveau dans les eaux contestées. Caracas ayant élevé la voix, Routledge mit un peu plus d’huile sur le feu : « Les mesures prises par le Guyana pour renforcer ses relations bilatérales avec des pays comme les Etats-Unis dans le domaine de la défense et de la sécurité sont de bon augure ».

Le secrétaire adjoint à la défense des États-Unis pour l’hémisphère occidental, Daniel Erikson, au Guyana le 11 janvier 2024, dans le cadre du « renforcement des capacités des forces armées du Guyana ». https://newsroom.gy/2024/01/11/u-s-to-help-develop-guyana-defence-force-capabilities/
A Georgetown, le 11 janvier 2024, Mike Pompeo, l’ex-directeur de la CIA et secrétaire d’Etat de Donald Trump, informe le président du Guyana des nouveaux plans du Pentagone et d’ExxonMobil contre le Venezuela.

D’après le président Maduro, « plus que le Guyana, ce sont ExxonMobil et le Southern Command qui prétendent s’emparer de la mer qui appartient au Venezuela ». Voyant d’un œil inquiet une militarisation supplémentaire de la Caraïbe et du nord du sous-continent par les Etats-Unis, certains des voisins de Venezuela ne pensent pas très différemment. Le président Irfaan Ali n’envisage-t-il pas, sans s’en cacher, l’installation de bases militaires US dans son pays ? Sommé de prendre position sur le conflit par Irfaan Ali et par sa propre opposition de droite, le président colombien Gustavo Petro, après un appel à la désescalade, a souligné : « Depuis des années, on tente d’établir un conflit dans notre coin continental, les Colombiens apatrides et Trump en ont discuté. Reproduire le conflit OTAN/Russie sur nos propres terres, dans la jungle amazonienne, ne ferait que nous faire perdre un temps vital dans notre progrès et dans nos vies [33]. »

Au vu de l’ensemble du dossier, on est là loin des affirmations rabâchées à n’en plus finir sur l’Esequibo qui « a avivé la convoitise du Venezuela depuis que du pétrole y a été découvert » (La Tribune, 6 décembre 2023). Loin des explications simplistes des « attrape-bobos » de « gauche » Libération ou Politis« En première raison, cette agitation [du référendum], dans le style propre aux dirigeants autoritaires, a une visée intérieure. Maduro, à la tête du pays depuis mars 2013 (…) se maintient depuis des années au pouvoir par des artifices antidémocratiques grossiers, et il aspire à un troisième mandat lors de la prochaine présidentielle, qui doit se tenir au premier semestre 2024. » (Politis, 7 décembre 2023). Loin des valeureux libelles du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) : « Quelles que soient les combinaisons de l’impérialisme et le degré d’avilissement des gouvernements bourgeois qui leur sont soumis, les communistes révolutionnaires se tiennent du côté des nationalités opprimées et menacées, ici les Guyanais [34]. »
Encore un effort, camarades : à quand des Brigades internationales sponsorisées par ExxonMobil ?


[1https://media.defense.gov/2023/Apr/25/2003208200/-1/-1/0/3338.PDF

[2] Conclu le 30 janvier 1648, le traité de paix de Münster entérine la reconnaissance définitive de l’indépendance des Pays-Bas Unis, jusque-là sous souveraineté espagnole depuis que l’Empereur Charles Quint les a léguées à son fils, Philippe II.

[3] Entité administrative et politique créée en 1777, la capitainerie générale du Venezuela comprenait les actuels territoires du Venezuela et de l’île de Trinité (Trinité-et-Tobago).

[4https://www.aporrea.org/actualidad/a209870.html

[5] On en retrouvera le texte intégral (38 pages) in William Lindsay Scruggs, British aggressions in Venezuela, or, The Monroe doctrine on trial, ‎ Forgotten Books, Londres, 2018.

[6] Delia Picón, Historia de la Diplomacia Venezolana, Universidad Católica Andrés Bello, Caracas, 1999.

[7] George Lincoln Burr Papers, Box n°5, Cornell University (Ithaca, Etats-Unis).

[8https://revista.eneltapete.com/eneltapete/notas/22316/el-acuerdo-de-ginebra

[9] Le 14 février 1904, la levée du blocus sera la contrepartie d’accords par lesquels le Venezuela s’engagea à payer sa dette.

[10] Par solidarité anglo-saxonne, on entend ici celle qui unit les pays dont la colonisation britannique a fortement influencé l’organisation sociale, politique, culturelle, et où la langue principale est l’anglais (actuellement le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et certaines îles de la Caraïbe).

[11] Vol.43, n° 3, juillet 1949.

[12] Nations Unies, Recueil des traités, vol. 561, n° 8192, p.322.

[13] Lire Bernard Cassen, « La Guyana est bien partie », Le Monde diplomatique, juillet 1974.

[14https://lagranaldea.com/2023/09/29/guayana-esequiba-el-dia-en-que-venezuela-evito-una-guerra-pero-perdio-una-oportunidad/

[15http://www.visconversa.com/index.php/2019/01/04/la-rebelion-de-rupununi/

[16] Allusion à la tentative d’invasion de Cuba par une troupe mercenaire financée et entraînée par la CIA, le 17 avril 1961.

[17Ibidhttp://www.visconversa.com/index.php/2019/01/04/la-rebelion-de-rupununi/

[18] Organisation intergouvernementale actuellement composée de 56 Etats membres, presque tous anciens territoires de l’Empire britannique..

[19https://peacemaker.un.org/sites/peacemaker.un.org/files/GY-GB-VE_700618_Protocol%20of%20Port%20of%20Spain_0.pdf

[20] Habitant de l’île de La Grenade.

[21http://www.elnuevoherald.com/2011/09/30/1035455/venezuela-y-guyana-ratifican-buena.html#ixzz1ZWB8cCC9

[22https://media.defense.gov/2023/Apr/25/2003208200/-1/-1/0/3338.PDF

[23] Steve Coll, Private Empire. ExxonMobil and American Power, Penguin Press, New York, 2012.

[24https://www.commondreams.org/news/2017/11/06/probe-demanded-after-wilbur-ross-rex-tillerson-implicated-paradise-papers

[25] ConocoPhillips exigeait quant à elle 21 milliards de dollars. Le Ciadi lui en accordera 8,7 milliards en avril 2019.

[26] Argentine, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica, Guatemala, Honduras, Mexique, Panamá, Paraguay, Pérou, Guyana et Sainte-Lucie.

[27] Raphael Trotman, From destiny to prosperity, Isaiah Publications, Georgetown, 2023.

[28https://alefleming.wordpress.com/2020/07/12/guyana-contra-venezuela-la-competencia-de-la-corte-internacional-de-justicia-parte-ii/

[29] Lire « Un président imaginaire renversé par une Assemblée qui n’existe pas » (17 janvier 2023) – https://www.medelu.org/Un-president-imaginaire-renverse-par-une-Assemblee-qui-n-existe-pas

[30] Participent : Etats-Unis, Guyana, Antigua-et-Barbuda, Bahamas, Belize, Bermudes, Canada, Dominique, République dominicaine, Royaume-Uni, France, Grenade, Jamaïque, Mexique, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les Grenadines, Suriname et Trinidad et Tobago.

[31https://theintercept.com/2023/06/18/guyana-exxon-mobil-oil-drilling/

[32https://www.kaieteurnewsonline.com/2023/12/28/guyana-would-have-been-receiving-full-50-today-from-three-oil-projects/

[33https://www.elcolombiano.com/colombia/petro-ya-se-pronuncio-sobre-el-conflicto-entre-venezuiela-y-guyana-EC23305177

[34https://nouveaupartianticapitaliste.fr/maduro-veut-assimiler-une-grande-partie-du-guyana/

L’auteur : Maurice Lemoine, Journaliste

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Exxon Mobil veut déclencher une guerre en Amérique latine, par Vijay Prashad

Photo: Le président du Venezuela, Nicolás Maduro (à droite) lors de la fête populaire à Caracas après le référendum consultatif sur El Esequibo. EFE/ Miguel Gutiérrez

Défaite cuisante des grands médias, d’Exxon Mobil et du Pentagone à la manœuvre pour s’emparer d’un territoire riche en pétrole appartenant au Venezuela (1). Le 3 décembre 2023, la population vénézuélienne a participé massivement à un référendum consultatif, et a répondu par l’affirmative aux cinq questions posées. Ces questions demandaient aux votant(e)s s’ils ou elles reconnaissaient la souveraineté de leur pays sur l’Esequibo. Une très forte majorité (droite et gauche confondues) a voté pour le respect de l’intégrité territoriale.

Loin de l’image construite par les médias, le Venezuela est non seulement la démocratie participative la plus avancée du monde, mais il bat tous les records en nombre de scrutins: 30 en 24 ans de révolution, validés par la majorité des observateurs internationaux. (2)

« Les campagnes médiatiques internationales ne pourront jamais le cacher. Le référendum consultatif a été un succès pour le peuple vénézuélien. Et nous devons respecter la décision de celles et ceux qui se sont exprimés dans les urnes », a expliqué le président Maduro, avant de proposer à l’Assemblée Nationale d’approuver une loi spéciale décrétant des zones de protection environnementale et de nouveaux parcs nationaux dans l’Esequibo, ou d’établir une règle interdisant la conclusion de contrats avec des entreprises comme Exxon Mobil qui exploitent les concessions unilatérales accordées par le Guyana dans la mer à délimiter. Maduro a également autorisé le lancement du plan d’assistance sociale pour la population de l’Esequibo, ainsi que la réalisation d’un recensement pour les aides sociales et la délivrance de cartes d’identité à ses habitants. » « Aujourd’hui, a conclu le président vénézuélien Nicolas Maduro, il n’y a ni gagnant ni perdant. Le gagnant est la souveraineté du Venezuela. » Le principal perdant, selon M. Maduro, est la compagnie extractiviste états-unienne ExxonMobil.

De quoi Exxon Mobil est le nom

En 2022, Exxon Mobil a réalisé un bénéfice de 55,7 milliards de dollars, ce qui en fait l’une des compagnies pétrolières les plus riches et les plus puissantes du monde. Les entreprises telles qu’Exxon Mobil exercent un pouvoir démesuré sur l’économie mondiale et sur les pays qui possèdent des réserves de pétrole. Elles ont des tentacules dans le monde entier, de la Malaisie à l’Argentine. Dans son ouvrage Private Empire : ExxonMobil and American Power (2012), Steve Coll décrit comment l’entreprise est devenue un « État corporatif au sein de l’État états-unien« . Les dirigeants d’Exxon Mobil ont toujours entretenu des relations étroites avec le gouvernement états-unien : Lee « Iron Ass » Raymond (directeur général de 1993 à 2005) était un ami personnel proche du vice-président états-unien Dick Cheney et a contribué à façonner la politique du gouvernement états-unien en matière de changement climatique ; Rex Tillerson (successeur de Raymond en 2006) a quitté l’entreprise en 2017 pour devenir le secrétaire d’État états-unien sous la présidence de Donald Trump. Coll décrit comment Exxon Mobil utilise le pouvoir de l’État états-unien pour trouver de plus en plus de réserves de pétrole et s’assurer qu’Exxon Mobil devient le bénéficiaire de ces découvertes.

En se promenant dans les différents centres de vote de Caracas le jour du référendum, il était clair que les personnes savaient exactement pour quoi elles votaient : nullement contre le peuple du Guyana, un pays avec une population d’un peu plus de 800 000 habitants, mais pour la souveraineté vénézuélienne, contre des entreprises telles qu’Exxon Mobil. L’atmosphère de ce vote – empreinte de patriotisme – était marquée sur le désir de supprimer l’influence des multinationales et de permettre aux peuples d’Amérique du Sud de résoudre leurs différends et de partager leurs richesses entre eux.

Quand le Venezuela a éjecté Exxon Mobil

Lorsque Hugo Chávez a remporté l’élection à la présidence du Venezuela en 1998, il a déclaré presque immédiatement que les ressources du pays – principalement le pétrole – devaient être entre les mains du peuple et servir dorénavant à financer le développement social du pays, et non les dividendes des compagnies pétrolières telles qu’Exxon Mobil. « El petroleo es nuestro » (le pétrole est à nous) était le slogan du jour. À partir de 2006, le gouvernement de Chávez a entamé un cycle de nationalisations, avec le pétrole au centre (le pétrole avait été nationalisé dans les années 1970, puis privatisé à nouveau deux décennies plus tard). La plupart des multinationales pétrolières ont accepté les nouvelles lois de régulation de l’industrie pétrolière, mais deux ont refusé : ConocoPhillips et Exxon Mobil. Les deux sociétés ont exigé des dizaines de milliards de dollars de compensation, bien que le Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI) ait estimé en 2014 que le Venezuela ne devait payer à Exxon Mobil que 1,6 milliard de dollars.

Rex Tillerson était furieux, selon des personnes qui travaillaient chez Exxon Mobil à l’époque. En 2017, le Washington Post a publié un article qui traduisait le sentiment de Tillerson : « Rex Tillerson s’est fait griller au Venezuela. Puis il s’est vengé. » Exxon Mobil a signé un accord avec le Guyana pour explorer le pétrole offshore en 1999, mais n’a commencé à explorer le littoral qu’en mars 2015, après le verdict négatif du CIRDI. Exxon Mobil a utilisé toute la force de la campagne de pression maximale des États-Unis contre le Venezuela à la fois pour consolider ses projets dans le territoire contesté et pour saper la revendication du Venezuela sur la région de l’Esequibo. C’était la revanche de Tillerson.

La mauvaise affaire d’Exxon Mobil pour le Guyana

En 2015, Exxon Mobil a annoncé qu’elle avait trouvé 295 pieds de « réservoirs de grès pétrolifères de haute qualité » ; il s’agit de l’une des plus grandes découvertes de pétrole de ces dernières années. Le géant pétrolier a entamé des consultations régulières avec le gouvernement guyanais, s’engageant notamment à financer tous les coûts initiaux de l’exploration pétrolière. La fuite de l’accord de partage de la production conclu entre le gouvernement guyanais et ExxonMobil a révélé la piètre position du Guyana dans les négociations. ExxonMobil s’est vu attribuer 75 % des recettes pétrolières pour le recouvrement des coûts, le reste étant partagé à parts égales avec le Guyana ; la compagnie pétrolière, quant à elle, est exonérée de tout impôt. L’article 32 (« Stabilité de l’accord ») stipule que le gouvernement « ne peut amender, modifier, annuler, résilier, déclarer invalide ou inapplicable, exiger une renégociation, imposer un remplacement ou une substitution, ou chercher à éviter, altérer ou limiter le présent accord » sans le consentement d’Exxon Mobil. Cet accord piège tous les futurs gouvernements guyanais dans un très mauvais accord.

Pire encore pour le Guyana, l’accord est conclu dans des eaux disputées avec le Venezuela depuis le 19ème siècle. L’incurie des Britanniques, puis des États-Unis, a créé les conditions d’un différend frontalier dans cette région qui ne connaissait que des problèmes limités avant la découverte du pétrole. Au cours des années 2000, le Guyana a entretenu des liens fraternels étroits avec le gouvernement vénézuélien. En 2009, dans le cadre du programme PetroCaribe, le Guyana a acheté du pétrole à prix réduit au Venezuela en échange de riz, une aubaine pour l’industrie rizicole guyanaise.Le programme « pétrole contre riz » a pris fin en novembre 2015, en partie en raison de la baisse des prix mondiaux du pétrole.Pour les observateurs de Georgetown et de Caracas, il est clair que le programme a souffert des tensions croissantes entre les pays au sujet de la région contestée de l’Esequibo.

ExxonMobil divise pour mieux régner

Le référendum du 3 décembre au Venezuela et la manifestation des « cercles d’unité » au Guyana suggèrent un durcissement de la position des deux pays. En marge de la COP-28, le président du Guyana, Irfaan Ali, a rencontré le président cubain Miguel Díaz-Canel et le premier ministre de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Ralph Gonsalves, pour discuter de la situation. M. Ali a demandé à M. Díaz-Canel d’exhorter le Venezuela à maintenir une « zone de paix ».

La guerre ne semble pas se profiler à l’horizon. Les États-Unis ont levé une partie de leur blocus sur l’industrie pétrolière vénézuélienne, permettant à Chevron de redémarrer plusieurs projets pétroliers dans la ceinture de l’Orénoque et dans le lac de Maracaibo. Washington n’a pas envie d’aggraver son conflit avec le Venezuela. Mais Exxon Mobil, si. Ni le peuple vénézuélien ni le peuple guyanais ne bénéficieront de l’intervention politique d’ExxonMobil dans la région. C’est pourquoi tant de Vénézuéliens venus voter le 3 décembre ont considéré qu’il s’agissait moins d’un conflit entre le Venezuela et le Guyana que d’un conflit entre ExxonMobil et les peuples de ces deux pays d’Amérique du Sud.

Vijay Prashad

Traduction et adaptation : Thierry Deronne

Source : https://peoplesdispatch.org/2023/12/05/exxonmobil-wants-to-start-a-war-in-latin-america/

Notes :

(1) Lire : « Venezuela : l’accaparement d’un territoire par Exxon Mobil et le Pentagone. » https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/12/03/venezuela-laccaparement-dun-territoire-par-exxon-mobil-et-le-pentagone/

(2) Lire « Venezuela: les observateurs internationaux saluent la transparence du scrutin. » https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/11/23/venezuela-alors-que-les-observateurs-internationaux-saluent-la-haute-transparence-du-scrutin-des-leaders-de-la-droite-appellent-a-tourner-la-page-du-putschisme-de-guaido/

L’auteur : Vijay Prashad est un historien, éditeur et journaliste indien. Il est chargé d’écriture et correspondant en chef de Globetrotter.Il est éditeur de LeftWord Books et directeur du Tricontinental Institute for Social Research.

Auteur de plus de 20 livres dont The Darker Nations et The Poorer Nations. Ses derniers ouvrages parus sont Struggle Makes Us Human : from Movements for Socialism et (avec Noam Chomsky) The Withdrawal : Iraq, Libya, Afghanistan, and the Fragility of U.S. Power.

Cet article a été produit par Globetrotter.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/12/06/exxon-mobil-veut-declencher-une-guerre-en-amerique-latine-par-vijay-prashad/

Malhonnêteté « calibrée » : pourquoi les médias occidentaux continuent à occulter les sanctions contre le Venezuela (Fair.org)

Selon AP (17/5/22), les États-Unis vont « alléger quelques sanctions économiques contre le Venezuela »…

Par Ricardo VAZ

Les sanctions décrétées par les États-Unis d’Obama à Biden en passant par Trump ont tué, même selon des estimations déjà dépassées, des dizaines de milliers de Vénézuéliens. Ces politiques unilatérales ont été largement condamnées par les organismes multilatéraux et les experts en droits humains de l’ONU Alfred de Zayas ou Alena Douhan pour leur impact meurtrier, ainsi que pour leur violation du droit international (Venezuelanalysis, 18/09/21, 15/09/21, 25/03/21, 31/01/19).
Mais les lecteurs/téléspectateurs des médias privés du monde occidental ne sont absolument pas conscients de cette réalité, car les médias de l’establishment ont fait tout leur possible pour valider les sanctions en occultant complètement leurs effets humains et sociaux (FAIR.org, 6/4/21, 12/19/20) – en écrivant par exemple que Washington a « sanctionné le gouvernement » (AP, 5/21/22) plutôt que le peuple du Venezuela.

Une récente ouverture politique de la part de Biden, microscopique au départ et fermée assez rapidement, a mis en évidence tous ces traits malhonnêtes, illustrant à quel point les responsables des États-Unis ont les coudées franches pour continuer à infliger une punition collective aux Vénézuéliens sans être remis en question ni être contrôlés par personne.

Les sténographes l’ont à la bonne…

…alors que NBC (17/5/22) dit que les « États-Unis allègent certaines sanctions » en usant de l’indicatif présent…

Le 17 mai, le département du Trésor des États-Unis a autorisé la compagnie pétrolière américaine Chevron à s’entretenir avec PDVSA, la compagnie pétrolière d’État vénézuélienne, pour discuter de ses activités dans le pays. Les responsables ont clairement indiqué qu’il était toujours interdit au géant de l’énergie de forer ou de vendre du brut vénézuélien (AP, 17/5/22).
Deux semaines plus tard, la Maison Blanche a renouvelé la licence actuelle de Chevron, qui ne permet que des travaux de maintenance, jusqu’en novembre. Néanmoins, cette brève « ouverture » a révélé quelques techniques intéressantes…

Tout d’abord, tous les médias mainstream ont pratiquement fait le même titre, écrivant que les États-Unis « assouplissent certaines sanctions » (NBC, 17/5/22), allaient « assouplir quelques sanctions économiques » (AP, 17/5/22) ou « commencent à assouplir les restrictions » (Washington Post, 17/5/22) sur le Venezuela. Et bien que la portée très étroite de l’autorisation ait laissé peu de choix de mots, elle n’a certainement pas forcé les journalistes du secteur privé à s’en tenir aux informations fournies par des « fonctionnaires anonymes« .
Pas un seul média de l’establishment n’a mentionné que les sanctions ont un impact sur les Vénézuéliens ordinaires. Au lieu de cela, le privilège de « simplement pouvoir parler » à des compagnies pétrolières a été dépeint comme une incitation pour le président Nicolás Maduro à reprendre le dialogue avec l’opposition !

…et le Washington Post (17/5/22) annonce à ses lecteurs que les États-Unis « commencent à assouplir les restrictions ».

Le rachitique arrière-plan/contexte fourni dans la plupart des articles laisse la place à de nombreuses allégations. Lorsque l’on évoque les raisons de l’échec des pourparlers entre le gouvernement et l’opposition en octobre dernier, on dit aux lecteurs que Maduro s’est retiré après « l’extradition d’un allié proche/clé » aux États-Unis (Washington Post, 17/5/22 ; AP, 17/5/22). Toutefois, il n’est jamais fait mention du fait que, selon les documents officiels divulgués par Caracas, l' »allié » en question (Alex Saab) jouit de l’immunité diplomatique, et que Washington a violé la convention de Vienne en le faisant arrêter à l’étranger et en l’extradant (FAIR.org, 21/07/21).

Les médias privés ont continué à se faire l’écho d’accusations sans fondement contre le gouvernement élu de Nicolas Maduro comme s’il s’agissait de vérités absolues, qu’il s’agisse de fraude électorale (FAIR.org, 27/01/21), de trafic de drogue (FAIR.org, 24/09/19) ou de censure des médias (FAIR.org, 20/05/19). La conséquence est qu’à présent, aucun rédacteur en chef ne bronchera devant une description du gouvernement vénézuélien comme étant « autoritaire » (Washington Post, 17/5/22), « autocratique » (CNN, 17/5/22) ou « corrompu et répressif » (New York Times, 17/5/22).

Les journalistes de l’establishment se sont montrés assez enthousiastes dans le relai des menaces de style mafieux de leurs sources anonymes, à savoir que les États-Unis « calibreront » leurs sanctions en fonction des progrès jugés acceptables dans les pourparlers entre le gouvernement et la droite (Reuters, 17/5/22 ; NBC, 17/5/22 ; AFP, 17/5/22 ; AP, 17/5/22). Les responsables états-uniens font référence aux politiques qui tuent des milliers de civils comme s’il s’agissait d’un commutateur qu’ils peuvent baisser ou remonter à volonté, et leurs complices dans les médias ne voient aucune raison de s’en alarmer. D’ailleurs, pourquoi faudrait-il s’en alarmer ?

Le New York Times (17/5/22) a titré de manière plus correcte que les États-Unis allaient « offrir un allégement mineur des sanctions ».

Pour sa part, le New York Times (17/5/22) a décrit les mesures comme un « allégement mineur des sanctions« , ce qui, malgré l’adjectif, semble encore un peu exagéré, considérant que les sanctions impliquent un embargo pétrolier et qu’il n’y a eu en tout qu’une simple conversation avec Chevron. Le journal de référence a également essayé de dépeindre les sanctions comme ayant peu à voir avec l’effondrement de l’industrie pétrolière du Venezuela, en écrivant qu’elles n’ont commencé qu’en 2019. En fait, les premières mesures prises à l’encontre de PDVSA – la coupant du crédit international – datent de la mi-2017, après quoi la production s’est effondrée, passant de près de 2 millions de barils par jour à 350 000 en trois ans (Venezuelanalysis, 27/08/21), faisant perdre comme l’a rappelé l’ex-président économiste Rafael Correa 99% de ses revenus à l’État vénézuélien.

Simultanément, l’espagnol Repsol et l’italien Eni ont obtenu des licences d’exploitation de pétrole en contrepartie de dettes qui « ne profiteront pas financièrement à [PDVSA] » (Reuters, 6/5/22). Et aucun journaliste de média privé n’a trouvé à redire sur le fait que, d’une manière ou d’une autre, c’est le département du Trésor américain qui a le pouvoir « d’autoriser » les entreprises européennes à traiter avec le Venezuela.

Toutes les critiques ne sont pas égales…

Wall Street Journal : L’allégement des sanctions contre le Venezuela est un piège pour Biden. Mary Anastasia O’Grady (Wall Street Journal, 19/5/22) a averti que les États-Unis « se dirigeaient sur la pointe des pieds vers un rapprochement avec le dictateur Nicolás Maduro ».

Le fait que l’administration Biden revisite ne serait-ce qu’un peu sa politique de sanctions a généré une réaction féroce qui a alimenté le parti pris des médias d’entreprise. La section d’opinion du Wall Street Journal a fourni son extrémisme habituel, avec un membre du comité éditorial, Mary Anastasia O’Grady (26/5/22) écrivant que les États-Unis pourraient se diriger « sur la pointe des pieds vers un rapprochement avec le dictateur Nicolás Maduro qui abandonnera la cause de la liberté vénézuélienne« .

La chroniqueuse du Wall Street Journal a qualifié le « président intérimaire » vénézuélien non élu de l’opposition, Juan Guaidó, de « reconnu internationalement« , alors que le nombre de pays qui le reconnaissent effectivement n’est plus que de 16 (Venezuelanalysis, 12/8/21). Elle a en quelque sorte présenté le coup d’État militaire, médiatique et patronal d’avril 2002, soutenu par les États-Unis et qui a brièvement renversé le président démocratiquement élu Hugo Chávez, comme « des opposants qui défendent l’État de droit en utilisant les institutions« .

Mais les reportages étaient également très partiaux lorsqu’il s’agissait de peser le pour et le contre de l’initiative de l’administration Biden. En effet, seules les critiques « bellicistes » de la politique officielle sont diffusées (FAIR.org, 5/2/22).

Un groupe de personnalités de la droite vénézuélienne, allant d’économistes à des analystes politiques en passant par des chefs d’entreprise, a écrit une lettre à l’administration Biden en avril pour demander un allègement des sanctions (Bloomberg, 4/14/22). Bien qu’ils aient reconnu le rôle supposé des États-Unis dans la résolution de la crise politique du pays, ils ont souligné l’évidence : les sanctions nuisent au peuple vénézuélien. Néanmoins, lorsqu’il a été temps de discuter de la politique de sanctions, aucune de ces personnalités n’a été contactée par les journalistes des médias privés pour faire un commentaire.

The Guardian : L’Occident ne doit pas lever les sanctions contre Maduro, affirme l’opposition vénézuélienne
La levée des sanctions contre le Venezuela « donnerait la victoire à une alliance autocratique dirigée par Vladimir Poutine », selon celui que le Guardian (14/5/22) appelle « le vice-ministre des affaires étrangères du pays ».

Au lieu de cela, le Guardian (14/5/22) a tendu la main aux partisans de la ligne dure, allant jusqu’à interviewer une personne ayant un emploi fictif dans le « gouvernement intérimaire » de Guaidó et l’appelant « vice-ministre des affaires étrangères du pays« . La politicienne parrainée par les États-Unis s’oppose à l’allègement des sanctions sans concessions politiques et – suivant les dernières tendances en matière de propagande – prévient que « si Maduro est aidé, Poutine l’est aussi. »

Un certain nombre de démocrates de la Chambre des représentants des États-Unis s’opposent de plus en plus vivement à la politique vénézuélienne de l’administration, en raison de ses conséquences humanitaires. Quelques jours avant les timides ouvertures, ils ont écrit une autre lettre à Biden (The Hill, 5/12/22). Mais lorsqu’il a fallu évaluer la dernière mesure, cette lettre n’a mérité qu’une seule phrase dans un seul rapport (AP, 17/5/22).

En revanche, le sénateur Marco Rubio (Guardian, 19/5/22) et le représentant Michael McCaul (New York Times, 17/5/22), tous deux républicains d’extrême droite, étaient présents pour accuser l’administration d' »apaiser » ou de « capituler » devant Maduro. Le seul démocrate présent était le faucon anti-Cuba et anti-Venezuela notoire Bob Menendez, dont le rejet de toute pitié envers le Venezuela a été largement diffusé (AP, 17/5/22 ; AFP, 17/5/22 ; NBC, 17/5/22 ; Washington Post, 17/5/22 ; Reuters, 17/5/22).

Il est remarquable que, même après la décision de l’administration Biden de repousser l’octroi de la licence à Chevron jusqu’aux élections de mi-mandat, des agences comme Associated Press (27/5/22) n’ont fait que soutenir les partisans de la ligne dure. Et donc, avec pratiquement aucun changement dans les efforts de « pression maximale » de Trump, le public des médias privés verra la Maison Blanche critiquée pour « s’être pliée en quatre pour apaiser un despote du pétrole« , mais pas pour avoir causé la sous-alimentation de 30% de la population vénézuélienne (Venezuelanalysis, 22/08/21).

Des impérialistes au pays des merveilles

Bloomberg : Les États-Unis ont besoin d’en voir plus de la part de Maduro pour alléger les sanctions contre le Venezuela. « La levée unilatérale des sanctions contre le Venezuela ne va pas améliorer la vie des Vénézuéliens », a affirmé de manière absurde un haut conseiller de la Maison Blanche à Bloomberg (19/5/22).

Si les journalistes occidentaux ne sont pas désireux de dire à leur public ce que les sanctions ont signifié, ils sont encore moins désireux de contester les faussetés flagrantes provenant de personnalités haut placées du Beltway.

Dans un reportage de Bloomberg (19/5/22), les rédacteurs Patrick Gillespie et Erik Schatzker ont emprunté un chemin familier en permettant au conseiller principal de la Maison Blanche Juan Gonzalez de jouer les preneurs d’otages, en exigeant que l’allègement des sanctions nécessite des « mesures démocratiques » non spécifiées et des « libertés politiques plus grandes« . Mais dans le processus, ils ont publié un mensonge scandaleux et flagrant.

« La levée unilatérale des sanctions à l’encontre du Venezuela ne va pas améliorer la vie des Vénézuéliens« , a déclaré M. Gonzalez, cité par Bloomberg. Étonnamment, les auteurs ont publié cette déclaration sans émettre la moindre réserve ou critique, alors qu’en fait la levée des sanctions est la chose la plus évidente que les États-Unis pourraient faire pour améliorer la vie des Vénézuéliens.

Le gouvernement vénézuélien, des personnalités/groupes de la droite vénézuélienne, des rapporteur(se)s spéciaux des Nations Unies, des groupes de réflexion, des économistes, des représentants des États-Unis et même la Chambre de commerce états-unienne ont documenté ou au moins reconnu les conséquences néfastes des sanctions unilatérales. Ne pas inclure une seule de ces sources pour équilibrer les propos de Gonzalez est un choix aussi délibéré que malhonnête.

La dernière apparition du Venezuela sous les projecteurs a montré une fois de plus à quel point les médias privés sont essentiels pour défendre la politique étrangère des États-Unis. Avec leurs efforts « calibrés » pour dissimuler les conséquences des sanctions, les journalistes occidentaux ont en fait rendu invisibles au public des milliers et des milliers de victimes vénézuéliennes. Ce sont eux qui mériteraient d’être sanctionnés.

Ricardo Vaz

Source : https://fair.org/home/calibrated-dishonesty-western-media-coverage-of-venezuela-sanctions/

Traduit de l’anglais par Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/06/15/malhonnetete-calibree-pourquoi-les-medias-occidentaux-continuent-a-occulter-les-sanctions-contre-le-venezuela-fair-org/

Interview du Président Maduro par Ignacio Ramonet : de la résistance à la croissance en 2022; les trois défis d’une révolution mondiale.

Ignacio Ramonet – Bonsoir Monsieur le Président, merci beaucoup de nous recevoir et de nous accorder cette interview. C’est déjà un classique, non ? Comme au football (rires) ces rencontres que nous avons…

Nicolás Maduro Oui, c’est un peu comme les matches du Real Madrid-Barcelone (rires). 

Ignacio Ramonet C’est la sixième fois que nous réalisons un entretien à la fin de l’année, afin de faire le bilan de l’année qui s’achève mais aussi de dessiner des perspectives pour l’année qui commence.

Nicolas Maduro – exact.

Ignacio Ramonet – j’aimerais vous interroger autour de trois thèmes : la politique intérieure, l’économie et la politique internationale. Et j’aimerais terminer par une dernière question sur un sujet beaucoup plus vaste. Commençons par la politique intérieure. Au Venezuela comme dans d’autres pays, l’année 2021, puis 2022, ont été marquées par la pandémie. Ces dernières semaines on nous annonce, depuis l’OMS aussi, une sorte de tsunami de la variante Ómicron, que nous voyons en Europe en ce moment avec en France 200 mille cas quotidiens il y a quelques jours. La question est : comment le Venezuela va y faire face ? La méthode que vous avez mise en place pour lutter contre la Covid sera-t-elle efficace contre Omicron ? Et enfin, pouvez-vous nous donner une idée de la façon dont la vaccination se passe, au Venezuela ?

Nicolas Maduro – Eh bien, tout d’abord, je tiens à te remercier pour ce cycle d’entretiens qui servent à évaluer ce que nous faisons, depuis 2016, nous voici déjà à l’orée de 2022. J’envoie un salut à tous les adeptes de vos interviews, de vos articles et à tous ceux dans le monde qui peuvent nous voir et nous entendre. 

Cette variante Ómicron rappelle au monde que la pandémie n’est pas terminée, que les prévisions sur une fin de la pandémie ne sont pas exactes, qu’il est donc nécessaire de combiner des mesures préventives de biosécurité sanitaire, de vaccination de masse, avec la recherche scientifique à la recherche de solutions et de traitements pour ce coronavirus, qui a déjà eu tant de variantes.

Ómicron a des dizaines de mutations, ce qui la rend plus contagieuse. Jusqu’à présent les études qui ont été faites dans le monde disent que cette variante n’est pas plus mortelle, mais plus contagieuse, d’où les phénomènes que nous voyons en Espagne, en Italie, en Allemagne, en France, aux États-Unis, de milliers, de milliers de cas; aux États-Unis, il y a eu 250 000 cas en une seule journée; en Espagne, ils ont atteint 1400 cas pour 100 000 habitants, 1400 cas pour 100 000 habitants, 100 000 cas par jour.

Nous avons fait un grand effort avec beaucoup de conscience collective, de discipline, avec beaucoup de leadership de la révolution, du système de santé publique que nous avons, le rôle éminent des médecins femmes et hommes, des infirmières, de tout ce que nous appelons la Mission 100% santé « Barrio Adentro » (« au cœur du quartier »). Avec toute une batterie de mesures offertes à la population depuis le gouvernement bolivarien.

L’élément clé de la prévention est la sensibilisation, c’est l’éducation des personnes. Si les gens sont motivés, si les gens sont bien informés, ils prennent soin d’eux-mêmes. Si vous donnez en permanence aux gens de bonnes raisons de prendre soin d’eux-mêmes, ils veilleront à prendre eux-mêmes leurs mesures de biosécurité.

Nous avons suivi une méthode depuis 2020 qui a couvert pratiquement toute l’année, et que nous avons levée en novembre, qui est la méthode « sept + sept », une semaine flexible suivie d’une semaine plus préventive. Cette année, les variantes brésiliennes sont arrivées ici, les deux variantes brésiliennes, la variante Delta est arrivée, plus létale, toutes sont venues et sont entrées par la Colombie et le Brésil; et maintenant nous venons de détecter la variante Ómicron. Et nous avons maintenu par rapport au monde, en particulier ce qu’ils appellent le monde développé, les États-Unis, l’Europe et tous ces pays, en ce qui concerne le nombre de contagions et de décès et les pourcentages qu’ils ont, le Venezuela a eu un contrôle exemplaire sur la pandémie. Nous l’avons maintenue, avec la méthode « sept + sept ».

Quand nous avons commencé à progresser dans la vaccination, avec déjà 40% de la population vaccinée, nous avons repris les classes présentielles et flexibilisé les mesures de biosécurité, puis nous sommes passés à une flexibilisation totale. C’est ainsi que le pays a fonctionné, en novembre, avec une affluence spectaculaire des gens dans les rues, sur les places publiques, les boulevards, les parcs, les fêtes, ce fut un Noël vraiment formidable, heureux. Et malgré ce grand brassage, tu peux voir comment notre peuple prend soin de lui-même, vraiment. Il peut y avoir une personne qui, par fatigue ou négligence, cesse de porter le masque, mais c’est circonstanciel, dans l’ensemble, les gens prennent soin d’eux-mêmes.

Nous arrivons à des chiffres vraiment impressionnants. Le Venezuela vient d’atteindre 6 cas pour 100.000 habitants. Alors que l’Espagne, les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie, se disent « pays développés », possèdent la richesse du monde, n’est-ce pas ?, eh bien, cet humble pays appelé Venezuela atteint six cas pour 100.000 habitants. Et malgré ce chiffre, vraiment impressionnant, nous maintenons les soins et l’ensemble des mesures sur la population afin qu’elle puisse continuer à être prise en charge. Et nous nous sommes également fixé comme objectif d’atteindre 90% de vaccination.

Il faut tenir compte du fait que les mesures coercitives illégales connues comme « sanctions », le blocus, la guerre économique des États-Unis contre le Venezuela cette année, avaient notamment pour but de nous priver de vaccins, Ramonet ! Ils ont menacé toutes les compagnies internationales de vaccins de sanctions si elles vendaient des vaccins au Venezuela. Le monde doit le savoir. Le gouvernement états-unien a menacé toutes les entreprises du monde. Puis ils ont dit que c’était un mensonge. Et nous avons fait notre travail, intensivement, pour réussir à acquérir tous les vaccins dont le pays avait besoin cette année (principalement de Cuba, de la Chine, de Russie, contrairement en Europe où règnent Pfizer and Co, NdT). Je te donne un scoop : nous avons atteint 89% de la vaccination. Et nous en avons en stock, pendant le mois de janvier de nouveaux lots de vaccins arriveront, nous avons déjà budgétisé tous les vaccins dont le peuple vénézuélien a besoin pour les rappels au cours de l’année 2022.

« Les mesures préventives contre la Covid doivent être prises volontairement, consciemment,  elles ne peuvent pas être imposées à la population ni avec des couvre-feux, ni avec la répression »

Le monde devrait savoir que nous vaccinons à partir de 2 ans, puis nous commençons à vacciner à partir de 18 ans, puis les femmes enceintes, puis nous commençons à vacciner de 12 à 18 ans. Ce qui va nous donner une immunité plus forte, cela va nous donner une protection plus puissante pour notre population.

Je crois donc que le virus continuera d’affecter l’Humanité, nous devons rester attentifs à la bonne méthode à appliquer. Nous ne pouvons pas renoncer à la méthode « sept + sept », ni renoncer aux mesures préventives. Mais que ce soit volontairement et consciemment; les mesures préventives ne peuvent pas être imposées à la population avec des couvre-feux, avec la répression, les mesures préventives doivent être basées sur la conquête de la conscience et de la volonté du peuple, pour démontrer l’équité des mesures de protection de la santé. En 2022, j’espère qu’en réalisant la vaccination de 95% de la population, nous aurons un pays calme, avec sa population libre de se déployer, de travailler, avec une vie sociale relativement normale, de la même manière heureuse qu’il a pu vivre durant ces deux derniers mois de l’année 2021.

Ignacio Ramonet – Après les élections régionales et municipales du 21 novembre, j’aimerais que vous nous donniez votre analyse des résultats, que révèlent ces résultats sur l’état des forces politiques actuelles au Venezuela?

Nicolas Maduro – Les méga-élections du dimanche 21 novembre de cette année, nous donnent beaucoup matière à réfléchir. Cette campagne électorale n’a pas été facile, je l’ai dit à plusieurs reprises à la direction de campagne des forces révolutionnaires dirigées par le camarade Diosdado Cabello, parce que le blocus, les sanctions ont créé des problèmes de services publics, des problèmes dans la vie quotidienne du peuple, qu’il y a une bonne partie de la population qui ne comprend pas que ces effets proviennent en grande partie des sanctions, il y a beaucoup de mécontentement, de désagréments. C’est ce que l’impérialisme américain recherche quand il met un pays sous pression,  pour l’écraser, comme il l’a fait avec le Venezuela, il cherche à créer cette confusion, cet agacement, la protestation du peuple, c’est le but de leurs mesures coercitives et unilatérales, leurs sanctions, de leur guerre économique contre nos finances publiques, contre notre liberté de commercer.

J’ai dit aux compagnons : regardez, il y a des problèmes dans des services publics importants tels que l’eau, il y a des problèmes qui sont venus du sabotage du système électrique, il y a des problèmes dans tout ce qui est le service des déchets solides, ce sont les problèmes que les maires et les gouverneurs doivent résoudre, ce sont de vrais problèmes de la population. Beaucoup d’entre eux causés par le blocus occidental, par l’accès impossible aux pièces de rechange, aux équipements que tout pays doit renouveler pour maintenir ses services publics, et constituer un stock de pièces de rechange pour maintenir en état leurs services publics.

Nous sommes arrivés à un point où pour acheter les pièces de rechange d’une pompe à eau – au Venezuela 90% de l’eau doit être montée des rivières aux villes en altitude-, pour acheter un moteur, une pompe à eau d’une certaine envergure ou des pièces de rechange, l’OFAC, le gouvernement états-unien, empêchent le Venezuela de l’acquérir.  Comment expliquer tout cela à la population? On lui explique, et il y a une partie de la population qui le comprend parfaitement, qui d’une manière stoïque et héroïque, continue à soutenir la révolution consciemment; mais il y a une autre partie de la population qui s’est dépolitisée et qui tout simplement proteste, s’énerve, blâme le gouvernement, la révolution et blâme souvent les dirigeants régionaux et locaux. Cette élection n’a pas été facile. Et nous en étions conscients.

Au parti socialiste uni du Venezuela nous avons décidé de mener un processus primaire pour consulter la base, pour choisir nos candidats à partir du vote populaire. Les primaires ont été bonnes, avec une bonne participation. Mais ces primaires ont aussi ouvert des conflits dans les régions, dans les municipalités, avec parfois des divisions en deux groupes, ou trois. Si Ramonet et Maduro se sont lancés pour être gouverneur de l’État et que Ramonet a gagné, Maduro a ensuite demandé à ses partisans de ne pas voter pour Ramonet. Ce qui a fait que dans certaines municipalités et dans certains États, eh bien, la bataille a été plus difficile encore. Et nous avons gagné malgré cela et dans certaines municipalités et certains États, en l’occurrence trois États de la République, sur les 23 postes de gouverneurs, l’opposition a remporté trois postes de gouverneur. Et sur les 335 maires, l’opposition en a remporté 108. Beaucoup de nos défaites s’expliquent par ces divisions, ces intrigues et ces affrontements entre groupes, il faut le dire. C’est la première fois que j’en parle, Ramonet.

Les primaires ont laissé des blessures insurmontables dans la plupart des États et des municipalités du pays, qui ont été exploitées de différentes manières par des secteurs de la droite, de l’opposition, et qui ont rendu la bataille plus dure mais malgré ces circonstances objectivement difficiles, produit des sanctions et de ces dimensions subjectives des divisions produites par les primaires, nous avons obtenu une grande victoire, nous avons remporté 65% des maires et des conseils municipaux du pays, nous avons remporté 80% des postes de gouverneurs du pays. Avec un leadership renouvelé lors des primaires, profondément enraciné dans le peuple. Vraiment, Ramonet, ces dirigeants que nous avons dans les rues, dans les communautés, dans les quartiers, dans les municipalités et dans les états, est composé de vrais dirigeant(e)s. Nous avons construit un système de direction et un système de forces vraiment impressionnant qui a rendu possible cette formidable victoire, je dirais (sûrement cette interview sera vue par de nombreux dirigeant(e)s de gauche, de ce qu’on appelle des mouvements progressistes révolutionnaires).

« Quelle force de gauche, quelle force révolutionnaire, quelle force politique de n’importe quelle idéologie dans le monde aujourd’hui peut obtenir une victoire comme celle obtenue par le mouvement chaviste au Venezuela ? »

D’où ma question : après toute la guerre qu’ils ont faite au Venezuela, comment se fait-il que les forces bolivariennes et chavistes obtiennent cette formidable victoire ? Au Venezuela, nous avons organisé 29 élections en 22 ans et c’est la 27e victoire. Il faut en être conscient :  la 27ème victoire. Nous sommes comme je le dis toujours fait de ce bois particulier, enracinés dans le réel, nous sommes réels. Nous avons un leadership, nous ne tournons pas le dos aux gens, nous sommes avec les gens à travers dans les réussites comme dans les épreuves, nous sommes capables de renouveler notre discours, notre programme politique, nous sommes capables de nous renouveler spirituellement, nous sommes capables de renouveler notre sourire et de regarder les gens dans les yeux.

Quelle force de gauche, quelle force révolutionnaire, quelle force politique de n’importe quelle doctrine ou idéologie dans le monde aujourd’hui peut obtenir une victoire comme celle obtenue par le mouvement bolivarien, le mouvement chaviste au Venezuela ? Laissons chacun tirer ses propres conclusions. En tout cas, je pense que cela a été une impulsion importante, cela montre que nous sommes la majorité et que nous avons une base solide pour promouvoir la reprise économique, la relance de l’État-providence et construire ce que nous allons construire, de nouvelles majorités, de nouvelles directions, de nouvelles forces.

Ignacio Ramonet – Il faut ajouter, Monsieur le Président dans cette perspective, qu’en plus de cette victoire dans un cadre très démocratique, ce sont des élections qui ont été menées sous l’observation de centaines d’observateurs internationaux.

Nicolas Maduro – en effet.

Ignacio Ramonet – C’est pratiquement la seule victoire d’un parti au pouvoir dans ce contexte de Covid dans le monde. Aux États-Unis, le parti au pouvoir perd, en ce moment le parti au pouvoir perd, en Allemagne…

Nicolas Maduro – Celui qui a gouverné auparavant a perdu, Donald Trump.

Ignacio Ramonet – Donald Trump, c’est pourquoi Donald Trump a perdu.

Nicolas Maduro – Et maintenant Biden est en train de perdre.

Ignacio Ramonet – Merkel a perdu, en Norvège, aussi, dans de nombreux pays d’Amérique latine, ceux qui gouvernent ont perdu.

Nicolas Maduro – en Argentine Macri a perdu, Piñera au Chili. La droite au Pérou…

Ignacio Ramonet – Toutes ces élections qui ont été faites en cette période de Covid, le résultat est que, celui qui gouverne a du mal à mener à bien ces élections. C’est pourquoi cette victoire au Venezuela est en effet exceptionnelle. J’aimerais aussi que nous parlions de la relation avec la droite et l’extrême droite. Vous avez eu un dialogue avec cette opposition au Mexique, un dialogue avec la médiation de la Norvège. Mais ce dialogue, cette table de dialogue a été interrompu notamment après l’arrestation et l’extradition d’Alex Saab, qui avait un statut diplomatique et son extradition vers les États-Unis. Je voulais vous demander, Monsieur le Président, à quelles conditions comptez-vous reprendre le dialogue avec l’opposition, l’opposition la plus radicale, au Mexique?

Nicolas Maduro – Il est important de garder à l’esprit, Ramonet, que j’ai appelé au dialogue pendant plus de huit ans, presque neuf ans, mille fois je l’ai proposé sous ma présidence, en toutes circonstances j’ai appelé au dialogue politique, avec toutes les oppositions, dialogue, débat, compréhension.  Parce que je suis un homme de dialogue et de paix. Je crois au dialogue, à la compréhension, au débat et je crois à la recherche du consensus et chaque fois qu’il y a eu un dialogue, nous avons trouvé la voie du consensus et de la paix. Je suis contre la violence politique totale que la droite a introduite au Venezuela depuis plusieurs années, à plusieurs reprises, les insurrections violentes d’extrême droite en 2014, ou en 2017. Je suis contre les appels qu’ils ont lancés pour envahir le Venezuela, leur appel aux marines, à l’armée impériale des États-Unis, pour envahir le Venezuela au cours des années 2019, 2020. 

Et cette fois, après plusieurs efforts avec le royaume de Norvège, avec la Russie, avec les Pays-Bas, entre autres, avec le Mexique, nous avons réussi à établir un terrain d’entente avec l’opposition extrémiste, avec l’opposition qui agit en dehors de la Constitution, l’opposition de Guaido/Trump, tout ce que Trump a laissé. Cette opposition en dehors de la Constitution, nous sommes allés la chercher : nous sommes arrivés au Mexique après de nombreuses réunions privées, avec parfois des accords préliminaires via les médiateurs, secrètes et semi-secrètes. Pendant que cette opposition « guaidociste » lançait ses discours grandiloquents, proférant des bêtises, ils nous rencontraient en secret. Et il a été possible de se mettre d’accord sur un accord signé, un mémorandum où l’opposition putschiste de Guaido reconnaît pour la première fois la légitimité constitutionnelle du gouvernement que je préside. On en a beaucoup parlé et expressément, et nous l’avons mis comme condition : « ou vous reconnaissez et signez la reconnaissance du gouvernement constitutionnel ou il n’y a pas de dialogue avec vous ». Et ils ont dit qu’ils signeraient et ils l’ont signé. Les dialogues se sont très bien déroulés, je peux le dire. Nous entrions déjà dans la profondeur des grandes questions de la ré-institutionnalisation du Venezuela, de l’économie, des sanctions pénales, de tout , de la vie du pays. Et alors que nous entamions déjà l’examen de ces grandes questions et qu’il y avait un pré-accord là-dessus, et que nous allions pouvoir donner de bonnes nouvelles et de bonnes nouvelles pour le pays, une fois de plus le gouvernement des États-Unis, le département d’État a commis un acte dont ils savaient à l’avance qu’il allait provoquer la rupture des dialogues.

Ignacio Ramonet – Pensez-vous qu’il s’agit d’un sabotage ?

Nicolas Maduro – Je pense que oui, je n’ai aucun doute, ce fut un sabotage du gouvernement des États-Unis contre le dialogue au Mexique, je peux l’affirmer car nous en avons parlé avec le gouvernement des États-Unis. L’opposition elle-même, son coordinateur Gerardo Blyde, s’est entretenue à Washington avec le département d’État qui lui a donné des garanties, comme à nous, qu’ils n’allaient pas emmener Alex Saab, notre diplomate, pour que les dialogues se poursuivent de manière fructueuse. Et Alex Saab, que nous avions intégré à ces pourparlers, a commencé à participer par vidéoconférence. Mais les États-Unis ont porté un coup, un coup de poignard, à nos négociations au Mexique.

Pourquoi l’ont-ils fait? Vraiment, chacun peut s’interroger : pourquoi les États-Unis sabotent-ils un dialogue fructueux pour le pays, qui donnera des résultats au Venezuela et qui consolidera la paix et l’institutionnalité de notre démocratie? Ils ont enlevé le diplomate Alex Saab, l’ont emmené sans avertissement et sans protestation. Et maintenant Alex Saab est enfermé dans une prison de Floride, ils l’ont kidnappé et ont inventé mille accusations qui ne reposent sur rien. Alex Saab reste notre représentant à la table de négociation au Mexique. Il faudrait qu’il y ait de grands changements dans cette affaire de l’enlèvement d’Alex Saab pour que nous retournions au Mexique.

On verra ce qui se passera en janvier, en février, nous attendons avec impatience les mois à venir.

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président, nous allons parler de l’économie maintenant : il y a quelque chose que tous les analystes – qui étaient si critiques de la situation économique au Venezuela il y a quelques années – disent, et qu’aujourd’hui tous les observateurs notent : malgré le blocus des États-Unis ou de l’Union européenne,  malgré les mesures coercitives et unilatérales, la situation économique s’améliore très visiblement. J’aimerais que vous nous disiez comment vous vous expliquez cette amélioration.

« Le Venezuela dispose de ses propres moteurs pour aller de l’avant et remplacer l’ancienne économie capitaliste dépendante du pétrole, la vieille économie rentière installée au Venezuela pendant 100 ans »

Nicolas Maduro – Eh bien tout d’abord le Venezuela a ses propres moteurs pour répondre à ses besoins économiques. Je le dis depuis longtemps. Le Venezuela a ses propres moteurs économiques, il a une puissance économique, il a une capacité industrielle, il a une capacité technologique, il a les connaissances nécessaires pour aller de l’avant et remplacer l’ancienne économie capitaliste dépendante du pétrole, la vieille économie rentière qui a été installée au Venezuela pendant 100 ans. Une économie devenue totalement dépendante du pétrodollar.

Les sanctions économiques ont sans aucun doute terriblement frappé la vie économique du pays, le revenu économique du pays et donc le revenu économique de l’État, de la classe ouvrière, de la famille vénézuélienne, du monde des affaires. Ces 440 mesures coercitives et sanctions de l’ère Trump contre le Venezuela, ont eu l’effet d’une bombe atomique.

La guerre économique contre la production de pétrole, contre la production d’or, l’attaque contre la monnaie, contre la crypto-monnaie créée comme une alternative pour les achats internationaux.

J’ai lancé le Programme économique bolivarien, ce programme économique composé de 17 moteurs, avec une stratégie de développement pour chacun de ces moteurs.

Et nous avons progressivement mis en œuvre des mesures pour libérer les forces productives dans un schéma d’économie de guerre, qui n’est pas une économie normale. Voyez par exemple l’économie du Mexique, de l’Argentine, du Chili, du Brésil : aucune de ces économies n’est soumise à aucune mesure de blocus, de limitation de leur liberté commerciale, de limitation de leur liberté monétaire, financière, aucune.

Le Venezuela subit une économie de guerre de facto, qui nous a été imposées, brutalement. Je vois parfois des gens qui parlent du Venezuela dans le monde, même des gens qui se disent progressistes et qui ne savent pas ce que c’est que de faire face à une situation comme celle-ci, je voudrais les y voir, j’aimerais les voir à l’œuvre, ces dirigeants qui se disent progressistes et qui répètent tant de clichés sur le Venezuela, alors qu’ils ne savent pas ce que nous avons souffert, et comment de la souffrance nous sommes passés à la résistance et maintenant à la croissance.

Nous avons pris une série de mesures. J’ai ici un document économique du bilan que je m’apprête à présenter à l’Assemblée nationale en janvier 2022, le Venezuela s’est adapté progressivement à la guerre économique, depuis le lancement du Programme de relance économique en août 2018. Nous lancions déjà des éléments pour adapter l’économie à l’économie de guerre.

Nous avons avancé toutes ces années, d’abord la loi sur les délits du change a été abrogée, pour faciliter la circulation de la monnaie, un élément fondamental. En gardant le bolivar comme monnaie, nous rendons le mouvement des devises internationales plus flexible.

Le système de contrôle des prix a été remplacé par un système de prix convenus avec le privé, qui, bien que très faible, aide. Des réformes fiscales ont été menées et un programme de dépenses publiques et d’investissements a été mis en œuvre pour réduire le déficit budgétaire. Et nous faisons de grands progrès dans la réduction du déficit budgétaire.

Un marché des changes a été créé qui n’existait pas au Venezuela, aujourd’hui le taux de change officiel est la moyenne pondérée des marchés de change existants au Venezuela, dans les banques.

Nous avons adapté et créé des mécanismes pour une économie de guerre. Les subventions ont été optimisées. Par exemple, la subvention aux taux d’intérêt sur les prêts et la subvention à l’essence.

Un nouveau cadre juridique a été développé pour faciliter et sécuriser les investissements, et la loi anti-blocus a été approuvée qui fonctionne d’une manière « divine » comme on dirait là-bas dans les Andes.

« Au second semestre de 2021, nous avons connu une croissance économique de 7,5 %. Cela signifie que l’économie avec son propre moteur, avec sa propre force, l’économie réelle, a repris le chemin de la croissance économique. »

Le mécanisme de dialogue avec tous les secteurs privés du pays a également été réactivé. Aujourd’hui, nous avons une relation étroite avec tous les secteurs moyens, petits, moyens, grands, nationaux, internationaux, nous avons un dialogue permanent au sein du Conseil national de l’économie productive.

La production de pétrole et la production des raffineries, du complexe pétrochimique et des complexes d’amélioration du pays se sont progressivement rétablies.

La politique tarifaire est en train d’être récupérée, très importante en tant que mécanisme de promotion et de défense de la production nationale, dans un cadre de respect des accords internationaux, avec le slogan « d’abord le Venezuela, d’abord le nôtre », pour protéger l’industrie nationale, pour protéger les producteurs nationaux.

Cette année, nous avons lancé ce que les experts appellent, la ré-expression monétaire : nous avons éliminé 6 zéros au Bolivar et nous avons renforcé le point de vue psychologique, la gestion du Bolivar dans un cadre général d’amélioration de l’économie. Il a été très bien accepté par la population, le lancement du Bolivar numérique, notre monnaie numérique.

Grâce à cet ensemble de mesures, Ramonet, de manière systématique, soutenue et cohérente, l’économie vénézuélienne est actuellement dans une période claire de reprise.

Je peux te dire que nous avons récupéré la croissance économique et qu’au second semestre de 2021, nous avons connu une croissance économique de 7,5 %. Cela signifie que l’économie avec son propre moteur, avec sa propre force, l’économie réelle, a repris le chemin de la croissance économique. C’est une excellente nouvelle.

C’est le fait surtout de l’économie non pétrolière, bien que l’économie pétrolière soit également en croissance, mais l’économie non pétrolière ne dépend plus des pétrodollars, elle croît sur la base de son propre effort, de sa capacité d’autofinancement et du marché national.

Nous avons réactivé le marché intérieur avec une reprise impressionnante du commerce intérieur, que notre peuple observe.

Par conséquent, sans aucun doute, la plus grande réussite a été la défense de notre modèle économique. Le Venezuela réactive son économie, promeut la croissance avec des opportunités pour tous, mais surtout pense aux plus vulnérables, aux plus nécessiteux, à partir de notre vision humaniste et socialiste.

Cela signifie que 2021 a été la meilleure année malgré toute cette guerre économique et je crois que nous devons continuer à être très attentifs au développement de l’économie, à fournir des installations pour que les forces productives internes continuent d’être libérées et à continuer à contrôler tous les processus inflationnistes.

Nous terminons maintenant le mois de décembre avec de bonnes nouvelles de l’année du point de vue inflationniste.

Ignacio Ramonet – C’est ce que je voulais vous demander Monsieur le Président parce que l’inflation est toujours une préoccupation de la population et la question est de savoir quelles mesures vous comptez adopter pour réduire l’inflation ou la faire disparaître. Bien que dans le monde entier en ce moment l’inflation est de retour, pour des raisons également liées au monde post-pandémie de Covid. Quelle est la situation de l’inflation ici au Venezuela ?

Nicolas Maduro – Le Venezuela a toujours eu une économie inflationniste, avant la guerre économique, avant les mesures coercitives, avant le plan de guerre économique, avant l’économie de guerre. Une économie avec 60 ans de revenus pétroliers et une consommation élevée du marché intérieur qui a toujours généré un déséquilibre entre la capacité de consommation intérieure comme produit des pétrodollars, avec la capacité de production et la satisfaction de ces besoins. 

Et d’ailleurs nous avons toujours connu cette tendance du secteur privé à spéculer pour gagner, pour obtenir le maximum de profit. Ce sont deux éléments qui ont traversé la vie économique au cours des 60, 70 dernières années. Lorsque cette période de guerre intense pour écraser le Venezuela est arrivée, eh bien les mesures économiques ont fait perdre à l’État vénézuélien, Ramonet, 99% de ses revenus. Je veux dire, nous sommes passés en un jour d’un revenu public de 100 dollars à un revenu public d’1 dollar.

Nous sommes passés en un jour de 54 milliards de dollars en un an à un revenu de 600 millions de dollars l’an dernier. Par l’embargo contre le pétrole, mais aussi contre les comptes : avec le gel de nos comptes bancaires, ils nous ont volé plus de 30 milliards de dollars à l’étranger et ils ne les ont toujours pas rendus. Par le vol et l’enlèvement de nos entreprises elles-mêmes comme la société Citgo aux États-Unis, ou de la société Monomeros en Colombie. Ce fut brutal ! Comme je disais, une bombe atomique contre le pays.

S’il n’y a pas de revenu, cela a eu un impact énorme sur la capacité de l’État à réguler le marché, le marché des changes, et dans ce cas le marché du dollar. Et cela a eu un impact énorme sur l’hyperinflation qui était positionnée au Venezuela.

La façon de lutter contre l’hyperinflation en premier lieu était la protection sociale, à travers le système d’allocations du « Carnet de la Patrie » pour notre peuple, à travers les aides alimentaires de nos Comités d’Approvisionnement et de Production, à travers toutes les missions et les grandes missions sociales. En premier lieu, la protection sociale du peuple et deuxièmement, un ensemble de mesures de nature économique, monétaire, financière.

Tu me dis : que faut-il faire? Eh bien, nous devons approfondir ce que nous avons fait. Attaquer l’une des bases de l’inflation et augmenter la capacité de production de nourriture, de biens et de services, de sorte que l’offre équilibre la demande ou la dépasse. C’est un élément, parfois fondamental dans les processus inflationnistes du Venezuela et partout dans le monde.

L’autre chose, c’est d’augmenter les revenus nationaux. Le revenu national nous permet de réguler marché des changes et de satisfaire ses besoins. Les besoins en devises de l’économie pour avancer et contrôler encore plus, contrôler pleinement les processus inflationnistes générés par le mouvement du dollar à l’intérieur du pays.

Nous avons fait des progrès sur chacun de ces fronts, je peux vous dire, par exemple, qu’avec ce système de taux de change nous avons réussi à stabiliser ce dollar qui montait en flèche dans le pays; nous avons réussi à le stabiliser, à ralentir et j’ai bon espoir que d’ici 2022, nous pourrons continuer à gouverner le nouveau système de taux de change du pays, dans le cadre du schéma de guerre économique.

Toujours au niveau de l’inflation, le Venezuela a déjà connu durant quatre mois consécutifs une inflation à un chiffre. Aujourd’hui, nous pouvons dire et déclarer politiquement, sûrement les autorités économiques le feront dans les mois à venir, mais je peux déclarer politiquement avec le résultat de la gestion de l’inflation entre les mois de septembre, octobre, novembre et décembre, qui a été d’un chiffre avec une tendance à la baisse, que le Venezuela abandonne la situation d’hyperinflation,  produit de la guerre économique et des sanctions.

Le Venezuela avance d’un bon pied dans l’année 2022. Je crois que 2022 combinera des éléments importants de croissance, de ralentissement de l’inflation, de création de richesse, ce qui permettra la chose la plus importante de toutes: que toute cette richesse devienne éducation, santé, logement, salaire, revenu, bonheur social, vie. Ce que notre commandant Chavez définissait comme une transition vers un modèle socialiste humainement gratifiant. C’est notre objectif.

Ignacio Ramonet – C’est d’autant plus remarquable, que la production de pétrole n’a pas connu une croissance spectaculaire, à la suite du blocus. Et le Venezuela n’avait pas l’habitude d’avoir une économie dans laquelle le pétrole n’était pas l’élément le plus important. J’aimerais donc que vous nous parliez un peu du pétrole au Venezuela en ce moment, comment va la production? Et en quoi cela sera-t-il lié aux perspectives économiques dont vous parlez pour l’année prochaine ? Et quels sont les nœuds qui existent encore dans l’économie vénézuélienne, qui devraient être débloqués pour permettre une plus grande croissance? 

« Les dirigeants progressistes de gauche ou de droite sociale-démocrate, doivent savoir que le blocus contre le Venezuela restera l’un des crimes les plus inhumains commis contre un peuple. Parce que tout a été fait. »

Nicolas Maduro – Le nœud principal, c’est la génération de richesse monétaire qui nous permette de faire des investissements suffisants dans l’appareil économique, dans l’appareil pétrolier, et des investissements suffisants dans le système de protection sociale, afin que le pays vive un processus d’expansion économique et sociale, de croissance économique et sociale.

Le nœud principal est le revenu national. Et c’est le principal point d’attaque de l’impérialisme états-unien. Ce qui est fait contre le Venezuela est quelque chose de criminel, de cruel, les dirigeants progressistes de gauche, ou de droite sociale-démocrate, doivent savoir, tout dirigeant qui peut m’écouter doit savoir, que le blocus contre le Venezuela restera l’un des crimes les plus inhumains commis contre un peuple. Parce que tout a été fait.

Le monde doit comprendre, et je l’explique parfois dans les réunions internationales, dans des vidéoconférences, la guerre déployée contre nos comptes. L’État vénézuélien ne peut pas avoir un compte bancaire dans le système financier international, par exemple, pour payer des vaccins, des médicaments, des fournitures, des matières premières. C’est-à-dire tout ce dont nous avons besoin.

Le Venezuela n’a pas le droit d’importer les pièces de rechange, ni les machines nécessaires à son industrie pétrolière, à ses raffineries, à sa pétrochimie, à son industrie en général.

Le Venezuela n’a aucun droit, on a voulu empêcher sa liberté de commerce pour ses produits naturels, ses produits fondamentaux, et les entreprises, les comptes bancaires, les gens, les navires, qui veulent charger les produits du Venezuela et les vendre au monde, sont sanctionnés ou menacés de sanctions. C’est pourquoi je suis plus que jamais convaincu de la construction d’une économie non pétrolière, productive, génératrice de richesses qui réponde aux besoins du peuple, fidèle à ce chemin laissé par le projet du commandant Hugo Chávez, face à ces conditions extrêmes que nous avons dû vivre et que nous devons vivre. Je vois ces conditions extrêmes comme une occasion d’avancer sur cette voie, et la justesse de cette voie et cette possibilité de générer de la richesse par nos propres efforts est démontrée.

Le Venezuela a atteint 1 million de barils par jour de production de pétrole. Nous avions prévu 1 million 200 mille barils quotidiens pour cette année, PDVSA (compagnie publique du pétrole, NdT) nous doit 200.000 barils, mais c’est vraiment une formidable réussite des travailleurs. Pratiquement sans argent. La production de pétrole est une activité économique d’investissement élevé, pour récupérer les puits, mettre la technologie dans les puits, et cet investissement se rétablit très rapidement. Tous ceux qui connaissent le secteur pétrolier savent qu’il en est ainsi, nous récupérons la production pétrolière avec des investissements vénézuéliens, centime après centime, pour récupérer un puits, récupérer un autre puits et c’est ainsi que nous avançons, Ramonet. Cette année, nous avons atteint 1 million de barils par jour. L’objectif pour 2022 est d’atteindre 2 millions de barils par jour. Avancer pas à pas de manière soutenue, durable pour récupérer la capacité de production.

Cette année, nous avons récupéré la capacité des quatre raffineries du pays, malgré les tentatives de bombardement, de sabotage de nos raffineries par des incursions terroristes. Une grande réussite des travailleurs du pétrole, cette année, est que nous avons récupéré plus de 90% de la capacité de production de la pétrochimie.

Cela signifie que l’industrie du raffinage et du pétrole pétrochimique du Venezuela avance avec son propre poumon, avec son propre investissement, avec son propre effort, avec sa propre technologie. Tous ceux qui nous écoutent doivent savoir que le système avec lequel l’industrie pétrolière de raffinage et pétrochimique du Venezuela a été construite est à 100% états-unien ou européen. Donc il y a encore une partie du processus de production qui est paralysée, abîmée, endommagée, car la dépendance à l’extérieur est de 100%. Et les états-uniens le savent, les impérialistes le savent. Et ils ont attaqué pendant des années, jusqu’à ce que nos ingénieur(e)s, nos scientifiques, nos travailleur(se)s commencent à fabriquer des pièces avec l’ingénierie nationale et à récupérer des puits, des raffineries, etc.

C’est un chemin vraiment héroïque. Le Venezuela travaille très dur pour construire une économie qui ne dépende pas du pétrole, générant des biens et des services qui répondent vraiment aux besoins nationaux. Générateur de richesse alternative, richesse monétaire. Et nous travaillons également à la reprise de la puissante industrie pétrolière qui complétera merveilleusement tout le processus de développement économique que le Venezuela va connaître dans toutes ces années à venir.

Ignacio Ramonet – Président, en matière de politique internationale et en particulier, je voudrais que nous parlions d’abord des États-Unis. Plus tôt cette année, il y a eu un changement politique majeur aux États-Unis, quand le président démocrate Joe Biden a succédé au président républicain Donald Trump. Cependant, la politique des États-Unis à l’égard du Venezuela n’a pas changé, elle reste extrêmement hostile, objectivement parlant, quelles initiatives comptez-vous adopter pour avoir des contacts, des relations, peut-être que vous les avez et vous pouvez nous le révéler ici ? Quelles sont les relations que le Venezuela entretient actuellement avec l’administration actuelle des États-Unis ?

Photo: Créé de toutes pièces par Donald Trump puis « naturalisé » par le rouleau-compresseur des médias internationaux, Juan Guaido n’a jamais participé à une élection présidentielle mais s’est autoproclamé « président du Venezuela » dans un centre commercial des quartiers chics de Caracas. Putschiste d’extrême droite, photographié en compagnie de la bande d’assassins/ravisseurs colombiens « Les Rastrojos » et ultra-corrompu selon des médias colombiens, panaméens ou le Washington Post – qui publia même son contrat avec des paramilitaires pour envahir le Venezuela-, ce fake-président a été abandonné par la plupart de ses alliés, comme son « ministre des affaires étrangères » le putschiste Julio Borges, son « ambassadeur à Bogota » Calderon Berti, ou l’ex-candidat présidentiel Capriles, qui lui reprochent sa corruption débridée. (Note de Venezuelainfos).

Nicolas Maduro – Eh bien, je l’ai dit à plusieurs reprises, Donald Trump est parti, mais l’empire est resté, l’empire est intact. Joe Biden est arrivé comme une grande promesse de changement, de grand changement pour la société états-unienne et de grand changement pour l’Humanité. Mais en ce qui concerne le Venezuela, tout a continué : la guerre financière, monétaire, pétrolière, économique, commerciale. Il n’y a eu aucun signe, aucun signe de rectification, d’amélioration sur toutes ces mesures cruelles.

Quand nous sommes allés au Mexique, nous savions que lorsque nous allions nous asseoir pour parler à l’opposition extrémiste de Guaido, nous allions en fait parler aux États-Unis. Et le gouvernement états-unien l’a laissé entendre, l’a fait comprendre dans des déclarations publiques. Mais bon, on sait déjà quel a été le sort des négociations du Mexique, comment Washington s’est arrangé pour faire dérailler les négociations de paix.

Cela dit, je pense et je le dis toujours à mes compagnons, aux dirigeants, à tous les dirigeants politiques que nous avons, du Grand Pôle patriotique, du Parti socialiste Uni du Venezuela, aux gouverneurs, à toute la direction de la révolution et au peuple en général, que nous ne pouvons rien attendre que de nous-mêmes. C’est une pensée de José Gervasio Artigas qu’aimait beaucoup le président Chávez. N’attendons rien que de nous-mêmes. Considérons-nous dans notre vérité, dans notre raison, dans notre projet bolivarien et avançons. Loin de nous l’impérialisme, loin de nous leurs accusations, leurs persécutions, poursuivons ici notre travail, notre combat quotidien, avec notre vérité et nos réalisations, avec nos avancées. Espérons que, qui sait quand et avec qui, les possibilités d’un dialogue direct, courageux, sincère et compréhensif avec le gouvernement des États-Unis s’ouvriront. J’aimerais que ce soit avec l’administration Joe Biden, espérons-le. S’il se noue, parfait. Sinon, nous continuons notre lutte, notre combat. C’est notre façon, de marcher avec nos propres pieds, de penser avec notre propre tête, comme dirait Ho Chi Min.

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président, vous parliez tout à l’heure des actifs vénézuéliens à l’étranger, et vous avez cité Citgo, cette compagnie pétrolière qui est aux États-Unis, ou Monomeros, qui se trouve en Colombie. Il y a aussi la question des réserves d’or déposées au Royaume-Uni. Quelles initiatives votre gouvernement prend-il pour tenter de recouvrer, par exemple, la gestion souveraine de ces actifs ?

Nicolas Maduro – Nous menons une activité diplomatique, politique et juridique permanente. Nous menons un jugement à Londres pour récupérer des réserves d’or de la Banque centrale du Venezuela. Il y a eu suffisamment de preuves des autorités légitimes reconnues à l’échelle nationale et mondiale par le système des Nations Unies, les autorités légitimes de la Banque centrale du Venezuela, du gouvernement constitutionnel du Venezuela. S’il s’agissait de jugements ajustés à la vérité réelle, à la vérité juridique et à la justice, le Venezuela devrait récupérer l’or qui appartient à la Banque centrale du Venezuela et qui fait partie des réserves et des actifs du Venezuela. 

Dans le cas de la société Citgo aux USA, il faut savoir qu’elle possède six raffineries aux États-Unis, et plus de 7.000 stations-service. C’est une entreprise qui apportait des contributions importantes à la fin de chaque année et que nous gérions de manière transparente et soignée. Et toutes les contributions qu’elle a données sont devenues au Venezuela des investissements économiques, pour le logement, l’éducation, la santé, l’alimentation. Il y a des comptes clairs de tous les revenus qui ont été générés par Citgo.

Citgo, c’était aussi mais je ne sais pas si elle fonctionne encore, une fondation pour l’aide humanitaire aux enfants, qui a été totalement démantelée et dont les ressources ont été utilisées pour des activités illicites, pour des activités personnelles, familiales, de la mafia de l’extrême droite vénézuélienne qui s’est emparé de Citgo.

Eh bien, nous continuerons également à chercher par la voie judiciaire légale, bien qu’aux États-Unis, il n’y a aucune possibilité de garantir un processus équitable pour le gouvernement et l’État vénézuéliens afin de récupérer Citgo, il n’y en a pas. C’est la justice impériale, ils s’imposent, point final, et ils ont volé Citgo, ses biens, ses actifs, ses comptes bancaires.

Il en va de même pour Monómeros, une entreprise qui avait des chiffres positifs, une entreprise bien gérée par la révolution, qui a été mise en faillite, détruite par Juan Guaidó, Leopoldo López et toute cette bande de gangsters d’extrême droite. C’est la vérité.

En cela, il y a une lutte politique et diplomatique; en cela, il y a aussi une lutte juridique que nous devons mener parce que les droits du pays prévalent, mais c’est aussi une lutte morale. Ces gens ont démontré leur hypocrisie, la déchéance morale qui les caractérisent, en tombant comme des oiseaux de proie sur ces entreprises, sur ces actifs, et qu’ont-ils fait? Voler, se répartir le butin.

Sans oublier, Ramonet, les 1.600 millions de dollars que le gouvernement états-unien a reconnu, il y a un an, avoir donnés au groupe de Guaido. Puis ils se sont tus. Ils ont tenté de minimiser l’affaire.

Mais ces 1.600 millions de dollars appartiennent aux contribuables américains. Un jour, des juristes émergeront, de bonnes personnes qui chercheront la vérité sur la source de l’argent. 1.600 millions de dollars, c’est beaucoup d’argent pour un pays, à qui l’ont-ils donné? Et comment ont-ils détourné cet argent ? Voilà à quel type de personnages nous sommes confrontés, Ramonet. A une ultra-droite très corrompue, très bradeuse de patrie. Et tant mieux si tout cela entre dans la lumière publique : il est temps que notre peuple sache ce qu’ils représentent et les dommages qu’ils ont causés à notre pays.

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président, parlons de l’Amérique latine. Dernièrement, en Amérique latine, à mesure que les élections ont lieu, les victoires du camp progressiste se multiplient, nous l’avons vu de manière très spectaculaire au Honduras et au Chili en particulier, et les sondages en ce moment semblent annoncer également des victoires progressistes de la gauche latino-américaine en Colombie, où les élections auront lieu en mai 2022, et au Brésil, où les élections auront lieu en octobre 2022.  Comment analysez-vous cette situation, comment expliquez-vous tant de victoires progressistes en ce moment en Amérique latine ?

« Le Venezuela a toujours été à l’avant-garde de la lutte contre le néolibéralisme, je le dis humblement, mais c’est notre vérité historique. Nous ne sommes pas seulement une force de gauche. Nous nous définissons comme une force transformatrice, révolutionnaire à la racine, une force bolivarienne historique.»

Nicolas Maduro – Eh bien, je les attribue à l’épuisement du néolibéralisme, un épuisement profond et absolu. Ce modèle néolibéral a été maintenu au cours des 20 dernières années sur la base de la tromperie, des mensonges, de la manipulation, de la fraude électorale, dans de nombreux pays sur la base de la division dans le camp progressiste ou sur la base de la répression comme c’est le cas de la Colombie, du Chili, de l’Équateur, et comme ce fut le cas dans les gouvernements précédents au Pérou, à feu et à sang, ces gouvernements de droite et néolibéraux ont imposé leurs politiques de privatisation et supression de droits sociaux en usant du mensonge, de la tromperie et de la répression. Bolsonaro a également imposé son modèle néolibéral au Brésil, mais le néolibéralisme n’a pas de réponses pour le peuple, il est épuisé, totalement épuisé. Le Venezuela est à l’avant-garde. Le Venezuela a toujours été à l’avant-garde, Ramonet, je le dis humblement, mais c’est notre vérité historique, le 27 février, le 28 février 1989, le peuple vénézuélien a été le premier à se soulever contre la politique du Fonds monétaire international imposée par le gouvernement social-démocrate de Carlos Andrés Pérez. C’était le premier soulèvement populaire, la première rébellion populaire en l’an 89, il y a 32 ans.

Nous allons célébrer, le 4 février 2022, les 30 ans de la rébellion militaire bolivarienne du commandant Chávez contre le Fonds monétaire international, contre l’impérialisme, contre l’oligarchie, contre le néolibéralisme, c’était une rébellion anti-néolibérale, anti-oligarchique, anti-monétariste.

Nous avons été les premiers à nous rebeller. Puis le projet bolivarien a été le premier projet anti-néolibéral qui est arrivé au pouvoir avec des votes. Six décembre 1998. Nous venons de célébrer les 23 ans de la première victoire anti-néolibérale d’une force révolutionnaire. Parce que nous sommes une force révolutionnaire, nous ne sommes pas seulement une force anti-néolibérale, nous ne sommes pas seulement une force de gauche, nous ne sommes pas seulement une force qui s’agrège au progressisme. Nous nous définissons comme une force transformatrice, révolutionnaire à la racine, une force bolivarienne historique.

Eh bien à partir de ce triomphe, tu le sais, est venue la première vague, l’arrivée de Lula en 2003, l’arrivée de Néstor Kirchner en 2003, l’arrivée du Frente Amplio en Uruguay avec Tabaré Vázquez, le retour du Front sandiniste de Daniel Ortega, l’émergence et le triomphe d’Evo Morales en Bolivie. L’émergence et le triomphe de Rafael Correa, les forces progressistes des Caraïbes, le Cuba historique de Fidel, de Raúl, et maintenant de Miguel Díaz Canel.

Ainsi s’est formée la première vague qui a permis de grands progrès dans la création de l’ALBA, Petrocaribe, Unasur, CELAC, la réunion dans la diversité des idéologies et des politiques, la réunion de l’Amérique latine et des Caraïbes.

Et il a été possible d’indiquer la voie vers les années et les décennies à venir. Maintenant, il y a une deuxième vague très différente de la première, mais qui reste fondamentalement anti-néolibérale, car les peuples se sont réveillés, les peuples cherchent un moyen d’en sortir et, espérons-le, les dirigeants et les forces politiques qui émergent en Amérique latine, seront fidèles à l’héritage historique de ceux qui les ont précédés, aux martyrs qui ont donné leur sang pour un changement profond, un changement historique en Amérique latine. Espérons-le. Et que le passage des années à venir cette floraison anti-néolibérale prenne un cours unitaire pour que l’Amérique latine dans sa diversité, dans sa diversité complexe, puisse se redécouvrir sur son propre chemin, le chemin de l’union, de la libération et du développement partagé.

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président pour conclure, une question qui nous amène à une vision plus théorique, disons. J’ai observé que dans plusieurs de vos récents discours, vous parlez du monde qui change de cycle. Et vous dites, vous avez répété qu’il est nécessaire en ce moment aussi de changer l’analyse politique. J’aimerais que vous nous expliquiez, comment voyez-vous ce changement de cycle qui se produit dans le monde? Et quelle analyse politique faut-il adapter à ce changement de cycle ?

Nicolas Maduro – C’est une contribution que nous apportons depuis le Venezuela pour que les secteurs de la pensée et de la culture, et les secteurs politiques mènent un débat éclairant sur l’époque historique que nous vivons. La période historique de l’an 2000 à l’an 2010 est-elle la même que celle de l’année 2010 à l’année 2020, que nous commençons à « voir »? Nous remarquons des changements substantiels qui méritent compréhension et qui méritent une transformation dans la création de la politique, en particulier parmi les secteurs révolutionnaires progressistes de la gauche, les secteurs qui recherchent la transformation du monde. Il y a 30 ans, l’Union soviétique s’est désintégrée, et quelques-uns ont compris les opportunités qu’il y avait pour de nouveaux projets, beaucoup à gauche se sont retrouvés moralement brisés, intellectuellement, beaucoup sont passés à droite, dans les frustrations du pessimisme. Et la frustration et le pessimisme sont toujours le prélude au reniement des objectifs et des politiques transformatrices. Peu de gens ont résisté dans le monde, mais c’est après la chute de l’Union soviétique qu’au Venezuela a émergé le projet bolivarien, sous la direction de Chávez, le projet national Simón Bolívar, à partir de nos racines. Nous avons modestement apporté nos contributions aux nouveaux paradigmes des mouvements révolutionnaires du monde. L’impact du leadership de Chávez pour les nouveaux paradigmes n’est aujourd’hui nié par personne, sinon nous ne serions pas la cible de la campagne que l’impérialisme promeut et finance dans tous les pays du monde contre le Venezuela, contre la révolution bolivarienne, avant contre Chávez, maintenant contre moi, dans toute les télévisions, radios, presse écrite, réseaux sociaux de l’Espagne, de l’Italie, du Portugal, de l’Argentine, du Mexique, du Brésil, du Chili, de Colombie, partout où vous allez, il y a une campagne contre le Venezuela, il doit bien y avoir une raison à cela ! 

Si nous ne pouvions nous défendre, nous n’aurions pas eu l’impact que le projet bolivarien, la direction du commandant Chávez, la révolution bolivarienne, ont eu.

A partir de cette expérience d’être liés à l’émergence d’une nouvelle époque, d’un nouveau paradigme, nous proposons au mouvement révolutionnaire du monde, aux intellectuels honnêtes du monde, aux secteurs progressistes du monde, que nous examinions les changements qui existent, que nous les identifiions très bien. Il y a au moins trois éléments qui ont un impact rapide sur le changement dans le monde. L’émergence d’une autre époque, d’autres générations, d’une autre mentalité, d’un autre discours et d’une autre façon de voir la vie et la politique. Trois éléments au moins, Ramonet.

Tout d’abord, la pandémie. Cela a tout changé et sa fin n’est pas à l’ordre du jour, elle imprimera sa marque dans la psyché collective, dans la façon d’assumer la vie sociale. La pandémie a tout changé, les coutumes sociales, la manière d’entrer en relation avec l’autre. Il y a dans le monde des secteurs négationnistes, qui exposent leur propre vie en niant, en affirmant que c’est une manipulation des systèmes politiques du monde. La pandémie est un élément qui est là pour rester et qui a modifié tous les comportements sociaux, et qui nous oblige à comprendre les nouveaux schémas de relation sociale.

Photo : Vijay Prashad, Directeur de l’Institut Tricontinental de Recherche Sociale, lors du vidéo-débat avec Nicolas Maduro, entouré de quelques ministres, et les dirigeants de l’ALBA-TCP pour formuler des propositions sur « le monde d’après ».

L’autre élément est l’accélération du changement économique, les nouveaux acteurs économiques du monde. Quand vous vous demandez, ou demandez dans les années 50, 60, donnez-moi le nom du magnat du monde, les gens diraient Rockefeller, et qu’est-ce que Rockefeller? Industrie pétrolière. Quand on vous demande aujourd’hui, quels sont les magnats du monde ? Elon Musk, fusées spatiales, technologie. Zuckerberg le propriétaire de Facebook, Instagram, WhatsApp, communications… Propriétaire du monde, Zuckerberg.

Ignacio Ramonet – Ils appellent cela le capitalisme numérique.

Nicolas Maduro – Capitalisme numérique. Ou Bill Gates, qui est déjà en train d’être supplanté. Mais Bill Gates parle d’Internet, de technologie, d’informatique, de smartphones.

Ignacio Ramonet – Microsoft.                            

Nicolas Maduro – L’économie et les relations qui émergent des deux économies marquent un changement accéléré dans la façon d’être, dans la conscience et dans le fonctionnement de la circulation des richesses dans le monde entier. Il faut garder un œil là-dessus. Depuis le Venezuela, nous demandons l’aide de tous les chercheurs, de tous les spécialistes de ces sujets pour comprendre le mieux et être en mesure d’adapter notre vision et notre action à la nouvelle ère qui a déjà émergé. 

« Depuis le Venezuela, nous demandons l’aide de tous les chercheurs, de tous les spécialistes de ces sujets pour comprendre et adapter notre vision et notre action à la nouvelle ère du capitalisme numérique. »

Et un troisième élément, sur lequel tu insistes beaucoup Ramonet, est le caractère dominant des réseaux sociaux dans les relations sociales, culturelles, humaines de l’humanité d’aujourd’hui. À ce sujet, il y a beaucoup de théoriciens, j’ai entendu plusieurs conférences que tu as données sur la façon dont les réseaux sociaux ont remplacé les médias traditionnels, et comment les réseaux sociaux ont créé une réalité virtuelle très puissante et piègent l’individu en tant que tel, contrairement aux anciens médias qui ont généré de grands débats de caractère collectif et social.

La nature dominante des médias sociaux à elle seule a changé notre monde. Il n’est plus possible de faire de la politique sans les réseaux sociaux, il n’est plus possible de faire du marketing sans les réseaux sociaux. Vous ne pouvez pas vendre, si vous vouliez vendre une marque de lunettes comme celle-ci, et que vous alliez en faire la promotion à la radio et dans la presse, vous n’en vendriez pas, mais si vous en faites la promotion sur Tik Tok, sur Instagram, on vous l’arrache des mains.

C’est une autre vie, c’est un autre monde. C’est pourquoi je dis que nous sommes entrés dans une nouvelle ère. Et depuis la révolution bolivarienne, nous l’assumons, nous l’étudions pour nous adapter, pour nous renouveler, pour faire les changements que nous devons faire et pour que les forces révolutionnaires et progressistes du changement soient à l’avant-garde de la nouvelle époque et des temps nouveaux qui arrivent.

Ignacio Ramonet – Merci beaucoup, Monsieur le Président. Est passionnante en particulier la réflexion théorique sur ce nouveau monde qui s’installe. Je vous transmets mes vœux de bonheur pour la nouvelle année, pour tout le peuple vénézuélien et vous donne rendez-vous l’année prochaine pour notre « classique » 2023.

Nicolas Maduro – Merci à toi Ramonet. Je salue toutes les personnes de bonne volonté de par le monde. Depuis le Venezuela nous continuons à résister avec beaucoup d’amour et beaucoup de foi dans notre victoire.

Source (vidéo de l’entretien original en espagnol) : https://youtu.be/J_VwS6DxCgw

Traduction : Thierry Deronne pour Venezuelainfos

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/01/02/interview-du-president-maduro-par-ignacio-ramonet-de-la-resistance-a-la-croissance-en-2022-les-trois-defis-dune-revolution-mondiale/

Le Venezuela multipolaire renoue avec la croissance

Photo : le président Maduro est accueilli par le Ministre des Affaires Étrangères du Mexique Marcelo Ebrard lors du Sommet de la CELAC (Communauté des États Latino-américains et des Caraïbes), en septembre 2021.

Fidèle à la stratégie multipolaire du Sommet de Bandoeng souvent évoquée par Hugo Chávez et à l’« équilibre du monde » rêvé par Simon Bolivar, le Venezuela a renforcé ses alliances avec la zone asiatique, la Russie, la Chine, l’Iran, la Guinée Équatoriale, ce qui lui a permis d’augmenter sa production et son exportation de pétrole en 2021. Le gouvernement Maduro commence à surmonter le blocus inhumain organisé par l’Europe et les États-Unis et a décidé de consacrer 77% du budget 2022 aux investissements sociaux : éducation, santé, construction de logements, production nationale, alimentation, allocations, etc… (on trouvera plus de détails  à ce sujet dans http://observatorio.gob.ve). C’est aussi une bonne nouvelle pour les pays des Caraïbes bénéficiaires des programmes de coopération mis en place par le Venezuela, notamment via l’ALBA et PetroCaribe.

Selon le dernier rapport de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP), la nation des Caraïbes a pompé 625.000 Barils par jour (BPJ) en novembre, soit 15.000 de plus qu’en octobre. La compagnie pétrolière publique PDVSA, dont le président Chávez avait repris le contrôle pour financer les programmes sociaux de la révolution, a enregistré un chiffre beaucoup plus élevé de 824.000 BPJ, soit une augmentation de 68.000 par rapport au mois précédent.

La production n’avait pas atteint cette barre des 600.000 Barils par Jour depuis le début de 2020, Washington et l’UE ayant renforcé les sanctions visant à fermer les marchés internationaux à l’industrie pétrolière vénézuélienne. À partir de 2017, l’ancienne administration Trump a intensifié les efforts de changement de régime en imposant des sanctions financières, un véritable embargo pétrolier et une foule d’autres mesures coercitives illégales. Les revenus extérieurs de l’État se sont réduits de 99%, provoquant une forte détérioration de l’économie et des services publics, d’où de grandes souffrances sociales et un exode de population dénoncés par les rapporteurs spéciaux de l’ONU tels qu’Alfred de Zayas et Alena Douhan (1).

L’actuel gouvernement de Joe Biden n’a rien fait pour alléger ou lever les sanctions contre la principale industrie publique du Venezuela, malgré les appels de plus en plus nombreux de l’ONU, de ces experts indépendants en matière de droits humains et même de membres du Congrès états-unien, en faveur de la levée de ces mesures.

L’administration du président Nicolas Maduro a cherché à relancer la production de brut en trouvant d’autres sources de capitaux, de marchés et de matériaux indispensables, notamment la Russie, la Chine et l’Iran.

Un approvisionnement régulier en condensat iranien a été la clé de la récente augmentation de la production de pétrole. Selon Bloomberg, l’Iran a envoyé au moins trois cargaisons contenant 4,6 millions de barils de ce produit de mélange depuis juillet. Le condensat est mélangé au brut extra-lourd produit dans la ceinture pétrolière de l’Orénoque pour être transporté, traité et exporté. Une quatrième cargaison aurait été déchargée au Venezuela cette semaine.

L’aide iranienne s’inscrit dans le cadre de la coopération entre les deux pays pour contourner les sanctions états-uniennes, un accord d’échange de condensat contre du brut ayant été conclu en septembre. En outre, le 6 décembre, le président Maduro a eu un entretien téléphonique avec son homologue iranien Ebrahim Raisi afin de renforcer les liens pour l’année prochaine. Au cours de la conversation, M. Raisi a réaffirmé son engagement à élargir l’alliance Iran-Venezuela, appelant à des « mesures plus importantes » pour accélérer les projets énergétiques.

« La coopération pétrolière entre les deux pays doit prendre une nouvelle forme, et dans le domaine du raffinage et des ressources pétrochimiques, nous devons prendre des mesures plus importantes », a déclaré le président iranien. Raisi a de même condamné le régime de sanctions imposé par le « système arrogant des États-Unis au peuple et au gouvernement vénézuéliens. » Téhéran fait face aux mesures coercitives unilatérales de Washington depuis 1979.

Les exportations du Venezuela ont également augmenté au cours des derniers mois. La moyenne des exportations de PDVSA a atteint 500.000 Barils par Jour sur l’année, la Chine étant le principal facilitateur et la destination finale du commerce du brut vénézuélien. Selon des documents consultés par Reuters, les revenus pétroliers croissants financeront 61 % du budget du pays pour 2022.

Le 14 décembre, l’Assemblée Nationale du Venezuela, à majorité chaviste, a approuvé le budget 2022 pour un montant total de 62 milliards de bolívars (environ 13 milliards de dollars américains), soit quelque 60 % de plus que l’équivalent de 2021. Lors de la présentation du plan annuel, la vice-présidente Delcy Rodríguez a expliqué que 77 % des ressources seront allouées aux programmes sociaux.

La vice-présidente a par ailleurs présenté un projet de loi visant à réformer partiellement les taxes sur les grandes transactions afin de privilégier l’utilisation de la monnaie locale et de continuer à stimuler la production nationale. La législation doit encore être discutée et approuvée par le parlement. « Le budget 2022 est encadré par des politiques qui nous ont permis de défendre notre monnaie et d’avancer dans la lutte contre l’hyperinflation », a déclaré Rodríguez.

Photo: Signature de l’accord de confidentialité entre le ministère des Mines et des Hydrocarbures de la République de Guinée équatoriale et le ministère du Pétrole de la République bolivarienne du Venezuela, le 22 décembre 2021.

La stratégie du gouvernement pour le rebond économique de l’année prochaine s’appuie sur les efforts en cours pour ralentir la spirale inflationniste, en stabilisant le taux de change entre le bolívar numérique et le dollar américain. Ces mesures ont vu le pays connaître trois mois consécutifs d’inflation à un chiffre pour la première fois depuis 2016.

La Banque centrale du Venezuela (BCV) a fait état d’une inflation de 8,4 % en novembre, après les 6,8 et 7,1 % enregistrés en octobre et septembre, respectivement. La décélération de l’inflation n’est pas le seul signe de stabilité économique. L’Association vénézuélienne des exportateurs (AVEX) a enregistré une augmentation de 30 % des ventes à l’étranger cette année par rapport à 2020. La majorité des exportations correspond aux produits de la mer, au cacao, au chocolat, au bois, aux fruits tropicaux et au secteur automobile.

De même, les agences internationales ont pris connaissance de la reprise économique du Venezuela après une récession de sept ans. En octobre, le Crédit Suisse a prévu que le produit intérieur brut (PIB) de la nation sud-américaine augmenterait de 5,5 % en 2021, des prévisions confirmées par l’agence EMFI (Londres). Bien que ces prévisions constituent un changement de tendance important par rapport à ces dernières années, il faut garder en tête que les sanctions financières et pétrolières états-unienne et européenne pèsent toujours sur le pays. Mais le président Maduro considère que la relative stabilisation économique et politique de 2021 ouvrira la voie à des perspectives favorables l’année prochaine. « Aucune de toutes ces agressions ne pourra empêcher le peuple vénézuélien d’atteindre son objectif de bien-être social », a-t-il tweeté vendredi dernier.

Signe des temps : chaque mois des centaines de vénézuélien(ne)s rentrent au pays, fuyant l’exploitation et la xénophobie dans des pays que les médias privés leur avait présentés comme « prospères et accueillants » (Colombie, Equateur, Pérou, Chili, etc..). Le gouvernement bolivarien met à leur disposition des vols gratuits de la compagnie publique CONVIASA.

Texte : Andreína Chávez Alava / édité par Ricardo Vaz depuis Caracas.

Source : https://venezuelanalysis.com/news/15414

Note (1): Deux importants experts du Droit international dénoncent les vraies causes des migrations et des morts au Venezuela : https://venezuelainfos.wordpress.com/2020/02/27/deux-importants-experts-du-droit-international-denoncent-les-vraies-causes-des-migrations-et-des-morts-au-venezuela/

Traduit de l’anglais par Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/12/21/le-venezuela-multipolaire-renoue-avec-la-croissance/

Le Venezuela n’est pas en faillite, par Luis Britto García

Après avoir racheté les parts de Total et Equinor, le gouvernement bolivarien du Venezuela place l’entreprise Petrocedeno à 100% sous contrôle public et renforce sa politique de nationalisation pétrolière au service du développement social et économique. Les exportations pétrolières remontent lentement, notamment en direction de la zone asiatique.

« Blinken, puis Harris, maintenant Sullivan… les premiers voyages états-uniens de haut niveau en 2021 ont eu lieu en Amérique latine. L’empire se concentre sur le continent, devenu front de bataille existentiel entre son « America is Back » et le « One Belt, One Road » de la Chine » explique William Serafino, historien et politologue vénézuélien qui ajoute : « Après la Guerre d’Indépendance et la construction d’une République souveraine au XIXe siècle, la résistance socialement organisée contre le blocus et l’agression des USA de ces dernières années est l’œuvre collective et historique la plus importante du peuple vénézuélien. »

Occasion d’écouter aussi l’écrivain et historien vénézuélien Britto Garcia.

En 1919, le jeune José Rafael Pocaterra, emprisonné dans un cachot de la Rotonde pour s’être opposé à la dictature de Juan Vicente Gómez, écrivit deux ouvrages, avec des moignons de crayon, qui sont fondamentaux pour comprendre le Venezuela : Mémoires d’un Vénézuélien en décadence, et le roman prémonitoire La maison de la famille Abila. Ce dernier raconte l’histoire d’une famille possédant de vastes domaines. Les héritiers sont des ahuris, des dépensiers ou des fous, qui laissent la gestion du domaine à un gendre, qui le charge de dettes fictives et d’importations fantômes. Un incendie se déclare dans une hacienda, et le gendre convoque un conseil de famille : « Nous sommes ruinés ! Nous devons tout liquider ! Nous devons nous rendre sans condition aux créanciers ! En secret ! Et sans y penser ! Bien sûr, nous ferons un grand spectacle pour le dissimuler« . Seul le plus jeune frère, Juan de Abila, a pu penser à objecter que l’incendie de quelques palissades de canne ne pouvait pas anéantir une fortune comme celle de la famille. Les proches l’insultent ; le gendre profiteur, l’administrateur, transfère tous les biens à sa succession individuelle pour une bouchée de pain, et c’est à Juancito de lutter contre la ruine dans un lointain troupeau ravagé par la peste équine, dans les marécages duquel jaillit… une mare d’huile noire.

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87% de la consommation énergétique mondiale est couverte par les hydrocarbures. Le Venezuela est le pays qui possède les plus grandes réserves prouvées de pétrole, avec 302,81 milliards de barils, soit 25% du total. Il est suivi en ordre décroissant par l’Arabie saoudite, le Canada, l’Iran, l’Irak, le Koweït, les Émirats arabes unis, la Russie, la Libye, le Nigeria, le Kazakhstan, et les États-Unis à une mélancolique 12e place, avec 36,52 milliards de barils, soit un peu plus d’un dixième des réserves du Venezuela, ce qui est insuffisant pour le plus grand consommateur d’énergie fossile au monde. L’OPEP estimait qu’en 2014, il y aurait 1,65 trillion de barils de pétrole sur la planète : si la production de 83 millions de barils par jour était maintenue, il resterait à peine assez de pétrole pour 54 ans. (https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_countries_by_proven_oil_reserves). Les hydrocarbures états-uniens seront épuisés dans une ou deux décennies ; déjà, les coûts de production de la fracturation atteignent plus de quatre-vingts dollars par baril ; pour rester une puissance industrielle, les USA dépendent de notre sous-sol. Celui qui contrôle nos réserves dominera le monde. C’est à nous de décider si ce sera le Venezuela ou le capital transnational auquel nous les cédons.

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Jusqu’à présent, les États-Unis ont obtenu les hydrocarbures vitaux en forçant les producteurs à les vendre en échange d’un papier vert sans support : le fameux pétrodollar. La Chine, première puissance mondiale, se prépare à le remplacer par une monnaie adossée à l’or. À cet égard, nous citons à nouveau Víctor Cano, ministre du Développement minier écologique en 2018, qui a déclaré :  » Dans la seule zone 4 de l’Arc minier de l’Orénoque, nous estimons qu’il y a 8 000 tonnes d’or présumé. Nous avons certifié 2 300 tonnes sur ces 8 000 tonnes. Cela ferait de nous la deuxième plus grande réserve d’or au monde, mais nous pourrions être les premiers ». (https://www.conelmazodando.com.ve/venezuela-podria-tener-la-reserva-de-oro-mas-grande-del-planeta)
C’est à nous de décider si la future monnaie mondiale dépend de notre or, ou si nous le cédons en échange de l’espoir de recevoir un quelconque papier vert sans garantie.

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Abrégeons le catalogue de nos ressources, en commençant par l’énergie hydroélectrique en Guyane, puis l’eau douce, le fer, l’aluminium, le coltan, le cuivre, le thorium, la biodiversité et la faune marine. Passons au plus grand de tous, la splendide main-d’œuvre de 14.167.281 personnes, soit presque la moitié de la population, dont 6.274.817 sont des travailleurs intellectuels et 2.267.003, soit presque un cinquième, se qualifient comme professionnels, techniciens et travailleurs assimilés. Ils sont la source du travail, la source de toute valeur et richesse. C’est à nous d’utiliser leurs pouvoirs créateurs pour développer le pays, ou de les enterrer dans des zones spéciales où ne s’appliqueront ni les lois ni les tribunaux vénézuéliens, ni les droits du travail ni les droits syndicaux, exploités par des transnationales qui s’empareront de nos ressources sans payer d’impôts.

5

Le Venezuela n’est pas en faillite : ce sont les puissances qui sont en faillite, elles qui ne peuvent pas survivre sans nos ressources, ni nous les enlever par la force brute, car cela déclencherait un conflit mondial aux conséquences incalculables. Si les bombes ne pleuvent pas sur notre pays, c’est en raison d’un équilibre tendu des menaces entre blocs géopolitiques où se joue l’hégémonie mondiale. Avec une maladresse brutale, le bloc dirigé par les États-Unis, au lieu de parvenir à un accord raisonnable, judicieux et équitable avec le Venezuela, a choisi une politique de confrontation qui ne peut que creuser les distances et les conflits sans solution possible par la force directe, obligeant notre pays à renforcer ses liens avec des blocs concurrents.

6

Ainsi, les États-Unis ont fait bouger leurs alliances internationales en vain, n’obtenant ni l’isolement diplomatique du Venezuela, ni son expulsion des Nations unies, ni une action décisive ou une condamnation de la communauté internationale à son encontre. Ils ont parrainé un gouvernement fantoche, sans autre résultat qu’une succession de larcins et de détournements de fonds qui ont discrédité à la fois les commanditaires et les parrainés. Ils ont poussé leurs alliés militaires à soutenir des attaques ratées, des infiltrations désordonnées, des violences, des invasions farfelues – des politiques qui n’ont pas réussi, et qui ne semblent pas devoir s’intensifier, étant donné la situation interne délicate de la Colombie, dont le gouvernement lutte pour sa propre survie.

7

Le blocus et les embargos sur les avoirs vénézuéliens à l’étranger ne sont rien d’autre qu’un aveu flagrant de l’échec de toutes les politiques d’agression directe et, comme elles, obligent le Venezuela à se rapprocher toujours plus du groupe dirigé par la Chine, à accroître ses relations commerciales et sa dette publique avec elle. La richesse du Venezuela est suffisante et excédentaire pour plus que rembourser toute dette sans nous livrer à qui que ce soit. La seule certitude est que plus les mesures coercitives du pouvoir du Nord dureront, plus nous nous en éloignerons. Dans cette confrontation, il nous appartient d’être fidèles à un équilibre que nous avons tous le pouvoir de faire pencher en notre faveur.

Source : https://ultimasnoticias.com.ve/noticias/opinion/venezuela-no-esta-en-quiebra-luis-britto-garcia/

Traduction : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/08/09/le-venezuela-nest-pas-en-faillite-par-luis-britto-garcia/

La perspective manquante dans les médias : les liens entre l’Iran et le Venezuela ne concernent pas les États-Unis, par Gregory Shupak (Fair.org)

L’État états-unien n’étouffe pas seulement des vies en pressant des genoux sur des cous à l’intérieur de son territoire. Il cherche également à asphyxier des pays entiers comme l’Iran et le Venezuela. Lorsque les ennemis de l’empire états-unien défient les injonctions de Washington, les médias privés participent volontiers à l’émergence d’une crise, même lorsque l’enjeu est quelque chose d’apparemment aussi banal qu’un échange de biens. Cela est évident dans la couverture médiatique des livraisons de pétrole iranien au Venezuela, qui a présenté ces livraisons comme un problème à résoudre, plutôt que comme une transaction commerciale qui ne concerne en rien une tierce partie.

Alors que les pétroliers iraniens étaient encore en route, un article du Washington Post (5/23/20) affirmait:

Le Washington Post (5/23/20) rapporte que le Venezuela "offre à Téhéran la perspective d'un nouveau centre d'influence juste de l'autre côté de la mer des Caraïbes par rapport à la Floride". (Par "juste de l'autre côté", le Post entend à 1770 kilomètres miles des Etats-Unis, avec Cuba entre les deux).

Le Washington Post (5/23/20) rapporte que le Venezuela « offre à Téhéran la perspective d’un nouveau centre d’influence juste de l’autre côté de la mer des Caraïbes par rapport à la Floride ». (Par « juste de l’autre côté », le Post entend à 1770 kilomètres miles des Etats-Unis, avec Cuba entre les deux).

L’opposition soutenue par les États-Unis au Venezuela fournit des munitions potentielles en dénonçant le fait que les Iraniens pourraient transporter plus que de la simple essence.

Les dirigeants de l’opposition ont averti que Téhéran pourrait fournir du matériel pour ce qu’ils décrivent comme une opération secrète visant à aider l’appareil de renseignement de Maduro à construire un poste d’écoute dans le nord du Venezuela pour intercepter les communications aériennes et maritimes.

« Pour l’Iran qui est un ennemi des Etats-Unis, cela signifie qu’ils marchent presque sur la queue de l’Amérique », a déclaré Iván Simonovis, commissaire à la sécurité de Juan Guaidó, le leader de l’opposition vénézuélienne reconnu par les Etats-Unis comme le leader légitime de la nation.

Le ministre des communications de Maduro a rejeté ces affirmations comme étant « absurdes ».

L’article présente la question de savoir si l’Iran envoie secrètement au Venezuela une technologie d’espionnage comme un « tel a dit ceci, l’autre a dit cela« , comme si les deux affirmations étaient également susceptibles d’être vraies. Pourtant, il n’y a pas la moindre preuve que l’envoi de l’Iran était destiné à « aider l’appareil de renseignement de Maduro« , mais le Post choisit de ne pas partager cette information avec ses lecteurs.

Le fait d’évoquer le danger que l’Iran et le Venezuela pourraient préparer quelque chose de malfaisant, contribue cependant à légitimer la possibilité que les Etats-Unis mènent une attaque militaire pour stopper la livraison. Le Post poursuit :

Les responsables états-uniens ont minimisé la suggestion de l’Iran selon laquelle ces forces affronteront le convoi. Le porte-parole du Pentagone, Jonathan Hoffman, a déclaré jeudi aux journalistes qu’il n’était pas au courant des plans de lancement d’une opération militaire contre les pétroliers iraniens.

Mais un haut responsable de l’administration Trump, s’exprimant sous le couvert de l’anonymat pour décrire les discussions internes, a déclaré que l’administration « ne tolèrerait pas » le soutien de l’Iran à Maduro.

« Le président a clairement indiqué que les Etats-Unis ne tolèreront pas l’ingérence répétée de la part de partisans d’un régime illégitime », a déclaré le fonctionnaire.

A aucun moment l’article ne remet en cause l’idée qu’un pays qui envoie des ressources à un autre puisse justifier le lancement d’un acte de guerre. Il n’y a pas non plus de contrepoint à l’idée que l’Iran « se mêle » des affaires du Venezuela en lui vendant du pétrole, comme si les États-Unis « se mêlaient » des affaires du Venezuela en essayant à plusieurs reprises de renverser son gouvernement (Grayzone, 1/23/20) et d’écraser son économie (FAIR.org, 2/6/19).

Dans un tel contexte idéologique, il devient possible aux grands médias de présenter l’ajout de sanctions supplémentaires, du type de celles qui ont ravagé les systèmes de santé en Iran et au Venezuela (FAIR.org, 3/25/20), comme une réaction raisonnable aux relations entre les deux pays : « Les analystes disent que l’administration [Trump] est plus susceptible d’utiliser des sanctions économiques supplémentaires que la force pour dissuader le commerce iranien/vénézuélien« . Cette formulation masque la façon dont les sanctions sont une mesure de « force« , qui est pourtant le terme exact pour désigner les sanctions qui ont causé des pénuries alimentaires en Iran, et qui auraient tué plus de 40 000 Vénézuéliens de 2017 à 2018 (CEPR, 4/25/19).

Photo NYT : Le Venezuela en manque d'essence célèbre l'arrivée de pétroliers en provenance d'Iran Le New York Times (5/25/20) décrit l'Iran et le Venezuela comme "deux États parias dirigés par des dirigeants autoritaires".

Titre du New York Times : « Le Venezuela en manque d’essence célèbre l’arrivée de pétroliers en provenance d’Iran »
Le New York Times (5/25/20) décrit l’Iran et le Venezuela comme « deux États parias dirigés par des dirigeants autoritaires« .

Un article du New York Times (5/25/20) a clairement indiqué dès le départ que son public devait s’inquiéter du commerce iranien/vénézuélien, le décrivant dans la deuxième phrase comme « un approfondissement des relations économiques entre le Venezuela et l’Iran, deux États parias dirigés par des dirigeants autoritaires ». En d’autres termes, les méchants unissent leurs forces ; soyez alarmés.

Le Times cite « un analyste du Venezuela au sein du groupe Eurasie » qui a déclaré que « la livraison de pétrole a mis en évidence les objectifs économiques et politiques de plus en plus parallèles de l’Iran et du Venezuela, ainsi que les options de plus en plus limitées du gouvernement états-unien pour faire obstacle à leurs relations« , mais n’offre aucune raison de s’interroger sur les raisons pour lesquelles les États-Unis devraient essayer de « faire obstacle à leurs relations« .

L’article indique que « le gouvernement états-unien, distrait par la pandémie de coronavirus et ayant déjà pris des sanctions sévères, n’a que peu d’options de représailles en dehors d’une intervention militaire« . « Les représailles » impliquent que le fait que la collaboration économique Iran/Venezuela constitue un acte d’agression contre les États-Unis. Une proposition ridicule, surtout quand on sait que le gouvernement états-unien mène depuis longtemps une série d’attaques contre les deux nations. Mais ce genre de poudre aux yeux est nécessaire pour faire passer une « action militaire » pour une option valable. Que les États-Unis puissent réagir à la vente de pétrole par l’Iran au Venezuela en ne faisant rien n’est même pas pris en considération.

Dans la même veine, le Wall Street Journal (5/20/20) donne du crédit à l’idée selon laquelle d’autres sanctions s’imposent, en particulier contre l’Iran, sans pour autant affirmer qu’il serait indésirable de condamner l’Iran à une mort encore plus massive par coronavirus (FAIR.org, 4/8/20) afin de le punir pour ses relations avec le Venezuela. L’article dit :

Le soutien de l’Iran au Venezuela souligne les limites des sanctions en tant qu’instrument de politique étrangère. Après des décennies de sanctions, l’Iran a développé une vaste industrie de raffinage qui fabrique ses propres équipements et produit le carburant dont sa population a besoin. La plupart de son pétrole étant invendu en raison des sanctions et de l’effondrement de la demande mondiale, l’Iran trouve maintenant de nouveaux débouchés pour son brut auprès d’ennemis des Etats-Unis.« 

Ce qui mérite réflexion, évidemment, c’est l’efficacité des sanctions, et non pas la question de savoir si elles doivent être imposées.

Wall Street Journal : Les Etats-Unis cherchent des moyens de stopper les ventes de pétrole de l'Iran au Venezuela Le Wall Street Journal (5/20/20) décrit l'Iran qui vend du pétrole au Venezuela comme "un défi à la doctrine Monroe des États-Unis, vieille de près de deux siècles, qui s'oppose à... l'ingérence internationale dans l'hémisphère occidental" (sic) - comme si les tentatives états-uniennes de renverser le gouvernement du Venezuela et d'autres pays d'Amérique latine ne constituaient pas une "ingérence internationale"

Wall Street Journal : « Les Etats-Unis cherchent des moyens de stopper les ventes de pétrole de l’Iran au Venezuela« 
Le Wall Street Journal (5/20/20) décrit l’Iran qui vend du pétrole au Venezuela comme « un défi à la doctrine Monroe des États-Unis, vieille de près de deux siècles, qui s’oppose à… l’ingérence internationale dans l’hémisphère occidental » (sic) – comme si les tentatives états-uniennes de renverser le gouvernement du Venezuela et d’autres pays d’Amérique latine ne constituaient pas une « ingérence internationale »

L’article ne s’intéresse pas non plus au mal que les sanctions ont fait au Venezuela et à l’Iran. Il décrit les sanctions contre l’Iran comme « faisant partie d’une stratégie plus large visant à accroître la pression sur le régime », comme si ces mesures n’affectaient pas la population iranienne – par exemple elles provoquent le décès de cancéreux (Foreign Policy, 8/14/19).

L’article tentait d’absoudre les sanctions états-uniennes contre le Venezuela pour leur dégradation de l’industrie pétrolière du pays, en alléguant que:

Les raffineries du pays sud-américain, qui possède les plus grandes réserves de pétrole brut du monde, sont à l’abandon après des années de corruption et de mauvaise gestion qui ont précédé l’imposition de sanctions strictes sur ses ventes de pétrole l’année dernière.

Cette affirmation est trompeuse : les sanctions états-uniennes d’avant 2019 avaient gravement porté atteinte au secteur pétrolier du Venezuela. Comme le souligne l’économiste vénézuélien Francisco Rodríguez, un critique virulent du président Nicolás Maduro (WOLA, 20/9/2018), le décret de Trump de septembre 2017 a recommandé que les institutions financières signalent plusieurs transactions en provenance du Venezuela comme potentiellement criminelles :

« De nombreuses institutions financières ont procédé à la fermeture de comptes vénézuéliens, estimant que participer par inadvertance au blanchiment d’argent était un risque inutile. Les paiements vénézuéliens aux créanciers se sont retrouvés bloqués dans la chaîne de paiement, les institutions financières refusant de traiter les virements provenant d’institutions du secteur public vénézuélien. Même Citgo, une entreprise vénézuélienne constituée dans le Delaware, a eu du mal à obtenir des banques qu’elles lui délivrent des lettres de crédit.

Ces restrictions ont eu plusieurs conséquences sur l’industrie pétrolière vénézuélienne. Tout d’abord, et c’est le plus évident, la perte de l’accès au crédit vous empêche d’obtenir des ressources financières qui auraient pu être consacrées à l’investissement ou à l’entretien…

Il existe également des liens plus directs entre la finance et l’activité réelle qui peuvent conduire une entreprise à laquelle on ferme le réseau financier, à connaître une baisse de sa capacité de production. Par exemple, l’un des mécanismes les plus efficaces que PDVSA [la compagnie pétrolière publique du Venezuela] a trouvé pour augmenter la production ces dernières années a été la signature d’accords de financement dans lesquels des partenaires étrangers prêteraient pour financer l’investissement dans un accord de coentreprise (Joint Venture) tant qu’ils pourraient payer le prêt. Or le décret de Trump a effectivement mis un terme à ces prêts.

De même, avant l’imposition des sanctions, PDVSA avait commencé à refinancer une partie importante de ses arriérés envers les prestataires de services par l’émission de billets à ordre de droit new-yorkais. Le décret a également mis fin à ces arrangements. Ce qui était inhabituel pour PDVSA en 2017, ce n’était pas d’avoir un niveau d’arriérés important – de nombreux producteurs de pétrole avaient accumulé des arriérés après la chute des prix. Ce qui était inhabituel, c’est qu’il n’était pas en mesure de les refinancer. »

Ainsi, les sanctions états-uniens ont entravé le secteur pétrolier du Venezuela pendant au moins deux ans de plus que ce que le Wall Street Journal affirme.

Le journal cite l’amiral Craig Faller, qui dirige le Commandement Sud des États-Unis dans les Caraïbes : « l’ouverture de l’Iran au Venezuela est destinée à l’aider à « acquérir un avantage de position dans « notre » voisinage comme moyen de contrer les intérêts américains« . Ce qui manque dans cette pièce, c’est une réflexion sur la possibilité que le Venezuela soit le « voisinage » du Venezuela, et que ce qui se passe au Venezuela ne soit pas une question d' »intérêts états-uniens » mais d’intérêts vénézuéliens.

Selon l’article, « les efforts croissants de l’Iran pour construire un avant-poste commercial et politique en Amérique latine constituent un défi à la doctrine Monroe des États-Unis, vieille de près de deux siècles, qui s’oppose à l’ingérence internationale dans l’hémisphère occidental« . Le fait que l’Iran fournisse du pétrole au Venezuela est une « ingérence internationale« , mais le fait que les États-Unis tentent d’être l’arbitre de l’activité économique vénézuélienne n’est pas une « ingérence internationale« , bien qu’il semble y avoir des preuves que les États-Unis et le Venezuela ne sont pas, en fait, le même pays.

Le Journal exclut de son compte-rendu le point de vue selon lequel les pays de l’hémisphère ont le droit d’acheter et de vendre des ressources de et vers n’importe quel pays, indépendamment des souhaits des États-Unis. Au contraire il partage l’avis des responsables états-uniens selon lequel:

« les États-Unis pourraient également essayer de confisquer les navires, par le biais d’une procédure judiciaire états-unienne appelée « action de confiscation » pour violation de la loi états-unienne…. Mais comme il est peu probable que le Venezuela coopère à un tel ordre, l’outil juridique devrait être utilisé lorsque les navires s’arrêtent pour se ravitailler dans les ports en route vers l’Iran, ont déclaré les responsables.« 

Le Wall Street Journal a par ailleurs refusé de donner la parole à ceux qui s’opposent à la perspective de piraterie états-unienne.

Il ne manque pourtant pas de personnes originaires d’Iran ou du Venezuela, ni d’écrivains ou de militants pacifistes états-uniens, vers lesquels ces journaux auraient pu se tourner pour apporter les points de vue qu’ils ont laissés de côté. Au contraire, de nombreux points de vue douteux sur les relations irano-vénézuéliennes sont présentés comme s’ils constituaient la gamme complète des points de vue sur la question.

L’auteur: Docteur en Études Littéraires, Gregory Shupak enseigne l’Analyse des Médias à l’Université de Guelph, Toronto, Canada. Auteur de “The Wrong Story. Palestine, Israel, and the Media”, Or books éditeur, 2018.

L’auteur: Docteur en Études LittérairesGregory Shupak enseigne l’Analyse des Médias à l’Université de Guelph, Toronto, Canada. Auteur de “The Wrong Story. Palestine, Israel, and the Media”, Or books éditeur2018.

Le public des médias n’est pas exclusivement composé de crétins qui croient tout ce qu’ils lisent. Evidemment si les médias martèlent encore et toujours, que les États-Unis ont le droit d’intervenir où ils veulent et qu’il faut combattre ce qu’ils perçoivent comme des méchants, sans donner d’éléments pour remettre en cause cette perspective, beaucoup de gens dans ce public vont finir par croire que c’est vrai.

Source : https://fair.org/home/missing-perspective-in-media-iran-venezuela-ties-are-none-of-uss-business/ 

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

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Comprendre la guerre de l’essence au Venezuela sans attendre d’être « informé » par les grands médias

25 mai 2020. Menacés par les Etats-Unis, cinq tankers iraniens entrent dans les eaux vénézuéliennes sous la protection des Forces Armées Bolivariennes.

Peu à peu la coopération des « deux tiers du monde » rêvée par Simon Bolivar s’incarne. Le blocage états-unien de ses raffineries extérieures et de l’importations d’additifs pour la produire sur place avait privé le Venezuela d’essence. Cinq tankers envoyés par l’Iran viennent de briser le blocus états-unien/européen. Menacés par l’administration Trump, escortés par l’armée bolivarienne dès leur arrivée dans les eaux vénézuéliennes, ces navires apportent de l’essence pour deux semaines et des additifs pour poursuivre sur place la production. Cette victoire face à la longue guerre économique – lancée en 2013 et renforcée pendant la pandémie – est un espoir pour tant de nations subissant les « sanctions » – mesures coercitives unilatérales – de l’Occident.

Le plan du gouvernement vénézuélien est de réactiver les raffineries pour répondre à la demande intérieure. Le pari des États-Unis est que non seulement cela n’arrivera pas mais qu’il faut continuer à travailler pour que toute l’économie s’effondre, et qu’une rupture sociale permette enfin le “changement de régime”, soit à travers un coup d’Etat soit à travers une invasion militaire. Le 28 mai, Gustavo Petro, sénateur, ex-candidat aux présidentielles en Colombie, tweete à propos du débarquement d’un nouveau contingent de soldats états-uniens dans son pays: « On ne peut plus cacher l’évidence : on prépare une invasion du Venezuela, avec le pire : l’aide du narcotrafic ». (1)

Quelles sont les clefs de cette guerre ? Sous la pression d’un champ médiatique devenu homogène, la plupart des journalistes ou politologues occidentaux remplacent les causes par les effets, rendent responsable le Président Maduro d’une “crise” ou établissent un « fifty-fifty » plus idéologique qu’empirique entre la guerre économique et les problèmes internes de mauvaise gestion ou de manque d’investissements du gouvernement bolivarien.

Facts first”. Comme l’explique la journaliste Erika Ortega Sanoja, le Venezuela importe de l’essence de l’Iran pour diverses raisons :

– Sabotages et attentats continuels comme l’incendie de la raffinerie d’Amuay (Paraguaná) qui fit 55 morts en août 2012.

– Affaiblissement chronique de la compagnie publique Petroleos De Venezuela (PDVSA) après la chute brutale et soutenue des prix du pétrole entre 2014 et 2016, et la constitution d’un réseau de corruption des hauts cadres pétroliers.

– La fuite des cerveaux, sous la pression de la guerre économique, de son personnel le plus important : les travailleurs qui avaient réussi, avec Chavez, à récupérer l’industrie en 2002, après le sabotage pétrolier de l’opposition organisé depuis les USA.

– L’infiltration de l’opposition dans l’entreprise, démontrée avec le cas de CITGO (Etats-Unis).

– L’impossibilité de remplacer les pièces et d’acheter des additifs face au blocus imposé par l’administration de Donald Trump et resserré depuis 2017.

– Les menaces constantes et croissantes des États-Unis sur les investisseurs potentiels.

– Le paiement de plus de 70 milliards de dollars de dettes de la République qui n’ont pas pu être refinancées.

– La dépossession des ressources de la République bolivarienne qui se trouvaient dans les banques en Europe et aux USA.

– Le blocage des raffineries extérieures à Curaçao, et aux États-Unis via le transfert illégal des actifs de la société pétrolière d’État vénézuélienne CITGO, basée aux USA, à Juan Guaido au motif de son auto-proclamation comme “président” en 2019, aujourd’hui mise en vente, autre manoeuvre illégale dénoncée par le gouvernement bolivarien. Autre entreprise frauduleusement acquise par les amis du fake-président: Monómeros Colombo Venezolanos, une entreprise pétrochimique de l’Etat dont le siège se trouve en Colombie.

Citgo possède trois raffineries et un réseau de pipelines qui traversent 23 États des États-Unis.

Le journaliste et sociologue Marco Teruggi vit au Venezuela. Nous traduisons son analyse qui éclaire ces faits dans le contexte de la révolution bolivarienne:

« La station d’essence devant chez moi s’est vidée quelques jours après le début du confinement généralisé. Les responsables sont partis, après avoir tendu une corde pour barrer l’accès : « fermé ». Les gens ont commencé à parler de l’endroit où on pourrait trouver de l’essence et à dresser une carte des stations en activité, dans une situation qu’on croyait momentanée.

Puis, comme face à toute pénurie, la revente a commencé. Les prix ont augmenté à mesure que la situation se faisait plus critique : 1… 1,5… 2… jusqu’à 3 dollars par litre, dans un pays où le remplissage d’un réservoir est pratiquement gratuit pour les consommateurs depuis toujours. Les files d’attente se sont allongées, durant parfois plus d’un jour, parfois deux, et le manque d’essence s’est “normalisé”.

Ce qui était un fait nouveau pour Caracas – bien qu’on l’avait déjà vécu lors du lock-out pétrolier organisé par les hauts cadres de PDVSA pour renverser Hugo Chávez entre 2002 et 2003 – ne l’a cependant pas été pour de nombreux états intérieurs du pays, notamment ceux qui ont une frontière avec la Colombie. Là-bas, comme dans les Etats d’Apure, du Táchira, de Mérida ou du Zulia, les files pour faire le plein d’essence sont apparues depuis déjà près de trois ans, conséquence de la contrebande massive vers la Colombie où elle est revendue au prix du marché. En 2006 par exemple, le président Alvaro Uribe légalisa la contrebande d’essence vénézuélienne : la seule « Cooperativa Multiactiva del Norte », autorisée par lui, peut stocker jusqu’à près de 3 millions de litres.

Ces derniers mois, le manque d’essence s’était étendu aux villes proches de Caracas. Dès le mois de mars, alors qu’il y avait une pénurie dans la capitale, on a commencé à parler de la crise de l’essence. Au Venezuela, comme dans de nombreux pays d’Amérique latine, la capitale joue un rôle surdimensionné dans la dynamique politique. Ce qui se passe à Caracas revêt dès lors un « caractère national », ce qui peut affecter le pouvoir politique central.

Pour mieux comprendre les causes de cette situation, on peut tracer une ligne de temps des différents acteurs impliqués, dans un contexte politique de sièges, de tranchées, de négations, dans un des moments les plus complexes de ces dernières années.

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Le blocus

En août 2017, la Maison Blanche a émis la première d’une longue liste de sanctions contre l’industrie pétrolière vénézuélienne, PDVSA, par le biais du décret 13808. Ce mois-là a coïncidé avec une défaite électorale de la droite, matérialisée par l’élection de l’Assemblée nationale constituante qui a signifié une victoire pour le chavisme.

Le premier décret a commencé à façonner un blocus technique de PDVSA avec un objectif central : frapper la principale colonne vertébrale de l’économie vénézuélienne. Cette mesure visait à fermer les sources de capitaux étrangers, nécessaires au fonctionnement de l’industrie pétrolière. En 2018, trois autres décrets ont été pris à l’encontre du Venezuela, touchant différents secteurs de l’économie. Le 28 janvier 2019, cinq jours après l’autoproclamation de Juan Guaidó et sa reconnaissance immédiate par Donald Trump, la Maison Blanche a publié le décret 13850 centré sur PDVSA et la Banque centrale du Venezuela : « À la suite de l’action d’aujourd’hui, tous les biens et intérêts détenus par le PDVSA qui relèvent de la juridiction américaine sont bloqués et il est interdit aux personnes américaines de faire des transactions avec eux« , a déclaré le département du Trésor.

Cette mesure comprenait le blocage de 7 milliards de dollars d’actifs de PDVSA aux États-Unis, l’appropriation par le “clan états-unien de Guaido” de CITGO, une raffinerie affiliée de la compagnie pétrolière sur le territoire américain, dont un juge vient d’annoncer la vente, dénoncée comme illégale par le gouvernement vénézuélien. En outre, PDVSA a été bloqué sur le marché américain de l’énergie, ce qui a eu un impact sur les acheteurs internationaux.

Les sanctions ont continué à se multiplier : plus de 30 navires et pétroliers du PDVSA ont été inscrits sur la liste noire du département du Trésor, et le 5 août 2019, la Maison Blanche a publié le décret 13884 qui a saisi tous les actifs vénézuéliens aux États-Unis, y compris CITGO. L’arsenal de mesures visant à détruire le champ économique de PDVSA s’est ensuite abattu sur des compagnies pétrolières étrangères, en particulier, début 2020, les compagnies russes Rosneft Trading et TNK Trading International. Les médias occidentaux jubilaient déjà à l’idée que la Russie abandonne le Venezuela pour sauver Rosneft, quand Moscou freina les plans de Trump en décidant de faire passer sous contrôle direct du Kremlin les activités de cette entreprise.

L’asphyxie états-unienne a donc fonctionné des deux côtés. D’une part le blocage des activités de la compagnie pétrolière publique PDVSA en tant que principale source de revenus pour l’État, et d’autre part l’économie dans son ensemble avec une paralysie générale liée à l’impossibilité de s’approvisionner en essence. L’agence Reuters avait rapporté: « La pénurie d’essence au Venezuela s’aggrave après que des fonctionnaires américains ont fait pression sur les compagnies étrangères pour qu’elles s’abstiennent de fournir du carburant« . La mesure a débuté fin 2019 et a été ratifiée en 2020.

Les dernières mesures ont été annoncées lundi par Mauricio Claver-Carone, responsable de la sécurité nationale de la Maison Blanche pour l’Amérique Latine, qui a menacé les entreprises étrangères présentes au Venezuela : « Il n’y a pas d’exception pour la production de Chevron, il n’y a d’exception pour aucune entreprise dans le monde, nous avons parlé avec Repsol, Reliance, Eni, et nous leur avons montré ce qui s’est passé avec Rosneft Trading (…) nous leur avons dit que s’ils continuaient dans ces activités, ils le feraient sous le risque de sanctions qui pourraient être dévastatrices pour eux« .

Refinería-EC2017, l’année du premier décret contre PDVSA, coïncide avec la décision importante, qui a constitué un séisme politique, du président Maduro d’assainir l’ensemble de l’industrie pétrolière tombé en décadence sous la gestion de Rafael Ramirez nommé par Hugo Chavez. Les deux derniers présidents de l’industrie pétrolière et ministres du pétrole, Eulogio Del Pino et Nelson Martinez, qui étaient impliqués dans un plan de corruption à l’intérieur de CITGO et qui avaient été en charge de 2014 à 2017, ont été arrêtés. À la fin de 2017, le ministère public a également accusé Rafael Ramírez, ancien président de PDVSA et ministre du pétrole, d’être responsable de détournements de fonds et de faits tels que le maquillage comptable, le sabotage et la surfacturation des contrats. Les événements dont Ramírez est accusé ont commencé en 2009 et se sont poursuivis jusqu’en 2014, date à laquelle il a été remplacé par Del Pino. Ramirez a fui la justice de son pays et négocie son absolution avec la justice états-unienne pour d’autres faits de corruption.

L’enquête menée par le ministère public depuis la nomination de son nouveau Procureur Général en 2017 dévoile un système de corruption à la présidence du PDVSA, impliquant des dizaines de gestionnaires et le ministère du pétrole entre 2009 et 2017. Un système bien huilé garantissant l’impunité en échange de commissions payées à la procureure générale Luisa Ortega Diaz, qui a depuis fui la justice vénézuélienne et qui est elle aussi impliquée dans des faits de corruption aux Etats-Unis. Dans quelle mesure cette longue histoire de corruption a-t-elle eu un impact sur la gestion des investissements dans les puits, les raffineries, la production, les décisions adéquates sur une entreprise complexe comme PDVSA ?

2017 est donc une année cruciale: c’est à la fois le début du blocus direct de la part des États-Unis sur l’industrie pétrolière, mais aussi le changement de sa présidence après huit années de dirigeants impliqués dans la trame de corruption. Il s’agit donc à la fois d’un travail de révision interne, et de refonder une architecture pour surmonter la pluie de sanctions qui affectent de plus en plus de secteurs et d’itinéraires. Exemple : le blocus a affecté l’importation d’additifs et de produits chimiques pour le raffinage de l’essence, et le vol de CITGO a entraîné la coupure d’une voie centrale d’approvisionnement en essence, en pièces détachées et en intrants pour le raffinage.

Près de trois ans après l’arrestation de Del Pino et Martinez, la production de pétrole et le raffinage de l’essence ont continué à diminuer. Manuel Quevedo, mis en place pour restructurer PDVSA a été remplacé en avril 2020 par l’ingénieur chimiste Asdrubal Chavez, respecté pour sa longue expérience en matière de politique pétrolière et de relations avec l’OPEP.

La compagnie PDVSA a une particularité : elle a été structurée à partir du milieu des années 1970 en fonction des besoins des transnationales d’extraction états-uniennes, avec leurs machines, leurs intrants, leurs technologies et leur gestion. Tant que ce schéma de haute dépendance restait intact, PDVSA était un objectif sur lequel les États-Unis avaient un haut niveau de connaissances et de puissants moyens de réduire les fournitures d’intrants et de machines-clés. C’est pourquoi une partie des accords actuels du PDVSA avec les alliés internationaux consiste, outre l’exportation de brut et l’importation d’essence, à acheter des pièces pouvant remplacer celles des États-Unis pour remettre les raffineries en service comme celle d’El Palito qui recevra une partie des cargaisons envoyées par l’Iran.

L’arrivée au Venezuela de ces cinq pétroliers iraniens (Carnation, Fortune, Forest, Petunia et Faxon) avec une capacité de 1.487.500 barils de pétrole, avait suscité des menaces de l’administration Trump qui avait rendu public l’envoi de quatre navires de guerre dans les Caraïbes pour une “opération antidrogue” menée par le Southern Command et annoncée en mars dernier. Mais le gouvernement iranien a rappelé qu’il s’agit d’un accord entre deux Etats souverains : “Les Etats-Unis et les autres pays savent que nous sommes déterminés. Si les obstacles continuaient ou augmentaient, la réponse de l’Iran serait énergique« .

Photos: la raffinerie d’El Palito, destination d’une partie des cargaisons envoyées par l’Iran.

Note: (1) https://twitter.com/petrogustavo/status/1266200208809099270

Sources : Compte twitter de la journaliste Erika Ortega Sanoja https://twitter.com/ErikaOSanoja, et article de Marco Teruggi dans Sputnik News, https://mundo.sputniknews.com/america-latina/202005211091498584-iran-y-desabastecimiento-radiografia-de-la-crisis-de-la-gasolina-en-venezuela/ 

Traduction et adaptation : Thierry Deronne

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La Grande Interview : Rafael Correa converse avec Nicolás Maduro (RT France)

Pour cette édition exceptionnelle de « Conversation avec Correa« , l’ex-président équatorien voyage à Caracas afin d’évoquer avec le président Nicolás Maduro les mythes et les réalités du Venezuela actuel. Les deux chefs d’Etat abordent la question de l’intensification de la manipulation des médias qui va de pair avec l’accroissement des sanctions états-uniennes, la place de l’individu dans l’Histoire ainsi que les récents développements politiques de la révolution bolivarienne.

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