Après le « pouvoir-sur », le « pouvoir-pour » des femmes dans la révolution vénézuélienne

Lorsque nous sommes retournés sur le chantier le 27 avril, tout s’accélérait vertigineusement. Les camions et les pelleteuses dépêchées par le gouvernement pour le dernier coup de pouce soulevaient des trombes de poussière. Tout autour, comme depuis des années, le concert des marteaux, des foreuses, des appels au loin, des rires de femmes.

Ici, en 2011, des habitantes de l’immense quartier populaire d’Antimano, lasses de vivre dans des logements précaires, ont occupé un terrain sous-utilisé – une décharge privée de ferraille -, et ont fait valoir leur droit au logement, légalisé par la révolution. Treize ans de lutte. Elles se sont formées elles-mêmes comme militantes, architectes, gestionnaires, ingénieures, travailleuses intégrales de la construction, formatrices en droits des femmes. Rien n’a pu les arrêter : ni les moqueries, ni les préjugés machistes, ni les divisions internes, ni les départs, ni le blocus occidental qui a interrompu les livraisons de ciment, de fer ou de sable, ni la stagnation du Covid, ni la bureaucratie, ni la fatigue, ni les plaies aux mains, ni les épreuves de santé, ni les cheveux blancs. Au bout, il y a leur victoire : 48 appartements spacieux et confortables pour leurs familles. En plus des matériaux de construction, le gouvernement révolutionnaire a fourni le mobilier, des cuisinières, des lits, le parc de jeux pour les enfants, un potager hydroponique et bien d’autres choses. Les femmes d’Antimano ont veillé à tout : à l’entrée du terrain, un poste de surveillance où elles se relaient munies de transistors, et l’épicerie à bas prix, au pied de l’immeuble : « Le but est que nous contribuions toutes à l’approvisionnement. » La victoire va au-delà. Tout au long de leur lutte, les femmes se sont émancipées. Au « pouvoir sur », elles ont substitué avec patience un « pouvoir pour ».

Depuis quelques années, l’équipe de notre télévision populaire – Terra TV – suit ce processus du féminisme populaire, l’image la plus exacte de la révolution bolivarienne, invisibilisée par les grands médias (1). Faire une image révolutionnaire, c’est transmettre des expériences de peuple à peuple, susciter la discussion et l’action, tirer et partager les leçons d’un processus, plutôt que de célébrer un produit.

« Nous avons laissé notre maquillage et pris les outils pour construire nos propres logements. J’ai tout essayé : la maçonnerie, la pose des briques, la finition des murs, mais finalement, je me suis concentrée sur le revêtement de céramique » commence Yusgleidys Ruiz. « Au début, j’ignorais tout, ce métier semblait réservé aux hommes. Aujourd’hui, nous sommes toutes poseuses de barres de fer, plombières, cheffes d’entrepôts. La plupart des céramiques posées dans l’immeuble sont de ma main. Il n’y avait pas de temps pour le repos. Nous nous couchions fatiguées, le corps endolori, mais nous nous levions pleines d’énergie, avec la volonté d’aller jusqu’au bout. Je suis satisfaite à 1000% parce que nous avons prouvé qu’avec l’organisation populaire, on peut construire une société socialiste ».

« Être vendeuse de rue ou femme au foyer, ce n’est pas la même chose que d’être vendeuse de rue, femme au foyer et constructrice d’un rêve » explique Andreina San Martin: « nous avons travaillé et créé chaque appartement comme si c’était le nôtre ». « Nous avons encore beaucoup à apprendre », dit Zanet. « Une expérience inoubliable » dit Claudia Tisoy, « parce que liée à un processus de formation permanente et d’auto-formation. Nous sommes des bâtisseuses intégrales. Nous avons tout appris ici : la maçonnerie, la plomberie et l’électricité. »

Ircedia Boada : « quand nous avons occupé ce terrain, nous étions près de 750, puis le nombre s’est réduit. Certain(e)s sont parti(e)s pour des raisons de santé, d’autres pour des raisons économiques, d’autres à cause des effets du blocus occidental, beaucoup ont renoncé par manque de confiance dans le projet, par manque de confiance en eux-mêmes, on cherchait à nous faire croire que le Venezuela était fini, que nous rendre au rêve américain était la seule issue. Mais nous avons continué la lutte. Parmi les quarante-huit chefs de familles qui composent cette communauté, 34 sont des femmes, pour la plupart restées célibataires, mères de familles. Plus d’une s’est coupé un doigt, s’est abîmé la main ou une autre partie du corps, mais nous avons tenu bon, nous sommes fières de notre victoire. »

Pour Ayary Rojas, «nous étions comme une chenille méprisée par beaucoup, mais nous avons réussi à devenir papillon, à déployer nos ailes. Sans les femmes, il n’y aurait pas eu d’indépendance au Venezuela. Nous avons joué un rôle fondamental. Nous sommes à la mesure du défi qui s’offre à nous, Chávez nous a donné cette énergie en s’autoproclamant « féministe parce que socialiste ». Notre immeuble a ce visage de femme. Nous avons pris soin de tout : chaque brique, chaque clou, chaque espace, et nous sommes reconnaissantes pour l’appui donné par le gouvernement. »

Ursulina Guaramato n’avait jamais pensé travailler sur ce chantier jusqu’au jour où son mari est décédé. Elle a ouvert sa boîte à outils. Elle en a sorti une tenaille, en a fait son outil principal pour ajuster les barres de fer qui ont servi de squelette à tout l’immeuble. « Les hommes nous voyaient comme le sexe faible, nous sommes montées à leur niveau, nous les avons dépassés. Les femmes au pouvoir ! »

Le jour venu, le 30 avril 2024, la mairesse de Caracas, Carmen Melendez, et la vice-présidente de la république, Delcy Rodriguez, entourées des créatrices, inaugurent l’immeuble qui porte le nom du père de Delcy : Jorge Rodriguez, opposant politique torturé et assassiné sous la « démocratie » d’avant la révolution bolivarienne. Lorsque la télévision publique les met en lien avec Nicolas Maduro qui, à quelques kilomètres de là, remet à une famille populaire les clefs de l’appartement numéro 4.900.000 de la « Grande Mission Logement Venezuela», le président dit son admiration : « Je sais tout ce que vous avez enduré, tous les efforts que vous avez déployés, les problèmes que vous avez vécus avec le matériel qui parfois n’arrivait pas, avec la bureaucratie, comment vous avez construit cet immeuble, colonne par colonne, étage par étage, je sais tout cela. Comme Claudia l’a demandé en votre nom, je vous exonère de tout paiement, et nous allons vous remettre immédiatement les documents de propriété, à chacune des familles, vous le méritez. Bientôt nous nous rencontrerons là-bas, chez vous, je voudrais que vous m’invitiez à une soupe collective, Delcy, vois avec elles pour trouver un moment dans l’agenda ». Et de se tourner vers son Ministre du Logement « tu vois, un des avantages de donner du pouvoir aux organisations populaires pour qu’elles construisent elles-mêmes leurs logements ? la gestion est meilleure, le matériel économisé permet de construire plus de logements. »

Les femmes d’Antimano n’ont dormi que quelques heures. Elles vont, sur le même terrain, commencer la construction d’une deuxième tour pour 48 autres familles, qu’elles comptent achever en un an.

Thierry Deronne, Caracas, le 8 mai 2024

Le reportage de Terra TV :

Note :

(1) Le documentaire « Nostalgiques du futur » raconte cette longue marche du féminisme populaire au Venezuela : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/11/27/nostalgiques-du-futur-par-maurice-lemoine-a-propos-dun-film-sur-le-venezuela/

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/05/09/apres-le-pouvoir-sur-le-pouvoir-pour-des-femmes-dans-la-revolution-venezuelienne/

Semences de souveraineté

« La semence est comme une bénédiction, on ne peut la refuser à personne« .
Bernabé Torres (Vallée de Gavidia, État de Mérida).

À 3500 mètres au-dessus du niveau de la mer, au-dessus de la vallée silencieuse de Mucuchíes, dans l’État de Mérida, se trouve un endroit très réel, qui semble imaginé. Un lieu aussi extraordinaire que les montagnes, la terre, la végétation et les paysages andins. Dans ce lieu, discrètement et minutieusement, on réinvente la souveraineté alimentaire du Venezuela. Il s’agit du Centre biotechnologique pour la formation à la production de semences Agamiques (Cebisa), dirigé par des paysan(ne)s dans le cadre de la coopération scientifique/paysanne du Ministère de la science, de la technologie et de l’innovation.

Le centre est géré par Proimpa, Productores Integrales del Páramo, une association libre de paysan(ne)s, de producteur(trice)s locaux et de travailleur(se)s de Mérida. Cette association a été fondée en 1999, motivée par l’idée d’Hugo Chávez de travailler à la souveraineté alimentaire. Elle travaille aujourd’hui en étroite collaboration avec des scientifiques de différentes institutions, telles que l’Institut vénézuélien de recherche scientifique (IVIC), l’Institut d’études avancées (IDEA) et l’Institut national de recherche agricole (INIA).

Dans ce petit bâtiment de trois étages, au bord d’une colline, auquel on accède par une route très escarpée, la recherche en laboratoire s’allie à la production sur le terrain, pour créer et reproduire des variétés de semences. Dans un laboratoire soigné, dans des conditions techniques strictes, la biotechnologie permet de produire des plantes conservant leur identité génétique. Des clones, dont naîtront des semences asexuées (agamiques) pour la pomme de terre, l’ail, la fraise, l’igname, la patate douce et d’autres cultures. C’est ici qu’a été initiée, par exemple, la production des semences de pommes de terre autochtones, qui a permis de substituer l’importation. Elle sont aujourd’hui distribuées à des producteurs dans tout le Venezuela.

Ces procédés, dont on pensait jusqu’à récemment qu’ils n’étaient réalisables que dans des laboratoires extérieurs ou dans de grandes entreprises transnationales, sont aujourd’hui pratiqués dans ce petit espace géré principalement par des paysannes, par de jeunes travailleurs et des scientifiques qui ont étudié dans les lycées des montagnes de Mucuchíes et qui sont aujourd’hui des spécialistes des techniques de reproduction génétique, au plus haut niveau. Une science appliquée au droit à l’alimentation. « Une science pour la vie et non pour le marché » comme la définit la vice-présidente des sciences, Gabriela Jiménez.

À Cebisa, nous sommes accueillis par Edith, Moralva, Ingrid, Lalo et Jesús. Une activité intense se déroule dans les laboratoires dont le produit – les plantes génétiquement produites de 80 variétés de pommes de terre et d’autres cultures – ira à un réseau de 12 pépinières pour générer la production de semences qui, à leur tour, iront dans les champs et les cultures de diverses régions du pays.

La plupart des personnes travaillant au Cebisa sont des femmes. Elles parlent avec passion. « Nous unissons les connaissances ancestrales et les connaissances scientifiques pour produire une souveraineté technologique et alimentaire. » Ce sont elles qui dirigent le laboratoire et veillent à la rigueur des procédures scientifiques. Dans les pépinières, les tâches sont réparties pour assurer l’achèvement du cycle, l’évaluation du rendement, des caractéristiques et de la production finale des semences.

Dans la plus moderne de leurs installations, la pépinière aéroponique, les semences sont produites « dans l’air ». Les plants produits en laboratoire ne sont pas enterrés, mais poussent suspendus tout en étant alimentés par le haut grâce à un ingénieux système de micro-tubulures.

Mais l’organisation paysanne va bien au-delà de la production de semences. Plus haut, à Apartaderos, l’Entreprise socialiste de production et de stockage « Hugo Chávez », une entité sociale gérée par les communes (autogouvernements populaires), permet de collecter des pommes de terre et des semences à travers un circuit qui relie les producteurs locaux aux institutions publiques et au marché, en éliminant les coûts des intermédiaires et en faisant baisser les prix. De là, par exemple, plus de 100.000 kilos de pommes de terre sont distribués mensuellement – avec paiement immédiat au producteur et à un prix équitable – par les programmes du ministère de l’alimentation, dans les foires agricoles souveraines et les cantines scolaires. L’alliance entre les connaissances scientifiques et les savoirs ancestraux a permis de remettre la science entre les mains des paysans. Aujourd’hui, les pommes de terre sont produites à basse altitude, ce qui ne serait jamais arrivé si les semences indigènes, paysannes et souveraines n’avaient pas été sauvées.

Dans différentes régions du pays, plus de cinq mille familles utilisent la biotechnologie et s’intègrent à cette innovation qui ouvre peu à peu la voie à une nouvelle économie. Avant la révolution bolivarienne, l’agrobusiness s’était développé au Venezuela à travers l’appropriation de la rente pétrolière et des biens publics par une oligarchie liée aux États-Unis. Le président Chávez a commencé par interdire l’importation de semences OGM. Quelques années plus tard le mouvement social et les députés chavistes ont promulgué la Loi des Semences (2015). En 2024, cette politique d’État se renforce, comme à Mérida, avec la participation directe des organisations populaires, sur le territoire lui-même.

William Castillo Bollé

Photo : la vice-présidente des sciences, de la technologie, de l’éducation et de la santé, Gabriela Jiménez Ramírez, lors d’une livraison de semences de sept variétés de maïs, pour la culture de 30.000 hectares au cours du cycle de plantation 2024.

Source : https://medium.com/@planwac/semillas-de-soberan%C3%ADa-0e6bece6fd12

Traduction de l’espagnol : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/12/semences-de-souverainete/

« Faire du neuf avec du vieux » : Lana, jeune communarde dans la révolution au Venezuela

Lana Vielma, organisatrice et formatrice communarde de 21 ans, engagée dans la commune d’El Maizal à l’âge de 15 ans (Venezuelanalysis).

Lana Vielma est une jeune organisatrice de la commune phare d’El Maizal, à la frontière des États de Lara et de Portuguesa, au Venezuela. Fille d’un enseignante de la ville voisine de La Miel, Lana Vielma a commencé à s’engager et à travailler à l’organisation communarde à l’âge de 15 ans. Aujourd’hui, six ans plus tard, elle est directrice de la communication de la municipalité « communarde » de Simón Planas, qui comprend El Maizal et 12 autres communes. Au-delà de son rôle officiel, Vielma est également artiste et cinéaste.

À 21 ans, tu as déjà travaillé pendant six ans dans la commune d’El Maizal. Pourrais-tu nous raconter comment tu t’es engagée et ce qui t’a attirée dans cette commune ?

Sans la commune, je me serais enfermée chez moi et j’aurais été de plus en plus frustrée par la société… Je pense que je serais même en colère ! Les défis du monde sont nombreux, et plus encore pour ma génération, qui aspire à la liberté mais se heurte à tant d’injustices systémiques. En fait la commune m’a touché comme une baguette magique. Elle m’a offert une nouvelle vision du monde et m’a donné un but dans la vie – et cela n’est rien de moins que de la magie. Dans la commune, nous apprenons les uns des autres et nous résolvons les problèmes collectivement ; nous nous soutenons les uns les autres parce que nous avons une vision commune du monde. En bref, nous créons un espace dans la commune qui place l’être humain au centre.

En tant que jeune femme, la commune est devenue ma bouée de sauvetage et m’a changée à jamais. L’attrait des avantages tape-à-l’œil, mais le plus souvent inaccessibles, que le capitalisme propose aux jeunes n’est pas vraiment le moyen d’une vie épanouie. C’est pourquoi la jeunesse communarde est si importante : la commune est le moyen pour les jeunes d’avoir une existence significative et, en même temps, la commune a besoin d’eux.

Peux-tu nous en dire plus sur cette initiative d’une jeunesse communarde ?

Bien que nous vivions dans un territoire qui abrite la puissante commune d’El Maizal et que les gens l’admirent, l' »aimant » des médias sociaux projette le bonheur comme exclusivement basé sur la possession de certaines choses matérielles et ne laisse pas de place à la communauté. Tout en reconnaissant la nécessité de répondre aux besoins matériels, nous croyons fermement que les dimensions spirituelle et politique de la vie doivent être réintégrées dans la vie de nos jeunes.

La toxicomanie aussi est un problème pour certains jeunes de Simón Planas, ce qui contribue souvent aux problèmes familiaux et à la criminalité. On peut être surpris d’entendre cela et penser que dans un contexte rural, la consommation de drogue n’est pas un problème, mais c’est le cas. D’où l’importance de notre commune comme modèle d’attraction et qui réponde aux besoins de tous, en particulier des jeunes.

Le projet de la jeunesse communarde découle de la nécessité de rapprocher les jeunes générations du projet communal. La commune est un rendez-vous collectif pour l’éducation politique, l’activité culturelle et le débat. Commune d’El Maizal. (@ComunaElMaizal)

Tu joues un double rôle en tant que communarde et comme membre du gouvernement local (la marie). Comment navigues-tu sur ce double terrain ?

C’est complexe. Bien que la commune soit notre objectif stratégique, nous pensons que la construction de communes populaires nécessite une approche créatrice. Notre compagnon communard Ángel [Prado] est devenu maire de Simón Planas avec un objectif : renforcer les communes. Mais comment y parvenir ? En tant que communard, il doit démontrer que son administration est non seulement efficace, mais aussi centrée sur le bien-être quotidien de la population, tout en promouvant l’organisation communarde.

Cependant, les défis sont nombreux. Le vieux système bureaucratique est conçu pour se reproduire tout en négligeant souvent les besoins réels des gens. Pour nous, entrer dans le gouvernement local signifiait perturber son inertie, une tâche qui s’est avérée très difficile. Cependant, nous avons pris des mesures en faveur de ce que nous appelons le « gouvernement communal », qui encourage la participation directe des citoyens aux processus de prise de décision. Petit à petit, nous transformons les institutions et nous avons pu résoudre de nombreux problèmes, qui vont de l’accès à l’eau aux soins de santé. Cependant, les institutions ne sont pas des fins en soi, mais des moyens pour parvenir à des fins. Nous avons encore de nombreux défis à relever, qu’il s’agisse de la logique bureaucratique persistante ou de nos propres limites, mais nous poursuivons le projet de Chávez (la commune) et sa méthode (travailler avec les gens). Nous espérons continuer à ouvrir des chemins communaux où que nous soyons.

La commune d’El Maizal se trouve dans la municipalité de Simón Planas, état de Lara, à l’Ouest du Venezuela.

La commune populaire d’el Maizal est actuellement en plein processus de transformation, pour augmenter la production agricole et pour améliorer les conditions de vie des personnes qui y travaillent. Comment envisages-tu l’avenir de la commune et quels sont les moyens d’y parvenir ?

Créer les conditions réelles et tangibles d’une société prospère signifie créer les conditions économiques pour soutenir la vie quotidienne des communards, tout en projetant une lumière vers l’avenir. Maintenant, vous vous demandez peut-être si c’est vraiment possible ? Oui, nous le croyons ! L’humanité a besoin d’une alternative qui lui apporte la dignité et la paix, mais la transition doit se faire avec un certain confort, voire une touche de magnificence… Sur le plan matériel, cela signifie que les gens doivent disposer de bonnes conditions pour travailler, étudier et profiter de leurs loisirs.

Parallèlement, nous devons favoriser l’engagement politique aux niveaux local, régional, national et même mondial, ce que nous savons faire le mieux. Mais pour bien faire, nous devons disposer d’arguments tangibles et d’expériences concrètes ; nous devons être en mesure de prouver que notre projet fonctionne tant sur le plan politique qu’économique ; nous devons devenir un exemple convaincant que d’autres pourront suivre.

Tu as utilisé la métaphore de la reconstruction d’une maison pour parler de l’avenir de la commune d’El Maizal. Peux-tu développer cette idée ?

C’est une idée philosophique qui m’est chère. Si nous vivons dans une maison mais que nous voulons l’améliorer, nous ne pouvons pas la démolir et la laisser aux intempéries pendant que nous en construisons une nouvelle. Ce serait une mauvaise idée. Notre logement actuel, qu’on le veuille ou non, est capitaliste. Dans ces conditions, nous devrons construire la nouvelle maison de l’intérieur et autour de l’ancienne… jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de l’ancienne maison ! Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Nous devons construire le nouveau modèle progressivement, en forgeant une alternative réellement viable, tout en restant connectés – pour l’instant – au système existant. Ensuite, une fois le nouveau système consolidé, nous démolirons l’ancien. Concrètement, qu’est-ce que cela implique ? Ici, à Simón Planas, c’est un dirigeant communal [Ángel Prado] qui est à la tête de l’administration locale. Dans ces conditions, nous pourrions être tentés de nous concentrer uniquement sur la politique locale, en organisant une administration efficace à partir du bureau du maire. Cependant, cela ne répondrait pas à nos aspirations ; cela reviendrait à « améliorer » la vieille structure capitaliste sous une nouvelle peinture.

Notre idée va bien au-delà de la création d’un groupe de hauts administrateurs associés à la mairie et à la commune qui améliorent progressivement les conditions de vie à Simón Planas. Pour consolider l’hégémonie de la commune, notre projet doit présenter une alternative substantielle, englobant à la fois des dimensions politiques et économiques qui attireront et convaincront réellement les gens. En ce qui concerne la commune d’El Maizal, nous explorons activement de nouvelles approches pour organiser la production de manière à satisfaire les besoins des habitants qui consacrent leur vie, jour après jour, au projet. Le double objectif est clair : offrir une bonne vie aux habitants tout en améliorant la viabilité de notre modèle.

Nous savons qu’il s’agit d’un travail en cours, mais comment envisagez-vous les changements dans l’économie d’El Maizal ?

La commercialisation a toujours été un goulot d’étranglement pour nous, nous devons donc mieux planifier. Nous devons trouver des mécanismes pour que notre production atteigne le marché sans les obstacles dressés par les intermédiaires capitalistes. Ce n’est pas facile, mais c’est indispensable.

Nous pourrions créer une nouvelle EPS de commercialisation [entreprise de production sociale liée à la commune], et il est possible que nous puissions construire un réseau de distribution et de commercialisation avec l’Union Communarde ou en contact avec les Circuits Économiques du Ministère des Communes. Cependant, une chose est évidente : nous devons mieux planifier et rompre la dépendance à l’égard des intermédiaires privés. En outre, comme je l’ai déjà dit, nous pensons que le nouveau modèle économique doit créer les conditions pour que les communards les plus engagés puissent participer plus directement… Toutes ces considérations sont cruciales pour la construction d’une nouvelle hégémonie communale. Si la commune ne produit pas de bénéfices économiques tangibles, quelque chose doit changer. L’échec n’est pas une option pour nous !

Photos : ateliers réalisés en 2023 par l’École de Communication des Mouvements Sociaux « Hugo Chávez » (projet qu’on peut soutenir ici). L’École a aidé la commune d’El Maizal à créer sa propre école, baptisée « Yordanis Rodriguez El Pealo ».

Dans tout cela, la communication est également importante. Peux-tu nous parler de votre travail de reportage et de production de contenu sur la commune d’El Maizal et le gouvernement municipal de Simón Planas ?

Dans la commune d’El Maizal, nous sommes politiquement solides : les habitants de Simón Planas admirent Ángel Prado et la commune d’El Maizal. Néanmoins, il est essentiel de reconnaître que tout le monde ne perçoit pas la commune comme la solution ultime ou comme une alternative viable. Notre capacité à communiquer s’est accrue au fil des ans et nous pouvons aujourd’hui documenter toutes les assemblées qui se tiennent sur le territoire de Simón Planas. Nous sommes également en mesure de faire savoir que, depuis la mairie, nous faisons beaucoup de choses, qu’il s’agisse de réparer l’éclairage public et les routes, de répondre aux préoccupations sanitaires et aux problèmes d’eau, de construire des maisons ou de promouvoir des événements sportifs et culturels. Cependant, si ces efforts nous donnent un cachet politique, ils ne sont pas à la hauteur du projet communal, car ils ne transforment pas la société dans son ensemble.

C’est pourquoi nous avons inauguré il y a trois ans l’école de communication Yordanis Rodríguez « El Pelao » d’El Maizal. Notre objectif est de connecter les jeunes aux processus organisationnels et de leur donner les moyens de faire en sorte que la communication ne soit plus l’apanage des journalistes qui privilégieront toujours les contenus qui méritent d’être cliqués. Il est impératif de souligner l’importance de l’organisation communautaire, qui doit être racontée par ses acteurs. Et dans ce projet, le rôle des jeunes est essentiel.

Interview: Cira Pascual Marquina / Chris Gilbert (Venezuenalysis)

Source : https://venezuelanalysis.com/interviews/building-the-new-with-the-old-still-standing-a-conversation-with-lana-vielma/

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/02/29/faire-du-neuf-avec-du-vieux-lana-jeune-communarde-dans-la-revolution-au-venezuela/

Le Venezuela donne un coup d’accélérateur aux autogouvernements populaires.

La révolution bolivarienne est une machine à démocratiser en profondeur le champ politique, notamment par la mise en place de différents types d’autogouvernements populaires, la plupart du temps sous la forme de communes mais aussi sous d’autres formes d’organisation. Ce mouvement puise ses racines dans l’histoire populaire de résistance au colonialisme et notamment dans la création de cumbes afro-descendants par des ex-esclavisé(e)s fugitif(ve)s, ancêtres d’une grande partie des communes actuelles. Il faut y ajouter les racines du « bien commun » indigène et, bien sûr, la révolution bolivarienne initiée par Hugo Chávez qui a synthétisé ces racines avec le marxisme et la pensée du « gouvernement territorial » (« toparquia« ) de Simon Rodríguez, le tuteur de Simón Bolívar.

Il y a dans ce mouvement une forte vitalité. Cependant ce n’est encore qu’une minorité de la population qui vit dans ces territoires organisés. Il faut beaucoup travailler pour transformer « l’esprit de la commune » (Hugo Chávez) en « sens commun » dans un pays où l’économie privée et les médias commerciaux occupent encore une place dominante : « Il ne faut pas continuer à ouvrir des usines qui sont comme une île entourée par la mer du capitalisme, car la mer les engloutit. Il faut  » implanter l’esprit socialiste tout au long de la chaîne, depuis le travail de la terre jusqu’au système de distribution et de consommation. » (Hugo Chavez, 2012). C’est pourquoi, ces dernières années, les communes les plus avancées ont envoyé des brigades de l’Union Communarde (« Union Comunera« ) dans tout le pays pour rencontrer d’autres groupes en train de s’organiser, encourager les initiatives naissantes et les sortir de leur isolement. Cette aventure démocratique est racontée dans notre documentaire « Nostalgiques du futur » (1). Un des objectifs est de dépasser le capitalisme en créant des circuits économiques intégraux, du producteur au consommateur, autour de produits tels que le café, le cacao, le poisson, etc… Des « routes communales » pour garantir un commerce équitable et direct, sans intermédiaires.

Photo : réunion de travail dans la commune populaire « Cinco Fortalezas » (Cumanacoa, état de Sucre). « Dans le temps et l’espace communal, la part la plus atomisée de l’être humain se brise et commence le moment de l’unité. Ce passage du moi individuel au moi collectif est atteint à partir de toutes les luttes quotidiennes que nous, communardes et communards, vivons au jour le jour pour satisfaire nos besoins. » dit Nacho, membre de la Commune Che Guevara.

Ce 20 octobre 2023 on commémorait au Venezuela les onze ans du « changement de cap », une réunion télévisée de 2012, passée à la postérité, où le président Hugo Chávez avait sévèrement critiqué ses ministres pour leur mollesse dans l’appui à la construction de cette démocratie directe parallèle à la démocratie représentative, et lancé son célèbre « la commune ou rien !« 

Onze ans plus tard donc, Nicolas Maduro et ses ministres ont rencontré les communes – autogouvernements populaires -, lors d’un vaste meeting à Caracas pour dresser la liste des avancées, des problèmes et des propositions des milliers de communard(e)s venu(e)s de tout le Venezuela.

Le président a d’abord demandé au gouvernement d’acheter la production communarde en priorité : « le Conseil des vice-présidents disposera de 72 heures pour établir un mécanisme efficace permettant d’intégrer la production des communes dans le programme national de marchés publics. Il y a des problèmes à résoudre et nous devons les résoudre sur la base des propositions qui viennent de la base, du peuple organisé » a souligné le chef de l’État, qui a par ailleurs ordonné de reprendre l’autoconstruction comme méthode pour faire avancer la Grande Mission Sociale « Logement Venezuela » (2) : « Cette mission doit être planifiée non pas depuis le ministère, mais depuis le territoire avec le peuple organisé. Le projet du pouvoir populaire est vital si nous voulons avancer dans la construction d’une nouvelle société« .

Autres mesures annoncées par le président bolivarien pour soutenir les autogouvernements populaires :

– Transfert de 15 entreprises industrielles au pouvoir populaire.

– Transfert immédiat de 48 locaux de Mercal et PDVAL (magasins d’aliments subventionnés par l’État), qui seront réactivés dans le cadre de la création de la Corporation nationale labellisée « Produit par les Communes ».

– Approbation de 348 millions 665.020 bolivars pour la promotion de 43 circuits économiques communaux (circuits économiques intégraux, du producteur au consommateur, autour de produits tels que le café, le cacao, le poisson, etc… pour garantir un commerce équitable et direct, sans intermédiaires.).

– 130 projets présentés par les communard(e)s liés à l’électricité, l’eau, la santé, l’environnement, le gaz et le logement seront financés.

« A mesure que nous récupérerons le revenu national avec la levée partielle des sanctions par les États-Unis, toute rentrée d’argent dans les caisses de l’État ira directement aux circuits économiques communaux, à ceux qui existent et à ceux que nous allons créer » a expliqué Maduro, qui a enfin demandé aux ministres qu’ils lient directement leurs agendas de travail aux besoins du pouvoir populaire : « Vos agendas de travail doivent prendre en compte prioritairement les plans des communes« . Et de conclure : « La grande contribution du président Chávez à la théorie mondiale du socialisme en tant que courant de changement pour la justice et l’égalité est le socialisme construit au plan territorial, communal, dans les quartiers populaires, dans les communautés populaires. Difficile à construire ? Oui, mais essentiel et nécessaire. Il faut un maximum de pouvoir au peuple !« 

Thierry Deronne, Caracas, le 20 octobre 2023.

Notes :

(1) on peut voir ce documentaire en ligne : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/06/08/nostalgiques-du-futur-en-ligne-les-mutins-de-pangee/

(2) Ce vaste programme gouvernemental créé par Hugo Chávez en 2012 vise pour 2025 l’objectif de 5 millions de logements bon marché remis au familles populaires.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/10/21/le-venezuela-donne-un-coup-daccelerateur-aux-autogouvernements-populaires/

Révolution dans la révolution au Venezuela : le peuple organise la souveraineté alimentaire

Pueblo a Pueblo (De peuple à peuple) est une organisation populaire de production, distribution et consommation d’aliments, qui met en relation les producteurs agricoles et les citadins. Ce faisant, le projet rompt avec le despotisme du marché capitaliste. Dans les parties I, II et III de cet article en quatre parties de la série Communal Resistance, les porte-parole de Pueblo a Pueblo parlent de la méthode et de l’histoire de leur organisation et de la transition vers un modèle souverain et agroécologique. Dans cette dernière partie de la série, nous découvrons l’effort de l’organisation pour distribuer des aliments dans les écoles et ses liens avec la Commune de Chávez et Bolívar.

Photos : Antonio Bracamonte est producteur à Carache et porte-parole de la Commune Chávez et Bolívar | Carmen Marquina est productrice à Carache et porte-parole de la Commune Chávez et Bolívar | Gabriel Gil est membre de l’équipe de coordination de Pueblo a Pueblo | Italo Román est producteur à Carache | Laura Lorenzo est coordinatrice nationale de Pueblo a Pueblo (Voces Urgentes)

Des fruits et légumes pour les écoles

Après une rencontre en 2021 avec le président Maduro, Pueblo a Pueblo est devenu une source de repas frais pour les écoles vénézuéliennes.

Laura Lorenzo : En ce moment même, nous distribuons de la nourriture à près de 300 écoles, leur fournissant ainsi les produits dont elles ont besoin pour préparer des repas équilibrés pour quelque 100 000 enfants. C’est particulièrement important à un moment où le blocus occidental a affecté la nutrition des enfants. Pueblo a Pueblo le fait sans intermédiaire et offre un accompagnement sur place pour diversifier et équilibrer les repas scolaires.

Notre initiative de distribution de nourriture dans les écoles fonctionne actuellement dans sept États [Caracas, Miranda, Lara, Anzoategui, Trujillo, Barinas et Portuguesa]. Bien qu’elle soit gérée en collaboration avec le programme d’alimentation scolaire du gouvernement [connu sous le nom de PAE], notre travail dans ce domaine obéit au principe de base de Pueblo a Pueblo : travailler avec des communautés organisées à la fois sur la production et la consommation d’aliments.
Lorsque nous commençons à travailler avec une nouvelle école, nous ne nous contentons pas de livrer des produits. Nous rencontrons également la communauté, nous l’impliquons dans le processus et nous travaillons avec ceux qui cuisinent, afin que les repas soient équilibrés et sains. Enfin, nous contribuons à la mise en place d’un réseau de livraison de fruits et légumes provenant de producteurs locaux, encourageant ainsi la consommation de produits locaux.

DÉBUTS ET DÉVELOPPEMENT

Laura Lorenzo : La distribution de produits dans les écoles remonte aux débuts de Pueblo a Pueblo. Nous l’avons d’abord fait ici, à Carache [État de Trujillo]. Nous avons commencé par l’école Mesa Arriba et, vers 2017, nous avons étendu notre action à 46 écoles dans le cadre d’un accord avec la Corporation nationale d’alimentation scolaire (CNAE). En d’autres termes, nous avons approvisionné les 35 écoles de Carache plus 11 à Caracas, y compris les écoles des barrios 23 de Enero et San Agustín.

En août 2021, après la publication d’un article sur Pueblo a Pueblo, le président Maduro nous a convoqués à une réunion. Il nous a demandé de fournir de la nourriture à 600 écoles. Plus important encore, le président a demandé que la méthodologie de Pueblo a Pueblo soit « copiée » dans les initiatives de distribution de nourriture promues par le gouvernement. La nouvelle phase a débuté en novembre 2021, après avoir surmonté de nombreux obstacles administratifs et bureaucratiques. En effet, le ministère de l’Alimentation, qui est chargé de la passation des contrats avec les « fournisseurs », ne passe pas de contrat avec des entreprises communales ou d’autres entités non privées.

La demande initiale du Président Maduro était de faire appel à Pueblo a Pueblo pour distribuer 600 tonnes de produits aux écoles. Cependant, la première « commande » du ministère de l’alimentation était inférieure à 300 tonnes, et nous en sommes actuellement à 100 tonnes de produits pour 100 000 enfants. Néanmoins, nous avons la capacité de distribuer 600 tonnes et nous sommes sûrs que nous finirons par distribuer cette quantité. Notre travail avec les écoles permet non seulement de fournir des aliments sains aux enfants tout en bénéficiant aux producteurs, mais il contribue également à renforcer les organisations de base autour des centres éducatifs.

Gabriel Gil : Notre travail dans les écoles n’a pas été facile parce qu’il y a beaucoup d’obstacles bureaucratiques. En outre, une poignée de conglomérats alimentaires contrôle la majeure partie de la distribution des aliments dans les 22 000 écoles réparties sur le territoire national. Quoi qu’il en soit, il en a toujours été ainsi : le mouvement populaire doit se faire de la place pour que les alternatives de base puissent se développer.

Photo : distribution de nourriture à l’école Pueblo a Pueblo (Voces Urgentes)

La commune « Chávez et Bolívar

Située sur les pentes de Carache, dans l’État de Trujillo, siège de De Pueblo a Pueblo, cette commune (autogouvernement populaire) dispose d’un réseau de champs productifs et, surtout, regroupe 788 familles paysannes.

Antonio Bracamonte : La commune est l’héritage le plus important de Chávez, car elle nous rassemble et ravive l’esprit de communauté, de coopération et de solidarité que le capitalisme arrache aux travailleurs. Lorsque le Comandante a commencé à parler de communes, Chávez et Bolívar a été l’une des premières communes à s’organiser, bien que notre enregistrement « formel » ait eu lieu plus tard, en 2013. Bien sûr, la construction d’une commune n’est pas toujours un processus linéaire. Nous avons connu des avancées et des reculs au fil des ans. Plus récemment, en 2019, nous avons reçu un camion du gouvernement, ce qui est fondamental pour acheminer les récoltes hors de la vallée. Cependant, la commune a perdu le contrôle direct du véhicule : un « mauvais acteur » institutionnel a conspiré contre nous. Aujourd’hui, nous travaillons d’arrache-pied pour récupérer le camion, et tout ce problème sera bientôt résolu. La justice l’emportera !
Italo Román : Hugo Chávez et Simón Bolívar ont fait de grands pas vers la souveraineté, et c’est pourquoi notre commune porte leur nom. Pour moi, la commune est la forme la plus élevée de gouvernement, car c’est là que nous, le peuple, décidons de ce qui doit être fait et de la manière de le faire. Dans une commune, c’est la communauté organisée – et non les patrons, les maires ou les gouverneurs – qui est aux commandes et qui fixe les règles du jeu. De plus, notre expérience montre que les communes sont de bons mécanismes pour résoudre les problèmes plus efficacement. Il y a quelque temps, nous avons obtenu des fonds pour réparer la route de Caingó. En nous appuyant sur l’autogestion et l’autoconstruction, nous avons pu réparer deux fois plus de route que prévu. À peu près au même moment, nous avons obtenu des ressources pour construire deux maisons pour des familles vulnérables, et nous avons pu étendre les fonds et en construire quatre à la place. La commune a été bonne pour nous et nous sommes bons pour la commune !

Carmen Marquina : Je suis l’une des fondatrices de la commune et je me souviens que les premières années ont été à la fois difficiles et merveilleuses. Nous étions habitués à prendre des décisions en assemblée, mais il n’était pas facile de s’y retrouver dans les procédures administratives. Avec le temps, nous avons appris les tenants et les aboutissants de ces processus et, entre autres, notre conseil communal a obtenu un tracteur, qui est un moyen de production important pour la communauté. Mais le plus difficile, c’est de garder les gens motivés. Au début, certains ne voulaient pas s’engager dans la commune, mais cela a fini par changer… et puis, lorsque le blocus est venu nous frapper, la commune a ralenti, pour repartir de plus belle ces derniers mois. A la Commune Chávez et Bolívar, quand nous trébuchons, nous nous relevons et nous allons de l’avant !

Antonio Bracamonte : Nous avons récemment procédé à des élections pour choisir les nouveaux porte-parole des conseils communaux.Nous sommes en règle avec la loi [rires]. Le processus n’a pas été facile car la perte du camion a été un coup moral pour la commune, mais nous avons tiré des leçons et je ne doute pas que nous nous relèverons et que nous irons de l’avant à nouveau.

CIRCUIT ÉCONOMIQUE COMMUNAL

Antonio Bracamonte : Les « circuits économiques communaux » sont une initiative relativement récente [2022] du ministère des communes qui encourage la production de biens spécifiques – des produits frais au café et à la farine de maïs – dans les territoires communaux.

Carache est une région très productive. Aujourd’hui, bien que nous fonctionnions à 50 % de notre capacité de production [en raison du blocus occidental], environ 40 tonnes de produits frais quittent notre commune chaque mois. Une partie est destinée au marché par l’intermédiaire de Cecosesola [un réseau de coopératives] ; une autre partie est destinée aux écoles et aux ménages populaires par l’intermédiaire de Pueblo a Pueblo ; le reste est vendu à des intermédiaires. Le circuit est un mécanisme supplémentaire pour promouvoir la production, tout en veillant à ce qu’une partie du surplus revienne à la commune. Lors de nos réunions avec les représentants du ministère, nous avons déterminé que nous pouvions produire 27 cultures stratégiques – des tomates aux oignons et tout ce qui se trouve entre les deux – sur notre territoire. Cependant, nous avons besoin de ressources pour y parvenir, en particulier de semences et d’intrants. Jusqu’à présent, nous avons reçu un petit crédit non remboursable et les producteurs des sept conseils communaux ont reçu une quantité modérée de semences. Cela nous aidera à augmenter la production, bien que lentement.

Le circuit communal ouvrira également de nouvelles voies de distribution. Actuellement, la commune, en tant qu’entité, ne peut pas vendre légalement sa production, car des obstacles administratifs et bureaucratiques l’empêchent de le faire. L’objectif est d’éliminer ces obstacles et de promouvoir ainsi la distribution communale ici et dans tout le pays. L’idée du Circuit Communal est similaire à la philosophie de Pueblo a Pueblo : les deux visent à supprimer la logique du marché et à remettre l’accent sur le monde de la production. En fait, Pueblo a Pueblo fait partie de ce circuit économique. Bien sûr, le Circuit Communal est nouveau ici, et il y a des processus qui doivent être améliorés. Chaque territoire a ses particularités, ses cycles de production et ses besoins. De plus, le financement est faible et n’arrive qu’une fois par an. L’année dernière, nous avons reçu 13 000 dollars en bolivares, mais lorsque nous avons pu y accéder, la somme était tombée à 4 000 dollars en raison de la dévaluation. Nous comprenons les difficultés économiques du gouvernement et nous sommes reconnaissants pour le soutien, mais les processus doivent être rationalisés. Néanmoins, nos espoirs restent grands. Une fois que nous aurons les ressources et les infrastructures nécessaires, nous pourrons augmenter notre production, ce qui sera bénéfique pour la commune et pour le pays.

Tout comme Pueblo a Pueblo, le circuit vise à supprimer les intermédiaires.Une partie de la production ira à d’autres communes par le biais du troc, mais nous voulons aussi approvisionner les écoles et les hôpitaux. Enfin, il y a un obstacle qui découle du blocus économique des USA et de l’UE. Le gouvernement doit répondre à l’urgence suivante : il n’est pas facile d’obtenir du carburant ici. L’une de nos demandes est donc que les petits et moyens producteurs – ceux qui nourrissent réellement le pays – aient accès aux quotas de carburant. Bien entendu, cette demande va au-delà de l’initiative du circuit économique communal et du ministère des communes. Cependant, pour que notre production arrive dans les assiettes des Vénézuéliens, nous avons besoin de carburant.
Dans l’ensemble, le circuit économique communal est une initiative bienvenue. Il permettra de résoudre certains des problèmes auxquels nous sommes confrontés en tant que paysans dans un pays en état de siège, mais il encouragera également l’organisation communale.D’ailleurs, la réactivation actuelle de la Commune de Chávez et Bolívar est liée à l’initiative du Circuit.

Photo : Une assemblée du Circuit économique communal à Carache (Voces Urgentes)

Chávez et les paysans


La loi des terres d’Hugo Chávez [2001] a ouvert la voie à une réforme rurale radicale. Pour conclure cette série d’articles, les porte-parole de Pueblo a Pueblo nous parlent de l’héritage de Chávez dans le campo.
Laura Lorenzo : Chávez a rendu visibles ceux qui étaient invisibles, en particulier les paysans. Le droit à la terre était au cœur de son programme, et il l’a fait alors que tous les pouvoirs politiques et économiques au Venezuela et à l’étranger s’opposaient à une redistribution équitable des terres.

Si vous vous souvenez bien, de nombreux programmes télévisés où Chavez expliquait les politiques publiques, les rouages économiques, les relations internationales, etc…(Aló Presidente) se sont déroulés à la campagne, dans des familles de paysans qui travaillaient dur pour produire. La révolution a donné de nombreux outils aux paysans – de la terre aux semences en passant par les tracteurs et l’enseignement technique – et Chávez lui-même a éduqué les producteurs sur les questions politiques et législatives. En ce qui concerne le campagne, il n’est pas exagéré de dire que Chávez marque un avant et un après.

Antonio Bracamonte : Le « Plan de la Patrie » est notre boussole. Chávez y a tracé une feuille de route pour la souveraineté et le socialisme, et il a répondu avec beaucoup de précision aux besoins des paysans. Il est intéressant de constater que, même si plus de dix ans se sont écoulés depuis la publication du plan – et que de nombreux malheurs sont survenus, comme la mort de Chávez, la guerre économique et le blocus -, lorsqu’on prend le plan et qu’on le lit, on s’aperçoit que le modèle qu’il a développé est toujours d’actualité. Le chemin est long et l’ennemi a fait sa part pour ralentir notre révolution, mais je ne doute pas que nous réussirons tôt ou tard !

Source : enquête de Cira Pascual Marquina et Chris Gilbert publiée sur http://www.venezuelanalysis.com/interviews/15778

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/08/11/revolution-dans-la-revolution-au-venezuela-le-peuple-organise-la-souverainete-alimentaire/

(Video:) Mango de Ocoita, coeur de la révolution bolivarienne (Terra TV)

Venezuela, janvier 2023. Sur les terres de la résistance héroïque des ex-esclaves emmenés par Guillermo Ribas, le Ministère des Communes et des Mouvements Sociaux – accompagné de membres du mouvement afro-vénézuélien et du Mouvement des Sans Terre du Brésil – se réunit avec la communauté organisée de Mango de Ocoita. Objectif: écouter les critiques et les propositions pour construire un plan de travail commun, entre autres sur la production du cacao comme maillon de la nouvelle économie communale. Reportage sous-titré en français (17 min.). Prod. Terra TV, République Bolivarienne du Venezuela 2023.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/02/15/video-mango-de-ocoita-coeur-de-la-revolution-bolivarienne-terra-tv/

« Maintenant nous sommes nos propres patrons… et ça marche ! »: l’épopée d’INDORCA au Venezuela

Cruz González (2 ans à Indorca), soudeur | Eliezer Perdomo (37 ans), ajusteur mécanique | Gladys Rangel (2 ans), assistante administrative | Jesús Varela (17 ans), soudeur | José Cedeño (17 ans), coordinateur de la production et président du Conseil ouvrier | Josefa Hurtado (29 ans), Josefa Hurtado (29 ans), travailleurs de la maintenance de l'usine | Levi García (20 ans), soudeur | Orlando Pereira (21 ans), opérateur de machines | Victor Mujica (16 ans), opérateur de machines et vice-président du conseil ouvrier | Yaneth Carreño (6 ans), coordinateur administratif (photo: Voces Urgentes)

Indorca (Industrias del Orinoco) est une usine autogérée, sans patron, située à Puerto Ordaz, état de Bolívar – bassin des industries de base du Venezuela. Les travailleurs d’Indorca ont mené une lutte héroïque de trois ans pour prendre le contrôle de l’usine après que l’ancien propriétaire l’eut mise à l’arrêt. Depuis 2015, lorsque le ministère du Travail du gouvernement Maduro a prolongé le mandat donnant aux travailleurs le contrôle d’Indorca, l’entreprise est gérée démocratiquement par les femmes et les hommes qui produisent ici jour après jour.

Photo: Cruz González (2 ans à Indorca), soudeur | Eliezer Perdomo (37 ans), ajusteur mécanique | Gladys Rangel (2 ans), assistante administrative | Jesús Varela (17 ans), soudeur | José Cedeño (17 ans), coordinateur de la production et président du Conseil ouvrier | Josefa Hurtado (29 ans), Josefa Hurtado (29 ans), travailleurs de la maintenance de l’usine | Levi García (20 ans), soudeur | Orlando Pereira (21 ans), opérateur de machines | Victor Mujica (16 ans), opérateur de machines et vice-président du conseil ouvrier | Yaneth Carreño (6 ans), coordinateur administratif (photo: Voces Urgentes)

Histoire d’une lutte : comment les travailleurs occupèrent l’usine

Après un lock-out imposé par le propriétaire, les travailleurs d’Indorca ont organisé une occupation pour protéger l’usine. Ils ont dormi dans la « maloca » [auvent collectif, dressé en plein air] à l’extérieur de l’usine et ont débattu d’une manière plus démocratique de gérer les choses. Ils se sont également mobilisés pour que le gouvernement applique l’article 149 de la Loi Organique du Travail promulguée par Hugo Chávez, qui autorise les travailleurs à prendre le contrôle d’une entreprise lorsque le propriétaire sabote le processus de production.

Eliezer Perdomo : Indorca est un grand atelier métallurgique, construit pour appuyer les grandes industries de base de l’état du Guayana, de Sidor [usine d’acier appartenant à l’État] à Venalum et Alcasa [deux usines d’aluminium appartenant à l’État]. Elle a été fondée en 1976. L’ancien propriétaire était Oscar Jiménez Ayesa, un capitaliste industriel et bancaire.

José Cedeño : Vers 2010, alors que Chávez essayait de radicaliser le processus bolivarien, les premiers signes d’une guerre économique occidentale contre le peuple vénézuélien sont devenus évidents. Ici, dans l’état de Guayana, les patrons ont commencé à traîner les pieds dans de nombreuses usines privées. Ils ont refusé de payer les avantages sociaux des travailleurs, ont commencé à licencier et ont délibérément créé des goulots d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement. Un procédé utilisé aussi à Indorca. Nous avons donc décidé d’organiser un syndicat en 2011. Inutile de dire que les patrons n’ont pas souri face à notre initiative. Ils ont licencié plusieurs organisateurs au milieu d’un processus de négociation collective, dont moi. Les patrons ont également émis une ordonnance restrictive à notre encontre, et nous n’étions pas autorisés à entrer dans le périmètre d’Indorca. Mais cela ne nous a pas empêchés de poursuivre le combat, le dos au mur.

C’étaient des moments difficiles, mais aussi magnifiques : nous étions sans emploi, mais la solidarité ouvrière nous maintenait en vie, et nous avons commencé à réfléchir à notre potentiel : si nous produisions les marchandises et que les patrons sabotaient la production, pourrions-nous prendre en charge le processus ? En 2012, deux mois seulement après l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi du Travail, les patrons ont fermé l’usine. Ils n’ont pas été les seuls à le faire : d’autres usines privées ont également fermé boutique. Il s’agissait d’un effort de sabotage coordonné, motivé par des objectifs politiques. Les patrons ne voulaient plus de Chávez, même si beaucoup d’entre eux avaient bénéficié de crédits et de contrats gouvernementaux pendant des années.

Lorsque le propriétaire s’est déclaré en faillite et a fermé boutique à Indorca, il est devenu évident qu’il voulait également démanteler l’usine. Cela s’était produit dans d’autres usines, et nous n’allions pas laisser cela se produire ici. C’est pourquoi nous avons mis en place une veille de 24 heures pour défendre les installations. Nous dormions sur des morceaux de carton et des hamacs sous l’auvent collectif, tout en mangeant les fruits que nous pouvions cueillir et les iguanes que nous chassions. Mais nous avons également bénéficié de la solidarité des travailleurs des autres entreprises.

Pendant tout ce temps, nous avons commencé à réfléchir à un modèle de production différent qui serait plus proche de nous : si nous prenions des décisions dans une assemblée à la défense d’Indorca, pourquoi ne pourrions-nous pas diriger collectivement l’usine au travers d’assemblées ? La situation était très dure, mais nous apprenions beaucoup. Entre-temps, les patrons ont intenté un procès pour violation de propriété privée contre 20 travailleurs, si bien que nous avons dû nous présenter aux tribunaux toutes les deux semaines pendant trois ans. Le propriétaire a également envoyé la Garde nationale, la police et le SEBIN (service de renseignements de l’État] pour nous harceler.

Levi García : Comme José l’a dit, nous avons décidé d’organiser un syndicat en 2011 ; celui qui existait répondait aux intérêts des patrons. Le syndicat des travailleurs a obtenu la majorité des voix, et nous avons entamé un processus de négociation collective. Nous avons avancé dans nos négociations, mais lorsqu’il a été question d’incitations économiques, le processus s’est arrêté. Finalement, le Ministère du travail a dû intervenir pour faire pression, et nous sommes parvenus à un accord. Peu de temps après, cependant, l’entreprise a commencé à licencier des travailleurs. Les patrons ont également essayé d’amener certains d’entre nous à collaborer au processus, ce que nous n’avons évidemment pas fait. Finalement, ils ont mis l’usine à l’arrêt. C’est alors que nous avons décidé de nous organiser pour protéger Indorca : nous savions que si nous ne le faisions pas, les hommes du propriétaire démantèleraient l’usine.

Finalement, le 23 mars 2015, nous avons obtenu le contrôle d’Indorca : le ministère du Travail du gouvernement Maduro nous a reconnus comme étant les administrateurs légitimes de l’usine et a appliqué l’article 149 de la loi sur le travail.

Photo: Voces Urgentes

Eliezer Perdomo : Le 30 juillet 2012, les patrons ont licencié tous les travailleurs, les ont mis dans un bus et ont fermé l’usine. Ces travailleurs n’ont jamais été payés. Il était évident que nous devions protéger les moyens de production, alors nous avons installé une sorte de campement sous l’auvent collectif. Nous avons dû dormir dans le froid et chasser notre propre nourriture, mais nous n’allions pas laisser Oscar Jiménez faire ce qu’il voulait et démanteler Indorca. Nous étions sans le sou, fatigués, mais nous avons continué. Notre esprit de corps grandissait. C’est alors que nous avons commencé à prendre des décisions en assemblée permanente. Nous avons établi un plan : certains seraient chargés de protéger l’usine, d’autres iraient à Caracas pour se faire entendre, d’autres encore vendraient des billets de tombola pour financer la lutte.

Levi García : L’année 2013 a été très difficile. Nous n’avions pas de travail et pas de revenus, et je me souviens que le mois de décembre a été très dur car je n’avais pas d’argent pour acheter de nouveaux vêtements à mes enfants. Cependant, tout cela a aussi été une merveilleuse expérience d’apprentissage. La solidarité mutuelle et la fraternité ont émergé de la veillée que nous avons effectuée sous l’auvent. Plus tard, mais toujours pendant le blocage avec les patrons, nous avons commencé à faire des petits boulots. Cela signifiait que même si les choses étaient difficiles, nous pouvions ramener quelque chose à la maison.

Josefa Hurtado : Ces années étaient vraiment difficiles : nous n’avions pas de salaire, nous n’avions pas de travail, mais nous étions déterminés à aller de l’avant. Le propriétaire voulait que nous échouions, alors que nous voulions continuer à produire. Au final, nous avons réussi. C’est nous, les travailleurs, qui avons réactivé l’usine. Nous l’avons fait sans patrons et sans ingénieurs.

Victor Mujica : Pendant que nous faisions notre garde permanente pour protéger les actifs de l’usine, nous avons reçu beaucoup de solidarité des travailleurs d’autres usines, y compris Calderys, qui était déjà sous contrôle ouvrier. Nous avons également reçu le soutien des travailleurs de Sidor et des travailleurs d’autres entreprises. Nos camarades nous trouvaient parfois des petits boulots pour que nous ayons un revenu. La solidarité de classe était très importante.

Finalement, en 2015, le gouvernement a appliqué l’article 149, qui nous a accordé le contrôle de l’usine. Lorsque le ministère du Travail applique l’article 149, il ouvre la voie au contrôle des travailleurs. D’abord, un Conseil de trois personnes est établi avec deux représentants des travailleurs et un représentant du propriétaire. Comme le représentant du propriétaire ne s’est pas présenté, nous avons pu occuper le troisième siège avec un autre représentant des travailleurs. C’est ainsi que nous avons finalement pris le contrôle d’Indorca. La lutte pour y parvenir a été longue : presque trois ans à défendre les moyens de production, des mois à dormir dehors, à chasser l’iguane, à être harcelés par la police locale…

La lutte en valait la peine, mais les choses n’ont pas été faciles par la suite. Ces voyous de propriétaires avaient retiré les câbles à haute puissance et d’autres machines. Nous étions aussi devenus un exemple toxique – à cause de notre victoire de classe – donc il nous a fallu du temps pour obtenir de nouvelles commandes. Finalement, en 2016, nous avons signé des contrats avec Venalum et Sidor.

José Cedeño : La capacité de résistance d’Indorca est devenue un mythe à Ciudad Guayana [Puerto Ordaz]. Nous avons eu la vie très dure – nous avons été harcelés et persécutés – mais le plus important est que nous sommes restés ensemble en tant que travailleurs. Pourquoi ? Parce que nous savions qu’Indorca était important pour les industries de base et pour le pays.

Lorsque nous avons finalement été reconnus par le gouvernement en vertu de l’article 149, nous avons obtenu le contrôle de l’usine. Nous avons ensuite dû surmonter d’autres obstacles, d’ordre économique ou administratif. Nous savions comment produire, mais le domaine de la gestion était très neuf pour nous. Pour enregistrer toutes nos recettes et dépenses, nous les avons simplement notées dans un cahier. Dans une assemblée mensuelle des travailleurs, nous prenions toutes les décisions importantes, en appliquant les principes démocratiques que nous avions appris sous l’auvent.

Nous devions également aller dans le monde pour obtenir de nouveaux contrats. Ce n’était pas facile car nous étions dans une sorte de limbes en tant qu’entreprise qui n’était ni privée ni publique. Cependant, nous avons fini par obtenir nos premiers contrats. Ce fut une bataille de trois ans, mais qui en valait la peine !

Assemblée mensuelle à Indorca (Voces Urgentes)

Réactivation de l’usine et contrôle démocratique

À Indorca, le contrôle démocratique et la gestion collective d’une usine ne relèvent pas d’une utopie future. Au contraire, les travailleurs dirigent l’entreprise sans patron et prennent toutes les décisions importantes lors d’une assemblée mensuelle où chaque travailleur a une voix et un vote égaux.

José Cedeño : La décision du gouvernement d’appliquer l’article 149 a été prise lorsque Jesús Martínez, de l’Université bolivarienne des travailleurs Jesús Rivero [université gérée par les travailleurs], était ministre du Travail. Son soutien au processus a été fondamental. Lorsque le jugement a été rendu, nous avions déjà décidé de gérer l’entreprise de manière démocratique. Bien que l’article 149 établisse qu’une junte de trois travailleurs élus démocratiquement sera chargée de l’administration de l’entreprise, à Indorca, c’est l’assemblée qui a le dernier mot.

Pendant les trois années où nous avons occupé l’usine, nous avons appris l’égalité et la solidarité. En tant que soudeurs, mécaniciens et superviseurs, nous avons tous connu les mêmes difficultés et nous avons pris les décisions importantes ensemble. Les choses allaient être différentes dans la nouvelle Indorca ! L’égalité ne se limiterait pas à la prise de décisions, elle concernerait aussi les salaires… Nous serions tous payés de la même façon, et c’est ce qui s’est passé jusqu’à présent. Alors que les entreprises privées et même les entreprises publiques ne montrent pas leurs comptes aux travailleurs, ici, nous examinons nos comptes collectivement une fois par mois. Chaque bolívar (monnaie vénézuélienne) qui a été débité ou crédité est reflété sur le tableau blanc [dans la salle de réunion d’Indorca].

Lors de notre assemblée mensuelle, nous parlons également du flux de travail, nous abordons tout problème auquel nous pouvons être confrontés à un moment donné, nous débattons de l’acceptation ou du refus d’un contrat et nous décidons de nos salaires en fonction des dépenses et des recettes prévues.

Victor Mujica : Quand Indorca était une entreprise privée, on attendait de nous que nous soyons à nos postes huit heures par jour et que nous travaillions avec des œillères. Lorsque l’article 149 a finalement été appliqué, nous avons eu beaucoup à apprendre. Parmi ceux qui sont restés à Indorca, le travailleur le plus qualifié avait un diplôme d’études secondaires, mais cela ne nous a pas empêchés de diriger l’entreprise ! Nous avons dû apprendre la comptabilité (que nous faisions dans un cahier !), et nous avons dû apprendre à faire l’analyse des coûts : combien d’heures de travail étaient nécessaires pour fabriquer un produit et quels intrants étaient nécessaires, etc.

Jesús Varela : Le nouvel Indorca est entre nos mains. Qu’est-ce que cela signifie vraiment ? Nous ne nous contentons pas de produire, nous contrôlons également le processus de production. Avant, en tant que travailleurs, nous étions des actifs jetables. Maintenant, nous ne faisons pas que produire de la valeur, nous comprenons aussi le cycle de production. Nous sommes nos propres patrons… et ça marche ! Bien sûr, cela ne signifie pas que tout a été facile une fois que l’article 149 est entré en jeu. Apprendre les tenants et les aboutissants du processus de gestion ne se fait pas du jour au lendemain.

Eliezer Perdomo : Ici, nous prenons toutes les décisions collectivement : tout, du salaire mensuel à la somme destinée à l’entretien du bus d’Indorca, en passant par le montant des liquidités à conserver à la banque. Pour moi, le plus important dans l’autogestion est que nous ne sommes pas dirigés et que nous pouvons résoudre nos propres problèmes. Il n’y a pas d’exploitation ou d’oppression sur le lieu de travail. Je me sens libre ici. Cela ne s’est jamais produit auparavant, lorsque Indorca était aux mains du secteur privé. Tout cela rend mon travail beaucoup plus agréable !

Yaneth Carreño : Une entreprise démocratique et autogérée n’est pas une chose courante dans le capitalisme, car elle met le travailleur à la barre. Je suis arrivé à Indorca il y a six ans avec un contrat temporaire. Je venais de prendre ma retraite après une longue carrière dans l’administration publique et j’allais aider à mettre de l’ordre ici. Lorsque je suis arrivé, je me suis assis devant les livres où l’on tenait le compte des dépenses et des ressources disponibles. J’ai pu constater que les travailleurs étaient très méticuleux, mais qu’ils avaient besoin d’outils comptables pour mettre de l’ordre dans leurs affaires.

Petit à petit, je me suis attachée à Indorca. La solidarité, la volonté d’apprendre sans relâche et les processus démocratiques étaient nouveaux pour moi. Mais j’ai appris quelque chose d’encore plus important : ce sont les travailleurs qui produisent de la valeur, ce sont eux qui produisent les biens dont le Venezuela a besoin ! Dans notre société, l’ouvrier d’usine est invisible. Le patron, le directeur ou l’ingénieur peut passer huit heures dans un bureau, et il peut même être fatigué à la fin de la journée. Mais qu’est-ce que cela représente par rapport à l’opérateur de machine qui est exposé à une forte chaleur et à un épuisement intellectuel et physique ? Qui d’autre que le travailleur pense à des alternatives viables maintenant que le blocus rend impossible l’obtention de certains intrants et pièces ? Qui d’autre que l’ouvrier reste dans l’usine pendant de longues heures lorsqu’une commande est attendue ?

Il y a cette idée que les ouvriers d’usine font un travail mécanique qui ne demande pas d’effort intellectuel. C’est faux ! Les travailleurs industriels doivent résoudre toutes sortes de problèmes, qu’ils soient mécaniques, chimiques ou opérationnels. En plus de cela, les travailleurs d’Indorca connaissent la comptabilité et la gestion collective.

J’ai travaillé pendant 25 ans dans l’administration publique et j’ai plus appris des travailleurs d’ici que de toute ma carrière antérieure. Mon travail ici est humble : Je travaille dans l’administration de l’entreprise et j’aide à la comptabilité. Cela se résume à préparer soigneusement notre assemblée mensuelle où nous passons en revue la situation économique d’Indorca avec beaucoup de précision.

Cruz Gonzales : Le démarrage de la nouvelle Indorca a été une belle expérience. Même si les choses ne sont pas faciles à cause de la crise générale du pays, travailler sans patron est beaucoup plus agréable. Maintenant, nous avons tous le sentiment d’être une pièce importante du casse-tête. Nous travaillons dur, nous nous entraidons et nous prenons des décisions collectivement. J’ai beaucoup appris ici, et je veux continuer à apprendre. J’ai appris le soudage, mais je comprends aussi mieux la comptabilité. Mais surtout, j’ai appris comment gérer une entreprise collectivement et sans patron.

Jesús Varela : Il est très courant de dire que les travailleurs ne peuvent pas diriger une usine. L’expérience d’Indorca démontre le contraire : non seulement nous sommes là depuis sept ans, mais alors que la plupart des entreprises publiques et privées ont fermé leurs portes à cause de la crise et de la pandémie, nous avons gardé nos portes ouvertes !

Orlando Pereira : En tant que travailleur, comprendre ce qui se passe réellement dans l’entreprise est valorisant. Nous savons ce qu’il y a sur notre compte bancaire à tout moment. Nous connaissons le travail que nous avons à faire, et personne ne nous donne d’ordres. Cela ne veut pas dire que c’est un monde sans conflits. Nous avons des désaccords, parfois de gros désaccords. Cependant, le fait de disposer d’un espace pour débattre et résoudre les problèmes ensemble nous aide à faciliter le processus. Dans de nombreux cas, les débats peuvent conduire à trouver de meilleures solutions aux problèmes auxquels nous sommes confrontés.

Gladys Rangel : L’égalité est une chose réelle ici à Indorca… Nous vivons réellement selon sa règle ! Lorsque j’ai été engagée il y a environ deux ans, j’ai été interviewée par José et Yaneth. La première chose qu’ils m’ont dite, c’est qu’Indorca n’est pas n’importe quelle entreprise, qu’il s’agit d’une usine gérée démocratiquement, autogérée, où tous les travailleurs prennent des décisions ensemble lors de l’assemblée mensuelle et où nous recevons tous le même salaire. Ils m’ont également dit que je ne deviendrais pas riche, ce qui est vrai [rires]. Depuis lors, Indorca est devenue ma deuxième maison : J’y ai élevé mon bébé et j’ai appris des travailleurs. Ici, j’ai découvert comment la classe ouvrière peut gérer une usine – même si le Venezuela est confronté à l’une des crises les plus dures de son histoire !

Photo : Voces Urgentes

Réactiver l’usine

José Cedeño : Lorsqu’il est devenu évident que nous, les travailleurs, allions pouvoir prendre le contrôle de l’usine, le propriétaire a envoyé ses voyous et ils ont volé 80% des câbles de haute puissance qui alimentaient les machines. Ils ont également emporté des outils, des climatiseurs, des uniformes, des outils de mesure et du matériel de soudure. En plus de cela, ils ont cassé les fenêtres et détruit tout ce qu’ils pouvaient. C’était très douloureux pour nous !

La même chose s’est produite à Calderys et Equipetrol, deux usines qui avaient subi le même processus. Nous nous sommes réunis avec eux pour évaluer la situation et nous avons dit : Nous n’avons pas d’argent, mais ensemble nous avons beaucoup de connaissances acquises. Relançons les trois usines ensemble ! Ce dont Indorca avait besoin et qu’Equipetrol avait, ils l’ont partagé avec nous. Ce dont Calderys avait besoin et que nous avions, nous l’avons partagé avec eux. Nous avons aussi reçu l’aide des ouvriers d’Alcasa, Venalum et Sidor.

Notre principal goulot d’étranglement était la réactivation de la machinerie lourde. Pour ce faire, Calderys a pu nous aider à obtenir 500 mètres de câble. Voilà comment, en une semaine, nous avons pu réactiver Indorca : beaucoup de travail, beaucoup de solidarité… et bien sûr, de nombreuses années d’expérience mises à profit !

Photo : Indorca produit et répare des pièces pour les industries de base du Venezuela et peut desservir des industries dans tout le pays. (Voces Urgentes)

Entretien réalisé pour Venezuelanalysis par Cira Pascual Marquina et Chris Gilbert

Photos: Voces Urgentes

Source : https://venezuelanalysis.com/interviews/15542

Traduit de l’anglais par Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/06/05/maintenant-nous-sommes-nos-propres-patrons-et-ca-marche-lepopee-dindorca-au-venezuela/

Souverainetés politique et alimentaire : le pari communard du Venezuela.

Ignorée par la gauche occidentale, la stratégie fondamentale de la révolution bolivarienne repose depuis 22 ans sur le retour dans le champ politique de la majorité sociale exclue par une élite coloniale. Cet objectif d’approfondir la démocratie vise à sortir d’un jeu politique faussé par l’interférence de pouvoirs non-élus (insurrections des secteurs putschistes d’extrême droite, lobbies et monopoles de l’économie privée, concentration capitaliste des médias, blocus, sanctions, sabotages, incursions paramilitaires et menaces de guerre des États-Unis et de leurs satellites européens et latino-américains, etc..). Cette volonté démocratique est palpable dans les témoignages des auto-gouvernements populaires qui se créent un peu partout sur le territoire.

Photo: Alcadio Lemus est un des parlementaires de la commune de Monte Sinaí. José Luis Pinto est enseignant et cultive des haricots et des avocats sur sa petite parcelle familiale. Il est parlementaire de Monte Sinaí. Ariaska Llovera est parlementaire de la commune. Maritza Solano est productrice de café, porte-parole du conseil communal de Peñas Blancas et parlementaire de la commune de Monte Sinaí. Luis González est communard, travaille au parc Guacamayal et s’occupe de la pépinière communale. Domingo Llovera dirige avec sa famille la chocolaterie Los Lloveras et fait partie de la commune. Llubidit Llovera est parlementaire communale et s’occupe des projets éducatifs. Luis Solórzano est producteur de fromage, porte-parole du conseil communal de Las Pichiguas et parlementaire communale. (Voces Urgentes).

Histoire et production

Les communard(e)s de la Comuna Monte Sinaí ont formé une jeune organisation qui s’efforce de développer la production communale et les relations sociales non marchandes. Le territoire de cette commune s’étend sur les États d’Anzoátegui et de Miranda, mais son épicentre se trouve dans la petite ville de Santa Bárbara, dans la vallée de Guanape. On y cultive le café, le cacao, les haricots noirs, divers tubercules et l’avocat. Comme les caféiers sont vieux et peu productifs, la commune a construit une pépinière pour faire pousser les nouveaux plants de café.

Maritza Solano : Ces terres d’altitude embrassent la commune de Rio Guanape, mais celle-ci était trop grande et s’est divisée en cinq communes plus petites. La nôtre est une commune jeune qui doit faire face à de nombreux défis. Par exemple, certaines personnes doivent marcher pendant des heures pour se rendre à la réunion hebdomadaire de Santa Bárbara, car les routes sont en mauvais état et il est difficile de se procurer de l’essence. Cependant, nos terres possèdent un énorme potentiel productif.

Alcadio Lemus : Le processus de formation de notre commune a commencé il y a environ un an. Depuis, nous avons travaillé très dur. Comme on dit, notre diamant est encore brut, mais la beauté du projet émerge. Notre parlement se réunit tous les mercredis, quoi qu’il arrive. C’est là que nous apportons nos idées, que nous débattons et que nous planifions.

Ariasca Llovera : Notre « commune mère » [la commune de Rio Guanape] était très grande, et ceux d’entre nous qui vivaient à Santa Bárbara devaient marcher des heures pour se rendre aux réunions. Ce n’était pas facile pour tout le monde. Aujourd’hui, certaines personnes peuvent faire un court trajet à pied, d’autres doivent encore marcher longtemps pour assister à une réunion.

Alcadio Lemus : Chávez a promu le pouvoir populaire. Son héritage est très important pour nous, nous travaillons dur pour organiser la commune à partir de la base. Nous sommes confrontés à de nombreux défis, mais nous avons le potentiel suffisant pour construire une commune solide. Ici, les gens travaillent dur mais la nature est généreuse. La principale culture de la région est le café. Historiquement, celui que nous cultivions était la variété régionale, mais nous sommes en train de passer au C27 [une nouvelle variété de café plus productive] avec l’aide de la CVC [la Corporation d’État Vénézuélienne du Café]. Ils nous aident à faire pousser des plants pour rénover nos petites parcelles, ce qui est très important car nos caféiers sont très vieux. Le cacao est également important ici, nous cultivons aussi l’ocumo (tubercule), l’igname, le manioc, les haricots noirs, les bananes plantains et les avocats. Il y a de petits producteurs de fromage dans la commune. Enfin, nous avons deux petites Unités de Production Familiale [UPF] : une usine de traitement du manioc et une usine de chocolat.

Lenin González : Notre commune a également un grand potentiel pour l’écotourisme. Notre principal atout est le parc Guacamayal, un parc municipal de loisirs abandonné pendant un certain temps mais qui est en train d’être récupéré grâce à une initiative conjointe du gouvernement local et de la commune.

Yuvidí Llovera : Nous pensons que notre commune va réussir, mais nous avons besoin de formation politique et technique pour progresser. Nous avons besoin d’ateliers pour mieux prendre soin de la nouvelle variété de café que la Corporation Vénézuélienne du Café introduit dans la région, et nous devons en apprendre davantage sur les processus administratifs qu’implique la construction d’une commune.

Photo : Café et cacao (Voces urgentes)

Sanctions des États-Unis : impacts sociaux et solutions locales

Luis Solórzano : En 2015, Barack Obama a publié un décret qui déclarait que le Venezuela constituait une « menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité des États-Unis. » (sic). Avec les sanctions, la vie s’est détériorée très rapidement. Nous nous demandions : Qu’allons-nous faire ? Qu’allons-nous manger ? Comment allons-nous obtenir les médicaments pour notre mère ou notre tante ? Puis est venu le blocus pétrolier, qui est une politique véritablement criminelle. Pendant ces années, le CLAP [aide alimentaire mensuelle du gouvernement aux familles populaires] est devenu très important pour tout le monde, mais cet apport de nourriture n’était pas suffisant. Je connais des familles qui faisaient des repas avec de l’eau de riz et rien d’autre. Ces années ont été très dures !

José Luis Pinto : La situation est devenue très pénible vers 2018. Obtenir de l’essence était presque impossible, et nous ne pouvions plus transporter nos récoltes au marché. La santé dans la commune a commencé à se détériorer à peu près au même moment, certaines personnes sont mortes et d’autres ont quitté le pays. Ce furent des années vraiment difficiles, mais maintenant les choses vont un peu mieux.

Domingo Llovera : Pendant les années les plus difficiles du blocus, nous n’avions plus d’intrants agricoles comme l’urea, les engrais ou les pesticides.

Luis Solórzano : La production est tombée à zéro pendant un certain temps. Je vous le dis en connaissance de cause parce que je suis un enseignant, mais aussi agriculteur. Je cultive des haricots noirs, de l’igname, de l’ocumo et des avocats. Pendant ces années, je suis passé à une agriculture de subsistance. En plus, nous souffrons des impacts du changement climatique. Nous avons connu des périodes de pluies intenses suivies de longues sécheresses. Et la déforestation et l’agriculture sur brûlis assèchent de nombreuses sources d’eau. Les pauvres sont toujours les grands perdants… Mais nous avons gardé la force de nous organiser.

Maritza Solano : Depuis un certain temps, il est devenu très difficile de se procurer des pesticides et autres intrants agricoles. D’abord, il n’y en avait pas, puis les prix ont grimpé en flèche. Cela signifie que la production ici, dans les terres hautes de la Valle Guanape, est devenue essentiellement biologique. Nous avons également appris à faire du compost à partir de déchets organiques. Tout cela a des avantages – puisque nous ne sommes pas exposés aux produits agro-toxiques mais il ne faut pas romantiser. La production a chuté ces dernières années. L’agriculture biologique nécessite des connaissances, des formations et des ressources. L’État, à travers la Corporation Vénézuélienne du Café, nous a proposé des ateliers. Ils nous ont aidés à passer du café local à la variété C27, qui est meilleure, mais nous devons acquérir davantage de connaissances pour tirer le meilleur parti de nos nouveaux caféiers.

Luis Solórzano : Nous avons appris plusieurs choses pendant le blocus. Par exemple, en tant que pays, nous ne pouvons pas dépendre exclusivement de la rente pétrolière. Pour garder la tête hors de l’eau, notre seule option dans les zones rurales est de travailler collectivement. Aujourd’hui, nous faisons plus attention aux ressources : nous apprécions le soutien de la Corporation Vénézuélienne du Café, nous prenons soin de nos quelques outils et nous bénissons la commune – car s’y trouve la solution. Cependant, construire une commune dans un pays en état de siège n’est pas facile. Notre principal défi est qu’il s’agit d’une commune rurale sur un territoire très étendu. Une grande partie de la population est concentrée à Santa Bárbara, mais il y a des gens qui doivent marcher deux ou même trois heures pour se rendre à une réunion.

Photo : pépinière communale de café en haut ; pépinière de Maritza Solano en bas. (Voces Urgentes)

Pépinières de café

Lenin González : L’année dernière, nous avons obtenu le soutien de la Corporation Vénézuélienne du Café pour renouveler nos plants à Valle Guanape. Notre objectif est maintenant d’augmenter notre production, qui est très faible actuellement. Ici, dans le parc Guacamayal, nous avons une pépinière et nous avons récemment planté 32 kilos de graines de café C27. Elles sont en train de germer en ce moment.

Yosmel Díaz : Nous avons cinquante mille plantules dans la pépinière, mais notre objectif est de produire un million de plantes en 2022 pour remplir les collines de la commune. Cependant, nous ne voulons pas seulement faire pousser des plants de café ici ; nous voulons aussi faire pousser des plants de cacao.

Unités de production familiales

Lenin González : Nous avons deux UPF ici dans la commune : une usine de chocolat et une usine de gaufres de casabe. Toutes deux ont un grand potentiel. Les UPF font partie du système économique communal de Chávez. Elles intègrent le travail des familles qui possèdent leurs propres parcelles ou des moyens de production dans le projet communal.

William Flores : Nous plantons le manioc amer dans notre conuco [lopin traditionnel de culture intensive] et, dix mois plus tard, nous récoltons. Chaque jour, très tôt, nous transportons la récolte à l’usine de manioc amer, à dos d’âne. D’abord, nous pelons le manioc, puis nous le lavons et en extrayons le poison, nous le traitons [c’est le seul procédé mécanique] et nous le mettons à sécher au soleil. Pendant ce temps, ma femme ramasse du bois pour allumer le feu et préparer les galettes de manioc sur le budare [feuille de métal placée sur un feu ouvert]. Toute ma famille travaille à l’UPF : mon père, mon oncle et ma femme. Des enfants nous aident aussi à charger le manioc, à l’éplucher et à apporter de l’eau à l’usine. Nous nous levons tous à 3 heures du matin et nous travaillons jusqu’au coucher du soleil. C’est un travail difficile.

Domingo Llovera : Nous cultivons un bon cacao ici, il est évident que nous devrions produire du chocolat. En l’état actuel des choses, nous produisons des barres de chocolat et du cacao en poudre à petite échelle, mais nous espérons augmenter notre production. Il est important de dépasser la logique d’exporter nos matières premières et de générer des revenus pour la communauté avec des usines de transformation. Même une petite usine de chocolat fait la différence. Imaginez ce que ce serait si nous avions plusieurs usines ! C’est l’un de nos objectifs.

Troc communal

José Luis Pinto : Dans la montagne, entre producteurs, il y a une longue tradition de troc. Cette tradition a été ravivée pendant la crise : si j’ai du fromage et que j’ai besoin de manioc ou de café, je vais faire du troc avec mon voisin. Cela présente un avantage évident : nous échangeons en dehors des lois du marché. Nous pensons qu’en tant que commune, nous devons promouvoir le troc, notamment avec d’autres communes.

José Luis Pinto : Quand les choses sont devenues vraiment difficiles ici, notre production est tombée à presque rien : les gens produisaient juste pour leur subsistance et pour un troc à petite échelle. Cela nous a aussi obligés à diversifier notre production : maintenant nous produisons des bananes plantains et nous cultivons la canne à sucre pour faire du guarapo [jus de canne à sucre] avec lequel nous sucrons notre café. Les choses s’améliorent un peu, mais une partie importante de notre économie reste basée sur le troc. De temps en temps, nous apportons encore un sac de café en ville et l’échangeons contre un outil.

Photo : le parlement communal de Monte Sinaí se réunit tous les mercredis. (Voces Urgentes)

Alcadio Lemus : Nous avons un long chemin à parcourir parce que nous sommes une jeune commune – et une commune née dans le feu de la crise en plus ! Il y a beaucoup de facteurs défavorables. Néanmoins, nous gardons le projet de Chávez en tête et nous comprenons que la construction d’une commune est un effort collectif : il s’agit de défendre les biens communs. Telle nous le comprenons, une commune, c’est le peuple qui s’organise pour produire et satisfaire les besoins collectifs.

Luis Solórzano : Chávez a parlé de la nécessité de construire une nation souveraine. Quand il parlait de souveraineté, il ne faisait pas seulement référence à la souveraineté territoriale et politique. Il parlait aussi de la souveraineté alimentaire. Malheureusement, nous n’avons pas compris l’importance de sa conception : si nous avions intériorisé sa pensée, nous ne serions pas dans cette situation aujourd’hui, les choses auraient été différentes et moins douloureuses lorsque l’impérialisme états-unien allié à l’oligarchie locale ont conspiré pour renverser le gouvernement du président Maduro. Bien sûr, nous ne devons pas oublier que le gouvernement de Chávez était déjà assiégé en permanence : rappelez-vous le coup d’État, le sabotage du pétrole et les incursions paramilitaires. La crise nous a frappés durement, elle a également endommagé l’organisation de base : nous luttions tous pour survivre. Aujourd’hui, les choses reprennent, et nous avons bon espoir de faire en sorte que notre commune s’enracine et se développe.

Entretien réalisé par Cira Pascual Marquina et Chris Gilbert pour Venezuelanalysis

Photos : Voces Urgentes

Source : https://venezuelanalysis.com/interviews/15512

Traduction : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/05/11/souverainetes-politique-et-alimentaire-le-pari-communard-du-venezuela/

La rébellion des coupeurs de canne : vies et voix de la Commune des « cinq forces »

Les communard(e)s de Cinco Fortalezas devant un champ de canne à sucre. (Voces Urgentes)

« Las Cinco Fortalezas de la Revolución Bolivariana » – « les cinq forces de la révolution bolivarienne« , tel est le nom complet d’une merveilleuse organisation communarde de l’est du Venezuela, dans le chef-lieu de Cumanacoa, où l’on cultive la canne à sucre. Dirigée principalement par des femmes, cette commune a connu une histoire de lutte intense. Elle s’est consolidée vers 2016, lorsqu’un groupe de travailleurs journaliers de la région a occupé les terres du propriétaire initial. Six ans plus tard, les communard(e)s se sont retrouvé(e)s pour une deuxième bataille, après qu’un homme d’affaires a escroqué les producteurs locaux en s’emparant de leurs récoltes sans paiement.

La récente escroquerie – ainsi que la crise et les sanctions occidentales – sont des obstacles importants sur la route, mais les communard(e)s de « Cinco Fortalezas » sont prêt(e)s à travailler dur et à se battre. Avec 57 hectares collectivisés consacrés à la culture de la canne à sucre et un engagement puissant en faveur de la communalisation de la vie, « Cinco Fortalezas » est appelé à devenir concrètement une sorte de vivier pour le socialisme. Dans la première partie de cet entretien, nous découvrons l’histoire récente de la commune et ses différentes entreprises de production communale. Dans la deuxième partie, les communards nous parleront de l’impact de la crise et du blocus sur leur vie, ainsi que des moyens créatifs qu’ils utilisent pour surmonter ces obstacles.

Yusmeli Domínguez est secrétaire du parlement communal et fait partie du conseil de planification du Bloc Productif la Esperanza. Oswaldo Noguera est porte-parole de la commune. Vanessa Pérez est parlementaire communale et fait partie de la direction nationale de l’Union Communarde. Wilfredo Enrique est membre du comité de planification de la commune de Cinco Fortalezas et dirige, avec sa compagne María Romero, le laboratoire Réseau Tilapia. José Luis Gamboa est un parlementaire communal. Carlos Andrade fait partie de la directive de l’association des producteurs de canne à sucre de la commune de Montes (Cumanacoa) et est porte-parole de la commune de Río San Juan. (Voces Urgentes)

Histoire récente

Cinco Fortalezas a beau être une commune relativement jeune, la rébellion des habitants de cette région s’ancre dans l’histoire longue. La commune se trouve dans une belle vallée longtemps habitée par les peuples Kari’ña et Chaima, qui ont farouchement résisté aux incursions espagnoles dans la zone depuis le début du XVIIe siècle. Des siècles plus tard, la zone constituera une importante base d’arrière-garde pour les guérilleros vénézuéliens inspirés par la révolution cubaine.

Vanessa Pérez : Nous avons fait les premiers pas dans la construction d’une commune il y a six ou sept ans. À cette époque, nous luttions également pour récupérer les terres de l’Hacienda Rosario, qui est finalement devenue l’épicentre de notre commune.

Oswaldo Noguera : La terre qui est maintenant le siège de la commune appartenait autrefois à Asunción Rodríguez. A l’époque, elle s’appelait l’Hacienda Rosario. Rodríguez contrôlait les bonnes terres, tandis que les campesinos ne pouvaient cultiver que sur les terres d’altitude, où ils n’avaient pas accès à l’eau et étaient éloignés des routes.

Yusmeli Domínguez : Je suis née ici. Quand j’étais enfant, mes parents n’avaient pas de terre et ils travaillaient pour le terrateniente [propriétaire terrien]. Nous le voyions devenir de plus en plus riche, alors que nous n’avions rien. Ils lui ont donné leur vie, et lui ne leur a rien donné en retour.

Quand la réforme agraire de Chávez a commencé, nous avons commencé à nous organiser pour que ceux qui travaillaient la terre ne restent pas sans terre. Vers 2007, l’INTI [l’institut National des Terres du Venezuela] a commencé à inspecter ces terres dans l’idée de les récupérer. À cette époque, la production avait chuté.

En 2011, un groupe de dix paysans s’est installé sur certaines des terres abandonnées. L' »entreprise » [une sucrerie industrielle appartenant à l’État] s’est opposée à eux et a détruit leurs cultures. Cela a suscité beaucoup d’indignation. Après tout, il s’agissait de pauvres gens qui n’avaient d’autre objectif que de produire.

Puis, en 2016, la sucrerie a tenté de s’approprier 80 hectares de terres pour y faire pousser de la canne à sucre, mais ils ont été bloqués par la résistance des paysans. Quelques mois plus tard, nous avons commencé à travailler sur la terre collectivement. À peu près au même moment, l’INTI est venu nous voir et nous a dit que les terres seraient réparties entre le chef-lieu, l’État et le peuple. C’était très injuste et nous l’avons fait savoir. Qu’en est-il des 500 familles qui ont travaillé et lutté pour ces terres pendant des décennies, voire des siècles ?

À peu près à la même époque, nous sommes allés parler au propriétaire foncier. Nous lui avons dit que nous nous organisions et que nous allions reprendre la terre… et c’est ce que nous avons fait.

L’INTI n’a pas immédiatement reconnu notre utilisation de la terre comme légitime. En fait, il y a eu beaucoup de frictions et de conflits. L’INTI a même essayé de mobiliser la population de Cumanacoa contre la commune.

Quoi qu’il en soit, nous avons continué à nous organiser et à travailler. Après tout, nous étions motivés par l’idée que la terre appartient à ceux qui la travaillent. Ce que nous faisions était un pas vers la justice historique et c’était inspiré par Chávez lui-même.

Enfin, en 2018, nous nous sommes rendus à Caracas et avons exigé que le titre d’occupation productive [carta agraria] soit accordé à la commune par l’Etat… Nous avons réussi !

Les communards de Cinco Fortalezas se tiennent devant le moulin à sucre communal, bientôt au travail. (Voces Urgentes)

Cinco Fortalezas a la chance de posséder des terres fertiles et une source naturelle qui irrigue les plus de 60 hectares communaux qu’elle cultive. Cependant, la commune manque de machines agricoles pour la récolte de la canne à sucre. La récolte se fait encore à l’aide de machettes et est ensuite portée sur les épaules des communards. C’est pourquoi la mécanisation est l’un des principaux objectifs de la commune.

Vanessa Pérez : Nous avons deux Entreprises de Propriété Sociale [EPS] enregistrées appartenant à la commune : le projet de canne à sucre et l’élevage de tilapia. Nous aurons bientôt une usine de transformation de la canne à sucre [une nouvelle EPS], et nous envisageons de former une autre EPS pour prendre en charge la commercialisation et la distribution.

Le projet de canne à sucre, qui s’appelle « Bloc Productif La Esperanza« , est chargé de l’ensemble du processus, de la plantation à la récolte. Le moulin à sucre de l’Entreprise de Propriété Sociale transformera la canne à sucre en plaques de sucre brun, en sucre cristallin et en jus de canne à sucre. Nous évoluons vers l’autonomie de notre production : nous voulons aller au-delà de la production de matières premières et passer à la maîtrise du cycle complet de production et de distribution.

La commune compte également deux Unités de Production Familiale, une UPF de tilapias et une UPF de fabrication de briques.

Oswaldo Noguera : En plus de la culture du sucre, nous cultivons également des cultures à cycle court comme le maïs, la citrouille, les haricots noirs, la yuca (manioc) et d’autres légumes sur nos terres communales. Nous avons six hectares consacrés à ces cultures à cycle court.

ENTREPRISE COMMUNALE DE CANNE À SUCRE ET LUTTE POUR LA JUSTICE

La Centrale Sucrière de Cumanacoa est une entreprise publique de raffinage de sucre. En 2020, un contrat a été signé avec un entrepreneur, Juan Ramírez, pour que ce soit TecnoAgro, l’entreprise privée de Ramírez, qui gère la sucrerie.

Vanessa Pérez : La principale entreprise de la commune est le Bloc Productif La Esperanza. Il s’agit d’une production collective de 1700 tonnes de canne à sucre par an sur 57 hectares.

La Esperanza, c’est un peu notre « Compagnie publique pétrolière ». Pourquoi ? Parce que l’excédent produit par la canne à sucre nous permet de réaliser des travaux sur tout le territoire, qu’il s’agisse de réparer l’école ou les routes, d’assurer l’éclairage public, d’obtenir des médicaments pour ceux qui en ont besoin, etc.

Mais cette dernière année, l’Entreprise de Propriété Sociale – et la commune dans son ensemble – a connu des difficultés à cause d’une escroquerie réalisée à la centrale sucrière [sucrerie industrielle].

Carlos Andrade : En 2021, Juan Ramírez a escroqué tous les producteurs de canne à sucre de la région : il a « acheté » nos récoltes mais ne les a jamais payées. La dette envers les producteurs est d’environ 300.000 dollars.

Yusmeli Domínguez : Le Sucre central appartient à CorpoSucre [entité gouvernementale régionale], mais il est maintenant entre les mains de TecnoAgro, l’entreprise de Juan Ramírez. En 2020, un accord a été conclu pour l’achat de la récolte de canne à sucre dans la zone. Nous avons fait notre part, en cédant la totalité de notre récolte en 2021. Sa dette impayée avec cette seule commune est de 14 000 dollars.

Cela a beaucoup nui à notre production et à nos vies, mais M. Ramírez a des dettes envers tout le monde, y compris les autres communes de la région et de nombreux producteurs familiaux. La situation a été dévastatrice pour de nombreuses personnes dans la région de Cumanacoa.

En outre, M. Ramírez ne paie pas les 80 travailleurs de l’usine : il n’a pas versé leurs salaires depuis cinq mois !

Bien sûr, nous ne sommes pas restés sans rien faire. Nous nous sommes rendus au siège du gouvernement de l’État de Sucre et à l’Assemblée nationale pour faire entendre notre voix. Nous avons également introduit une réclamation auprès du bureau du procureur général. Malheureusement, nous n’avons pas eu de nouvelles.

Plus récemment, nous avons eu une réunion avec Gilberto Pinto, le gouverneur de Sucre, ainsi qu’avec Juan Ramírez. La plupart des producteurs ont assisté à la réunion et nous avons conclu un nouvel accord. Cependant, nous attendons toujours que M. Ramírez remplisse les conditions.

Carlos Andrade : Les conséquences de l’escroquerie ont été dévastatrices et ont eu un effet d’entraînement. Certaines personnes sont mortes parce qu’elles n’ont pas pu obtenir leurs médicaments et d’autres sont parties. Entre-temps, deux mille tonnes de canne à sucre n’ont pas été récoltées cette année. Nous avions toujours vendu notre récolte à la centrale de Sucre, mais maintenant ce n’est plus possible. C’est pourquoi nous retardons la récolte.

Yusmeli Domínguez : M. Ramírez est un criminel… et pourtant, cette année, l’État a prolongé son contrat pour diriger la sucrerie ! Pourquoi ? Malheureusement, comme Chávez nous le rappellerait, l’État bourgeois bureaucratique n’est pas encore mort, et qu’il est encore du côté des intérêts privés plutôt que des intérêts collectifs.

Une de nos propositions est que la Centrale Sucrière soit transféré à la commune. Après tout, c’est nous qui produisons la canne à sucre, nous connaissons le processus, et certains d’entre nous ont travaillé à la centrale. Il y a ici des gens formés techniquement pour reprendre l’administration de l’usine.

Puisque le capital privé a prouvé son inefficacité et sa brutalité, il est temps d’ouvrir la porte au pouvoir populaire. Cela devient d’autant plus urgent maintenant, car ils adaptent l’usine pour pouvoir raffiner du sucre de base apporté d’Argentine ! Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’expliquer à quel point c’est absurde. Après tout, la centrale a été nationalisée en 2005 par l’État vénézuélien pour traiter la canne à sucre vénézuélienne dans un territoire producteur de canne à sucre !

L’ALTERNATIVE : UNE SUCRERIE COMMUNALE

Jose Luis Gamboa : Lorsque M. Ramírez nous a escroqués, il est devenu d’autant plus clair que nous devions travailler pour avoir le contrôle total du cycle de production du sucre. Nous avons donc décidé de réactiver un trapiche [un petit moulin à sucre artisanal] qui avait été abandonné. C’est un très vieux moulin, mais il peut traiter 30 tonnes de canne à sucre par jour.

Nous avons évalué l’état du « trapiche », et pour le remettre en marche, nous avons besoin d’un investissement de deux à trois mille dollars américains. Dès que M. Ramírez aura payé ce qu’il nous doit, nous mettrons le moulin en service. En attendant, nous recherchons également un soutien institutionnel. Nous sommes déterminés à activer le moulin d’une manière ou d’une autre.

Vanessa Pérez : Nous voulons pouvoir traiter la canne à sucre produite par la commune et par d’autres producteurs de Cumanacoa. Le nôtre ne serait pas la seule « trapiche » de la région, mais les autres moulins des environs sont nettement plus petits. De plus, nous avons l’avantage de notre situation géographique, puisque la commune se trouve dans les plaines et qu’il est facile de s’y rendre.

Nous prévoyons de travailler avec les producteurs locaux pour transformer leur canne à sucre en papelón [blocs de sucre brun], en sucre cristallin et en jus de canne à sucre. Nous ferons de même avec notre propre production, et nous espérons faire du troc avec d’autres communes. Le potentiel est énorme : il y a 13 communes dans le canton [neuf sont déjà légalement enregistrées], et elles produisent toutes de la canne à sucre.

La nôtre ne sera pas une entreprise capitaliste : le coût de la transformation de la canne à sucre sera inférieur à celui du marché et les revenus seront investis dans des initiatives sociales et productives.

Étang de pisciculture de la commune de Cinco Fortalezas. (Voces Urgentes)

LA PRODUCTION À PETITE ÉCHELLE

Vanessa Pérez : Il existe d’autres initiatives productives plus petites dans la commune. Il y a une petite usine de fabrication de briques, qui est active, et il y a une pisciculture qui se développe rapidement. Elle a été financée par SUFONAPP [institution associée au ministère des Communes]. Nous élevons des tilapias rouges, et nous apprenons beaucoup de l’expérience. Le principal goulot d’étranglement est la nourriture pour poissons, qui est très chère.

Wilfredo Enrique : L’initiative de pisciculture a commencé il y a environ trois ans avec un petit crédit pour acheter des vairons de tilapia. Nous avons ensuite mis en place le laboratoire de tilapia rouge, où nous prenons soin des vairons et des mères. Quand ils grandissent, nous les emmenons dans la lagune d’Amaguto, sur notre terrain communal.

Actuellement, entre le laboratoire et la lagune, nous avons quelque 30.000 tilapias. Nous considérons ce projet comme un vivier: nous espérons envoyer des vairons dans d’autres communes, tandis qu’une partie des tilapias récoltés sera destinée aux repas des écoles et à la cantine populaire [qui offre des repas gratuits aux personnes dans le besoin]. En d’autres termes, il ne s’agira pas d’une entreprise capitaliste. Nous la considérons comme une nouvelle initiative pour satisfaire les besoins de la commune.

Yusmeli Domínguez : Chávez a conçu un système communal holistique. Ici, au cœur de notre commune, nous avons le Bloc Productif La Esperanza, qui est en quelque sorte « notre compagnie publique pétrolière ». Mais une commune rassemble une pluralité d’initiatives. Une commune, c’est comme une courtepointe : elle nous rassemble tous.

Interview réalisée par Cira Pascual Marquina et Chris Gilbert pour Venezuelanalysis

Photos : Voces Urgentes

Source : https://venezuelanalysis.com/interviews/15518

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/05/01/la-rebellion-des-coupeurs-de-canne-vies-et-voix-de-la-commune-des-cinq-forces/

Au Venezuela, la révolution agroécologique des « grands-mères rebelles »

Face aux lobbies qui veulent imposer le business de l’importation de semences, le gouvernement révolutionnaire du Venezuela et les organisations paysannes viennent de certifier une nouvelle semence autochtone : la pomme de terre des Andes. Le journaliste Roberto Malaver dialogue avec Liccia Romero sur l’importance de cette lutte patiente et sur les résistances économique, culturelle, qu’elle incarne. Liccia Romero est biologiste, diplômée de l’Universidad Simón Bolívar, titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat en écologie tropicale, et enseignante universitaire. Cette caraquègne a décidé de vivre à Mérida, dans les Andes. Chercheuse passionnée de la pomme de terre autochtone, elle est aussi une des roues motrices de l’extraordinaire projet Proinpa consacré notamment à cette variété autochtone. Pour elle, « à partir de maintenant, de merveilleuses possibilités s’ouvrent pour le Venezuela, si le rôle dirigeant des organisations paysannes et l’esprit d’articulation et la cohérence de l’Etat vénézuélien se maintiennent. »

Liccia Romero (à droite) reçoit la reconnaissance de la part de la Ministre de Science et de Technologie Gabriela Jimenez pour ses recherches comme investigatrice scientifique

Liccia Romero (à droite) reconnue par la Ministre de Science et de Technologie Gabriela Jimenez pour ses recherches comme investigatrice scientifique

Avril 2022, dans les Andes vénézuéliennes. Le gouvernement révolutionnaire du Venezuela et les organisations paysannes certifient une nouvelle semence autochtone de pomme de terre.

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Roberto Malaver – D’où vient l’expression « grands-mères rebelles » ?

Liccia Romero – C’est une manière de rappeler les actes de résistance des femmes âgées, des grand-mères qui étaient responsables de familles avec de jeunes enfants, à une époque où la modernisation commençait dans les Andes vénézuéliennes. Cette modernisation s’est accompagnée d’une modification importante du modèle de production agricole. Les familles des hautes Andes, en particulier dans les hauteurs des « páramos », ont dû transformer leur technologie de production, basée sur l’agriculture avec jachère. Elles étaient des rebelles parce que, tout d’abord, elles ont refusé d’abandonner l’agriculture, et non seulement ne l’ont pas abandonnée, mais l’ont enseignée à leurs enfants, l’ont maintenue comme un système qui survit encore dans une grande partie des « paramos ». En outre, elles ont conservé les semences autochtones, non seulement celles de la pomme de terre mais aussi d’autres tubercules d’origine andine. Elles ont même conservé des variétés qui ne sont pas indigènes mais historiques, comme le blé ancien, les haricots anciens, et tout cela aujourd’hui, dans le cadre de la crise de ce modèle moderne, est devenu une alternative, pour elles comme pour beaucoup de communautés.

R.M. – Et pourquoi dites-vous « qu’elles ont déjoué le piège » ?

L.R. – Elles ont démonté le piège que signifie ne pas disposer de la semence, car cela signifie que vous continuez à être une agricultrice ou agriculteur, mais que vous êtes dépendant du type de semences, de tubercule, qui peut changer à tout moment. Dans ce cas, circulent des tubercules de variétés ou d’hybrides à croissance rapide qui sortent du contrôle des producteurs, proviennent de l’extérieur par le biais d’un circuit commercial. On a donc besoin d’argent pour pouvoir acquérir cette semence, et pas seulement la semence, mais aussi l’ensemble des produits agrochimiques qui entourent cette semence pour pousser, pour qu’elle puisse donner le rendement le plus abondant. Elles ont réalisé que sans leurs propres semences, elles allaient manquer de nourriture, parce qu’en plus, à cette époque, dans un environnement très patriarcal, ceux qui allaient travailler à l’extérieur étaient les hommes, donc elles allaient être plus dépendants des salaires des hommes, entrés dans un régime salarial. Avant l’habitude était de travailler principalement avec des figures d’échange, de travail collectif solidaire, avec lequel on pouvait se soutenir mutuellement : avec le contrôle des graines, le travail, l’eau et les nutriments fournis par le sol, tout marchait. Lorsqu’ils se sont retrouvés sans semences, ils se sont retrouvés sans leur propre outil de production et sont devenus dépendants de tiers. Il était donc très intelligent de conserver les semences, cela signifiait préserver l’autonomie en matière de production alimentaire.

R.M. – Un processus de résistance, donc ?

L.R. – Oui, parce que cette modernisation de l’agriculture s’accompagnait de termes défavorables envers elles, qu’on accusait de maintenir des méthodes arriérées, improductives, gaspilleuses de terres, parce que l’agriculture en jachère apparaissait, sous le prisme obscurantiste du modernisme, comme un « abandon de terres ». Alors que pour nous, d’un point de vue agroécologique, cela fait partie du processus productif, de la régénération de la terre.

R.M. – Ces connaissances sont-elles encore transmises ?

L.R. – Oui, bien sûr. Ces connaissances sont transmises des enfants à leurs petits-enfants. Nous intervenons à un moment où nous rencontrons ces enfants pour les aider à résister au discours qu’on entend encore à l’école : « si tu ne veux pas devenir paysan comme ton père, tu dois étudier », ou « si tu veux être quelqu’un, tu dois cesser d’être un paysan ». Nous intervenons pour renforcer ce pont, cette transmission, pour que celles et ceux qui ont reçu cet enseignement puissent surmonter ce discours de sous-estimation et puissent le transmettre à leurs enfants.

R.M. – Qu’est-ce que le « tinopó » ?

L.R. – C’est une forme de gestion de la pomme de terre. Une partie des semences reste dans le sol. Vous avez une parcelle de terre, vous récoltez une partie de la pomme de terre, vous l’arrachez, mais une partie reste dans la terre. Il n’y a là aucune négligence (au sens où certains disent : « quelle négligence de laisser la pomme de terre dans le sol ! »). En fait on la laisse en terre ex profeso, il s’agit d’un cycle de reproduction, on peut gérer simultanément une parcelle qui produit pour la consommation et une parcelle productrice de semences. Voyez aussi l’importance du « tinopó » selon l’endroit où il se trouve. Soit il est situé à côté de la maison, et dans ce cas c’est un endroit où l’on a des pommes de terre toute l’année, une façon de rendre la pomme de terre disponible pour la consommation dans le temps, on garde la semence. Soit ce « tinopo » est situé dans des zones éloignées, à plusieurs heures de route, même dans des zones plus élevées, des zones sauvages où les pommes de terre entament un processus de progression génétique, commencent à se croiser avec la pomme de terre sauvage, c’est ainsi qu’on génère patiemment la diversité. Puis, là-haut, on arrache des pommes de terre, on les ramène, on les sélectionne et on crée de nouvelles variétés, c’est un laboratoire de diversification.

Bernabé Torres, gardien des semences de Gavidia

R.M. – Peut-on parler de patrimoine alimentaire des Andes ?

L.R. – En 2015 notre IPC – Institut du Patrimoine Culturel – a émis une déclaration, un décret en quelque sorte : la déclaration du patrimoine culturel immatériel des connaissances sur les graines indigènes de la communauté Gavidia. Cette déclaration reconnaît les connaissances, les matériaux physiques et biologiques, par ailleurs protégés par la Loi sur les Semences également approuvée en 2015. Ce qui est important dans cette déclaration, c’est qu’elle établit ce qu’on appelle le plan de gestion, c’est-à-dire tout ce qu’il faut faire pour que ce patrimoine culturel et immatériel soit transmis et continue son processus d’enrichissement pour les générations futures. Nous avons une forte composante éducative, à travers les communautés d’apprentissage, nous sommes alliés au Système National d’Études ouvertes et nous avons une communauté d’apprentissage locale. Dans cette communauté d’apprentissage, l’épine dorsale de la colonne est la connaissance, bien sûr, puis chacun est impliqué de son point de vue particulier, santé, tourisme, aquaculture, mais c’est là tout l’enjeu de cette communauté d’apprentissage : la connaissance est développée comme partie intégrante du plan de gestion que nous appliquons sur le terrain.

R.M. – Tout cela se passe-t-il à Gavidia ?

L.R. – Le centre est Gavidia, qui se trouve dans un parc national, il ne s’agit donc pas d’un espace de production intensive, mais d’un espace de diversification et de création d’options de diversification. Que faisons-nous ? Nous apportons ces matériaux à l’ensemble du processus mené à bien par l’association paysanne, dont le chef de file est Proinpa, l’Association des producteurs intégraux du Paramo, qui dispose d’un laboratoire appelé CEBISA, à Mucuchíes, et là, en planifiant des techniques de culture tissulaire et de propagation in vitro, nous reproduisons cette semence pour disposer d’une quantité à reproduire et à produire en masse. Ce que l’on ne peut pas faire, c’est passer à une autre échelle, parce qu’il est impossible de déboiser un grand nombre de terres pour planter beaucoup de pommes de terre, il faut se spécialiser.

R.M. – Alors comment aller plus loin si on ne peut le faire à Gavidia ?

L.R. – Il faut amener la pomme de terre là où il y a de grandes zones qui ne sont pas des zones protégées, qui ont la capacité de produire des semences, et c’est pourquoi nous tissons ensemble les noyaux de semences pour qu’il y ait une organisation sociale responsable et spécialisée dans les semences.

R.M. – Tu as cité Bernabé, un paysan qui semble tout savoir…

L.R. – Bernabé est un de mes plus chers compagnons. C’est avec lui que j’ai commencé à travailler, il est très ouvert, nous avons une empathie très forte. C’est un éleveur, et ils sont tous très particuliers : chacun possède sa propre personnalité, et lui c’est un « domestiqueur ». Les pommes de terre qui se trouvent dans ces « tinopos » doivent suivre une sorte de processus de domestication, parce qu’elles sont « sauvages », alors il crée ce qu’on appelle un « paramito », il les fait descendre de niveau en niveau, elles passent par une transition en plusieurs récoltes, jusqu’à ce qu’il les amène sur la parcelle où il les multiplie massivement, les sélectionne, en tentant de les unifier phénotypiquement comme des pommes de terre, il les baptise avec un nom particulier. Ce processus de domestication est bien sûr rejeté par les grandes corporations privées qui travaillent dans le sens contraire, celui de l’homogénéisation des semences de la pomme de terre, et des cultures en général. La compétence et la connaissance de Bernabé, peu de monde la possède… reconstruire avec lui tout ce processus et l’aider à prendre conscience que c’est un savoir très puissant, a été l’une des choses que j’ai le plus aimée dans ma vie, vraiment.

Spécimens de pommes de terre noires récoltées par Benabé Torres (Gavidia, décembre 2021)

R.M. – Quel bénéfice tire le Venezuela de cette pomme de terre ?

L.R. – Imaginez ! Il a tant de gènes pour créer la pomme de terre de rêve, tous ces génotypes, une fois développés, offrent une infinité de possibilités.

R.M. – On peut donc résister à une guerre économique en produisant et en consommant cette pomme de terre ?

– C’est le futur. Dans l’histoire des Andes, la pomme de terre incarne la culture de la résistance. Elle est un organe de stockage, de résistance. La plante stocke ses réserves d’énergie afin de les utiliser quand elle en a besoin. En outre existent ces pommes de terre noires, qu’on n’appelle pas seulement noires à cause de la couleur, mais aussi « papas de año » (pommes de terre de l’année). Ce sont des pommes de terre qui prennent beaucoup de temps pour sortir de terre, plus que les 90 jours de la pomme de terre blanche. Je pensais que le nom « papa de año » était dû au fait qu’il fallait un an pour le récolter, mais non, les « grands-mères rebelles » me l’ont expliqué : on l’appelle « papa de año » parce qu’on peut la garder dans une pièce jusqu’à un an, comme réserve alimentaire, c’est-à-dire qu’elle est très résistante.

R.M. – Il y a de nombreuses variétés de pommes de terre…

L.R. – Bien sûr. Ce qui se passe, c’est que nous avons été éduqués à ne manger que les produits les plus commerciaux. Celle qu’on appelle la pomme de terre jaune, ou la pomme de terre colombienne, (si on prend la Colombie dans l’acception de Miranda et Bolivar, une seule nation faite du Venezuela et de la Colombie actuelle), qui vient aussi du nord des Andes, où nous nous trouvons. Dans nos paramos, cette pomme de terre est appelée papa reinosa, et il en existe différents types : à fleurs blanches, à fleurs violettes. Il y a une diversité, donc on pense que c’est la pomme de terre colombienne, mais non, cette pomme de terre est nôtre.

R.M. – Et qu’en est-il de la pomme de terre noire, ou « arbolone noire » ?

L.R. – Si tu te dis producteur de pommes de terre noires, c’est que tu cultives des pommes de terre autochtones, sans compter les spécialités, par exemple, il y a des pommes de terre qui répondent au profil de l’agriculteur, et qui ont le nom de l’agriculteur, comme la Dorilera noire, parce qu’elle appartient à Mr. Dorilo, il est le seul à la cultiver.

R.M. – Est-ce que cette pomme de terre est abondante là-bas ?

L.R. – Aujourd’hui, elle est abondante à Gavidia, parce que nous en avons pris soin. Elle se limitait même à certaines familles de Gavidia.

R.M. – Qui a le privilège de manger cette pomme de terre ?

L.R. – Au départ, on ne le voyait pas comme un privilège, c’était le problème, on le voyait comme ce qui nous restait. Lorsqu’on a pris conscience qu’il s’agissait d’un privilège, c’est là que nous avons commencé à tout inventer, comme l’Eco-Festival de la pomme de terre autochtone. Nous avons décidé de transmettre cette culture de notre pomme de terre à d’autres, de là est venue la déclaration du patrimoine culturel immatériel parce que l’idée était, bon, développons-la, mais nous avons besoin de mécanismes de protection. De fait, la chose à peine connue, le représentant de la corporation privée Frito Lay au Canada m’a appelée personnellement, en me disant qu’il voulait avoir accès au germoplasme indigène, cette déclaration est donc un mécanisme de protection crucial contre la privatisation ou ses tentatives.

Liccia Romero

R.M. – Et Liccia Romero continue de planter avec la même énergie ?

L.R. – Je continue à travailler avec ce groupe de familles, avec cette relation de fraternité qui nous dit que nous sommes ensemble dans une cause, que nous sommes solidaires dans cette cause. Et avec l’Alliance scientifique-paysanne, nous nous sentons plus forts. Et nous avons reçu beaucoup de soutien de la part du Ministère de la Science et de la Technologie, au début on comprenait davantage l’importance de ce travail au Ministère de la Science et de la Technologie, qu’au Ministère de l’Agriculture et des Terres. La dimension des investissements que le ministère de la Science et de la Technologie a réalisés pour toute cette structure de laboratoires qui existent à Mucuchíes, est immense. C’est un énorme potentiel. C’est pourquoi j’ai proposé une gestion enracinée dans les communautés, on y développe tous les aspects de la gestion territoriale, avec tous les champs de diversification, avec la sagesse ancestrale, tout ce potentiel de diversité agroécologique.

Il existe un Centre international de la pomme de terre, avec une banque de matériel génétique, mais toutes ces banques sont comme des photos figées de l’évolution agroécologique. Ils doivent ensuite sortir ces matériaux pour les refroidir, afin de les rendre à la vie et recommencer à faire ce que fait notre « tinopó », ici. Ces gens là-bas font ce travail, c’est leur vie… Vous avez le laboratoire de technologie là-bas, composé de gens de là-bas, mais vous avez aussi le réseau des multiplicateurs de ces pommes de terre ici même, dans les Andes, de manière beaucoup plus appropriée, ce qu’il manque, c’est une politique qui gère et renforce tout cela. Et par exemple, nous permette d’éviter de revenir à l’histoire de l’importation de pommes de terre de semence du Canada ou d’ailleurs.

R.M. – Pour l’instant, au Venezuela, on ne le fait pas ?

L.R. – Non, le Venezuela ne le fait pas, mais il y a de fortes pressions pour pousser nos dirigeants à les faire revenir à l’importation. À l’âge d’or de l’importation de semences de pommes de terre, on m’a raconté que des gens qui vivaient au Canada sont devenus millionnaires rien qu’en fabriquant les caisses de bois pour les semences que le Venezuela importait. Chávez a raconté, je m’en souviens comme si c’était aujourd’hui, dans l’un de ses premiers programmes « Allo Président », que le premier ministre du Canada l’avait appelé pour le féliciter de son investiture, et qu’ensuite il s’est rendu compte que cet appel concernait en fait la rénovation du contrat d’importation de semences de pommes de terre au Venezuela… Aujourd’hui, de nouveaux acteurs entrent en lice, les petits-fils et petites-filles qui commencent à assumer la coordination de la coopérative. Et je crois qu’une opportunité est créée pour renforcer et recréer toutes ces connaissances au sein des nouvelles générations.

Source : https://lainventadera.com/2022/03/14/la-papa-es-el-cultivo-de-resistencia/

Traduction : Thierry Deronne

Photos: Proinpa, La Inventadera, MinCyT

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/04/08/au-venezuela-la-revolution-agro-ecologique-des-grands-meres-rebelles/