Loin des médias, le Venezuela

Depuis douze ans, ce modeste blog « de terrain » cherche à témoigner de la nature profonde de la révolution bolivarienne : démocratisation, socialisme participatif, autogouvernements populaires. Le Venezuela n’est pas seulement la victime de l’impérialisme, de ses blocus, de ses agressions ou de ses « sanctions ». C’est un peuple en marche, qui tire de son Histoire anticoloniale et de « l’équilibre du monde » cher à Simon Bolivar, les formes politiques de sa révolution.

Contrairement à ce que font les grands médias, ce blog transmet des expériences utiles à toutes celles et ceux qui veulent changer la vie. C’est une manière de se libérer du piège de « la remorque » qui consiste à passer sa vie à répondre au mensonge du jour (et oblige de ce fait à légitimer des thématiques étrangères aux intérêts des citoyen(ne)s.)

On sait depuis longtemps comment marche le journalisme dominant. Pour épauler le capitalisme dans sa guerre contre les gouvernements rebelles, il isole les peuples et fragmente le réel (sous-thèmes au lieu de la structure, effets au lieu des causes, individualités politiques au lieu des processus collectifs, extinction du temps sous la dictature du « présentisme », etc…). Sa cible, ce sont les militant(e)s de gauche. Il n’attaque pas le Venezuela parce qu’il est une « dictature » mais parce qu’il faut endiguer l’exemple de la démocratie de gauche la plus avancée des Amériques, celle où le record en nombre d’élections côtoie le progrès de la démocratie participative. Bref, tant que durera le quasi-monopole privé des médias, il faudra maintenir ce travail forcé de « réponse ». Comme dans nos « douze points sur les « i » d’élections présidentielles ».

Mais revenons à nos moutons. Force est de constater qu’après 24 ans de révolution, la machine à démocratiser ne se refroidit pas. Deux événements, auxquels j’ai assisté ces derniers jours, en témoignent.

Le Ministère vénézuélien de la Culture a organisé du 21 au 31 mars 2024 la troisième édition annuelle de son Festival International de Théâtre Progressiste. 150 troupes de théâtre nationales, et des troupes théâtrales de 20 pays, ont participé. Dans tout le pays, le public a pu assister à 830 représentations et découvrir le travail de près de 2000 artistes. L’entrée était très modique et, dans la plupart des cas, gratuite. Avec en parallèle, des ateliers et des activités de plein air pour les enfants. École artistique mais aussi prise de conscience. Tous ces spectacles venus d’Amérique latine, d’Europe, d’Afrique et d’Asie, ont permis au peuple vénézuélien de découvrir un monde que les médias prennent tant de soin à occulter.

Venue de Tunisie, d’Afrique, la pièce « L’Albatros » parle de la migration, du cimetière de la Méditerranée et pose des questions urgentes, fondamentales : « Qu’est-ce que l’égalité ? Qui a des droits ? ». Elle parle des mouvements de masse et de la rage des peuples causés par le capitalisme et l’impérialisme global. Ils sont cinq. Le sixième est un petit bateau en papier, brisé par les vagues déferlantes de la mer. « Je remercie la mer de nous avoir accepté sans visas ni passeports. Je remercie les poissons qui nous mangeront sans nous connaître. Lorsque les amis iront frapper à ta porte pour te donner leurs condoléances, refuse-les. » « Quel beau poème, poignant ! » s’écrie une spectatrice vénézuélienne. « Et quel public ! Concentré, chaleureux, intime, respectueux » répond la tunisienne Jamila Chihi. J’ai conversé avec Chedly Arfaoui qui a écrit et mis en scène cette pièce magistrale ainsi qu’avec ses actrices et acteurs – Fatma Ben Saïdane, Abdelkader Ben Saïd, Ali Ben Saïd, Meriem Ben Hamida et Malek Zouaidi. Voici mon reportage (VO FR ST ESP) :

Quelques jours plus tard, j’ai participé à une conférence de presse au Ministère des Communes et des Mouvements Sociaux. Entouré de délégué(e)s de communes (autogouvernements populaires) de plusieurs régions du pays – des femmes en majorité -, le ministre Guy Vernáez explique le processus de la consultation populaire nationale du 21 avril 2024. Près de 4500 communes voteront pour le projet qu’elles considèrent comme prioritaire. Le gouvernement fournira les ressources pour qu’elles puissent l’exécuter, avec leurs propres organisation et leur propre main d’œuvre. Il ne s’agit pas, comme dans d’autres pays, d’une simple consultation. Ici, le vote oblige le gouvernement à financer chacun des projets.

Ces dernières années, le président Maduro a insisté auprès de ses ministres pour qu’ils accélèrent le transfert du pouvoir et des ressources aux organisations populaires. Pour cette élection-ci, plus de 27.000 projets ont déjà été présentés dans les assemblées citoyennes. Venue de l’État de Carabobo, la déléguée communarde Ofelia García explique : « la plupart des projets présentés visent à améliorer les services publics, les routes, la santé, l’éducation, l’environnement, les plans de production, les sports, les processus industriels, les transports publics et le système de production agricole. Tous les conseils communaux de notre territoire ont été convoqués et les projets ont été classés en fonction de leur intérêt commun et non individuel. »

Thierry Deronne, Caracas, le 8 avril 2024.

Photos : ci-dessus, mes questions au Ministre des Communes et mouvements Sociaux Guy Vernaez. Ci-dessous : assemblées citoyennes pour informer sur le vote qui permettra aux organisations communardes de choisir leur projet prioritaire.

Notre reportage (VO ESP) de la conférence de presse :

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/08/loin-des-medias-le-venezuela/

L’aventure de la télévision populaire au Venezuela : entretien avec Thierry Deronne (Venezuelanalysis)

Note : L’interview ci-dessous, réalisée par le site d’information Venezuelanalysis, relate trente ans de travail au Venezuela de notre école de communication, cinéma et théâtre des mouvements sociaux. Vous pouvez soutenir cette école via ce compte. Merci d’avance pour votre solidarité !

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SVP ne mentionner que : « Soutien école communication ».

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Venezuelanalysis : Thierry Deronne est un cinéaste vénézuélien d’origine belge qui accompagne depuis longtemps les luttes de la classe ouvrière et des paysans en Amérique latine. Au milieu des années 1990, au Venezuela, il a encouragé les médias populaires et les projets éducatifs, avant de jouer un rôle clé dans le mouvement de la télévision populaire pendant la révolution bolivarienne. Deronne est actuellement professeur à l’Université Nationale des Arts [créée par Hugo Chávez]. Son dernier documentaire, Nostalgiques du futur, co-réalisé avec Victor Hugo Rivera, est un voyage dans quelques territoires où le féminisme populaire change la vie.

Venezuelanalysis – Tu es arrivé au Venezuela en 1994, en provenance du Nicaragua, où tu avais déjà pris part aux luttes latino-américaines. Une fois au Venezuela, tu as travaillé avec la Escuela de Formación Obrera (École de formation ouvrière) à Maracay, dans l’État d’Aragua. Que peux-tu nous dire de cette expérience ?

Thierry Deronne – C’est grâce aux compagnes féministes vénézuéliennes avec qui je travaillais au Nicaragua dans les années 80, pendant la révolution sandiniste, que j’ai pu, il y a trente ans exactement, parvenir au Venezuela. C’était 5 ans avant la révolution bolivarienne et l’élection d’Hugo Chávez. Notre première base d’opérations fut l’école de formation ouvrière, à Maracay, créée par des avocats spécialisés dans le droit du travail comme Isaias Rodriguez, Priscilla Lopez et d’autres militantes féministes. Un lieu de rencontre, un espace ouvert et parfois clandestin pour tous ceux qui sentaient que quelque chose devait bouger ici, que le pays allait changer. Jan Hol, un Néerlandais qui était un des coordinateurs, faisait vivre chichement cette école avec le financement d’un syndicat des Pays-Bas. C’est dans cet espace que j’ai créé l’École populaire de cinéma et organisé les premiers ateliers audiovisuels pour les activistes de toutes sortes de luttes, travailleur(se)s, mouvements de femmes, paysan(ne)s, étudiant(e)s, etc. Nous nous rendions dans des villages qui luttaient pour la terre ou dans une communauté rurale qui refusait l’imposition d’une décharge industrielle. Nous accompagnions des camarades féministes qui animaient des ateliers contre la violence sexiste et qui voulaient disposer des outils nécessaires pour se représenter sur un film. Ce travail nous a permis de mettre en lumière le rôle des femmes dans la sphère de la reproduction sociale. L’École populaire de cinéma s’est forgée et développée avec ces luttes. Tout en gardant un pied à l’École de formation ouvrière, elle est devenue plus mobile, itinérante : nous sommes allés là où les travailleurs, les militant(e)s féministes ou les paysan(ne)s avaient besoin d’outils pour représenter leurs luttes.

Venezuelanalysis – Peux-tu décrire plus en détail ton travail d’éducateur populaire ?

Thierry Deronne – Il s’agissait par exemple d’organiser un atelier d’écriture de scénarios avec des femmes qui apprenaient à raconter leur propre histoire par le biais de la fiction, en subvertissant le style dominant et normatif des « telenovelas ». Ou travailler sur la récupération de la mémoire historique et documenter les grèves des travailleurs. Nous avons filmé les dernières grèves des travailleurs du textile à Maracay [à la fin des années 90]. Il s’agissait d’un mouvement très important, nous avons aidé les grévistes à le visibiliser. Dans ce documentaire, l’œil de la caméra passe des femmes qui cuisinaient dans les usines occupées aux cortèges de travailleurs, puis aux réunions et aux débats entre grévistes. Nous nous faufilions la nuit dans les usines occupées, toujours en collaboration avec les travailleurs, et nous enregistrions ce qu’ils faisaient. Cette grève a été un tournant pour nous : nous sommes passés de la production de reportages vidéo, à la réalisation d’un véritable documentaire. Par la suite, nous avons fait de la création d’une école vénézuélienne du documentaire l’un de nos objectifs. Un processus révolutionnaire a besoin de documenter ses luttes, ses constructions collectives et ses victoires.

Photos : Teletambores, une des premières chaînes de télévision populaire du Venezuela.

Venezuelanalysis – Vers l’an 2000, tu as fondé Teletambores à Maracay, une des premières chaînes de télévision populaire du pays. Peux-tu nous raconter cette histoire ?

Thierry Deronne – À l’époque, toutes les chaînes de télévision étaient commerciales et, bien entendu, elles ne diffusaient rien sur les luttes des travailleur(se)s. Leur rôle était soit d’occulter, soit de diviser et de démobiliser le mouvement social, en isolant les dirigeants de leur base, en insistant sur la violence, en opposant les grévistes aux usagers, en parlant d’essoufflement de la lutte, etc.. Nous avons installé une antenne de télévision sur le toit de la maison de Maria Santini, dans le barrio Francisco Linares de Alcántara, dans la banlieue de Maracay. Maria était une camarade féministe. Le jeune ingénieur en télécommunications José Ángel Manrique, du projet populaire TV Rubio dans les Andes, nous a donné des conseils techniques. C’est ainsi que nous avons pu commencer à diffuser la télévision dans le quartier. Plus tard, nous avons obtenu un deuxième émetteur, qui a permis d’atteindre plus d’habitant(e)s. Un peu plus tard, vers 1997, Blanca Eekhout et Ricardo Márquez de Catia TVe [une télévision populaire de Caracas] sont venus nous voir. Ils voulaient discuter et voir avec nous comment unir les forces dans la construction de médias d’un type nouveau. C’est ainsi qu’est né le mouvement de la télévision populaire au Venezuela.

Après l’élection d’Hugo Chávez en décembre 1998, et surtout lors de l’assemblée constituante de 1999, quelques amis députés ont défendu l’inclusion du concept de « communication plurielle » dans la nouvelle constitution bolivarienne. C’est ce qui a ouvert la porte au cadre légal et par là, à une multitude de projets de communication non conventionnels au sein de la révolution. Mais le vrai tournant s’est produit lors du coup d’État d’avril 2002 contre Hugo Chávez: les médias populaires ont joué un rôle important dans la résistance et le retour au pouvoir du président élu, alors que les médias privés avaient occulté ce mouvement populaire. La population, et le gouvernement bolivarien, ont compris que les médias privés avaient été un outil majeur du coup d’État contre le processus bolivarien, et qu’une véritable « révolution médiatique » devenait nécessaire. Dans ce contexte post-coup d’État, Chávez est devenu un défenseur des médias populaires. Je me souviens d’une belle histoire : Catia TVe lui a envoyé une lettre l’invitant à inaugurer le nouveau siège, mais la nouvelle réglementation n’avait pas encore été promulguée. Chávez était déterminé à y assister, mais les avocats de la CONATEL [Commission Nationale des Télécommunications] lui ont déconseillé de le faire, à cause du vide juridique. Chávez a répondu: « S’il n’y a pas de loi, faisons-la ! »

Cette prise de conscience a conduit à la rédaction du cadre juridique pour les médias populaires, dans les bureaux de la CONATEL avec la participation de nos médias populaires, dont Catia TVe, Teletambores et TV Rubio. Pour la première fois, des personnes qui ne venaient pas des médias dominants se retrouvaient à la même table que les ingénieurs et les avocats de la CONATEL pour écrire une loi. Ce fut un moment extraordinaire !

Venezuelanalysis – Le mouvement de la télévision communautaire a été très dynamique dans les premières années de la révolution bolivarienne. Quels étaient ses principaux objectifs ?

Thierry Deronne – Chaque télévision communautaire avait son propre style, ses propres méthodes, sa forme et son histoire. Néanmoins, une idée nous rassemblait : le producteur devait être le peuple.
Cela peut paraître simple, mais c’est une véritable révolution ! Nous avons inscrit dans la loi l’obligation pour un média populaire, pour obtenir une concession radio-électrique, de diffuser 70% de productions populaires, et d’organiser une formation permanente pour créer les groupes de producteurs(trices) audiovisuel(le)s. On peut toujours parler en général de participation, mais sans la formation qui permet à chacun(e) de comprendre et manier les outils, idéologiquement et techniquement, cette participation reste lettre morte. Nous rejetions radicalement l’idée du média fait en studio, par des journalistes professionnels, qui se croient le centre du monde, ou tout au moins un centre de pouvoir. Notre télévision populaire Teletambores étant issue d’une école documentaire en rupture avec le code audiovisuel dominant, la participation directe des gens était une évidence. Cela signifie aussi que les processus et les délais de production étaient différents. Nous devions être immergés dans notre milieu populaire, et c’était les habitant(e)s qui menaient les enquêtes, et toutes les étapes de la production.

Autre chose, dans nos ateliers, nous avons toujours critiqué la propagande et la manipulation audiovisuelles. Nous considérons par exemple la relation entre le son et l’image d’une manière créatrice. Contre le pléonasme du son et de l’image, la relation entre un son autonome et une image autonome encourage la création de sens par le public, une lecture plus ouverte. En fait nous réactivions les enseignements de cent ans de pensée marxiste sur les médias et les expériences concrètes de nombreuses révolutions politico-esthétiques. En adaptant cet héritage au Venezuela, nous nous sommes dit : si la force motrice de la révolution bolivarienne est la participation directe du peuple, nous ne pouvons pas tomber dans le cliché simpliste du « imitons les armes de l’ennemi pour les retourner contre lui », car utiliser les codes de Venevisión [grande chaîne de télévision privée du Venezuela] aurait signifié reproduire la télévision de plateau autour d’un présentateur-vedette qui devient vite narcissique, les studios séparés de la vie, une machine à vendre des marchandises télévisuelles à un spectateur passif, bref, une légitimation du capitalisme et une contradiction frontale avec la participation populaire directe.

Photos : images de « Venezuela Adentro », un programme de Vive TV qui racontait les processus vivants d’organisations populaires.

Venezuelanalysis – Fin 2003, tu as rejoint Vive TV, une chaîne publique de télévision. Vive TV était une initiative vraiment extraordinaire à l’époque. De quoi s’agissait-il ?

Thierry Deronne – Vive TV était une chaîne de télévision publique qui se voulait la voix de l’organisation populaire sous toutes ses formes. Le président Chávez décida de la créer pour embrasser la vie du processus et sa réalité populaire, pour sortir de la vieille télévision publique VTV, porte-voix nécessaire du gouvernement mais insuffisante dans le nouveau contexte révolutionnaire. Peu après son inauguration, la jeune militante Blanca Eekhout – venue de la télévision populaire Catia Tve -, nommée présidente de la chaîne, m’a demandé de l’aider à développer un nouveau paradigme de télévision. C’est ainsi que l’école populaire de cinéma a déménagé de Maracay à Caracas. Notre objectif était de créer non pas une nouvelle chaîne, mais un nouveau type de télévision.

Cela n’a pas été facile, car la vitesse de création de Vive Tv, voulue par Chávez, ne nous a pas laissé le temps de former le personnel sur la base de concepts nouveaux, et nous a obligés à faire appel à des compagnes et compagnons qui venaient des médias commerciaux, qui venaient avec des modes de faire « dominants ». Ou à la classe moyenne de l’Université Centrale du Venezuela, qui n’aimait pas trop l’idée que le peuple fasse la télévision, pas plus que les journalistes professionnels engagés à Vive TV, mortifiés à l’idée de ne pas apparaître à l’écran. Différentes idées circulaient sur la manière de faire de la télévision, mais Blanca a finalement soutenu notre proposition de construire quelque chose de nouveau : nous avons pendant six ans pratiqué la formation intégrale d’un(e) travailleur(se) télévisuel(le) organique des organisations populaires : le « producteur ou productrice intégral(e). »

Nous sommes restés fidèles à cette idée marxiste selon laquelle « ce n’est que d’une technique qu’on peut déduire une idéologie ». C’est Augusto Boal qui brise l’espace bourgeois du théâtre où seuls quelques-uns ont le droit d’être acteurs et tous les autres de n’être que spectateurs. D’où son théâtre en rond où les spectateurs qui proposent des modifications de la scène, entrent dans l’espace du jeu et deviennent actrices ou acteurs. C’est Bertolt Brecht qui refuse que la radio fonctionne à sens unique, et propose qu’elle devienne une chose vraiment démocratique, qu’elle passe de la diffusion à l’inter-communication du peuple avec le peuple. C’est Sartre qui dit la même chose à l’heure de fonder un journal : « on croit que la liberté d’information, le droit à la liberté de la presse, c’est un droit du journaliste. Mais pas du tout, c’est un droit du lecteur du journal. C’est-à-dire que c’est les gens, les gens dans la rue, les gens qui achètent le journal, qui ont le droit d’être informé. C’est les gens qui travaillent dans une entreprise, dans un chantier, dans un bureau qui ont le droit de savoir ce qu’il se passe et d’en tirer les conséquences. Naturellement, il en résulte qu’il faut que le journaliste ait la possibilité d’exprimer ses pensées, mais cela signifie seulement qu’il doit faire en sorte que le peuple discute avec le peuple. » C’est Marx, aussi : « Dans une société communiste il n’y a pas de peintres, mais tout au plus des humains, à qui entre autres choses il arrive de peindre » . Tout cela va de pair avec la revendication de récupérer le temps de la vie, de créer un temps de loisir qui ne soit plus voué à « oublier le travail » mais à créer, à aimer, à apprendre. Cela reste plus que jamais un enjeu stratégique pour la prise de pouvoir par le monde du travail, pour l’élévation permanente de ses capacités comme force politique, participative, sociale et culturelle. Toutes ces idées « léninistes » se sont incarnées dans notre formation intégrale à Vive TV, c’est ainsi que nous avons commencé à rompre avec la division sociale du travail. Tout le monde, du cadreur(se) à l’agent(e) de sécurité, des technicien(ne)s aux producteurs(trices) ou aux administrateur(trices), participait à nos ateliers.

Venezuelanalysis – Parle-nous de ces ateliers.

Thierry Deronne – L’objectif était que chacun acquière les outils nécessaires, intellectuels et techniques, pour concevoir et réaliser un programme audiovisuel, non pas dans un espace fermé, une chambre de montage, ou devant un ordinateur pour remplir une case dans la grille de diffusion, mais par exemple en passant une semaine avec un groupe de paysans en lutte pour la terre. L’idée était qu’après avoir vécu plusieurs jours aux côtés des personnes en lutte, les collaborateurs de Vive TV reviendraient avec une idée plus claire des besoins populaires en termes de production audiovisuelle.
Nous invitions aussi les mouvements sociaux à Vive TV. À l’époque, on pouvait entrer dans un studio de Vive Tv et trouver une poignée de travailleurs d’INVEPAL parlant de la prise de contrôle de l’usine de production de papier ou un groupe de paysan(ne)s discutant de leur réalité dans l’État de Barinas. Aujourd’hui, une quinzaine d’années plus tard, quand je voyage à travers le vaste Venezuela, je rencontre des gens qui me disent : « je peux vous aider pour le son ou la caméra, j’ai étudié avec vous à Vive ». L’école de Vive TV a été semée en sol fertile, en plein processus révolutionnaire.

Venezuelanalysis – Tu as encouragé la production non conventionnelle à Vive TV. Peux-tu nous parler des types de programmes qui y étaient produits ?

Thierry Deronne – Nous essayions de réinventer l’ensemble de la télévision, ses relations internes, sa relation au peuple et sa programmation, vue comme un grand « montage » en soi, entre éducation et visibilisation populaire. Nous avions la liberté et les ressources publiques pour le faire. C’était un vieux rêve devenu réalité ! Il y avait un programme qui s’appelait « Venezuela Adentro » [À l’intérieur du Venezuela], dont nous avons produit des milliers d’épisodes. Pour le créer, nous nous sommes inspirés de Santiago Álvarez de l’ICAIC [Institut du cinéma cubain] et de son « Noticiero Latinoamericano » – chronique hebdomadaire de la révolution cubaine. Personne ne mâchait ses mots dans ses reportages : ils traitaient des vrais problèmes auxquels la révolution était confrontée. C’était très instructif et humoristique à la fois. Même si ce « noticiero » exprimait des critiques, la révolution cubaine avait la maturité suffisante pour protéger ce canal. Chaque dimanche, les Cubains s’asseyaient dans la salle de cinéma pour le regarder avec plus d’intérêt que la fiction qui le suivait. Cette expérience a été une source d’inspiration pour notre « Venezuela Adentro », où il était possible d’adopter des positions critiques au sein de la révolution, et où le peuple restait toujours le sujet. Chávez a accueilli et même encouragé la critique au sein de la révolution bolivarienne. Il nous disait : « Occupez les mairies, occupez les gouvernements régionaux ! Changez tout ! » Cela nous a incités à traverser à cheval une rivière, à gravir une montagne, à faire de longues heures de route pour rejoindre, écouter, comprendre des collectifs en lutte un peu partout.

Pour en revenir à la programmation de Vive Tv, je détache trois autres programmes. D’abord le « cours de philosophie » et le « cours de cinéma ». Nous avions souvent des gens souhaitant suivre nos ateliers, mais qui ne pouvaient pas y être physiquement, donc ces cours diffusés par l’écran était une sorte d’ « université en ligne», pour qu’un plus grand nombre puisse les voir. Un autre programme comme « En Proceso » était un plan-séquence qui suivait le travail, par exemple, d’un comité de terres urbain. La caméra suivait les porte-parole du comité qui visitaient les maisons d’un quartier, qui le cartographiaient, qui échangeaient avec les habitant(e)s pour connaître leurs principaux besoins et propositions. L’idée était de présenter la réalité telle qu’elle se vit, sans éliminer les soi-disant « temps morts » où apparemment « il ne se passe rien ».

Venezuelanalysis – Dans les premières années du processus bolivarien, les médias populaires se sont multipliés. Cependant, ce mouvement a décliné au fil des ans. Pourquoi ?

Thierry Deronne – La principale raison est la puissance du modèle de la télévision capitaliste. Les télévisions populaires sont nées comme des îlots dans le vaste océan de la communication capitaliste. Certains n’ont pas reconnu ou compris le potentiel de la télévision participative en tant qu’outil du protagonisme populaire de la révolution bolivarienne. La solution eut consisté à mettre en place une politique publique de communication capable de promouvoir la multiplication des médias populaires à grande échelle (« seule la quantité génère la qualité »…) pour faire émerger un modèle nouveau. Naturellement, cette expansion aurait dû être complétée par une formation et une éducation généralisées et permanentes aux pratiques nouvelles. Des problèmes internes ont également contribué au déclin, notamment le manque de cohésion au sein du mouvement, les conflits « territoriaux », le sectarisme, l’appropriation personnelle ou familiale des médias. Les médias communautaires se heurtaient à un autre obstacle : la technologie coûtait fort cher à l’époque et c’est grâce à l’État révolutionnaire que beaucoup de ces médias ont pu être montés. Mais les organisations avaient du mal à générer des revenus suffisants pour l’entretien ou le remplacement d’équipements obsolètes ou endommagés.

Aujourd’hui, la communication populaire se redéploie dans les smartphones qui offrent une technologie plus abordable et plus légère, qui permet une « écriture » beaucoup plus participative du réel. Sauf que leurs formats ont été pensés par la Silicon Valley, en tant qu’outils de consommation capitaliste. Formats courts, tape-à-l’œil et narcissiques. Avec des répercussions politiques, comme la fragmentation du réel, les tribus étanches du politiquement correct, le sentiment d’impuissance, et sur ce vide politique, la montée en puissance de la peur, de la post-vérité et de personnalités telles que Trump, Bolsonaro ou Milei… Il y a donc deux tâches urgentes à accomplir aujourd’hui. Premièrement, la revitalisation de la communication populaire avec le soutien de l’État pour établir un nouveau modèle. Cela nécessitera des financements, notamment pour la formation. Ensuite, il est impératif de créer un nouveau type de médias sociaux. Nous devons mettre en contact des experts en médias numériques avec les mouvements sociaux pour créer un nouveau réseau qui ne soit pas pensé par le capitalisme mais depuis les besoins de la société, qui laisse par exemple le temps nécessaire pour raconter des histoires d’organisations.

Photos : à Antímano, Caracas, un groupe de femmes construisent elles-mêmes leurs maisons. L’École populaire de cinéma et de théâtre travaille avec elles.

Venezuelanalysis Quel est aujourd’hui l’objectif de cette école de cinéma et de théâtre des mouvements sociaux, née dans les années 90 ?

Thierry Deronne – Créer un grand bataillon de cinéastes documentaires, pour de nombreuses raisons. Les principales sont la préservation de la mémoire historique et la transmission de l’expérience. Mais aussi l’agit/prop, ainsi que l’autocritique. C’est aussi un espace d’étude de la réalité : le cinéma documentaire doit nous donner le temps de comprendre la dialectique fine des processus. Notre école essaie de tenir toutes ces rênes à la fois. Compte tenu du contexte antérieur à la révolution, la télévision commerciale reste une référence écrasante, avec sa publicité, ses telenovelas, ses studios et ses présentateurs(trices)-vedettes. C’est elle qui reste l’école pour de nombreux professionnels des médias. Par conséquent, la production du documentaire révolutionnaire, participatif, reste limitée au sein du processus bolivarien. Plus encore en ce qui concerne la fiction, les récits paraissent souvent écrits dans un pays anachronique, hors révolution, qui oscille entre le monde des telenovelas ou le péplum historique à costumes. La plupart des cinéastes vénézuélien(ne)s restent dans une opposition à la rénovation du cinéma à travers la participation populaire ou font des films thématiquement induits par les grilles des télévisions ou des festivals occidentaux.

Pour affronter cette situation, l’École populaire de cinéma et de théâtre a commencé à organiser des noyaux de production au niveau local. La commune d’El Maizal possède désormais sa propre école de communication populaire, mais il existe également des groupes de travail dans d’autres communes. Comme dans la commune Che Guevara et ailleurs. L’objectif principal est toujours le même : produire à partir de la lutte, de l’organisation, de la vie et de la pensée populaires. Une leçon que je tire de toute cette histoire, c’est qu’à Vive TV, les contraintes de temps, la vélocité de création du média, nous avaient empêché de former la base productive qui aurait pu garantir la programmation permanente du peuple pour le peuple. Notre objectif actuel est de continuer à former les organisations, qui ont beaucoup avancé depuis cette époque pionnière, dans l’espoir que surgissent de nouveaux médias et de nouveaux et nouvelles cinéastes.

Photos : l’école populaire de cinéma et de théâtre forme un noyau audiovisuel dans la commune d’El Maizal.

Venezuelanalysis – L’École populaire de cinéma et de théâtre organise-t-elle également des ateliers de théâtre ?

Thierry Deronne – Bien sûr, notre école s’engage aussi dans la création théâtrale, en s’inspirant de la tradition brésilienne du « théâtre de l’opprimé » et celle du « théâtre épique » de Bertolt Brecht. Deux compagnons du Brésil : Douglas Estevam, du Collectif Culture du MST, et Julian Boal, du Théâtre de l’Opprimé, nous ont aidés en 2023. Douglas a collaboré avec des femmes autoconstructrices à Antímano, pour raconter au pluriel leur incroyable histoire, comme organisation et comme personnes. Parallèlement, Julian a travaillé sur un autre angle, celui de la lutte de ces femmes contre la violence sexiste. Il s’agit là aussi de rompre avec un théâtre encore dominé par la telenovela. Le théâtre de l’opprimé et le théâtre épique de Bertolt Brecht sont des outils extraordinaires pour construire la démocratie participative, raison d’être et moteur de la révolution bolivarienne.
En 2024, le plan implique la formation, la pratique, la réflexion et le suivi. Depuis une collaboration avec des clowns impliqués dans le mouvement des squats au Brésil, puis des exercices à petite échelle de théâtre de l’opprimé, vers des formes plus élaborées de théâtre épique. Pour renforcer notre travail, nous avons également fait appel à un extraordinaire metteur en scène et dramaturge brésilien: Sérgio De Carvalho et sa Compañía do Latão, axée sur le théâtre épique.

Photos : atelier de théâtre épique avec Douglas Estevam au sein du projet d’auto-construction de Jorge Rodríguez Padre à Antímano, Caracas.

Venezuelanalysis – Tu produis ou réalises aussi des documentaires. Comment cela fonctionne-t-il ?

Thierry Deronne
– Certains documentaires sont réalisés en collaboration directe avec des organisations sociales. Prenons l’exemple de « Marcha », centré sur la marche paysanne de 2018. Une grande partie du matériel provenait des paysan(ne)s eux-mêmes. À la fin, nous avons monté le matériel et les paysans nous ont guidés dans ce processus. Il y a aussi des films comme « Nostalgiques du futur » [2023], un documentaire sur le féminisme populaire qui nous a permis de visiter de nombreux territoires où les femmes s’organisent, et de tisser des liens entre les différentes luttes. Nous travaillons actuellement sur un documentaire qui explore les économies communales, celles qui veulent substituer le capitalisme encore majoritaire au Venezuela. Il y a aussi des documentaires réalisés directement par une organisation. Par exemple, notre formatrice Lana Vielma et d’autres communard(e)s d’El Maizal réalisent un documentaire sur les assemblées dans les zones reculées de la commune. L’une des tâches urgentes reste le renforcement de notre école de cinéma documentaire. Comme je te disais, faire les images de notre processus révolutionnaire est vital. La transmission générationnelle est un défi stratégique pour toutes les révolutions; si le fil est rompu, nous savons comment l’Empire en tire parti. Par ailleurs, pour vivre et grandir, les révolutions exigent un processus continu de « révision, rectification et réimpulsion » pour parler comme Chávez… Réduire la communication au marketing est une menace pour l’existence de la révolution et même de la nation.

Propos recueillis par Cira Pascual Marquina

Sources : https://venezuelanalysis.com/interviews/communication-by-and-for-the-people-a-conversation-with-thierry-deronne-part-i/ et https://venezuelanalysis.com/interviews/vicissitudes-of-grassroots-media-a-conversation-with-thierry-deronne-part-ii/

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/02/01/laventure-de-la-television-populaire-au-venezuela-entretien-avec-thierry-deronne-venezuelanalysis/

Comment soutenir une école révolutionnaire de communication pour les mouvements sociaux d’Amérique Latine ?

Photo: Rien qu’en 2023, notre école a offert près d’une quarantaine d’ateliers aux organisations communardes ou autres dans l’ensemble du Venezuela.

L’école itinérante de communication des mouvements sociaux « Hugo Chávez » arrive à ses trente ans de travail au Venezuela et en Amérique latine. Des milliers de compagnes et compagnons des mouvements sociaux ont été formé(e)s pour créer non pas simplement de « nouveaux médias » mais des médias d’un type nouveau. Après ses premiers pas au Nicaragua en 1986, l’école a jeté l’ancre au Venezuela, en 1994. Ce passage d’un pays à l’autre nous le devons aux compagnes féministes vénézuéliennes rencontrées dans les montagnes du Nicaragua, en pleine révolution sandiniste.

Au Venezuela, la vitalité et la capacité de résistance de la révolution, après 24 ans, s’explique par l’Histoire populaire profonde, anticoloniale et antiesclavagiste, ainsi que par la relation créatrice entre organisations populaires et gouvernement bolivarien. Le processus n’est pas parti de la gauche classique – historiquement minoritaire, souvent éloignée des secteurs populaires – mais de la synthèse opérée par Hugo Chávez entre des militaires patriotes de milieu populaire et un peuple capable de s’organiser par lui-même. Aux antipodes de l’image sédimentée par les médias occidentaux, la révolution bolivarienne est une machine à démocratiser en profondeur le champ politique, une démocratie révolutionnaire qui croit dans les autogouvernements populaires. Ce dialogue entre organisations et gouvernement bolivarien est ouvert en permanence. Il revêt une importance toute particulière en 2024, au moment où Nicolas Maduro s’efforce de résorber les énormes dettes sociales, culturelles et existentielles qu’ont généré pour la population dix ans d’un blocus et d’une guerre économique cruelle organisés par l’Occident.

Les 13 et 14 décembre 2023, notre école de communication a été invitée parmi une centaine d’autres organisations à la rencontre nationale « Voces Populares Hablan para la Construcción de una Agenda Común » (« Des voix populaires parlent pour construire un agenda commun »), organisée par le Ministère des Communes et des Mouvements Sociaux. L’objectif du ministère était d’écouter des propositions. « C’est ici que nous allons développer l’agenda. Si nous perdons le pouvoir politique, nous perdons tout. C’est pourquoi nous devons nous articuler. » a expliqué le ministre Jorge Arreaza. Ce type de réunion est organisé dans d’autres pays d’Amérique Latine, là où ont été élus des gouvernements progressistes – comme dans la Colombie de Gustavo Petro ou dans le Brésil de Lula.

A Caracas, les porte-parole des mouvements sociaux ont élaboré leurs propositions au terme de cinq tables de travail. A celle de la Communication populaire – où la compagne féministe Aimee Zambrano du collectif militant de création visuelle UTOPIX était également présente -, Thierry Deronne, au nom de l’École, a tiré le bilan de 24 ans de politiques de communication et fait plusieurs propositions dont :

  • la refonte totale de l’enseignement universitaire de la communication sociale;
  • la création d’une école nationale de communicateurs populaires basée sur un nouveau paradigme;
  • la démocratisation radicale de la propriété des médias (et que le Venezuela appuie le lancement d’une loi internationale en ce sens !);
  • la remise de l’État au service de la communication populaire;
  • la multiplication des concessions légales pour les médias populaires;
  • un projet d’ingénierie numérique pour créer un type de réseaux sociaux libéré du métabolisme narcissique et éphémère de ceux que nous employons par défaut, créés par la « Silicon Valley ».

« Depuis 30 ans, la gauche semble redécouvrir chaque matin la mainmise écrasante du capitalisme sur les médias. Mais elle a bien peu fait pour l’empêcher ou pour penser de nouveaux médias alors que Chomsky, Ramonet, Bourdieu, Sean Mac Bride (UNESCO), Godard, Mattelart, etc… avaient tout expliqué et proposé à partir des années 80. Jusqu’à quand la gauche laissera-t-elle les médias et les réseaux aux mains du Capital et attendra les bras croisés que cet immense pouvoir de facto altère les résultats électoraux (Argentine, Equateur etc…), favorise les coups d’État (Dilma, Lula, Evo, Castillo etc…) ou les prépare (Petro, etc…) ?« 

Ces propositions s’enracinent dans nos trente ans de travail. Au terme d’une enquête que nous avons menée en 2014-2015 sur les 35 télévisions communautaires existantes au Venezuela, une des leçons centrales fut que dans une culture de capitalisme dominant, on ne peut créer un média de but en blanc, mais comme l’aboutissement d’un patient travail de formation collective, intégrale, au sein de l’organisation. Ce processus doit transmettre l’idée fondamentale que « ce n’est que d’une technique qu’on peut déduire une idéologie ». Un média n’est pas révolutionnaire parce que son discours l’est, mais parce que son organisation l’est : ses relations de travail internes, ses processus de formation et de production, sa relation avec le peuple en général. Il n’y a pas de technique neutre, même si le capitalisme a naturalisé celle de « vendre » les programmes à des consommateurs passifs. Pour le directeur du Tricontinental Institute, l’historien indien Vijay Prashad : « Nous ne voulons pas créer un « CNN socialiste ». Nous ne voulons pas copier les médias capitalistes. Nous devons créer des médias socialistes non seulement par leurs contenus mais aussi par leurs formes. Alors les institutions apparaîtraient sous un jour totalement différent. Nous voulons que les paysans soient les médias. Nous voulons que les syndicalistes soient les médias ». Pas de socialisme vivant sans participation populaire directe dans la construction d’une information plurielle, sans émancipation généralisée des consciences et capacité collective de s’orienter dans le monde.

Rien qu’en 2023, notre école a offert près d’une quarantaine d’ateliers aux organisations communardes ou autres dans l’ensemble du Venezuela. Du 16 novembre au 14 décembre, la Cinémathèque Nationale du Venezuela a organisé un atelier sur le thème «Comment et pourquoi faire du film documentaire dans une révolution ? ». Son objectif est résumé par le documentariste et scénariste cubain Julio García Espinoza : «Un cinéma révolutionnaire exige avant tout de montrer le processus des problèmes. C’est-à-dire le contraire d’un cinéma qui se consacre essentiellement à célébrer les résultats. Le contraire d’un cinéma autonome et contemplatif qui « illustre bien » les idées ou concepts que nous possédons déjà. »

L’atelier a permis aux mouvements sociaux de comprendre le rôle du documentaire dans plusieurs contextes révolutionnaires du XXème siècle en analysant de manière participative des documentaires de Dziga Vertov, Camila Freitas, Tatiana Huezo, Marta Rodríguez, Barbara Kopple, Joris Ivens, Marceline Loridan, Patricio Guzman, Carolina Rivas, Agnès Varda, Sara Gomez, Santiago Alvarez, etc… Le documentaire offre de nombreuses fonctions vitales à la révolution : mémoire, agitation/propagande, critique, transmission d’expériences de peuple en peuple, étude approfondie de la réalité, école de création populaire. Il permet aussi inventer aussi un langage libérateur – en permettant la relation égalitaire entre « filmé(e)s » et « filmeur(se)s », jusqu’à la transformation de ces dernier(e)s, ou en créant l’égalité entre les sons, entre les images, et entre le son et l’image. Plus qu’une « description réaliste» on peut le voir à cet égard comme l’essai de nouvelles relations sociales. A la fin de l’atelier sont nés plusieurs projets de documentaires collectifs, notamment à partir du mouvement afrodescendant et du mouvement des autoconstructrices (photos de l’atelier ci-dessous).

Autre type d’atelier offert en 2023 : le théâtre, pour lequel nous avons invité Douglas Estevam et Maria da Silva du Mouvement des Sans Terre. Julian Boal formateur du Théâtre de l’Opprimé a lui aussi apporté ses efforts pour que les femmes autoconstructrices d’Antimano organisent leur groupe de théâtre. Là aussi « ce n’est que d’une technique que l’on peut déduire une idéologie » : la forme du Théâtre de l’Opprimé ou du théâtre épique rompt en pratique avec la forme du théâtre bourgeois où « certains ont le droit d’être en scène, alors que d’autres n’ont que le droit d’être spectateurs » (Julian Boal).

Photo: Douglas Estevam du Mouvement des Sans Terre du Brésil lors de son atelier de théâtre épique avec les autoconstructrices d’Antimano (Caracas)

2024 sera l’occasion de poursuivre dans cette voie avec le Mouvement des Sans Terre du Brésil et d’autres collectifs théâtraux brésiliens. Des étudiants haïtiens formés en agroécologie au Venezuela et qui ont reçu un atelier de notre école en 2022 souhaitent recevoir chez eux, dans l’île, un atelier qui sera organisé dès février. Au Venezuela, 2024 s’annonce aussi comme une étape intense de nouvelles productions – plusieurs documentaires seront produits pour décrire l’émergence d’un monde nouveau, par exemple sur l’économie communarde – et de renforcement du système de communication inter-communal, avec le déplacement des équipes de formation d’une commune à l’autre. Les photos de Rusbeli Palomares, jeune fille de 14 ans et coordinatrice de la communication de la Commune « Che Guevara » dans les Andes, expriment les fruits de la formation visuelle autour du besoin de créer un imaginaire communard (voir ci-dessous).

Comment nous aider ?

Dans ce contexte de demande croissante de formation des organisations populaires, nous voulons faire un saut décisif. Avec plus de matériels, plus d’équipes de formation. Nous voulons aussi acquérir un moyen de transport collectif pour sillonner le pays (dans le style de la photo ci-dessous.)

Vous pouvez nous apporter votre aide via ce compte. Merci d’avance pour votre solidarité.

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SVP ne mentionner que : « Soutien école communication »

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(Vidéo/photos:) Un théâtre pour la révolution bolivarienne

Documentaire sous-titré en français sur l’atelier de théâtre offert par Douglas Estevam aux autoconstructrices d’Antimano, 13-16 mars 2023. Production: Terra TV. Réalisation: Jesus Reyes. Durée: 44 minutes.

Le sixième étage de briques rouges, presque achevé, surplombe Antimano, le plus grand quartier populaire du Venezuela. Ici les femmes ont décidé d’assumer elles-mêmes la construction de leurs logements. Lorsqu’elles ont découvert ce terrain en 2015, il n’était que ferrailles et débris. Depuis la colline, entre les piliers de ciment qui s’échappent vers le ciel, on aperçoit le quartier des entassés, des exploités, invisibles sur les cartes d’avant la révolution. « Ce ne fut pas facile de nous semer dans les institutions » explique Ircedia. Cette épopée de bâtisseuses a connu, comme dans toute révolution, son lot d’abandons, de renoncements, de luttes avec la bureaucratie, mais la persévérance des Ayary, Ircedia, Maira, Andreina et tant d’autres, maintiennent en vie le plan de la révolution bolivarienne – transférer le pouvoir d’État aux organisations populaires. C’est ici que nous avons invité le Mouvement des Travailleurs Sans Terre du Brésil à jeter les fondations d’un théâtre populaire.

Le Mouvement des Travailleurs Sans Terre est surtout connu au Venezuela pour sa solidarité fidèle et son soutien à l’agriculture agroécologique : un vaste accord de coopération signé sous l’impulsion de Chávez a été renforcé par Nicolas Maduro. Mais le « mouvement social le plus important de l’Amérique Latine » (Fidel Castro) a aussi développé au Brésil un immense front culturel : quarante groupes de théâtre, écoles artistiques, ateliers d’écriture, réflexions théoriques, publication des pièces, contes et romans écrits par les asentados et asentadas, en témoignent. D’où l’invitation faite par notre École de Communication des Mouvements Sociaux « Hugo Chávez » au Secteur National de la Culture des Sans Terre pour qu’il transmette cette expérience aux communes populaires du Venezuela, en mars 2023.

Pendant que Maria da Silva part donner une formation audiovisuelle dans la commune rurale de El Maizal, à six heures de Caracas, Douglas Estevam offre un atelier de théâtre à une quinzaine d’autoconstructrices d’Antimano. « Qu’ils viennent tous » répond-il aux compagnes qui lui demandent si leurs enfants peuvent participer.

Douglas enseigne à passer de la relation quotidienne au gestus social du théâtre. La construction collective d’une pièce suppose que chaque participant(e) habite son espace, et construise des personnages non naturalistes, à partir de leurs contradictions, et donc transformables. « L’atelier nous permet d’intérioriser notre relation au public » dit Ircedia. « Cela fait des années que nous nous côtoyons dans le travail mais j’ai découvert plus que jamais les autres» ajoute Claudia.

Des personnages naissent de la mémoire des débuts. Ircedia raconte comment après la mort de son mari, Ursulina a mis longtemps à ouvrir la boite à outils du défunt puis, un jour, s’est saisie des tenailles pour se joindre au chantier et nouer les tiges du béton armé sur six étages. Voici Claudia, la vendeuse de rue, qui – telle la Madre Carrar de Brecht -, préfère continuer à vendre ses colliers et ses bracelets malgré la chaleur qui fait qu’on ne vend rien. Il faudra toute la patience d’Ursulina qui vient la chercher une fois, deux fois, pour qu’un jour elle accepte de se rendre à une réunion des bâtisseuses. « De vendeuse de rue à constructrice, oui, j’ai beaucoup changé » expliquera-t-elle à la fin de l’atelier. A l’autre bout de la scène, c’est Maira l’esthéticienne, armée de ses outils de maquillage, qui parle : « mes mains étaient habituées aux pinceaux. Elles ne serviront plus seulement à souligner la beauté des femmes vénézuéliennes mais aussi à les aider à construire leurs maisons ». Miguel Rojas s’avance dans son uniforme militaire pour raconter comment il s’était enamouré du chantier au point d’y passer tout son temps, jusqu’à ce que sa femme lui reproche de l’avoir abandonnée : « Tu as sûrement une amante là-bas ». L’ex-soldat interroge le chœur des femmes : « que faire ? ». « Qu’elle vienne travailler avec nous ! » lui crient-elles.

Dans cet atelier de trois jours et demi – véritable course contre la montre – Douglas Estevam recueille calmement les idées, rassemble les images, parcourt le terrain du chantier, interroge les participant(e)s et, la nuit venue, réfléchit aux exercices qui permettent d’aller plus loin.

L’immeuble de six étages est l’espace parfait pour un théâtre révolutionnaire. Avec son air de « ring de boxe », ses quatre côtés et les étages qui donnent au public des points de vue différents, le rez-de-chaussée rappelle le laboratoire, entre cirque et usine, où Sergueï Eisenstein expérimenta le « cubisme  » dialectique qu’il allait développer au cinéma.

Puis, sur les roches et sur la plaine qui s’étendent au pied de l’immeuble, battues par le vent, Douglas propose aux autoconstructrices de réinstaller les décombres et les ferrailles du début, leurs outils de travail et quelques matériaux de construction : un territoire ouvert vers le passé et vers le futur, sans murs ni rideaux, dans la lumière totale du soleil. Chaque outil émet des sons nouveaux, se mêle aux instruments de musique rapportés par les participant(e)s. Dès que Douglas soumet aux participant(e)s quelques lignes des « Jours de la Commune », le « tous ou personne, tout ou rien » de Brecht se mue en rap. Le « théâtre de l’ère scientifique » et l’énergie anti-coloniale de la révolution bolivarienne se sont vite reconnus.

L’Histoire est le capital des peuples. Une révolution ne peut durer sans un front culturel puissant, déterminé à transmettre à ses propres organisations, aux nouvelles générations et aux peuples du monde entier, les leçons de l’action. Au Venezuela, paradoxalement, un processus visant à construire un État basé sur le pouvoir communard, semble encore paralysé à l’heure de porter au théâtre ou au cinéma de fiction les millions d’histoires quotidiennes de la révolution. Les autoconstructrices d’Antimano montrent la voie, avec leur chœur comme organe vocal d’une révolution féminine. Ircedia Boada insiste : «  Jamais nous ne cesserons de nous former ».

Thierry Deronne, Caracas, 08 avril 2023

Photo ci-dessus: à droite, le formateur du Secteur Culture de la direction nationale du Mouvement des Sans Terre, Douglas Estevam, également membre de la coordination politico-pédagogique de l’École Nationale Florestan Fernandes (Brésil). A gauche, Thierry Deronne, de l’école de communication des mouvements sociaux « Hugo Chávez » (Venezuela), Antimano, 16 mars 2023. Photo: Andreina San Martin.

Photos: Jesus Reyes, Thierry Deronne, Andreina San Martin.

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Venezuela: culture d’une Caraïbe en résistance, par Maria Claudia Rossel

Photo : Mídia NINJA

L’auteure : Maria Claudia Rossel. Ingénieure culturelle, artiste, productrice et coordinatrice de réseaux et féministe cofondatrice de la plateforme Cyberculture.

Depuis 2014, le Venezuela traverse une forte crise qui s’est encore aggravée depuis 2016, une crise économique pour l’essentiel. Cette crise englobe plusieurs éléments : d’une part, les effets dus aux sanctions et blocus émanant des pays centraux, que nous appelons la Guerre Economique proprement dite, et d’autre part, les facteurs liés à l’épuisement du modèle économique vénézuélien lui-même. 

Dans ce contexte, le secteur culturel a été touché de plein fouet, c’est pourquoi une analyse sur la situation du pays et les mesures palliatives à envisager en ce moment pour ce secteur doit être faite à la lumière d’une réalité antérieure de forte résistance, dans des conditions qui, avant le Covid déjà, pouvaient être qualifiées de conditions de guerre. 

Voici quelques idées et réflexions susceptibles de décrire notre réalité culturelle dans une Caraïbe en état de résistance.

  • Le Venezuela a été l’un des pays de la région qui a mis en place des mesures vraiment efficaces contre le Covid-19, comme le montrent les indicateurs – confirmés par l’OMS – qui présentent l’une des courbes de cas les plus plates de la région; ces mesures ayant eu pour effet, non seulement de réduire fortement la contagion, mais aussi de maintenir un taux très bas de mortalité, alors que le taux de dépistages (gratuits) est le plus élevé du continent.
  • Les mesures préventives prises par l’Etat ont accompagné l’évolution des politiques visant à enrayer en amont cette nouvelle crise. Dans un pays assiégé comme le nôtre, ces politiques se sont focalisées sur la base de la Pyramide de Waslow, basée sur deux axes essentiels : 
  •  L’accès à des aliments subventionnés au travers des Conseils Locaux d’Approvisionnement et de Production (CLAP), 
  •  et l’attribution d’allocations à divers secteurs sociaux par l’intermédiaire du système “Carnet de la Patria”. 

Ce système est un mécanisme que nous pourrions réexaminer dans le cadre de la reprise d’un débat historique sur la nécessité d’un revenu universel, après la pandémie. 

Ces politiques ont été conçues pour la protection de la population en général, et plus particulièrement pour les zones populaires et les secteurs les plus vulnérables.  Ce ne sont donc pas des mesures prises uniquement pour le secteur culturel. Pourtant, un certain nombre d’artistes et de créateurs de culture bénéficient de ces prestations ; je trouve donc important de présenter ces dispositifs, qui font partie du paysage actuel.

Photos: Cacica Honta/ Cacri Photos

Evidemment, face à une situation d’hyperinflation et de dollarisation de l’économie, face à un dollar qui augmente de jour en jour de manière exponentielle et indiscriminée, et fait bondir les prix des biens de consommation, ces bons représenteraient dans le meilleur des cas des allocations de subsistance.

Au niveau du Ministère de la Culture, organisme responsable de la politique culturelle au niveau de l’Etat, aucune politique officielle d’inclusion de ce secteur n’a été menée. Cependant, divers organismes publics ont développé des programmes afin de réinventer leurs activités suivant trois axes : la formation en ligne, la reconversion numérique de certains espaces (par exemple, les festivals) et la remise d’allocations comme encouragement à la création.

Diverses expériences ont été menées par des gouvernements locaux comme la Mairie de Caracas, non seulement dans le but d’ouvrir des champs de possibilités pour les artistes et les créateurs ou dans certains cas, de préserver des contrats antérieurs, mais aussi pour garantir une offre de consommation culturelle aux citoyens.

En voici quelques exemples :

  • L’un des évènements qu’il me paraît essentiel d’analyser en ce moment, sont les tentatives de reconfiguration analogique de l’activité culturelle entrepris par la mouvance indépendante, et parfois par la Mairie. Je me réfère à diverses activités expérimentées dans la rue et sur tout le territoire, à la réalisation d’évènements sans public à proximité immédiate et dans des zones de forte densité de population comme les zones urbaines ou celles dont la situation géographique le permet. Des équipements y sont installés pour l’organisation de concerts, d’activités ou de “sérénades”, tout en respectant les mesures de distanciation sociale, ce qui permet de créer des espaces de divertissement et de consommation culturelle.

Voici quelques exemples de ces expérimentations analogiques : 

  • Les activités de Radio Verdura (système sonore Tiuna+Tiuna El Fuerte 

On peut les regarder dans l’article suivant  

Photos: Giuliano Salvatore / CACRI photos

Photo: Dikó/ Cacri Photos

Pourquoi nous paraît-il si important d’évaluer ces expériences ? 

Parce que dans un pays où l’accès à internet est précaire, ou la fourniture d’électricité est instable, penser que la seule et unique manière de réinventer le secteur culturel est d’utiliser internet pose problème. 

S’y ajoutent d’autres raisons, découlant toutes des « sanctions » – mesures coercitives unilatérales – occidentales contre le Venezuela, par exemple : 

  •  Les possibilités de rémunération des créateurs et créatrices de ces contenus deviennent de plus en plus précaires;    
  • Il existe des plateformes comme Spotify dont l’accès est bloqué au Venezuela ; dans le cas de Facebook et Instagram, des plateformes existent et fonctionnent mais modifient chaque semaine leurs interdictions et règles d’utilisation en fonction de leur promotion et rentabilisation. 

Pour mieux illustrer la situation au Venezuela, nous donnerons un exemple récent qui a agité les réseaux sociaux : le cas de DirectTV, un opérateur de chaînes de télévisions qui, suite aux sanctions états-uniennes, a cessé d’émettre sur le territoire national; dans un pays dont nous venons de vous rappeler la situation de confinement généralisé, et où la consommation culturelle est fortement réduite à la télévision, un tel évènement nous permet d’évaluer le niveau des difficultés  que rencontre ce secteur, et donne un exemple de la dimension géopolitique du conflit qui nous impacte durement. 

A mon avis, le Venezuela a sans cesse démontré, au risque de tomber dans le lieu commun, que « les crises représentent des opportunités ». Comme l’affirme un dicton populaire vénézuélien : “nous sommes un cuir sec, si on l’écrase d’un côté, il se relève de l’autre”. C’est pourquoi, sans minimiser la gravité de cette nouvelle crise liée à la pandémie, je préfère croire, étant une incorrigible optimiste, que les solutions surgiront du terrain. 

Mai et juin sont les mois les plus effervescents pour ce qui est des fêtes populaires au Venezuela, et nos créateurs nous ont démontré que la culture cherchera toujours les formes, les interstices et les moyens qui lui permettront de renaître. Car, pour nous autres créateurs, créer ne se réduit pas à un simple choix, mais est l’expression de la vie même. Ne pas créer, c’est mourir. 

Depuis le 3 mai, date de la Fête de la Croix de Mai, fête de l‘abondance et de la prospérité, la culture populaire s’est mise à expérimenter des dispositifs qui tout en respectant les règles de distanciation sociale, permettent de perpétuer la tradition vivante. C’est pourquoi, voyant de nouvelles activités émerger quotidiennement, je m’approprie les mots d’un grand Vénézuélien Aquiles Nazoa et de son Credo en affirmant que je crois aux pouvoirs créateurs du peuple. Je suis certaine que malgré les moments difficiles que nous traversons, nous trouverons ensemble les meilleures technologies, collaborations et redistributions collectives et en réseau qui nous permettront de rebondir face aux défis de cette nouvelle ère où la culture doit jouer un rôle vital et devrons saisir cette deuxième opportunité qui nous est offerte, pour faire mieux encore.

María Claudia Rossell

Source : https://medium.com/especial-observa-culturas/venezuela-caracas-la-cultura-desde-un-caribe-en-resistencia-3d1e920b4e9a

Traduction : Frédérique Buhl

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Le Président Maduro annonce la création de l’Institut National pour la Décolonisation

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A l’occasion d’une rencontre avec des intellectuels de différents pays qui participaient à la IIIème Ecole de Pensée Critique Décoloniale ouverte au public vénézuélien, le Président vénézuélien Maduro a approuvé la proposition présentée par Enrique Dussel et Ramon Grosfoguel de créer un Institut pour la Décolonisation, qui combattra la formation européo-centrée qui prévaut toujours à l’intérieur de nombreux programmes éducatifs. Le Ministre du Pouvoir Populaire pour la Culture, Ernesto Villegas, a été désigné pour parachever sa création avec le collectif des intellectuels.

La rencontre entre le Chef de l’État et les intellectuels a eu lieu au palais présidentiel de Miraflores à Caracas, et a été retransmise par la chaîne publique de télévision. Les penseurs visitaient le Vénézuela à l’occasion de  la Troisième Ecole de Pensée Critique Décoloniale : Etat et Processus Constituants, qui se déroulait à la Bibliothèque Nationale du Vénézuela entre le 22 et le 26 octobre.

« Ce furent des journées de débat et de réflexion extrêmement intéressantes, pertinentes, profondes et absolument libres » a expliqué le Ministre de la Culture Ernesto Villegas.  « Le gouvernement bolivarien, à travers ses distinctes institutions, leur a donné tout son soutien, mais cela ne s’est nullement traduit en restriction ou limitation, de manière à ce que l’évènement soit un plan pour le débat critique et autocritique des grandes affaires de l’humanité, particulièrement depuis la perspective de la décolonisation ».

Parmi les participants à l’évènement, on dénombre Enrique Dussel (Mexique), Ramón Grosfoguel (Porto Rico), Juan José Bautista (Bolivie, gagnant du Premier pris du Libérateur de la Pensée Critique en 2014), Sabelo J. Ndlovu-Gatsheni (Afrique du Sud), Houria Bouteldja (France), Karina Ochoa (Mexique) et José Romero-Losacco (Venezuela). S’est également joint au rendez-vous à Miraflores, le Directeur général de la Bibliothèque Nationale Ignacio Barreto ; le président du Centre National des Etudes Historiques, Pedro Calzadilla; Adán Chávez, Saúl Ortega, Jacobo Borges, Cilia Flores, Tania Díaz, Nicolás Maduro Guerra et Aurora Paredes, entre autres.

« Ce n’est pas dû au hasard que cet évènement ait lieu ici au Vénézuéla, au milieu du bourgeonnement fasciste qui s’est implanté sur notre continent et dans le monde » a exprimé Villegas. « Le Vénézuela  confirme être le bastion de la lutte pour la décolonisation, l’émancipation, la construction d’une nouvelle société distincte et supérieure au capitalisme sauvage et à celle de la modernité et du colonialisme ».

Les propositions.

Le professeur Ramón Grosfoguel a souligné l’importance de défendre l’anti-impérialisme : «  tout anti-impérialisme n’est pas décolonial, mais on ne peut pas être décolonial sans être d’abord anti-impérialiste ».

A l’intérieur des débats en Amérique Latine, beaucoup de gens se présentent comme anticolonialistes, mais à l’heure d’opiner sur le processus bolivarien au Vénézuela « lamentablement, ceux-ci prennent partit pour la droite pro-impérialiste et néolibérale de ce pays ». C’est pour nous, une contradiction énorme ». Cela indique que le décolonial doit tenir un engagement politique et éthique avec les peuples en lutte pour leur libération.

Il a également suggéré qu’« il faut avoir l’idée de penser conjointement un institut de production de en connaissance décoloniale, qui soit transversal » et qui puisse contribuer « pas seulement une fois l’an, mais chaque jours au Vénézuela ». Il a indiqué qu’il y a une génération de de vénézuéliens « formés pour nous, qui peuvent assumer le projet eux-mêmes et l’emmener ».

Enrique Dussel, académicien reconnu, philosophe, historien, théologien d’origine argentine, naturalisé au Mexique, a signalé que, « par malheur, même dans les processus révolutionnaires avancés comme ceux de Cuba ou de la Bolivie, l’éducation primaire, secondaire et universitaire continuent d’être dispensées depuis une vision européo-centrée de la culture et de la science. «C’est difficile, mais nous devons une fois pour toutes changer le contenu du cursus d’enseignement, afin de changer aussi la mentalité de la jeunesse et de tous les citoyens, et ne pas attendre un siècle mais 4 ou 5 ans ». Il a également soutenu l’idée de former un institut qui pourra fournir un équipement « au niveau économique, politique et agricole » touchant ainsi toutes les activités d’un Etat.

« Nous continuons d’éduquer à la manière d’un français ou d’un nord-américain notre jeunesse et le citoyen, nous pouvons changer cela en peu de temps, avec des équipes qui écrivent des textes d’étude pour tous les collèges du pays, gratuits et qui permettront le changement. A cette fin, l’idée de suggérer la constitution d’un institut d’étude décoloniale, mais qui ne sera pas partie de différents ministères ou secrétariats, mais qui dépendra directement de la Présidence, pour que depuis cet endroit, il puisse irradier toutes les activités de l’État. Et cela signifie que « même la stratégie militaire doit être pensée de manière décoloniale ».

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Approbation de la création de l’Institut National de Décolonisation du Vénézuela.

A ce propos, le Président Maduro a signifié son accord pour la création de l’Institut National de Décolonisation du Vénézuela, à cette fin , il a désigné pour responsable le ministre Ernesto Villegas. Il a indiqué que cela était absolument nécessaire afin de donner cohérence, articulation et pouvoir avancer dans l’ensemble de ce processus pour consolider une indépendance absolue du pays. «  Pour la consolidation de l’indépendance véritable, il faut approfondir la décolonisation de notre pays, de notre continent et de nos peuples » a insisté Maduro.

« Je donne mon accord pour que l’Institut de Décolonisation soit connecté à la Présidence de la République, mais je désigne de manière publique le compagnon Ernesto Villegas (ministre de la Culture), comme cadre révolutionnaire du Vénézuela, comme grand essayiste politique, institutionnel et culturel pour un plan intégral de décolonisation. Mais avec un sens éminemment pratique ! » Il a manifesté sa pleine confiance en Villegas, et a appelé à installer ces initiatives « qu’elles aient une grande portée et tout le soutien dans tous les sens du terme ».

Regarder la vidéo sur Youtube.

A ce propos, il a insisté sur le fait que le nouveau devait être enraciné dans les bases de la pensée révolutionnaire, défavorable à la période coloniale, ce qu’a toujours proclamé le Commandant Chavez. “Hugo Chávez était un homme qui changeait les structures et questionnait les paradigmes établit et il construisait de nouveau paradigme depuis la racine populaire vénézuélienne (…) Nous devons aller à un processus de décolonisation intégral du pays, (…) et l’intégrer au Plan de la Patrie 2025 pour consolider les valeurs de la nouvelle culture et l’indépendance du Vénézuela (…) Nous devons identifier comment créer des processus autonomes, pour aller conquérir les espaces qui consolident le 21ème siècle de la résurrection de l’Amérique Latine et des Caraïbes », a-t-il exprimé.

« Je suis convaincu que cet Institut, depuis l’Alba (Alternative Bolivarienne des Peuples de Notre Amérique) fera l’Histoire, pour doter de lumières, d’idées, de projets, les processus inévitables que nous allons vivre en Amérique Latine et dans les Caraïbes » a indiqué le Chef de l’État vénézuélien.

Il a également indiqué que la décolonisation devra s’inclure comme une ligne additionnelle du Plan de la Patrie qui est en quelque sorte le programme fondamental du gouvernement.

En Réponse à Mike Pence.

Maduro a également répondu aux accusations du vice-président des Etats Unis, Mike Pence, qui avait déclaré récemment, que selon les informations reçues par le président du Honduras,  Juan Orlando Hernández, c’était… le Gouvernement vénézuélien qui aurait organisé et financé la déferlante de migrants fuyant la misère de ce pays jusqu’au territoire états-unien.

« J’alerte le monde sur la paranoïa de Mike Pence et des secteurs extrémistes du Gouvernement des Etats Unis contre le Vénézuela. Ils ont une obsession car ils n’ont pas pu nous mettre en déroute, et ne pourront jamais le faire car la Révolution Bolivarienne est décidée à avancer » a souligné le mandataire.

Regarder la vidéo sur Youtube.

A ce propos, il a commenté le danger que représentent de telles déclarations pour sa sécurité et celle du Vénézuela, il a affirmé que les Etats Unis cherchent à démolir la Révolution, formant part d’une campagne de discrédit sans précédent contre la nation.

Maduro a rappelé les différents obstacles qu’a eu à affronter le chavisme depuis son arrivée en 1999, et particulièrement le coup d’État contre le président Chavez en avril 2002.

« Nous avons du affronter l’assaut durant le premier Gouvernement de George Bush, quand ils vinrent donner un coup d’État, et ils l’ont donné. Ce Palais fût pris entre le 11 et le 12 avril 2002 (…) mais la mobilisation du peuple dans la rue, et l’union civique et militaire, ont fait échouer le coup d’Etat de l’Empire » a-t-il insisté.

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Traduction : Julie Jaroszewski

Source :  http://albaciudad.org/2018/10/presidente-maduro-anuncio-la-creacion-del-instituto-nacional-para-la-descolonizacion-videos/

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Erika Farías, nouvelle mairesse de Caracas: « pour faire la ville que nous voulons, la clef est de rendre le pouvoir au peuple »

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En 450 ans de l’histoire de Caracas, c’est la première femme à la tête du gouvernement municipal, et elle assure qu’en tant que caribéenne elle ne reste pas un instant sans inventer quelque chose. Comme toute femme elle est passionnée, volontariste, comme disait le commandant Chávez lorsqu’il parlait de cette audace des femmes, aussi nourrit-elle beaucoup de projets et de rêves pour notre ville. Voilà pourquoi l’organisation populaire sera pour elle une priorité dans sa tâche à la tête de la Mairie de Caracas.

« Sa première obligation en tant que mairesse ? » : s’attaquer aux problèmes que les gens souhaitent voir affrontés par n’importe quel maire : les ordures, l’eau, la circulation et les services. Sa principale préoccupation ce sont les jeunes, cible de l’hyper-consumérisme de la culture capitaliste – elle voit son propre reflet dans leur révolte. Elle dit qu’elle a été et qu’elle reste une rebelle. Elle mise sur la sauvegarde de la Caracas solidaire, pleine d’espoir. La Caracas où les histoires se transmettent par les contes des aïeux, où d’un rien naît une rumba, une fête sans fin, une blague impertinente, la conversation sans fin, pour le plaisir, où prévaudra la culture de paix, propre à un révolutionnaire.

Erika est une femme directe, sans détours, qui va droit au but. Elle aime la vérité, le travail quand il a du sens. Elle aime s’impliquer dans des causes et convaincre les autres. Elle fait confiance au peuple, voilà pourquoi elle s’est fixé le tâche de lui restituer son pouvoir originaire, constituant. Avec ses 24 scrutins en 18 ans de révolution, le Venezuela est sans doute une des démocraties représentatives les plus vivantes au monde, mais elle est plus que cela : une volonté et un besoin de développer la démocratie participative. Ce samedi 6 janvier, des citoyens ont entamé dans tout le pays la discussion pour apporter des idées en fonction du programme de gouvernement 2019-2015 et fortifier une révolution féministe, écosocialiste et communale.

— De votre point de vue féministe, que pensez-vous apporter à Caracas ?

— Sans doute y a-t-il des choses très concrètes auxquelles la population aspire et qu’elle attend d’un maire. On peut philosopher, être créatif, innover, il n’y a pas de limites, mais, au départ, les ordures doivent être ramassées, les trous rebouchés, les rues éclairées. Tout passe par la nécessité de résoudre le principal problème qu’a Caracas : le manque de coordination entre nous qui y vivons et nous qui y gouvernons, qu’il s’agisse de la mairie, du pouvoir populaire ou du ministère. Nous n’avons pas atteint un degré de coordination qui permette de faire de Caracas le lieu auquel aspire le président Maduro ou le peuple. C’est en ce sens que nous les femmes avons une forte potentialité, car de tous temps, en raison des responsabilités qui nous ont été attribuées, nous avons eu la mission de mettre de l’ordre, plus que les hommes ne le font. Et cela a à voir avec les pratiques historiquement assumées : l’agriculture, la répartition des choses dans les lieux que nous habitons, la famille. Tout cela te donne de l’expérience. Quand la coordination manque, on perd beaucoup de temps et d’effort. Par ailleurs, les femmes, nous sommes très dynamiques, inventives. Voilà pourquoi Chávez nous disait «hyper-engagées». Moi je suis ainsi. Dans le monde des hommes on ne discute pas beaucoup, on impose beaucoup, tandis que dans le monde des femmes, le dialogue est toujours présent. Le débat, la discussion, la réflexion sont toujours présents, cela nous plaît et c’est une valeur qu’il faut sauver. Nous, les femmes en général, nous ne restons pas immobiles, nous sommes toujours en train d’inventer une nouveauté et comment ne pas inventer à Caracas, une ville jeune, diverse, qui bouge, un peu chaotique, hystérique, bipolaire. Comment ne pas inventer dans une Caracas pareille ! dans une ville marquée par le passage quotidien de plus d’un million de personnes qui viennent pour la visiter ou parce qu’ils y travaillent ou qu’ils y étudient ou simplement qui passent par plaisir. Alors, en plus de nous qui vivons ici, et nous sommes près de 4 millions, tout cela fait que Caracas a besoin de beaucoup d’inventivité, de créativité, de flexibilité et de beaucoup de force. Et autre chose encore : nous les femmes sommes têtues. Ce que nous disons, nous le faisons, avec de la formation, avec de l’organisation et avec de la planification.

— Quelles sont les tâches prioritaires à prendre en compte et comment aborder ces problèmes stratégiques de la ville ?

— En premier lieu, il y a la question économique, en insistant sur l’approvisionnement, non seulement des aliments, mais c’est le principal. En deuxième lieu, les services publics (ordures, transport, circulation, eau potable) et en troisième, l’organisation communale. Ce sont les trois grandes priorités parmi les six défis que nous nous sommes lancés sur le plan du gouvernement.

Le mode d’organisation va nous permettre de rendre au peuple son pouvoir d’origine. Il n’y a pas un seul problème qui puisse se résoudre sans la participation populaire. Par exemple le ramassage des ordures. On pourra avoir les meilleures équipes et la meilleure technologie, mais si l’on ne parvient pas à faire comprendre que c’est une question de culture, il y aura toujours des ordures. La solution se joue à moyen terme avec la participation principale de la population. Pour les denrées alimentaires, c’est la même chose. Le CLAP (comité local d’approvisionnement et de production) est une mesure de guerre qui nous a permis, à Caracas, de secourir près de 805000 familles. L’appareil économique qui est au service de la bourgeoisie, de l’empire, a miné tout le système d’investissement et le processus de production, distribution et commercialisation, mais également le modèle de consommation. Les gens font la queue pour acheter des choses qui peuvent être remplacées dans le régime alimentaire de base. En situation de guerre il nous faut nous tourner vers d’autres choses, sinon, le degré de dépendance augmente dans le désir angoissé d’obtenir ce qu’on ne peut avoir. Malheureusement la culture de la consommation s’est imposée et c’est pour cela que la bataille doit être menée dans le domaine économique avec tous les secteurs de la population, afin de changer de modèle de consommation. On ne peut voir triompher un processus révolutionnaire sans un peuple organisé, sans un sujet historique conscient, mobilisé, organisé. Voilà pourquoi je crois fermement que seul le peuple sauve le peuple. Toutes les secondes de ma vie que je passerai à la tête de cette institution, je les mettrai au service de l’organisation populaire. C’est pour moi une priorité.

— Comment rendre son pouvoir au peuple ?

— Rendre son pouvoir au peuple signifie lui faire comprendre qu’il fait partie du problème car il est le demandeur. Il ne peut demander et attendre que la solution vienne. Il doit faire partie du processus de la solution. Il doit réclamer, car ce sont ses droits : l’eau, l’alimentation, la culture, le loisir, et cela grâce à la Révolution. Les droits, il nous faut les protéger et les construire.

Si en plus, on fait entrer ce peuple dans ce processus de planification et de réalisation des solutions, alors il fait preuve de ses capacités. Cet instant-là devra marquer la fin des vieilles institutions car le peuple exercera pleinement son pouvoir et il y aura des institutions qui n’auront plus de raison d’être – elle dit cela avec un sourire convaincu. Mais cela est un processus, il ne faut pas l’imposer à coup de matraque. D’où la nécessité du débat, de l’organisation, de la réflexion, parce que le pays est un, le projet aussi. Au milieu de tout ceci il faut protéger la Patrie comme une force unique ainsi que notre projet révolutionnaire, car c’est lui qui nous permet de faire ceci, c’est pourquoi une extrême responsabilité s’impose. L’un des grands défis que doit relever notre révolution est donc d’obtenir que le peuple soit l’acteur principal. Si le peuple se sent habilité, s’il est conscient que c’est son heure, qu’il a un rôle historique, personne ne peut l’abattre. Lorsque nous parlons d’une Caracas Communale c’est le peuple qui en est le sujet central, qui reconnaît son moment historique, qui reconnaît sa diversité, ses luttes et son identité ; dans cette conscience, en opposition au système hégémonique, il doit nécessairement, non seulement créer les bases d’un nouveau modèle mais aussi développer toute sa potentialité dans cette entreprise.

— Comment faire un gouvernement communal ?

— Notre Révolution a créé de nombreux mécanismes aptes à rendre le pouvoir au peuple, comme par exemple la Municipalité, le Conseil Fédéral de gouvernement, le Conseil des ministres, et le Président lui-même, lequel a la faculté de valider des ressources extraordinaires pour des projets en particulier. Mais il y a aussi l’autogestion. Nous ne devons pas laisser perdre les efforts fournis. Notre peuple a garanti un ensemble de conditions qui lui permettent d’être partie prenante de la solution de certains problèmes autrefois inexistants. Écoute, ma mère a passé toute sa vie à construire une maison, pour nous, pour ses enfants. Quand enfin elle a fini, nous étions déjà partis. Quand je passe par le tunnel de La Planicie je vois toujours la maison, mais nous n’y sommes plus. Mais maintenant il en est autrement, une famille a la possibilité de bâtir sa maison, parce qu’il y a un gouvernement qui garantit cela, elle a un emploi, il y a un système de missions et chacun peut prendre part à la solution de son problème. Voilà les concepts qu’il faut se réapproprier : l’autogestion, la coresponsabilité, les devoirs partagés. L’Etat a des devoirs, mais la communauté aussi. C’est l’un des débats que nous allons avoir en leur temps et à leur rythme, mais je suis sûre que nous allons avancer suffisamment, car c’est un travail à moyen et long terme. Il ne faut pas désespérer sur ce point, zéro angoisse. Nous les révolutionnaires nous savons quoi faire et ce qu’il faut faire, c’est s’occuper, sans angoisser. Les choses ne vont pas se résoudre du jour au lendemain, ou par magie, -souligne-t-elle simplement, insufflant ce calme nécessaire auquel elle fait référence.

— Quelle est votre stratégie pour le thème de la sécurité en ville ?

—La sécurité se ressent quand un ensemble de thèmes est résolu. La Municipalité a une police administrative, cependant nous avons notre responsabilité sur l’insécurité, qui est résultat et non cause. Nous avons la responsabilité de l’existence d’un bon aménagement, des normes de vie en commun, du loisir, de la culture et du sport pour éviter l’insécurité. Lorsqu’il y a des cas d’insécurité, il y a des mécanismes que l’Etat utilise, et en ce sens notre Révolution a une stratégie que sont les « secteurs de paix» où sont intégrées à l’organisation populaire des activités récréatives, sportives et culturelles pour le contrôle de la criminalité. Il faut souligner qu’ont été importées à Caracas des pratiques criminelles étrangères à notre culture et qui portent atteinte à la normalité de quelques communautés. Je m’engagerai dans ces équipes pour continuer à garantir l’éradication de cette conduite criminelle introduite par des groupes étrangers à notre culture et totalement démobilisés. Il y a à Caracas 11 « secteurs de paix » et nous allons les soutenir aux côtés de la Police Nationale Bolivarienne et des corps d’intelligence, de police de proximité pour continuer la bataille contre le crime.

— Comment la Mairie stimulera-t-elle l’Economie Productive ?

— Il y a une grande expectative avec le Conseil Economique de Caracas. Nous avons une forte potentialité dans le secteur du textile, des services, de la chaussure et dans l’alimentaire, non seulement en agriculture urbaine mais aussi sur la conservation et la transformation des aliments, tout comme dans le Tourisme. En ce sens nous pensons travailler conjointement avec l’état de Vargas, avec lequel nous partageons le parc naturel Waraira Repano et le bord de mer. Caracas a de magnifiques sites pour connaître l’histoire, toutes ces activités bien faites et planifiées peuvent s’avérer une source significative de revenus pour la ville. De plus –ajoute-t-elle- le vénézuélien est plus productif qu’hier, nous ne sommes pas un peuple de mous, d’ignorants, de paresseux. Si tel était le cas, aucune des luttes qui au long de plus de 500 ans ont été conduites pour conquérir la liberté et pour libérer cinq nations sud-américaines et davantage, n’aurait été menée ; c’est là l’œuvre d’un peuple vaillant, travailleur, d’un peuple qui pense, cultivé et intelligent. Pour que le Venezuela soit une puissance économique, son territoire et son peuple doivent être forts. Caracas a ces possibilités, il y a une voie, un plan unifié.

— Quelle est selon vous la principale potentialité de Caracas ?

— Caracas a une grande potentialité du point de vue des structures organisationnelles que la Révolution a construites, qui sont nombreuses et très diverses. Et grâce à elles nous créons des liens, nous intégrons quiconque aime Caracas et la Patrie. Nous allons y inviter toute personne qui voudra faire de Caracas un espace aimable où nous pourrons nous sentir chez nous, où nous pourrons développer nos propres capacités, afin de construire une Caracas sûre, productive, où la culture, les loisirs et le sport nous aideront à édifier cette culture nouvelle, ce sens commun qu’il nous faut bâtir dans le cadre du socialisme.

— Quels projets avez-vous pour poursuivre la récupération des espaces publics ?

—Jorge Rodríguez, le maire qui m’a précédée, a fait beaucoup pour notre ville et l’effort réalisé dans ce sens a été réellement extraordinaire. Cependant, le travail n’est pas encore terminé car cela requiert une programmation propre à chacun des espaces récupérés afin qu’ils soient en utilisation permanente. Un terrain de sport par exemple, peut avoir beaucoup d’usages, pour des aînés qui s’entraînent, pour des enfants qui s’initient à l’activité sportive, pour des évènements culturels, des réunions de la communauté, des débats… Ces espaces doivent être constamment utilisables, et, naturellement, il faut impliquer la communauté dans leur utilisation. Caracas est une ville universitaire, par exemple, et les jeunes gens de la Unearte pourraient exprimer leurs talents, animer des ateliers, dans un partage avec la communauté. Telle est la vraie « Culture Au Cœur ». Mettre dans ces espaces toute cette potentialité qui existe dans nos universités et parmi nous. Est-ce que vous imaginez –dit-elle le visage souriant- dans l’un ou l’autre de ces espaces nos grands -pères et grand- mères en train de raconter notre histoire. Il faut retrouver la culture orale.

Elle marque une pause et décide de nous raconter une anecdote : « Ma grand-mère Luisa était une indienne Karina, extraordinaire, forte et elle me racontait toujours ses histoires sous le manguier, et je ne vous dis pas tout ce qu’elle me racontait » -ajoute-t-elle tout en lançant un grand éclat de rire complice. – Les vénézuéliens nous sommes des conteurs, nous aimons raconter nos histoires. Ces choses se sont perdues, dans la précipitation de la ville capitaliste, de l’hyperconsommation, de ce machin – elle prend le téléphone portable et plonge les yeux sur l’écran, comme pour envoyer un message- nous avons perdu la véritable Caracas.

— Et quelle est la véritable Caracas à laquelle vous faites référence ?

—Cette Caracas qui, quand elle se lève, a le souci de l’autre, la Caracas solidaire. Cette Caracas elle est là, en attente. Elle n’est pas morte. L’hyperconsommation, la culture capitaliste de l’individualisme nous a fabriqué une société qui nous fait courir tout le temps comme hébétés et il faut combattre cela, car parfois c’est par plaisir, or personne ne peut vivre ainsi pressé en permanence, à ces niveaux d’angoisse qui font que les gens tombent malades et qu’ils veuillent même se battre avec tout le monde. Cela ne permet pas de voir la véritable Caracas, celle qui se retrouve un dimanche et fait une soupe collective. Cette Caracas où d’un rien naît une rumba, une fête, un mauvais tour, un joli boniment. Il faut retrouver cela, voilà la culture de la Paix.

— Quelle est votre plus grande préoccupation?

— La jeunesse. Une des choses qui me préoccupent beaucoup c’est cette tendance destructrice que l’empire nord-américain et la bourgeoisie veulent inoculer chez nos jeunes, avec comme devise « consomme à en mourir ». La jeunesse est une saine préoccupation, non pour les juger mais pour les accompagner car j’ai été jeune moi aussi et j’ai été très révoltée, je suis très reconnaissante à ma famille de ne pas m’avoir laissée seule dans ma période de plus grande révolte. Et avec le reguetón, tous ces hits commerciaux érotiques, et la petite fille qui tombe enceinte, surgit le thème de la sexualité, propre aux jeunes, car aujourd’hui ils sont initiés de plus en plus tôt. Il y a des gens qui ont peur de ce sujet, mais moi, non, rien n’est plus naturel, sans elle l’humanité n’existerait pas. Mais si l’on écoute les chansons c’est presque un retour à l’animalité … qu’est-ce que cela ?… où est passé l’amour, le fait de tomber amoureux ? – demande-t-elle, se plaignant des paroles des chansons de reguetón.- Nous cessons d’être des animaux et redevenons des êtres humains lorsque nous commençons à apprécier chez l’autre la beauté, la capacité à développer le meilleur de moi-même en l’autre, mais il convient au capitalisme que cela se perde. Nous devons dire comme le poète : Il faut lutter pour la joie, pour la beauté, pour l’amour, nous ne pouvons déboucher sur une société de barbares. Nous ne pouvons pas accuser les jeunes, il ne faut pas les laisser seuls – insiste-t-elle, sinon la culture antagonique les avale. C’est pour moi une grande préoccupation car notre pays est jeune. Et cette jeunesse est le futur. Chez nos ancêtres s’occuper des enfants est une affaire collective, cela ne concerne pas que papa et maman, la communauté doit les soutenir et les accompagner et moi, c’est en cela que je crois. Voilà pourquoi c’est mon souci et pour cela on me verra parmi les jeunes.

— Quel est le défi spécifique?

— Nous devons valoriser notre idéologie, nos contenus, notre identité, parce que, parfois, nous ne faisons que reproduire ce qui est étranger, qui nous asservit. Nous devons retrouver et reconstruire notre esthétique … Notre commandant disait que l’homme de la révolution doit être beau, cultivé, soigné, personne de référence, exemplaire. La Révolution est la plus belle chose du monde. Nous devons continuer à fouiller pour retrouver cette Caracas profonde, ce Venezuela profond, qui est capable de faire ce qu’il a fait le dimanche des élections. Au milieu d’une guerre comme celle que nous connaissons, où l’on croirait qu’il n’y a aucun motif pour nous faire bouger, qu’il n’y a rien ni personne à soutenir car nous sommes dans un conflit permanent, la saleté, le ticket de bus, la monnaie … tout un problème et la file en prime, pour s’approvisionner… au milieu d’un machin chaotique … et malgré tout cela le peuple a dit oui, mais c’est la Révolution et non le capitalisme qui va résoudre cela … peut-être n’a-t-elle pas tous les arguments, mais notre peuple sait qu’ils sont en train d’attaquer tout ce que Chavez a fait, afin d’enfoncer Nicolás Maduro… Ce qu’eux ne savent pas c’est que, nous les chavistes, nous sommes têtus et avons de la mémoire. Je suis militante, missionnaire de cette unité extraordinaire qu’il faut nouer sans cesse entre notre direction et notre peuple indissociable, pour l’unité, pour la détermination, pour l’adéquation, pour les enjeux, pour les défis. Nicolás est présent, un homme du peuple, courageux. C’est la plus belle qualité qu’a notre peuple, ils n’ont pas pu nous abattre et ne le pourront pas, ils ne vont pas pouvoir. Je le dis avec ma conviction de femme révolutionnaire, ici il n’y a pas de lâches et personne ne va se rendre.

Dans mon vieux San Juan

Erika est née dans le quartier Los Eucaliptos et jusqu’à quelque temps de là, elle vivait à Capuchinos, deux endroits de la paroisse San Juan. Pour elle, parcourir les rues de Caracas est un plaisir auquel, actuellement, elle s’adonne peu en raison de ses responsabilités politiques. « Je m’en allais de San Juan jusqu’à la Place des Musées, aller et retour à pied. A n’importe quelle heure, et j’étais la personne la plus heureuse du monde. Et cela me manque beaucoup». Le parc naturel Waraira Repano est l’un de ses lieux préférés, non seulement parce qu’il enserre Caracas, mais aussi parce qu’elle le connaît en long et en large car elle y monte depuis l’âge de trois ans quand, avec sa mère, elle allait voir son oncle qui était garde forestier. “Des 5 frères et sœurs, l’aînée et moi- même, gardons ce lien avec Waraira. Je connais presque toutes ses montées et j’y suis restée souvent, en différents moments : joyeux, tristes, méditatifs. Je choisis toujours la montagne. »

Sa façon de se distraire est de voir des films, des séries ainsi que la lecture. Elle dit qu’elle adore les enquêtes policières. Sur la musique, elle nous a dit que ses goûts sont variés, mais lorsque nous lui avons demandé si elle incluait les jukebox elle a éclaté de rire et nous raconta cette anecdote : « J’étais alors ministre des Communes, il était tard, j’étais fatiguée, mais avant d’arriver chez moi, à Capuchinos, je voulais me vider un peu la tête et je suis entrée dans un troquet immonde, tout près. J’hésitai à entrer, mais je me persuadai qu’à cette heure-là personne ne me verrait, alors je suis entrée et j’ai vu qu’il y avait un jukebox, je me suis installée, car il n’y avait presque personne, pour écouter Toña La Negra, la Lupe, Felipe Pirela, Javier Solís… à partir de ce jour, chaque fois que je le pouvais, j’allais faire le vide un petit moment pour « déconnecter un brin ». Sur un ton mélancolique elle se souvient du café Rajatabla. «  Il n’y a pas à Caracas un endroit comme celui-là, il faudrait qu’on rouvre ce bar ! ».

Biographie

La nouvelle mairesse de la Municipalité Libertador de Caracas a été élue le 30 juillet comme députée à l’assemblée constituante pour le District-Capitale. Le 22 septembre le chef de l’Etat l’a désignée comme ministre du Pouvoir Populaire auprès du Bureau de la Présidence de la République. Elle a aussi occupé les portefeuilles ministériels de l’Agriculture Urbaine, celui des Communes et Mouvements Sociaux et a été élue gouverneure de l’état de Cojedes, un mandat exercé de 2012 à 2016. La militante du PSUV (Parti Socialiste Uni du Venezuela) a fait des études de Philosophie à l’UCV et à l’Université Pédagogique Expérimentale Libertador. Elle a été la directrice nationale du Front Francisco de Miranda, organisation politique de la jeunesse vénézuélienne spécialisée dans le travail social. “J’ai commencé à travailler avec le commandant Chávez comme assistante civile. Dans cet espace intime on pouvait percevoir sa qualité humaine, sa capacité à comprendre les personnes et les choses. L’une de ses qualités qui m’a beaucoup marquée ce fut son authenticité, Chávez était ce qu’on voyait, il n’était pas autre chose, affectueux et très juste. Avec Chávez nous avons appris la nécessité de l’étude. « Un cadre révolutionnaire doit être constamment en train d’étudier, il ne peut être une personne superficielle, nous disait-il », se souvient-elle. Comme anecdote Erika nous a raconté qu’une fois quelqu’un l’a fustigée en tant que membre du gouvernement, à quoi, lui, le commandant, lui répondit : « rien de ceci n’est contre toi en tant que personne, c’est la vision révoltée d’un peuple qui un jour s’est dressé contre un gouvernement qui l’a toujours exclus, c’est pourquoi nous nous sommes engagés à écouter notre peuple et à changer la vision qu’il a du gouvernement. Voilà pourquoi nous devons être de plus en plus révolutionnaires. Ce peuple n’a jamais pu parler. Il faut toujours gagner son adhésion afin qu’il nous accompagne aussi fortement qu’il nous critique, car nous sommes convaincus que c’est le gouvernement révolutionnaire lui-même qui va établir les bases de la libération. »

Source : ODRY FARNETANO / CIUDAD CCS, http://ciudadccs.info/entrevista-erika-farias-restituir-poder-al-pueblo-la-caracas-queremos/

Traduction : Michele ELICHIRIGOITY

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Les débats de l’Assemblée Constituante : de la corruption comme usage privé de la chose publique.

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Avec l’Assemblée Nationale Constituante le modèle de société est en débat. Dans ce modèle, l’économie occupe une place centrale. Le pain de chaque jour est vital à tout le reste, sauf dans les moments d’exceptions politiques, qui, nous le savons, ne sont pas éternels. Produire ce pain peut être garanti par un privé, par l’Etat, par une communauté organisée, ou par une alliance entre parties. Cela semble être un consensus dans le chavisme actuellement et pour les années à venir.

A l’intérieur de ce possible consensus des débats ont lieu. L’un d’entre eux concerne l’Etat. Le point d’accord est que l’intervention de ce dernier est nécessaire, et que certaines branches de l’économie doivent être sous son contrôle. Il serait nécessaire de déterminer lesquelles, selon les objectifs pour l’étape que nous traversons, et dans une perspective de  transition au socialisme. Cependant, la discussion se complique à l’heure de tirer le bilan de dix-huit ans de tentatives, d’essais, de plans déjà exécutés. Qu’est-ce qui a pu se faire et qu’est-ce qui n’a pas pu ? Et pourquoi ?

La droite en profite comme d’habitude pour réaffirmer son sens commun néolibéral : l’Etat est inefficace, le secteur privé sait, lui, gérer. Pour démonter cette matrice il est facile de voir qu’il n’y a jamais eu de véritable entreprise privée au Venezuela, pas plus celle qui a vécu des devises de l’Etat que celle qui a toujours préféré importer pour spéculer, que produire sur place. Mais l’Etat en tant que tel ? Que se passe-t-il avec la production sous son contrôle, avec les entreprises expropriées, achetées, créées, avec les plans de développement agricoles, les objectifs tracés? C’est là que semble être la zone complexe, qui reste peu abordée, et rend difficile le débat sur le modèle, sur de possibles mesures centrales à prendre dans ce pays en guerre, où l’Etat doit avoir un rôle déterminant.

Particulariser la discussion peut en réduire la portée, la mener dans l’abstrait peut affaiblir la force de l’argumentation. En guise d’équilibre impossible je vais parler d’une expérience récente: le débat mené dans le cadre des déplacements des députés constituants dans les territoires avec des ouvriers de la Centrale Sucrière Ezéquiel Zamora, et avec des producteurs agricoles dans le Centre Technique Productif Socialiste Florentino, les deux situées à Barinas, toutes deux propriétés de l’Etat. La conclusion à laquelle on arrive est que les projets ont été bien posés selon les capacités du territoire, selon les marchés d’achat et vente, et malgré cela n’ont pas réussi à se développer. Ils fonctionnent à un pourcentage de production inférieur à leur potentiel, sans compter qu’ils devaient, selon le plan, croître.

Que s’est-il donc passé ? Quelles raisons ont empêché le développement de ces entreprises ? Il ne s’agit pas dans ces cas, comme c’est arrivé dans d’autres, d’achats d’entreprises qui sur le point d’être mises en faillite par leurs propriétaires, avec des machines obsolètes et des marchés fermés. Les réponses sont diverses mais elles se concentrent en un point: la corruption, c’est-à-dire la mauvaise utilisation des fonds, l’utilisation de ce qui est public pour le bénéfice personnel/familial, comme par exemple, de l’argent qui est arrivé et n’a pas été investi, du bétail  et des machines vendus illégalement – l’univers de la corruption est bien plus grand: évasion fiscale, comptes dans des paradis fiscaux, surfacturations et un etcetera dans lequel les grands entrepreneurs sont experts.

Il s’agit d’un thème difficile à aborder, parce qu’en partie, c’est une arme avec laquelle la droite – immergée jusqu’au cou dans la corruption – attaque tous les processus progressistes et révolutionnaires. Le problème c’est que nous ne pouvons laisser à ces secteurs le monopole de « l’explication ».  Un de ceux qui, depuis nos propres rangs, étudient le sujet, c’est, par exemple,  le vice-président bolivien Álvaro García Linera, qui dans une entrevue récente,  exprime des concepts comme celui de la « démocratisation de la micro-corruption » et pose la question centrale: que faire devant ce problème?

« C’est un fait qui te ronge la morale, alors que la seule force qu’on a quand on vient d’en bas c’est la force morale (…) Si tu deviens permissif tu perds ta force morale (…) Si tu perds moralement tu perds générationnellement, la pire défaite d’un révolutionnaire est la défaite morale. Tu peux perdre des élections, perdre militairement, perdre la vie, mais ton principe, ta crédibilité sont toujours debout, par contre quand tu perds la morale tu ne te relèves plus ». Il explique, en mettant l’accent sur la dimension morale, la nécessité d’identifier les responsables, de les juger, de se frapper durement.

Cet impact moral est évident. En particulier à cause de l’impunité qui a généralement régné face à ces situations. On pourrait formuler plusieurs hypothèses pour expliquer que la logique de sanctionner la personne en l’écartant de son poste – parfois pour le nommer à un poste équivalent – a substitué celle de juger: la culture politique, la corrélation de forces, le manque de suivi qui permettent de mener les cas à la justice. Il existe sûrement plus d’explications. L’absence de sanction des responsables affecte les ouvriers, les producteurs agricoles, les habitants de la zone, du pays, mine la bataille d’idées de la révolution, sa construction d’un sens commun.

Il existe une autre dimension en plus de la morale: l’économique. Prenons un cas qui apparaît systématiquement dans chaque commune, ou territoire agricole: Agropatria, l’entreprise publique qui doit fournir des matières premières pour la production. Toutes les descriptions signalent que l’entreprise dispose des matières premières nécessaires mais que celles-ci sont revendues par des réseaux de « bachaqueros« . Les recherches conduisent à la complicité entre le personnel de l’entreprise et des revendeurs. Le gain pour les corrompus et les mafias est important, le poids pour les producteurs aussi; leurs coûts de production augmentent, leurs gains diminuent, les prix –  avec des bénéfices extraordinaires pour les intermédiaires –  augmentent, le pouvoir d’achat est frappé, la guerre économique en devient plus aiguë pour les secteurs populaires.

Santa Barbara de Barinas II 1

Débattre des causes de la situation de l’économie publique est la clé pour aborder le modèle et les mesures nécessaires, immédiates et stratégiques. L’hypothèse est que le problème  ce n’est pas le modèle socialiste – comme le martèle la droite –  mais qu’il n’a pas été possible de développer comme prévu la stratégie. Cela est dû, en partie, à la corruption qui a freiné, parfois brisé, des initiatives clés. Nicolas Maduro l’a dit dans son discours devant l’Assemblée Nationale Constituante:  » Le neuf n’arrive pas à naître, et parfois il se met à mourir à cause de la bureaucratie et de la corruption. Et le vieux n’arrive pas à mourir, et parfois il poignarde le neuf ». La corruption dans la sphère de l’Etat n’est pas l’œuvre du chavisme mais une partie endémique de la formation économique, politique et étatique, pétrolière, un lubrifiant constitutif du capitalisme. Ce n’est pas un problème nouveau, il ne se résout pas d’un coup de baguette magique.

Les récentes lois proposées par le président Maduro face aux grands réseaux de corruption du CENCOEX et des systèmes publics d’octroi de devises aux entreprises privées censées importer des médicaments ou aliments mais qui les ont revendus sur le marché parallèle, vont dans le bon sens : il s’agit non seulement de reprendre les enquêtes freinées par le Ministère Public, mais de confisquer les biens de ces grands groupes privés pour les remettre non à l’Etat mais directement à la population. Il y a eu plusieurs arrestations ces dernières semaines: au sein du Ministère Public, de la compagnie publique du pétrole PDVSA, à l’Hôpital de Valencia, et Maduro a demandé de reprendre l’enquête de CADIVI, l’organe chargé d’octroyer des devises étrangères. Si on y ajoute aussi le cas, par exemple, de Pequiven, filiale de PDVSA, au début de l’année, on voit que le problème touche des zones clés de l’Etat pour le développement économique, et qu’il existe des responsabilités dans les hautes sphères. La capacité d’affronter les agressions multiformes seraient d’une autre ampleur avec un Etat à la capacité productive consolidée, avec une justice dans les zones où la corruption s’est installée en lien avec les plans de ceux qui conduisent la stratégie contre le Venezuela. Une coïncidence qui peut s’expliquer par l’action des facteurs de guerre pour générer de la corruption dans des zones et des territoires géographiques stratégiques.

Ce dernier point place la corruption dans le problème majeur actuel: le plan de récupération du pouvoir économique par le bloc putschiste, dirigé depuis les Etats-Unis. Les détournements de fonds/complicités de frontière/manque de suivi/sabotage, ont pour objectif – pour ceux qui dirigent la guerre – la paralysie progressive de l’économie pour asphyxier la population. Mais ils remplissent aussi un autre objectif, celui de décomposer le tissu social, de rompre les solidarités populaires. On a vu ces derniers temps comment la corruption a augmenté dans l’espace public quotidien, sur de petites échelles, une « démocratisation de la micro-corruption » analysée par García Linares – plus seulement dans l’Etat mais aussi dans la société.

Il est central d’exercer la justice, d’appliquer le poids de l’Etat sur l’Etat lui-même, sur les grands groupes privés, de commencer d’en haut, de l’intérieur, jusqu’en en aval – le populaire n’est pas un synonyme automatique  d’innocence -. Il faut le faire pour appliquer les mesures prises, stimuler la force économique propre que peut développer l’Etat – celui-ci a montré sa capacité de réussir dans plusieurs expériences – accompagner le développement social/communal, établir des accords avec le secteur privé qui se concrétisent vraiment et ne deviennent pas une source d’enrichissement illégal.

Nous avons besoin de débattre de l’Etat, de sa puissance et de ses failles, de faire le bilan de ce qui a été fait, de le corriger dans notre stratégie, de mettre des noms sur les responsables des vols et de les juger, et de ne pas recommencer à créer les mêmes structures qui ne peuvent se maintenir vu leurs logiques de fonctionnement, le manque de suivi et de sanctions. Dans le cas contraire on peut courir le risque de répéter les erreurs, de ne pas réussir à construire des solutions nécessaires dans ce contexte de guerre, et de maintenir une culture de l’impunité qui, on le sait, génère davantage d’impunité.

Marco Teruggi

Source : https://hastaelnocau.wordpress.com/2017/09/12/la-corrupcion-el-uso-privado-de-la-cosa-publica/

Traduction : Cathie Duval

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Le rêve d’une communication populaire

Article de Tibisay Maza Giménez paru dans Ciudad Caracas (29 août 2017)

L’École populaire de Cinéma, Télévision et de Théâtre est un espace de création d’énoncés émanant des communautés. Elle vient de présenter quatre nouveaux courts-métrages, un livre et les conclusions d’un an d’enquête parmi les 35 collectifs de télévision populaire du Venezuela.

Les 19 et 26 août 2017, le cinéma Antonieta Colon de Caracas accueillait l’École Populaire et Latino-américaine de Ciné, Télévision et Théâtre (EPLACITE) qui a projeté quatre nouveaux courts métrages : « Caquetios, une école en construction« , « Un pont pour Pluton », « Le tissu rouge, processus d’une fiction populaire« , et « Mémoires du ciel » de Jesus Reyes, et lancé le livre « Théorie et pratique d’une télévision et d’un cinéma par et pour le peuple« , qui a été remis à cette occasion à plusieurs étudiant(e)s et communicateurs populaires. Le 26, l’enquête nationale menée pendant un an par l’EPLACITE sur les 35 télévisions communautaires du Venezuela a également été présentée au public. Ces productions et publications audiovisuelles (en ligne sur le blog en espagnol de l’école : www.escuelapopularcineytv.wordpress.com) visent à construire un nouvel imaginaire populaire. « Le cinéma et la télévision dominantes sont plus du côté des résultats que des processus« , remarque Jesus Reyes, jeune réalisateur issu des quartiers populaires de Caracas et aujourd’hui enseignant de l’EPLACITE. « Nous résolvons nous-mêmes les problèmes techniques qui se présentent lors de chaque réalisation. On croit généralement que faire du cinéma nécessite beaucoup d’argent et l’assistance d’équipes nombreuses. Nous avons démontré qu’il n’en est rien. Nous avons aussi surmonté un problème technico-idéologique : le peuple n’est pas un objet mais un sujet qui est à la fois la source d’informations et de visions qui nous stimulent, et celui que nous voulons révéler par notre discours et notre structure » ajoute-t-il.

 

Le livre est une compilation des matériels de cours et des investigations mené par l’école ces 20 dernières années ; il remet fortement en question le paradigme dominant sur la communication sociale et recueille l’héritage d’expériences d’esthétiques révolutionnaires : Dziga Vertov, par exemple ou encore Santiago Alvarez, Jorge Sanjines et Glauber Rocha. « Nous apportons des clés nécessaires à la consolidation d’une dramaturgie décolonisatrice tout en récupérant un siècle de découvertes et de savoir-faire des travailleurs du cinéma, monopolisé par l’élite hollywoodienne : du langage de la caméra au sens qui se dégage de l’assemblage des différents plans » précise Thierry Deronne, le fondateur belgo-vénézuélien de cette école, enseignant de dramaturgie, documentaire et théorie du montage dans deux universités publiques créées par la révolution bolivarienne (l’UBV et l’UNEARTE).

Lorsque ce dernier a quitté sa ville natale de Tournai pour créer au Venezuela l’École Populaire et Latino-américaine de Ciné, Télévision et Théâtre (EPLACITE) dans les années 1990, l’objectif premier était de mettre une série d’outils d’expression à la disposition des mouvements sociaux. Un des professeurs qui l’a conseillé dans cette tâche est Thierry Odeyn, professeur à l’école nationale de cinéma INSAS (Bruxelles), avec ses recherches permanentes sur « plutôt que faire du cinéma politique, faire politiquement du cinéma ». « Il existe une revendication sociale qui devient chaque jour plus aiguë. Une révolution ne peut se développer dans un champ où les médias privés dominent et envahissent en permanence les esprits, les rêves. Un de nos apports consiste donc à faire prendre conscience qu’il devient urgent de démocratiser radicalement la propriété des médias » souligne Deronne.

Il rappelle qu’à l’époque de la création de l’École, les médias associatifs n’avaient pas encore été légalisés. Mais après la première victoire électorale de Hugo Chavez, le collectif a fait un bond qualitatif en réponse à leur forte demande de formation. « Aujourd’hui, à une époque où la concentration des médias interfère avec les institutions démocratiques et leur permet même de contribuer à faire tomber des gouvernements, nous ne pouvons plus nous contenter d’affirmer « on ment, on nous attaque », il faut désormais prendre l’initiative, au travers de l’Assemblée Constituante par exemple, de construire une loi nationale, puis internationale, qui démocratise la propriété des médias, mais aussi de renouveler la formation en nous appuyant sur de nouveaux paradigmes qui s’inspirent de l’expérience latino-américaine« . Aujourd’hui, le collectif est formé de divers enseignants qui se consacrent à l’étude et à la mise en valeur d’un jeune cinéma latino-américain comme Jesus Reyes, Juan José Moreno, Luis Rodriguez, Violeta Moreno, Betzany Guedez. « Nous avons aussi un réseau d’enseignants latino-américains, avec qui nous partageons de nouveaux regards contribuant à forger cette image du Venezuela et de notre Amérique« , ajoute Deronne.

Le projet est ouvert aux étudiants de UNEARTE, de l’Université Bolivarienne du Venezuela (UBV) mais surtout aux collectifs populaires et télévisions communautaires qui cherchent à améliorer leurs connaissances dans la réalisation de productions audio-visuelles. « Il faut souligner que des collectifs féministes particulièrement préoccupés de créer une image de la femme contre la violence que diffusent les télénovelas, ont toujours joué un rôle important dans l’École depuis sa fondation. » L’École est itinérante et le planning se fait en fonction des mouvements sociaux qui sollicitent ses services. « Nous sommes allés récemment dans l’État de Lara et en septembre nous nous rendrons dans l’État de Portuguesa où existe tout un projet de transcription historique de l’épopée d’Argimiro Gabaldon. Les mouvements sociaux se chargent de trouver un endroit pour nous recevoir et installer notre matériel ; nos ateliers ont la caractéristique d’être théoriques et pratiques et durent généralement 5 jours », précise-t-il.

PIONNIERE DANS LE DOMAINE COMMUNAUTAIRE

Deronne a eu l’occasion de voyager dans divers pays du continent et de découvrir leur niveau de développement audiovisuel. Pour lui la télévision associative, c’est d’abord une création bolivarienne, nourrie par l’une des pensées les plus emblématiques de Simon Rodriguez : « apprendre par l’exemple et enseigner par la pratique », et par les racines afrodescendantes, rebelles, et même si dans le Venezuela la majorité des ondes reste aux mains du secteur commercial, ce pays a apporté quelque chose d’inédit : une trentaine de collectifs s’essaient concrètement à un nouveau modèle de télévision populaire, au sein d’un processus révolutionnaire. « Avec des gouvernements progressistes comme l’Équateur, la Bolivie et l’Argentine sous la présidence de Cristina Fernandez, des lois qui protègent l’activité et la diffusion de médias alternatifs ont vu le jour, mais il n’y existe pas beaucoup de télévisions communautaires concrètes. Le Venezuela, en revanche, a acquis une solide expérience en ce domaine. C’est l’heure du bilan, des leçons à tirer de plusieurs échecs, d’une nouvelle génération. Dans d’autres pays, on rêve encore de pouvoir compter sur un État qui donne des caméras et des bancs de montage, sans contrôle politique. »

Source de cet article : http://ciudadccs.info/sonando-con-la-comunicacion-popular/

Photos : Yrleana Gomez / EPLACITE

Traduction : Frédérique Buhl

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Dix clefs pour comprendre et analyser la victoire du chavisme à la Constituante

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Électeurs du centre de vote Luis Alejandro Alvarado, Cagua, État d’Aragua (centre du pays)

par Victor Hugo Majano

Le processus électoral qu’a vécu dimanche le Venezuela et les résultats quantitatifs du vote pour la constituante (plus de huit millions de suffrages exprimés) montrent clairement un triomphe du chavisme, avec une corrélation très forte sur les plans politique et symbolique.

La « bataille finale » ne s’est pas jouée comme le disent les boucliers des extrémistes de droite « autour du palais présidentiel de Miraflores » : elle ne s’est pas faite avec des balles mais avec des votes et n’en a que plus de force. Le chavisme dispose à présent d’une grande légitimité et de la base légale pour aller de l’avant et sans hésitations vers une transformation profonde dans le cadre constitutionnel pour assurer la paix, renforcer les institutions et rétablir l’équilibre de l’économie.

Une analyse préliminaire permet d’identifier un ensemble de points-clés:

1) On voit que l’opposition associée à la MUD (coordination des partis de droite) n’est pas majoritaire.

2) Elle n’exprime pas plus les attentes et les besoins de la majorité ou des principaux secteurs du pays. Pas même des secteurs dominants.

3) Elle ne sert pas les intérêts nationaux, mais des facteurs externes bien identifiés, qui ne tentent même pas de nuancer leurs positions ou de les dissimuler.

4) La droite a démontré un caractère violent et son irresponsabilité dans l’usage de la violence. Les dirigeants actuels sont encore ceux du coup d’État contre Chavez ou des « guarimbas » des années antérieures. Ils n’ont jamais condamné mais au contraire encouragé les actions meurtrières de 2017, appelant même à plusieurs reprises à un nouveau coup d’État des forces armées, sans autre projet politique que celui de renverse Maduro, comme ils voulaient renverser Chavez.

5) Pendant ce temps, le chavisme a montré qu’il est le seul mouvement politique actuellement porteur d’une vision, d’un projet national d’inclusion, qui intègre les principaux facteurs sociaux, institutionnels, économiques et politiques du pays et parmi lesquels ne sont pas exclus organiquement les facteurs liés à l’opposition regroupée dans le MUD.

6) La droite, en réponse, passera à la postérité pour sa conduite erratique, qui s’est transformée en menace pour l’indépendance, la paix, la stabilité institutionnelle et l’équilibre économique du Venezuela. Le bloc d’opposition n’a pas su surmonter son obsession de reprendre le pouvoir « par tous les moyens ». Au lieu d’élaborer une proposition politique d’envergue, elle s’est engluée dans une dynamique absolument destructrice.

7) L’origine et le développement des conflits qui vont s’aiguisant depuis 2012 sont d’ordre économique, déterminés par l’accès et la redistribution des revenus pétroliers. Par conséquent, le Venezuela ne peut éluder plus longtemps le débat sur le dépassement du modèle rentisme pétrolier, ainsi que sur tous les éléments symboliques dérivés. Ce qui veut dire profiter de l’avantage de pouvoir prendre des décisions radicales à travers une Constituante pour démanteler les structures productives hautement dépendantes du secteur extérieur.

8) Les conditions imposées par la violence de la rue et les menaces de la droite contre le vote ont forcé le chavisme à faire preuve d’un plus grand engagement. Paradoxalement ces conditions peuvent avoir fonctionné comme encouragement à la participation. Cela s’est produit en 2002-2003 lors de la réaction populaire au coup d’État contre Chavez ou après le sabotage pétrolier en 2004, avant le référendum révocatoire, entre autres dates. Aujourd’hui, le chavisme mécontent et certains des ni-ni (si tant est qu’existe cette catégorie), qui s’étaient abstenus lors de la victoire de la droite aux législatives de décembre 2015, sont allés voter. Alors que ce que pouvait espérer de mieux la droite, était leur indifférence.

9) Le chavisme devient le principal articulateur et promoteur du dialogue politique, mais cela l’oblige à être plus inclusif (en parlant des militants) et plus large thématiquement, tout en s’impliquant davantage dans l’aspect concret de chaque facteur social .

10) Une grande partie des obligations du chavisme implique la construction d’une cosmogonie et d’une téléologie du peuple vénézuélien qui puissent incarner une alternative aux valeurs culturelles du capital. Ce qui inclut des aspects liés à la culture populaire (dont la religiosité).

Source : http://www.albatv.org/En-claves-Que-significa-la.html

Traduction : Thierry Deronne

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