Venezuela : une armée de femmes construit la révolution du logement

Cette expérience de femmes autodidactes travaillant à construire leurs propres maisons est au cœur du documentaire « Nostalgiques du futur » actuellement en tournée en France, en Suisse et en Belgique. Lors des ciné-débats, vous pourrez rencontrer Ayary Rojas, une des constructrices, et Jenifer Lamus, organisatrice d’une commune rurale. Pour le programme de la tournée : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/03/08/revolution-feministe-dans-la-revolution-bolivarienne-nostalgiques-du-futur-en-tournee-europeenne/


À Caracas, une armée de femmes auto-formées travaille à la construction de leurs propres maisons tout en transformant la réalité qui les entoure.

Le logement marchandisé, les bidonvilles, les expulsions et le sans-abrisme sont des réalités mondiales et, quels que soient les efforts déployés par les médias grand public pour l’ignorer, il s’agit de l’une des horreurs les plus flagrantes du capitalisme.

En revanche, la Grande Mission Logement du Venezuela (GMVV) a construit plus de 4,4 millions de maisons pour les familles de la classe ouvrière depuis 2011, après que le dirigeant révolutionnaire Hugo Chávez a déclaré que l’accès à la terre et à un logement adéquat étaient des droits de l’homme et le fondement d’une vie digne.

L’objectif est d’atteindre 5 millions de logements d’ici à 2024.

En outre, le programme fournit souvent des infrastructures sociales telles que des écoles, des marchés alimentaires subventionnés et des espaces verts et récréatifs, tandis que les maisons sont livrées équipées d’appareils électroménagers de base. En conséquence, l’extrême pauvreté structurelle au Venezuela est passée de 10,8 % en 1998 à 4,3 % en 2018, selon le dernier rapport disponible publié par l’Institut national des statistiques (INE – Instituto Nacional de Estadística).

La portée du GMVV (Gran Misión Vivienda Venezuela) repose sur le pouvoir populaire : plus de 70 % des constructions seraient autogérées par les communautés, avec le soutien financier et logistique des institutions gouvernementales. Cela permet de réduire considérablement les coûts.

Pour comprendre son succès, malgré la crise économique actuelle et les sanctions états-uniennes, nous avons visité un projet de construction dirigé par des femmes, qui est devenu un élément essentiel du programme social et un exemple de féminisme de base.

Photo : La construction de l’AVV Jorge Rodríguez Housing Assembly a débuté en 2017, mais a subi plusieurs revers suite à l’imposition des sanctions américaines. (Andreína Chávez Alava / Venezuelanalysis)

Construire l’avenir

La belle paroisse d’Antímano, dans le sud-ouest de Caracas, compte une armée de femmes autodidactes qui travaillent toute l’année pour construire des maisons pour leurs familles et transformer la réalité qui les entoure. Leur histoire a commencé il y a près de 12 ans, lorsqu’elles se sont réunies pour la première fois pour créer l’Assemblée du logement AVV (« Asociación Viviendo Venezolano ») Jorge Rodríguez Padre.

L’ensemble du projet a pris son envol grâce au leadership des femmes. Ayari Rojas et Ircedia Boada, toutes deux mères et principales porte-parole du projet, ont commencé ce voyage en 2012 et ont été chargées de rassembler les 96 familles qui bénéficieront de cette initiative autogérée.

« Nous sommes ici grâce au président Hugo Chávez. Bien que la Grande Mission Logement ait été créée pour fournir des logements aux familles touchées par les fortes pluies de 2010-2011, M. Chávez a compris qu’il fallait accélérer la révolution du logement et il nous a demandé de nous organiser à cette fin. C’est ce que nous avons fait », nous a expliqué Mme Rojas.

Pour les femmes d’Antímano, la tâche à accomplir était claire. « Nous avons commencé par organiser des réunions pour discuter du caractère participatif de notre projet », poursuit Boada, « et nous avons commencé à nous former à la conception architecturale des bâtiments, aux mesures, aux systèmes ergonomiques et à tout ce qui concerne le travail de préconstruction ».

En 2015, ils ont repéré une belle zone avec une vue imprenable sur les montagnes dans le quartier d’El Algodonal, qui avait été abandonnée par son propriétaire avec des tonnes de déchets métalliques. « Nous ne sommes pas des envahisseurs comme certains l’ont dit, nous avons tout fait légalement », a déclaré Boada, rappelant que les factions de droite se sont toujours opposées à ce que la terre soit utilisée au profit du peuple, et non du capital.

L’obtention du titre foncier collectif a été leur première victoire populaire, mais les travaux de construction se sont avérés beaucoup plus difficiles dans un pays assiégé. Cette phase a débuté en 2017 après avoir nettoyé le terrain, s’être entraîné un peu plus et avoir défini les grandes lignes du projet : deux bâtiments jumeaux de six étages, comprenant chacun 48 appartements de 66 ou 76 mètres carrés (deux ou trois chambres à coucher selon les besoins de chaque famille).

« Ce fut cinq ans d’efforts d’autoconstruction tout en vivant sous des attaques constantes, des pénuries alimentaires induites, qui impliquaient de passer des heures à chercher des produits, aux pannes d’électricité nationales et à une pandémie, mais la pire agression a été les mesures coercitives unilatérales de Washington », se souvient Rojas.

Depuis 2017, le blocus américain a entravé tous les secteurs de l’économie vénézuélienne, en particulier l’industrie pétrolière, ce qui a créé de nombreux obstacles pour le gouvernement afin de financer les programmes sociaux, parmi lesquels la Grande Mission Logement, entraînant des retards et de longues pauses dans la livraison des matériaux de construction.

Mme Rojas est certaine que sans cette agression impériale, qui a frappé les femmes le plus durement, leurs maisons auraient été achevées depuis longtemps. Néanmoins, elles ont continué à avancer en s’appuyant sur la solidarité. « Nous avons contacté d’autres assemblées de logement à proximité et nous avons commencé à échanger des matériaux de construction, comme du ciment contre des tuyaux, en fonction des besoins de chaque organisation. Le pouvoir populaire à son paroxysme ! »

Aujourd’hui, l’un des immeubles devrait être inauguré cette année et faire l’objet d’une célébration nationale. « Il ne s’agit pas seulement de construire des maisons pour nos familles », souligne Claudia Tisoy, mère de famille de 44 ans et plombière autodidacte, « nous construisons aussi l’avenir de notre pays, avec les femmes en tête. C’est cela l’horizon socialiste ».

Photo : Les femmes font une pause déjeuner avant de poursuivre leur travail de construction. Les repas sont préparés par leur propre communauté à partir de produits fournis par chacune des 96 familles. (Andreína Chávez Alava / Venezuelanalysis)

Une révolution féminine

Il est rare de voir des femmes travailler dans la construction, mais il est encore plus rare d’en voir une armée. C’est ce que nous avons trouvé dans le quartier d’El Algodonal. Dès que vous mettez le pied dans le complexe immobilier, les femmes vous saluent tout en effectuant diverses tâches, allant du bétonnage au transport de matériaux, en passant par la menuiserie, la plomberie et bien d’autres encore.

Et ce n’est pas que les hommes manquent à l’appel, mais 80 % des personnes qui ont levé ces murs étaient des femmes, 76 pour être précis, chacune des 96 familles fournissant une personne pour les travaux de construction. En plus de cela, elles se sont formées elles-mêmes à tout.

« Aucun d’entre nous ne connaissait la construction ! Mélanger du ciment et poser des briques ? Pas question ! » nous dit Yusgleidys Ruiz en riant, alors qu’elle se souvient de leurs débuts. « La vérité, poursuit-elle, c’est que la plupart des femmes ici sont des femmes au foyer qui voulaient des maisons dignes pour leurs enfants, alors nous avons appris sur le tas et nous sommes devenues des guerrières par la même occasion.

Mme Ruiz explique que la clé de leur succès réside dans leur éthique et leur engagement. Ils sont divisés en groupes qui se relaient chaque semaine 24 heures sur 24, pour construire le jour et surveiller la zone la nuit, ce qui leur permet de maintenir le projet actif tout au long de l’année.

Pour Ursulina Guaramato, l’expérience a fait d’elle une experte en barres de construction, comme elle l’admet fièrement. « Je suis coupable de tout cela », dit-elle en souriant et en montrant les connexions en acier qui s’étendent à partir de certains piliers inachevés aux étages les plus élevés du bâtiment.

De même, Andreína San Martín est désignée par ses compagnons de travail comme la spécialiste incontestable des machines à treuil, un titre qu’elle a fièrement accepté. « Je suis heureuse parce que j’ai beaucoup appris sur la construction et le plus beau, c’est que je l’ai fait en construisant une maison pour ma famille, pour lui donner une meilleure qualité de vie, une vie digne, comme le disait Chávez.

Pour leur part, les hommes, dont la plupart sont également des constructeurs autodidactes, reconnaissent que c’est un honneur de travailler avec des femmes et d’apprendre à leurs côtés le pouvoir de l’organisation de base.

« Nous prenons toutes nos décisions en tant qu’assemblée, où tout le monde peut s’exprimer. Cette expérience nous a donc permis d’apprendre comment construire le pouvoir populaire et comment il peut conduire à un réel changement. Quand j’aurai des petits-enfants, je leur raconterai l’histoire des femmes qui ont construit tout cela, pas seulement des bâtiments, mais une communauté », a déclaré Carlos Villanoel.

Antonio Rodríguez, charpentier autodidacte, a ajouté que le leadership des femmes a rendu ce projet de logement possible « et c’est pourquoi notre principale devise est : Quand une femme avance, aucun homme ne recule : Quand une femme avance, aucun homme ne recule ! »

Photo : Les décisions sont prises collectivement lors d’assemblées hebdomadaires où chaque représentant de la famille exprime son opinion. (Andreína Chávez Alava / Venezuelanalysis)

Communauté et autosuffisance

Alors que leurs maisons sont sur le point d’être achevées, les hommes et les femmes de l’Assemblée du logement de l’aumônier Jorge Rodríguez veulent devenir les garants de la poursuite de la Grande mission logement du Venezuela en aidant d’autres constructions de logements autogérés à démarrer.

Ils ne vendent pas non plus de la poudre aux yeux. Elles ont été certifiées par des architectes et des ingénieurs qui ont inspecté le site et certaines d’entre elles, dont les dirigeantes Ircedia Boada et Ayari Rojas, ont même obtenu des diplômes dans leurs domaines de spécialisation respectifs.

« Transmettre notre savoir aidera davantage de femmes à s’autonomiser, à construire leur maison et à améliorer leur vie. Avant Chávez, les femmes étaient invisibles, même les héroïnes qui se sont battues pour la liberté de notre pays. Il est temps de libérer les héroïnes que nous portons dans notre sang », a déclaré Boada.

Un autre plan d’avenir est le développement de l’agriculture urbaine, conformément à l’ordre de Chávez selon lequel les organisations du pouvoir populaire doivent être autosuffisantes et posséder les moyens de production. Alors que le Venezuela est soumis à une agression impérialiste constante, ces initiatives de production autogérées ont vu le jour dans tout le pays, mais surtout dans les communes rural.

Source originale: VenezuelaAnalysis

Autrice : Andreína Chávez Alava

Traduit de l’anglais par Bernard Tornare

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/03/10/venezuela-une-armee-de-femmes-construit-la-revolution-du-logement/

Révolution féministe dans la révolution bolivarienne : « Nostalgiques du futur » en tournée européenne.

Tout au long de ce mois des luttes des femmes, le documentaire vénézuélien « Nostalgiques du futur » sera projeté en France, en Suisse et en Belgique (programme ci-dessous). Les projections du film sous-titré en français ou en allemand seront suivies d’un débat en présence de deux communardes du Venezuela – Ayary Rojas et Jenifer Lamus (photo).

Ce film est le fruit de deux ans d’immersion dans des territoires où les femmes s’organisent pour transformer leurs espaces de vie et occuper les espaces de décision. Collectif d’auto-constructrices sur les hauteurs de Caracas, commune rurale organisant sa souveraineté alimentaire, écoles populaires de cirque, de musique ou d’agroécologie, assemblées de quartier de la santé… un féminisme populaire invente un « pouvoir pour » qui remplace peu à peu le vieux « pouvoir sur ».

Réalisation: Thierry Deronne. Coréalisation: Victor Hugo Rivera. Production: Terra TV/EPLACITE. Venezuela 2022. Durée : 97 minutes.

Contact pour la diffusion (UE): lesrencontres@fal33.org / gloria.verges@fal33.org

Quelques avis sur le film :

« Une histoire extraordinaire ! Je crois que personne n’a la moindre idée de cette révolution chaviste qui continue à grandir au Venezuela…. Ces bâtisseuses sont le symbole d’un autre monde possible » Hilary Sandison, productrice et scénariste de documentaires.

« Une œuvre magnifique. Il faut la diffuser partoutNatalie Benelli, présidente d’Alba Suisse.

« Le meilleur hommage à Chávez » Omar Valiño, président de la Bibliothèque Nationale de Cuba.

« Magnifique dans sa manière d’aborder les multiples dimensions du processus révolutionnaire. » Douglas Estevam, Collectif Culture de la Direction Nationale du Mouvement des Travailleurs Sans Terre du Brésil.

« Un documentaire passionnant qui dégage une énergie communicative et nous plonge au cœur d’une révolution porteuse de ses propres utopies » Maurice Lemoine, journaliste, écrivain, ex-rédacteur en chef du Monde Diplomatique

« Un film beau comme les luttes des peuples. C’est le Venezuela d’aujourd’hui, en résistance, au visage de femme. » Vladimir Sosa Sarabia, président de la Cinémathèque Nationale du Venezuela.

« Un témoignage incroyable sur le pouvoir de décision de toute une communauté Vénézuélienne à travers l’instauration de communes sur tout le territoire, sur le modèle de la commune de Paris avec en première ligne l’implication des femmes dans ce mouvement ! Le capitalisme, l’impérialisme, l’individualisme est remis en cause. Malgré l’embargo des États Unis et des pays capitalistes, ils et elles se réinventent sans cesse ! De l’agriculture, au logement, en passant par l’éducation et la culture. Une vraie claque pour nos yeux d’occidentaux sclérosés. On a perdu ce feu, cette conscience de classe et de faire ensemble pour nous toutes et nous tous, mais il n’est jamais trop tard ! Merci merci pour cet espoir » Angélique Neutens, responsable syndicale, CGT Santé 74, France.

Programme de la tournée :

En France :

Cinéma La TURBINE Cran Gevrier – ANNECY -74- Jeudi 9 mars à 20h30. Organisée par la CGT 74 dans le cadre de la journée internationale des droits des femmes soirée, film et débat en présence des communardes Ayary Rojas et Jenifer Lamus

Cinéma de TANINGES – 74 – 203 rue des Corsins,Vendredi 10 mars à 20h. Organisation Cinébus. Film et débat en présence des communardes Ayary Rojas et Jenifer Lamus

Médiathèque LOUIS ARAGON, Parvis Hubertine Auclert, 93240 STAINS, Mardi 21 mars 2023 à 18h. Dans le cadre du mois de l’égalité homme /femme, film et débat en présence des communardes Ayary Rojas et Jenifer Lamus. En partenariat avec le LIHP (Laboratoire International pour l’Habitat Populaire) et l’Ambassade du Venezuela en France.

Maison de L’AMÉRIQUE LATINE – PARIS 217 Bd Saint-Germain, 75007 Paris, Mercredi 22 mars à 19h, film et débat en présence des communardes Ayary Rojas et Jenifer Lamus. En partenariat avec le LIHP (Laboratoire International pour l’Habitat Populaire) et l’Ambassade du Venezuela en France.

FESTIVAL DE BORDEAUX, 40 ème édition du cinéma latino américain, Cinéma Jean Eustache de PESSAC, Vendredi 24 mars à 20h30, film et débat en présence de Thierry DERONNE, Ayary ROJAS et Jenifer LAMUS

Cinéma La Brèche de SAINTE-FOY-LA-GRANDE. Samedi 25 mars à 20h30, film et débat en présence de Thierry DERONNE, Ayary ROJAS et Jenifer LAMUS

FESTIVAL DE CHAMBÉRY, 29ème édition Festival du Cinéma Espagnol et Latino-Américain Forum Cinémas (Astrée) 7, boulevard du théâtre, Lundi 27 mars à 20h30, film et débat en présence des communardes Ayary Rojas et Jenifer Lamus

Film débat , ASSOCIATION ECREVIS, Meythet -ANNECY, 36 RUE DE L’AÉRODROME, Mardi 28 mars à 19H, Film et débat en présence des communardes Ayary Rojas et Jenifer Lamus

FESTIVAL GRENOBLE – association FA SOL LATINO, 11ème édition du festival OJO LOCO, Cinéma le Méliès -28 allée Henry Frenay-, Jeudi 30 mars à 19h45, en présence des communardes Ayary Rojas et Jenifer Lamus

POITIERS, campus Sciences Po (programme eurolatinoaméricain), 4 avril, 17 h., vidéo-débat avec Thierry Deronne. Organisé par l’Union des Étudiants Communistes de Sciences Po.

En Suisse :

BERNE – Breitsch-Träff – Breitenrainplatz 27 Samedi 11 mars à 17h, Film sous-titré en allemand et débat en présence d’Ayary ROJAS et Jenifer LAMUS avec traduction allemande.

FRIBOURG au Centre culturel Passerelles 3 rue Locarno Jeudi 16 mars à 19h. Film et débat en présence d’Ayary ROJAS et Jenifer LAMUS, film sous-titré en français.

GENÈVE, Vendredi 17 mars, Chacun.e Son Paradis, – 5 rue Leschot Plainpalais 1205 Genève, à 18 h. 30, « Féminisme communal : réflexions depuis le Venezuela ». Rencontre avec Ayary ROJAS et Jenifer LAMUS, protagonistes du documentaire « Nostalgiques du futur ». Présentation par Renata Cabrales, féministe et journaliste colombienne. Organisé par le Collectif La Trenza.

BELLINZONA, Via Antonio Ciseri 5 – Samedi 18 mars à 17h. Film sous-titré en français et échange en présence de nos deux invitées Ayaray Rojas et Jenifer Lamus

En Belgique :

« Venezuela, au-delà des clichés ». Projection de « Nostalgiques du Futur », Salle L’Aurore, 162, rue du Midi, 1000 Bruxelles, jeudi 23 mars à 19 h.

Le billet de Maurice Lemoine sur le film : https://www.medelu.org/A-propos-d-un-film-sur-le-Venezuela

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L’Ancien et le Nouveau. Comment passé et présent dialoguent dans les communes populaires au Venezuela.

Photo: Joel Galindez. « De très longs processus de résistance ont laissé une graine qui s’est finalement transformée en un projet communal. Nous devons nous pencher sur notre histoire pour comprendre notre présent. »

Au sud de l’État de Yaracuy, Urachiche est une commune nichée entre les montagnes d’Aroa et les plaines qui s’ouvrent sur les llanos vénézuéliens. Elle a une longue histoire de lutte et constitue, avec la commune voisine de Bruzual, le cœur du culte dynamique de María Lionza, une déesse syncrétique qui rassemble des traditions indigènes et africaines.

Urachiche abrite également deux communes étroitement liées : Hugo Chávez et Alí Primera. Nous découvrons ici l’histoire de ces communes et leurs luttes pour le contrôle collectif de la terre.

Photos : Joel Galíndez est membre de la coopérative du Fundo San Simón et parlementaire des organisations socio-productives de la commune Hugo Chávez | Germán Prado est porte-parole de la commune Hugo Chávez | Arturo Cordero est communard, fondateur des communes, et conseiller municipal d’Urachiche | José Alvarado est membre de la Commune d’Alí Primera | Wladimir Alvarado est parlementaire de la Commune d’Alí Primera et producteur de café | Ana Morales est parlementaire de la Commune d’Alí Primera et membre de la banque communale. (Voces Urgentes)

La résistance à la colonisation espagnole et le « cumbe »

Joel Galíndez : Ce que nous voyons aujourd’hui prendre forme ici à Urachiche s’inscrit dans le courant historique. Les processus de résistance de longue date ont laissé une graine qui a fini par se transformer en un projet communautaire. Nous devons regarder notre histoire pour comprendre notre présent.

Notre lutte a commencé lorsque les peuples indigènes ont résisté à la colonisation, qui a été suivie par la création des cumbes. Les cumbes étaient des communautés égalitaires où les personnes qui avaient échappé à l’esclavage s’associaient aux peuples indigènes pour vivre librement en marge de l’empire espagnol.

Ces terres ont également vu les paysans s’unir à José Antonio Páez dans la lutte pour l’indépendance. Ce sont les pardos [que l’on peut traduire par peuple brun] qui ont mené les guerres d’indépendance, et ils peuvent revendiquer l’indépendance du Venezuela comme leur propre victoire autant que celle de Bolívar. Cette victoire a jeté les bases d’un avenir prospère, mais l’oligarchie est retournée à ses anciennes habitudes.

La guerre d’indépendance [1810-23] et la trahison du projet émancipateur qui s’ensuivit furent suivies de la guerre fédérale [milieu du XIXe siècle], lorsque le peuple fit sien le slogan d’Ezequiel Zamora « Terre et hommes libres » [tierra y hombres libres]. Quelque 300 ans de lutte et de guerre ont culminé avec la mort de Zamora et les intérêts oligarchiques semblaient s’installer pour de bon… Mais est-ce le cas ? En fait, les gens ont continué à lutter ici, dans le sud de Yaracuy. Plus tard, dans les années 1960, la guérilla a fait de ces montagnes son port d’attache.

Douglas Bravo [un des commandants de la guérilla vénézuélienne] était ici et le commandant Magoya a dirigé un front basé dans ces montagnes. Ils ont laissé leurs enseignements chez nous. Ainsi, alors que les années 1970 ont vu la défaite militaire des Forces armées de libération nationale [FALN], l’héritage de ces hommes et femmes courageux est toujours présent parmi nous.

Nous sommes les héritiers du courant historique, et les communes d’ici sont leur héritage autant qu’elles sont notre fait. Il est triste que certains remettent en question notre passé rebelle et se tournent vers un avenir mercantile, mais le courant historique est dans notre sang et l’avenir, pour nous, va de pair avec notre passé.

Germán Prado : Les traités colonialistes nous disent que les Jirajara, le peuple indigène qui vivait ici, ont été exterminés par les troupes espagnoles en trois ans. Cette histoire n’est que cela : une histoire ! En fait, les Jirajara ont résisté avec des personnes qui fuyaient l’esclavage, et après une longue guerre, les Espagnols ont dû capituler. C’est l’histoire du premier cumbe [communauté marrone].

Arturo Cordero : Les peuples indigènes qui habitaient ces territoires avant la colonisation étaient les Jirajara, mais aussi les tribus Guachire, Chirimagüe et Urachiche. Ils étaient Caribes, et la propriété de la terre était communautaire.

La colonisation de ces territoires s’est produite vers 1539, lorsqu’ils avaient été cédés aux Welser [banquiers allemands à qui la couronne espagnole avait donné le contrôle de ce que nous connaissons aujourd’hui comme le Venezuela entre 1528 et 1546]. Cependant, en 1552, il y a eu un soulèvement à Buría [Yaracuy], une région montagneuse. Ce fut le premier soulèvement contre les colons espagnols, et il a duré 75 ans.

À cette époque, les Jirajaras et les esclaves qui s’étaient enfuis ont commencé à former des cumbes dans ces terres. Après cette longue guerre, la Couronne espagnole a reconnu la « République des Zambos Nirgua » ou ce que l’on appelle aujourd’hui un « resguardo » [réserve].

Le territoire qui a été déclaré « république » était quatre fois plus grand que n’importe quelle autre réserve. Qu’est-ce que cela nous apprend ? Yaracuy a été un bastion de la résistance à l’impérialisme et une réserve d’organisation communautaire. Bien avant la Commune de Paris, nous avions des cumbes qui étaient organisées démocratiquement avec des terres communes.

Germán Prado : Nous sommes les héritiers des peuples indigènes qui ont résisté à la violence des colonialistes, et il y a des éléments dans nos communes qui ont des racines dans leur cosmovision. Je vais en souligner un qui est important pour nous : dans les communes Hugo Chávez et Alí Primera, il n’y a pas de gros bonnet ou de gros bras qui dirige, comme c’est le cas dans d’autres organisations. Ici, non seulement nous respectons les préceptes formels établis par la loi des communes, qui sont basés sur l’assemblée, mais notre ADN organisationnel se mêle à l’organisation égalitaire des Jirajaras.

Arturo Cordero : De même, contrairement aux peuples indigènes du nord de Yaracuy, ceux du sud étaient matriarcaux. On peut le voir dans les saints patrons ici, qui sont toujours des femmes et souvent liés aux mythologies précoloniales, alors que dans le nord, les saints patrons sont des hommes. Mais l’héritage matriarcal va au-delà de ces autels : le mode de vie communautaire est également lié à ces formes d’organisation anciennes et nouvelles.

Photo : paysage de la commune Hugo Chavez (Voces Urgentes)

L’indépendance, la guerre fédérale et la trahison

Arturo Cordero : La Ley de Haberes Militares [loi sur les possessions militaires] de Bolívar de 1817 a constitué une réforme agraire radicale. Elle remettait les terres prises à la Couronne et aux colons aux soldats et officiers patriotes. Toutefois, les années suivantes ont vu une recomposition des classes et la réforme a été inversée : de nombreux soldats n’avaient pas les moyens de produire sur leurs terres, de sorte que les hommes puissants de la république naissante ont pris le contrôle de la plupart des terres par différents moyens.

Cela s’est produit dans tout le pays. De plus, en 1846, avant la guerre fédérale, Fernando Espinal, un juge d’Urachiche, a statué en faveur des plus puissants, dépossédant les indigènes de leurs terres. C’est ainsi qu’ils sont devenus des serfs [« tributarios »] sur leur propre territoire.

S’ensuivit la guerre fédérale [dirigée par le général Zamora], qui nous a légué le cri de guerre « Terre libérée et hommes libres ». Quelque 150 ans plus tard, ce slogan révolutionnaire a défini une grande partie de ce que la révolution bolivarienne allait essayer de faire dans les zones rurales.

Avec beaucoup d’autres, Prudencio Vásquez et José Blandfort – tous deux originaires d’Urachiche – ont combattu avec Zamora dans les premiers jours de la guerre. En fait, il est documenté que lors d’une conversation entre Zamora et Blandfort, ce dernier a évoqué la thèse de Proudhon selon laquelle « la propriété est un vol ». Ce à quoi Zamora a répondu : « La propriété est un vol quand elle n’est pas le produit du travail ».

Les luttes populaires pour la terre et la dignité provoquèrent la colère de l’oligarchie. Les troupes de Zamora ont été vaincues, mais les braises de la révolution se sont constamment rallumées, car le peuple a poursuivi son combat.

Cent ans plus tard, le peuple a repris les armes contre l’oppresseur.

Photos : De gauche à droite : Un enfant de Maimire, commune Alí Primera ; l’église d’Urachiche ; la commune Alí Primera. (Voces Urgentes)

La guérilla

José Alvarado : Je suis un communiste et un guérillero. J’ai été élevé à Cerro Atravesado, dans les montagnes entre Lara et Yaracuy, dans une famille de paysans pauvres.

Tout a commencé quand j’étais enfant. Alors que l’armée harcelait et dépossédait les travailleurs du campo, la guérilla était respectueuse et solidaire avec les paysans. Quand ils avaient besoin de quelque chose, ils l’achetaient chez nous.

C’est pourquoi j’ai rejoint la guérilla, où j’ai appris à lire et je suis devenu un cadre politico-militaire.

Arturo Cordero : Dès que les FALN ont pris les armes, Urachiche est devenu un épicentre de la guérilla. Un groupe d’hommes armés portant le nom de Livia Gouverneur – une jeune étudiante communiste qui avait été tuée un an auparavant – est entré dans le territoire et a commencé à tisser des liens avec les paysans, qui avaient beaucoup de sympathie pour la cause. Les camarades de Livia Gouverneur faisaient partie du Front José Leonardo Chirinos, plus important.

De nombreux habitants se sont joints à cette lutte de résistance et les montagnes d’Urachiche sont devenues connues dans tout le pays comme un important bastion de guérilleros. En fait, elle est devenue une sorte d’épicentre pour les fronts de guérilleros. Dans la chaîne de montagnes la plus rude qui se trouve derrière nous, à Cerro Atravesado, il y a un endroit appelé la Place Rouge, et c’est là que les fronts de guérilleros se rencontraient.

Des gens comme Calistro Efraín Rojas, l’un des premiers combattants, viennent d’ici, tout comme son fils, notre professeur bien-aimé Felipe Rojas. Magoya, le commandant des guérilleros, a fait de cette terre son port d’attache avec sa femme, la commandante Milagros, qui était en fait originaire d’Urachiche.

Ana Morales : La persécution des guérilleros était brutale : si l’armée les attrapait, ils étaient soit torturés, soit tués. Dans ces montagnes, la sympathie envers les guérilleros était large. Après tout, les gens d’ici étaient eux aussi victimes de la répression et du despotisme de l’État. Ils partageaient la vision de la guérilla pour un monde plus juste. Ils [les guérilleros] étaient aussi des enseignants : beaucoup de gens apprenaient à lire avec eux.

Wladimir Alvarado : Certains disent que la guérilla a été vaincue, mais l’histoire n’est pas si simple. La vérité est qu’ils ont laissé de nombreux enseignements derrière eux. C’est pourquoi je dis que la révolution bolivarienne est l’héritage des luttes passées et que le communisme est un projet que les guérilleros nous ont légué. Nous devons la lutte pour la terre à Zamora, et nous devons le socialisme à la guérilla. En fait, Chávez soulignait souvent l’importance de l’insurrection des années 60 lorsqu’il réfléchissait à notre passé.

Ana Morales : Les guérilleros ont ravivé d’anciennes luttes et nous ont laissé de nombreux enseignements. En fait, Felipe Rojas était notre professeur. Il nous expliquait souvent que le vrai socialisme est une question d’égalité et de solidarité, de vie dans la dignité et de reconstruction des communautés. C’est ce que sont nos communes.

* * *

José Alvarado : Notre lutte remonte à loin. Nous étions déjà sur le terrain – luttant contre l’oligarchie oppressive – bien avant la guerre d’indépendance. En tant que communistes, nous avons souffert de persécutions, mais le plus important est que ces luttes ont laissé derrière elles une communauté organisée.

C’est pourquoi, lorsque Chávez est arrivé, nous étions prêts. Nous avions traversé des années de préparation politique, idéologique et militaire. Nous étions aussi subversifs que Chávez lui-même ! Nous n’avions jamais pensé que nous aurions une révolution par le vote, car nos principaux modèles étaient le Che et Fidel. Mais quand nous avons vu l’homme, nous avons vu le potentiel pour faire une révolution, et les habitants d’Urachiche se sont engagés dans un projet qui s’appellerait d’abord bolivarien et ensuite socialiste.

Il y a encore beaucoup à faire. Il y a beaucoup de contradictions et tout le monde n’est pas engagé dans le socialisme, mais ne vous y trompez pas : ici, dans ces montagnes, les communes et le rêve d’une société communiste sont bien vivants ! Dans les terres basses, en particulier dans les grandes villes, certains ont abandonné, mais ici, le projet est vivant et bien vivant.

Germán Prado : La nôtre est une organisation paysanne et, depuis des siècles, nous luttons pour que la terre revienne à ceux qui la travaillent. Bien sûr, lorsque Chávez est arrivé au pouvoir, la corrélation des forces a changé, mais la lutte continue. C’est pourquoi – avec les peuples indigènes qui ont résisté à l’empire espagnol, avec les paysans qui ont combattu avec Zamora, et avec les guerrilleros qui ont laissé leurs empreintes dans nos montagnes – nous continuons à lutter avec les opprimés.

Arturo Cordero : Urachiche a une longue histoire de lutte, avec au centre la lutte pour avoir la terre et la justice. C’est pourquoi, lorsque Chávez a défini la commune comme le chemin historique vers le socialisme, tout cela a pris un sens pour nous, et c’est pourquoi Urachiche a trois communes combatives : Camunare Rojo (un peu moins active aujourd’hui), Alí Primera, et Hugo Chávez.

Les communes d’Urachiche sont unies dans la lutte : nous avons tous une dette envers nos ancêtres. Nous, les habitants et les paysans, sommes les arrière-petits-enfants des indigènes et des Noirs qui ont résisté à la colonisation ; nous sommes les élèves d’Argimiro Gabaldón [un commandant de la guérilla mort en 1964] et des guérilleros ; et nous sommes les fils et les filles des producteurs de café qui, à partir de 1961, ont réussi à déloger le terrible clan Giménez. Les Giménez étaient une famille qui avait dépouillé les paysans de leurs récoltes pendant de nombreuses années. Aujourd’hui, les paysans d’Urachiche sont propriétaires des terres où ils produisent et les communes sont au centre de la vie politique d’Urachiche.

Photos : De gauche à droite : Maïs, membres de la commune Hugo Chávez, feu de cuisson à Maimire. (Voces Urgentes)

Entretien réalisé par Cira Pascual Marquina and Chris GilbertVenezuelanalysis

Photos : Voces Urgentes

Source : http://www.venezuelanalysis.com/interviews/15683

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

URL de cet article: https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/01/26/lancien-et-le-nouveau-comment-passe-et-present-dialoguent-dans-les-communes-populaires-au-venezuela/

L’alliance entre les Sans Terre du Brésil et la révolution bolivarienne s’intensifie

L’alliance inédite entre un mouvement social et un gouvernement révolutionnaire, scellée par le président Chávez en 2006, se renforce : le président Nicolas Maduro a demandé à son Ministère des Communes et des Mouvements Sociaux d’intensifier la coopération avec les Sans Terre du Brésil.

Le ministère dirigé par Jorge Arreaza, et le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre du Brésil (MST), représenté par son coordinateur national Joao Pedro Stédile, ont tenu le 30 novembre 2022 une vidéoconférence dans le but de renouveler et d’intensifier le programme de coopération et de travail. Un moment particulièrement propice, a rappelé Arreaza, puisque le Venezuela aborde une nouvelle étape de sa transition vers le socialisme et le Brésil entame une nouvelle étape politique avec la victoire de Lula da Silva.

En août dernier, le président Nicolás Maduro avait déjà demandé aux Sans terre de l’aider à développer un projet agro-écologique de plantation de riz. Des représentants du Mouvement ont alors effectué une visite technique au Complexe électronique de systèmes technologiques d’Alcaraván, situé dans l’État rural de Guárico, et ont étudié la possibilité d’une coopération technique. Le protocole d’accord entre ce mouvement social et le ministère des communes existe déjà et a été signé en 2014, huit ans après le premier accord signé avec le gouvernement bolivarien à la suite d’une visite-surprise du Président Chavez à une terre occupée et mise en production par les Sans Terre au Brésil.

Dans son discours, le ministre des Communes Arreaza, a défini le rapprochement comme une nouvelle étape pour générer une alliance politique, technique, technologique et sociale, une alliance intégrale entre le Venezuela et le Brésil, dans laquelle le Mouvement des Sans Terre (MST) et le ministère des communes et mouvements sociaux du Venezuela sont les principaux interlocuteurs.

Un échange de techniques et de savoirs : le Venezuela met à la disposition du MST les processus et les connaissances sur l’expérience de l’organisation du pouvoir populaire et des organisations communardes comme l’outil technologique Sistema de Integración Comunal (SINCO), plate-forme en ligne créée par le Conseil Fédéral du Gouvernement bolivarien pour maintenir une communication directe avec les Conseils Communaux, les Communes, les Mouvements Sociaux et toute organisation de base qui formule ses propres projets et demande l’appui des ressources de l’État.

« Nous avons toujours compris, en théorie et en pratique, que les changements structurels et sociaux ne sont possibles dans une société que lorsque nous parvenons à une équation qui unit un gouvernement populaire à des mouvements populaires forts et disposant d’une masse organisée. Nous suivons votre expérience vénézuélienne avec grand intérêt, car vous avez la possibilité de réunir cette équation » a déclaré Joao Pedro Stedile, de la coordination nationale du MST brésilien, au début de sa participation, au cours de laquelle il a remercié le Venezuela pour sa solidarité constante dans sa lutte politique.

Stedile a expliqué l’expérience particulière du Mouvement en matière « d’organisation, de production, de vie dans les zones rurales« , afin que le ministère des Communes puisse décider comment en faire bénéficier le Venezuela, un aspect de la coopération qu’il a divisé en plusieurs domaines : l’éducation technique, « nous avons investi beaucoup d’énergie dans le développement d’écoles supérieures d’agroécologie et de coopérativisme » ; la formation politique pour élever le niveau de culture et de conscience ; le contrôle des semences, l’agro-industrie coopérative, les machines et outils agricoles, et les bio-intrants, fondamentaux pour affronter le modèle agro-industriel.

Le coordinateur national des Sans Terre a également avancé l’idée d’établir un bureau ou une antenne à Caracas pour la coordination technologique et scientifique, ce que le ministre Arreaza a accueilli positivement, tandis qu’il a proposé de renforcer l’Institut universitaire d’agroécologie « Paulo Freire », situé à Barinas, né de la coopération avec le Mouvement des Sans Terre, dont le leader a ajouté que des écoles d’agroécologie devraient également être créées dans les organisations communardes. Lors de cette vidéoconférence organisée à Caracas le 30 novembre, les deux parties se sont engagées à maintenir la communication et à établir d’autres réunions directes afin de concrétiser et de faire le suivi de ces actions.

Source : https://www.comunas.gob.ve/2022/11/30/ministerio-comunas-movimiento-sin-tierras-brasil-renuevan-programa-trabajo/

Traduction : Thierry Deronne
URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/12/03/lalliance-entre-les-sans-terre-du-bresil-et-la-revolution-bolivarienne-sintensifie/

Le Venezuela accueille la première brigade féministe internationale avec des compagnes de 20 pays.

Assemblée préparatoire du Congrès des femmes vénézuéliennes (2015) Photo : Archives

Photo : Environ 80 % des dirigeant(e)s de mouvements sociaux et d’organisations populaires au Venezuela sont des femmes.

Des militantes féministes des cinq continents sont arrivées à Caracas pour la première Brigade internationale « Alexandra Kollontai« , qui débute ce vendredi 17 juin et se poursuit jusqu’au 27 juin 2022. L’Assemblée internationale des peuples (AIP) et l’Institut Simon Bolivar pour la paix et la solidarité entre les peuples (ISB) ont organisé cette rencontre pour que les femmes puissent échanger leurs expériences sur l’organisation communautaire et rencontrer les multiples organisations/expériences d’un féminisme très actif parmi les secteurs populaires au Venezuela. Un féminisme populaire en chantier, dynamique, formateur de conscience, et qui construit lutte après lutte, à l’intérieur de la révolution bolivarienne, le cadre légal des droits des femme.

Vingt-neuf femmes originaires de vingt pays: Swaziland, Afrique du Sud, Ghana, Lesotho, Zambie, Turquie, Italie, États-Unis, Espagne, Roumanie, Argentine, Brésil, Chili, Cuba, Équateur, Népal, Maroc, Tunisie, Irak et Palestine vont ainsi se déplacer dans cinq états vénézuéliens pour faire connaissance avec des communes populaires et d’autres organisations sociales dirigées par des femmes. La brigade rencontrera aussi des représentantes du ministère pour les Femmes et l’Égalité de Genre et du ministère des Communes et des Mouvements Sociaux.

Domond (USA) : « Si nous voulons construire un mouvement fort de libération des femmes aux USA, nous devons le lier à la lutte des classes. Ce n’est qu’en reliant ces luttes que nous pourrons réellement comprendre les racines de notre oppression.

Pour Betes : « Nous continuons à faire face à des expressions féministes libérales, racistes, eurocentriques, sans propositions, nous comprenons que c’est un des outils que le néolibéralisme construit pour tenter de désarmer le pouvoir transformateur et créatif des féminismes populaires »

« Nous comprenons que la mission fondamentale de cette Brigade sera de débattre du concept de féminisme populaire révolutionnaire, car nous comprenons que le féminisme est aussi un espace de lutte et de contestation radicale du système. C’est pourquoi nous voulons rencontrer des femmes qui construisent des organisations territoriales au Venezuela, en défense de la souveraineté, de la dignité et en faveur d’un féminisme socialiste« , déclare Laura Franco, l’une des organisatrices de l’événement.

Au terme du séjour, les compagnes participeront au lancement du programme de féminisme révolutionnaire « Manuela Sáenz« , promu par l’Institut de Solidarité Simon Bolivar, dans le but de créer des d’intégration, d’échange, de coopération et de formation entre les femmes du monde. Laura Franco souligne comment, depuis l’ascension d’Hugo Chávez à la présidence et maintenant avec le gouvernement de Nicolás Maduro, le processus de transformations sociales au Venezuela, appelé révolution bolivarienne, a acquis un caractère profondément féministe : « La révolution bolivarienne a un visage de femme. Elles occupent les principaux postes de direction du pouvoir populaire au Venezuela. L’impérialisme étasunien a bien compris que ce sont les femmes vénézuéliennes qui sont le moteur de l’économie familiale et la base sociale du soutien à la révolution. Son blocus a donc visé particulièrement les femmes, en bloquant l’accès à des médicaments ou à des contraceptifs, ou à la nourriture, pour tenter de détruire ce tissu fondamental, de démoraliser, de dépolitiser et de décourager les femmes, et réaliser plus vite ses plans de renversement du gouvernement. Ce que nous avons démontré, c’est que nous sommes capables de déjouer ces plans« .

Photo : La Brigade internationale féministe se réunit à l’Universidad Experimental de Cátia, à l’ouest de Caracas, Venezuela / Photo : Ceyrali

Depuis 2015, le Venezuela subit un blocus économique et des sanctions illégales imposées par les États-Unis et l’Union Européenne qui ont généré une perte annuelle estimée à 30 milliards de dollars US et provoqué une contraction de 60 % du produit intérieur brut du pays, ainsi qu’une perte de 99% des revenus de l’État. Depuis le dernier trimestre de 2021 cependant, les politiques économiques du gouvernement de Nicolas Maduro ont permis de renouer avec la croissance au point que la CEPAL (ONU) annonce qu’en 2022 le Venezuela atteindra le plus fort taux de croissance (5%) de tout le continent. La Bank of America, elle, annonce un taux de 15% et le Crédit Suisse un taux de 20%.

L’événement fait partie du programme de formation féministe « Manuela Sáenz ». Le nom de la Brigade internationale vise à honorer le 150ème anniversaire d’Alexandra Kollontai, commissaire du peuple pour le bien-être social (une sorte de ministre) en Union soviétique. Sa pensée et ses écrits politiques en ont fait une référence mondiale du féminisme socialiste.

Pour suivre le séjour et les activités de la Brigade féministe internationale « Alexandra Kollantai », vous pouvez suivre les comptes de l’Assemblée Internationale des Peuples sur Twitter, Instagram, YouTube, Facebook, ainsi que ceux ceux de l’Institut de Solidarité Simon Bolivar sur Twitter, Instagram, YouTube et Facebook, ou encore sous les hashtags #InternationalFeministBrigade et #AlexandraKollontai150.

Sources et photos : Michele de Mello, Brasil de Fato https://www.brasildefato.com.br/2022/06/17/venezuela-recebe-1-brigada-feminista-internacional-com-mulheres-de-20-paises, ISB https://www.isb.ve/2022/06/17/brigada-feminista-internacional/Ceyrali et Vanessa Guttierez, et AIP https://ipa-aip.org/es/notas/brigada-feminista-internacional-en-venezuela/

Traduction : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/06/18/le-venezuela-accueille-la-premiere-brigade-feministe-internationale-avec-des-compagnes-de-20-pays/

« Maintenant nous sommes nos propres patrons… et ça marche ! »: l’épopée d’INDORCA au Venezuela

Cruz González (2 ans à Indorca), soudeur | Eliezer Perdomo (37 ans), ajusteur mécanique | Gladys Rangel (2 ans), assistante administrative | Jesús Varela (17 ans), soudeur | José Cedeño (17 ans), coordinateur de la production et président du Conseil ouvrier | Josefa Hurtado (29 ans), Josefa Hurtado (29 ans), travailleurs de la maintenance de l'usine | Levi García (20 ans), soudeur | Orlando Pereira (21 ans), opérateur de machines | Victor Mujica (16 ans), opérateur de machines et vice-président du conseil ouvrier | Yaneth Carreño (6 ans), coordinateur administratif (photo: Voces Urgentes)

Indorca (Industrias del Orinoco) est une usine autogérée, sans patron, située à Puerto Ordaz, état de Bolívar – bassin des industries de base du Venezuela. Les travailleurs d’Indorca ont mené une lutte héroïque de trois ans pour prendre le contrôle de l’usine après que l’ancien propriétaire l’eut mise à l’arrêt. Depuis 2015, lorsque le ministère du Travail du gouvernement Maduro a prolongé le mandat donnant aux travailleurs le contrôle d’Indorca, l’entreprise est gérée démocratiquement par les femmes et les hommes qui produisent ici jour après jour.

Photo: Cruz González (2 ans à Indorca), soudeur | Eliezer Perdomo (37 ans), ajusteur mécanique | Gladys Rangel (2 ans), assistante administrative | Jesús Varela (17 ans), soudeur | José Cedeño (17 ans), coordinateur de la production et président du Conseil ouvrier | Josefa Hurtado (29 ans), Josefa Hurtado (29 ans), travailleurs de la maintenance de l’usine | Levi García (20 ans), soudeur | Orlando Pereira (21 ans), opérateur de machines | Victor Mujica (16 ans), opérateur de machines et vice-président du conseil ouvrier | Yaneth Carreño (6 ans), coordinateur administratif (photo: Voces Urgentes)

Histoire d’une lutte : comment les travailleurs occupèrent l’usine

Après un lock-out imposé par le propriétaire, les travailleurs d’Indorca ont organisé une occupation pour protéger l’usine. Ils ont dormi dans la « maloca » [auvent collectif, dressé en plein air] à l’extérieur de l’usine et ont débattu d’une manière plus démocratique de gérer les choses. Ils se sont également mobilisés pour que le gouvernement applique l’article 149 de la Loi Organique du Travail promulguée par Hugo Chávez, qui autorise les travailleurs à prendre le contrôle d’une entreprise lorsque le propriétaire sabote le processus de production.

Eliezer Perdomo : Indorca est un grand atelier métallurgique, construit pour appuyer les grandes industries de base de l’état du Guayana, de Sidor [usine d’acier appartenant à l’État] à Venalum et Alcasa [deux usines d’aluminium appartenant à l’État]. Elle a été fondée en 1976. L’ancien propriétaire était Oscar Jiménez Ayesa, un capitaliste industriel et bancaire.

José Cedeño : Vers 2010, alors que Chávez essayait de radicaliser le processus bolivarien, les premiers signes d’une guerre économique occidentale contre le peuple vénézuélien sont devenus évidents. Ici, dans l’état de Guayana, les patrons ont commencé à traîner les pieds dans de nombreuses usines privées. Ils ont refusé de payer les avantages sociaux des travailleurs, ont commencé à licencier et ont délibérément créé des goulots d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement. Un procédé utilisé aussi à Indorca. Nous avons donc décidé d’organiser un syndicat en 2011. Inutile de dire que les patrons n’ont pas souri face à notre initiative. Ils ont licencié plusieurs organisateurs au milieu d’un processus de négociation collective, dont moi. Les patrons ont également émis une ordonnance restrictive à notre encontre, et nous n’étions pas autorisés à entrer dans le périmètre d’Indorca. Mais cela ne nous a pas empêchés de poursuivre le combat, le dos au mur.

C’étaient des moments difficiles, mais aussi magnifiques : nous étions sans emploi, mais la solidarité ouvrière nous maintenait en vie, et nous avons commencé à réfléchir à notre potentiel : si nous produisions les marchandises et que les patrons sabotaient la production, pourrions-nous prendre en charge le processus ? En 2012, deux mois seulement après l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi du Travail, les patrons ont fermé l’usine. Ils n’ont pas été les seuls à le faire : d’autres usines privées ont également fermé boutique. Il s’agissait d’un effort de sabotage coordonné, motivé par des objectifs politiques. Les patrons ne voulaient plus de Chávez, même si beaucoup d’entre eux avaient bénéficié de crédits et de contrats gouvernementaux pendant des années.

Lorsque le propriétaire s’est déclaré en faillite et a fermé boutique à Indorca, il est devenu évident qu’il voulait également démanteler l’usine. Cela s’était produit dans d’autres usines, et nous n’allions pas laisser cela se produire ici. C’est pourquoi nous avons mis en place une veille de 24 heures pour défendre les installations. Nous dormions sur des morceaux de carton et des hamacs sous l’auvent collectif, tout en mangeant les fruits que nous pouvions cueillir et les iguanes que nous chassions. Mais nous avons également bénéficié de la solidarité des travailleurs des autres entreprises.

Pendant tout ce temps, nous avons commencé à réfléchir à un modèle de production différent qui serait plus proche de nous : si nous prenions des décisions dans une assemblée à la défense d’Indorca, pourquoi ne pourrions-nous pas diriger collectivement l’usine au travers d’assemblées ? La situation était très dure, mais nous apprenions beaucoup. Entre-temps, les patrons ont intenté un procès pour violation de propriété privée contre 20 travailleurs, si bien que nous avons dû nous présenter aux tribunaux toutes les deux semaines pendant trois ans. Le propriétaire a également envoyé la Garde nationale, la police et le SEBIN (service de renseignements de l’État] pour nous harceler.

Levi García : Comme José l’a dit, nous avons décidé d’organiser un syndicat en 2011 ; celui qui existait répondait aux intérêts des patrons. Le syndicat des travailleurs a obtenu la majorité des voix, et nous avons entamé un processus de négociation collective. Nous avons avancé dans nos négociations, mais lorsqu’il a été question d’incitations économiques, le processus s’est arrêté. Finalement, le Ministère du travail a dû intervenir pour faire pression, et nous sommes parvenus à un accord. Peu de temps après, cependant, l’entreprise a commencé à licencier des travailleurs. Les patrons ont également essayé d’amener certains d’entre nous à collaborer au processus, ce que nous n’avons évidemment pas fait. Finalement, ils ont mis l’usine à l’arrêt. C’est alors que nous avons décidé de nous organiser pour protéger Indorca : nous savions que si nous ne le faisions pas, les hommes du propriétaire démantèleraient l’usine.

Finalement, le 23 mars 2015, nous avons obtenu le contrôle d’Indorca : le ministère du Travail du gouvernement Maduro nous a reconnus comme étant les administrateurs légitimes de l’usine et a appliqué l’article 149 de la loi sur le travail.

Photo: Voces Urgentes

Eliezer Perdomo : Le 30 juillet 2012, les patrons ont licencié tous les travailleurs, les ont mis dans un bus et ont fermé l’usine. Ces travailleurs n’ont jamais été payés. Il était évident que nous devions protéger les moyens de production, alors nous avons installé une sorte de campement sous l’auvent collectif. Nous avons dû dormir dans le froid et chasser notre propre nourriture, mais nous n’allions pas laisser Oscar Jiménez faire ce qu’il voulait et démanteler Indorca. Nous étions sans le sou, fatigués, mais nous avons continué. Notre esprit de corps grandissait. C’est alors que nous avons commencé à prendre des décisions en assemblée permanente. Nous avons établi un plan : certains seraient chargés de protéger l’usine, d’autres iraient à Caracas pour se faire entendre, d’autres encore vendraient des billets de tombola pour financer la lutte.

Levi García : L’année 2013 a été très difficile. Nous n’avions pas de travail et pas de revenus, et je me souviens que le mois de décembre a été très dur car je n’avais pas d’argent pour acheter de nouveaux vêtements à mes enfants. Cependant, tout cela a aussi été une merveilleuse expérience d’apprentissage. La solidarité mutuelle et la fraternité ont émergé de la veillée que nous avons effectuée sous l’auvent. Plus tard, mais toujours pendant le blocage avec les patrons, nous avons commencé à faire des petits boulots. Cela signifiait que même si les choses étaient difficiles, nous pouvions ramener quelque chose à la maison.

Josefa Hurtado : Ces années étaient vraiment difficiles : nous n’avions pas de salaire, nous n’avions pas de travail, mais nous étions déterminés à aller de l’avant. Le propriétaire voulait que nous échouions, alors que nous voulions continuer à produire. Au final, nous avons réussi. C’est nous, les travailleurs, qui avons réactivé l’usine. Nous l’avons fait sans patrons et sans ingénieurs.

Victor Mujica : Pendant que nous faisions notre garde permanente pour protéger les actifs de l’usine, nous avons reçu beaucoup de solidarité des travailleurs d’autres usines, y compris Calderys, qui était déjà sous contrôle ouvrier. Nous avons également reçu le soutien des travailleurs de Sidor et des travailleurs d’autres entreprises. Nos camarades nous trouvaient parfois des petits boulots pour que nous ayons un revenu. La solidarité de classe était très importante.

Finalement, en 2015, le gouvernement a appliqué l’article 149, qui nous a accordé le contrôle de l’usine. Lorsque le ministère du Travail applique l’article 149, il ouvre la voie au contrôle des travailleurs. D’abord, un Conseil de trois personnes est établi avec deux représentants des travailleurs et un représentant du propriétaire. Comme le représentant du propriétaire ne s’est pas présenté, nous avons pu occuper le troisième siège avec un autre représentant des travailleurs. C’est ainsi que nous avons finalement pris le contrôle d’Indorca. La lutte pour y parvenir a été longue : presque trois ans à défendre les moyens de production, des mois à dormir dehors, à chasser l’iguane, à être harcelés par la police locale…

La lutte en valait la peine, mais les choses n’ont pas été faciles par la suite. Ces voyous de propriétaires avaient retiré les câbles à haute puissance et d’autres machines. Nous étions aussi devenus un exemple toxique – à cause de notre victoire de classe – donc il nous a fallu du temps pour obtenir de nouvelles commandes. Finalement, en 2016, nous avons signé des contrats avec Venalum et Sidor.

José Cedeño : La capacité de résistance d’Indorca est devenue un mythe à Ciudad Guayana [Puerto Ordaz]. Nous avons eu la vie très dure – nous avons été harcelés et persécutés – mais le plus important est que nous sommes restés ensemble en tant que travailleurs. Pourquoi ? Parce que nous savions qu’Indorca était important pour les industries de base et pour le pays.

Lorsque nous avons finalement été reconnus par le gouvernement en vertu de l’article 149, nous avons obtenu le contrôle de l’usine. Nous avons ensuite dû surmonter d’autres obstacles, d’ordre économique ou administratif. Nous savions comment produire, mais le domaine de la gestion était très neuf pour nous. Pour enregistrer toutes nos recettes et dépenses, nous les avons simplement notées dans un cahier. Dans une assemblée mensuelle des travailleurs, nous prenions toutes les décisions importantes, en appliquant les principes démocratiques que nous avions appris sous l’auvent.

Nous devions également aller dans le monde pour obtenir de nouveaux contrats. Ce n’était pas facile car nous étions dans une sorte de limbes en tant qu’entreprise qui n’était ni privée ni publique. Cependant, nous avons fini par obtenir nos premiers contrats. Ce fut une bataille de trois ans, mais qui en valait la peine !

Assemblée mensuelle à Indorca (Voces Urgentes)

Réactivation de l’usine et contrôle démocratique

À Indorca, le contrôle démocratique et la gestion collective d’une usine ne relèvent pas d’une utopie future. Au contraire, les travailleurs dirigent l’entreprise sans patron et prennent toutes les décisions importantes lors d’une assemblée mensuelle où chaque travailleur a une voix et un vote égaux.

José Cedeño : La décision du gouvernement d’appliquer l’article 149 a été prise lorsque Jesús Martínez, de l’Université bolivarienne des travailleurs Jesús Rivero [université gérée par les travailleurs], était ministre du Travail. Son soutien au processus a été fondamental. Lorsque le jugement a été rendu, nous avions déjà décidé de gérer l’entreprise de manière démocratique. Bien que l’article 149 établisse qu’une junte de trois travailleurs élus démocratiquement sera chargée de l’administration de l’entreprise, à Indorca, c’est l’assemblée qui a le dernier mot.

Pendant les trois années où nous avons occupé l’usine, nous avons appris l’égalité et la solidarité. En tant que soudeurs, mécaniciens et superviseurs, nous avons tous connu les mêmes difficultés et nous avons pris les décisions importantes ensemble. Les choses allaient être différentes dans la nouvelle Indorca ! L’égalité ne se limiterait pas à la prise de décisions, elle concernerait aussi les salaires… Nous serions tous payés de la même façon, et c’est ce qui s’est passé jusqu’à présent. Alors que les entreprises privées et même les entreprises publiques ne montrent pas leurs comptes aux travailleurs, ici, nous examinons nos comptes collectivement une fois par mois. Chaque bolívar (monnaie vénézuélienne) qui a été débité ou crédité est reflété sur le tableau blanc [dans la salle de réunion d’Indorca].

Lors de notre assemblée mensuelle, nous parlons également du flux de travail, nous abordons tout problème auquel nous pouvons être confrontés à un moment donné, nous débattons de l’acceptation ou du refus d’un contrat et nous décidons de nos salaires en fonction des dépenses et des recettes prévues.

Victor Mujica : Quand Indorca était une entreprise privée, on attendait de nous que nous soyons à nos postes huit heures par jour et que nous travaillions avec des œillères. Lorsque l’article 149 a finalement été appliqué, nous avons eu beaucoup à apprendre. Parmi ceux qui sont restés à Indorca, le travailleur le plus qualifié avait un diplôme d’études secondaires, mais cela ne nous a pas empêchés de diriger l’entreprise ! Nous avons dû apprendre la comptabilité (que nous faisions dans un cahier !), et nous avons dû apprendre à faire l’analyse des coûts : combien d’heures de travail étaient nécessaires pour fabriquer un produit et quels intrants étaient nécessaires, etc.

Jesús Varela : Le nouvel Indorca est entre nos mains. Qu’est-ce que cela signifie vraiment ? Nous ne nous contentons pas de produire, nous contrôlons également le processus de production. Avant, en tant que travailleurs, nous étions des actifs jetables. Maintenant, nous ne faisons pas que produire de la valeur, nous comprenons aussi le cycle de production. Nous sommes nos propres patrons… et ça marche ! Bien sûr, cela ne signifie pas que tout a été facile une fois que l’article 149 est entré en jeu. Apprendre les tenants et les aboutissants du processus de gestion ne se fait pas du jour au lendemain.

Eliezer Perdomo : Ici, nous prenons toutes les décisions collectivement : tout, du salaire mensuel à la somme destinée à l’entretien du bus d’Indorca, en passant par le montant des liquidités à conserver à la banque. Pour moi, le plus important dans l’autogestion est que nous ne sommes pas dirigés et que nous pouvons résoudre nos propres problèmes. Il n’y a pas d’exploitation ou d’oppression sur le lieu de travail. Je me sens libre ici. Cela ne s’est jamais produit auparavant, lorsque Indorca était aux mains du secteur privé. Tout cela rend mon travail beaucoup plus agréable !

Yaneth Carreño : Une entreprise démocratique et autogérée n’est pas une chose courante dans le capitalisme, car elle met le travailleur à la barre. Je suis arrivé à Indorca il y a six ans avec un contrat temporaire. Je venais de prendre ma retraite après une longue carrière dans l’administration publique et j’allais aider à mettre de l’ordre ici. Lorsque je suis arrivé, je me suis assis devant les livres où l’on tenait le compte des dépenses et des ressources disponibles. J’ai pu constater que les travailleurs étaient très méticuleux, mais qu’ils avaient besoin d’outils comptables pour mettre de l’ordre dans leurs affaires.

Petit à petit, je me suis attachée à Indorca. La solidarité, la volonté d’apprendre sans relâche et les processus démocratiques étaient nouveaux pour moi. Mais j’ai appris quelque chose d’encore plus important : ce sont les travailleurs qui produisent de la valeur, ce sont eux qui produisent les biens dont le Venezuela a besoin ! Dans notre société, l’ouvrier d’usine est invisible. Le patron, le directeur ou l’ingénieur peut passer huit heures dans un bureau, et il peut même être fatigué à la fin de la journée. Mais qu’est-ce que cela représente par rapport à l’opérateur de machine qui est exposé à une forte chaleur et à un épuisement intellectuel et physique ? Qui d’autre que le travailleur pense à des alternatives viables maintenant que le blocus rend impossible l’obtention de certains intrants et pièces ? Qui d’autre que l’ouvrier reste dans l’usine pendant de longues heures lorsqu’une commande est attendue ?

Il y a cette idée que les ouvriers d’usine font un travail mécanique qui ne demande pas d’effort intellectuel. C’est faux ! Les travailleurs industriels doivent résoudre toutes sortes de problèmes, qu’ils soient mécaniques, chimiques ou opérationnels. En plus de cela, les travailleurs d’Indorca connaissent la comptabilité et la gestion collective.

J’ai travaillé pendant 25 ans dans l’administration publique et j’ai plus appris des travailleurs d’ici que de toute ma carrière antérieure. Mon travail ici est humble : Je travaille dans l’administration de l’entreprise et j’aide à la comptabilité. Cela se résume à préparer soigneusement notre assemblée mensuelle où nous passons en revue la situation économique d’Indorca avec beaucoup de précision.

Cruz Gonzales : Le démarrage de la nouvelle Indorca a été une belle expérience. Même si les choses ne sont pas faciles à cause de la crise générale du pays, travailler sans patron est beaucoup plus agréable. Maintenant, nous avons tous le sentiment d’être une pièce importante du casse-tête. Nous travaillons dur, nous nous entraidons et nous prenons des décisions collectivement. J’ai beaucoup appris ici, et je veux continuer à apprendre. J’ai appris le soudage, mais je comprends aussi mieux la comptabilité. Mais surtout, j’ai appris comment gérer une entreprise collectivement et sans patron.

Jesús Varela : Il est très courant de dire que les travailleurs ne peuvent pas diriger une usine. L’expérience d’Indorca démontre le contraire : non seulement nous sommes là depuis sept ans, mais alors que la plupart des entreprises publiques et privées ont fermé leurs portes à cause de la crise et de la pandémie, nous avons gardé nos portes ouvertes !

Orlando Pereira : En tant que travailleur, comprendre ce qui se passe réellement dans l’entreprise est valorisant. Nous savons ce qu’il y a sur notre compte bancaire à tout moment. Nous connaissons le travail que nous avons à faire, et personne ne nous donne d’ordres. Cela ne veut pas dire que c’est un monde sans conflits. Nous avons des désaccords, parfois de gros désaccords. Cependant, le fait de disposer d’un espace pour débattre et résoudre les problèmes ensemble nous aide à faciliter le processus. Dans de nombreux cas, les débats peuvent conduire à trouver de meilleures solutions aux problèmes auxquels nous sommes confrontés.

Gladys Rangel : L’égalité est une chose réelle ici à Indorca… Nous vivons réellement selon sa règle ! Lorsque j’ai été engagée il y a environ deux ans, j’ai été interviewée par José et Yaneth. La première chose qu’ils m’ont dite, c’est qu’Indorca n’est pas n’importe quelle entreprise, qu’il s’agit d’une usine gérée démocratiquement, autogérée, où tous les travailleurs prennent des décisions ensemble lors de l’assemblée mensuelle et où nous recevons tous le même salaire. Ils m’ont également dit que je ne deviendrais pas riche, ce qui est vrai [rires]. Depuis lors, Indorca est devenue ma deuxième maison : J’y ai élevé mon bébé et j’ai appris des travailleurs. Ici, j’ai découvert comment la classe ouvrière peut gérer une usine – même si le Venezuela est confronté à l’une des crises les plus dures de son histoire !

Photo : Voces Urgentes

Réactiver l’usine

José Cedeño : Lorsqu’il est devenu évident que nous, les travailleurs, allions pouvoir prendre le contrôle de l’usine, le propriétaire a envoyé ses voyous et ils ont volé 80% des câbles de haute puissance qui alimentaient les machines. Ils ont également emporté des outils, des climatiseurs, des uniformes, des outils de mesure et du matériel de soudure. En plus de cela, ils ont cassé les fenêtres et détruit tout ce qu’ils pouvaient. C’était très douloureux pour nous !

La même chose s’est produite à Calderys et Equipetrol, deux usines qui avaient subi le même processus. Nous nous sommes réunis avec eux pour évaluer la situation et nous avons dit : Nous n’avons pas d’argent, mais ensemble nous avons beaucoup de connaissances acquises. Relançons les trois usines ensemble ! Ce dont Indorca avait besoin et qu’Equipetrol avait, ils l’ont partagé avec nous. Ce dont Calderys avait besoin et que nous avions, nous l’avons partagé avec eux. Nous avons aussi reçu l’aide des ouvriers d’Alcasa, Venalum et Sidor.

Notre principal goulot d’étranglement était la réactivation de la machinerie lourde. Pour ce faire, Calderys a pu nous aider à obtenir 500 mètres de câble. Voilà comment, en une semaine, nous avons pu réactiver Indorca : beaucoup de travail, beaucoup de solidarité… et bien sûr, de nombreuses années d’expérience mises à profit !

Photo : Indorca produit et répare des pièces pour les industries de base du Venezuela et peut desservir des industries dans tout le pays. (Voces Urgentes)

Entretien réalisé pour Venezuelanalysis par Cira Pascual Marquina et Chris Gilbert

Photos: Voces Urgentes

Source : https://venezuelanalysis.com/interviews/15542

Traduit de l’anglais par Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/06/05/maintenant-nous-sommes-nos-propres-patrons-et-ca-marche-lepopee-dindorca-au-venezuela/

Les Sans Terre du Brésil à l’école du Venezuela: « ici, le peuple est vraiment le sujet de la révolution. »

Photo: Messilene Gorete, coordinatrice de l’équipe des Sans Terre du Brésil au Venezuela. « Parfois, à gauche, nous avons des schémas très fermés sur le niveau de préparation et de planification nécessaire pour avancer, et cela peut devenir un obstacle. Au Venezuela, les gens savent que tout cela est nécessaire, mais la créativité – dans un pays où les gens sont très spontanés – est une grande vertu de la révolution bolivarienne. Et la commune vénézuélienne est un modèle dont notre continent a besoin.« 

Le Mouvement brésilien des Travailleurs Sans Terre est une puissante organisation paysanne qui lutte pour une réforme agraire radicale et populaire. L’organisation a une longue tradition internationaliste et envoie des brigades de solidarité dans le monde entier pour accompagner les mouvements paysans. Au Venezuela, l’équipe des Sans Terre a été invitée par Hugo Chávez et travaille depuis près de 18 ans. Elle y joue un rôle important dans l’aide aux mouvements communaux et paysans de ce pays des Caraïbes. Entretien avec Messilene Gorete, qui coordonne cette équipe.

L’internationalisme a toujours été important pour le Mouvement des Sans Terre. Ici, au Venezuela, la Brigade Apolônio de Carvalho accompagne les mouvements paysans depuis près de deux décennies. Comment le Mouvement des Sans Terre conçoit-il l’internationalisme ?

L’internationalisme est dans l’ADN de notre organisation. Depuis la naissance de l’organisation, nous appuyons les luttes qui ont lieu au-delà des frontières du Brésil comme si elles étaient les nôtres. Sur le drapeau des Sans Terre, on voit un homme et une femme sur fond de carte du Brésil, mais aussi une machette paysanne qui s’étend au-delà de la frontière. Nous avons intégré l’internationalisme à notre stratégie politique de manière plus formelle, car nous comprenons que la lutte pour la réforme agraire ne peut être menée de manière isolée. Il est nécessaire de construire des liens de solidarité, d’apprendre avec les autres et de lutter ensemble.

Notre internationalisme découle d’une longue tradition en Amérique latine et dans le monde. La révolution cubaine est un exemple clé pour les Sans Terre; l’internationalisme extraordinaire du peuple cubain nous a beaucoup enseigné. Nous avons également appris des luttes de libération en Amérique Centrale, en particulier des brigades internationalistes qui ont accompagné les révolutions sandiniste et salvadorienne. Bien sûr, l’internationalisme bolivarien du processus vénézuélien a également laissé sa marque sur notre organisation. Nous comprenons l’internationalisme à la fois comme un principe et comme une pratique. En tant qu’organisation révolutionnaire, nous ne pouvons survivre que si nous construisons et apprenons avec les autres de manière solidaire.

La brigade Apolônio de Carvalho, l’équipe des Sans Terre basée au Venezuela, tire son nom d’un grand révolutionnaire brésilien : Apolônio est parti en Espagne pour lutter contre Franco avec les Brigades Internationales. Lorsque nous sommes arrivés au Venezuela, nous avons pris ce nom pour lui rendre hommage.

Photos : Le drapeau des Sans Terre du Brésil

L’un des défis auxquels le Venezuela est confronté aujourd’hui est de surmonter la logique rentière qui a transformé l’économie vénézuélienne en une économie dépendante et « portuaire ». Le Mouvement des Sans Terre, fort de sa vaste expérience, accompagne les organisations paysannes et communales dans tout le Venezuela, en promouvant une agriculture durable qui peut rompre avec la dépendance et construire la souveraineté alimentaire.

Comment travaillez-vous avec ces organisations locales ?

La Brigade Apolônio de Carvalho est présente au Venezuela depuis 2005. Hugo Chávez avait demandé que le Mouvement des Sans Terre apporte son expérience au Venezuela et accompagne les organisations paysannes dans la production alimentaire, avec pour objectif la transition vers la souveraineté alimentaire. Nous avons accompagné diverses organisations paysannes dans le pays. Nous avons fait de la production de semences une priorité afin que l’agriculture locale puisse assurer la souveraineté alimentaire du pays. Mais la production de semences ne peut être un objectif isolé. L’objectif est de changer l’ensemble du modèle de production. L’ensemble du modèle doit être radicalement modifié. Pour cela, il faut appliquer un schéma agroécologique intégral.

Dans notre travail, nous nous concentrons également sur les chaînes productives, terme utilisé par Chávez pour désigner le cycle intégral de production, de commercialisation et de consommation des aliments. C’est une chose à laquelle nous devons penser lorsque nous tentons de construire la souveraineté alimentaire. Sortir de l’économie rentière basée sur le pétrole passe par développer une nouvelle conscience. Cependant, cette conscience ne viendra que lorsque de nouvelles pratiques de production et d’organisation commenceront réellement à émerger.

Photos: En 2005, Hugo Chávez a visité le campement du MST de Lagoa do Junco, à Río Grande do Sul, au Brésil. Un accord de coopération a été signé lors de cette visite. (MST)

Avec quels types d’organisations et d’institutions le Mouvement des Sans Terre travaille-t-il au Venezuela ?

À nos débuts, nous avons travaillé avec le mouvement paysan Frente Campesino Ezequiel Zamora. Nous avons également travaillé avec des institutions gouvernementales et des organisations communales. Nous avons assumé les communes comme une priorité. Nous soutenons les organisations communales au Venezuela, mais nous apprenons aussi d’elles. Le modèle communal est quelque chose dont tout le continent a besoin ; c’est une façon de faire qui transforme vraiment le système existant, et la révolution bolivarienne en a fait une pratique. C’est très important pour les Sans Terre du Brésil.

Ce que nous avons fait avec les communes, c’est les aider comme nous le pouvons. Mais il est encore plus important d’apprendre des pratiques quotidiennes des gens lorsqu’ils se réunissent, construisent une commune sur leur territoire et développent une stratégie de production ayant pour objectif le bien commun. Dans une commune, tout cela se passe en construisant une nouvelle hégémonie. Au fur et à mesure que les conseils communaux, les entreprises de propriété sociale et le parlement communal se développent, le projet prend forme comme quelque chose de viable dans l’esprit des gens. Je pense que le plus grand enseignement de la révolution bolivarienne pour ceux qui luttent, y compris les Sans Terre, est la commune.

Le Mouvement des Sans Terre s’est engagé dans l’agriculture écologique. Comment faites-vous pour promouvoir cela ici au Venezuela ?

Il n’est possible de construire un projet souverain que si nous changeons réellement le modèle productif dans les zones rurales. Pour ce faire, une formation et une préparation techniques sont nécessaires, mais l’éducation politique est également indispensable. Pour qu’un tel changement se produise, les gens doivent comprendre que si nous luttons pour un modèle social différent, si notre horizon est le socialisme et si nous travaillons avec l’idée d’une nation souveraine, il est urgent de repenser nos modes de production. Pour résoudre ce casse-tête, l’agroécologie est un élément important. Par ailleurs, l’agriculture technologique doit devenir une politique d’État. En d’autres termes, l’agroécologie n’est pas seulement une méthode pittoresque à appliquer dans la production de conucos [parcelles traditionnelles de production familiale] ; le modèle doit être viable et permettre de nourrir l’ensemble de la société de manière durable. En ce qui concerne l’agriculture durable, notre tâche consiste à la promouvoir, à offrir un soutien technique et une éducation politique. Les Sans Terre ont également fait don de semences à l’Union Communarde pour aider à la transition vers l’agriculture durable.

Lorsque nous organisons des ateliers avec les paysans, nous enseignons les techniques de l’agriculture durable : de la production d’intrants agricoles biologiques aux méthodes non toxiques d’éradication des parasites. Il est intéressant de noter que la crise et le blocus ont fait tomber certains des obstacles au passage à l’agriculture durable. Désormais, de nombreux paysan(ne)s comprennent qu’il est possible et nécessaire de produire sans produits chimiques. Néanmoins, le passage à des pratiques écologiques dans la production à grande échelle reste un défi immense. Le but n’est pas de forcer les gens à changer leur modèle agricole, mais d’aider à créer les conditions pour qu’ils comprennent que ce changement est viable et nécessaire. Après tout, si cela ne se produit pas, les producteurs continueront à être dépendants des sociétés transnationales et le pays continuera à importer d’énormes quantités d’intrants agricoles. Il va sans dire que les pratiques agricoles traditionnelles ont des effets néfastes sur la vie des paysan(ne)s, mais aussi sur l’environnement.

Un modèle social différent exige un changement dans la façon dont la production se déroule dans les zones rurales. C’est pourquoi nous offrons des ateliers technico-politiques aux communes et aux autres organisations paysannes.

Les Sans Terre font désormais partie du paysage des mouvements populaires au Venezuela, dans une révolution qui se considère comme bolivarienne et, pour cette raison, latino-américaine. Qu’ont appris les Sans Terre de ce processus ?

Cela fait presque 18 ans que la première équipe de Sans Terre a atterri au Venezuela. Notre méthode de formation des brigades est la suivante : les compagnes et compagnons internationalistes Sans Terre restent ici pendant environ deux ans, puis nous retournons au Brésil, pour partager notre apprentissage avec d’autres membres de l’organisation. Dans l’ensemble, nous pensons que nous avons appris beaucoup plus que ce que nous avons enseigné ici.

Les membres de l’organisation qui viennent au Venezuela apprennent du processus bolivarien. Partager l’expérience des Sans Terre dans un pays en plein processus révolutionnaire constitue pour nous une école. Nous apprenons beaucoup des succès de la révolution bolivarienne, mais nous apprenons aussi des contradictions de la vie quotidienne des gens. Nous apprenons ce que nous devons et ne devons pas faire dans une société en transition vers le socialisme.

Parmi les choses les plus concrètes que nous avons apprises, il y a la façon dont le peuple vénézuélien a été l’acteur central de son processus révolutionnaire – en particulier les organisations politiques de base – et comment un processus en mouvement constant élève le niveau de conscience du peuple par la participation directe. Il ne s’agit pas d’une simple spontanéité, mais d’une participation intense, liée à une organisation territoriale et nationale. C’est une grande leçon pour nous : les gens doivent être impliqués dans les processus d’organisation dans toutes les sphères de la vie. Et oui, la commune est un espace où nous avons beaucoup appris. Dans les espaces communaux, les gens comprennent la nécessité de s’organiser pour construire une société vraiment différente.

Nous avons également appris de la créativité quotidienne des gens dans le processus bolivarien. Parfois, à gauche, nous avons des schémas très fermés sur le niveau de préparation et de planification nécessaire pour avancer, et cela peut devenir un obstacle. Au Venezuela, les gens savent que tout cela est nécessaire, mais la créativité – dans un pays où les gens sont très spontanés – est une grande vertu de la révolution bolivarienne.

Nous avons également beaucoup appris des processus électoraux. Le Mouvement des Sans Terre accompagne ces processus parce que le conflit électoral est aussi une bataille pour la défense du projet révolutionnaire. Ici, les élections ne sont pas liées à des intérêts individuels ou de groupe, mais à des intérêts collectifs. C’est très différent du Brésil, où les élections sont une sorte de marché et où la finance tend à gagner et à conserver le pouvoir. Ce qui est en jeu dans un processus électoral au Venezuela, c’est un projet politique. Ici, les élections ne sont pas un marché.

Le Venezuela nous a appris qu’une campagne n’est pas seulement un outil pour être élu, c’est aussi un moment pour se rapprocher des organisations de base et stimuler la participation du peuple. Le Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV, principal parti chaviste) est le parti le plus avancé du continent lorsqu’il s’agit de défendre une révolution dans un tourbillon électoral. Bien sûr, les élections se déroulent ici dans les paramètres de la démocratie bourgeoise, mais les campagnes aident à construire un autre type de démocratie.

Nous avons aussi appris de l’anti-impérialisme et des pratiques patriotiques de la révolution bolivarienne, qui sont très tangibles dans la vie quotidienne du peuple vénézuélien. Le Brésil n’a pas connu de lutte historique pour son indépendance, et c’est peut-être pour cela que nous avons une société très fragmentée, une société qui n’a pas la défense de la patrie comme valeur fondamentale.

D’un point de vue politique, notre société est beaucoup plus dominée. Au Venezuela, nous avons appris comment construire un sentiment patriotique – non pas au sens du nationalisme bourgeois, mais avec l’objectif d’avoir un pays véritablement indépendant à tous les niveaux : économique, politique et social.

Photo: L’école technique agricole Ernesto Guevara d’El Maizal est gérée en collaboration avec les Sans Terre. (Commune d’El Maizal)

Le Brésil a des élections présidentielles le 2 octobre 2022. La course opposera l’extrême droitier Jair Bolsonaro au progressiste Lula da Silva. Quelle est l’importance de cet événement pour le Brésil et pour le continent ?

Le Brésil traverse une grave crise sociale et économique : les conditions de vie de la population sont catastrophiques. Des dizaines de milliers de personnes vivent dans la rue, dans des conditions de misère absolue, tandis que 60 millions de personnes sont directement touchées par la crise capitaliste : le chômage et l’inflation des prix alimentaires sont endémiques et les idées fascistes continuent de progresser. Bien entendu, le gouvernement d’extrême droite de Bolsonaro n’a aucun intérêt à résoudre les nombreux problèmes sociaux de notre pays. Au contraire, ses politiques favorisent le marché et la bourgeoisie, tandis qu’il encourage les idées fascistes et promeut un discours de violence.

C’est pourquoi nous pensons que les prochaines élections présidentielles revêtent une importance stratégique pour le Brésil et pour l’Amérique latine dans son ensemble. Si Lula gagne, la carte du conflit continental changera : cela permettra à la gauche et aux projets progressistes de continuer à avancer. La confrontation avec l’impérialisme et son projet économique broyeur se fera également dans des conditions plus favorables.

Le peuple brésilien doit choisir Lula comme président. Ce ne sera pas facile, mais il y a de bonnes chances que nous réussissions. En tout cas, pour atteindre notre objectif, nous devons travailler dur ; nous luttons contre un ennemi très puissant. Il dispose d’un solide soutien de 30% d’électeurs et de nombreux pouvoirs de facto, et de tentacules de grande envergure.

Le Mouvement des Sans Terre participe à la bataille électorale en organisant des comités de base. Les débats au sein de ces comités vont de l’avenir du pays aux politiques qu’un gouvernement populaire du PT [Parti des Travailleurs] devrait promouvoir. Les élections du 2 octobre sont très importantes, mais une victoire ne serait qu’un début. Les gens devront être prêts à défendre cette victoire. La situation du pays ne sera pas résolue avec des politiques d’assistanat, mais avec des politiques qui restructurent les choses en faveur du peuple. La crise du Brésil fait partie de la crise du capitalisme. Pour aller de l’avant avec les grandes réformes dont nous avons besoin, la mobilisation sera essentielle.

Enfin, le Brésil a un rôle important à jouer en matière d’unité latino-américaine. Il est urgent de réactiver les projets qui rassemblent le continent. Chávez a promu l’intégration économique et politique avec des mécanismes tels que la CELAC [Communauté des États Latino-américains et des Caraïbes] et l’UNASUR [Union des Nations Sud-américaines]. Alors que l’impérialisme états-unien perd son hégémonie, les gouvernements progressistes du continent doivent unir leurs forces. C’est pourquoi une victoire de Lula et du Parti des Travailleurs (PT) en octobre est importante non seulement pour le Brésil mais aussi pour l’ensemble de l’Amérique latine.

Propos recueillis par Cira Pascual Marquina

Source : https://venezuelanalysis.com/interviews/15536

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/05/27/les-sans-terre-du-bresil-a-lecole-du-venezuela-ici-le-peuple-est-vraiment-le-sujet-de-la-revolution/

Souverainetés politique et alimentaire : le pari communard du Venezuela.

Ignorée par la gauche occidentale, la stratégie fondamentale de la révolution bolivarienne repose depuis 22 ans sur le retour dans le champ politique de la majorité sociale exclue par une élite coloniale. Cet objectif d’approfondir la démocratie vise à sortir d’un jeu politique faussé par l’interférence de pouvoirs non-élus (insurrections des secteurs putschistes d’extrême droite, lobbies et monopoles de l’économie privée, concentration capitaliste des médias, blocus, sanctions, sabotages, incursions paramilitaires et menaces de guerre des États-Unis et de leurs satellites européens et latino-américains, etc..). Cette volonté démocratique est palpable dans les témoignages des auto-gouvernements populaires qui se créent un peu partout sur le territoire.

Photo: Alcadio Lemus est un des parlementaires de la commune de Monte Sinaí. José Luis Pinto est enseignant et cultive des haricots et des avocats sur sa petite parcelle familiale. Il est parlementaire de Monte Sinaí. Ariaska Llovera est parlementaire de la commune. Maritza Solano est productrice de café, porte-parole du conseil communal de Peñas Blancas et parlementaire de la commune de Monte Sinaí. Luis González est communard, travaille au parc Guacamayal et s’occupe de la pépinière communale. Domingo Llovera dirige avec sa famille la chocolaterie Los Lloveras et fait partie de la commune. Llubidit Llovera est parlementaire communale et s’occupe des projets éducatifs. Luis Solórzano est producteur de fromage, porte-parole du conseil communal de Las Pichiguas et parlementaire communale. (Voces Urgentes).

Histoire et production

Les communard(e)s de la Comuna Monte Sinaí ont formé une jeune organisation qui s’efforce de développer la production communale et les relations sociales non marchandes. Le territoire de cette commune s’étend sur les États d’Anzoátegui et de Miranda, mais son épicentre se trouve dans la petite ville de Santa Bárbara, dans la vallée de Guanape. On y cultive le café, le cacao, les haricots noirs, divers tubercules et l’avocat. Comme les caféiers sont vieux et peu productifs, la commune a construit une pépinière pour faire pousser les nouveaux plants de café.

Maritza Solano : Ces terres d’altitude embrassent la commune de Rio Guanape, mais celle-ci était trop grande et s’est divisée en cinq communes plus petites. La nôtre est une commune jeune qui doit faire face à de nombreux défis. Par exemple, certaines personnes doivent marcher pendant des heures pour se rendre à la réunion hebdomadaire de Santa Bárbara, car les routes sont en mauvais état et il est difficile de se procurer de l’essence. Cependant, nos terres possèdent un énorme potentiel productif.

Alcadio Lemus : Le processus de formation de notre commune a commencé il y a environ un an. Depuis, nous avons travaillé très dur. Comme on dit, notre diamant est encore brut, mais la beauté du projet émerge. Notre parlement se réunit tous les mercredis, quoi qu’il arrive. C’est là que nous apportons nos idées, que nous débattons et que nous planifions.

Ariasca Llovera : Notre « commune mère » [la commune de Rio Guanape] était très grande, et ceux d’entre nous qui vivaient à Santa Bárbara devaient marcher des heures pour se rendre aux réunions. Ce n’était pas facile pour tout le monde. Aujourd’hui, certaines personnes peuvent faire un court trajet à pied, d’autres doivent encore marcher longtemps pour assister à une réunion.

Alcadio Lemus : Chávez a promu le pouvoir populaire. Son héritage est très important pour nous, nous travaillons dur pour organiser la commune à partir de la base. Nous sommes confrontés à de nombreux défis, mais nous avons le potentiel suffisant pour construire une commune solide. Ici, les gens travaillent dur mais la nature est généreuse. La principale culture de la région est le café. Historiquement, celui que nous cultivions était la variété régionale, mais nous sommes en train de passer au C27 [une nouvelle variété de café plus productive] avec l’aide de la CVC [la Corporation d’État Vénézuélienne du Café]. Ils nous aident à faire pousser des plants pour rénover nos petites parcelles, ce qui est très important car nos caféiers sont très vieux. Le cacao est également important ici, nous cultivons aussi l’ocumo (tubercule), l’igname, le manioc, les haricots noirs, les bananes plantains et les avocats. Il y a de petits producteurs de fromage dans la commune. Enfin, nous avons deux petites Unités de Production Familiale [UPF] : une usine de traitement du manioc et une usine de chocolat.

Lenin González : Notre commune a également un grand potentiel pour l’écotourisme. Notre principal atout est le parc Guacamayal, un parc municipal de loisirs abandonné pendant un certain temps mais qui est en train d’être récupéré grâce à une initiative conjointe du gouvernement local et de la commune.

Yuvidí Llovera : Nous pensons que notre commune va réussir, mais nous avons besoin de formation politique et technique pour progresser. Nous avons besoin d’ateliers pour mieux prendre soin de la nouvelle variété de café que la Corporation Vénézuélienne du Café introduit dans la région, et nous devons en apprendre davantage sur les processus administratifs qu’implique la construction d’une commune.

Photo : Café et cacao (Voces urgentes)

Sanctions des États-Unis : impacts sociaux et solutions locales

Luis Solórzano : En 2015, Barack Obama a publié un décret qui déclarait que le Venezuela constituait une « menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité des États-Unis. » (sic). Avec les sanctions, la vie s’est détériorée très rapidement. Nous nous demandions : Qu’allons-nous faire ? Qu’allons-nous manger ? Comment allons-nous obtenir les médicaments pour notre mère ou notre tante ? Puis est venu le blocus pétrolier, qui est une politique véritablement criminelle. Pendant ces années, le CLAP [aide alimentaire mensuelle du gouvernement aux familles populaires] est devenu très important pour tout le monde, mais cet apport de nourriture n’était pas suffisant. Je connais des familles qui faisaient des repas avec de l’eau de riz et rien d’autre. Ces années ont été très dures !

José Luis Pinto : La situation est devenue très pénible vers 2018. Obtenir de l’essence était presque impossible, et nous ne pouvions plus transporter nos récoltes au marché. La santé dans la commune a commencé à se détériorer à peu près au même moment, certaines personnes sont mortes et d’autres ont quitté le pays. Ce furent des années vraiment difficiles, mais maintenant les choses vont un peu mieux.

Domingo Llovera : Pendant les années les plus difficiles du blocus, nous n’avions plus d’intrants agricoles comme l’urea, les engrais ou les pesticides.

Luis Solórzano : La production est tombée à zéro pendant un certain temps. Je vous le dis en connaissance de cause parce que je suis un enseignant, mais aussi agriculteur. Je cultive des haricots noirs, de l’igname, de l’ocumo et des avocats. Pendant ces années, je suis passé à une agriculture de subsistance. En plus, nous souffrons des impacts du changement climatique. Nous avons connu des périodes de pluies intenses suivies de longues sécheresses. Et la déforestation et l’agriculture sur brûlis assèchent de nombreuses sources d’eau. Les pauvres sont toujours les grands perdants… Mais nous avons gardé la force de nous organiser.

Maritza Solano : Depuis un certain temps, il est devenu très difficile de se procurer des pesticides et autres intrants agricoles. D’abord, il n’y en avait pas, puis les prix ont grimpé en flèche. Cela signifie que la production ici, dans les terres hautes de la Valle Guanape, est devenue essentiellement biologique. Nous avons également appris à faire du compost à partir de déchets organiques. Tout cela a des avantages – puisque nous ne sommes pas exposés aux produits agro-toxiques mais il ne faut pas romantiser. La production a chuté ces dernières années. L’agriculture biologique nécessite des connaissances, des formations et des ressources. L’État, à travers la Corporation Vénézuélienne du Café, nous a proposé des ateliers. Ils nous ont aidés à passer du café local à la variété C27, qui est meilleure, mais nous devons acquérir davantage de connaissances pour tirer le meilleur parti de nos nouveaux caféiers.

Luis Solórzano : Nous avons appris plusieurs choses pendant le blocus. Par exemple, en tant que pays, nous ne pouvons pas dépendre exclusivement de la rente pétrolière. Pour garder la tête hors de l’eau, notre seule option dans les zones rurales est de travailler collectivement. Aujourd’hui, nous faisons plus attention aux ressources : nous apprécions le soutien de la Corporation Vénézuélienne du Café, nous prenons soin de nos quelques outils et nous bénissons la commune – car s’y trouve la solution. Cependant, construire une commune dans un pays en état de siège n’est pas facile. Notre principal défi est qu’il s’agit d’une commune rurale sur un territoire très étendu. Une grande partie de la population est concentrée à Santa Bárbara, mais il y a des gens qui doivent marcher deux ou même trois heures pour se rendre à une réunion.

Photo : pépinière communale de café en haut ; pépinière de Maritza Solano en bas. (Voces Urgentes)

Pépinières de café

Lenin González : L’année dernière, nous avons obtenu le soutien de la Corporation Vénézuélienne du Café pour renouveler nos plants à Valle Guanape. Notre objectif est maintenant d’augmenter notre production, qui est très faible actuellement. Ici, dans le parc Guacamayal, nous avons une pépinière et nous avons récemment planté 32 kilos de graines de café C27. Elles sont en train de germer en ce moment.

Yosmel Díaz : Nous avons cinquante mille plantules dans la pépinière, mais notre objectif est de produire un million de plantes en 2022 pour remplir les collines de la commune. Cependant, nous ne voulons pas seulement faire pousser des plants de café ici ; nous voulons aussi faire pousser des plants de cacao.

Unités de production familiales

Lenin González : Nous avons deux UPF ici dans la commune : une usine de chocolat et une usine de gaufres de casabe. Toutes deux ont un grand potentiel. Les UPF font partie du système économique communal de Chávez. Elles intègrent le travail des familles qui possèdent leurs propres parcelles ou des moyens de production dans le projet communal.

William Flores : Nous plantons le manioc amer dans notre conuco [lopin traditionnel de culture intensive] et, dix mois plus tard, nous récoltons. Chaque jour, très tôt, nous transportons la récolte à l’usine de manioc amer, à dos d’âne. D’abord, nous pelons le manioc, puis nous le lavons et en extrayons le poison, nous le traitons [c’est le seul procédé mécanique] et nous le mettons à sécher au soleil. Pendant ce temps, ma femme ramasse du bois pour allumer le feu et préparer les galettes de manioc sur le budare [feuille de métal placée sur un feu ouvert]. Toute ma famille travaille à l’UPF : mon père, mon oncle et ma femme. Des enfants nous aident aussi à charger le manioc, à l’éplucher et à apporter de l’eau à l’usine. Nous nous levons tous à 3 heures du matin et nous travaillons jusqu’au coucher du soleil. C’est un travail difficile.

Domingo Llovera : Nous cultivons un bon cacao ici, il est évident que nous devrions produire du chocolat. En l’état actuel des choses, nous produisons des barres de chocolat et du cacao en poudre à petite échelle, mais nous espérons augmenter notre production. Il est important de dépasser la logique d’exporter nos matières premières et de générer des revenus pour la communauté avec des usines de transformation. Même une petite usine de chocolat fait la différence. Imaginez ce que ce serait si nous avions plusieurs usines ! C’est l’un de nos objectifs.

Troc communal

José Luis Pinto : Dans la montagne, entre producteurs, il y a une longue tradition de troc. Cette tradition a été ravivée pendant la crise : si j’ai du fromage et que j’ai besoin de manioc ou de café, je vais faire du troc avec mon voisin. Cela présente un avantage évident : nous échangeons en dehors des lois du marché. Nous pensons qu’en tant que commune, nous devons promouvoir le troc, notamment avec d’autres communes.

José Luis Pinto : Quand les choses sont devenues vraiment difficiles ici, notre production est tombée à presque rien : les gens produisaient juste pour leur subsistance et pour un troc à petite échelle. Cela nous a aussi obligés à diversifier notre production : maintenant nous produisons des bananes plantains et nous cultivons la canne à sucre pour faire du guarapo [jus de canne à sucre] avec lequel nous sucrons notre café. Les choses s’améliorent un peu, mais une partie importante de notre économie reste basée sur le troc. De temps en temps, nous apportons encore un sac de café en ville et l’échangeons contre un outil.

Photo : le parlement communal de Monte Sinaí se réunit tous les mercredis. (Voces Urgentes)

Alcadio Lemus : Nous avons un long chemin à parcourir parce que nous sommes une jeune commune – et une commune née dans le feu de la crise en plus ! Il y a beaucoup de facteurs défavorables. Néanmoins, nous gardons le projet de Chávez en tête et nous comprenons que la construction d’une commune est un effort collectif : il s’agit de défendre les biens communs. Telle nous le comprenons, une commune, c’est le peuple qui s’organise pour produire et satisfaire les besoins collectifs.

Luis Solórzano : Chávez a parlé de la nécessité de construire une nation souveraine. Quand il parlait de souveraineté, il ne faisait pas seulement référence à la souveraineté territoriale et politique. Il parlait aussi de la souveraineté alimentaire. Malheureusement, nous n’avons pas compris l’importance de sa conception : si nous avions intériorisé sa pensée, nous ne serions pas dans cette situation aujourd’hui, les choses auraient été différentes et moins douloureuses lorsque l’impérialisme états-unien allié à l’oligarchie locale ont conspiré pour renverser le gouvernement du président Maduro. Bien sûr, nous ne devons pas oublier que le gouvernement de Chávez était déjà assiégé en permanence : rappelez-vous le coup d’État, le sabotage du pétrole et les incursions paramilitaires. La crise nous a frappés durement, elle a également endommagé l’organisation de base : nous luttions tous pour survivre. Aujourd’hui, les choses reprennent, et nous avons bon espoir de faire en sorte que notre commune s’enracine et se développe.

Entretien réalisé par Cira Pascual Marquina et Chris Gilbert pour Venezuelanalysis

Photos : Voces Urgentes

Source : https://venezuelanalysis.com/interviews/15512

Traduction : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/05/11/souverainetes-politique-et-alimentaire-le-pari-communard-du-venezuela/

La rébellion des coupeurs de canne : vies et voix de la Commune des « cinq forces »

Les communard(e)s de Cinco Fortalezas devant un champ de canne à sucre. (Voces Urgentes)

« Las Cinco Fortalezas de la Revolución Bolivariana » – « les cinq forces de la révolution bolivarienne« , tel est le nom complet d’une merveilleuse organisation communarde de l’est du Venezuela, dans le chef-lieu de Cumanacoa, où l’on cultive la canne à sucre. Dirigée principalement par des femmes, cette commune a connu une histoire de lutte intense. Elle s’est consolidée vers 2016, lorsqu’un groupe de travailleurs journaliers de la région a occupé les terres du propriétaire initial. Six ans plus tard, les communard(e)s se sont retrouvé(e)s pour une deuxième bataille, après qu’un homme d’affaires a escroqué les producteurs locaux en s’emparant de leurs récoltes sans paiement.

La récente escroquerie – ainsi que la crise et les sanctions occidentales – sont des obstacles importants sur la route, mais les communard(e)s de « Cinco Fortalezas » sont prêt(e)s à travailler dur et à se battre. Avec 57 hectares collectivisés consacrés à la culture de la canne à sucre et un engagement puissant en faveur de la communalisation de la vie, « Cinco Fortalezas » est appelé à devenir concrètement une sorte de vivier pour le socialisme. Dans la première partie de cet entretien, nous découvrons l’histoire récente de la commune et ses différentes entreprises de production communale. Dans la deuxième partie, les communards nous parleront de l’impact de la crise et du blocus sur leur vie, ainsi que des moyens créatifs qu’ils utilisent pour surmonter ces obstacles.

Yusmeli Domínguez est secrétaire du parlement communal et fait partie du conseil de planification du Bloc Productif la Esperanza. Oswaldo Noguera est porte-parole de la commune. Vanessa Pérez est parlementaire communale et fait partie de la direction nationale de l’Union Communarde. Wilfredo Enrique est membre du comité de planification de la commune de Cinco Fortalezas et dirige, avec sa compagne María Romero, le laboratoire Réseau Tilapia. José Luis Gamboa est un parlementaire communal. Carlos Andrade fait partie de la directive de l’association des producteurs de canne à sucre de la commune de Montes (Cumanacoa) et est porte-parole de la commune de Río San Juan. (Voces Urgentes)

Histoire récente

Cinco Fortalezas a beau être une commune relativement jeune, la rébellion des habitants de cette région s’ancre dans l’histoire longue. La commune se trouve dans une belle vallée longtemps habitée par les peuples Kari’ña et Chaima, qui ont farouchement résisté aux incursions espagnoles dans la zone depuis le début du XVIIe siècle. Des siècles plus tard, la zone constituera une importante base d’arrière-garde pour les guérilleros vénézuéliens inspirés par la révolution cubaine.

Vanessa Pérez : Nous avons fait les premiers pas dans la construction d’une commune il y a six ou sept ans. À cette époque, nous luttions également pour récupérer les terres de l’Hacienda Rosario, qui est finalement devenue l’épicentre de notre commune.

Oswaldo Noguera : La terre qui est maintenant le siège de la commune appartenait autrefois à Asunción Rodríguez. A l’époque, elle s’appelait l’Hacienda Rosario. Rodríguez contrôlait les bonnes terres, tandis que les campesinos ne pouvaient cultiver que sur les terres d’altitude, où ils n’avaient pas accès à l’eau et étaient éloignés des routes.

Yusmeli Domínguez : Je suis née ici. Quand j’étais enfant, mes parents n’avaient pas de terre et ils travaillaient pour le terrateniente [propriétaire terrien]. Nous le voyions devenir de plus en plus riche, alors que nous n’avions rien. Ils lui ont donné leur vie, et lui ne leur a rien donné en retour.

Quand la réforme agraire de Chávez a commencé, nous avons commencé à nous organiser pour que ceux qui travaillaient la terre ne restent pas sans terre. Vers 2007, l’INTI [l’institut National des Terres du Venezuela] a commencé à inspecter ces terres dans l’idée de les récupérer. À cette époque, la production avait chuté.

En 2011, un groupe de dix paysans s’est installé sur certaines des terres abandonnées. L' »entreprise » [une sucrerie industrielle appartenant à l’État] s’est opposée à eux et a détruit leurs cultures. Cela a suscité beaucoup d’indignation. Après tout, il s’agissait de pauvres gens qui n’avaient d’autre objectif que de produire.

Puis, en 2016, la sucrerie a tenté de s’approprier 80 hectares de terres pour y faire pousser de la canne à sucre, mais ils ont été bloqués par la résistance des paysans. Quelques mois plus tard, nous avons commencé à travailler sur la terre collectivement. À peu près au même moment, l’INTI est venu nous voir et nous a dit que les terres seraient réparties entre le chef-lieu, l’État et le peuple. C’était très injuste et nous l’avons fait savoir. Qu’en est-il des 500 familles qui ont travaillé et lutté pour ces terres pendant des décennies, voire des siècles ?

À peu près à la même époque, nous sommes allés parler au propriétaire foncier. Nous lui avons dit que nous nous organisions et que nous allions reprendre la terre… et c’est ce que nous avons fait.

L’INTI n’a pas immédiatement reconnu notre utilisation de la terre comme légitime. En fait, il y a eu beaucoup de frictions et de conflits. L’INTI a même essayé de mobiliser la population de Cumanacoa contre la commune.

Quoi qu’il en soit, nous avons continué à nous organiser et à travailler. Après tout, nous étions motivés par l’idée que la terre appartient à ceux qui la travaillent. Ce que nous faisions était un pas vers la justice historique et c’était inspiré par Chávez lui-même.

Enfin, en 2018, nous nous sommes rendus à Caracas et avons exigé que le titre d’occupation productive [carta agraria] soit accordé à la commune par l’Etat… Nous avons réussi !

Les communards de Cinco Fortalezas se tiennent devant le moulin à sucre communal, bientôt au travail. (Voces Urgentes)

Cinco Fortalezas a la chance de posséder des terres fertiles et une source naturelle qui irrigue les plus de 60 hectares communaux qu’elle cultive. Cependant, la commune manque de machines agricoles pour la récolte de la canne à sucre. La récolte se fait encore à l’aide de machettes et est ensuite portée sur les épaules des communards. C’est pourquoi la mécanisation est l’un des principaux objectifs de la commune.

Vanessa Pérez : Nous avons deux Entreprises de Propriété Sociale [EPS] enregistrées appartenant à la commune : le projet de canne à sucre et l’élevage de tilapia. Nous aurons bientôt une usine de transformation de la canne à sucre [une nouvelle EPS], et nous envisageons de former une autre EPS pour prendre en charge la commercialisation et la distribution.

Le projet de canne à sucre, qui s’appelle « Bloc Productif La Esperanza« , est chargé de l’ensemble du processus, de la plantation à la récolte. Le moulin à sucre de l’Entreprise de Propriété Sociale transformera la canne à sucre en plaques de sucre brun, en sucre cristallin et en jus de canne à sucre. Nous évoluons vers l’autonomie de notre production : nous voulons aller au-delà de la production de matières premières et passer à la maîtrise du cycle complet de production et de distribution.

La commune compte également deux Unités de Production Familiale, une UPF de tilapias et une UPF de fabrication de briques.

Oswaldo Noguera : En plus de la culture du sucre, nous cultivons également des cultures à cycle court comme le maïs, la citrouille, les haricots noirs, la yuca (manioc) et d’autres légumes sur nos terres communales. Nous avons six hectares consacrés à ces cultures à cycle court.

ENTREPRISE COMMUNALE DE CANNE À SUCRE ET LUTTE POUR LA JUSTICE

La Centrale Sucrière de Cumanacoa est une entreprise publique de raffinage de sucre. En 2020, un contrat a été signé avec un entrepreneur, Juan Ramírez, pour que ce soit TecnoAgro, l’entreprise privée de Ramírez, qui gère la sucrerie.

Vanessa Pérez : La principale entreprise de la commune est le Bloc Productif La Esperanza. Il s’agit d’une production collective de 1700 tonnes de canne à sucre par an sur 57 hectares.

La Esperanza, c’est un peu notre « Compagnie publique pétrolière ». Pourquoi ? Parce que l’excédent produit par la canne à sucre nous permet de réaliser des travaux sur tout le territoire, qu’il s’agisse de réparer l’école ou les routes, d’assurer l’éclairage public, d’obtenir des médicaments pour ceux qui en ont besoin, etc.

Mais cette dernière année, l’Entreprise de Propriété Sociale – et la commune dans son ensemble – a connu des difficultés à cause d’une escroquerie réalisée à la centrale sucrière [sucrerie industrielle].

Carlos Andrade : En 2021, Juan Ramírez a escroqué tous les producteurs de canne à sucre de la région : il a « acheté » nos récoltes mais ne les a jamais payées. La dette envers les producteurs est d’environ 300.000 dollars.

Yusmeli Domínguez : Le Sucre central appartient à CorpoSucre [entité gouvernementale régionale], mais il est maintenant entre les mains de TecnoAgro, l’entreprise de Juan Ramírez. En 2020, un accord a été conclu pour l’achat de la récolte de canne à sucre dans la zone. Nous avons fait notre part, en cédant la totalité de notre récolte en 2021. Sa dette impayée avec cette seule commune est de 14 000 dollars.

Cela a beaucoup nui à notre production et à nos vies, mais M. Ramírez a des dettes envers tout le monde, y compris les autres communes de la région et de nombreux producteurs familiaux. La situation a été dévastatrice pour de nombreuses personnes dans la région de Cumanacoa.

En outre, M. Ramírez ne paie pas les 80 travailleurs de l’usine : il n’a pas versé leurs salaires depuis cinq mois !

Bien sûr, nous ne sommes pas restés sans rien faire. Nous nous sommes rendus au siège du gouvernement de l’État de Sucre et à l’Assemblée nationale pour faire entendre notre voix. Nous avons également introduit une réclamation auprès du bureau du procureur général. Malheureusement, nous n’avons pas eu de nouvelles.

Plus récemment, nous avons eu une réunion avec Gilberto Pinto, le gouverneur de Sucre, ainsi qu’avec Juan Ramírez. La plupart des producteurs ont assisté à la réunion et nous avons conclu un nouvel accord. Cependant, nous attendons toujours que M. Ramírez remplisse les conditions.

Carlos Andrade : Les conséquences de l’escroquerie ont été dévastatrices et ont eu un effet d’entraînement. Certaines personnes sont mortes parce qu’elles n’ont pas pu obtenir leurs médicaments et d’autres sont parties. Entre-temps, deux mille tonnes de canne à sucre n’ont pas été récoltées cette année. Nous avions toujours vendu notre récolte à la centrale de Sucre, mais maintenant ce n’est plus possible. C’est pourquoi nous retardons la récolte.

Yusmeli Domínguez : M. Ramírez est un criminel… et pourtant, cette année, l’État a prolongé son contrat pour diriger la sucrerie ! Pourquoi ? Malheureusement, comme Chávez nous le rappellerait, l’État bourgeois bureaucratique n’est pas encore mort, et qu’il est encore du côté des intérêts privés plutôt que des intérêts collectifs.

Une de nos propositions est que la Centrale Sucrière soit transféré à la commune. Après tout, c’est nous qui produisons la canne à sucre, nous connaissons le processus, et certains d’entre nous ont travaillé à la centrale. Il y a ici des gens formés techniquement pour reprendre l’administration de l’usine.

Puisque le capital privé a prouvé son inefficacité et sa brutalité, il est temps d’ouvrir la porte au pouvoir populaire. Cela devient d’autant plus urgent maintenant, car ils adaptent l’usine pour pouvoir raffiner du sucre de base apporté d’Argentine ! Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’expliquer à quel point c’est absurde. Après tout, la centrale a été nationalisée en 2005 par l’État vénézuélien pour traiter la canne à sucre vénézuélienne dans un territoire producteur de canne à sucre !

L’ALTERNATIVE : UNE SUCRERIE COMMUNALE

Jose Luis Gamboa : Lorsque M. Ramírez nous a escroqués, il est devenu d’autant plus clair que nous devions travailler pour avoir le contrôle total du cycle de production du sucre. Nous avons donc décidé de réactiver un trapiche [un petit moulin à sucre artisanal] qui avait été abandonné. C’est un très vieux moulin, mais il peut traiter 30 tonnes de canne à sucre par jour.

Nous avons évalué l’état du « trapiche », et pour le remettre en marche, nous avons besoin d’un investissement de deux à trois mille dollars américains. Dès que M. Ramírez aura payé ce qu’il nous doit, nous mettrons le moulin en service. En attendant, nous recherchons également un soutien institutionnel. Nous sommes déterminés à activer le moulin d’une manière ou d’une autre.

Vanessa Pérez : Nous voulons pouvoir traiter la canne à sucre produite par la commune et par d’autres producteurs de Cumanacoa. Le nôtre ne serait pas la seule « trapiche » de la région, mais les autres moulins des environs sont nettement plus petits. De plus, nous avons l’avantage de notre situation géographique, puisque la commune se trouve dans les plaines et qu’il est facile de s’y rendre.

Nous prévoyons de travailler avec les producteurs locaux pour transformer leur canne à sucre en papelón [blocs de sucre brun], en sucre cristallin et en jus de canne à sucre. Nous ferons de même avec notre propre production, et nous espérons faire du troc avec d’autres communes. Le potentiel est énorme : il y a 13 communes dans le canton [neuf sont déjà légalement enregistrées], et elles produisent toutes de la canne à sucre.

La nôtre ne sera pas une entreprise capitaliste : le coût de la transformation de la canne à sucre sera inférieur à celui du marché et les revenus seront investis dans des initiatives sociales et productives.

Étang de pisciculture de la commune de Cinco Fortalezas. (Voces Urgentes)

LA PRODUCTION À PETITE ÉCHELLE

Vanessa Pérez : Il existe d’autres initiatives productives plus petites dans la commune. Il y a une petite usine de fabrication de briques, qui est active, et il y a une pisciculture qui se développe rapidement. Elle a été financée par SUFONAPP [institution associée au ministère des Communes]. Nous élevons des tilapias rouges, et nous apprenons beaucoup de l’expérience. Le principal goulot d’étranglement est la nourriture pour poissons, qui est très chère.

Wilfredo Enrique : L’initiative de pisciculture a commencé il y a environ trois ans avec un petit crédit pour acheter des vairons de tilapia. Nous avons ensuite mis en place le laboratoire de tilapia rouge, où nous prenons soin des vairons et des mères. Quand ils grandissent, nous les emmenons dans la lagune d’Amaguto, sur notre terrain communal.

Actuellement, entre le laboratoire et la lagune, nous avons quelque 30.000 tilapias. Nous considérons ce projet comme un vivier: nous espérons envoyer des vairons dans d’autres communes, tandis qu’une partie des tilapias récoltés sera destinée aux repas des écoles et à la cantine populaire [qui offre des repas gratuits aux personnes dans le besoin]. En d’autres termes, il ne s’agira pas d’une entreprise capitaliste. Nous la considérons comme une nouvelle initiative pour satisfaire les besoins de la commune.

Yusmeli Domínguez : Chávez a conçu un système communal holistique. Ici, au cœur de notre commune, nous avons le Bloc Productif La Esperanza, qui est en quelque sorte « notre compagnie publique pétrolière ». Mais une commune rassemble une pluralité d’initiatives. Une commune, c’est comme une courtepointe : elle nous rassemble tous.

Interview réalisée par Cira Pascual Marquina et Chris Gilbert pour Venezuelanalysis

Photos : Voces Urgentes

Source : https://venezuelanalysis.com/interviews/15518

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/05/01/la-rebellion-des-coupeurs-de-canne-vies-et-voix-de-la-commune-des-cinq-forces/

Un auto-gouvernement populaire au Venezuela : la commune Luisa Cáceres.

La nature réelle de la révolution bolivarienne du Venezuela, qui la différencie d’autres processus révolutionnaires, est la vitalité de sa démocratie participative, palpable dans les autogouvernements populaires qui surgissent partout, après vingt-deux ans de processus. Les témoignages que nous publions depuis des années montrent un pouvoir citoyen cherchant à s’autonomiser sans pour autant renoncer à transformer l’État ni se départir de son esprit critique. Nulle « cooptation gouvernementale » mais une force de transformation et une intelligence sociales souvent sous-estimées par les politologues. Cet exemple inédit d’une révolution qui ne cesse d’approfondir sa démocratie s’explique par ses origines. C’est au contact des jacobins noirs de la révolution haïtienne que l’aristocrate Bolivar comprit que la libération latino-américaine ne triompherait qu’à travers l’émancipation politique des esclavisé(e)s. C’est aussi l’equilibrio del mundo de Bolivar qui inspire la politique multipolaire actuelle du Venezuela. Organisation populaire, diplomatie multipolaire : deux faces d’une même Histoire, d’une même capacité de résister à un blocus impérial.

Pourquoi, alors que le zapatisme a connu son heure de gloire dans le monde entier, le « super-zapatisme » vénézuélien aux mille visages est-il systématiquement occulté, ou dénigré, par la presse « progressiste » d’Occident ? On peut en trouver la cause dans le champ médiatique. Celui-ci peut tolérer une rébellion qui ne transforme pas le système mais pas une révolution qui affronte structurellement la globalisation néo-libérale. Qui oserait, à gauche, ruiner sa réputation en allant contre une opinion construite autour de la dictature-au-Venezuela ? Ce rendez-vous manqué, qui va du silence gêné à la « vigilance nécessaire », a contribué au désenchantement de la politique en Occident où les citoyen(nes) auraient eu le plus grand intérêt à découvrir cette passionnante synthèse de démocratie représentative et de révolution citoyenne.

Thierry Deronne, Caracas, 10 avril 2022.

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Un auto-gouvernement en temps de blocus : la commune de Luisa Cáceres (première partie).

L’est du Venezuela abrite de vastes zones d’extraction et de traitement du pétrole centrées sur les villes de Barcelona et Puerto la Cruz, dans l’État d’Anzoátegui. La commune de Luisa Cáceres de Arismendi, l’une des plus avancées du pays, a grandi dans l’ombre de ces entreprise multimilliardaires, dans l’un des quartiers populaires de Barcelona. Il s’agit d’une commune à croissance rapide – remarquable en raison de son succès dans un contexte urbain – qui s’est concentrée au départ sur le recyclage et l’élimination des déchets. Dans la première partie de cette série en deux volets, les communard(e)s de Luisa Cáceres racontent les défis de la construction d’une commune dans un pays assiégé par le blocus impérial.

Histoire, projets productifs, organisation.

La commune Luisa Cáceres a installé son siège dans un terrain vague, nettoyé par les communard(e)s et mis au service de la communauté. Il s’agit d’un espace multi-fonctionnel, devenu l’épicentre du travail de recyclage de la commune, l’espace du potager communautaire et le lieu de réunion et d’assemblée. Devant une splendide fresque murale représentant l’héroïne de l’indépendance Luisa Caceres et le célèbre écrivain du XXe siècle Aquiles Nazoa, les communard(e)s ont accepté de nous rencontrer et de nous raconter l’histoire de leur organisation.

Carlos Herrera est parlementaire communal, membre du comité exécutif de la commune et coordinateur de l’entreprise de recyclage. Ingrid Arcila est la parlementaire de la commune pour les services publics. Arturo Aguache est parlementaire communal. Johann Tovar est parlementaire communal et fait partie de la direction de l’Union Communarde. Rosa Cáceres est la porte-parole des services publics de son conseil communal ; elle est responsable de la crèche Pablo Characo. Manuel Cherema est le coordinateur de la sécurité de la commune et le superviseur en chef de la police bolivarienne à Anzoátegui. Photos: Voces Urgentes.

HISTOIRE

Carlos Herrera : « Nous avons commencé à jeter les bases de la commune il y a environ huit ans, mais le processus s’est vraiment accéléré au cours des quatre dernières années. Nous avançons dans la bonne direction – je pense – celle de l’autonomie populaire.

« Bien sûr, ce n’est pas facile. Comme le dit un proche camarade, « s’il est difficile de se mettre d’accord à la maison, alors ne nous surprenons pas des difficultés de l’organisation communale. » C’est encore plus vrai dans une société capitaliste en crise, où les intérêts individuels ont tendance à entraver les objectifs collectifs. Petit à petit, cependant, nous construisons un espace où le collectif est au centre et où la commune devient la base de la construction de la nouvelle société. Le processus de construction implique beaucoup de travail et de sacrifices. »

Arturo Aguache : « C’est en 2018 que nous avons pleinement enregistré la commune sous sa forme légale. Depuis lors, nous avançons à tâtons, avec des moments plus marqués par la coopération de l’État, et d’autres par des frictions avec les institutions étatiques. Ces dernières années, avec les sanctions occidentales qui pèsent lourdement sur nous, nous avons découvert qu’en tant que commune urbaine, nous devions nous concentrer sur les services : c’est ce que nous avons fait. Mais notre objectif n’est pas seulement de résoudre les problèmes. Notre véritable objectif est l’autonomisation populaire par le biais de l’autogestion, de manière démocratique, et en dehors de la logique du capital. »

Johan Tovar : « La commune a été baptisée  » Luisa Cáceres de Arismendi  » en l’honneur d’une grande patriote. Pendant les guerres d’indépendance, les royalistes ont tué son mari et l’ont emprisonnée. Dans les cachots, on a offert la vie à Cáceres si elle faisait appel à la clémence royale, prêtait allégeance au roi et respectait la loi. Elle refusa, s’empara de l’arme d’un des officiers et l’a abattu. Bien sûr, elle a été enfermée après cela, mais Luisa Cáceres ne s’est jamais inclinée devant eux. Elle était une vraie patriote, qui défendait ses principes. C’est pourquoi notre commune porte son nom. »

PROJETS PRODUCTIFS

Herrera : « Notre commune est située au cœur d’un centre urbain, dans ce que Rubén Blades appelait « la jungle de béton » [selva de cemento]. Cet emplacement a bien sûr entraîné quelques défis, car il n’y a pas de terres communales ici et ce qui « pousse » ici, ce sont les commerces et l’aliénation. A ses débuts, la commune a eu du mal à trouver des moyens de produire.

« Vers 2018 ou 2019, la crise et les sanctions ont commencé à nous frapper durement. Tous ces pouvoirs étaient unis contre le peuple vénézuélien et son gouvernement. Lorenzo Mendoza, le propriétaire du grand conglomérat privé alimentaire Polar, se battait également contre notre peuple : Harina PAN [farine de maïs Polar, d’usage quotidien au Venezuela] était difficile à obtenir et les gens avaient faim. Nous avons donc décidé de construire une petite usine de transformation de farine de maïs. Notre rêve était d’en fournir à notre communauté. L’usine a fonctionné pendant un certain temps, mais le prix du maïs a fini par monter en flèche, le carburant était introuvable et nous n’avons pas été en mesure de maintenir l’usine en activité. Bien que ce projet ait échoué, nous avons appris à maîtriser les chaînes d’approvisionnement et compris la nécessité de planifier notre production. Nous avons continué à rêver… Maintenant, il y a deux entreprises de propriété communale : une pour la collecte des ordures et l’autre pour le recyclage. »

Tovar : « Chávez avait souligné l’importance de la science et de la technologie pour résoudre les problèmes auxquels notre société est confrontée. Notre expérience montre qu’il avait raison : nous avons besoin d’engagement et d’organisation, mais aussi d’acquérir des connaissances et d’organiser efficacement la production. Chávez insistait aussi sur le fait qu’une société communale authentique signifie pratiquer une nouvelle géométrie du pouvoir, une nouvelle organisation, tant dans la sphère économique que dans la sphère politique. L’autogestion est au cœur de cette proposition. Ici, à la commune de Luisa Cáceres, nous avançons dans cette direction. Notre outil principal de gouvernement est l’assemblée, qui est un espace de délibération et de contrôle collectif des comptes : l’assemblée est le germe de l’autogouvernement. »

Réunion avec les communard(e)s de Luisa Caceres. Photo Voces Urgentes.

ORGANISATION

Herrera : « En ce qui concerne l’organisation de la commune de Luisa Cáceres, nous suivons le schéma prévu dans la Loi Organique des Communes. Notre premier organe de délibération est le Parlement communal. Ce parlement est composé d’un porte-parole pour chaque conseil communal [il y en a 24] et de trois parlementaires représentant les entreprises communales, plus le porte-parole de la Banque communale. Le Parlement se réunit le premier samedi de chaque mois pour discuter des questions opérationnelles et organisationnelles, examiner la planification et les ressources, etc.. La commune dispose également d’un Conseil exécutif composé de trois porte-parole ainsi que des Conseils économique, de contrôle, de planification et d’administration. Ce dernier coordonne des questions telles que les services publics, la santé, le logement, la culture et l’éducation, et la défense du territoire, entre autres responsabilités. »

Tovar : « Nous espérons que notre commune donnera naissance à une nouvelle réalité matérielle et à une nouvelle conscience. À l’instar de Chávez, nous considérons la commune comme la clé pour résoudre les contradictions et les problèmes de notre société, et nous pensons que nous avançons dans cette direction. »

Distribution de gaz dans la commune de Luisa Cáceres. Photo Voces Urgentes

Impact du blocus occidental et solutions communardes.

Loin d’être passive pendant la crise, la commune de Luisa Cáceres a développé une série de réponses créatives aux difficultés qui se présentent. De cette manière, elle démontre que les communes peuvent apporter une solution populaire et souveraine à la crise.

Herrera : « L’impact du blocus a été énorme, il a également nui aux organisations de base, en particulier dans les premiers jours. Lorsque les gens doivent lutter pour avoir assez de nourriture sur la table pour leurs familles, il est très difficile de dégager de l’énergie pour maintenir en activité des organisations de base. Au plus fort de la crise, de nombreuses personnes ont dû parcourir des kilomètres à pied pour se rendre au travail parce qu’elles n’avaient pas d’argent pour payer le ticket de bus, tandis que d’autres, en particulier les plus jeunes, ont quitté le pays. D’autres sont tout simplement morts parce qu’ils n’avaient pas les moyens d’acheter les médicaments dont ils avaient besoin. Tout cela était très douloureux. Le blocus touche tout le monde, des plus jeunes aux plus âgés. C’est une politique criminelle. »

Manuel Cherema : « Les premiers jours du blocus ont été très durs pour tout le monde, y compris pour la commune, mais nous ne sommes pas restés inactifs. En fait, notre première entreprise communale était une petite usine de transformation de la farine de maïs, et nous avons pu vendre la farine de maïs à un prix accessible. Cette entreprise n’est plus active aujourd’hui, mais nous avons beaucoup appris avec ce projet. »

Tovar : « Le blocus nous a durement touchés, mais la vérité est que les années les plus dures de la crise ont été celles où nous avons commencé à nous développer en tant que commune. Il est intéressant de noter que cela s’est également produit dans les communes d’El Maizal (dans l’Ouest agricole) et de Che Guevara (dans les Andes). El Maizal a repris des espaces productifs, Che Guevara a construit des installations industrielles et des serres, nous avons pris en charge la collecte des déchets et commencé le travail de recyclage. Dans notre cas, tout cela s’est produit alors que les institutions étaient en sommeil pendant la pandémie. La commune a pu donner une réponse efficace aux besoins de la population face à un problème croissant de santé publique dû à l’accumulation des déchets. »

SANTÉ

Ingrid Arcila : « Nous avons rapidement ressenti l’impact des sanctions et du blocus sur nos corps. Vers 2016, la nourriture est devenue rare : nous devions faire la queue pendant des heures. Puis sont venues les pénuries de médicaments : les médicaments de base comme le diazépam étaient difficiles à obtenir. Aujourd’hui, les médicaments et la nourriture sont disponibles, mais les prix sont exorbitants. Cette situation devient particulièrement complexe lorsqu’un proche doit subir une opération. Les hôpitaux sont à court de fournitures, et les familles doivent tout acheter, de la gaze aux gants en latex en passant par les stérilisateurs et les antibiotiques. C’est là que la commune intervient : nous nous efforçons souvent d’ouvrir des canaux institutionnels afin que les personnes à faibles ressources obtiennent un soutien de la part de la municipalité ou d’un autre organisme public. Cela aide, mais malheureusement, nous avons perdu beaucoup de personnes dans la commune à cause de cette situation. À l’avenir, lorsque les moyens de production de la commune seront consolidés, une partie de nos excédents sera destinée à de telles urgences. »

Tovar : « Ici, dans la commune, les sanctions, le blocus et la crise ont limité notre accès aux soins. Les CDI locaux [centres de diagnostic intégraux – un système médical communautaire mis en place sous Chávez] ont commencé à s’effondrer au pire moment. Lorsque nous avons vu que cela se produisait, la communauté s’est organisée pour mieux gérer le personnel médical et les ressources limitées. Nous avons commencé à organiser des journées de travail volontaire pour peindre et assainir les espaces du CDI local. Cependant, nous nous sommes également organisés pour que les établissements réparent les problèmes tels que les climatiseurs en panne. C’était très important car de nombreuses salles d’opération n’avaient pas de climatisation, ce qui les rendait inutilisables.

« La communauté s’est également organisée avec succès pour mettre fin au vol de médicaments. Cela peut vous surprendre, mais dans les situations de crise, les contradictions deviennent plus visibles. C’est pourquoi la communauté elle-même a travaillé à la supervision, à l’introduction de plaintes et à l’établissement d’un contrôle strict des soins de santé. Le blocus a coûté de nombreuses vies, et c’est très douloureux. Encore plus lorsque la situation est aggravée par des problèmes entre nous. L’individualisme se développe dans une partie de la société lorsque les choses deviennent vraiment difficiles. Lorsque cela se produit, il n’y a qu’un seul moyen d’avancer : plus d’organisation, plus de communes.

Siège de la commune de Luisa Cáceres. Photo Voces Urgentes

CARBURANT ET SERVICES.

Herrera : « Les sanctions contre [la compagnie pétrolière d’État] PDVSA ont eu un impact dévastateur sur l’ensemble de la société : la production et la distribution sont devenues un problème, et les gens ont eu des difficultés à se rendre au travail et même à l’hôpital. Pour la commune, lorsque les pénuries de diesel ont commencé, nous avons été confrontés à un problème supplémentaire : nous n’avons pu respecter le calendrier de collecte des ordures, et celles-ci se sont accumulées dans les rues. »

Tovar : « Lorsque les pénuries de carburant se sont aggravées, une autre contradiction a émergé : les grandes entreprises capitalistes jouissaient d’accords favorables et obtenaient des rations de carburant très copieuses, tandis que la commune recevait une quantité mensuelle très faible, bien inférieure au nécessaire pour effectuer la collecte des déchets sur le territoire. C’est pourquoi nous avons dû lancer une campagne publique : nous avons fait savoir que le camion de la commune ne faisait pas la collecte des ordures parce que nous n’avions pas de carburant. Finalement, les cadres locaux du parti socialiste vénézuélien [PSUV, principal parti chaviste] nous ont entendus, et nous avons conclu un accord. »

Rosa Cáceres : « Il y a environ deux ans, l’obtention de gaz de cuisine est devenue un problème très sérieux également. Comme nous sommes dans une zone urbaine où il n’est pas possible de cuisiner avec du bois de chauffage, nous avions de vrais problèmes. Après quelques mois, nous nous sommes organisés et avons conclu un accord avec PDVSA Gaz. Maintenant, la commune coordonne la distribution du gaz, et cela fonctionne très bien. En fait, ici à la commune, nous cherchons des solutions collectives à nos problèmes collectifs… et nous avons appris que le pouvoir populaire est très efficace pour résoudre les problèmes quotidiens de la communauté. Bien sûr, les institutions ont aussi un rôle à jouer dans la résolution des problèmes que le peuple rencontre au quotidien. »

Arcila : « Le blocus a eu un impact énorme sur les services publics, en particulier l’électricité, l’eau, le gaz et les transports. Le manque d’entretien a entraîné des coupures de courant, un approvisionnement en eau irrégulier et des transports publics en mauvais état. Par exemple, l’usine de traitement de l’eau ici s’arrête souvent parce qu’il n’est pas possible pour l’État d’acquérir des pièces de rechange. Cela signifie que nous avons parfois passé jusqu’à sept jours sans eau courante ici. Le service téléphonique est un autre problème auquel nous sommes confrontés. Les câbles téléphoniques sont très chers et les vols sont fréquents, mais CANTV [la compagnie nationale de téléphone] ne peut pas acheter de pièces de rechange en raison du blocus. À l’heure actuelle, plus de 70 % des habitants de la commune n’ont pas de service téléphonique. Pas facile de trouver des solutions à tous ces problèmes, mais la commune dispose d’un comité des services publics qui travaille avec les institutions publiques pour résoudre les problèmes que nous rencontrons. Nous avons également organisé des « brigades ». L’une d’entre elles, très active, est la brigade de l’eau, qui s’occupe de problèmes tels que les ruptures de tuyaux, afin que l’approvisionnement en eau soit un peu plus régulier. »

Tovar : « Le transfert des services municipaux aux communes est viable. La brigade des eaux résout de nombreux problèmes au niveau local. Auparavant, lorsque nous avions un problème tel qu’une rupture de conduite d’eau, nous devions attendre que la municipalité envoie un professionnel. Cela pouvait durer des jours, des semaines, voire des mois. Maintenant, quand il y a un problème dans la commune, nous activons la brigade. La brigade est une initiative communale, mais elle est financée par le bureau régional du ministère de l’Eau. Cette institution fournit les salaires, mais la commune organise le travail de manière autonome. Nous avons constaté que cette méthode est très efficace. Le projet communal a consisté à donner du pouvoir aux gens, à travers des initiatives comme celle-ci. Le fait que nous puissions résoudre les problèmes stimule l’organisation et donne de l’espoir aux gens. Bien que nous n’ayons pas d’autonomie financière, nous nous dirigeons vers l’autonomie sur le territoire de la commune. »

Aguache : « Comme nous sommes une commune urbaine, la détérioration des services publics due au blocus est devenue un énorme problème. Cependant, cette situation nous a poussés à nous organiser et à chercher des solutions. Ce faisant, la commune est devenue un phare ou un modèle dans la communauté. Il nous est également apparu clairement que l’organisation communale peut – si les responsabilités et les ressources lui sont transférées – résoudre nos propres problèmes. La seule chose que nous devons à ces sanctions inhumaines, c’est d’avoir appris certaines choses : en tant que commune urbaine, lorsque nous reprenons des services initialement attribués à l’État, nous pouvons le faire efficacement et de manière auto-organisée. »

Cáceres : « L’organisation a été la clé de la solution de certains de nos problèmes, mais il y a encore beaucoup à faire. J’ajoute cependant que la structure des CLAP [comités de distribution d’aliments subventionnés, créés par le gouvernement bolivarien], bien vivante dans notre région, a été un outil très utile. Elle nous a permis d’atteindre les membres de la communauté qui ne sont pas nécessairement engagés dans l’auto-organisation.

SÉCURITÉ

Arcila : « Toute crise entraîne des problèmes sociaux. Lorsque la crise a atteint son paroxysme, les vols ont augmenté et d’autres problèmes sociaux se sont intensifiés, alors nous avons commencé à réfléchir à ce qu’il fallait faire. C’est pourquoi nous encourageons la création d’équipes de sécurité dans les conseils communaux. Notre idée n’est pas de faire la police entre nous, mais de renforcer notre commune : construire une société où règnent la paix et la solidarité. »

Cherema : « Nous participons à un plan pilote de sécurité communale que l’ancien maire [et actuel gouverneur d’Anzoátegui] Luis José Marcano a proposé. Quatre communes au total participent à ce plan, qui est un pas vers la construction de la cité communale. L’objectif de cette initiative est de repenser et de mettre en œuvre un plan de sécurité à partir de la base. Il s’agit en fait d’un héritage de Chávez : il parlait de la nécessité d’évoluer vers un système de police communale qui ne viendrait pas de l’extérieur. De nouvelles conceptions de la paix et de la sécurité devraient remplacer les anciennes pratiques policières. Chávez a également déclaré que la police devait être plus proche des gens, qu’elle ne devait pas être une force extérieure. Suivant ses directives, nous mettons en place des équipes communales de terrain pour apprendre la sécurité, écouter l’intelligence populaire et défendre ce qui est commun sur le territoire.

Le plan communal de sécurité coopère avec la Police Nationale Bolivarienne (PNB) mais n’est pas un appendice de cet organisme gouvernemental. Chaque équipe de sécurité aura un porte-parole qui coordonnera son activité et, si nécessaire, pourra travailler avec la PNB. Il y aura également des personnes chargées de recueillir les informations des organisations citoyennes, et nous établirons la figure du médiateur de paix. Notre plan de sécurité communal n’est pas punitif mais plutôt conciliateur. »

Interview : Cira Pascual Marquina et Chris Gilbert – Venezuelanalysis

Photos : Voces Urgentes

Source : https://venezuelanalysis.com/interviews/15498

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/04/10/un-auto-gouvernement-populaire-au-venezuela-la-commune-luisa-caceres/