Sans Terre, féministes, communistes, syndicalistes, afrodescendant(e)s : les mouvements populaires brésiliens dénoncent la désinformation sur les élections au Venezuela et appellent à la solidarité de la gauche mondiale

Les mouvements populaires brésiliens lancent un manifeste de solidarité avec le peuple vénézuélien :

« Compte tenu de la polémique autour du processus électoral vénézuélien, nous souhaitons exprimer notre opinion.

  1. Depuis la victoire d’Hugo Chávez aux élections de 1998, jusqu’à aujourd’hui, les États-Unis et ses lobbies pétroliers ont mené une guerre sans fin contre le peuple vénézuélien.
  2. Ils ont décrété le blocus de la vente de son pétrole, gelé ses comptes à l’étranger, volé ses fonds déposés dans plusieurs banques et, le mois dernier, ont même détourné un avion-cargo de la compagnie d’État vénézuélienne, voué aux missions humanitaires anti-blocus, lorsqu’il a fait escale à Buenos Aires. Bien qu’il avait été légalement vendu à une entreprise vénézuélienne, ils l’ont emmené à Miami avec l’aide du gouvernement Milei et l’y ont détruit, craignant qu’un tribunal international n’ordonne sa restitution.
  3. Ils ont imposé un président fantoche, M. Guaidó, qui a commis une série de crimes, en plus de s’approprier plus de 50 millions de dollars. Dénoncé par ses proches alliés d’extrême droite. Il vit aujourd’hui aux États-Unis, protégé par les autorités.
  4. Le Venezuela dispose d’un système électoral démocratique, qui utilise des machines à voter électroniques et des votes imprimés pour vérification. Il a organisé plus de 30 élections au cours de cette période. Le tout audité par les autorités judiciaires électorales internationales, y compris celles du Brésil.
  5. Lors de ces élections, des gouverneurs, des maires et des députés opposés au chavisme ont été élus, sans que personne ne proteste. La campagne contre les machines à voter électroniques est une pratique d’extrême droite dans plusieurs pays, dont le Brésil.
  6. Le pouvoir électoral est indépendant et se situe au même niveau que les pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif. Ses membres sont proposés par la société, les universités et les partis politiques et nommés par l’Assemblée Nationale. Dans le conseil actuel, deux des cinq membres ont été nommés par les partis d’opposition.
  7. María Corina Machado, représentante de l’extrême droite « bolsonariste », a tenté de se présenter aux élections toute en sachant qu’elle avait déjà été déclarée inéligible par la justice, il y a six mois, pour délits de corruption, trahison et tentatives de coup d’État, parrainés par elle et par son mouvement « Vente Venezuela » qu’elle a toujours refusé d’enregistrer comme parti politique. La Cour suprême a examiné son cas et a réaffirmé qu’elle n’était pas éligible, tout comme elle l’a fait ici pour Bolsonaro.
  8. Par pur effet de propagande, sachant qu’elle n’était pas éligible, elle a nommé au dernier moment Mme Corina Yoris qui n’avait le soutien d’aucun parti politique ET n’a même pas présenté les exigences légales de signatures de 5% des électeurs – norme électorale pour s’inscrire conformément aux lois. Le conseil électoral l’a rejetée à l’unanimité. Comme cela est déjà arrivé au Brésil.
  9. 13 candidats sont inscrits, dont 12 de l’opposition, parmi lesquels un gouverneur de l’État du Zulia qui s’était déjà présenté à la présidence contre Hugo Chávez en 2006. Au total, 37 partis politiques ont participé, dont 70 % sont des partis politiques d’opposition au gouvernement.
  10. La liberté de la presse est totale dans le pays, avec plusieurs chaînes de télévision et journaux ouvertement opposés au gouvernement, où les opposants disent ce qu’ils veulent. Contrairement au Brésil où n’ont accès qu’à la télévision que ceux qui défendent les thèses du Capital, même sur les questions internationales.
  11. Le blocus économique des ÉTATS-UNIS, l’impossibilité de disposer de pièces de rechange pour l’industrie pétrolière et la baisse des exportations ont entraîné d’énormes difficultés économiques pour la population et nombre d’entre eux ont décidé d’émigrer pour des raisons économiques. Comme cela est arrivé aux habitant(e)s de tous les pays d’Amérique latine, il suffit de regarder la frontière avec le Mexique. Et comme ici au Brésil avec les milliers de Brésiliens qui ont émigré aux États-Unis et au Portugal.
  12. Ces dernières années, le Venezuela a subi des tentatives d’invasion militaire, par voie maritime et depuis la Colombie, déjouées par les forces publiques avec le soutien de la population.
  13. Le président Maduro a été victime de plusieurs tentatives d’assassinat, notamment par des drones, qui ont également été déjouées et leurs auteurs arrêtés.
  14. Le peuple vénézuélien a besoin de justice internationale pour restituer ses avoirs à l’étranger, tels que ses réserves d’or, volées par l’Angleterre.
  15. Le peuple vénézuélien a besoin de mettre fin au blocus économique et de pouvoir utiliser ses principaux actifs pétroliers pour relancer le développement du pays.
  16. Il est clair qu’une campagne de diffamation organisée par les États-Unis et ses grands groupes économiques à travers les médias privés de tout le continent est en cours pour diffamer le processus électoral vénézuélien et in fine ne pas en reconnaître les résultats. Aucun gouvernement n’a le droit de s’immiscer dans les affaires intérieures des autres peuples. Et notre constitution défend le droit des peuples à l’autodétermination.
  17. Nous appelons tous les mouvements populaires, syndicats, partis politiques et associations de juges et procureurs brésiliens à se rendre au Venezuela et à suivre le processus électoral sur place.
  18. Nous appelons tous les mouvements populaires et la gauche brésilienne à être solidaires du peuple vénézuélien et dénonçons les actions du gouvernement états-unien et de ses satellites, menées dans le cadre de la guerre hybrides en cours depuis tant d’années.
  19. Nous appelons chacun à être également solidaire avec les pauvres des États-Unis, avec les peuples d’Haïti, de Palestine, de Cuba, de Porto Rico et des pays africains du SAHEL, qui affrontent les mêmes intérêts de l’empire états-unien et de ses alliés européens. L’empire français est chassé d’Afrique après avoir volé tant de richesses naturelles.
  20. Depuis 25 ans, le peuple vénézuélien subit les conséquences de la guerre hybride imposée par le gouvernement des États-Unis et ses compagnies pétrolières. Malgré les défaites et les difficultés, il a toujours gagné et gagnera encore.

Brésil, 2 avril 2024.”

Traduction : Thierry Deronne

Premiers signataires :

  1. Mouvements populaires et partis politiques :
    • Confederación Nacional de los Trabajadores y Trabajadoras de la
      Agricultura Familiar de Brasil – CONTRAF – Brasil
      Central de los Trabajadores y Trabajadoras de Brasil – CTB
      Centro brasileno por la paz – CEBRAPAZ
      Central de Movimientos Populares-CMP
      Centro de estudios de religiones de matriz africana – CENARAB
      Coordinacion nacional de comunidades Quilombolas – CONAQ
      Consejo Pastoral de los/las Pescadores/as – CPP
      Frente Evangélica por el Estado de Derecho
      Levante Popular de la Juventud – LPJ
      Marcha Mundial de Mujeres – MMM
      Movimiento de los Trabajadores Rurales Sin Tierra – MST
      Movimiento de Pescadores y Pescadoras Artesanales – MPP
      Movimiento Brasil Popular – MBP
      Movimiento de Mujeres Campesinas – MMC
      Movimiento de los Afectados por Barragem – MAB
      Movimeinto de los Pequenos Agricultores – MPA
      Movimiento de los Trabajadores Desempleados – MTD
      Movimiento por la Soberania Popular en la Minerania – MAM
      Movimiento de los Trabajadores y Trabajadoras del Campo – MTC
      Partido comunista de Brasil – Pcdob
      Rede de Médicos y Medicas Populares – RMMP
      Union de la juventud socialista – UJS

2. Personnalités et porte-parole de la société brésilienne:

Acilino Ribeiro – dirigente do PSB
Ariovaldo santos, Pastor evangélico
Beto Almeida, Periodista
Breno Altman, Periodista

Celia Gonçalves, makota de los pueblos de terreiro
Cesar Silva Fonseca, Periodista
David Stival, ex-presidente del PT-RS, professor universitário
Eduardo Moreira, empresario y comunicador
Frei Sérgio Gorgen, frade franciscano
Georgina de Queiroz, profesora
Guilherme Estrela, geólogo de la Petrobras
Joao Pedro Stedile, activista de la lucha por la Reforma Agraria.
José Reinaldo Carvalho, Periodista, presidente de Cebrapaz
Júlio Flávio Gameiro Miragaya, economista
Leila Jinkings, Periodista
Luis Sabanay, Pastor presbiterano
Marcelo Barros, Monge Beneditino
Maria luiza Busse, Periodista de ABI
Mario Vitor santos, Periodista
Monica Buckmann, professora universitária
Ney Stronzake – Abogado
Nilza Valeria, Periodista
Oswaldo Maneschy, Periodista
Paulo Miranda, Director de la TV Comunitária de Brasília
Pedro Augusto Pinho, ex-presidente de la AEPET y del Corpo Permanente de la
Escuela Superior de Guerra
Roberto Requião, ex-gobernador , y ex-senador del Estado de Paraná
Rosana Fernandes, Coordinadora General de la Escola Nacional Florestan Fernandes
Sandra de Barreto, socióloga
Socorro Gomes, ex-diputada Federal por el PcdoB y directora de relaciones
internacionales de Cebrapaz
Valter Pomar, miembro del Diretório Nacional del PT
Lucinha Barbosa, Secretaria de Movimientos Populares del PT
Airton Faleiro, Diputado Federal-Para
Dilson Marcom, Diputado Federal – PT-Rio Grande del Sur
Joao daniel, Diputado Federal- PT Sergipe
Marina del MST, Diputada Estadual – PT-Rio de Janeiro
Messias, Diputado Estadual – PT Ceara
Orlando Silva, Diputado Federal- Pcdob São Paulo
Rosa amorim, Diputada Estadual – PE-Pernambuco
Valmir assunção, Diputado Federal- PT-Bahia
Romenio Pereira, Secretario de las Relaciones Internacionales de PT (parti de Lula)

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Venezuela : douze points sur les « i » d’élections présidentielles.

Par Thierry Deronne, Caracas.

1. Depuis la victoire électorale de Hugo Chávez en décembre 1999, le Venezuela a organisé 35 élections en 24 ans, dont un référendum sur la nouvelle Constitution. Le chavisme a perdu deux élections nationales. La droite a fait élire des gouverneurs, des députés, des maires et des conseillers municipaux. La transparence du système électoral vénézuélien, à double vérification, électronique et imprimée, a fait dire dès 2012 à Jimmy Carter qu’«en le comparant aux 92 processus électoraux que j’ai observés dans le monde entier, le système électoral vénézuélien est le meilleur du monde» (1). Dans l’isoloir, l’écran numérique permet à l’électeur/trice de voter sur écran puis de lancer l’impression de son vote, qu’il ou elle vérifie et plie avant de le déposer dans l’urne à proximité. Tous les partis et observateurs peuvent ainsi comparer les votes électroniques avec les votes imprimés, dans n’importe quel bureau, partout où ils le souhaitent. Les élections les plus récentes (2021) ont été validées par l’ensemble des observateurs internationaux. (2)

2. A la suite de l’«Accord des Barbades» (3), cosigné par le gouvernement du Venezuela et l’opposition de droite en octobre 2023, 40 partis d’opposition ou pro-chavistes – soit 97% des partis politiques -, et 155 délégué(e)s des principaux secteurs économiques, culturels, religieux et sociaux du Venezuela, se sont réunis pendant plusieurs jours à Caracas pour définir une feuille de route électorale (photos). Cet accord, relu et signé par toutes les parties le 4 mars 2024, a permis au Centre National Électoral (CNE) de fixer la date des présidentielles au 28 juillet.

Seule à refuser de prendre part à ces réunions : l’oligarque d’extrême droite Maria Corina Machado, admiratrice du Likoud, qui a participé à tous les coups d’État contre Chávez et Maduro, avant d’être déclarée inéligible par la justice, comme la justice brésilienne l’a fait pour le putschiste Bolsonaro. En cause : son implication dans le réseau de corruption de Juan Guaido, sa participation à l’organisation des violences, ses appels à l’invasion armée du Venezuela par les États-Unis, et avoir représenté un pays étranger (le Panama) pour appuyer cette intervention (alors qu’elle était députée vénézuélienne) ce qui est interdit par la Constitution (4). Cette décision a été confirmée en appel par la Cour suprême du Venezuela. Ces dernières semaines, son parti «Vente Venezuela», qu’elle a toujours refusé d’inscrire au Conseil National Électoral, a renoué avec les méthodes insurrectionnelles pratiquées en 2014 et en 2017 (attentats contre le président Maduro, violences de rue, destructions de services publics). Plusieurs militants du premier cercle de la dirigeante ont été arrêtés alors qu’ils préparaient des violences et un attentat contre le président (5). Ils ont aussitôt été présentés par Machado, Washington et les grands médias comme des «prisonniers politiques». Comme l’explique Ignacio Ramonet, «depuis des années, les dénonciations du gouvernement bolivarien sur les déstabilisations et les attentats terroristes sont occultées ou traitées avec les guillemets de l’ironie par les grands médias».

3. Les élections présidentielles de 2024 auront le deuxième plus grand nombre de candidats depuis 31 ans (6). Sur les treize candidats en lice pour la présidentielle, douze appartiennent à l’opposition (en majorité de droite, mais aussi de l’évangélisme ou de la social-démocratie). Ces partis vont d’«Acción Democrática» et «Copei», venus de l’ancien régime bipartisan qui a gouverné le pays pendant 40 ans, à «Fuerza Vecinal», récemment issu d’une dissidence de l’extrême droite. Le président sortant, Nicolás Maduro, a été choisi comme candidat par les onze organisations politiques du «Gran Polo Patriótico Simón Bolívar». Dans cette coalition de la gauche, le principal parti chaviste – le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) -, est le seul à avoir organisé des primaires avec plus de quatre millions et demi de sympathisant(e)s, militant(e)s et dirigeant(e)s de base qui ont tenu des assemblées dans près de 50.000 communautés populaires de tout le pays.

4. Actuellement, les sondages de la firme privée Hinterlaces donnent une majorité à Nicolas Maduro (7). Son directeur Oscar Schémel explique: «A peine 9 % des Vénézuéliens sympathisent avec un parti d’opposition. C’est le niveau le plus bas jamais atteint. La plupart de ses dirigeants sont rejetés par l’opinion publique à plus de 80 % – Juan Guaidó, Capriles, Henry Ramos et d’autres, à cause de leurs conflits internes mais aussi des sanctions occidentales qu’ils ont promues et des souffrances sociales générées (…) Pendant 25 ans, nous n’avons vu de la part de l’opposition aucun programme structurel (à part renverser le gouvernement bolivarien), aucune présence massive dans les rues. L’opposition a perdu la capacité de diriger une meeting dans un quartier populaire, elle «a perdu la rue». Une bonne partie de ses victoires est due au vote des mécontents des mauvaises gestions gouvernementales. (…) Par contre, le chavisme est la seule force politique qui, en 25 ans, a proposé un plan à long terme. Une sorte de «culture chaviste» s’est installée, mettant au cœur de la politique les thèmes de l’égalité, de l’inclusion de celles et ceux qu’une sorte d’apartheid avait écarté de la participation politique.» Les agences de renseignement des États-Unis sont arrivées à la même conclusion qu’Hinterlaces: le dirigeant vénézuélien Nicolás Maduro remporterait les prochaines élections présidentielles de la nation sud-américaine en juillet. (8)

5. Après les années les plus dures d’un blocus occidental dénoncé par les rapporteurs de l’ONU (9), et qui a entraîné la mort de 100.000 personnes, Hinterlaces note aussi que « 81% des électeurs vénézuéliens retrouvent l’espoir. » L’ex-Président et économiste Rafael Correa a expliqué récemment que malgré le blocus et les 926 sanctions renouvelées en mars 2024 par l’administration de Joe Biden, les chiffres de la CEPAL (ONU) indiquent que les politiques du gouvernement révolutionnaire (stimulation de la production nationale, alliances multipolaires..) permettront d’atteindre de nouveau cette année la croissance la plus élevée d’Amérique du Sud. L’hyper-inflation a été freinée: l’inflation du troisième trimestre 2023 fut la plus basse depuis 2012. Ce qui explique le retour progressif des migrant(e)s qui avait fui le pays massivement à partir du blocus occidental.

6. Pour s’inscrire aux présidentielles, toutes les organisations politiques qui le voulaient se sont enregistrées auprès du Centre National Électoral (sans le moindre obstacle, en respectant la législation électorale). Mais «Vente Venezuela», le «parti» d’extrême droite de Maria Corina Machado, n’a jamais demandé à être inscrit, et n’a jamais participé à une élection. Plus que d’un parti, il s’agit d’une ONG (financée par les États-Unis) qui s’est fait connaître en 2023 par le biais d’une «primaire de l’opposition» controversée, menée avec un énorme battage médiatique international mais sans inscription sur les listes électorales et avec pour seul arbitre l’ONG «Súmate», dont María Machado est membre fondatrice. Les cahiers de vote ont été détruits après le scrutin. Dès juin 2004, l’économiste états-unien Mark Weisbrot du CEPR a dénoncé devant la sous-commission des affaires de l’hémisphère occidental du Sénat états-unien, le financement de Súmate par la NED (une des façades de la CIA). (10)

7. Comme dans de nombreux pays, en Espagne par exemple, la loi électorale vénézuélienne prévoit que chaque parti qui souhaite inscrire une candidature nomme un représentant légal auprès du Conseil Électoral. Seul ce représentant légal dispose du mot de passe pour introduire les données dans le système. Ne s’étant jamais inscrite et n’ayant aucun représentant légal, Maria Corina Machado n’a pas pu entrer dans le système, tout en affirmant devant les caméras que la page était «bloquée pour elle par la dictature». En réalité, la dirigeante savait dès le départ qu’elle ne pourrait pas participer aux élections. Pourquoi, dès lors, cette mise en scène ? Explications.

8. L’an passé, Washington avait accepté de lever temporairement plusieurs des 926 sanctions contre le Venezuela, tout en menaçant de les reconduire en 2024 si Maria Corina Machado ne figurait pas parmi les candidats. En clair, les États-Unis veulent imposer la raison du plus fort contre la loi électorale du Venezuela. C’est ce sentiment de puissance que lui donne l’appui de Washington et de l’internationale médiatique, qui permet à Machado d’affirmer, devant les médias, que la «dictature l’empêche de se présenter».

9. Les médias occultent que la majorité de la gauche et des mouvements sociaux latino-américains, comme les Mouvements de l’ALBA ou le Réseau des Intellectuels en Défense de l’Humanité, appuient la démocratie vénézuélienne face à cette manœuvre. Sans Terre, féministes, communistes, syndicalistes, afrodescendant(e)s, responsables du PT (parti de Lula) : un manifeste signé par de nombreux partis de gauche et mouvements populaires brésiliens dénonce la désinformation sur les élections au Venezuela et appelle la gauche mondiale à exprimer sa solidarité (11). La Présidente du Honduras (également présidente de la CELAC) Xiomara Castro demande que cessent les «ingérences extérieures dans les élections vénézuéliennes» et, répondant favorablement à l’invitation du gouvernement bolivarien, enverra sur place une équipe d’observateurs électoraux (12). Comme le Honduras, le Nicaragua ou Cuba, la Bolivie de Lucho Arce exprime dans un communiqué officiel sa solidarité avec «la République bolivarienne du Venezuela, son peuple et notre frère le président Nicolas Maduro face aux menaces et aux actions de certaines organisations d’extrême droite qui, au lieu de se joindre à la compétition électorale comme l’ont décidé d’autres organisations d’opposition, s’emploient à déstabiliser les élections et le système politique vénézuélien. (…) Les États-Unis doivent respecter l’autodétermination du Venezuela et abandonner leurs plans d’ingérence et d’intervention.» (13)

Position semblable du célèbre «Groupe de Puebla» qui regroupe des (ex-) présidents et leaders latino-américains progressistes : «Nous sommes témoins que le gouvernement et l’opposition se sont engagés dans un dialogue intensif ces derniers temps (…) Cette étape doit garantir que la voie électorale pacifique est le moyen de régler les différends, de légitimer pleinement le processus électoral et de mettre fin aux voies déstabilisatrices, aux interventions, aux actions militaires, aux sanctions économiques ou à d’autres actions de force, toutes incompatibles avec la voie démocratique.» (14)

Pour sa part l’ex-président Evo Morales lance « un appel fraternel à tous les gouvernements et à toutes les organisations politiques et sociales de gauche, progressistes et humanistes pour qu’ils ne se laissent pas entraîner par la désinformation sur ce qui se passe au Venezuela. Comme aujourd’hui, d’autres attaques préparées par l’impérialisme ne manqueront pas de se produire plus tard. Il est de notre devoir de défendre le processus révolutionnaire initié par le Président Chávez et poursuivi par notre frère le Président Nicolás Maduro. »

Le 5 avril, le président du Mexique Lopez Obrador dénonce : « le Venezuela est attaqué par la droite du monde entier, tout comme Cuba. Nous connaissons ce type de guerre sale » et exige de laisser le Venezuela mener ses présidentielles « sans ingérence, et que le peuple choisisse librement, et en paix ». (15)

Le monde multipolaire manifeste également son appui. Le porte-parole des Affaires Étrangères de la Chine a déclaré: «Nous soutenons le Venezuela dans l’organisation des élections conformément à sa constitution et à ses lois, lui souhaitons plein succès dans ce scrutin et nous nous opposons à toute ingérence extérieure dans ses affaires intérieures. La Chine appelle la communauté internationale à jouer un rôle positif et constructif à cette fin.» (16) Comme pour les élections de 2021, l’ONU a accepté l’invitation du gouvernement bolivarien à envoyer son équipe d’observateurs (17), arrivée le 23 avril. Dans les prochaines semaines arriveront au Venezuela les équipes du Centre Carter et de l’Union Européenne (18).

10. Lorsque des fonctionnaires des affaires étrangères de Colombie et du Brésil, dont les présidents sont des alliés du Venezuela, ont émis des communiqués en phase avec les médias dominants et critiqué la non-inscription de Maria Corina Machado, les grands médias ont aussitôt annoncé «la rupture de Lula et de Petro avec Maduro». C’est faux. Les relations bilatérales se poursuivent sans obstacles (19). Quelques jours plus tard, le 9 avril, s’est tenue à Caracas la cinquième réunion de travail entre les présidents Maduro et Petro pour renforcer les relations bilatérales en économie et en politique. Le mandataire colombien a rencontré également des partis d’opposition, et la Colombie a accepté l’invitation du Venezuela d’envoyer une équipe d’observateurs électoraux aux élections du 28 juillet. En outre la guérilla de l’ELN et le gouvernement colombien vont se retrouver à Caracas pour avancer dans le processus de paix. Pour le président Petro, « le Venezuela peut beaucoup nous aider, comme il l’a souvent fait, à surmonter le problème des conflits armés. » (20)

Photo : Caracas, le 9 avril, cinquième réunion de travail entre les présidents Maduro et Petro pour renforcer les relations bilatérales.

Quant au Président Lula, il a expliqué à la presse, le 23 avril 2024, que la droite a enfin nommé un candidat unique aux présidentielles de juillet (écartant la putschiste Machado, inéligible), qu’il y aura des observateurs internationaux, que le Brésil en sera volontiers, et redemande aux USA – comme l’ont fait ses homologues colombien et mexicain -, de lever les 936 « sanctions » pour favoriser le retour des migrants économiques.

Le Coordinateur National du Mouvement des Sans Terre du Brésil Joao Pedro Stedile, les analystes Walter Smolarek de Liberation News, Zoe Alexandra de People’s Dispatch (21), les journalistes brésiliens Breno Altman d’Opera Mundi et Lorenzo Santiago de Brasil de Fato (22), l’historien Vijay Prashad du Tricontinental Institute, ont démonté la fake news de la « candidate exclue » diffusée par l’extrême droite vénézuélienne.

Une réponse particulièrement intéressante est venue du politologue espagnol Juan Carlos Monedero, ex-dirigeant de Podemos (23): «Je crains que Lula et Petro n’aient pas été informés par ces fonctionnaires sur ce qui s’est passé au Venezuela. Ne soyons pas dupes. Les États-Unis ne veulent pas que Nicolas Maduro gagne les élections et recommencent à les saboter. Le problème de l’opposition vénézuélienne, ce sont ses divisions. L’inégibilité de Maria Corina Machado n’a constitué une surprise pour personne au Venezuela. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elle n’a tenu aucun compte de la législation vénézuélienne ni de ce que dit l’«Accord des Barbades» signé par le gouvernement et l’opposition. Les milieux d’affaires vénézuéliens ne veulent pas de Machado au pouvoir car ils savent qu’elle déclencherait une guerre civile. La population déteste l’alter ego de Machado, Juan Guaido, pour les milliards de dollars qu’il a volés et pour les sanctions qui ont causé tant de souffrances. Machado a été jugée et condamnée pour exiger une intervention militaire des États-Unis. C’est comme si les juges espagnols déclaraient inéligible un politicien qui demande par exemple qu’on bombarde l’Espagne ou qui promeut la violence ou la désobéissance à la Constitution espagnole. Pour beaucoup moins que ça, en Espagne, nous avons jugé inéligibles beaucoup de personnes.

Monedero conclut : «Restons humbles: ce qu’on ne veut pas pour son pays, on ne peut le vouloir pour un autre pays. Comme l’avait d’ailleurs dit Lula, la droite vénézuélienne devrait cesser de pleurer et se chercher un autre candidat. Machado a préférer jouer à la victimisation. Le reste de la droite le sait, et a refusé d’inscrire sous sa bannière Machado ou la candidate de substitution qu’elle voulait imposer au dernier moment. La droite a fait savoir à Machado qu’elle n’acceptait pas qu’elle prenne des décisions sans les consulter, puis lui a joué un bon tour en nommant par surprise, in extremis, son propre candidat: Manuel Rosales,le gouverneur du Zulia, qui s’était déjà présenté contre Chávez. Bref, quand Machado crie à la «dictature», ou quand elle dit que la page électronique du Centre national Électoral est «bloquée pour elle», etc… la réalité est tout simplement qu’elle n’a pas de base légale pour présenter sa candidature et que les partis de droite lui ont préféré un autre candidat.» (24)

La droite vénézuélienne elle-même a reconnu, le 16 avril, que Maria Corina Machado « ne croit pas aux élections et veut toujours jouer la carte de la violence » (25).

11. Maria Corina Machado est la fille d’un magnat de l’acier vénézuélien, Henrique Machado Zuloaga, dirigeant de Sivensa, une des plus grandes entreprises sidérurgiques du Venezuela (26), nationalisée en 2008 par Hugo Chávez lorsqu’il commença une politique de redistribution en faveur des plus pauvres. Machado en a gardé une soif de vengeance et incarne parfaitement l’oligarchie raciste du Venezuela pressée d’effacer la révolution bolivarienne et l’inclusion de la population métisse. Son projet est de replacer le Venezuela sur orbite états-unienne, et d’en faire «un pays de propriétaires et d’entrepreneurs» en privatisant tout ce qui peut l’être – un programme ultra-libéral proche de celui de Milei en Argentine. Privatiser l’entreprise pétrolière mais aussi les millions de logements sociaux que le «régime» comme elle dit, construit gratuitement pour les secteurs populaires.

À l’extrême-droite de l’échiquier politique, elle a longtemps occupé une position marginale. En 2010, elle est élue députée. En 2012, elle se présente aux primaires de la droite mais n’obtient que 3% des voix. Sa «base» sont des ONGs comme «Sumate» ou «Vente Venezuela», financées par les États-Unis. Son admiration pour le Likoud est la sublimation de ce qu’elle ferait au pouvoir, après avoir appuyé en vain les coups d’État contre Chávez puis contre Maduro. Elle a signé un accord «stratégique» de coopération avec ce parti pour, en cas de victoire, compter sur le savoir-faire contre-insurrectionnel dont les israéliens sont spécialistes (voir les massacres commis par leurs « élèves » en Colombie, au Guatemala, etc…). Cette répression de la rébellion populaire a déjà eu lieu pendant les 48 heures du coup d’État contre Chávez en 2002 (27). Maria Corina était des signataires du décret putschiste qui supprima toutes les autorités démocratiques du pays et intronisa le chef du patronat Pedro Carmona comme président. En 2005, elle a rencontré George W. Bush à la Maison-Blanche pour discuter du « retour à la démocratie », c’est-à-dire du renversement du gouvernement bolivarien.

Ci-dessus: Maria Corina était des signataires du décret du coup d’État contre Chavez qui supprima toutes les autorités démocratiques du pays et intronisa le chef du patronat Pedro Carmona comme président du Venezuela en 2002.
Ci-dessus : Accord de « partenariat opérationnel » sur des thèmes comme « géopolitique et sécurité » entre deux partis d’extrême droite, le « Vente Venezuela» de Maria Corina Machado, et le Likoud.

En 2014, on la retrouve à l’origine de l’opération «La Salida» (la sortie) qui consistait à déchaîner la violence pour renverser par la force le président Maduro. Le bilan s’élève à plusieurs dizaines de morts parmi policiers et manifestants. En 2017, lors d’autres émeutes d’extrême droite, un jeune homme noir de 22 ans est lynché, poignardé puis brûlé vif parce que «noir donc chaviste» (28). La même année, des bombes sont utilisées pour attaquer des policiers et des câbles de fer sont tendus dans les rues pour décapiter les motards de la police. En 2019, elle participe activement à l’instauration du président fantoche, non élu mais nommé par Donald Trump, Juan Guaido. Les 31 tonnes d’or du Venezuela au Royaume-Uni, la filiale pétrolière états-unienne CITGO et beaucoup d’autres actifs de l’État vénézuélien sont volés par un fake-président adoubé avec empressement par des présidents comme Emmanuel Macron. Machado fait partie de son clan. Elle applaudit le blocus occidental des aliments et des médicaments : exigeant aux États-Unis de « mettre toute la pression, toutes les sanctions, et l’asphyxie financière totale pour arriver au point de rupture et renverser Maduro » (29), et se prononce publiquement à partir de 2020, en faveur d’une intervention militaire menée par les États-Unis, en invoquant l’activation du traité TIAR.

12. Vingt-cinq ans après l’élection d’Hugo Chávez et le début de la révolution bolivarienne, les États-Unis n’ont pas renoncé à la détruire, en raison de son opposition au néo-libéralisme et à l’impérialisme, de ses alliances multipolaires et de ses politiques visant à mettre les ressources du pays, notamment pétroliers, au service des majorités historiquement exclues. En avril, la commandante générale du Southern Command Laura Richardson visitera Buenos Aires, comme l’a déjà fait le directeur de la CIA William J. Burns, pour y organiser avec le président d’extrême droite Javier Milei, une nouvelle base avancée contre l’axe du mal: Cuba-Venezuela-Nicaragua et bien sûr contre « l’influence croissante des BRICS », lire : de la Chine et de la Russie, en Amérique Latine.

La méthode de Washington est bien connue : faire campagne pour jeter le doute sur l’intégrité du processus électoral de manière à présenter le résultat comme frauduleux, quelles que soient les preuves réelles le jour de l’élection. Le rôle des grands médias est d’invalider la possible élection du favori des sondages, Nicolas Maduro, en installant l’idée qu’une élection sans Machado ne peut être considérée comme légitime. Le 30 janvier, quelques jours après le rejet de son appel par la Cour suprême du Venezuela, Machado a été interviewée par CNN et présentée comme « la principale dirigeante de l’opposition vénézuélienne ». Le Washington Post a titré: «Elle est la tête de liste dans la course pour chasser Maduro. Mais il veut la bloquer».

Le président français Emmanuel Macron s’était ridiculisé en recevant le putschiste d’extrême droite Juan Guaido à l’Élysée comme « président du Venezuela» avant de reconnaitre en 2023 le président élu, Nicolas Maduro. Dénoncé par ses alliés de droite pour sa corruption, Guaido a fui la justice du Venezuela et vit un exil doré aux États-Unis. Après ce désastre diplomatique, le mandataire français est vite retombé dans l’ornière états-unienne en déclarant au Brésil, le 28 mars 2024: «Nous condamnons très fermement l’exclusion d’une candidate très sérieuse et crédible de l’élection présidentielle au Venezuela, nous demandons sa réintégration (…) Nous ne devons pas désespérer aujourd’hui, si je puis dire, mais la situation est grave et s’est détériorée avec la décision qui a été prise.» (30)

Le gouvernement bolivarien a maintenu un principe simple : les forces politiques de toute idéologie peuvent participer aux élections tant qu’elles ne conspirent pas avec des puissances étrangères pour porter atteinte à l’indépendance du Venezuela. Ce principe est pratiqué dans le monde entier. Aux États-Unis par exemple, où le 14ème amendement interdit aux coupables d’insurrection d’exercer une fonction publique. Quand le porte-parole du département d’État états-unien Matthew Miller a critiqué l’inégibilité de Machado, Caracas a répondu : «Votre communiqué montre le vrai visage du propriétaire du cirque qui voudrait délégitimer les prochaines élections présidentielles.» Les autorités du Conseil National Électoral du Venezuela ont également critiqué « l’audace » du Département d’État états-unien à vouloir diriger les élections au Venezuela: «Le CNE ne peut pas assumer la responsabilité de l’inéligibilité de certains individus qui placent leurs intérêts au-dessus de la légalité nationale, se croyant oints par une puissance extérieure ». (31)

La cible prioritaire des médias sont les militant(e)s de gauche. Les menaces occidentales contre les élections présidentielles de juillet 2024 nous rappellent qu’on n’attaque pas le Venezuela parce qu’il est une «dictature» mais parce qu’il faut endiguer l’exemple contagieux de la démocratie de gauche la plus avancée des Amériques, celle où le record en nombre d’élections côtoie le progrès constant de la démocratie participative et des autogouvernements populaires. De même que l’Occident n’a jamais pardonné aux Jacobins noirs d’Haïti de fonder la première république libre des Amériques et fait tout, à la faveur du narco-chaos, pour y renforcer son emprise, les vénézuéliens savent que les États-Unis et l’Europe ne leur pardonneront jamais leurs racines : l’armée de Bolivar servit à libérer de l’esclavage et du joug impérial les peuples latino-américains, jamais à les asservir.

Thierry Deronne, Caracas, 31 mars 2024.

Merci pour leurs contributions à Joao Pedro Stedile, Zoe Pepper, Christian Rodriguez et Maria Luisa Nunez.

Notes :

(1) « Former US President Carter: Venezuelan Electoral System “Best in the World” » https://venezuelanalysis.com/news/7272/

  1. « Les observateurs internationaux saluent la transparence du scrutin » https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/11/23/venezuela-alors-que-les-observateurs-internationaux-saluent-la-haute-transparence-du-scrutin-des-leaders-de-la-droite-appellent-a-tourner-la-page-du-putschisme-de-guaido/
  2. Sur cet accord : « Venezuelan Gov’t, Opposition Resume Dialogue, Establish Electoral Conditions » https://venezuelanalysis.com/news/venezuelan-government-opposition-dialogue/
  3. « Les lois électorales vénézuéliennes sont conçues pour garantir la démocratie en dépit des ambitions personnelles » https://www.counterpunch.org/2024/04/01/venezuelan-election-laws-are-designed-to-guarantee-democracy-despite-personal-ambitions/ et « Une fois de plus, Washington s’immisce dans les élections d’un autre pays » https://b-tornare.overblog.com/2024/04/une-fois-de-plus-washington-s-immisce-dans-les-elections-d-un-autre-pays.html / (en anglais:) https://orinocotribune.com/yet-again-washington-meddles-in-another-nations-election/
  4. Sur les préparatifs de violences et d’attentats : « Venezuela: Authorities Arrest Two María Corina Machado Associates Over Alleged Violent Plot » https://venezuelanalysis.com/news/venezuela-authorities-arrest-two-maria-corina-machado-associates-over-alleged-violent-plot/ Voir aussi :https://twitter.com/latablablog/status/1772381434486866302 / http://www.mp.gob.ve/index.php/2024/03/26/fiscal-general-informo-detencion-de-dos-hombres-armados-cerca-de-tarima-presidencial-en-caracas/ / https://diariovea.com.ve/incendio-en-transaragua-destruyo-112-autobuses-no-se-descarta-sabotaje/
  5. Lire « Les élections présidentielles de 2024 auront le deuxième plus grand nombre de candidats depuis 31 ans » https://operamundi.uol.com.br/politica-e-economia/venezuela-eleicoes-presidenciais-de-2024-terao-2o-maior-numero-de-candidatos-em-31-anos/
  6. Sondages d’Hinterlaces : https://www.hinterlaces.net/monitor-pais-6-de-cada-10-venezolanos-votara-por-el-candidato-del-psuv-en-las-presidenciales/
  7. Les agences de renseignement de Washington confirment une probable victoire de Maduro aux présidentielles : https://es-us.noticias.yahoo.com/agencias-espionaje-eeuu-creen-maduro-204010134.html
  8. Sur les souffrances causées à la population par les mesures coercitives unilatérales (« sanctions ») occidentales : https://venezuelanalysis.com/analysis/on-unilateral-coercive-measures-part-ii-a-conversation-with-alena-douhan/
  9. Témoignage de Mark Weisbrot devant la sous-commission de l’hémisphère occidental, du Peace Corps et des affaires de stupéfiants de la commission des relations extérieures (Sénat), 24 juin 2004 https://www.cepr.net/democracy-venezuela/
  10. Lire le manifeste : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/03/sans-terre-feministes-communistes-syndicalistes-afrodescendantes-les-mouvements-populaires-bresiliens-denoncent-la-desinformation-sur-les-elections-au-venezuela-et-appellent-a-la-solidarite-de/. Les mouvements sociaux de l’ALBA défendent le processus électoral du Venezuela : https://albamovimientos.net/celebramos-la-democracia-defendemos-la-soberania-abrazamos-la-dignidad-del-bravo-pueblo-declaracion-de-apoyo-a-las-elecciones-presidenciales-en-venezuela/
  11. Communiqué de la Présidente du Honduras : https://twitter.com/XiomaraCastroZ/status/1773029865119154681
  12. Communiqué du Ministère des Affaires Étrangères de Bolivie du 30 mars 2024 : https://cancilleria.gob.bo/mre/2024/03/30/14485/
  13. Communiqué du Groupe de Puebla : https://www.grupodepuebla.org/comunicado-del-grupo-de-puebla-sobre-las-elecciones-presidenciales-en-venezuela/
  14. La Jornada : https://www.jornada.com.mx/noticia/2024/04/05/politica/venezuela-y-cuba-tienen-en-contra-a-toda-la-derecha-del-mundo-amlo-4492
  15. Déclarations du Ministère des Affaires Étrangères de la Chine : https://www.fmprc.gov.cn/eng/xwfw_665399/s2510_665401/202403/t20240329_11273709.htm
  16. Rencontre ONU/gouvernement bolivarien : https://twitter.com/yvangil/status/1775641308679307744
  17. https://twitter.com/VTVcanal8/status/1775935543374643471
  18. L’ambassade du Venezuela à Brasilia a demandé une réunion avec le gouvernement de Lula, estimant qu’il ne dispose pas « d’informations claires », et précise que la réunion se déroulera sur le même ton amical que d’habitude. La réunion s’est tenue avec Celso Amorim, conseiller en chef spécial de la présidence de la République au Brésil. Le Président Lula a expliqué à la presse, le 23 avril 2024, que la droite a enfin nommé un candidat unique aux présidentielles de juillet (écartant la putschiste Machado, inéligible), qu’il y aura des observateurs internationaux, que le Brésil en sera volontiers, et redemande aux USA – comme l’ont fait ses homologues colombien et mexicain, de lever les 936 « sanctions » pour favoriser le retour des migrants économiques.
  19. Continuité des relations Colombie/Venezuela : https://twitter.com/venezuelainfos/status/1777828843337679194. Sur la médiation vénézuélienne des négociations entre gouvernement colombien et guérilla : https://venezuela-news.com/eln-gobierno-petro-reuniran-venezuela-avanzar-proceso-paz/
  20. Zoe Pepper et Walter Smolarek, « Venezuela’s election in the crosshairs of new US regime change scheme » https://peoplesdispatch.org/2024/03/15/venezuelas-election-in-the-crosshairs-of-new-us-regime-change-scheme/
  21. Lorenzo Santiago, « Entenda por que Corina Yoris, motivo de discórdia com Brasil, não disputará as eleições da Venezuela », https://www.brasildefato.com.br/2024/04/03/entenda-por-que-corina-yoris-motivo-de-discordia-com-brasil-e-colombia-nao-disputara-as-eleicoes-da-venezuela
  22. Message vidéo de Juan Carlos Monedero : https://twitter.com/i/status/1774041151789527056
  23. Maria Corina Machado aurait pu choisir la troisième option prévue par la loi organique sur les processus électoraux : l’initiative individuelle. Dans ce cas, conformément aux dispositions de l’article 52, elle devait présenter au CNE des signatures de soutien correspondant à 05 % du nombre de votant(e)s enregistrés lors de la dernière élection, afin d’approuver sa candidature. La question est de savoir pourquoi elle ne l’a pas fait, surtout si comme elle l’affirme, elle a obtenu le soutien de plus de 2 millions d’électeurs lors de primaires organisées par son ONG… Voir aussi la déclaration du dirigeant de l’opposition Manuel Rosales : https://twitter.com/manuelrosalesg/status/1773115988612948270
  24. Voir https://twitter.com/elpoliticove/status/1780578535620427818
  25. Pour une « biographie non-autorisée » de Maria Corina Machado : https://twitter.com/latablablog/status/1773758289341280369
  26. Ce coup d’État est raconté dans le documentaire passionnant de Kim Bartley : « La révolution ne sera pas télévisée » (VO STF) : https://t.co/ieL3lUMVbQ
  27. « Ils ont brûlé vif mon fils parce qu’il était noir et chaviste », https://venezuelainfos.wordpress.com/2019/05/19/ils-ont-brule-vif-mon-fils-parce-quil-etait-noir-et-chaviste/
  28. Message audio de Maria Corina Machado : https://twitter.com/yvangil/status/1777086443879379106
  29. Déclaration d’Emmanuel Macron au Brésil : https://www.france24.com/es/francia/20240328-macron-culmina-su-visita-a-brasil-qu%C3%A9-acord%C3%B3-el-presidente-franc%C3%A9s-con-lula-da-silva. Sur l’histoire incroyable de Juan Guaido et les fourvoiements de Macron et de son ambassadeur à Caracas, on lira l’excellent «thriller» du journaliste Maurice Lemoine : « Juanito roi de la vermine », Le Temps des Cerises éditeur, 2023 https://www.amazon.fr/Juanito-vermine-Roi-du-Venezuela/dp/2370712759
  30. « Le Venezuela rejette l’intervention extérieure et la campagne de délégitimation du processus électoral » : https://venezuelanalysis.com/news/venezuela-rejects-foreign-interference-in-elections-denounces-us-delegitimization-campaign/

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/01/venezuela-douze-points-sur-les-i-delections-presidentielles/

Jemima Pierre : « L’Occident a encore peur des Noirs d’Haïti ». A propos du « laboratoire impérialiste » dénoncé par le Venezuela.

Au début du mois de mars 2024, devant les chefs d’État de la CELAC réunis à Kingstown (Saint-Vincent-et-les-Grenadines), le président vénézuélien Nicolás Maduro a dénoncé les nouvelles menaces qui pèsent sur le peuple haïtien : « Nous ne sommes pas d’accord avec une invasion, qu’elle soit ouverte ou camouflée. La solution, c’est que l’Amérique latine et les Caraïbes accompagnent, aident Haïti à suivre sa propre voie et à mettre en œuvre son propre modèle, à reconstruire son propre État, ses propres institutions, et renouer avec toutes les formes de coopération comme le programme de pétrole à bas prix PetroCaribe lancé par Chávez. ». Trois jours plus tard, à Caracas, il a poursuivi : « Combien d’interventions militaires les États-Unis ont-ils menées en Haïti ? Lorsque la renaissance du peuple haïtien s’est produite au début de ce siècle, nous nous sommes réveillés avec la nouvelle qu’un avion états-unien avait emmené, après l’avoir kidnappé, le président Aristide hors de son pays. Haïti a été démembré, martyrisé par l’interventionnisme impérialiste, ils l’ont détruit de l’intérieur. On parle aujourd’hui d’un soulèvement de gangs criminels. Mais qui les a dotés de tous ces fusils ? Ces armes sont venues massivement des États-Unis. À qui profite le chaos ? Qui veut une invasion ? Ce qui se passe en Haïti, ils l’ont tenté ici au Venezuela lors des déstabilisations de l’extrême droite, et veulent le refaire ici en cette année électorale… Le narco-chaos est une nouvelle forme de domination. »

« Guerre de gangs, spirale de la violence »… Le « présentisme » des médias sert à cacher l’intervention états-unienne contre Haïti. Nous publions ci-dessous l’analyse de la professeure haïtienne d’anthropologie Jemima Pierre qui dévoile le « laboratoire impérialiste » dénoncé par Cuba et par le Venezuela.

Si votre connaissance d’Haïti provient uniquement des médias occidentaux, vous pourriez être pardonné de croire aux affirmations suivantes :
« Haïti, un « État en faillite » envahi par la « violence des gangs », ne peut retrouver sa stabilité que par l’invasion d’une force militaire étrangère. »
« Haïti a un gouvernement souverain qui a l’autorité légale de demander une invasion militaire du pays pour « combattre les gangs. »
« Les États-Unis, en poussant le Kenya et les pays du CARICOM à mener une invasion armée étrangère en Haïti, agissent avec les meilleures intentions en Haïti et s’engagent à garantir la paix et la stabilité en Haïti et dans la région des Caraïbes. »
« La CARICOM agit en solidarité avec le peuple haïtien et soutient la souveraineté haïtienne. »

Aucune de ces déclarations n’est vraie. En fait, elles contribuent à obscurcir non seulement les motivations qui sous-tendent les récents appels à une intervention étrangère en Haïti, mais aussi la nature de la réalité politico-économique actuelle d’Haïti et l’histoire qui a permis à ce pays d’en arriver là. La répétition et la saturation de ces affirmations dans les médias, même dans la région des Caraïbes, a dupé une grande partie du monde en l’amenant à applaudir une intervention militaire étrangère en Haïti. La vérité est que, sous couvert d’aider Haïti, la souveraineté et l’indépendance de ce pays sont en fait en train d’être étouffées.

Que se passe-t-il donc en Haïti ? Pourquoi les États-Unis font-ils pression pour une nouvelle invasion militaire étrangère en Haïti ? Pourquoi les pays du CARICOM leur apportent-ils leur aide ? Plus important encore, pourquoi les États-Unis accordent-ils autant d’attention à la situation en Haïti ?

Comprendre ce qui se passe en Haïti, c’est comprendre à quel point l’agression impériale, occidentale, contre le peuple haïtien et la souveraineté haïtienne a été et reste constante. Cette agression se traduit par le fait qu’Haïti est actuellement sous occupation étrangère, et ce depuis vingt ans. Il ne s’agit pas d’une exagération. La seule solution à la crise actuelle en Haïti est la fin de l’occupation étrangère actuelle.
En 2004, Haïti a célébré le bicentenaire de son indépendance. La même année, l’indépendance d’Haïti a été contrecarrée par des puissances étrangères. Un an plus tôt, la France, le Canada et les États-Unis ont ourdi un complot lors des réunions de l' »Initiative d’Ottawa sur Haïti » pour renverser le gouvernement élu d’Haïti. Au petit matin du 29 février 2004, le complot s’est déroulé. Ce matin-là, le président Jean-Bertrand Aristide a été enlevé par des marines états-uniens et envoyé sur une base militaire en République centrafricaine. Ce jour-là, George W. Bush a annoncé qu’il envoyait des forces militaires en Haïti pour « aider à stabiliser le pays » et, dans la soirée, deux mille soldats états-uniens, français et canadiens étaient sur le terrain. La CARICOM, sous la direction du premier ministre jamaïcain P. J. Patterson, protesta vigoureusement contre le coup d’État.

La force d’invasion franco-américano-canadienne a ciblé et tué les partisans d’Aristide, a supervisé l’installation d’un premier ministre fantoche et a permis la formation d’une force paramilitaire qui a mis en place des escadrons de la mort anti-Aristide. Le coup d’État a ensuite été blanchi par les Nations Unies qui, sous la direction des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, les États-Unis et la France, ont voté l’envoi d’une mission de « maintien de la paix » en Haïti. La mission a été déployée dans le cadre d’un mandat « chapitre 7 » permettant aux soldats étrangers d’utiliser toute la force contre la population.L’ONU a pris le relais des forces états-uniennes et a créé la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), chargée de l’occupation militaire sous le couvert de « l’instauration de la paix et de la sécurité. »
Opération de plusieurs milliards de dollars, la MINUSTAH comptait, à tout moment, entre 6.000 et 12.000 militaires et policiers stationnés en Haïti, ainsi que des milliers de civils. L’aile militaire de la mission MINUSTAH était dirigée par le Brésil, qui fournissait la plus grande partie des soldats.Toutefois, cette force d’occupation militaire multinationale comprenait également des soldats de plusieurs pays des Caraïbes, d’Amérique du Sud et d’Afrique, dont l’Argentine, le Chili, la Colombie, la Jamaïque, la Grenade, le Bénin, le Burkina Faso, l’Égypte, la Côte d’Ivoire, le Nigeria, le Rwanda, le Sénégal, la Guinée, le Cameroun, le Niger et le Mali.

L’occupation de l’ONU sous la MINUSTAH a été marquée par sa brutalité à l’égard du peuple haïtien. Des civils ont été attaqués et assassinés. Des « soldats de la paix » ont commis des crimes sexuels.Les soldats de l’ONU ont déversé des déchets humains dans les rivières utilisées pour l’eau potable, déclenchant une épidémie de choléra qui a tué entre 10 000 et 40 000 personnes. L’ONU n’a jamais été tenue responsable de ces crimes contre le peuple haïtien.
L’occupation a été renforcée par la création et l’opérationnalisation du Core Group. Le Core Group est un groupe non élu d’étrangers originaires du Brésil, du Canada, de France, d’Espagne, des États-Unis et d’Allemagne qui s’est autoproclamé arbitre de la politique haïtienne. Ni neutre ni passif, le Core Group joue un rôle actif et interventionniste dans les affaires politiques quotidiennes d’Haïti. Il s’est efforcé d’étendre et de protéger les intérêts économiques étrangers en Haïti. Il n’a cessé d’intervenir dans les affaires politiques souveraines d’Haïti, souvent sans la collaboration ou le consentement du gouvernement haïtien.

On prétend que cette occupation a officiellement pris fin en 2017 avec le retrait officiel de la mission MINUSTAH. Pourtant, l’ONU est restée en Haïti par l’intermédiaire d’un nouveau bureau avec un nouvel acronyme : BINUH, le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti. Haïti est actuellement dirigé par un groupe d’étrangers non haïtiens, le Core Group et le bureau BINUH, ceux-là mêmes qui sont responsables de la destruction de sa démocratie.

L’occupation du Core Group est à l’origine de la situation difficile dans laquelle se trouve actuellement le pays. Les forces d’occupation ont supervisé l’effondrement complet de l’État haïtien tout en permettant à un groupe d’étrangers malhonnêtes – pays et entreprises, organisations non gouvernementales et multinationales – de reprendre les fragments brisés de l’économie politique haïtienne, en grande partie pour servir des intérêts étrangers. En fait, c’est sous cette occupation que les États-Unis et leurs alliés, la France et le Canada, ont installé le néo-duvaliériste Michel Martelly en 2011, au lendemain du tremblement de terre de 2010 ; le successeur de Martelly, Jovenel Moïse, en 2016 ; et l’actuel Premier ministre de facto non élu, Ariel Henry, après l’assassinat de Moïse en 2021.

Sous l’occupation du Core Group, la vie de l’Haïtien moyen s’est détériorée. Mais il faut aussi être clair : le peuple haïtien n’a pas pris l’occupation à la légère (1). L’un des aspects les moins médiatisés de la « crise » actuelle en Haïti est la protestation continue du peuple haïtien contre l’occupation et pour l’autodétermination. Le peuple a manifesté par centaines de milliers en 2004 après la destitution d’Aristide par les États-Unis, la France et le Canada. Il a protesté contre l’imposition d’un autre président illégitime, Jovenel Moïse, en 2015 et 2016. Ils ont protesté contre la corruption du parti politique de Martelly et Moïse, le PHTK, imposé par les États-Unis, en 2018 et 2019. Et ils ont protesté contre le premier ministre non élu et installé de facto par les États-Unis, Ariel Henry.

Depuis plus de deux ans maintenant, les États-Unis font pression pour un renforcement de la présence militaire en Haïti et ont protégé le gouvernement fantoche d’Ariel Henry, non élu et impopulaire, jusqu’à sa démission récente. Ils ont protégé ce gouvernement afin de continuer à contrôler Haïti. En fait, les gouvernements fantoches d’Haïti ont bien servi les États-Unis. Par exemple, c’est Ariel Henry qui a imposé la suppression des subventions au carburant pour la population, soutenue par le FMI, que les États-Unis préconisent depuis des années et qui a plongé le peuple haïtien dans une pauvreté encore plus grande.
Aujourd’hui, les États-Unis ont besoin de maintenir leur contrôle sur Haïti car le pays est stratégiquement important pour leurs objectifs géopolitiques – la poursuite de la militarisation de la région des Caraïbes et de l’Amérique latine en préparation de leur confrontation avec la Chine et la mise en œuvre de la loi sur les fragilités globales (Global Fragilities Act). Pourtant, les États-Unis ne sont pas disposés à poser leurs propres bottes sur le terrain, et se tournent d’abord vers le Canada, puis vers le Brésil, puis vers les pays de la CELAC et de la CARICOM, tous réticents à mener la mission, même s’ils ont soutenu l’appel à l’intervention militaire. Le gouvernement kenyan de William Ruto a sauté sur l’occasion de mener l’intervention, acheté par un sac d’argent et une tape d’approbation sur leur tête néolibérale. Haïti va maintenant être envahi par les États-Unis, mais avec la « face noire » du Kenya et des pays de la CARICOM comme couverture.

Les citoyens du Kenya et des pays du CARICOM ont-ils demandé à leurs gouvernements pourquoi les États-Unis, le Canada ou la France n’enverraient pas leurs propres soldats pour envahir et occuper Haïti cette fois-ci ? Les citoyens de ces pays ont-ils considéré que le « Premier ministre » de facto non élu, Ariel Henry (aujourd’hui démissionnaire, NdT), n’a aucune base légale pour appeler à une invasion étrangère d’Haïti ? Les citoyens de ces pays se sont-ils demandé se sont-ils demandé pourquoi les États-Unis ou l’ONU n’appellent pas à l’invasion armée d’un pays comme l’Équateur, où des gangs brutaux ont assiégé le pays, ou la Jamaïque, où l’état d’urgence est quasi permanent, ou les États-Unis eux-mêmes, où des fusillades de masse sont perpétrées chaque jour ? Les citoyens de ces pays se sont-ils demandé pourquoi les États-Unis ou les Nations unies n’appellent pas à l’invasion armée d’Israël, qui commet un génocide ?

Pourquoi Haïti ?

On nous dit que l’intérêt des États-Unis pour Haïti est humanitaire, que les États-Unis veulent protéger le peuple haïtien des « gangs criminels ». Pourtant, les armes états-uniennes ont inondé Haïti et les États-Unis ont constamment rejeté les appels à l’application effective de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU pour un embargo sur les armes contre les élites haïtiennes et états-uniennes qui importent des armes dans le pays. En outre, lorsque nous parlons de « gangs », nous devons reconnaître que les gangs les plus puissants du pays sont des filiales des États-Unis eux-mêmes : le Bureau intégré des Nations unies (BINUH) et le Core Group, les deux entités coloniales qui ont effectivement dirigé le pays depuis le coup d’État de 2004. C’est ce gang, le Core Group et son Premier ministre installé, Henry, qui, avec le bureau de l’ONU en Haïti, insiste sur cette solution violente à la crise dans le pays – une crise qu’ils ont eux-mêmes contribué à créer.

Alors qu’Haïti est confronté à une nouvelle invasion – cette fois-ci menée nominalement par le Kenya et les pays du CARICOM – je voudrais demander à la communauté caribéenne de réfléchir au vaste arsenal dont dispose l’empire états-unien pour convaincre le reste du monde d’accepter volontiers une nouvelle attaque contre la souveraineté haïtienne. Je voudrais également demander à la communauté caribéenne de prendre en considération le fait qu’une grande partie de ce que nous entendons sur Haïti aujourd’hui est une déformation – ou une fabrication pure et simple – de la réalité sociale et politique d’Haïti.

Document ci-dessus : Le 13 mars, le Southern Command déploie une unité d’élite des Marines des États-Unis à Port-au-Prince, en Haïti.

La plupart d’entre eux manquent de contexte historique, en particulier lorsqu’il s’agit de l’ingérence incessante des agents et institutions étrangers, pour comprendre la situation haïtienne. Elle repose en grande partie sur un racisme profond qui présume que les Noirs sont ingouvernables tout en s’opposant aux implications de l’engagement historique d’Haïti en faveur de la liberté des Noirs.
Dans le même temps, les protestations continues de la communauté haïtienne contre les troupes étrangères et l’ingérence occidentale témoignent de son courage inébranlable. Haïti est le théâtre de l’une des plus longues luttes au monde pour la libération des Noirs et l’indépendance anticoloniale. Cela explique l’assaut réactionnaire constant de l’empire états-unien contre le peuple haïtien, punissant ses tentatives répétées de souveraineté par des décennies d’instabilité destinées à garantir et à étendre l’hégémonie des Etats-Unis. Depuis deux siècles, la contre-insurrection impériale contre Haïti vise à mettre fin à l’expérience révolutionnaire la plus ambitieuse du monde moderne. Les tactiques déployées pour attaquer la souveraineté haïtienne ont été cohérentes et persistantes.

Alors que Linda Thomas-Greenfield, l’ambassadrice des États-Unis auprès des Nations Unies, était au Guyana le week-end dernier, en partie pour « continuer à rallier le soutien mondial à la mission multinationale de soutien à la sécurité (MSS) en Haïti », nous devons nous demander pourquoi les dirigeants de la CARICOM veulent participer à la destruction de la souveraineté et du peuple haïtiens. Et nous devons nous rappeler que la « crise » en Haïti a été créée et entretenue par les États-Unis et leurs alliés. Les pays de la CARICOM doivent s’opposer à l’occupation étrangère d’Haïti et ne pas prolonger la crise.

Après la démission d’Ariel Henry, les États-Unis sont en train de créer le nouveau « gouvernement » d’Haïti en donnant à leurs protégés de la bourgeoisie haïtienne de 24 à48 heures pour envoyer des noms à un « conseil présidentiel » dont la première priorité est de préparer le pays à une intervention armée étrangère.

Tout Haïtien participant à cette mascarade est un traître.

Jemima Pierre

L’auteure : D’origine haïtienne, Jemima Pierre est professeure d’anthropologie à l’UCLA, à l’Institut de justice sociale de l’université de Colombie-Britannique et associée de recherche au Centre d’étude de la race, du genre et de la classe sociale de l’université de Johannesburg. Coordinatrice pour Haïti/Amériques de l’Alliance Noire pour la Paix (Black Alliance for Peace)

Note:

(1) Lire https://venezuelainfos.wordpress.com/2019/02/17/la-revolution-qui-progresse-en-haiti-est-directement-liee-a-celle-du-venezuela/

Source : https://www.stabroeknews.com/2024/02/26/features/in-the-diaspora/why-is-caricom-betraying-haiti-on-behalf-of-the-u-s/

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/03/13/jemima-pierre-loccident-a-encore-peur-des-noirs-dhaiti-a-propos-du-laboratoire-imperialiste-denonce-par-le-venezuela/

Venezuela : les sept grandes transformations

Photo: Les présidents Lula et Maduro, le 2 mars 2024, à Kingstown (Saint-Vincent-et-les-Grenadines) pour le Sommet de la CELAC (Communauté des États latino-américains et des Caraïbes)

Depuis toujours, le président Lula est harcelé par le pouvoir médiatique au sujet du Venezuela, mais, contrairement à la gauche occidentale, il ose résister. Lors d’une conférence de presse avec son homologue espagnol Pedro Sanchez le 5 février à Brasilia, il a salué la décision du pays voisin de fixer la date des élections présidentielles au 28 juillet 2024 (fruit d’un dialogue de 97% des partis politiques et des acteurs de la société vénézuélienne). Élections, a-t-il rappelé, qui auront lieu en présence des observateurs internationaux (1). Le président du Brésil a conseillé de « cesser de pleurer » à la militante d’extrême droite Maria Corina Machado (liée au Likoud et aux déstabilisations violentes contre Chávez et Maduro), inéligible pour complicité de corruption avec Juan Guaido. Il lui a suggéré de laisser la droite choisir un autre candidat qu’elle. Un pied-de-nez aux États-Unis qui veulent l’imposer à tout prix.

Photo : Accord de « partenariat opérationnel » sur des thèmes comme « géopolitique et sécurité » entre deux partis d’extrême droite, le « Vente » vénézuélien de Maria Corina Machado, et le Likoud israélien.

Cette désobéissance aux injonctions des pouvoirs médiatique et impérial ne date pas d’aujourd’hui. Lula a déjà qualifié d’« excès de liberté » le record en nombre de scrutins organisés par le Venezuela depuis la révolution. En ce qui concerne le putschiste d’extrême droite Juan Guaido, lié à plusieurs tentatives de coups d’État, il avait déclaré qu’« avec tout ce qu’il a fait, il aurait dû aller en prison » (2). À noter qu’en 2012 Jimmy Carter qualifia le système électoral vénézuélien de « meilleur du monde » (3) et que les dernières élections, en 2021, ont été validées par l’ensemble des observateurs internationaux (4).

Mais au-delà de cette ligne de la lutte politique classique, « obligée », d’une démocratie représentative face aux pouvoirs de facto que sont les pouvoirs économique et militaire impériaux (blocus des USA, agressions paramilitaires et déstabilisations), ou le pouvoir médiatique (faire passer le Venezuela pour une dictature, l’isoler sur le plan mondial), la révolution bolivarienne travaille sur une deuxième ligne, stratégique, qui est son véritable objectif (et qui indiffère les médias) : poursuivre la refonte de l’État sur les bases du pouvoir direct des citoyen(ne)s, de l’économie productive diversifiée pour sortir de la dépendance du pétrole, de la justice sociale, de l’écosocialisme et de la participation au monde multipolaire.

Après un vaste processus de participation et de délibération populaires, le gouvernement bolivarien a approuvé le 26 février 2024 le Plan des sept transformations (7T). Il s’agissait avant tout d’une application du « pouvoir populaire en action », la forme politique constitutive du processus révolutionnaire bolivarien : plus de 60.000 assemblées communautaires, organisées dans tout le Venezuela selon la méthode de la Consultation, du Débat et de l’Action (CDA), ont discuté, intégré et finalisé le plan des 7T, jusqu’à son approbation finale dans ce que le président lui-même, Nicolás Maduro, a défini comme le moteur de la construction collective du socialisme en vue du développement du pays. La stratégie 7T couvre en fait tous les secteurs, les sphères économique, politique, sociale, environnementale, de paix et de sécurité.

Ces sept transformations sont les suivantes :

Transformation économique : modernisation des méthodes et des techniques de production, dans le but de consolider la diversification économique pour créer un nouveau modèle d’exportation.

Indépendance intégrale : actualisation et élargissement de la doctrine bolivarienne dans ses dimensions politique, culturelle, éducative, scientifique et technologique, dans le sens de l’autodétermination.

Consolidation de la paix et de la sécurité des citoyens : perfectionnement du modèle de coexistence civique, garantie de la justice, des droits humains et de la préservation de la paix.

Protection sociale : accélérer la consolidation, face aux conséquences dramatiques de la guerre économique, de l’État-providence, des missions bolivariennes, qui sont l’une des « valeurs » du Venezuela bolivarien.

Repolitisation : le blocus et ses effets sociaux (migrations, lutte pour la survie, ainsi que le surgissement de la nouvelle génération travaillée par les réseaux sociaux du capitalisme) rendent prioritaire la nécessité de renouveler la centralité de la dimension politique, et de consolider la démocratie participative et directe, qui est une autre des caractéristiques du processus bolivarien. Au début de 2024, le président Maduro a demandé à ses ministres « d’accélérer le transfert du pouvoir politique aux organisations populaires ».

Écologie : lutter contre la crise climatique, sensibiliser et protéger la population de l’impact environnemental, protéger l’Amazonie et les réserves naturelles face aux destructions telles que l’orpaillage. Plusieurs actions des forces armées ont permis de démanteler des réseaux extractivistes clandestins qui détruisaient et empoisonnaient les parcs naturels du sud du pays.

Géopolitique multipolaire : positionner le Venezuela dans la nouvelle configuration mondiale, à la fois en relançant l’intégration latino-américaine et caribéenne et en participant aux grandes stratégies de développement de la zone des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Le Venezuela a d’ailleurs formalisé sa demande d’adhésion aux BRICS lors du sommet de Johannesburg.

Photo : durant sa cinquième visite en Chine du 8 au 14 septembre 2023, qui a porté les relations bilatérales au plus haut niveau – « de tous temps et à toute épreuve » que la Chine réserve aux alliés stratégiques -, le Président Maduro s’est également entretenu avec le directeur général du Centre international de réduction de la pauvreté de Chine, Liu Junwen (5).

La stratégie de ces sept transformations s’inscrit dans un cadre stratégique plus large visant, comme l’a rappelé Maduro lui-même, à « accélérer la transition d’une économie dépendante du pétrole à une économie qui vise un processus de croissance bien au-delà du pétrole, qui vise à satisfaire d’abord les besoins matériels du pays ». En effet, le pétrole reste la principale source de richesse du Venezuela, et c’est pour cette raison qu’il est le secteur le plus directement visé par les mesures coercitives (unilatérales et illégitimes) imposées par les États-Unis.

Les « sanctions » contre l’industrie pétrolière vénézuélienne imposées par les États-Unis ont fait chuter la production d’environ trois millions de barils de pétrole par jour (2010) à 500 000 (2020). Ce déclin a entraîné une chute de 95% des ressources de l’État. En visite récemment au Venezuela, le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, Michael Fakhari, a déclaré que « les mesures coercitives unilatérales sous forme de sanctions économiques ont limité fortement la capacité à mettre en œuvre des programmes de protection sociale et à fournir des services publics de base ».

C’est pourquoi, avec le plan 7T, la diversification économique et productive prend une dimension centrale. Un « Agenda économique bolivarien » a été défini, divisé en dix-huit moteurs productifs : agroalimentaire ; pharmaceutique ; industrie ; exportations ; économie municipale, sociale et socialiste ; hydrocarbures ; pétrochimie ; mines ; tourisme ; construction ; sylviculture ; défense ; télécommunications et technologies de l’information ; banque ; industries de base, stratégiques et socialistes ; automobile ; crypto-monnaies ; et entreprenariat productif. L’objectif est la construction d’un modèle économique renouvelé, basé sur la diversification de la production et suivant une orientation socialiste.

06.03.24 – Gianmarco Pisa / Venezuelainfos

Notes :

  1. Le Centre National Électoral du Venezuela a invité la CELAC, la Communauté des Caraïbes (CARICOM), l’Union interaméricaine des organisations électorales (UNIORE), le Groupe d’experts des Nations Unies, l’Union africaine, l’Union européenne et le Centre Carter : https://venezuela-news.com/cne-anuncia-convocatoria-de-observacion-internacional/
  2. https://venezuelainfos.wordpress.com/2020/04/09/lex-president-lula-maduro-est-un-leader-democratique-guaido-devrait-etre-en-prison-le-blocus-etats-unien-tue-des-civils/
  3. https://venezuelanalysis.com/news/7272/
  4. https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/11/23/venezuela-alors-que-les-observateurs-internationaux-saluent-la-haute-transparence-du-scrutin-des-leaders-de-la-droite-appellent-a-tourner-la-page-du-putschisme-de-guaido/
  5. https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/09/13/les-relations-sino-venezueliennes-a-un-niveau-historique/

Références:

Gabriel Ovalles, Las 7 Transformaciones: rumbo al desarrollo del país, Ministerio del Poder Popular para el Proceso Social de Trabajo, 19.02.2024: www.mpppst.gob.ve/mpppstweb/index.php/2024/02/19/rumbo-al-desarrollo-del-pais

Lucas Estanislau, Com Zonas Econômicas Especiais, Venezuela quer superar bloqueio e dependência petroleira, Brasil de Fato, 10.07.2022: www.brasildefato.com.br/2022/07/10/com-zonas-economicas-especiais-venezuela-quer-superar-bloqueio-e-dependencia-petroleira

Prensa MPP- Despacho (ICA 21.09.2023), “Presidente Maduro insta a revisar y evaluar los 18 motores de la Agenda Económica Bolivariana”, 21.09.2023:

www.presidencia.gob.ve/Site/Web/Principal/paginas/classMostrarEvento3.php?id_evento=25229

TeleSUR – MS, “Venezuela aprueba el Plan de las Siete Transformaciones”, 27.02.2024: www.telesurtv.net/news/venezuela-aprueba-el-plan-de-las-siete-transformaciones-20240227-0001.html

Redazione, “Il relatore speciale delle Nazioni Unite chiede la revoca delle sanzioni contro il Venezuela”, l’AntiDiplomatico, 15.02.2024:

www.lantidiplomatico.it/dettnews-il_relatore_speciale_delle_nazioni_unite_chiede_la_revoca_delle_sanzioni_contro_il_venezuela/45289_53045

Source de cet article : https://www.pressenza.com/fr/2024/03/venezuela-les-sept-grandes-transformations/

Merci à Bernard Tornare https://b-tornare.overblog.com/

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/03/08/venezuela-les-sept-grandes-transformations/

L’aube se lève partout et le monde se réveille

Sheroanawe Hakihiiwe (Venezuela), Hema ahu (Toile d’araignée avec rosée le matin), 2021.

Chers amis,

Salutations du bureau de Tricontinental, Institut de recherche sociale.

Le 2 février 2024, le peuple vénézuélien a célébré le vingt-cinquième anniversaire de la révolution bolivarienne. Ce jour-là, en 1999, Hugo Chávez a pris ses fonctions de président du Venezuela et a entamé un processus d’intégration latino-américaine qui, en raison de l’intransigeance des États-Unis, s’est accéléré pour se transformer en un processus anti-impérialiste. Le gouvernement de Chávez, conscient qu’il ne serait pas en mesure de gouverner au nom du peuple et de répondre à ses besoins s’il restait lié à la Constitution de 1961, a oeuvré à une démocratisation de plus en plus avancée. En avril 1999, un référendum a été organisé pour établir une Assemblée constituante, chargée de rédiger une nouvelle constitution ; en juillet 1999, 131 députés ont été élus à l’Assemblée ; en décembre 1999, un autre référendum a été organisé pour ratifier le projet de constitution ; enfin, en juillet 2000, des élections générales ont été organisées sur la base des règles établies dans la Constitution nouvellement adoptée. Si je me souviens bien, il pleuvait à verse le jour où la nouvelle constitution a été soumise au peuple. Néanmoins, 44 % de l’électorat s’est rendu aux urnes lors du référendum, et une écrasante majorité de 72 % a choisi un nouveau départ pour le pays.

En vertu de la nouvelle constitution, l’ancienne Cour suprême du Venezuela – que l’oligarchie du pays avait utilisée comme mécanisme pour empêcher tout changement social majeur – a été remplacée par le Tribunal suprême de justice (Tribunal Supremo de Justicia) ou TSJ. Au cours du dernier quart de siècle, le TSJ a été perturbé par plusieurs controverses, en grande partie dues à des interventions de l’ancienne oligarchie, qui a refusé d’accepter les changements majeurs impulsés par Chávez dans ses premières années. En effet, en 2002, les juges du TSJ ont acquitté les chefs militaires qui avaient tenté un coup d’État contre Chávez, décision qui a indigné la majorité des Vénézuéliens. Cette ingérence permanente a finalement conduit à l’élargissement de la magistrature (comme l’avait fait le président étasunien Franklin D. Roosevelt en 1937 pour des raisons similaires) ainsi qu’à un contrôle législatif accru sur le pouvoir judiciaire, comme c’est le cas dans la plupart des sociétés modernes (comme aux États-Unis, où le contrôle des tribunaux par le Congrès est institutionnalisé par des instruments tels que la « clause d’exception »). Néanmoins, ce conflit sur le TSJ a fourni une première arme à Washington et à l’oligarchie vénézuélienne pourt tenter de délégitimer le gouvernement Chávez.

Oswaldo Vigas (Venezuela), Alacrán (Le Scorpion), 1952.

En 2024, le nombre de personnes qui se rendront aux urnes dans le monde sera supérieur à celui de toutes les années précédentes. Environ soixante-dix pays, représentant collectivement près de la moitié de la population adulte mondiale, ont déjà tenu des élections ou en tiendront cette année. Parmi eux figurent l’Inde, l’Indonésie, le Mexique, l’Afrique du Sud, les États-Unis et le Venezuela, dont les élections présidentielles sont prévues au second semestre de cette année. Bien avant que le gouvernement vénézuélien ne proclame la date des élections, l’opposition d’extrême droite du pays avec le gouvernement étasunien avaient déjà entrepris d’intervenir, tentant de délégitimer les élections et de déstabiliser le pays en rétablissant des sanctions financières et commerciales. Au cœur du conflit actuel se trouve le TSJ qui, le 26 janvier 2024, a refusé d’annuler une décision de juin 2023 visant à inhabiliter la personnalité politique d’extrême droite María Corina Machado – impliquée dans le réseau de corruption de Juan Guaido, qui a appelé à des sanctions contre son propre pays et à une intervention militaire des États-Unis contre le Venezuela –et la déclarer inéligible au Venezuela au moins jusqu’en 2029, voire 2036. Dans le cadre de la procédure, le TSJ s’est penché sur le cas de huit personnes qui s’étaient vu interdire d’exercer une fonction publique pour diverses raisons. Six d’entre elles ont été réhabilitées, et deux, dont Machado, ont vu leur déchéance confirmée.

Washington a crié secours miséricorde suite à la décision du TSJ. Quatre jours après la décision du tribunal, le porte-parole du département d’État, Matthew Miller, a publié un communiqué de presse dans lequel il déclarait que les États-Unis désapprouvaient « l’exclusion des candidats » aux élections présidentielles et qu’ils allaient donc sanctionner le Venezuela. Les États-Unis ont immédiatement révoqué la licence générale 43, une licence du Trésor qui avait permis à la société d’extraction d’or du secteur public vénézuélien Minerven d’effectuer des transactions commerciales normales avec des personnes et entités étasuniennes. En outre, le département d’État a averti que si le gouvernement vénézuélien n’autorisait pas Mme Machado à se présenter aux élections de cette année, il ne renouvellerait pas la licence générale 44 qui permet au secteur pétrolier et gazier vénézuélien de mener des activités normales et qui expire le 18 avril. Plus tard dans la journée, Miller a déclaré à la presse : « en l’absence d’un changement de ligne de la part du gouvernement, nous laisserons expirer cette licence générale et nos sanctions reprendront ».

Elsa Gramcko (Venezuela), R-33 « R-33  Todo comienza aqui, tout commence ici », 1960.

La Charte des Nations Unies (1945) permet au Conseil de sécurité d’autoriser des sanctions en vertu de l’article 41 du chapitre VII. Elle souligne toutefois que ces sanctions ne peuvent être mises en œuvre que par le biais d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. C’est pourquoi les sanctions étasuniennes contre le Venezuela, imposées pour la première fois en 2005 et aggravées depuis 2015, sont illégales. Comme l’a écrit la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les mesures coercitives unilatérales, Alena F. Douhan, dans son rapport de 2022, ces mesures unilatérales sont susceptibles d’entraîner une conformité excessive et des sanctions indirectes résultant de la peur des pays et entreprises d’être punis par les États-Unis. Les mesures illégales imposées par les États-Unis ont entraîné des dizaines de milliards de dollars de pertes depuis 2015 et ont servi de punition collective contre la population vénézuélienne (forçant plus de six millions de citoyens à quitter le pays). En 2021, le gouvernement vénézuélien a formé le Groupe d’amis pour la défense de la Charte des Nations Unies pour rassembler les pays voulant préserver l’intégrité de la Charte et s’opposer à l’utilisation de ce type de mesures violentes, unilatérales et illégales. Les échanges commerciaux entre les membres de ce groupe ont augmenté, et bon nombre d’entre eux (en particulier la Russie et la Chine) ont fourni au Venezuela des alternatives au système financier et commercial dominé par les États-Unis et leurs alliés.

Jacqueline Hinds (Barbade), Le sacrifice des bâtisseurs du canal de Panama, 2017.

Le mois dernier, Tricontinental, Institut de Recherche Sociale a publié une étude historique, Hyper-Imperialism, et un dossier, The Churning of the Global Order, dans lesquels nous analysons le déclin de la légitimité du Nord global, le nouvel état d’esprit du Sud global et les mécanismes violents utilisés par les pays du Nord pour s’accrocher désespérément à leur pouvoir. L’année dernière à Bridgetown, à la Barbade, une rencontre, parrainée par le Mexique et la Norvège, s’est tenue entre les gouvernements des États-Unis et du Venezuela qui ont signé l’Accord de la Barbade. Selon les termes de cet accord, le Venezuela devait permettre que la disqualification de certains candidats de l’opposition soit contestée devant le TSJ et les États-Unis devaient commencer à lever leur embargo contre le Venezuela. Il s’agit d’un accord que les États-Unis ont signé non pas en position de force, mais en raison de l’isolement auquel ils sont confrontés par rapport à l’OPEP+ (composée de pays du Sud qui, en 2022, représentaient 59 % de la production mondiale de pétrole) et de leur incapacité à affirmer pleinement leur autorité sur l’Arabie saoudite. Pour tenter de relever ces défis, les États-Unis ont cherché à ramener le pétrole vénézuélien sur le marché mondial. Après avoir refusé de participer aux conditions fixées par l’Accord de la Barbade, Mme Machado a contesté sa disqualification devant le TSJ, dont elle prétendait honorer l’autorité. Mais lorsque le verdict lui a été défavorable, Machado et les États-Unis ont puisé dans leur boîte à outils et ont constaté qu’il ne leur restait que la force : retour aux sanctions et retour à la menace d’une intervention militaire. Le ministre vénézuélien des Affaires étrangères, Yvan Gil, a qualifié la réaction étasunienne d’« interventionnisme néocolonial ».

Le retour de Washington aux sanctions intervient alors que l’Associated Press a publié un rapport basé sur une note secrète du gouvernement étasunien datant de 2018 et qui prouve que les États-Unis ont envoyé des espions au Venezuela pour cibler le président Nicolás Maduro, sa famille et ses proches alliés. Wes Tabor, ancien responsable de la Drug Enforcement Agency des États-Unis, a déclaré à l’Associated Press : « Nous n’aimons pas le dire publiquement mais, de fait, nous sommes la police du monde », ignorant sans vergogne la violation du droit international que constitue cette opération. Telle est l’attitude des États-Unis. Ce genre de pensée, qui rappelle les clichés des westerns hollywoodiens, sous-tend la rhétorique des hauts fonctionnaires étasuniens. C’est sur ce ton que le secrétaire étasunien à la Défense, Lloyd Austin, menace les milices en Irak et en Syrie, affirmant que si celles-ci ont peut-être « de grandes capacités, j’en ai bien davantage ». Dans le même temps, Austin déclare que les États-Unis répondront aux frappes sur leur base militaire en Jordanie « quand nous le voudrons, où nous le voudrons et comme nous le voudrons ». Nous ferons ce que nous voudrons . Cette arrogance est l’essence même de la politique étrangère des États-Unis, qui font appel à l’Armageddon quand ils en ont envie. « Ciblez Téhéran », dit le sénateur John Cornyn, sans se soucier des implications d’un bombardement étasunien en Iran ou ailleurs.

Mario Abreu (Venezuela), Mujer vegetal (‘Femme végétale’), 1954.

Bien sûr, la frontière est mince entre la persécution des opposants politiques et la disqualification de ceux qui réclament l’invasion de leur pays par une puissance étrangère, en l’occurrence « la police du monde ». Il est vrai que les gouvernements dénigrent souvent leurs opposants en les accusant d’être des agents de l’étranger (comme l’a fait récemment la sénatrice Nancy Pelosi à l’égard de ceux qui, aux États-Unis, protestent contre le génocide d’Israël contre les Palestiniens, en les qualifiant d’agents de la Russie et en demandant au Federal Bureau of Investigations, le FBI, de les surveiller). Machado, cependant, a ouvertement fait des déclarations appelant les États-Unis à envahir le Venezuela, ce qui, dans n’importe quel pays, serait considéré comme inacceptable. Elle a pris part non seulement au coup d’État manqué contre Chávez en 2002, mais à bien d’autres tentatives depuis lors. En fait, elle incarne l’aile dure de l’extrême droite, celle de la vieille oligarchie vénézuélienne, raciste, dont la mentalité est restée coincée dans la Colonie espagnole, et qui n’a jamais accepté l’inclusion des secteurs populaires dans le champ politique. Son inhabitation vient de sa participation au vaste « système de corruption » construit par Juan Guaidó (l’ex-fake-président nommé par Trump sans la moindre élection, aujourd’hui en fuite aux États-Unis).

Maria Corina Machado et George W. Bush en 2002.
Scène de la vie quotidienne sous « la-dictature-bolivarienne » : la dirigeante d’extrême droite Maria Corina Machado, impliquée dans plusieurs tentatives de coup d’État depuis 2002, explique aux médias « bâillonnés » qu’il n’y a pas de liberté au Venezuela et qu’il faut relancer les confrontations « non-dialogantes » (sic) pour forcer le président Maduro à partir.
L’accord de coopération intégrale entre « Vente Venezuela », le parti d’extrême droite de Maria Corina Machado et le Likoud, parti d’extrême droite israélien.

En décembre 2020, j’ai rencontré plusieurs dirigeants de l’opposition vénézuélienne qui s’étaient élevés contre les positions de changement de régime défendues par des personnes comme Machado. Timoteo Zambrano, un dirigeant du Cambiemos Movimiento Ciudadano, m’a dit qu’il n’était plus possible de se présenter devant le peuple vénézuélien tout en appelant à la fin du chavisme, le programme socialiste mis en place par Hugo Chávez. Cela signifie qu’une grande partie de la droite, y compris la formation social-démocrate de Zambrano, a dû reconnaître qu’il serait difficile que ce point de vue obtienne le soutien populaire. Les gens d’extrême droite, comme Juan Guaidó et María Corina Machado, sont peu enclins à de véritables processus démocratiques, et préfèreraient se balader à Caracas à bord d’un F-35 Lightning II.

Quelques mois à peine après avoir promis un allègement des sanctions à l’encontre du Venezuela, les États-Unis en sont revenus à leurs pratiques hyper-impérialistes. Mais le monde a changé. En 2006, Chávez s’est rendu aux Nations Unies et a demandé aux peuples du monde de lire Hégémonie ou Survie de Noam Chomsky, avant d’ajouter : « L’aube se lève partout… C’est que le monde se réveille. Il se réveille partout. Et les gens se lèvent ». Le 31 janvier 2024, Maduro s’est rendu au siège du TSJ, où il a déclaré : « Nous ne dépendons pas des gringos ou de qui que ce soit dans ce monde pour l’investissement, la prospérité, le progrès, l’avancement [ou] la croissance ». Faisant écho aux déclarations de Chávez il y a dix-huit ans, Maduro a affirmé : « Un autre monde est déjà né ».

Chaleureusement,

Vijay

Traduction, Chris & Dine

URL de cet article : https://thetricontinental.org/fr/newsletterissue/25-ans-de-revolution-bolivarienne/

« En 2024, le Venezuela se prépare à une grande victoire électorale » : l’interview de Nicolas Maduro par Ignacio Ramonet

Alors que le monde reste sous le coup des conflits en Ukraine et à Gaza, l’actualité ne s’est pas arrêtée au Venezuela. Tout au contraire. L’actualité s’est accélérée et même précipitée ces dernières semaines à Caracas, qui est revenue à la une des grands médias internationaux.
Après les accords inattendus entre le parti au pouvoir et l’opposition extraparlementaire à la Barbade en octobre dernier, et la suspension par Washington de plusieurs mesures coercitives unilatérales contre le Venezuela, les tensions avec le Guyana se sont intensifiées lorsque les autorités de ce pays, en alliance avec ExxonMobil et la marine états-unienne, ont multiplié les provocations dans la région – revendiquée par le Venezuela depuis deux siècles – de l’Esequibo.

Le succès du référendum du 3 décembre au Venezuela sur cette revendication territoriale a été suivi par la signature des accords d’Argyle entre les présidents du Venezuela et du Guyana. Mais l’arrivée récente d’un navire de guerre britannique dans les eaux de la région, en contradiction avec les accords d’Argyle, a considérablement ravivé les tensions et les dangers.
Au milieu de ces turbulences, le Venezuela a remporté un succès diplomatique majeur le 20 décembre avec la libération d’Alex Saab, qui avait été injustement kidnappé et retenu en otage par les États-Unis pendant près de quatre ans. Nous avons entrepris de parler au président Nicolás Maduro de tout cela, et de bien d’autres questions importantes. Celui-ci a une fois de plus accepté, avec beaucoup de gentillesse, de nous accorder cette désormais traditionnelle interview du premier janvier.

Ignacio Ramonet : Monsieur le Président, bonsoir. Merci beaucoup d’avoir accepté cette invitation à cette nouvelle édition, qui est déjà la septième ou huitième, de notre « premier entretien de l’année ».

Président Nicolás Maduro : Oui, cette interview est toujours une très bonne occasion de faire un bilan réflexif de chacune de toutes ces années difficiles, pleines d’efforts et de sacrifices ; c’est un bilan, mais aussi une perspective pour l’avenir. Toujours à ta disposition, Ramonet.

« NOUS AVONS RÉSOLU L’ÉNIGME DE CANSERBERO ».

IR : Merci beaucoup. L’objectif de cet entretien est de faire le point sur l’année écoulée. En particulier, de faire le point sur les réalisations, les victoires, les progrès accomplis au Venezuela. Et aussi si vous pouviez définir quelques perspectives. Nous le verrons au cours de l’entretien.
Mais, si vous me le permettez, je voudrais d’abord commencer par un événement un peu hors sujet, mais qui a eu un impact énorme, notamment pour les millions de jeunes qui sont fans du rappeur vénézuélien Canserbero. Il y a quelques jours, nous avons appris que l' »énigme Canserbero » avait été résolue. On pensait que Canserbero s’était suicidé, mais le Ministère public vénézuélien a révélé qu’il avait en fait été assassiné. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette information ?

NM : Oui, il s’agit vraiment d’un travail scientifique et professionnel de reconstitution des événements, des circonstances, qui a permis d’aboutir à une conclusion définitive sur les auteurs intellectuels et matériels de l’assassinat de ce jeune artiste, de ce créateur vénézuélien qui, en un temps si court, avait eu un si grand impact sur les jeunes. Nous, Cilia (épouse de Nicolas Maduro, NdT) et moi, avons des petits-enfants de tous âges, et nos petits-enfants de huit, neuf, dix, douze, treize, quatorze, quinze ans sont des connaisseurs et des adeptes de l’art, de la musique, de la composition et des paroles de Canserbero. Je suis très surpris.

IR : D’autant plus qu’il est décédé il y a environ huit ans, n’est-ce pas ?

NM : Il y a neuf ans maintenant. Et cela me surprend parce que je l’avoue, je suis un homme de musique, et même je suis plus porté sur la salsa, le rock, je suis au courant des tendances actuelles… En 2023, je suis allé sur Spotify et j’ai découvert une liste de lecture très populaire, très chargée, très riche en musique de toutes sortes. Mais jusqu’à il y a peut-être deux ans, je ne savais pas qui était Canserbero… Je l’ai découvert parce que mes petits-enfants me l’ont expliqué, et qu’ils m’ont fait écouter chaque chanson, nous l’avons analysée l’une après l’autre. C’est ainsi qu’est né mon intérêt pour l’art de Canserbero. À un moment donné, j’ai parlé avec le Procureur Général, lui aussi admirateur de l’art de Canserbero, et lui, après avoir rassemblé un ensemble d’éléments qui formaient une hypothèse solide sur ce qui s’était passé… Tous les médias et les réseaux avaient sali le nom de Canserbero, ils avaient dit que c’était un assassin… Même le Ministère Public antérieur l’avait accusé d’assassinat après sa mort.

IR : Il a été accusé d’avoir commis un homicide avant son suicide.

NM : Oui, et puis ils ont imposé toute la thèse de l’homicide suivi du suicide, de la schizophrénie et de la folie. Et malgré cette tache injuste et brutale, son nom, ses paroles, son art, tout ce qu’il a fait s’est diffusé et Canserbero est maintenant reconnu dans le monde comme, sinon le principal, du moins l’un des principaux rappeurs de langue espagnole. L’enquête a donc été ouverte par le Ministère Public. J’ai exprimé et donné au Procureur, comme toujours, mais dans ce cas particulier, tout mon soutien. Il a mené toutes les investigations avec les moyens les plus avancés de la médecine légale et de la criminalistique. Les résultats ont été concluants. Justice a été rendue, le nom d’un jeune et noble créateur vénézuélien a été revendiqué, et je dirais même que sa renommée est en train de croître.
J’ai parlé avec ses proches le jour où le Procureur général Tarek William Saab a présenté les résultats, avec les aveux enregistrés en vidéo de l’assassin et du meurtrier, des deux meurtriers, et j’ai parlé avec sa famille, et sa famille a ressenti un soulagement dans son âme. Son père Cheo, ses sœurs, ses nièces. Je leur ai transmis mon abrazo au téléphone. Je leur ai dit qu’il s’agissait d’un esprit fort, quel que soit l’endroit où se trouve Canserbero, c’est un esprit très fort. Et que maintenant, son nom va grandir parmi la jeunesse du Venezuela, de l’Amérique latine, des Caraïbes et bien au-delà. Justice a enfin été rendue, ce qui est à l’honneur du Ministère public vénézuélien.

« NOUS AVONS RENDU LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE BEAUCOUP PLUS DYNAMIQUE ».

IR : C’est l’une des réalisations des derniers jours de 2023, mais comme nous l’avons dit, il y en a eu d’autres. 2023 a été une année symbolique, car c’était la dixième année de votre gouvernement. En particulier, je voudrais souligner certains des contacts internationaux que vous avez eus, certains voyages à l’étranger, des réunions : plusieurs réunions avec le président Gustavo Petro de Colombie, qui a organisé une conférence sur le Venezuela à Bogota ; une réunion avec le président Lula, qui est récemment revenu au pouvoir au Brésil, vous étiez à la rencontre organisée par Lula sur l’Amérique du Sud ; d’autres voyages stratégiques, en particulier en Turquie et en Arabie saoudite, et surtout le voyage très important en Chine, votre réunion avec le président Xi Jinping.
Comment ces contacts et ces voyages s’inscrivent-ils dans la diplomatie géopolitique traditionnelle de la révolution bolivarienne ?

NM : Le monde est déjà entré dans une nouvelle époque. L’ère des empires occidentaux est définitivement révolue, et le dernier des empires occidentaux, l’empire états-unien, connaît un processus de déclin historique qui est structurel, définitif. Comme la Grande- Bretagne, qui était un super-empire militaire, économique, commercial, naval… Et bien, elle a cessé, de l’être, elle a décliné… Même si elle reste un pays puissant, important.

Aujourd’hui, un monde plus équilibré a vu le jour, tel qu’en rêvait le libérateur Simón Bolívar. Nous nous trouvons d’ailleurs à Caracas, ville natale de notre héros, de notre Père fondateur, le libérateur Simón Bolívar, qui, très tôt au XIXe siècle, a parlé de la nécessité de « construire un univers d’équilibre« , un « monde d’équilibre » ; Le Libérateur a conçu la stratégie que nous pourrions appeler aujourd’hui la « stratégie d’un monde multipolaire », où notre Amérique, libérée par son épée, par son armée, par notre armée, serait l’un des grands blocs. En effet, la « Grande Colombie« , fondée sur les rives de l’Orénoque le 17 décembre 1819, est née comme une puissance atlantique, caribéenne, pacifique (océan Pacifique), amazonienne, andine, englobant ce qui est aujourd’hui le Venezuela ainsi que la Colombie, le Panama et une partie de l’Amérique centrale et de l’Équateur. Elle est née comme une puissance territoriale, démographique, militaire et économique.

IR : Presque comme un autre Brésil…

NM : Oui, pratiquement, et avec ses deux bras, l’un sur la mer des Caraïbes et l’Atlantique, et l’autre sur le Pacifique, avec toute la cordillère des Andes et un espace gigantesque sur l’Amazone. Et cette puissance fut appelée – comme le Libérateur tenta de le faire au Congrès de Panama en 1826 – à former un puissant bloc de nations, une union de républiques… La trahison l’emporta, la conspiration impériale l’emporta, et le projet de Bolivar fut poignardé, trahi, sali, oublié… Là où aurait dû naître un bloc puissant, il ne resta que quinze, vingt « républiquettes » entre guillemets – ceci dit en tout respect de chacun – chacune de son côté, toutes dominées.

C’est aujourd’hui que ce concept de « l’équilibre de l’univers« , d’un « monde multipolaire« , qui fut le grand rêve du géant, de notre Libérateur, voit le jour. Et nous y sommes attentifs. Le commandant Hugo Chávez a parlé d’une « nouvelle géopolitique mondiale » et il a mis en place la diplomatie bolivarienne de la paix. Son axe transversal est la construction d’un nouvel axe de puissance mondiale, et l’insertion du Venezuela dans cet axe.

Depuis l’Amérique latine en premier lieu, depuis l’Amérique du Sud, depuis les Caraïbes et depuis l’Amérique latine et les Caraïbes vers le monde. C’est pourquoi, cette année, nous avons rendu notre politique étrangère très dynamique. Nous avons participé à la tentative de Lula de rétablir l’UNASUR, qui est très importante et qui avance pas à pas, mais non sans menaces et conspirations impériales pour l’en empêcher. Cette année, nous avons participé à la consolidation de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC). Nous avons participé au sommet de Palenque à l’invitation du président mexicain López Obrador pour aborder avec d’autres leaders régionaux toute la question du changement climatique, de la migration, du développement et de l’indépendance. Et nous avons reçu le soutien de toute l’Amérique centrale et d’une partie de l’Amérique du Sud sur la question des sanctions, pour demander la levée des sanctions.

Photo : de gauche à droite, le président cubain Miguel Díaz-Canel, la présidente hondurienne Xiomara Castro, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador, le Premier ministre haïtien Ariel Henry, le président colombien Gustavo Petro et le président vénézuélien Nicolás Maduro posent lors du sommet de Palenque, au Chiapas (Mexique), le 22 octobre 2023.

« NOTRE VISITE EN CHINE A ÉTÉ MONUMENTALE. »

Cette année, nous avons consolidé nos relations avec la Turquie, l’Inde, la Russie et la Chine. Notre visite en Chine a été monumentale. Je me suis rendu en Chine six ou sept fois en tant que ministre des Affaires Étrangères, pour accompagner le Président Chávez, et j’y suis allé cinq ou six fois en tant que président. Et je peux te dire que le niveau des relations, des accords signés et des politiques définies entre le président Xi Jinping, entre la Chine et le Venezuela au cours de cette visite de six jours, est inégalé. Tout d’abord, nous avons élevé nos relations au rang de relations stratégiques de haut niveau, « infaillibles à tout moment« .

IR : C’est l’expression qui figure dans le document ?

NM : Oui, c’est l’expression officielle, c’est un concept que, pour la première fois, la Chine attribue à une relation conjointe avec un pays d’Amérique latine et des Caraïbes. Ce qui élève le niveau. Je dirais donc que nous progressons au milieu du siège impérial, au milieu de l’agression permanente, nous progressons dans le tissage du nouveau monde. Le Venezuela, humblement, modestement, mais avec la grandeur de la pensée de Bolivar, avec la grandeur de la nouvelle géopolitique mondiale de Chávez, persévère dans la construction d’un monde multipolaire, d’un monde de pays et de peuples vraiment libres.

« ALEX SAAB A DÉJÀ FAIT L’OBJET D’UNE TENTATIVE D’ASSASSINAT SUR ORDRE D’IVÁN DUQUE ».

IR : Monsieur le Président, parmi les réalisations de votre gouvernement, je voudrais en citer trois récentes. Premièrement : les accords de la Barbade en octobre, qui ont permis d’établir un accord avec l’opposition de droite extraparlementaire. Deuxièmement, le référendum sur l’Esequibo du 3 décembre, qui a été une grande victoire en termes de mobilisation électorale. Et la récente libération du diplomate Alex Saab.
Sur ce dernier point – nous reviendrons plus tard sur les deux autres – j’aimerais que vous nous apportiez des précisions, car vous avez déjà fait une déclaration à ce sujet, sur la manière et la difficulté avec lesquelles a été négociée la libération d’Alex Saab.


NM : Tout d’abord, comme nous l’avons dit, Alex Saab est un homme d’affaires d’origine colombienne, qui s’est installé au Venezuela et a commencé à développer un ensemble d’investissements très importants, il a été associé à un certain moment, en 2011, aux plans de ce qui allait devenir la Gran Misión Vivienda Venezuela (Grande Mission Logement du Venezuela). Plus tard, au cours de la phase dont j’ai été responsable, il s’est investi dans les programmes sociaux, mais il a surtout commencé à jouer un rôle très important et croissant lorsque les sanctions criminelles nous ont été imposées.

IR : Depuis 2016.

NM :
Oui, 2016, 17, 18, parce qu’il s’est investi… J’ai commencé à penser… Premièrement, il est colombien, il a du sang colombien ; deuxièmement, il a du sang palestinien, c’est de là que vient ce côté rebelle. Et il a commencé à travailler très habilement pour surmonter les sanctions qui étaient prises contre le Venezuela.

IR : De sa propre initiative ? Par patriotisme ?

NM : De sa propre initiative et aussi grâce à un ensemble de politiques que j’ai mises en œuvre en faisant appel au secteur privé pour que, grâce aux capitaux, aux investissements privés, nous puissions aller de l’avant, étant donné que tous nos comptes bancaires avaient été pillés, gelés, Ramonet. Il faut comprendre ce que signifie concrètement pour un pays de voir tous ses comptes bancaires gelés, et non seulement gelés, mais dont tout l’argent a été volé, plus de 21 milliards de dollars, un pays dont les propriétés à l’étranger ont été gelées, dont les produits sont interdits de vente dans le monde, dont l’industrie principale est persécutée, l’industrie pétrolière, tout cela nous a fait perdre, je le dis toujours parce qu’il y a peut-être des gens qui ne l’ont pas entendu, nous a fait perdre 99 % des revenus du pays, nous sommes passés de 54 milliards de dollars environ, une année, à 700 millions de dollars l’année suivante… Et l’objectif manifeste et direct de l’impérialisme était de faire s’effondrer la société et de procéder à un changement violent de gouvernement, ce qu’ils appellent dans leurs manuels stratégiques, un « regime change« . Et Fidel nous disait toujours : « Les crises créent des hommes« , « elles créent des leaderships« .

Je dirais que, dans cette crise, un homme a émergé : Alex Saab, et il a commencé avec des importations financées avec son capital, il a commencé à apporter de la nourriture, les colis alimentaires du CLAP (Comité local d’approvisionnement et de production, aide gouvernementale aux familles vénézuéliennes face aux pénries induites par le blocus, NdT) dans les moments difficiles de 2017, 2018. Et c’est pourquoi ils l’ont sanctionné, lui et toute sa famille, ses frères, sa sœur, son père, sa mère, ils les ont tous sanctionnés. Et puis ils ont commencé à le persécuter… Et les entreprises où il fabriquait les boîtes des CLAP, au Mexique et dans d’autres pays, ils ont également commencé à les persécuter, à les menacer de différentes sanctions.

En 2019 et surtout en 2020, il a joué un rôle important dans trois domaines clés, en particulier en 2020, lorsque la quarantaine, la pandémie de Covid, est arrivée. Grâce aux efforts de milliers de producteurs agricoles, de paysans, d’agriculteurs de la campagne vénézuélienne, nous produisons aujourd’hui 85 % des aliments consommés au Venezuela, un miracle agricole réalisé par qui ? Par les travailleurs, par les producteurs… Mais à l’époque, nous devions importer 90 % des colis des CLAP de l’étranger pour aider 7 millions de familles. Et Saab a été un homme clé dans l’articulation de ces importations.

Mais aussi, compte tenu du blocus, la raffinerie, les quatre raffineries pétrolières du Venezuela étaient à l’arrêt, nous ne pouvions pas obtenir de pièces de rechange, nous ne pouvions pas les acheter. Si nous les obtenions, nous n’avions pas de compte bancaire pour les payer, à cause des sanctions… Ensuite, nous avons fait des triangulations pour résoudre le problème et récupérer les quatre raffineries d’une manière miraculeuse et héroïque, grâce à l’ingénierie et aux connaissances des travailleurs du pétrole au Venezuela, et au soutien de nos amis dans le monde; des amis importants dans le monde. Alex Saab était l’homme qu’il fallait pour commencer à acheminer le carburant au Venezuela.
Il avait également noué des contacts dans le monde entier pour apporter des médicaments aux patients les plus démunis, et en particulier des médicaments essentiels pour lutter contre la pandémie de Covid. C’est à ce moment-là qu’il a été kidnappé.

IR : Au Cap-Vert.

« ALEX SAAB A LA TÉMÉRITÉ D’UN CHE GUEVARA ».

NM : Oui, au Cap-Vert. Deux jours plus tôt, ils avaient essayé de le tuer. Cela n’a jamais été dit… Deux jours auparavant, un groupe de criminels engagés par Iván Duque de Colombie avait tenté de tuer Alex Saab à son domicile à Caracas… Il en a miraculeusement réchappé. Et puis lui, avec son dynamisme, parce que c’est un homme entreprenant, avec du dynamisme, de l’initiative, je dirais téméraire, je dirais qu’Alex Saab a la témérité d’un Che Guevara pour affronter les risques et les dangers. Il est parti, il se rendait en Iran, pourquoi allait-il en Iran ? Pour garantir l’approvisionnement en essence du Venezuela pendant un an, 2020, 2021, pendant que nous récupérions la raffinerie. Pourquoi ce voyage ? Pour obtenir des médicaments triangulés à partir de l’Iran. Et en chemin, il a été capturé, kidnappé sans aucune preuve.

IR : Sans mandat…

« JE N’AI JAMAIS EU D’HOMME DE PAILLE ! »

NM : Non, il n’y avait pas de mandat d’arrêt international, tout d’abord. Deuxièmement, il bénéficiait de la protection d’un passeport diplomatique, en tant que fonctionnaire diplomatique du Venezuela, un gouvernement légitime, reconnu par les Nations Unies. En l’enlevant, ils ont violé les conventions qui protègent l’immunité diplomatique dans le monde entier, ce qui est très grave. Et puis, tout ce que l’on sait déjà : les tortures….

La première chose qu’ils ont essayée – comme il l’a expliqué – c’est qu’en juillet, en pleine quarantaine du Covid, ils lui ont demandé, par un coup de téléphone, d’arrêter les cargos transportant l’essence ; par un coup de téléphone, d’arrêter les expéditions de médicaments… Il y a un médicament clé, Ramonet, le Remdesivir, qui venait juste de sortir à l’époque comme le grand antiviral contre le coronavirus. Ils voulaient à tout prix l’arrêter. Lorsque le Remdesivir est arrivé à Caracas, en juillet 2020 et jusqu’à aujourd’hui, il a permis de sauver des milliers de vies de patients très graves qui étaient intubés dans tout le pays.

Ils voulaient aussi, sur un simple coup de fil, qu’Alex Saab arrête d’importer les aliments pour les colis des CLAP, pour produire quoi ? la mort par manque de médicaments, la famine et la pénurie totale d’essence, une situation nous avons frôlée… En fait, je peux te dire que sur les cinq bateaux qu’il a commandés – nous les avons payés mais il les a triangulés – sur les cinq bateaux d’essence qui devaient arriver, seuls deux bateaux ont pu arriver en juin 2020… Inoubliable ! Ce fut une fête pour le Venezuela… Les trois autres navires ont été volés par les États-Unis… Oui, tout simplement volés ! Ils les ont emmenés aux États-Unis… Pirates, corsaires, voleurs !

Ensuite, il y a eu toute l’étape de la torture pour l’obliger, disons, à valider les infamies, les mensonges qui circulent encore… Parce que les médias orduriers comme par exemple Semana de Colombie, qui est un magazine de l’oligarchie du narcotrafic colombien, Semana écrit encore : « Alex, l’homme de paille de Maduro« . Je n’ai jamais eu de prête-nom ! Je n’ai jamais eu de compte bancaire à l’étranger. Mes relations avec les hommes d’affaires nationaux et internationaux ont été et sont des relations de travail au bénéfice du pays ; à tel point que l’impérialisme n’a jamais pu montrer, malgré trois ans et demi de prise en otage de Saab dans ses prisons, une seule preuve, un seul papier sur les prétendus hommes de paille, les affaires sales et toute la pourriture qu’ils inventent dans leur justice ordurière et dans leurs médias orduriers.

Mais nous, nous n’abandonnons jamais personne derrière nous, nous n’avons jamais abandonné personne… Jamais ! Nous sommes toujours, nous avons toujours été aux côtés de sa famille, de sa femme Camila, qui de femme au foyer est devenue la dirigeante d’un puissant mouvement, le mouvement « Free Alex Saab » ; aux côtés de ses fils, de ses filles, de toute sa famille; avec amour… Surtout Cilia, qui parlait pratiquement à Camila toutes les semaines, nous recevions des informations ici et là. Et comme je l’ai dit à Alex lorsqu’il est sorti de la voiture et que je l’attendais à la porte du palais de Miraflores : « Alex, je savais que ce jour viendrait. Et il est arrivé. » Un miracle ? Un miracle comme seuls les révolutionnaires peuvent en faire, nous qui sommes fermes et qui affrontons l’empire avec notre vérité. Un miracle.

IR : Ce fut une belle victoire, Monsieur le Président. Dans le monde entier, de nombreuses personnes se sont réjouies de cette libération, parce qu’elles s’étaient battues pour dénoncer tous les mensonges qui avaient été proférés au sujet d’Alex Saab.

NM : Ramonet, je ne peux pas dire… mais j’ai reçu des mots de félicitations de la part de personnes que tu ne peux même pas imaginer, qui sont probablement en train de regarder ceci, de partout dans le monde, tu ne peux même pas l’imaginer. Des gens qui m’ont envoyé des félicitations. Des gens des États-Unis d’Amérique. Je ne citerai pas de noms, de grands artistes mondiaux… Je ne connais même pas certains d’entre eux. Et j’ai reçu des messages ici et là. Ils me disaient : voilà comment on traite un homme innocent. Nous avons procédé à un échange qui a dû être négocié… comme le disait José Martí : « Cela a dû se faire en silence« . Avec la prudence et la diplomatie nécessaires, nous avons réussi à libérer miraculeusement un homme innocent. Et en échange, nous avons remis un groupe de terroristes condamnés après avoir avoué qu’ils avaient commis des crimes et des délits dans le pays. C’est le prix que nous avons payé pour l’enlèvement. Pour la liberté de la personne enlevée. Et je pense que cela en valait la peine.

Photo: une des nombreuses mobilisations populaires à Caracas pour exiger la libération du diplomate Alex Saab après son enlèvement et son emprisonnement aux États-Unis.

« NOUS SOMMES EN TRAIN DE CONSTRUIRE UN NOUVEAU MODÈLE ÉCONOMIQUE DIVERSIFIÉ QUI NOUS DONNE UNE INDÉPENDANCE ABSOLUE VIS-À-VIS DU MONDE ENTIER. »

IR : Monsieur le Président, pour continuer avec le bilan de l’année, vous avez défini huit axes de travail très importants pour 2023. Et parmi eux, les lignes de l’économie. J’aimerais vous demander quelle est votre évaluation de cette approche et quelles sont les principales réalisations dans ces huit lignes de travail ?

NM : Je pense que 2023 a marqué un pas en avant, aussi. Nous avons dix trimestres de croissance économique continue qui ont commencé à la fin de 2021. Et nous avons réussi à maintenir la croissance dans ce que j’ai défini comme l’agenda économique bolivarien, 18 moteurs, les 18 moteurs vont étape par étape ; ces 18 moteurs ont besoin de politiques publiques, d’incitations, d’investissements, d’un marché national, d’un marché international, d’une bonne gestion publique, d’une bonne gestion privée, d’une bonne coordination. Je pense que nous sommes parvenus à une coordination parfaite avec tous les acteurs économiques internes du pays, et je pense que nous avons un niveau très élevé de dialogue et de compréhension avec les acteurs économiques internationaux qui arrivent avec leurs nouveaux investissements. Il s’agit là d’une grande réussite de ces dernières années, qui sera consolidée en 2023. J’ai quelques chiffres importants à te communiquer.

IR : La croissance en 2022 a été de 12 % environ ?

NM : C’est exact.

IR : En 2023, quelle est la croissance du Venezuela ?

NM : La Banque Centrale n’a pas encore donné de chiffres, mais on me dit que les 4,5 % prévus par la CEPAL (ONU) pourraient être atteints. Cela représente dix trimestres consécutifs de croissance. Tout cela, encore, au milieu d’un siège et avec nos propres investissements. Comme je l’ai dit, avec nos propres forces.
Une croissance de 5 % de l’activité agricole. Nous avons déjà cinq trimestres consécutifs de croissance de plus de cinq points de l’activité agricole, en produisant notre propre nourriture. Nous exportons même une partie de cette nourriture. Dix trimestres de croissance soutenue de 4 % de l’ensemble de l’activité manufacturière privée du pays, dans le cadre d’une reprise soutenue et durable, il reste encore une grande marge de croissance pour l’ensemble du secteur manufacturier. Environ 4 % de croissance de l’activité commerciale jusqu’au troisième trimestre. Ce quatrième trimestre, qui vient de s’achever en décembre, a atteint un niveau beaucoup plus élevé, l’activité commerciale s’est intensifiée, avec une force impressionnante. La production de l’industrie alimentaire et des boissons a augmenté de plus de 1,6 %. J’ai d’autres données ici. Je ne vais pas te noyer avec toutes les données.

IR : Mais la tendance est très positive ?

NM : Oui, la tendance est positive. En ce qui concerne les prises de pêche, le rétablissement de la capacité de pêche du pays, nous avons enregistré cette année une croissance de 25 %. Dans l’aquaculture, qui est également une activité à laquelle nous avons accordé une attention particulière, nous avons enregistré cette année une croissance de 20 %. Dans le seul secteur de la crevette, qui est un secteur d’exportation, nous avons enregistré une croissance de 98 % en 2023. Une augmentation de la production industrielle, agro-industrielle… Et l’arrivée d’importantes entreprises européennes, états-uniennes, chinoises, indiennes, etc., etc., pour investir dans le pétrole, le gaz et les entreprises de base.

Cela signifie que, dans les conditions établies par notre Constitution et nos lois, nous sommes en progression. Cette année, les recettes fiscales ont augmenté de 25,8 %, mais je dirais que, conformément aux besoins du pays et aux attentes de nos plans sociaux pour le redressement de l’État de bien-être social, les recettes fiscales – bien qu’elles aient beaucoup augmenté cette année – ont encore beaucoup de chemin à faire pour garantir des revenus qui nous permettront d’améliorer les revenus des travailleurs, des travailleuses et les investissements sociaux.

Cette année, jusqu’au mois de novembre, nous dépassons les 5.181 millions de recettes. Cela signifie qu’il y a un ensemble d’éléments très importants, la stabilité des taux de change, la fin définitive de l’hyperinflation, nous avons combattu l’inflation comme un mal structurel, séculaire, de l’économie, et avec les politiques que nous mettons en œuvre, nous avons de sérieuses chances d’améliorer cet élément, cette variable dans les mois et les années à venir.

Le portefeuille de crédit a augmenté de 91 % par rapport à 2022. Quatre- vingt-onze pour cent. Il s’agit de chiffres encore modestes, de l’ordre de 1,4 milliard de dollars. Le Venezuela aurait besoin de quatre, six, huit milliards de dollars, pour le portefeuille de crédit, ou beaucoup plus pour l’investissement ; mais c’est quelque chose qui a été réalisé d’une manière soutenue, durable.

IR : Et tout cela dans le contexte d’un pays bloqué et assiégé. Ce qui est d’autant plus méritoire.

NM : C’est bien de le rappeler. Car malgré les progrès que nous avons réalisés avec les accords de la Barbade, dont nous allons parler, et les discussions avec le gouvernement des États-Unis, le Venezuela n’a aujourd’hui aucun compte à l’étranger, il continue d’être un pays persécuté et assiégé. Nous avons obtenu tout cela grâce à nos propres efforts, nous les Vénézuéliens, nous seuls, je peux te le dire, avec fierté. Le secteur privé, petit, moyen, grand, avec quelques investissements venant de l’étranger, avec des politiques publiques consensuelles, correctes, pertinentes, justes, nous y sommes parvenus grâce à nos propres efforts, pratiquement seuls dans ce monde.

IR : Sans investissements étrangers significatifs ?

NM : Pour le dire avec le grand Ho Chi Minh, il s’agit de « penser avec notre tête, marcher avec nos pieds et construire avec nos mains », sans dépendre de personne. Sais-tu ce que l’on ressent ? Que nous sommes à un stade – et je le dis ici, dans la maison où est né Bolivar, le géant de l’Amérique – où nous construisons un nouveau modèle économique diversifié qui nous donne une indépendance absolue vis-à-vis du monde entier, si nécessaire. Un autre élément pour ton analyse, et pour l’analyse de tous ceux qui nous lisent ici dans le monde : en 2023, le Venezuela a atteint le niveau le plus élevé d’approvisionnement interne de son marché intérieur au cours des vingt-cinq dernières années, soit 97 %, essentiellement grâce à sa propre production et à l’activité des secteurs économiques privés avec des importations complémentaires, avec une politique très claire sur ce qui est importé, sur ce qui n’est pas importé et sur la protection du producteur national.

Je pense donc que nous faisons de grands progrès. Je dis toujours, bien sûr, qu’il y a encore un long chemin à parcourir, surtout pour générer la richesse, l’argent dont nous avons besoin pour avoir un impact sur les salaires et les revenus. Nous avons fait de notre mieux pour améliorer le revenu intégral des travailleurs, le revenu intégral minimum des travailleurs. Nous avons également réalisé un circuit avec les Grandes Missions et les Missions pour protéger la santé publique, l’éducation publique, la construction de 500.000 logements par an, pour protéger, avec le CLAP et les programmes alimentaires, le droit des personnes à l’alimentation, et pour placer les êtres humains au centre et les protéger intégralement pendant que nous récupérons la capacité, non seulement de générer et de produire des biens, des produits, des services, mais aussi de la richesse liquide, qui est l’objet de notre principal effort, et je sais que nous y parviendrons. Je sais que nous allons y parvenir. J’en suis sûr.

« NOUS AVONS DÉMANTELÉ LES MAFIAS CARCÉRALES ».

IR : Monsieur le Président, il y a une autre réalisation importante que vous n’avez pas mentionnée, à savoir la sécurité. Pendant longtemps, l’une des critiques les plus systématiques des médias internationaux, y compris pour critiquer la révolution bolivarienne, était de dire que le Venezuela était un pays très peu sûr, très dangereux, que Caracas était une ville dominée par la criminalité, la délinquance ; tout cela a changé jusqu’à un certain point. Aujourd’hui, Caracas est une ville de plus en plus paisible, de plus en plus sûre, les nuits de Caracas sont redevenues vivantes, comme peuvent le constater les touristes, les voyageurs, les correspondants étrangers ; c’est une réussite énorme. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez réussi à obtenir ce résultat, qui semblait presque impossible ?

NM : Un énorme travail a été réalisé sur la base d’un concept appelé « Cuadrantes de Paz » (zones de paix). Ces zones de paix sont un concept territorial. Aujourd’hui, nous avons trois mille « cuadrantes de paz ».

IR : Dans tout le pays ?

NM : Oui, dans tout le pays. Cette zone de paix, qui réunit-elle ? Les forces de police et de sécurité, l’organisation populaire, tout le pouvoir populaire dans sa diversité, et toutes les institutions impliquées dans la sécurité. Ces zones de paix ont contribué à libérer les territoires où le taux de criminalité était plus élevé et à établir les règles de fonctionnement des communautés de paix ; je pense que les zones de paix, les communautés de paix, sont l’un des éléments.

L’autre élément concerne le travail de renseignement pour démanteler les gangs criminels les plus dangereux, qui sont comme des gangs de nouvelle génération, des gangs plus armés, plus organisés, avec beaucoup d’argent. Nous avons mené des opérations de renseignement et des frappes chirurgicales contre des gangs dans différentes villes et différents endroits du pays. Par exemple, à Caracas, on se souvient de la frappe chirurgicale que nous avons menée contre les gangs d’un quartier connu dans le monde entier, la Cota 905. Cela a permis d’instaurer à Caracas un climat de coexistence, de tranquillité et de paix, car il y avait là un foyer, la Cota 905, un foyer incroyable, lié aux bandes criminelles de Colombie à l’époque d’Iván Duque. Lorsque nous sommes entrés dans leur repaire, la première chose que nous avons trouvée était une vingtaine de paramilitaires colombiens sur une montagne, s’entraînant pour une prétendue « insurrection populaire » à Caracas qu’ils allaient diriger, pour te donner une idée.

Troisièmement, cette année, 2023, des progrès ont été réalisés dans le démantèlement des mafias carcérales dans des prisons très représentatives du centre du pays, de l’ouest, des Andes, de l’est et du sud du pays.
Je pense que cela a été un coup très important pour mettre fin à ces mafias carcérales, pour leur enlever ce centre de criminalité. C’est une politique, que nous appelons l’opération Gran Cacique Guaicaipuro, et elle va se poursuivre.
En ce sens, je suis convaincu que nous allons continuer à progresser au Venezuela en tant que territoire de sécurité et de paix. Et j’en appelle toujours à la population : cela ne dépend pas d’un seul homme, cela dépend de l’effort commun que nous déployons dans les zones de paix, c’est la méthode.
Je l’ai même dit à certains gouvernements d’Amérique latine – je ne vais pas citer de noms – : je voudrais partager avec vous l’expérience de ces zones de paix pour que vous puissiez voir que la fusion et l’union sur le territoire des forces de l’ordre, des forces de police et de l’organisation sociale – dans le cas du Venezuela, le pouvoir populaire – donne des résultats importants.

« LE PRÉSIDENT DU GUYANA SE MOQUE DE LULA, DE LA CELAC ET DE LA CARICOM… »

IR : Monsieur le Président, une autre réalisation importante, comme nous l’avons mentionné précédemment, est le récent référendum sur la région de l’Esequibo, qui a été un succès parce qu’on a vu le soutien que la population a apporté à cette revendication. Le succès de ce référendum a contraint le président du Guyana à s’asseoir avec vous pour discuter directement du sort de l’Esequibo. Mais depuis, il y a eu l’envoi – que vous avez dénoncé – d’un navire de guerre britannique au large du Guyana. Dans ces conditions, comment voyez-vous l’avenir des négociations avec le Guyana sur l’Esequibo ?

NM : Pour l’instant, nous pourrions dire que nous traversons un moment de turbulence. Parce que le Guyana n’agit pas comme la République Coopérative du Guyana, il agit encore comme la « Guyane britannique », et accepte qu’un navire de guerre se rende sur ses côtes et de là, menace le Venezuela. Parce que ce navire de guerre, dès qu’il est parti vers ses côtes, a menacé le Venezuela. Et les déclarations impertinentes et insolentes du ministère britannique des affaires étrangères ont réaffirmé cette menace à l’égard du Venezuela. C’est ainsi qu’ils se comportent, le président du Guayana se comporte comme le président d’une Guyane britannique coloniale. Il se comporte comme un pays prisonnier, soumis. Je n’accepte pas ses excuses, je ne les accepte pas ! Le président Irfaan Ali tente de s’excuser en affirmant que le Guyana ne menacera jamais le Venezuela. Mais ce n’est pas lui qui a proféré un mot de menace, ce sont ses maîtres, c’est le vieil empire britannique, déclinant, en pleine décomposition, qui a envoyé un navire de guerre… Ils croient que le Venezuela est le Venezuela de 1902, quand ils sont venus avec leurs navires bombarder Maracaibo, Puerto Cabello, La Guaira ; quand ils sont venus massacrer le peuple du Venezuela pour imposer la sentence arbitrale de 1899, pour recouvrer les dettes illégales et immorales du XIXe siècle. Non, le Venezuela n’est plus celui de 1902, le Venezuela de Cipriano Castro. Non, non. C’est un Venezuela qui dispose de la puissance militaire pour se défendre. Et je le dis avec humilité, avec simplicité. Parce que je connais très bien les militaires vénézuéliens. Et je sais qu’elles donneraient leur vie pour défendre la souveraineté de ce pays, pour protéger ce pays. Je vous l’ai dit, nous sommes un peuple de paix. Pour faire le bien, comptez toujours sur nous. Pour les mauvaises choses, il vaut mieux ne pas nous chercher. Ne nous cherchez pas !

Que fait le gouvernement de Londres et que fait le président du Guyana ? Se moquer des médiateurs – du président Lula, se moquer du président de la CELAC, Ralph Gonsalves, se moquer de tous les pays de la Caricom… C’est ce qu’ils ont fait, se moquer d’eux, en menaçant le Venezuela avec un navire militaire, ce qui revient à rompre l’accord d’Argyle. Nous sommes actuellement dans une situation de turbulence. Nous savons y faire face, parce que nous ne sommes pas nés le jour des lâches, vois-tu Ramonet ? Je ne suis pas né le jour des lâches et je sais très bien, en tant que chef de l’État et commandant en chef des forces armées, ce que je dois faire pour défendre la dignité du Venezuela. Et ici, personne ne viendra nous menacer avec des navires de guerre. Ni aujourd’hui ni jamais. Nous ne sommes pas le Venezuela de 1902. Qu’on ne s’y trompe pas. Ne vous méprenez pas !

« AVEC LES ÉTATS-UNIS, NOUS AVONS TOUJOURS CHERCHÉ LE DIALOGUE, LA COMPRÉHENSION, LA COEXISTENCE »

IR : Monsieur le Président, après les Accords de la Barbade avec l’opposition de droite extraparlementaire, l’administration Biden a été contrainte de suspendre une partie des sanctions contre le Venezuela. Quelles prochaines étapes prévoyez-vous sur la voie de la normalisation des relations avec les États-Unis ?

NM : Nous devons d’abord dire deux choses. Premièrement, j’ai encouragé le dialogue plus d’un millier de fois avec tous les secteurs de l’opposition. Y compris avec le secteur extrémiste de la tendance « Guaido », l’opposition d’extrême droite, qui est l’opposition privilégiée et préférée des États-Unis, l’opposition pro-états-unienne, « Pitiyanqui » comme on dit ici… et qui est réuni dans la Plateforme Unitaire, la PUV. J’ai favorisé ces dialogues et nous les maintenons en permanence, toujours et sans arrêt. Ce sont des dialogues publics qui sont connus. Mais lors de dialogues privés, je les ai tous rencontrés. En 2020, et en 2021. Ils m’ont dit du mal de Guaidó. Je leur ai dit : agissez, mais ils n’osaient pas.

Finalement, ils se débarrassent de Guaidó alors qu’il est déjà une figure politique en décomposition, Guaidó sent déjà très mauvais, les gringos l’emmènent hors du pays, ils l’emmènent à Miami, milliardaire comme il est, il a volé la moitié du monde, il a volé les gringos, il a volé l’opposition, il a volé tout le monde ; et ils l’ont destitué parce que son discrédit pour ce secteur de l’opposition devenait insoutenable. Mais nous avons toujours maintenu le dialogue avec eux. Même si des secteurs de cette opposition s’assoient pour discuter mais continuent de conspirer en secret, et continuent toujours à conspirer. Chercher à faire un coup d’État au Venezuela, chercher à me tuer, etc., etc. Mais je crois au dialogue, en permanence.

Deuxièmement avec les États-Unis. Le président Chávez a toujours cherché et m’a appris à rechercher le dialogue, la compréhension et la coexistence avec les États-Unis d’Amérique. Et c’est ce que nous avons toujours fait. Ce que le président Chávez a fait avec Bill Clinton. Avec George W. Bush à deux reprises, bien que Bush ait mené un coup d’État ici les 11, 12 et 13 avril 2002 ; c’est ce que l’on a cherché à faire avec Barack Obama, le premier Obama. Le deuxième Obama, avec qui j’ai dû traiter étant président, a émis le décret déclarant le Venezuela « ennemi des États-Unis« . Face à face, Obama m’a dit : « Maduro, c’était une erreur, je vais la corriger« . Il ne l’a pas corrigée. Je lui ai dit : « Obama, le problème ce n’est pas toi, le problème est celui qui viendra après toi, qui pourra utiliser ce décret pour nous menacer, nous sanctionner ou nous envahir« . Et c’est ce qui s’est passé.
Avec Donald Trump, nous avons eu la relation que tout le monde connaît. Il a pris 930 mesures de sanctions contre le Venezuela. Il a mis ma tête à prix, cette tête que tu vois, ils l’ont mise à prix. Ils ont essayé de me tuer en 2018, le 4 août, depuis la Maison Blanche, ils ont essayé de me tuer. Le jour de l’attaque par drone, ils étaient réunis à la Maison Blanche, aujourd’hui la vérité est connue, et ils attendaient le résultat de l’attaque. Ils ont essayé de nous envahir à plusieurs reprises, ils ont formé des mercenaires de Colombie. Et pourtant, nous avons toujours cherché le dialogue et entretenu des liens de dialogue avec l’administration Trump, à tel point que nous avions presque conclu un échange pour libérer Alex Saab dans les derniers jours de Trump, avant les élections. Et quand Biden est arrivé, pareil. Nous avons toujours voulu un dialogue. Espérons qu’on progressera. Espérons-le. Nous avons fait de notre mieux pour établir une nouvelle ère dans les relations avec les États-Unis.

IR : Des étapes sont-elles prévues ?

NM : Il y a des idées communes, il y a un chemin, une feuille de route établie. Mais on ne peut pas dire, Ramonet, que les États-Unis ont levé les sanctions contre le Venezuela. Au contraire, les sanctions sont toujours en place. Ce que les États-Unis ont accordé, ce sont des licences, comme si le Venezuela était une colonie états-unienne. Des licences, comme à l’époque de la Guipuzcoana Company, qui contrôlait entièrement ce pays et accordait des licences d’exportation et d’importation, n’est-ce pas ? À l’époque de ce qu’on appelait les créoles blancs, jusqu’à ce que les créoles blancs en aient assez de la Guipuzcoana Company et déclarent l’indépendance de toute l’Amérique. C’est à peu près ce qui s’est passé. Le modèle que les États-Unis ont l’intention d’appliquer est un modèle de type Compañía Guipuzcoana contre le Venezuela. Donner les licences.
Mais nous sommes fermes. Et nous le disons à tous les gouvernements d’Amérique latine, de la CELAC et du monde : le Venezuela exige la levée complète et permanente de toutes les sanctions illégales, immorales et criminelles qui pèsent sur l’économie et la société. Toutes. Et ce sera notre objectif.
Et nous ne nous reposerons pas, nous persévérerons comme nous l’avons toujours fait jusqu’à ce que nous l’atteignions. Et sur ce chemin, en regardant la boule de cristal, je pense que nous y parviendrons.

« LES BRICS SONT L’AVENIR DE L’HUMANITÉ ».

IR : Monsieur le Président, nous sommes le 1er janvier et à ce jour, les BRICS, cette organisation formée par le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, ont constitué une sorte de nouveau pouvoir ou de contre-pouvoir, un peu dans la lignée de ce que vous avez mentionné plus tôt, de cette nouvelle géopolitique multipolaire. À ce jour, six nouveaux pays ont adhéré ou devraient adhérer. En fait, cinq d’entre eux sont en train d’adhérer, pour être précis : L’Iran, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte et l’Éthiopie. L’Argentine devait adhérer, mais le nouveau président Javier Milei vient de décliner l’invitation.
D’une part, j’aimerais que vous nous donniez votre avis sur l’importance des BRICS. Et d’autre part, si le Venezuela pourrait rejoindre ces nouveaux BRICS élargis ?


NM : Les BRICS sont l’avenir de l’humanité, les BRICS sont déjà une puissance économique définitive, ils ont une banque puissante, j’étais au siège de leur Banque de développement à Shanghai avec sa présidente Dilma Rousseff, nous avons de bonnes relations, qui vont de l’avant, avec la banque des BRICS. Je n’ai pas pu me rendre au sommet de l’Afrique du Sud en raison d’une forte otite, malheureusement. Lors du sommet d’Afrique du Sud, le Venezuela a été accepté comme partenaire. Et j’espère que lors du prochain sommet en Russie, avec la faveur de Dieu, toujours si Dieu le veut, le Venezuela rejoindra les BRICS+ en tant que membre permanent.

Nous parions sur les BRICS comme un élément de ce nouveau monde, du nouvel équilibre, comme faisant partie du concept géopolitique bolivarien d’un monde d’équilibre, d’un monde d’égaux. Et aussi comme une composante de l’avenir de l’humanité pour le développement des investissements des BRICS au Venezuela, pour le développement de grands marchés pour les produits vénézuéliens, pour le développement de relations multiples et diverses dans les sphères culturelles, politiques, institutionnelles et sociales. Ce sont de grandes civilisations, les civilisations chinoise, russe, indienne, notre frère le Brésil, notre sœur l’Afrique du Sud, l’Afrique ! Les cinq pays sont de grandes civilisations et nous faisons partie de la civilisation mixte de l’Amérique du Sud, des Caraïbes, de l’Amérique latine. Les BRICS nous remplissent donc d’émotion.
Le pas franchi par Javier Milei, de l’Argentine, ramène l’Argentine au 19e siècle. Je le dis aux Argentins et au monde entier, le projet de Milei est une opération élaborée pour s’emparer de l’Argentine, la sortir du monde multipolaire, en faire un vassal du monde impérial unipolaire, et la transformer en une nouvelle colonie, détruire l’État, détruire son économie, détruire son identité ; et la mesure qu’a prise Milei de sortir l’Argentine de cette immense organisation que sont les BRICS est une des choses les plus maladroites et les plus idiotes qu’il a faites à l’encontre de l’Argentine. Parce qu’en excluant l’Argentine des BRICS, il agit contre les Argentins, contre les travailleurs argentins, contre les hommes d’affaires argentins. Cela montre ce qu’est un projet colonial rétrograde du 19e siècle, un projet qui a échoué depuis le début. Et cela montre par contraste ce qu’est la diplomatie bolivarienne, la géopolitique mondiale, la nouvelle géopolitique que nous portons depuis le Venezuela, avec notre révolution.
J’aspire donc à passer rapidement du statut de partenaire des BRICS à celui de membre à part entière des BRICS.

« CE QUI EST COMMIS EN PALESTINE N’A PAS DE NOM… ».

IR : Monsieur le Président, le monde est aujourd’hui secoué par deux conflits majeurs : L’Ukraine et Gaza. Sur l’Ukraine, le Venezuela a décidé dès le départ de ne pas prendre parti, défendant un projet diplomatique à la recherche d’une solution négociée. Concernant le conflit israélo-palestinien, Caracas a rompu ses relations avec Israël en 2009. Pensez-vous que le Venezuela a pris la bonne décision dans les deux cas ? Comment voyez-vous l’évolution de ces deux conflits ?

NM : Je pense que ces deux guerres ont pour point commun les grandes entreprises de l’appareil militaire des États-Unis et de l’appareil militaire israélien, totalement liés. Les grands propriétaires de l’appareil militaire des États-Unis sont des investisseurs israéliens. Et je pense que ces deux guerres ont profité aux verseurs de sang, aux fabricants de la mort et des armes.
Une guerre est une menace contre la Russie… Pendant deux décennies entières, la Russie a mis en garde contre la menace de l’encerclement stratégique qui était en train de s’opérer à partir de l’Ukraine, et des pays de l’Europe de l’Est, et aussi sur l’attitude des fascismes, des « Milei d’Ukraine » et de tout le groupe qui a pris le pouvoir à Kiev en 2014, qui s’est mis au service de la stratégie de la provocation contre la Russie.
Toutes les guerres, disons-le, devraient être évitées et dans le cas de la guerre en Ukraine, une solution de paix devrait être recherchée, mais on ne veut pas la rechercher, on veut mettre la Russie à genoux et l’humilier. À l’heure actuelle, la Russie est en train de gagner la guerre contre l’ensemble de l’OTAN, malgré toutes ses dépenses militaires. Au milieu d’un effort énorme parce qu’elle a été sanctionnée économiquement, comme l’a dit récemment le président Vladimir Poutine, la Russie a gagné la guerre économique contre les sanctions, et la Russie a aujourd’hui de meilleurs indicateurs économiques de croissance, de stabilité économique, de prospérité économique que l’ensemble de l’Europe, y compris les États-Unis. Cela montre la grande force interne de la Russie en tant que nation puissante, nation productive, et de son économie. L’Occident est tout simplement obsédé par la russophobie, par l’idée de détruire la Russie. Il n’y a qu’une seule façon d’avancer : s’asseoir et discuter avec Poutine, avec la Russie, sur la base du respect, et parvenir à un accord qui réponde à la nécessité de garantir la sécurité et la paix pour la Russie et pour l’ensemble de la région.

Photo: Le 6 novembre, aux côtés de l’ambassadeur de Palestine au Venezuela Fadi Alzaben, le président Maduro a dénoncé « 75 ans de racisme, de déshumanisation par les suprémacistes d’Israël. Le monde doit se lever pour mettre fin à temps au génocide du peuple palestinien« .

Dans le cas du conflit en Palestine, il n’y a plus de doute. Il s’agit d’un génocide contre le peuple palestinien. Un génocide vieux de plus de soixante-quinze ans, ouvert, brutal. Et il n’y a pratiquement rien, personne pour élever la voix. Le pire dans ce génocide, c’est le silence complice de ce génocide. Le silence complice des élites européennes. La complicité des élites états-uniennes qui fabriquent des armes et des armes et des armes pour bombarder et tuer des Palestiniens innocents. Plus de 21.000 Palestiniens ont été tués. Onze mille d’entre eux étaient des enfants. Il semble qu’ils se sont attaqués aux enfants pour les exterminer. Plus de six mille femmes.

Ce qui est commis en Palestine n’a pas de nom, c’est seulement comparable à l’holocauste que le peuple juif a subi à l’époque d’Hitler, à l’époque nazie. La justice internationale devrait fonctionner. Mais nous ne voyons tout simplement pas apparaître la justice internationale. Un génocide en plein jour diffusé en direct sur les médias sociaux. Et rien ne se passe.
Tous ces génocides, toutes ces brutalités ne seront peut-être pas punis aujourd’hui, mais peut-être à l’avenir. Et le monde qui émerge demandera un jour des comptes à tous ceux qui ont encouragé ce génocide aujourd’hui. Nous sommes solidaires. Particulièrement en cette période de Noël. Nous avons gardé à l’esprit les enfants de Palestine. Là où l’enfant Jésus est né, Noël n’a pas pu être sauvé, Ramonet, le 24 décembre, tous les lieux de Bethléem ont été fermés. Et la crèche avec l’enfant Jésus entourée de chars. C’est le symbole : l’enfant massacré, Hérode encore. Mais nous verrons ce que l’avenir réserve à la lutte et à la résistance du peuple palestinien, et à la lutte et à la résistance de notre peuple.

« CELUI QUI GAGNERA LA BATAILLE DES RÉSEAUX GAGNERA LA GUERRE CULTURELLE ».

IR : Monsieur le Président, pour conclure, je voudrais vous poser une question qui va au-delà de la politique. De tous les présidents que je connais, vous êtes celui qui a le plus réfléchi à la relation avec les médias. Vous avez une émission de télévision très réussie que vous avez lancée récemment, « Avec Maduro plus », et vous êtes très présent sur les réseaux. Quelle est votre relation avec les médias ? Quels sont vos objectifs ? Et quelle relation pensez-vous qu’un président devrait avoir avec les médias aujourd’hui ?

NM : Il est essentiel de pouvoir communiquer. Et comme tu l’expliques toi-même, je l’ai entendu de ta bouche : nous sommes dans une nouvelle ère de communication. Je l’ai pris comme exemple et je l’ai expliqué à nos collaborateurs. L’humanité a connu cinq grands moments de communication.
Le premier, quand l’homo sapiens, a commencé à parler et à communiquer par la parole, partout où il existait sur la planète Terre.
Le deuxième, lorsqu’il a commencé à écrire et a commencé à communiquer par l’écriture. D’abord par des symboles, puis par l’écriture, en Chine, en Inde, etc.
Troisièmement, lorsque l’imprimerie est apparue, que les livres et les journaux sont apparus et qu’un journal pouvait circuler d’un continent à l’autre.
Quatrièmement, et c’est un moment de communication étroitement lié au 20e siècle, l’émergence du cinéma, de la radio et de la télévision, qui ont dominé pratiquement tout le 20e siècle et une partie du 21e siècle. Le président Chávez était un maître dans la gestion des médias traditionnels et a été l’initiateur de l’ère Twitter, un maître avec son compte @chavezcandanga, dans le premier réseau social de masse qu’était Twitter.

Et nous sommes dans un cinquième moment de communication, décisif, déterminant, total, dominant : celui des réseaux sociaux. Aujourd’hui, Instagram, Facebook, TikTok et ce qu’on appelle maintenant X dans une moindre mesure, et YouTube sont les réseaux sociaux dominants. Où l’on interagit pendant des heures, où l’on s’informe, où l’on communique. N’importe quel être humain, dans le quartier le plus reculé de Caracas, à Shanghai, à Mexico, à New York, à l’heure dont nous parlons, ouvre son Instagram, ouvre son TikTok, ouvre son Facebook et lance un message. Et il arrive souvent que ce message devienne viral. Parfois en raison du contenu, de la nature accrocheuse de ce qu’il poste. D’autres fois, grâce aux algorithmes des propriétaires eux-mêmes, ceux qui sont des propriétaires invisibles.
Avant, vous saviez qui possédait Venevisión ici au Venezuela, qui possédait Televen, qui possédait je ne sais quelle station de radio, le propriétaire de « El Nacional », Miguel Otero Silva, ton ami. Maintenant, vous ne savez pas où il vit, ni qui est le propriétaire, qui est le patron de TikTok au Venezuela. Où ? Dites-moi. Si vous avez une plainte à formuler, si TikTok a fait ceci, cela et cela contre ma famille, où dois-je m’adresser ? Quelle est la loi qui la régit ? C’est une question qui doit être étudiée.

C’est pourquoi je dis que nous devons construire un nouveau système. J’ai dit au peuple vénézuélien : nous devons construire un nouveau système de communication, d’influence permanente. Et je l’ai appelé le système GRC -Redes, Calles, Medios y Paredes (Réseaux, Rues, Médias et Murs). Je te laisse y penser. Je fais des efforts, je contribue à maintenir TikTok en vie, actif, attrayant, avec des choses pour maintenir mes autres réseaux sociaux, pour maintenir une voix différente dans ces réseaux qui sont dominés par les puissances transnationales, et pour communiquer dans les réseaux. Mais nous ne pouvons pas en rester là, nous devons continuer à communiquer dans les rues, dans les médias traditionnels et sur les murs, pour que les murs parlent aussi.
Il s’agit donc d’une question vitale de la nouvelle ère qui ne doit pas être négligée, c’est une priorité. Celui qui gagnera la bataille dans les réseaux, dans les rues, dans les médias et sur les murs, gagnera la bataille des idées, comme l’a dit Fidel, gagnera la bataille politique, gagnera la guerre culturelle. Elle est décisive.

« CETTE ANNÉE 2024, LE PEUPLE VÉNÉZUÉLIEN VA DONNER UNE NOUVELLE LEÇON À LA DROITE OLIGARCHIQUE ».

IR : Monsieur le Président, dernière question : 2024 sera une année électorale exceptionnelle dans le monde. Il y aura des élections dans près de soixante-quinze pays. Plus de 4 milliards de personnes seront mobilisées par les élections. Des élections aux États-Unis, en Russie, en Inde, en Ukraine. En Amérique latine, il y aura des élections au Mexique, en Uruguay, au Panama, au Salvador, en République dominicaine… et aussi au Venezuela. L’opposition a déjà désigné neuf candidats, semble-t-il. Et les analystes considèrent votre candidature comme acquise… J’aimerais donc vous demander si vous serez bien le candidat du chavisme à l’élection présidentielle de 2024 ?

NM :
Ce que je peux te dire, c’est que c’est encore prématuré. L’année ne fait que commencer. Seul Dieu le sait… Pas Diosdado (Maduro ironise à propos du nom d’un dirigeant et ami chaviste, NdT), mais Dieu. Attendons que les scénarios électoraux du processus qui aura lieu cette année soient définis, et je suis sûr qu’avec la bénédiction de Dieu, nous prendrons la meilleure décision.
Je suis président non pas parce que j’ai un ego et qu’un jour j’ai dit : « Je veux être président« . Ni parce que je suis de la noblesse. Ou parce que je porte le nom de Maduro comme un noble, un seigneur de ses terres, ou que je suis né pour être président, comme ces abrutis politiques de l’oligarchie rance, qui pensent qu’ils sont prédestinés à être président parce qu’ils ont du sang noble ou un nom de famille. Je suis un homme à pied, c’est dans la vie que j’ai trouvé les moyens de défendre une idée, une cause, un projet. Et sur cette route, nous avons rencontré le plus grand des maîtres, notre président Hugo Chávez, un père pour tous, qui a construit un projet, qui nous a ramené Bolívar. Il a fait entrer Bolívar dans le XXIe siècle et en a fait un projet pour la Patria Grande, un projet pour le pays, il en a fait la conscience du peuple.

Nous, je dis nous parce que je fais partie d’un collectif, faisons partie d’une cause historique. Je ne suis pas moi, je fais partie d’une cause historique, je fais partie d’un projet national, je fais partie d’un puissant mouvement populaire de millions d’hommes et de femmes. Je fais partie d’une équipe : le haut commandement politico-militaire de la révolution. Je ne me dois pas à moi-même, je ne m’impose pas un ego, une prédestination. Non. Pourquoi ai-je été président ? Eh bien, parce que le commandant Chávez, à un moment donné, en raison d’une maladie très grave, a dû prendre une décision… Et ce choix, le peuple l’a ratifié lors d’une élection héroïque, le 14 avril 2013. Ensuite, je me suis soumis aux épreuves d’une guerre brutale, et lorsque 2017 est arrivé – rappelle-toi les guarimbas (violences de l’extrême droite, NdT), quatre mois de violence, de tentatives de coups d’État, de tentatives d’assassinat – nous avons fait appel à l’Assemblée Constituante. La paix a été rétablie avec la Constitution en main. Ensuite, nous avons remporté les élections des gouverneurs de manière consécutive. Nous avons donné ce qu’on appelle au Venezuela une « pela » (KO électoral, NdT) à la droite réunie. Elle s’est enhardie. Je me souviens de Ramos Allup [du parti Acción Democrática] : « Nous allons gagner vingt-cinq gouvernorats sur vingt-trois« , avait-il déclaré.

Sur vingt-trois, nous en avons gagné dix-neuf… Les États les plus grands et les plus importants du pays… Un miracle populaire, un miracle chaviste. Et le 10 décembre de la même année, nous avons remporté les mairies, 80 % des mairies. Et en 2018, à l’aube de l’année 2018, nous avons tenu un débat au sein du mouvement populaire vénézuélien, du pouvoir populaire, du Grand pôle patriotique, du Parti socialiste unifié du Venezuela, et j’ai de nouveau été candidat en leur nom. Parce qu’ils l’ont décidé, et non parce que j’ai dit « je suis prédestiné« , ou « j’ai du sang noble« , ou « je suis le plus sympa« , ou « je suis indispensable« .
Donc ici, dans cette décision sur mon éventuelle candidature en 2024, ni les ambitions personnelles, ni les ambitions individualistes, ni l’ego, ni le titre de noblesse, ne passeront avant les intérêts de la patrie. Et quand la décision sera prise, quelle qu’elle soit, nous irons tous à la bataille… Ce que je peux te dire aujourd’hui, ce que je peux affirmer aujourd’hui, c’est qu’en cette année 2024, le peuple vénézuélien va donner aux empires du monde, à la droite oligarchique, aux extrémistes, une nouvelle leçon qu’ils n’oublieront pas de sitôt. Le mouvement populaire, les forces populaires et notre pays tout entier se préparent à une grande victoire électorale et à une nouvelle période de révolution avec le Plan national Simon Bolivar et les projets historiques que nous a légués le président Hugo Chávez. Je peux te l’assurer : 2024 sera une année de grands triomphes qui ouvrira les portes à de grandes réalisations pour l’avenir, en 2025 et au-delà.

IR : Merci beaucoup, Monsieur le Président. Je vous souhaite une bonne année et tout ce qu’il y a de mieux pour vous, pour votre famille et pour votre pays. J’attends avec impatience une nouvelle rencontre l’année prochaine.

NM : Bien sûr. Nous nous reverrons. Bonne année à toutes et à tous.

Interview réalisée dans la Maison Natale du Libérateur Simón Bolívar, Centre historique de Caracas, lundi 1er janvier 2024.

Traduction de l’espagnol : Thierry Deronne

Source : https://mondiplo.com/en-2024-nuestro-pais-se-prepara-para-una-gran

Photos : I.R. / Prensa Presidencial.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/01/01/en-2024-le-venezuela-se-prepare-a-une-grande-victoire-electorale-linterview-de-nicolas-maduro-par-ignacio-ramonet/

« Juanito la vermine, Roi du Venezuela », le nouveau livre de Maurice Lemoine. Interview de l’auteur par Thierry Deronne

L’action se déroule dans un pays imaginaire, la République bolivarienne du Venezuela. Il y a là du pétrole. Beaucoup de pétrole. Et un président qui dérange, Nicolás Moro. A l’initiative du locataire de la Maison-Blanche, le Grand Fuck You, un député vénézuélien d’opposition, Juanito, s’autoproclame « président ». Commence une bataille infernale. Washington multiplie les sanctions pour asphyxier le Venezuela ; à Caracas, Juanito et les siens peaufinent un coup d’Etat ; en Colombie, l’ex-béret vert US Jordy Goureau et ses mercenaires préparent une invasion. Tous embarqués dans cette sombre histoire de pétrole, de billets verts, d’intrigues et de trahisons, feront-ils tomber Moro ?
Fiction, sûrement… Mais jamais la « crise vénézuélienne » (la vraie) n’a été racontée de façon aussi détaillée, au plus près des événements et… à contre-courant.

***

Thierry Deronne – Ce roman se déroule dans un pays prétendument imaginaire, la République bolivarienne du Venezuela ; cependant, si j’en crois la « 4 de couverture », il raconterait la crise vénézuélienne,  « la vraie », de façon très fouillée. Si tel est l’objectif, pourquoi une fiction ?

Maurice Lemoine – Parce que, s’agissant du Venezuela, c’est devenu la règle ! Lorsque je lis ou écoute la grande majorité de mes confrères et consœurs journalistes, les commentateurs, éditorialistes et supposés spécialistes qui prétendent rendre compte de la situation vénézuélienne, j’ai avec effarement l’impression de lire ou d’entendre de la fiction. D’ailleurs, je ne suis pas le seul. Récemment, lors d’un Sommet des pays d’Amérique du Sud, le président brésilien « Lula » lui-même a parlé de « construction narrative » pour analyser le traitement médiatique auquel ce pays a été soumis. Du coup, et comme le judoka retournant contre celui-ci la force de son adversaire, j’ai décidé d’employer la même technique pour tenter de rétablir quelques parcelles de vérité ! En d’autres termes : on dit souvent que la réalité dépasse la fiction ; dans mon cas, la fiction a pour objectif de rattraper la réalité. C’est du moins ce que je prétends.

T.D.C’est là la seule raison ?

M.L. – Non, il y en a plusieurs autres. Je ne devrais pas le dire, mais un roman est plus agréable à lire – et à écrire ! –  qu’un savant essai. Attention : je ne sous-estime pas l’importance des essais. J’en ai entre autres publié un – Venezuela. Chronique d’une déstabilisation (Le Temps des Cerises) – pour analyser la période 2013-2019, de la mort d’Hugo Chávez aux deux élections de Nicolás Maduro et à l’apparition d’un certain Juan Guaido. En envisageant d’écrire la suite, j’ai décidé, pour varier les plaisirs (ce qui est une façon de parler, s’agissant de l’agression dont est victime la Révolution bolivarienne), de le faire dans un registre différent. En fait, en passionné d’Amérique latine, mais aussi de « littérature populaire », j’écris les romans que j’aimerais lire et que je ne trouve pas en librairie ! Des trucs qui te passionnent (enfin, j’espère, s’agissant des miens !), mais que tu sais ancré dans la réalité – comme mes précédents Chávez, Presidente (Flammarion) ou Cinq Cubains à Miami (Don Quichotte). Ce que, dans mon jargon, j’appelle des « docu-romans ».

T.D.Ce qui signifie, concrètement ?

M.L. – Que le spécialiste reconnaît tous les personnages, même sous leur nom d’emprunt ; que le béotien, sans forcément mettre un visage connu sur les protagonistes de l’histoire, saisit la logique des événements racontés. Ce qui est l’essentiel, de mon point de vue, compte tenu du niveau de méconnaissance et d’incompréhension de la réalité vénézuélienne, qui sert de cadre à ce récit.

T.D.J’en déduis donc que « Juanito la vermine » c’est le député d’opposition Juan Guaido qui, en 2019, s’est autoproclamé président du Venezuela !

M.L. – Hou, là, doucement… Même sous la torture, je n’en démordrai pas :  toute ressemblance avec des événements ou des personnes existantes ou ayant existé relève d’une pure coïncidence pour laquelle je décline toute responsabilité. Vu la sale manie américaine d’imposer des sanctions extraterritoriales à tort et à travers, et à n’importe qui, on n’est jamais trop prudent ! Après, bien entendu,  si d’aucuns croient reconnaître dans le Grand Fuck You, Mike Napolitano, Yván Dulce, Jair Bolso, Luis Mugro, Léo Poldo, Enrique Caprisky ou Maricori Laloca les silhouettes de Donald Trump, Mike Pompeo, Iván Duque, Jair Bolsonaro, du secrétaire général de l’OEA Luis Almagro et des dirigeants de l’opposition vénézuélienne Leopoldo López,  Enrique Capriles ou Maria Corina Machado, pour ne prendre que ces quelques exemples, franchement, je n’y peux rien ! Pour ma part, j’hésite vraiment à croire que le président français Emmanuel Macron puisse avoir quelque chose à voir avec celui qui, dans le roman, s’appelle Manu Micron.

A chacun de se faire son idée – et de se débrouiller avec Washington, le cas échéant.

T.D.Combien de temps as-tu consacré à la rédaction de ce roman ?

M.L. – Un peu plus d’un an et demi. Ce qui me déprime quand je constate que, en quelques jours, on peut l’avoir lu entièrement !

T.D.Quelle a été ta méthode, comment l’as-tu construit ?

M.L. – Je l’ai bâti en m’appuyant, quasiment jour par jour, sur les péripéties de la vie politique vénézuélienne, qu’elles se déroulent à Caracas, Washington, Brasilia ou à Bogotá et Cúcuta (en Colombie). On pourrait presque parler d’un « journal », dans le sens « relation quotidienne des évènements ».

T.D.Ça ne risque pas d’être fastidieux pour le lecteur ?

M.L. – Fastidieux ? Mais la vie politique vénézuélienne est en soi un vrai roman ! Qu’on en juge : un président imaginaire disputant le pouvoir au chef de l’État légitime. Une aide humanitaire bidon censée entrer de force dans le pays. Le gentil protégé de Washington fricotant avec les paramilitaires colombiens. Une bataille homérique sur la frontière. Les pitreries de Donald Trump dans le Bureau ovale. La menace permanente d’une intervention militaire US. Une panne d’électricité géante. Un coup d’État raté. Mille manœuvres tordues pour déstabiliser économiquement le pays. Un grenouillage de déserteurs et de mercenaires. L’organisation d’une invasion depuis le pays voisin. Un contrat de type mafieux sur la tête du président Nicolás Maduro. De sombres et tortueuses affaires de corruption. La guerre sournoise que se livrent les différentes factions de l’opposition. L’incroyable résistance des chavistes, unis derrière leur président…

En termes de rebondissements, on peut difficilement faire mieux, non ?

T.D.Quelles ont été tes sources ?

M.L. – Toutes les options ont été sur la table ! Ma connaissance du Venezuela (ainsi que de la Colombie et des pays voisins), où je vais régulièrement en reportage, mes interviews de certains protagonistes, le suivi des réseaux sociaux, la lecture quotidienne des médias nationaux et internationaux dans leur traitement de la « crise vénézuélienne ». C’est fou le nombre de déclarations que font en permanence les dirigeants ! Il suffit de les collecter et de les replacer dans la bouche des personnages imaginaires d’un roman pour avoir un récit qui ressemble sacrément à la réalité. En fait, seuls les personnages secondaires tiennent des propos et se livrent à des agissements relevant à proprement parler de ma très pauvre imagination.

T.D.En parlant de personnages secondaires, tu mets en scène un ambassadeur de France appuyant ouvertement la déstabilisation…

M.L. – Ah, oui, je l’ai appelé Romain Laval. Mais, ça, pour le coup, c’est une pure invention. Qui pourrait imaginer le représentant du pays des droits de l’Homme transformé en garde du corps d’un putschiste ?

T.D.N’empêche que la récente mutation en Argentine de l’ambassadeur Romain Nadal a suscité une avalanche de réactions désespérées de la droite et de l’extrême droite vénézuéliennes !

M.L. – Oh ! Vraiment ? Alors, là, les bras m’en tombent, je suis stupéfait… (rires)

Photo : Romain Nadal, ambassadeur de France, avec le putschiste Juan Guaido à Caracas.

T.D.En tant qu’analyste politique, et non plus en tant qu’écrivain, à moins que les deux n’agissent en pure symbiose, quel est ton point de vue sur l’irruption d’un Guaido  ? Avait-il une pensée propre, à part réclamer des sanctions et empocher des sommes astronomiques comme l’ont dénoncé finalement plusieurs de ses proches alliés ?

M.L. – Guaido a été et demeure une marionnette – tout comme le trio de femmes inconnues de tous (sauf de Washington), qui l’ont remplacé à la tête de son Assemblée nationale imaginaire (car l’imposture continue). Nous avons d’ailleurs tous commis l’erreur de qualifier trop souvent Guaido de « président autoproclamé ». Si Donald Trump et son gang ne lui avaient pas ordonné d’usurper la fonction de chef de l’État, jamais ce petit député élu avec 90 000 voix ne se serait lancé dans une telle opération. Il ne s’est pas autoproclamé, il a été désigné, adoubé, imposé par la Maison-Blanche, le Pentagone et le Département d’État. Leurs instructions l’ont poussé à passer à l’action. Leur soutien constituait sa police d’assurance. Et, a-t-il cru, une garantie de réussite. Ce en quoi il s’est trompé, comme tous ceux qui l’ont implicitement et explicitement appuyé.

T.D.Son implosion finale ne montre-t-elle pas que l’Empire a sous-estimé l’intelligence d’un peuple et la capacité politique du président Maduro ?

M.L. – S’il n’y avait que l’Empire, dont on connait les antécédents dans ce qu’il considère comme son arrière-cour, il n’y aurait pas lieu d’être vraiment surpris. Même si l’on demeure atterré de voir que les outrances d’un Trump ne diffèrent guère des attitudes en apparence plus policées d’un Barack Obama et d’un Joe Biden. Mais que dire des supplétifs de l’Union européenne ? Qu’on se souvienne d’Emmanuel Macron et de l’espagnol Pedro Sánchez posant en janvier 2019 un ultimatum au Venezuela en donnant à Maduro une semaine pour organiser de nouvelles élections ! Oui, grosse surprise – sauf pour ceux qui respectent les latinos. Une telle arrogance néocoloniale a trouvé à qui parler.

T.D.La presse occidentale a relooké à l’unisson ce putschiste d’extrême droite en « président-démocrate-et-sympa », mais la presse US a au moins a publié le contrat signé par Guaido avec des mercenaires pour envahir le Venezuela et assassiner Maduro, évoqué ses liens avec les paramilitaires colombiens ou révélé ses relations avec Rudy Giuliani (le très mafieux avocat de Trump) aujourd’hui mis en examen par la justice états-unienne. La presse française a été beaucoup plus servile  – à l’image de l’hagiographie de Guaido par Laurence Debray pour Paris-Match

M.L. – Je ne me prononcerai pas sur cette pauvre Laurence Debray (ce n’est pas le moment de me fâcher avec Paris-Match, dont j’espère la publication d’un article élogieux sur mon roman). Pour le reste, que pourrais-je ajouter ? Il existe encore des journalistes aux États-Unis – même si, bien souvent, leurs révélations, généralement tardives, ont eu essentiellement pour objet, en montrant les turpitudes et les échecs de sa politique, d’empoisonner la vie d’un Trump devenu indésirable au fil du temps. Mais, en tout état de cause, ils ont de temps en temps, preuves à l’appui, rendu compte des méthodes mafieuses et criminelles de l’extrême droite vénézuélienne. En Europe, en France, dans la presse dite classique et même sur le service public, silence total – n’y sont autorisés que le dénigrement du chavisme et la condamnation de Maduro. On y compte désormais plus d’influenceurs que de professionnels de l’information. D’où, dans l’opinion publique, une méconnaissance totale de ce qui se passe réellement au Venezuela. Même au sein d’une gauche et d’une extrême gauche qui, s’agissant de l’« international », sont de plus en plus domestiquées.  

T.D.Pourtant, ces gauches viennent de commémorer comme il se doit le cinquantième anniversaire du coup d’Etat du général Augusto Pinochet et le sacrifice de Salvador Allende…

M.L. – C’est vrai, et l’analyse de l’épisode se révèle particulièrement intéressante. Outre les journalistes et les politiciens, la camarilla d’universitaires, maîtres de conférence, docteurs en science politique et autres professeurs d’histoire contemporaine qui ont monopolisé les colonnes et les ondes sur le sujet, se sont fort ostensiblement rangés derrière le « gentil Allende » contre le « méchant Pinochet » – ce que personne ne leur reprochera. Quasiment tous ont rappelé les rouages du « golpe », le rôle des États-Unis, de la CIA, et la féroce déstabilisation économique qui a préparé et précipité le funeste dénouement. Toutefois, aucun ou quasiment aucun de ces notables ne s’est risqué à comparer cette déstabilisation économique à celle qui, sous leurs yeux, depuis 2015, a détruit le Venezuela pour faire tomber cette fois le chavisme et Nicolás Maduro. Il est vrai que, sur le Chili, il n’y a plus aucun risque à se prononcer, l’Histoire a tranché. S’agissant du Venezuela, le « light », le décent, un politiquement correct permettant de mener une carrière tranquille en évitant de déplaire à la meute, impliquent de détourner les yeux, ou même d’évoquer un « régime vénézuélien autoritaire » n’ayant « rien à voir » avec le socialisme démocratique fort respectable du Chili d’autrefois.

En réalité, la déstabilisation du Venezuela par les États-Unis et leurs complices est exactement similaire à celle qui a préparé le terrain au coup d’État de Pinochet. Les mécanismes sont les mêmes. Demandez aux Chiliens comment, entre 1970 et 1973, ont été organisées les pénuries. Entre les deux pays et les deux époques, il n’existe qu’une différence : dans le Chili des années 1970, Washington et l’oligarchie locale ont trouvé une poignée de militaires félons pour renverser le président démocratiquement élu ; au Venezuela, l’impérialisme et ses alliés ont échoué – et avec eux Guaido, dont c’était le rôle – à fracturer les forces armées. Ne pas relever ces similitudes et occulter cette évidence relève d’une absolue… inconséquence – pour ne pas employer de mots trop méchants.

T.D.Si tu devais assurer la promotion de ton bouquin, quels arguments emploierais-tu ?

M.L. – Question délicate, pour ne pas dire inconfortable – tout auteur parlant de son « bébé » manque par définition d’objectivité –, mais je vais essayer de jouer le jeu (avec un sourire en coin). Ce roman apporte un éclairage concret, vivant, plein de bruit et de fureur et de couleurs, sur tout ce dont nous venons de parler. Par ailleurs, après une plage de pause médiatique – due au fait que… la situation s’y est améliorée ! –, le Venezuela va revenir au premier plan de l’actualité. Une élection présidentielle y aura lieu en 2024 ; dans quelques semaines se dérouleront (sauf imprévu) des primaires de l’opposition. Je m’avance peut-être, et ce n’est finalement pas à moi d’en juger, mais une plongée dans Juanito la vermine devrait permettre de comprendre le comportement des acteurs des prochains événements, car ils se démènent tous, sous une forme ou sous une autre, dans les 800 pages de péripéties du roman.

Bref, si les lecteurs et les lectrices désireux de s’informer peuvent joindre l’utile à l’agréable, j’en serai ravi (et mon éditeur aussi !).

Maurice Lemoine, Juanito la vermine, roi du Venezuela, Le Temps des Cerises, Montreuil, 801 pages, 28 euros.

En librairie à partir du 6 octobre. On peut aussi le commander en ligne : https://www.fnac.com/a18268273/Maurice-Lemoine-Juanito-la-vermine

« Juanito la vermine » est déjà disponible au Venezuela. Photo: Victor Hugo Rivera.
Juan Guaido et son royaume imaginaire, vu par les vénézuéliens...

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/10/03/juanito-la-vermine-roi-du-venezuela-le-nouveau-livre-de-maurice-lemoine-interview-de-lauteur-par-thierry-deronne/

Salvador Allende, « presente » ! par Maurice Lemoine (Mémoire des Luttes)

Photo: A Caracas, le hall du Ministère des Affaires Étrangères du gouvernement bolivarien accueille depuis quelques années une sculpture géante de Carlos Altamirano : les lunettes du Président Salvador Allende telles qu’elles ont été retrouvées après le coup d’État piloté par les États-Unis en 1973 pour mettre Pinochet au pouvoir.

Un véritable délire ! Ce soir du 4 septembre 1964, à Santiago du Chili, les gens s’embrassent dans la rue. Les clameurs montent : « Vive le président Frei ! Vive la Démocratie chrétienne ! » Eduardo Frei ? La revue américaine Look l’a récemment salué comme l’homme « le plus important d’Amérique latine ». C’est pour cette raison sans doute que le « monde libre » a suivi avec anxiété l’élection à la présidence de la République qui vient de s’achever. Dans ce pays foncièrement démocratique, « si le candidat du Front socialo-communiste Salvador Allende, ami intime de Fidel Castro, était sorti vainqueur, le Chili serait peut-être devenu un second Cuba et, par osmose, toute l’Amérique latine risquait d’être influencée [1].  » Le « monde libre » respire donc. La bourgeoisie chilienne aussi. Washington encore plus. Sans parler de la CIA, qui a investi trois millions de dollars pour influencer le cours de l’élection en faveur de Frei [2]. Il y a du bon Samaritain chez ces gens-là.

Pour qui aurait oublié ce détail, on rappellera que, le 29 novembre 1961, John Fitzgerald Kennedy (JFK) a brutalement limogé Allen Dulles, le chef de la CIA, à la suite du désastre de la Baie des Cochons, à Cuba. En lieu et place, il a nommé John McCome. En avril 1965, ce dernier a quitté à son tour l’« Agence » pour devenir administrateur d’une autre multinationale états-unienne : la International Telephone and Telegraph Corporation (ITT). Le plus important investissement américain au Chili après ceux concernant le cuivre.

On rappellera aussi que, du début de l’Alliance pour le progrès, lancée en 1961 par JFK, jusqu’à 1973, l’« Agence » sera autorisée à dépenser plus de 12 millions de dollars pour soutenir la démocratie chrétienne contre la coalition de gauche historiquement emmenée par le socialiste Salvador Allende. Au passage, en 1970, flairant le danger, la ITT a offert 1 million de dollars à cette même CIA pour qu’elle empêche Allende de devenir président. Comme elle est tout sauf avare lorsque ses intérêts sont en jeu, ITT avait préalablement versé quelque 400 000 dollars pour financer la campagne du républicain Richard Nixon, élu le 5 novembre 1968.

On rappellera enfin que, le 27 juin 1970, lors d’une réunion du Conseil national de sécurité, un certain Henry Kissinger a déclaré : « Je ne vois pas pourquoi nous devrions rester tranquilles quand un pays devient communiste à cause de l’irresponsabilité de son propre peuple. »

Il n’empêche… Le 4 septembre 1970, l’hiver austral touche à sa fin, dans tous les sens du mot. Au cours d’une élection triangulaire (sans deuxième tour), et avec 36 % des suffrages, Allende a été élu à la tête d’un ensemble de partis rassemblés au sein de l’Unité populaire (UP) [3]. Il n’a rien d’un boute feu. Certes ambitieux, son programme de « transitions vers le socialisme » a été préparé par des groupes d’experts internationalement reconnus, venant souvent de la Commission économique pour l’Amérique latine (Cepal) de l’Organisation des Nations unies.

Le 24 octobre, Allende occupe son bureau dans l’imposante construction de style néoclassique, le palais présidentiel de La Moneda. Portés haut par un Chili populaire en liesse, pancartes et calicots se balancent joyeusement. « J’étais le compañero Allende, je serai le compañero presidente », lance depuis le balcon de la Fédération des étudiants celui qui a été un sénateur forgé dans les luttes quotidiennes et particulièrement apprécié à gauche pendant vingt-quatre ans.

Faisant triompher le rêve de la mesquine réalité, Allende met en œuvre un programme à la fois anti-impérialiste, anti-oligarchique et anticapitaliste – le tout dans le cadre de la démocratie. La théorie selon laquelle seule la violence révolutionnaire ouvrirait la voie au socialisme lui a toujours paru dangereuse. Cela ne l’empêche pas, en novembre 1971, de rétablir les relations diplomatiques avec La Havane et de recevoir pendant vingt jours le proscrit continental Fidel Castro. Lequel, démontrant son souverain mépris du qu’en dira-t-on, lui offre une superbe kalachnikov AK-47 apportée de Cuba. Le cadeau ne plait pas à tout le monde, mais Fidel est comme ça. Ce qui n’a d’ailleurs qu’une importance relative : ces illusions romantiques n’étant plus de son âge, Allende range l’arme dans un coin. Manifestement pas ou mal informées, et avant que Fidel ne reparte dans « son île pourrie », les dames de la bourgeoisie, accompagnées de leurs filles (pas spécialement faméliques) et de leurs domestiques (en tablier blanc), défilent devant La Moneda en tapant sur des casseroles et en criant, alors qu’elles ne manquent pas de brioche, « nous voulons du pain ». Quelques décennies plus tard, dans des pays comme le Venezuela, le Nicaragua ou autres nations administrées par des gouvernements progressistes, on rebaptisera « société civile » ce genre de conglomérat levé contre des pouvoirs légitimement élus.

Quand, le 28 septembre de cette même année 1971, Allende annonce la nationalisation du cuivre – « le salaire du Chili », 80 % de ses exportations [4] –, il provoque une explosion de joie. Les murs se couvrent de slogans qui en disent long sur le sentiment de fierté retrouvée : « Désormais, le Chili porte des pantalons longs ». Au rythme de la nationalisation d’autres secteurs – charbon, nitrates, fer, banques, grande industrie –, d’une réforme de la Constitution, de l’activation de la réforme agraire (près de 2,5 millions d’hectares redistribués), de l’augmentation des salaires, du lancement de travaux publics à grande échelle, d‘un élargissement permanent de l’aire de « propriété sociale », le socialiste fait tout sauf trahir ses promesses de campagne. Certes, par nature faillibles, les systèmes conçus par des organisations ou des êtres humains ne sauraient être parfaits. A un moment ou à un autre, les problèmes ne manquent pas : ralentissement de la croissance, explosion des importations du fait de l’élévation du niveau de vie des secteurs populaires, déficit de la balance des paiements, inflation, acharnement des radicaux de l’UP à se montrer aussi avant-gardistes que possible… Mais, en 1971 et 1972, sur la base d’un fort soutien à la demande interne, liée à une redistribution des revenus et à un accroissement de l’intervention de l’Etat, la production industrielle augmente de plus de 10 % chaque année.

En ce temps-là, c’est-à-dire avant l’arrivée d’Allende au pouvoir, les entreprises étrangères, en particulier étasuniennes, tiraient du Chili d’énormes profits. Exploitant la majeure partie des gigantesques mines de cuivre, la Kennecott et l’Anaconda Copper Company (canadienne) y réalisaient respectivement 34,8 % et 20,2 % de leurs bénéfices annuels. Pour en revenir à elle, l’ITT Corporation, outre deux hôtels Sheraton, possédait 70 % de la Chitelco, la compagnie de téléphone chilienne, qui lui rapportait, en 1970, 153 millions de dollars par an [5].

La notion de démocratie n’est sans doute pas la même dans toutes les cultures. Dès le 5 septembre 1970, le lendemain du scrutin, l’ambassadeur des Etats-Unis au Chili, Edward Korry, câblait à Washington, très alarmé : «  Mon pessimisme électoral de la nuit dernière s’est renforcé. Ni les politiques ni les forces armées ne se sont opposées à l’élection d’Allende ; nous n’avons plus la moindre parcelle d’espoir. Les Etats-Unis doivent commencer à prendre en compte la réalité d’un régime Allende. Nous ne pouvons compter pour l’instant sur les forces armées, chacun espérant qu’un autre prenne l’initiative et aucun n’étant prêt à assumer la responsabilité historique de faire couler le sang et de déclencher une guerre civile. » Convoqué à la Maison-Blanche, Korry saute dans un avion, atterrit à Washington, s’engouffre dans une limousine et gagne le 1600 Pennsylvania Avenue. Dans son bureau ovale, Nixon roule des billes hargneuses au possible. Son secrétaire d’Etat Henry Kissinger l’a déjà soigneusement briffé : « Allende est une menace parce qu’il a été élu démocratiquement ! Son gouvernement de changement, pacifique et utilisant des structures démocratiques, pourrait s’étendre à d’autres régions d’Amérique latine et d’Europe. »

De Santiago, arrivent en hâte d’autres émissaires. A commencer par Agustín Edwards Eastman, propriétaire du plus grand conglomérat économique chilien de l’époque, le groupe Edwards, et surtout du quotidien El Mercurio. Fort de ses 130 000 exemplaires, il s’agit de l’organe de presse le plus puissant du pays. Edwards déboule à Washington le 14 septembre 1970. Pas surpris le moins du monde, Kissinger organise séance tenante et par téléphone une réunion « au sommet ». Dès le 15 à 9 heures 15, Edwards se retrouve dans le Bureau ovale en compagnie du célèbre duo Nixon-Kissinger, du directeur de la CIA Richard Helms et… de Donald Kendall, « general manager » de Pepsi-Cola. Contrairement aux apparences, il ne s’agit nullement d’évoquer les mérites comparés des boissons sucrées gazeuses et du vin chilien. Edwards sollicite une action militaire empêchant Allende de prendre ses fonctions. Il complète par quelques informations confidentielles sur les officiers chiliens disposés à participer à la conspiration.

Trois jours plus tard, le 18, lors d’une autre rencontre avec les dirigeants de la CIA, Edwards avertit : « Il est peu probable que les chefs des Forces armées agissent sans un certain nombre d’assurances claires et précises, principalement de la part des Etats-Unis, parce qu’ils craignent qu’eux-mêmes et leurs familles paient un prix élevé s’ils agissent et ne reçoivent pas une aide immédiate, décisive et substantielle [6]. »

Il est à peine besoin de préciser que, quelle que soit votre motivation de départ, être payé est toujours intéressant. Au cours de quelques conciliabules discrets, auprès de la CIA, bien sûr, mais aussi d’Henry Kissinger, toujours conseiller à la Sécurité nationale, futur secrétaire d’Etat aux affaires étrangères [7], à tu et à toi avec le président, l’ITT a promis une « somme à sept chiffres » – genre un million de dollars, pour les béotiens – destinée aux caisses noires du Parti républicain, en échange d’une « mise hors d’état de nuire » du nouveau président socialiste. Difficile pour Nixon d’ignorer un tel altruisme. D’autant que, sous son mandat, l’application de la doctrine de sécurité nationale atteint son apogée. Pour lui comme pour Kissinger, Allende est l’ennemi principal, plus dangereux encore que Fidel Castro. En respectant le pluralisme, sa « révolution empanadas et vin rouge » [8] sort le socialisme du statut infâmant dans lequel le prétexte de la guerre froide l’a plongé. Que le Chili reste entre les mains de l’Unité populaire, et le Mexique, le Panamá, le Pérou, l’Argentine risquent d’ébaucher autour de lui un « front anti-impérialiste ». Et qui sait même si des pays comme la France ou l’Italie ne pourraient s’en inspirer…

Une première fois, une moue vicieuse a tordu la bouche de Nixon, quand, frappant son bureau du poing, il a crié plus qu’il n’a dit : « Il faut à tout prix écraser ce son of a bitch  » – oui, « ce fils de pute », il parlait d’Allende, vous avez bien compris.

Il a re-convoqué le directeur de la CIA dans son antre : «  Il y a peut-être une chance sur dix de réussir, mais il faut sauver le Chili ! Aucune importance en ce qui concerne les sommes dépensées. Dix millions de dollars sont disponibles, plus si nécessaire ! Prenez à plein temps vos meilleurs hommes. Règle du jeu : le minimum de bruit et quarante-huit heures pour présenter un plan d’action ! » A l’exception d’une opération de type République dominicaine où, en avril 1965, une intervention de « marines » a parachevé le coup d’Etat contre le libéral de gauche Juan Bosch, un peu trop connotée, tout ce qui peut être utile à une déstabilisation doit être considéré comme bon. A Langley, dans le dos du Département d’Etat et sous la supervision directe de Thomas Karamessines, le chef de ses opérations clandestines, la CIA entre en action.

Première victime : le général René Schneider. Commandant en chef des Forces armées au moment des élections, il a défini que la mission de l’armée consistait à faire respecter la Constitution. Le 22 octobre 1970 – deux jours avant la proclamation officielle de la victoire d’Allende par le Congrès –, il est mortellement blessé, alors qu’il se rend à son bureau du ministère de la Défense, lors d’une tentative d’enlèvement organisée par le groupe d’extrême droite Patrie et Liberté.

A chacun son job. Le numéro deux de l’ambassade des Etats-Unis à Santiago, Harry Shlaudeman, qui a participé à l’invasion de la République dominicaine en 1965, est chargé de la coordination entre la CIA et les militaires chiliens, qu’il convient de mettre face à leurs responsabilités. Les multinationales, elles, ne relâchent à aucun moment la pression. Dans un courrier de l’ITT adressé au ministre du Commerce américain Peter G. Peterson en septembre 1971, soit juste après qu’elle ait été nationalisée, on peut lire : « Il faut tout mettre en œuvre, sans éclat, mais par les moyens les plus efficaces, pour veiller à ce que Allende n’aille pas au-delà des six prochains mois, qui seront cruciaux ». En compagnie de la Kennecott, elle aussi nationalisée, l’ITT publiera bientôt un « Livre blanc » et, poussant au blocus, amorcera une campagne internationale contre Santiago.

A ce stade du récit, on observera une très courte pause pour un conseil pressant : hormis le dénouement hyper-violent du « golpe » ici décrit et sa composante militaire, qui appartiennent indiscutablement au XXe siècle, ce qui va suivre doit être soigneusement conservé en mémoire. On en retrouvera une décalque presque parfaite au XXIe siècle lorsque sera déstabilisée la République bolivarienne du Venezuela.

« Make the economy scream ! » Affinant sa pensée, Nixon a donné des instructions directes à la CIA pour faire « crier l’économie » chilienne. Les mesures de rétorsion se multiplient : blocage des biens et avoirs chiliens aux Etats-Unis, refus des machines et pièces de rechange pour les mines, manœuvres à l’international pour empêcher la consolidation de la dette de Santiago, pressions sur le cours du cuivre, saisie-arrêt des exportations de ce métal vers l’Europe… Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM), organisme neutre dirigée depuis 1968 par Robert McNamara, l’artisan de l’escalade militaire contre le Vietnam, refusent tout prêt à Santiago.

Au passage, s’agissant de ces années 1970-1980 : qu’il s’appelle Jorge Videla (Argentine), Hugo Banzer (Bolivie) ou Augusto Pinochet, un dictateur n’a rien d’un malade mental qui, se levant un matin de mauvaise humeur, décide face à son miroir, en se rasant  : « Tiens, aujourd’hui, je ferais bien un coup d’Etat ! » Celui qui, à la force des baïonnettes, va s’emparer du pouvoir, n’a rien d’un loup solitaire. Qu’il soit politicien en costume gris, chemise blanche et cravate, affairiste bourré aux as, chevalier d’industrie, patron de multinationale ou banquier, l’armée se tient en général au côté de celui qui lui accroche des médailles au cou. Les premiers étant conscients de leur côté que, sans l’appui des forces armées, un renversement du régime qui, pour une raison ou pour une autre, leur donne des boutons, ne peut se concrétiser. Sachant par ailleurs que ni Lénine ni Marx n’ont véritablement défini le rôle de la classe moyenne ou de certaines de ses factions dans une société capitaliste avancée. Et que ce ventre mou de la société qui, mal à l’aise avec les contestataires incorrectement habillés, fait sagement la queue en attendant de recevoir ses miettes du gâteau, oscille à droite, à gauche, en fonction de ses intérêts du moment. Bref, derrière les hommes en uniforme – les seuls dont souvent l’Histoire se souvient – se tiennent une multiplicité d’acteurs. Nul besoin que tout le monde obtempère, il suffit qu’à chaque fois un nombre suffisant de personnes réagisse « positivement ». Ainsi, donc…

Trois années d’une hostilité implacable. Dès l’installation d’Allende à La Moneda, des organisations d’extrême droite comme Patrie et liberté ou Ne livrons pas le Chili ont fait leur apparition. Des bombes explosent un peu partout. Préoccupés par les frais généraux, les salaires à payer, les impôts, « toutes ces merdes socialistes », les hommes influents se hâtent vers les banques pour retirer leur argent. Ouvertement organisée à grande échelle, la fuite des capitaux saigne le pays. Dans leur rôle de gardiens du temple, le Parti démocrate-chrétien (PDC) et le Parti national (PN) forment une Confédération démocratique du Chili ou CODE (quel que soit le sigle, ne jamais oublier d’y faire figurer le mot « démocratique »). El Mercurio se déchaîne contre l’Unité populaire. Mettez-vous à sa place : quand une officine de Washington dont les initiales commencent par un C et finissent par un A vous offre discrètement un million 665 000 dollars en deux ans (1971 et 1972), vous ne lésinez pas pour lui donner satisfaction. Donc le quotidien répand les rumeurs les plus alarmistes, chauffe l’opposition à blanc : « Des groupes armés envahissent le Chili »  ; « Des milliers de Cubains préparent un auto coup d’Etat » !

En 1972, du fait des mesures sociales et de l’augmentation du pouvoir d’achat, la consommation populaire augmente considérablement. Suspendant la mise en vente de leurs stocks, retenant leurs marchandises, les entreprises privées provoquent des problèmes de ravitaillement. Des files d’attente interminables se forment à l’entrée des magasins. Elles permettent de faire de jolies photos. L’indispensable papier hygiénique vient à manquer (on se croirait au Venezuela dans quatre décennies). La majorité des biens de première nécessité ne se trouvent plus qu’au marché noir. El Mercurio se délecte : « Le socialisme c’est la pénurie ». Les chefs d’entreprises se mettent en grève pour défendre leurs acquis sociaux. Casseroles vides à la main, des milliers d’opposants parfumés et bien chaussés se rassemblent dans les rues.

Le 25 juillet 1973, c’est à son tour la puissante fédération des camionneurs qui déclare une grève illimitée. Des files interminables de bahuts se rangent sur le bord des routes. Dans un pays de 150 kilomètres de large, mais de 4 300 kilomètres de long, au pied des hautes montagnes et des pics déchiquetés surgis d’une brume bleue, c’est l’asphyxie. Pas pour tout le monde, n’exagérons rien. Chaque patron reçoit entre 40 et 160 dollars par camion et par jour d’immobilisation. Merci Langley [9] ! L’ennui, avec un certain type de guerre, c’est qu’elle détruit tout sens moral chez certains individus : les bahuts des non grévistes explosent mystérieusement. Des voies ferrées, des oléoducs, des pylônes à haute tension et des ponts également.

Créés par la base syndicale, les cordons industriels organisent des tours de garde pour prévenir les sabotages. La droite les dénonce comme tout autant de « milices ». Aidée par les deux Chambres du Congrès, la Cour suprême, les associations financières, industrielles et commerciales ainsi que par la majorité des médias, l’opposition réussit à mobiliser de vastes pans de la société – chefs des petites et moyennes entreprises, diplômés du supérieur, étudiants, femmes de la bourgeoisie – effrayés par l’instauration du « régime totalitaire sous tutelle soviéto-cubaine » annoncé. Le 22 août, la Démocratie chrétienne approuve une déclaration qui qualifie le gouvernement d’« illégitime », l’accuse de vouloir implanter « une dictature marxiste » et, de façon subliminale, en appelle à l’armée.

Les militaires ? Voilà au moins un motif de satisfaction. Certes, 55 % des officiers chiliens ont effectué des stages aux Etats-Unis et 18 % ont fréquenté l’Ecole des Amériques, centre de formation et d’endoctrinement US situé au Panamá. Mais on les cite en exemple dans toute l’Amérique latine. Ils continuent d’appliquer la « doctrine Schneider ». Après l’assassinat du général, son successeur Carlos Prats, symbole du légalisme, a maintenu le cap.

Alors, bien sûr, il y a eu le «  tancazo » du 29 juin 1973 : un soulèvement du régiment blindé n° 2. Fausse alerte. Le « cuartelazo » a été réprimé par le chef de la place de Santiago, un officier inentamable, lisse, loyal, solide comme de l’acier, le général Augusto Pinochet.

Tandis que les uns défilent, chapelet au poing, les partisans de l’UP s’organisent dans les villes et les campagnes : on parle d’autodéfense, on réclame « la mano dura » – « une poigne de fer » contre la sédition. Le cadre de la « démocratie bourgeoise » s’y prête peu. En revanche, dans le camp d’en face, genre « toutes les options sont sur la table », les péremptoires appels à une intervention militaire se multiplient. Après une manifestation de femmes et de filles d’officiers supérieurs devant son domicile, le général Prats démissionne, le 23 août 1973, « afin de ne pas briser l’unité de l’armée » [10].Comment savoir ce qu’il faut faire dans ces cas-là ? Allende le remplace par le général Pinochet.

En solidarité avec les malheureux camionneurs, la Démocratie chrétienne a appelé à la grève générale le 29 août. Quelques jours plus tard, dans les rues de Santiago, un million de poitrines clament leur soutien au président : « Allende, amigo, el pueblo está contigo [11]  !  » C’est compter sans les bourgeoises qui, projetant un petit nuage de leur parfum personnel, manifestent à nouveau devant l’Université catholique. Dans des défilés de la haine, des étudiants d’extrême droite, armés, donnent le ton. Le 10 septembre, la DC propose la dissolution du Parlement et la démission du Président. Depuis les balcons où les opposants de la « société civile » tapent en rythme sur leurs casseroles à une heure convenue, les « cacerolazos » animent les soirées.

Le 11 septembre 1973 à l’aube, l’infanterie de marine se soulève dans le port de Valparaiso. A Santiago, des unités blindées prennent position autour de La Moneda. Allende organise immédiatement la résistance et distribue des armes à ses collaborateurs, une quarantaine de fidèles qui décident de rester à ses côtés. A 8 h 30, une première proclamation de la junte militaire exige sa reddition. Serein, déterminé, le chef de l’Etat oblige tous ceux qui ne sont pas utiles à la défense, dont sa fille Isabel, à quitter le palais. Beaucoup rechignent. Le fameux dilemme « combattre ou fuir afin d’assurer la survie ». Allende hausse le ton. Il a le sens du commandement. On lui obéit. Il était temps. Des unités d’infanterie attaquent, concentrant leurs tirs en direction du bureau présidentiel. Fidèles parmi les fidèles, des francs-tireurs se postent aux fenêtres et dans les immeubles voisins pour freiner l’avancée des mutins. Dans un grondement de chenilles, les tanks font leur apparition. Plusieurs sont mis hors de combat à coups de bazooka. En costume cravate, coiffé d’un casque militaire, le fusil d’assaut offert par Castro à la main, le « compañero presidente » fait une ultime apparition.

La phrase est attribuée au général Gustavo Leigh, l’impitoyable commandant en chef de l’armée de l’air chilienne qui, ce 11-Septembre, fait bombarder le Palais de la Moneda avant de devenir membre de la junte que présidera Pinochet : « Mieux vaut trente mille morts en trois jours qu’un million en trois ans, comme en Espagne ! » Ciel dégagé, vrombissements. Deux chasseurs bombardiers Hawker Hunter effectuent une passe de vérification, virent rapidement, basculent au-dessus du siège de la magistrature suprême, lâchent des roquettes. Criblé de balles, le palais présidentiel brûle, des colonnes de fumée s’élèvent du bâtiment. Sur la radio gouvernementale, solennel, digne, maître de lui, Allende s’adresse une dernière fois à la nation : « Je ne quitterai La Moneda qu’à la fin du mandat que m’a donné le peuple, je défendrai cette révolution chilienne et je défendrai le gouvernement car c’est le mandat que le peuple m’a confié. » Au-dessus de sa tête, les avions rugissent, en vol rasant. Impassible, de sa voix rocailleuse, Allende poursuit : « Face à ces événements, je peux dire aux travailleurs : je ne renoncerai pas. Impliqué dans cette étape historique, je paierai de ma vie ma loyauté envers le peuple. Je leur dis que j’ai la certitude que la graine que nous sèmerons dans la conscience et la dignité de milliers de Chiliens ne pourra germer dans l’obscurantisme. Ils ont la force, ils pourront nous asservir, mais nul ne retient les avancées sociales par le crime et la force. L’Histoire est à nous, c’est le peuple qui la construit. »

C’est la fin. Masqués de foulards à cause des grenades de gaz CS qu’ils ont lancés autour de La Moneda, les soldats prennent position. Un peloton se rue à l’assaut de la porte d’entrée. En alerte, prêts à tirer, ses hommes pénètrent dans la cour centrale. Encerclé, épuisé jusqu’au tréfonds des os, le dernier carré des fidèles descend par le grand escalier. Les officiers aboient leurs ordres. Couchés sur le sol, des civils, dont pas un ne survivra, attendent d’être embarqués.
Un coup de feu claque. Dans le salon d’apparat, celui qui avait incarné l’espoir de la gauche de tout un continent se suicide plutôt que de se rendre aux félons, qu’il éclabousse de son sang.

Le lendemain, dans un document signé entre autres par son président, le sénateur Patricio Aylwin – premier chef de l’Etat « respectable » élu après la dictature militaire –, le Parti démocrate chrétien publie un communiqué appelant « à la patriotique coopération de tous les secteurs avec la junte ».
Le 18 septembre, à l’occasion de la fête nationale, les cloches sonnent sur Santiago. Les quatre membres de la junte en question, les généraux Gustavo Leigh (aviation), Augusto Pinochet (armée de terre), José Torribio Merino (marine), César Mendoza (carabiniers) se retrouvent pour le traditionnel Te Deum en la Basilique de la Reconnaissance nationale. Parmi les fidèles élégants, les dames chapeautées, les officiers en uniforme de gala qui, entre deux signes de croix et trois génuflexions, bruissent dans les travées, on reconnaît sans peine les anciens présidents de la République Gabriel González [12], Jorge Alessandri et Eduardo Frei. Dans le stade de Santiago transformé en camp de concentration, des milliers de militants de l’UP attendent la torture et pour beaucoup la mort. Caractérisées par leur radicalisme et leur brutalité, les conséquences de ce qui restera comme le prototype du coup d’Etat latino-américain ne font que commencer [13].

Sept jours après le 11 septembre, El Mercurio titre sur huit colonnes : « L’ex-gouvernement marxiste préparait un auto-coup d’Etat ». Une information terrifiante ! L’administration de Salvador Allende aurait fomenté un plan d’assassinat massif de militaires, de dirigeants politiques et de journalistes d’opposition, sans oublier les membres de leurs familles. Nom de code : « Plan Z ». Faux, évidemment. Mais qui permettra, durant les premières années de la dictature, de répondre invariablement à ceux qui osent manifester un certain désaccord avec les brutalités du régime : le plan Z aurait été pire ! D’après l’historien Jorge Magasich, « la portée du plan Z va au-delà d’un montage pour justifier le putsch. Il a constitué une pièce essentielle dans le conditionnement des militaires lancés contre l’“ennemi intérieur”. Pour que les soldats répriment sans pitié, il fallait qu’ils perçoivent les persécutés non comme des citoyens, éventuellement aux idées différentes, mais comme des assassins qui projetaient de les éliminer, eux et leurs familles. Déshumanisant l’adversaire, le plan Z inculqua aux militaires la haine indispensable pour torturer et assassiner [14].  » Plus sobrement, The Economist analysera, dans son éditorial du 15 septembre 1973 : « Le gouvernement technocratique qui est apparemment en train de prendre forme tentera de reconstruire le tissu social que le gouvernement Allende a détruit. Cela signifiera la mort provisoire de la démocratie au Chili, ce qui sera déplorable, mais il ne faut pas oublier qui a rendu cela inévitable »

Quelques derniers « détails de l’Histoire » …

Le 16 octobre 1973, à Stockholm, toujours à la recherche d’une brillante nouveauté, une poignée de têtes d’œufs vides de toute pensée attribueront le prix Nobel de la paix au criminel Henry Kissinger pour son rôle dans la négociation des Accords de paix ayant mis fin, à Paris, à la guerre du Vietnam. Il en fut pourtant l’un des principaux responsables, avec un bilan de l’ordre de quatre millions de morts, d’après les chiffres les plus communément admis [15]. Quant au Chili…

Patron d’El Mercurio, Agustín Edwards est mort paisiblement en avril 2017, à 89 ans. Mais son exemple n’a pas été oublié. Lors des déstabilisations et coups d’Etat qui agiteront l’Amérique latine en début de XXIe siècle (Venezuela, Honduras, Bolivie, Brésil, Equateur, etc.), les médias nationaux joueront le même rôle que le quotidien chilien en son temps. Au Nicaragua, l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID), la Nouvelle fondation pour la démocratie (NED) – créée en 1983 par Ronald Reagan pour se substituer à la CIA dans l’organisation et le financement des oppositions « amies » –, l’Institut national démocrate (NDI) et l’Institut républicain international (IRI), dépendants du Congrès américain, arroseront de la somme faramineuse de 76,4 millions de dollars les Organisations non gouvernementales (ONG), fondations, médias (La Prensa, Confidencial, Vos TV, Radio Corporación, Radio Show, Café con Voz), ainsi que les plateformes digitales (100 % Noticias, Artículo 66, Nicaragua Investiga, Nicaragua Actual, BacanalNica, Despacho 505) impliqués dans la déstabilisation du sandinisme et la tentative de renversement de Daniel Ortega en 2018.
Pour faire tomber Cuba et le Venezuela, les administrations étatsuniennes (Barack Obama, Donald Trump, Joe Bident) ont repris à leur compte la fameuse formule « faire crier l’économie ». Tandis que Trump imposait 190 nouvelles « sanctions » à La Havane en quatre ans, ce sont 927 mesures coercitives unilatérales qui, de 2015 à 2023, ont mis l’économie de Caracas à genoux.

Le 28 août 2023, après un demi-siècle d’impunité,la deuxième chambre pénale de la Cour suprême a condamné à de lourdes peines sept militaires à la retraite pour leur responsabilité dans les crimes d’enlèvement et d’homicide aggravés du chanteur-compositeur populaire Víctor Jara, icône musicale de l’UP, et d’Abraham Quiroga Carvajal, exemplaire avocat et directeur de l’administration pénitentiaire sous Allende. Après avoir été cruellement torturés, tous deux furent vilement assassinés.
Quelques jours auparavant, le 22 août, la même Cour suprême avait déjà condamné six ex-membres de la DINA, la police secrète de Pinochet, à des peines allant de 10 à 15 ans de prison pour le meurtre en juillet 1976 du diplomate espagnol Carmelo Soria, réfugié à l’époque au Chili.
Le 30 août enfin, dans le cadre des célébrations de ce funeste anniversaire, le président Gabriel Boric a annoncé le lancement d’un « Plan national de recherche de la vérité et de la justice » destiné à élucider les circonstances des disparitions et/ou des décès des victimes de la dictature.
Sauf accident, on n’a donc pas fini d’entendre parler des méfaits de l’ère Pinochet. Quant à Salvador Allende, le « compañero présidente », il demeure à jamais une référence pour tous les rebelles et gouvernements anti-impérialistes latino-américains et caribéens.

Ce texte reprend partiellement les chapitres « Guerre froide » et « Terrorisme d’Etat » de l’ouvrage Les enfants cachés du général Pinochet. Précis de coups d’Etat modernes et autres tentatives de déstabilisation (Maurice Lemoine, éditions Don Quichotte, Paris, 2015).

L’auteur : Maurice Lemoine, ex-rédacteur en chef du Monde Diplomatique, journaliste et écrivain, spécialiste de l’Amérique latine et de la Caraïbe – d’Haïti à l’Amérique centrale, de la Colombie au Venezuela – a couvert la plupart des conflits de la région. Il est l’auteur, entre autres, de Les companeros (1982), Chavez Presidente (2005), Le Venezuela de Chávez (2006), Cinq Cubains à Miami (2010), Sur les eaux noires du fleuve (2013), Les enfants cachés du général Pinochet (2015) ou encore Venezuela chronique d’une déstabilisation (2019). Il présentera son nouvel opus « Juanito la vermine, roi du Venezuela » (Le Temps des Cerises, 2023) à la Fête de l’Huma, le 17 septembre à 15 heures, au Village du Livre.


Notes de cet article :

[1] Jean Toulat, Espérance en Amérique du Sud, Desclée de Brouwer, Paris, 1968.

[2] D’après les investigations du Comité spécial du Sénat des Etats-Unis sur les Activités de renseignement, présidé par le sénateur Frank Church, dévoilées en 1975.

[3] Communistes, socialistes, radicaux, Mouvement d’action populaire unitaire (MAPU), sociaux-démocrates et Action populaire indépendante.

[4] Les réserves du Chili sont alors les plus importantes connues dans le monde avec 82 millions de tonnes de cuivre fin.

[5] En 1967, ITT avait obtenu 27 millions de dollars du gouvernement américain au titre des dommages subis par ses usines fonctionnant en Allemagne pendant la seconde guerre mondiale, y compris 5 millions de dollars pour les dommages causés aux usines FockeWulf, sous prétexte qu’elles constituaient des « propriétés américaines en partie détruites par des bombardiers alliés ».

[6] Sur ces réunions et le rôle d’Augustin Edwards, on lira avec profit le récent ouvrage de Peter Kornbluh, Pinochet desclasificado. Los archivos secretos de Estados Unidos sobre Chile, Editorial Catalonia, Santiago de Chile, 2023.

[7] Il prendra cette fonction le 22 septembre 1973.

[8Empanada  : sorte de chausson, farci de mille et une façons (viande, poulet, fromage, etc.).

[9] Cité dortoir située à proximité de Washington, Langley héberge le siège de la CIA.S

[10] Exilé à Buenos Aires, Prats y mourra avec son épouse, le 29 septembre 1974, dans l’explosion de sa voiture, due à une bombe posée par un agent des services secrets chiliens – la Direction nationale du renseignement (DINA).

[11] « Allende, ami, le peuple est avec toi. »

[12] Ancien chef du parti radical, qui faisait partie de l’Unité populaire.

[13] En fin de dictature, le bilan sera estimé à 3 225 morts et disparus, 37 000 cas de torture et de détentions illégales, et de l’ordre de 250 000 exilés.

[14] Jorge Magasich, « Ce plan Z qui a épouvanté le Chili », Le Monde diplomatique, décembre 2009.

[15] Aux morts vietnamiens on ajoutera 58 217 soldats états-uniens tués et 303 635 blessés. Le Duc Tho, qui présida la Délégation vietnamienne à Paris pour la Conférence de la paix, eut lui la décence de refuser ce prix Nobel.

URL de cet article : https://www.medelu.org/Salvador-Allende-presente

Samidoun se joint à la mission d’enquête internationale sur les sanctions des USA et de l’UE contre le Venezuela

1 août 2023

Le réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens Samidoun participe à la mission d’enquête internationale au Venezuela sur les sanctions occidentales et l’impérialisme états-unien, lancée par le Tribunal populaire international, l’Association internationale des avocats démocratiques et la Guilde nationale des avocats (EU) à propos de l’impact des sanctions, blocus et mesures économiques des États-Unis à l’encontre de la nation vénézuélienne et de son peuple.

La mission d’enquête est constituée de délégués représentant toute une série d’organisations internationales, dont d’éminents avocats, juristes, universitaires et activistes. La mission présentera ses conclusions le vendredi 28 juillet lors d’une séance publique, étalée sur toute la journée, à propos de l’impact des sanctions sur un ample éventail de facteurs sociaux, économiques, politiques et culturels.

La coordinatrice internationale de Samidoun, Charlotte Kates, qui fait également partie du comité de direction du Tribunal, participe à cette mission. Samidoun co-sponsorise le travail en cours du Tribunal contre l’impérialisme Etats-Unien et ses agressions économiques contre les peuples et nations du monde, dont le peuple palestinien, entre autres via l’actuel siège de Gaza.

La mission d’enquête organisera une série de réunions, de visites de sites et de forums en compagnie de responsables du gouvernement bolivarien du Venezuela, d’activistes hostiles aux sanctions, d’organisations féminines, sanitaires et agricoles, de communautés et de tout un échantillonnage de personnes qui ont été impactées par la politique impérialiste américaine de sanctions et de mesures économiques coercitives.

Elle se déroule dans le cadre de Tribunal populaire internationale en cours, qui a déjà mis sur pied des audiences sur les sanctions impérialistes occidentales au Zimbabwe, en Syrie, en Iran, en Irak,  au Liban, à Gaza, en Palestine, en Érythrée, au Nicaragua, à Cuba, en République populaire démocratique de Corée et en Libye, et en organisera de prochaines autour de Hawaii et de Puerto Rico également.

Parmi les participant.e.s à la mission d’enquête figurent :

  • Helyeh Doutaghi, coprésidente, Tribunal populaire international sur l’impérialisme états-unien ;
  • Suzanne Adely, présidente, Guilde nationale des avocats, comité de direction du Tribunal populaire international sur l’impérialisme Etats-Unien ;
  • Max Ajl, chercheur principal au département des études sur les conflits et le développement à l’Université de Gand, comité de direction du Tribunal populaire international sur l’impérialisme Etats-Unien ;
  • Corinna Mullin, universitaire anti-impérialiste et anticoloniale opérant à New York, comité de direction du Tribunal populaire international sur l’impérialisme Etats-Unien ;
  • Charlotte Kates, coordinatrice internationale du Réseau Samidoun de solidarité avec les prisonniers palestiniens, comité de direction du Tribunal populaire international sur l’impérialisme Etats-Unien ;
  • Edre Olalia, président transitoire, Association internationale des avocats démocratiques, juriste, membre du Tribunal populaire international sur l’impérialisme Etats-Unien ;
  • Mohammed Tay, professeur émérite en droit constitutionnel, en droit du travail et en droit administratif privé à l’Université libanaise, juriste, membre du Tribunal populaire international sur l’impérialisme Etats-Unien ;
  • Jaribu Hill, avocat en droit civil et en droits humains, directeur exécutif du Mississippi Workers’ Center for Human Rights, juriste, membre du Tribunal populaire international sur l’impérialisme Etats-Unien ;
  • Booker Omole, vice-président national et membre du comité central du Parti communiste du Kenya ;
  • Brahim Rouabah, enseignant en sciences politiques au Brooklyn College ;
  • Margaret Kimberley, Alliance noire pour la paix, rédactrice en chef exécutive du Black Agenda Report ;
  • Mohammed Zidan, activiste de très longue date au sein du mouvement estudiantin canadien ;
  • David Paul, membre de la Campagne « les sanctions tuent » et du Collectif de protection de l’ambassade du Venezuela à Washington ;
  • Adrienne Pine, anthropologue états-unienne active au sein du Conseil américain pour la paix et de la Campagne « les sanctions tuent ».

La mission d’enquête a entamé ses réunions le mardi 25 juillet, au moment où ses membres ont rencontré le vice-ministre des mesures anti-blocus, William Castillo, et le vice-ministre pour l’Amérique du Nord, Carlos Ron, à l’Observatoire vénézuélien contre le blocus, qui fournit des statistiques détaillées et des ressources sur l’impact des mesures économiques coercitives, non seulement au Venezuela, mais dans le monde entier. A eu lieu ensuite une visite à la Commune populaire Socialiste El Panal 2021, où les membres de la mission d’enquête ont pris connaissance des effets des mesures de sanctions sur les initiatives populaires ainsi que sur l’organisation des actions de résistance et du développement en vue d’affronter la « guerre économique » qui cible le Venezuela.

La mission d’enquête a réalisé des réunions entre le 24 et le 28 juillet 2023, au cours desquelles seront présentes toute une série d’ONG, de mouvements populaires, de responsables et de travailleurs sanitaires. Voici son rapport préliminaire : https://samidoun.net/2023/08/preliminary-statement-and-findings-of-the-venezuela-fact-finding-mission/ Suivez @sanctionstrib sur Twitter et sur Instagram pour de plus amples mises à jour émanant de la mission.

Traduction : Plateforme Charleroi-Palestine

Quand Washington torpille le Venezuela et… la Colombie, par Maurice Lemoine

À l’initiative du président colombien Gustavo Petro, une vingtaine de pays se sont réunis le 25 avril en Colombie pour tenter de « contribuer à la reprise du dialogue politique » au Venezuela. Alors que se profile l’élection présidentielle de 2024, les négociations menées au Mexique entre le gouvernement chaviste de Nicolás Maduro et la Plateforme unitaire – l’une des factions de son opposition – sont en effet gelées depuis novembre 2022.

Une telle démarche n’eut pas été possible sans la normalisation menée à bien par Petro, depuis son arrivée à la présidence, avec son voisin vénézuélien. Les relations diplomatiques étaient rompues depuis février 2019, le président Iván Duque ayant agi en allié inconditionnel de l’administration de Donald Trump dans l’entreprise de déstabilisation menée contre la République bolivarienne.

Fort d’un passé au sein de la guérilla du M-19 (1974-1990), Petro, premier président de gauche dans la tragique histoire républicaine de son pays, a une claire notion de ce qu’est l’impérialisme, même s’il ne prononce pas le mot à tout propos. De ce fait, il est à même de juger ce qu’a été l’agression menée depuis Washington, avec l’aide de comparses tels que Duque ou le brésilien Jair Bolsonaro, contre le gouvernement bolivarien. Pour d’aussi évidentes raisons, il a par ailleurs besoin de rapports normalisés avec celui-ci.

Le difficile processus de « paix totale » que Petro tente de mener dans son propre pays jouit en effet de l’appui du Venezuela, l’un des trois pays garants (avec Cuba et la Norvège) des négociations qu’il a entreprises avec (entre autres) l’Armée de libération nationale (ELN), l’une des guérillas historiques encore en activité. Sachant que, de son côté, Caracas a tout intérêt à une fin des conflits armés en Colombie, divers groupes insurgés (dont l’ELN) et/ou narco-criminels agissant à cheval sur la frontière et opérant, avec des conséquences néfastes, en territoire vénézuélien [1].

Autre dimension des relations entre les deux pays : la terrible crise économique provoquée par les mesures coercitives unilatérales (communément appelées « sanctions ») des Etats-Unis contre Caracas a provoqué une forte migration de Vénézuéliens. Principal pays d’accueil du fait des 2219 kilomètres de frontière commune, la Colombie en a reçu de l’ordre de 2,2 millions d’après l’organisme Migración Colombia. Un évident fardeau. L’opération de « retours volontaires » prônée par Pétro ne peut qu’être favorisée par une amélioration de la situation économique au Venezuela. Effective depuis plusieurs mois, cette embellie a déjà eu des effets positifs puisque, constate le président colombien, « les dernières données dont je dispose sont que la direction [des flux de déplacés vénézuéliens] n’est plus du Venezuela vers la Colombie, mais de la Colombie vers le Venezuela ; nous allons examiner cela avec plus de temps pour faire une évaluation approfondie [2].  »

Enfin, la réouverture de la frontière allant de pair avec une économie vénézuélienne revigorée ne peut que stimuler une reprise des échanges commerciaux dont l’effondrement a lourdement affecté les deux pays.

Le 23 mars 2023, et pour la troisième fois – la première ayant eu un caractère très spectaculaire par sa portée symbolique et l’excellence manifeste des relations entre les deux hommes –, Petro a rencontré officiellement Nicolás Maduro. C’est avec l’accord de ce dernier qu’il a organisé la conférence du 25 avril, Maduro exprimant, lors d’un programme télévisé, « tout le soutien du Venezuela pour que ce sommet dynamise et relance la lutte de notre pays pour obtenir le respect de sa souveraineté, de son indépendance et la levée définitive de toutes les mesures coercitives unilatérales ». Par ailleurs, et avant même une rencontre de Petro avec Joe Biden, à Washington, le 20 avril 2023, les Etats-Unis avaient confirmé qu’ils ne s’opposeraient pas à cette initiative et qu’ils enverraient même une délégation.

Impliquant fondamentalement la « communauté internationale » et prévue pour se dérouler sans présence de Vénézuéliens, la réunion n’en a pas moins été précédée d’une entrevue de Petro avec une délégation de la Plateforme unitaire, le secteur anti-chaviste qui, sous l’égide du royaume de Norvège, menait les négociations au Mexique jusqu’à leur interruption. Emmenés par leur coordinateur Gerardo Blyde, les opposants n’ont toutefois été reçus que dans la résidence officielle de Hato Grande, située à Sopó, à une cinquantaine de kilomètres de Bogotá, et non au Palais présidentiel. Si figuraient dans la représentation des membres du parti conservateur Primero Justicia (PJ ; Justice d’abord), d’Action démocratique (AD ; supposément social-démocrate) et du parti dit abusivement « de centre-droit » Un Nouveau temps (UNT), aucun représentant du très radical (pour ne pas dire factieux) Volonté populaire (VP) n’avait fait le déplacement [3].

Il s’agissait de fait de la seconde rencontre entre Petro et Blyde. Les deux hommes s’étaient déjà retrouvés à Paris, le 11 novembre 2022, en compagnie du négociateur de Maduro, le président de l’Assemblée nationale Jorge Rodríguez, et des chefs d’Etats français et argentin Emmanuel Macron et Alberto Fernández.

Photo : rencontre de Gustavo Petro et de Nicolas Maduro, le 1er novembre 2022, à Caracas.

En Colombie, les opposants ont pu exposer au président Petro « la situation difficile » que vivent les Vénézuéliens et « les mesures nécessaires pour sauver la démocratie » grâce à « des élections libres, observables et vérifiables répondant aux normes démocratiques internationales ». Ils ont néanmoins précisé que – après l’avoir longtemps et ardemment soutenue ! – ils laissaient derrière eux « la politique de pression maximale » mise en œuvre par Trump et symbolisée, de janvier 2019 à janvier 2022, par l’Etat parallèle du président autoproclamé Juan Guaido. Par l’intermédiaire de Blyde, ils ont également affirmé applaudir l’initiative de Petro : « Nous croyons que cette réunion est très importante et nous avons l’espoir qu’elle soit couronnée de succès [4].  »

Feu vert, donc, et en apparence, bonne volonté, à tous les niveaux.

Ouverture de la Conférence. Se retrouvent au Palais de San Carlos, siège du ministère colombien des Affaires étrangères (et, en son temps, quartier général de Simón Bolívar), trois ministres des Affaires étrangères (Chili, Bolivie, Argentine) ; Celso Amorim, conseiller et homme de confiance du président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva ; Jonathan Finer, adjoint à la Sécurité nationale des Etats Unis et Chris Dodd, conseiller spécial du Département d’Etat pour les Amériques ; Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne (UE) pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ; des ambassadeurs ou diplomates de treize pays [5].

Brillant orateur, le président Petro prononce le discours d’inauguration. « L’Amérique ne peut pas être un espace de sanctions, l’Amérique doit être un espace de libertés et l’Amérique doit être un espace de démocratie », attaque-t-il d’emblée, se plaçant à équidistance des acteurs vénézuéliens et internationaux du conflit. Il revient d’emblée sur une suggestion prononcée dès son arrivée au pouvoir : que le Venezuela réintègre le Système interaméricain des droits de l’Homme (SIDH). L’entité, que Caracas a quittée en 2012, dépend de l’Organisation des Etats américains (OEA), abandonnée elle aussi en 2017 en raison de son ingérence éhontée dans les affaires du pays.

Petro expose ensuite l’idée force qu’il a déjà développée lors de son entretien avec Biden : la mise en œuvre d’un processus à « deux voies » qui avanceraient en parallèle. Soit l’élaboration de garanties pour la prochaine échéance électorale allant de pair avec l’élimination progressive des sanctions unilatérales imposées au Venezuela.

De la rencontre qui a suivi, tenue à huis clos durant tout l’après-midi, peu de détails ont filtré. Dans son intervention devant la presse, le ministre colombien des Affaires étrangères, Álvaro Leyva ne lira qu’un bref communiqué final de 258 mots exprimant les « positions communes » des délégations présentes. En premier lieu, « la nécessité d’établir un calendrier électoral permettant des élections libres, transparentes et avec toutes les garanties pour tous les acteurs vénézuéliens ». En appui à cet objectif initial, une prise en compte des recommandations de la Mission d’observation électorale de l’Union européenne (UE) présente lors des scrutins régionaux et municipaux de novembre 2021. Troisième point : « que les démarches [précédentes] convenues à la satisfaction des parties aillent de pair avec la levée des différentes sanctions ». L’ensemble devant être acquis dans le cadre de négociations reprises à Mexico.

Au-delà de ces préconisations somme toute sans surprises, aucun engagement concret n’a été annoncé. D’après Álvaro Leyva, le président Maduro, les secteurs de l’opposition et la société civile seraient ultérieurement informés des résultats de l’événement « pour évaluation et commentaires ». Les délégations participantes devant être convoquées à court terme, afin d’en suivre les développements.

Le sujet divise évidemment l’opposition vénézuélienne, par définition… divisée. Les partisans du dialogue avec le pouvoir ont soutenu l’initiative de Petro. La droite radicale (vénézuélienne et colombienne) l’accuse de « faire le jeu de la dictature ». C’est évidemment la position de l’inévitable Juan Guaido. Lequel a tenté de profiter de la conférence pour monter l’un de ses habituels « shows ».

Dans les faits, alors que jusque-là il n’était rien, Guaido est désormais moins que rien. Seule son élection à la tête de l’Assemblée nationale (AN), pendant toute l’année 2019, a permis à l’administration Trump de faire de ce parlementaire un supposé Président de la République intérimaire. Depuis les législatives du 6 décembre 2020, boycottées par les radicaux, mais auxquelles a participé l’opposition démocratique, Guaido n’est même plus député. Il n’a pu maintenir ce conte – président de l’« Assemblée nationale 2015 » – que grâce au soutien inconditionnel de la Maison-Blanche – du républicain Trump au démocrate Biden – et du Département d’Etat.

Il se trouve que, fin 2022, ce fictif président intérimaire a demandé à la fictive « AN-2015 » de prolonger son mandat fictif, ainsi que la fictive architecture institutionnelle parallèle, pour une durée fictive d’un an à partir du 5 février 2023. Et que le ciel lui est tombé sur la tête : trois des quatre partis (le G-4) constituant l’opposition radicale – AD, PJ et UNT (désormais G-3) – ont fait sécession. Agissant en sous-main et estimant que Guaido a échoué dans les objectifs qui lui avaient été fixés – renverser Nicolás Maduro –, les Etats-Unis ont en effet modifié leur stratégie. Le 30 décembre, par 72 voix pour, 29 contre et 8 abstentions, Guaido a donc été éjecté par la majorité de ses ex-soutiens « pour cause d’inutilité » [6].

Dans les jours précédant la rencontre de Petro avec Biden, Guaido était déjà monté au créneau contre les propositions du président colombien : « Pour qu’il n’y ait pas de sanctions, nous avons besoin d’une démocratie à 100 %, et le fait que nous ne l’ayons pas est la cause des sanctions. La démocratie se construit avec des actes concrets, pas avec des mots. » L’annonce de la conférence internationale du 25 avril le hérisse : d’abord sur le principe ; ensuite et plus encore parce qu’il n’y a pas été invité. Comme à son habitude, le « rien intérimaire » décide de s’offrir un coup médiatique. Malgré l’interdiction de quitter le territoire vénézuélien – où il est poursuivi par la justice –, il passe clandestinement dans le pays voisin pour perturber le déroulement de l’événement. Il ameute les réseaux sociaux : « Je viens d’arriver en Colombie, comme des millions de Vénézuéliens l’ont fait avant moi, à pied. » Annonce une conférence de presse. Réclame une réunion « avec les délégations internationales présentes ». Prévoit de participer à un sit-in devant le palais de San Carlos où se déroule la conférence.

Guaido a juste oublié un détail. Ce n’est plus son ami Iván Duque qui gouverne la Colombie, mais Gustavo Petro. Il pouvait, à l’époque, entrer dans le pays par les « trochas » [7], sans passer par les postes frontières, accompagné et protégé à l’occasion par des groupes narco-criminels colombiens [8]. Ce temps est révolu. Les services de l’Immigration l’interpellent à Bogotá. Constatent qu’il est entré clandestinement. Ouvrent une procédure administrative. Panique à bord ! Les yankees interviennent, dans le registre « Il faut sauver le soldat Guaido ». Ambassadeur fictif (c’est une manie !) des Etats-Unis au Venezuela, James Story, qui vit à Bogotá – les relations diplomatiques entre Washington et Caracas étant rompues –, remet à son ex-protégé un billet pour la « capitale des ultras », Miami. Le soir même, des fonctionnaires colombiens et deux « agents » états-uniens chargés d’ « assurer sa sécurité » accompagnent Guaido à l’aéroport international El Dorado et s’assurent qu’il monte dans l’avion.

Photo : indésirable en Colombie, Juan Guaido arrive à Miami. (capture d’écran)

Perdu, lâché de tous côtés, le clown de la politique vénézuélienne arrive le lendemain matin en Foride, d’où il délivre un message qui ne surprendra personne : « Malheureusement, aujourd’hui, je dois dire que la persécution se fait également sentir en Colombie. » On ignore, pour l’heure, s’il a l’intention de réclamer une intervention militaire des Etats-Unis pour déloger Petro.

Fin de cet épisode appartenant au folklore américano-vénézuélien. Retour à la raison et à l’analyse. En effet, si nul ne doute des bonnes intentions du président Petro, les conclusions de la conférence du 25 avril méritent quelques réflexions.

L’insistance de Petro pour que le Venezuela réintègre le Système interaméricain des droits de l’Homme a avant tout pour origine son histoire personnelle. Alors que, maire de Bogotá, il venait d’être destitué en décembre 2013 par le très « uribiste » procureur général Alejandro Ordoñez [9], la Cour interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH), lui a donné raison, a condamné l’Etat colombien et a obligé ce dernier à le rétablir dans sa fonction. Ce qui, à quelques années d’intervalle, lui a permis de devenir président de la République, sa mesure de destitution étant à l’époque où elle fut édictée assortie d’une inéligibilité de quinze ans.

Le Venezuela n’a pas forcément une vision aussi positive de l’organisme. Et ce, pour de bonnes raisons. Depuis l’arrivée d’Hugo Chávez au pouvoir en 1999, la CIDH a multiplié les décisions et les rapports particulièrement hostiles à la République bolivarienne. Elle a atteint le summum quand, en avril 2002, Chávez ayant été victime d’un coup d’Etat, elle a, par un courrier de son secrétaire exécutif Santiago Antón, ouvertement reconnu la dictature du patron des patrons Pedro Carmona. C’est le même Chávez qui, le 28 juillet 2012, a annoncé le retrait du Venezuela de la CIDH. Celle-ci venait de condamner le pays suite au jugement d’un poseur de bombe, Raúl José Díaz Peña, sanctionné pour « terrorisme » et de plus en fuite aux Etats-Unis. « Il est regrettable d’en arriver là, mais le Venezuela y a été contraint par les décisions aberrantes et abusives qui ont été prises contre notre pays depuis 10 ans, expliqua alors le ministre des Affaires étrangères Nicolás Maduro. Aucun pays d’Europe ni les Etats-Unis n’accepterait que la CIDH y protège un terroriste. »

Il va de soi que, quelque soit son orientation politique, tout pays épinglé par la CIDH rue dans les brancards, de bonne ou (souvent) de mauvaise foi. Force est toutefois de constater que la Commission s’acharne particulièrement sur les gouvernements progressistes. Cette même année 2012, le président équatorien Rafael Correa lui aussi sonna la charge, ulcéré d’avoir été rappelé à l’ordre pour la lourde condamnation du journaliste Emilio Palacio et du quotidien de droite El Universo. Dans un éditorial, Palacio avait accusé le chef de l’Etat de « crime contre l’Humanité », diffamation que la CIDH considéra comme une « opinion » dans sa dénonciation de l’Etat équatorien pour « violation du droit à la liberté d’expression ». Pris à partie à son tour en mai 2013, le président bolivien Evo Morales demanda ironiquement : « Où se trouve la CIDH face aux cas de tortures et de détentions arbitraires à Guantánamo ? » Approuvée en 1969, entrée en vigueur en 1978, la Convention américaine relative aux droits de l’Homme a été ratifiée ultérieurement par vingt-quatre pays [10] – mais pas par les Etats-Unis ! Qui font pourtant la pluie et le beau temps au sein de la CIDH grâce à leur financement (25,1 % en 2022) [11]. Tout comme ils font la loi au sein de la « maison mère », l’OEA.

Cette réalité n’échappe pas totalement à Petro puisqu’il a pris la précaution de plaider en faveur de la révision et de l’actualisation de la Convention interaméricaine, bafouée non seulement par les dictatures militaires du XXe siècle, mais aussi, plus récemment, par un certain nombre de coups d’Etat, parfois de nature « parlementaire » (Honduras, Paraguay, Brésil, Bolivie et tout récemment Pérou) contre des gouvernements élus. Il n’empêche qu’on voit mal le Venezuela réintégrer une CIDH dont le « Rapport 2022 », complètement à charge, à la limite de la caricature, paraît avoir été d’avantage rédigé par l’opposition radicale vénézuélienne que par un organisme indépendant [12].

Courte parenthèse. En août 2021, la CIDH s’en est pris à Caracas pour une loi destinée à obliger les organisations non gouvernementales (ONG) à divulguer leurs financements en provenance de l’étranger. Le Nicaragua avait déjà eu droit au même traitement. Une persécution des ONG – toutes, par définition, blanches comme des colombes ? Sans doute réservée aux pays « civilisés », puisque nul n’y trouve à redire, une telle loi existe depuis longtemps aux Etats-Unis – le Foreign Agents Registration Act (FARA) [13].

Comme l’ont fait les responsables vénézuélien, nicaraguayen et autres, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador (AMLO) a dû protester début mai 2023, dans une lettre à Joe Biden, contre le financement par l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) d’organisations de la « société civile » ouvertement d’opposition. Une ingérence tout à fait légitime, à l’évidence, pour la CIDH – accompagnée dans ce registre par les multinationales dites de « défense des droits humains » que sont Amnesty International ou Human Right Watch [14].

Mais alors ?
Pourquoi ne pas condamner la retentissante arrestation, le 9 décembre 2022, à Bruxelles, dans le cadre de ce qu’on appelle désormais le « Qatargate », de la vice-présidente « socialiste » du Parlement européen Eva Kaïli, de son compagnon et assistant parlementaire Francesco Giorgi, de l’ex-euro-député Pier Antonio Panzeri ainsi que de quelques comparses ? Selon l’enquête dirigée par le parquet fédéral belge, le Qatar, mais également le Maroc, auraient tenté d’influencer les décisions et les résolutions du Parlement européen par l’intermédiaire de Panzeri. Celui-ci a généreusement distribué de l’ordre de 1,5 millions d’euros de pots de vin, via son ONG Fight Impunity – une association soi-disant à but non lucratif financée par le Qatar et dont la mission présumée était de… « lutter contre l’impunité et la violation des droits humains » ! Secrétaire général d’une autre ONG, No Peace Without Justice, Nicilo Figa-Tamlamanca est également sous les verrous.
Corruption et inacceptable menace sur la démocratie européenne ici, ingérence légitime, et pourquoi pas bienvenue, là-bas ?

Quoi qu’en pense le président Gustavo Petro, la République bolivarienne a de bonnes raisons de ne rejoindre ni le SIDH ni l’OEA. Au mépris de toutes ses règles et grâce aux manigances de son secrétaire général Luis Almagro, cette dernière a, jusqu’à janvier 2023, octroyé le siège du Venezuela au représentant de l’imposteur Guaido. Le 10 mai dernier, après nombre de ses homologues – dont le bolivien Luis Arce –, AMLO, lors de sa conférence de presse matinale, a assuré que l’OEA, « organisation au service du Département d’Etat américain », doit disparaître, « car elle ne sert à rien ».
Elle a juste servi, pendant plusieurs années, à justifier, accompagner et appuyer les mesures coercitives unilatérales prises par les Etats-Unis pour asphyxier le Venezuela.

Mise en avant, la nécessité d’ « élections libres et transparentes » ne fait que reprendre, sans grandes nuances, le discours ambiant prétendant qu’elles ne le sont pas. Affirmation hautement contestable. Si les divers scrutins se déroulent au Venezuela dans des conditions en apparence peu « naturelles » c’est fondamentalement parce que la droite « ultra », dans sa logique de « changement de régime » imposé depuis l’étranger, appelle systématiquement à les boycotter. Au nom de supposées fraudes aussi évidentes que celles dénoncées par les putschistes boliviens en 2019 lorsqu’ils renversèrent Evo Morales, par Donald Trump aux Etats-Unis ou Jair Bolsonaro au Brésil. En diabolisant les opposants qui se présentent et en favorisant l’abstention, une telle démarche emmène l’opposition dans un cul de sac – 21 députés seulement sur 277 lors du scrutin législatif du 6 décembre 2020 –, mais ne remet nullement en cause la légitimité des élus chavistes. Si, en novembre 2021, décidant finalement de participer aux élections régionales – « avec l’approbation des Etats-Unis, du Canada et de l’Union européenne », précise Henry Ramos Allup, l’un de ses dirigeants – la droite ne remporte que 4 des 23 postes de gouverneurs (Nueva Esparta, Cojedes, Zulia et Barinas), c’est avant tout du fait de ses divisions ; aux municipales, elle gagne 117 mairies sur 335 (dont celle de la deuxième ville du pays, Maracaibo). Aucun des opposants élus à cette occasion n’a remis en cause le Conseil national électoral (CNE) et la régularité de la consultation [15].

Lorsque, avant de se rendre à Washington, Petro a plaidé avec un certain courage (car, aussi bien en interne qu’en externe, il ne se fait pas que des amis) en faveur d’une levée des sanctions contre la République bolivarienne, l’administration Biden a indiqué qu’elle ne le ferait qu’en cas de reprise du dialogue politique. En sortant du Bureau Ovale, Petro a évoqué deux stratégies : « Tenir d’abord des élections avant de lever les sanctions ou, de manière graduelle, en parallèle, pendant que les étapes d’un calendrier électoral sont remplies, lever les sanctions. »
Deux logiques distinctes. Les conséquences ne sont bien entendu pas les mêmes selon que l’on réduit ou supprime les mesures coercitives avant ou après l’élection. Rappelant le fameux dilemme « l’œuf ou la poule ? », la question ramène au souhait, également exprimé lors de la conférence, d’une reprise des pourparlers suspendus à Mexico. L’hypothèse est évidemment souhaitable, à condition toutefois de poser la question : pourquoi ces négociations ont-elles été interrompues ?

Lors de la dernière réunion tenue au Mexique entre le gouvernement vénézuélien et la Plateforme unitaire, en novembre 2022, un accord partiel a été signé. Prenant implicitement acte de ce que les « sanctions » asphyxient économiquement le pays, pour le plus grand malheur de sa population, cet accord prévoyait que 3,2 milliards de dollars seraient prélevés sur les sommes illégalement retenues par les Etats-Unis pour être restitués et injectés en urgence dans des secteurs aussi fondamentaux que l’éducation, la santé ou l’alimentation. L’Organisation des Nations unies se chargerait d’administrer ces fonds, en tant que garant de leur bonne utilisation.
Un long silence accompagné d’une longue pause. A la mi-janvier 2023, Jorge Rodríguez a appelé l’opposition à mettre en application le texte signé. Sans résultat. La somme promise n’arrivant définitivement pas, Maduro prit le mors aux dents et, le 16 février, annonça la rupture des négociations : « Ils n’ont pas un seul dollar ! Ils ne peuvent pas respecter un accord qui a été discuté pendant des mois et signé avec des garants internationaux. Quelle garantie, quelle certitude, quelle motivation le gouvernement révolutionnaire peut-il avoir pour s’asseoir à nouveau à une table avec ce secteur de la Plateforme ? Aucune ! »

Sauf les niais, tout le monde a alors compris. Fin 2022, les Etats-Unis n’ont autorisé l’accord que pour faire avancer le dialogue et leur agenda politique. Pour obtenir des concessions du pouvoir. Une fois ce résultat obtenu, tout s’arrête. A la table des négociations, l’opposition vénézuélienne ne décide de rien. Ne dispose d’aucune marge de manœuvre. Washington donne le tempo. Malgré les promesses, pas un dollar pour Caracas. Aucune libération des fonds illégalement confisqués. Il faut amener Maduro à l’élection en situation de faiblesse, au milieu d’un désastre économique et social, pour qu’il subisse un vote sanction.
C’est l’histoire du boxeur à qui l’on crie de se battre à la loyale après lui avoir ligoté pieds et poings.
Est-ce à dire que dans l’injonction « élections libres, transparentes et avec toutes les garanties pour tous les acteurs vénézuéliens », la mention « tous les acteurs » ne concernerait pas les chavistes, mais uniquement la droite et l’extrême droite ?

Le 24 avril, en s’adressant aux autorités colombiennes et aux représentants de gouvernements qui participeraient le lendemain à la conférence de Bogotá, Maduro a clairement exprimé la position du Venezuela : « Si quelqu’un parmi vous veut, aspire à ce que les négociations politiques entre ce secteur minoritaire de l’opposition, appelé Plateforme unitaire, et le gouvernement bolivarien et chaviste du Venezuela, reprennent au Mexique, vous n’avez qu’une chose à faire : dans le communiqué officiel que vous approuverez, demandez que le gouvernement américain dépose les 3,2 milliards de dollars séquestrés sur les comptes bancaires que nous avons à l’étranger pour le plan social signé dans l’accord partiel au Mexique, en novembre 2022. »
« Une fois qu’ils auront fait le dépôt, nous irons à nouveau au Mexique », a ajouté le dirigeant vénézuélien.
Peu après la clôture de la conférence, le gouvernement bolivarien a réitéré « l’impérieuse nécessité » de lever « toutes et chacune des mesures coercitives unilatérales, illégales et préjudiciables au droit international, qui constituent une agression contre l’ensemble de la population vénézuélienne et entravent le développement de la vie économique et sociale du pays » [16].

« Ce genre de réunion suscite de grandes attentes, ou peut au contraire entraîner de grandes déceptions », avait prévenu, très lucide, dans son discours d’ouverture, le président Petro. Il n’ignorait évidemment pas que, le 2 mars 2023, comme son prédécesseur Trump, Biden a prolongé d’un an le décret qui qualifie le Venezuela de « menace extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique étrangère des Etats-Unis ». Il n’ignorait sans doute pas plus que, le lendemain, le secrétaire d’Etat Antony Blinken, en remettant un rapport au Congrès, a déclaré, contre toute évidence, mais on ne peut plus solennellement : « Le rôle du Venezuela dans la chaîne d’approvisionnement mondiale de la cocaïne est passé du statut de pays de transit à celui de pays producteur. »
Sans doute, comme beaucoup, Petro a-t-il compté sur l’apparent assouplissement de l’attitude de Washington depuis que la guerre en Ukraine a chahuté le marché de l’énergie. En effet, après qu’en mars 2022, le président Biden ait envoyé une délégation discuter avec Maduro, reconnaissant ainsi son statut de chef de l’Etat, la multinationale Chevron a été autorisée à reprendre ses opérations d’extraction et de commercialisation du pétrole vénézuélien – l’espagnole Repsol et l’italienne ENI se voyant pour leur part octroyer la possibilité d’exporter du gaz liquide vers l’union européenne. Sans doute Petro a-t-il également pris au sérieux le « grand ami » Biden l’accueillant à la Maison-Blanche – « Monsieur le président, c’est formidable de vous voir ici dans le bureau ovale… » – avec un sourire des plus francs.

Quelques jours après la conférence internationale, douche froide et retour à la réalité. Le 1er mai, Andrea Gacki, directeur de l’Office de contrôle des avoirs étrangers (en anglais, OFAC) signe une « licence générale n° 42 ». Celle-ci établit l’autorisation de liquider les actifs de Citgo Petroleum Corporation (filiale aux Etats-Unis de la compagnie pétrolière nationale vénézuélienne PDVSA), confisquée à son légitime propriétaire par le gouvernement américain. Cette mesure de l’OFAC ouvre la possibilité pour un certain nombre d’entreprises et de multinationales – Crystallex, ConocoPhillips, O-I Glass Inc, Huntington Ingalls Industries Inc, ACL1 Investments Ltd et Rusoro Mining Ltd – ayant un litige avec Caracas, de saisir, grâce aux décisions de la justice américaine, les actions de Citgo. Sans que le gouvernement bolivarien ne puisse défendre l’entreprise, l’opposition vénézuélienne s’en étant vue attribuer la gestion. Ce que l’on qualifiera ici de « vol en bande organisée ».
Depuis janvier 2023 et la mise hors circuit de Guaido, trop « démonétisé » au sein d’une communauté internationale qui ne le prenait plus au sérieux, Washington reconnaît en effet en Dinorah Figuera – ex-députée (vivant en Espagne) du parti Primero Justicia – la présidente de l’ « Assemblée nationale 2015 » (qui n’existe plus). Le 5 mai, le Département d’Etat a autorisé cette potiche purement décorative à accéder à environ 347 millions de dollars gelés dans des banques étatsuniennes et appartenant au gouvernement vénézuélien.
Une façon d’indiquer clairement que la guerre implacable menée contre le pouvoir chaviste continue. Mais aussi un cynique et insultant « bras d’honneur » à la démarche constructive du président Petro visant à ce que le Venezuela, et par-là même toute la région, revienne à la normalité.

Illustration : Conférence internationale sur le Venezuela et le président colombien Gustavo Petro, Bogota, 25 avril 2023. Photos : Cristian Garavito – Presidencia.


[1] Lire « Ex-rebelles, rebelles et pseudo rebelles au prisme de l’Arauca » (25 juin 2022) : https://www.medelu.org/Ex-rebelles-rebelles-et-pseudo-rebelles-au-prisme-de-l-Arauca

[2https://petro.presidencia.gov.co/prensa/Paginas/Estatuto-Temporal-de-Proteccion-debe-garantizar-derechos-efectivos-para-mig-221003.aspx

[3] Outre Gerardo Blyde étaient présents dans la délégation Claudia Nikken, Tomás Guanipa, Stalin González, Luis Aquiles Moreno, Luis Emilio Rondón, Alejandro Mora et Roberto Enríquez.

[4https://t.co/cOZNoOanql

[5] Barbade, Canada, France, Allemagne, Honduras, Italie, Mexique, Norvège, Portugal, Espagne, Saint-Vincent-et-les Grenadines, Afrique du Sud, Turquie.

[6] Lire « Un président imaginaire renversé par une Assemblée qui n’existe pas » (17 janvier 2023) – https://www.medelu.org/Un-president-imaginaire-renverse-par-une-Assemblee-qui-n-existe-pas

[7] Chemins de traverse utilisés par l’immigration clandestine, la contrebande et les réseaux criminels.

[8] Lire « Venezuela : aux sources de la désinformation (7 octobre 2019 – https://www.medelu.org/Venezuela-aux-sources-de-la-desinformation

[9] Uribiste : partisan du président d’extrême droite Álvaro Uribe (2002-2010).

[10] Argentine, Barbade, Brésil, Bolivie, Chili, Colombie, Costa Rica, Dominique, République dominicaine, Equateur, Salvador, Grenade, Guatemala, Haïti, Honduras, Jamaïque, Mexique, Nicaragua, Panamá, Paraguay, Pérou, Suriname, Uruguay et Venezuela.

[11https://www.oas.org/es/cidh/docs/anual/2022/capitulos/15-IA2022_Cap_6_ES.pdf

[12https://www.oas.org/es/cidh/informes/ia.asp?Year=2022

[13] Lire « Vol d’hypocrites au-dessus du Nicaragua » (1er juillet 2021) – https://www.medelu.org/Vol-d-hypocrites-au-dessus-du-Nicaragua

[14https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/mexique-faut-arreter-projet-regressif-briderait-organisations

[15] Lire « Paysages vénézuéliens avant la victoire (chaviste) ! », 10 décembre 2021 – https://www.medelu.org/Paysages-venezueliens-avant-la-victoire-chaviste

[16] Caracas revendique également la fin des attaques par le biais des tribunaux étatsuniens ou de la Cour pénale internationale (CPI), ainsi que l’octroi d’une liberté absolue au diplomate Alex Saab – séquestré au Cap Vert et détenu aux Etats-Unis pour avoir participé au contournement de l’embargo empêchent l’importation d’aliments au Venezuela.

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