Après le « pouvoir-sur », le « pouvoir-pour » des femmes dans la révolution vénézuélienne

Lorsque nous sommes retournés sur le chantier le 27 avril, tout s’accélérait vertigineusement. Les camions et les pelleteuses dépêchées par le gouvernement pour le dernier coup de pouce soulevaient des trombes de poussière. Tout autour, comme depuis des années, le concert des marteaux, des foreuses, des appels au loin, des rires de femmes.

Ici, en 2011, des habitantes de l’immense quartier populaire d’Antimano, lasses de vivre dans des logements précaires, ont occupé un terrain sous-utilisé – une décharge privée de ferraille -, et ont fait valoir leur droit au logement, légalisé par la révolution. Treize ans de lutte. Elles se sont formées elles-mêmes comme militantes, architectes, gestionnaires, ingénieures, travailleuses intégrales de la construction, formatrices en droits des femmes. Rien n’a pu les arrêter : ni les moqueries, ni les préjugés machistes, ni les divisions internes, ni les départs, ni le blocus occidental qui a interrompu les livraisons de ciment, de fer ou de sable, ni la stagnation du Covid, ni la bureaucratie, ni la fatigue, ni les plaies aux mains, ni les épreuves de santé, ni les cheveux blancs. Au bout, il y a leur victoire : 48 appartements spacieux et confortables pour leurs familles. En plus des matériaux de construction, le gouvernement révolutionnaire a fourni le mobilier, des cuisinières, des lits, le parc de jeux pour les enfants, un potager hydroponique et bien d’autres choses. Les femmes d’Antimano ont veillé à tout : à l’entrée du terrain, un poste de surveillance où elles se relaient munies de transistors, et l’épicerie à bas prix, au pied de l’immeuble : « Le but est que nous contribuions toutes à l’approvisionnement. » La victoire va au-delà. Tout au long de leur lutte, les femmes se sont émancipées. Au « pouvoir sur », elles ont substitué avec patience un « pouvoir pour ».

Depuis quelques années, l’équipe de notre télévision populaire – Terra TV – suit ce processus du féminisme populaire, l’image la plus exacte de la révolution bolivarienne, invisibilisée par les grands médias (1). Faire une image révolutionnaire, c’est transmettre des expériences de peuple à peuple, susciter la discussion et l’action, tirer et partager les leçons d’un processus, plutôt que de célébrer un produit.

« Nous avons laissé notre maquillage et pris les outils pour construire nos propres logements. J’ai tout essayé : la maçonnerie, la pose des briques, la finition des murs, mais finalement, je me suis concentrée sur le revêtement de céramique » commence Yusgleidys Ruiz. « Au début, j’ignorais tout, ce métier semblait réservé aux hommes. Aujourd’hui, nous sommes toutes poseuses de barres de fer, plombières, cheffes d’entrepôts. La plupart des céramiques posées dans l’immeuble sont de ma main. Il n’y avait pas de temps pour le repos. Nous nous couchions fatiguées, le corps endolori, mais nous nous levions pleines d’énergie, avec la volonté d’aller jusqu’au bout. Je suis satisfaite à 1000% parce que nous avons prouvé qu’avec l’organisation populaire, on peut construire une société socialiste ».

« Être vendeuse de rue ou femme au foyer, ce n’est pas la même chose que d’être vendeuse de rue, femme au foyer et constructrice d’un rêve » explique Andreina San Martin: « nous avons travaillé et créé chaque appartement comme si c’était le nôtre ». « Nous avons encore beaucoup à apprendre », dit Zanet. « Une expérience inoubliable » dit Claudia Tisoy, « parce que liée à un processus de formation permanente et d’auto-formation. Nous sommes des bâtisseuses intégrales. Nous avons tout appris ici : la maçonnerie, la plomberie et l’électricité. »

Ircedia Boada : « quand nous avons occupé ce terrain, nous étions près de 750, puis le nombre s’est réduit. Certain(e)s sont parti(e)s pour des raisons de santé, d’autres pour des raisons économiques, d’autres à cause des effets du blocus occidental, beaucoup ont renoncé par manque de confiance dans le projet, par manque de confiance en eux-mêmes, on cherchait à nous faire croire que le Venezuela était fini, que nous rendre au rêve américain était la seule issue. Mais nous avons continué la lutte. Parmi les quarante-huit chefs de familles qui composent cette communauté, 34 sont des femmes, pour la plupart restées célibataires, mères de familles. Plus d’une s’est coupé un doigt, s’est abîmé la main ou une autre partie du corps, mais nous avons tenu bon, nous sommes fières de notre victoire. »

Pour Ayary Rojas, «nous étions comme une chenille méprisée par beaucoup, mais nous avons réussi à devenir papillon, à déployer nos ailes. Sans les femmes, il n’y aurait pas eu d’indépendance au Venezuela. Nous avons joué un rôle fondamental. Nous sommes à la mesure du défi qui s’offre à nous, Chávez nous a donné cette énergie en s’autoproclamant « féministe parce que socialiste ». Notre immeuble a ce visage de femme. Nous avons pris soin de tout : chaque brique, chaque clou, chaque espace, et nous sommes reconnaissantes pour l’appui donné par le gouvernement. »

Ursulina Guaramato n’avait jamais pensé travailler sur ce chantier jusqu’au jour où son mari est décédé. Elle a ouvert sa boîte à outils. Elle en a sorti une tenaille, en a fait son outil principal pour ajuster les barres de fer qui ont servi de squelette à tout l’immeuble. « Les hommes nous voyaient comme le sexe faible, nous sommes montées à leur niveau, nous les avons dépassés. Les femmes au pouvoir ! »

Le jour venu, le 30 avril 2024, la mairesse de Caracas, Carmen Melendez, et la vice-présidente de la république, Delcy Rodriguez, entourées des créatrices, inaugurent l’immeuble qui porte le nom du père de Delcy : Jorge Rodriguez, opposant politique torturé et assassiné sous la « démocratie » d’avant la révolution bolivarienne. Lorsque la télévision publique les met en lien avec Nicolas Maduro qui, à quelques kilomètres de là, remet à une famille populaire les clefs de l’appartement numéro 4.900.000 de la « Grande Mission Logement Venezuela», le président dit son admiration : « Je sais tout ce que vous avez enduré, tous les efforts que vous avez déployés, les problèmes que vous avez vécus avec le matériel qui parfois n’arrivait pas, avec la bureaucratie, comment vous avez construit cet immeuble, colonne par colonne, étage par étage, je sais tout cela. Comme Claudia l’a demandé en votre nom, je vous exonère de tout paiement, et nous allons vous remettre immédiatement les documents de propriété, à chacune des familles, vous le méritez. Bientôt nous nous rencontrerons là-bas, chez vous, je voudrais que vous m’invitiez à une soupe collective, Delcy, vois avec elles pour trouver un moment dans l’agenda ». Et de se tourner vers son Ministre du Logement « tu vois, un des avantages de donner du pouvoir aux organisations populaires pour qu’elles construisent elles-mêmes leurs logements ? la gestion est meilleure, le matériel économisé permet de construire plus de logements. »

Les femmes d’Antimano n’ont dormi que quelques heures. Elles vont, sur le même terrain, commencer la construction d’une deuxième tour pour 48 autres familles, qu’elles comptent achever en un an.

Thierry Deronne, Caracas, le 8 mai 2024

Le reportage de Terra TV :

Note :

(1) Le documentaire « Nostalgiques du futur » raconte cette longue marche du féminisme populaire au Venezuela : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/11/27/nostalgiques-du-futur-par-maurice-lemoine-a-propos-dun-film-sur-le-venezuela/

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/05/09/apres-le-pouvoir-sur-le-pouvoir-pour-des-femmes-dans-la-revolution-venezuelienne/

(Vidéo ST FR) Coopération internationale avec la révolution bolivarienne : des architectes français et vénézuéliens créent un prototype novateur de logement.

Un prototype de logement révolutionnaire au Venezuela (sous-titres en français). Production: TERRA TV

Si « l’espace est politique » comme l’expliquait le philosophe Henri Lefebvre, cette question prend tout son sens dans la révolution bolivarienne, au Venezuela. Depuis plusieurs années le Laboratoire International d’Habitat Populaire (LIHP, Paris/Caracas) dirigé par Jean-François Parent et son équipe y travaille autour de la question du droit à la ville, et plus encore, du droit d’habiter en produisant un espace socialement et politiquement nouveaux. Ce prototype de logement est né du dialogue permanent du LIHP avec les acteurs sociaux, les communes urbaines, les autogouvernements populaires et différents organes gouvernementaux de la Révolution Bolivarienne (1). Avec, parmi les nombreux défis, celui de transformer la figure « centrale » de l’architecte en allié réflexif, créateur, des mouvements populaires.

La question de l’espace de vie allié à la participation populaire est une priorité pour le gouvernement révolutionnaire. En 2023, un total de quatre millions huit cent mille logements ont été construits pour les secteurs populaires dans le cadre de la « Grande Mission Logement » lancée par Hugo Chávez en 2012. Le président Maduro a indiqué que le gouvernement en construira 3 millions de plus entre 2025 et 2030, tout en insistant auprès du Ministre de l’Habitat et du Logement pour que soit renforcée la participation populaire dans ces (auto)constructions.

Le modèle proposé par le LIHP suppose d’industrialiser la filière du bois – une matière très disponible au Venezuela mais peu utilisée sur les chantiers. Avantages : le temps de construction très court (un mois environ), le fait qu’il s’agit d’une architecture sèche (pas besoin d’eau ni de ciment), légère, lumineuse, auto-ventilée, basée sur une structure de panneaux mobiles. L’espace est modifiable à souhait et adaptable aux contextes de vie et de travail les plus divers. Ce modèle arrive à point nommé pour répondre aux besoins de la population à un moment où le pays renoue avec la croissance, malgré la persistance d’un blocus économique occidental qui a réduit la disponibilité de certains matériaux et freiné l’essor de la grande mission logement.

Dans ce reportage réalisé par l’équipe de TERRA TV (sous-titré en français), plusieurs délégué(e)s de mouvements populaires, ainsi que le président du Laboratoire International pour l’Habitat Populaire, expliquent les nombreuses possibilités offertes par ce prototype. « Pour nous, le plus important, explique Jean-François Parent, est que ce prototype génère un débat dans l’ensemble de la société, dans sa diversité et ses contradictions, sur comment, à travers l’espace, transformer la société à laquelle nous appartenons. Produire une architecture populaire qui propose une libération culturelle à l’ensemble du corps social par de nouvelles formes d’habiter qui transforment nos relations à l’environnement, au sens large du terme.»

Thierry Deronne, Caracas, 19 mars 2024

Note :

(1) Le prototype d’unité familiale productive a été réalisé dans le cadre la mission confiée par le Gouvernement de l’État Bolivarien de Miranda au Laboratoire International pour l’Habitat Populaire au travers de l’alliance stratégique définie et signée en 2018 entre le Gouverneur Hector Rodriguez et Jean François Parent architecte. Étude et réalisation du Prototype : Equipe du LIHP – Laboratorio Internacional por el Habitat Popular. 25 rue Jean Jaurès, 93200 Saint-Denis, France. Au Venezuela : Parque Central, Torre Este, Piso 19, A.P. 1010, Caracas. Mail : contact@lihp.info / Site : http://www.lihp.info / @LIHP_FRANCE

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/03/19/video-st-fr-cooperation-internationale-avec-la-revolution-bolivarienne-des-architectes-francais-et-venezueliens-creent-un-prototype-novateur-de-logement/

« Faire du neuf avec du vieux » : Lana, jeune communarde dans la révolution au Venezuela

Lana Vielma, organisatrice et formatrice communarde de 21 ans, engagée dans la commune d’El Maizal à l’âge de 15 ans (Venezuelanalysis).

Lana Vielma est une jeune organisatrice de la commune phare d’El Maizal, à la frontière des États de Lara et de Portuguesa, au Venezuela. Fille d’un enseignante de la ville voisine de La Miel, Lana Vielma a commencé à s’engager et à travailler à l’organisation communarde à l’âge de 15 ans. Aujourd’hui, six ans plus tard, elle est directrice de la communication de la municipalité « communarde » de Simón Planas, qui comprend El Maizal et 12 autres communes. Au-delà de son rôle officiel, Vielma est également artiste et cinéaste.

À 21 ans, tu as déjà travaillé pendant six ans dans la commune d’El Maizal. Pourrais-tu nous raconter comment tu t’es engagée et ce qui t’a attirée dans cette commune ?

Sans la commune, je me serais enfermée chez moi et j’aurais été de plus en plus frustrée par la société… Je pense que je serais même en colère ! Les défis du monde sont nombreux, et plus encore pour ma génération, qui aspire à la liberté mais se heurte à tant d’injustices systémiques. En fait la commune m’a touché comme une baguette magique. Elle m’a offert une nouvelle vision du monde et m’a donné un but dans la vie – et cela n’est rien de moins que de la magie. Dans la commune, nous apprenons les uns des autres et nous résolvons les problèmes collectivement ; nous nous soutenons les uns les autres parce que nous avons une vision commune du monde. En bref, nous créons un espace dans la commune qui place l’être humain au centre.

En tant que jeune femme, la commune est devenue ma bouée de sauvetage et m’a changée à jamais. L’attrait des avantages tape-à-l’œil, mais le plus souvent inaccessibles, que le capitalisme propose aux jeunes n’est pas vraiment le moyen d’une vie épanouie. C’est pourquoi la jeunesse communarde est si importante : la commune est le moyen pour les jeunes d’avoir une existence significative et, en même temps, la commune a besoin d’eux.

Peux-tu nous en dire plus sur cette initiative d’une jeunesse communarde ?

Bien que nous vivions dans un territoire qui abrite la puissante commune d’El Maizal et que les gens l’admirent, l' »aimant » des médias sociaux projette le bonheur comme exclusivement basé sur la possession de certaines choses matérielles et ne laisse pas de place à la communauté. Tout en reconnaissant la nécessité de répondre aux besoins matériels, nous croyons fermement que les dimensions spirituelle et politique de la vie doivent être réintégrées dans la vie de nos jeunes.

La toxicomanie aussi est un problème pour certains jeunes de Simón Planas, ce qui contribue souvent aux problèmes familiaux et à la criminalité. On peut être surpris d’entendre cela et penser que dans un contexte rural, la consommation de drogue n’est pas un problème, mais c’est le cas. D’où l’importance de notre commune comme modèle d’attraction et qui réponde aux besoins de tous, en particulier des jeunes.

Le projet de la jeunesse communarde découle de la nécessité de rapprocher les jeunes générations du projet communal. La commune est un rendez-vous collectif pour l’éducation politique, l’activité culturelle et le débat. Commune d’El Maizal. (@ComunaElMaizal)

Tu joues un double rôle en tant que communarde et comme membre du gouvernement local (la marie). Comment navigues-tu sur ce double terrain ?

C’est complexe. Bien que la commune soit notre objectif stratégique, nous pensons que la construction de communes populaires nécessite une approche créatrice. Notre compagnon communard Ángel [Prado] est devenu maire de Simón Planas avec un objectif : renforcer les communes. Mais comment y parvenir ? En tant que communard, il doit démontrer que son administration est non seulement efficace, mais aussi centrée sur le bien-être quotidien de la population, tout en promouvant l’organisation communarde.

Cependant, les défis sont nombreux. Le vieux système bureaucratique est conçu pour se reproduire tout en négligeant souvent les besoins réels des gens. Pour nous, entrer dans le gouvernement local signifiait perturber son inertie, une tâche qui s’est avérée très difficile. Cependant, nous avons pris des mesures en faveur de ce que nous appelons le « gouvernement communal », qui encourage la participation directe des citoyens aux processus de prise de décision. Petit à petit, nous transformons les institutions et nous avons pu résoudre de nombreux problèmes, qui vont de l’accès à l’eau aux soins de santé. Cependant, les institutions ne sont pas des fins en soi, mais des moyens pour parvenir à des fins. Nous avons encore de nombreux défis à relever, qu’il s’agisse de la logique bureaucratique persistante ou de nos propres limites, mais nous poursuivons le projet de Chávez (la commune) et sa méthode (travailler avec les gens). Nous espérons continuer à ouvrir des chemins communaux où que nous soyons.

La commune d’El Maizal se trouve dans la municipalité de Simón Planas, état de Lara, à l’Ouest du Venezuela.

La commune populaire d’el Maizal est actuellement en plein processus de transformation, pour augmenter la production agricole et pour améliorer les conditions de vie des personnes qui y travaillent. Comment envisages-tu l’avenir de la commune et quels sont les moyens d’y parvenir ?

Créer les conditions réelles et tangibles d’une société prospère signifie créer les conditions économiques pour soutenir la vie quotidienne des communards, tout en projetant une lumière vers l’avenir. Maintenant, vous vous demandez peut-être si c’est vraiment possible ? Oui, nous le croyons ! L’humanité a besoin d’une alternative qui lui apporte la dignité et la paix, mais la transition doit se faire avec un certain confort, voire une touche de magnificence… Sur le plan matériel, cela signifie que les gens doivent disposer de bonnes conditions pour travailler, étudier et profiter de leurs loisirs.

Parallèlement, nous devons favoriser l’engagement politique aux niveaux local, régional, national et même mondial, ce que nous savons faire le mieux. Mais pour bien faire, nous devons disposer d’arguments tangibles et d’expériences concrètes ; nous devons être en mesure de prouver que notre projet fonctionne tant sur le plan politique qu’économique ; nous devons devenir un exemple convaincant que d’autres pourront suivre.

Tu as utilisé la métaphore de la reconstruction d’une maison pour parler de l’avenir de la commune d’El Maizal. Peux-tu développer cette idée ?

C’est une idée philosophique qui m’est chère. Si nous vivons dans une maison mais que nous voulons l’améliorer, nous ne pouvons pas la démolir et la laisser aux intempéries pendant que nous en construisons une nouvelle. Ce serait une mauvaise idée. Notre logement actuel, qu’on le veuille ou non, est capitaliste. Dans ces conditions, nous devrons construire la nouvelle maison de l’intérieur et autour de l’ancienne… jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de l’ancienne maison ! Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Nous devons construire le nouveau modèle progressivement, en forgeant une alternative réellement viable, tout en restant connectés – pour l’instant – au système existant. Ensuite, une fois le nouveau système consolidé, nous démolirons l’ancien. Concrètement, qu’est-ce que cela implique ? Ici, à Simón Planas, c’est un dirigeant communal [Ángel Prado] qui est à la tête de l’administration locale. Dans ces conditions, nous pourrions être tentés de nous concentrer uniquement sur la politique locale, en organisant une administration efficace à partir du bureau du maire. Cependant, cela ne répondrait pas à nos aspirations ; cela reviendrait à « améliorer » la vieille structure capitaliste sous une nouvelle peinture.

Notre idée va bien au-delà de la création d’un groupe de hauts administrateurs associés à la mairie et à la commune qui améliorent progressivement les conditions de vie à Simón Planas. Pour consolider l’hégémonie de la commune, notre projet doit présenter une alternative substantielle, englobant à la fois des dimensions politiques et économiques qui attireront et convaincront réellement les gens. En ce qui concerne la commune d’El Maizal, nous explorons activement de nouvelles approches pour organiser la production de manière à satisfaire les besoins des habitants qui consacrent leur vie, jour après jour, au projet. Le double objectif est clair : offrir une bonne vie aux habitants tout en améliorant la viabilité de notre modèle.

Nous savons qu’il s’agit d’un travail en cours, mais comment envisagez-vous les changements dans l’économie d’El Maizal ?

La commercialisation a toujours été un goulot d’étranglement pour nous, nous devons donc mieux planifier. Nous devons trouver des mécanismes pour que notre production atteigne le marché sans les obstacles dressés par les intermédiaires capitalistes. Ce n’est pas facile, mais c’est indispensable.

Nous pourrions créer une nouvelle EPS de commercialisation [entreprise de production sociale liée à la commune], et il est possible que nous puissions construire un réseau de distribution et de commercialisation avec l’Union Communarde ou en contact avec les Circuits Économiques du Ministère des Communes. Cependant, une chose est évidente : nous devons mieux planifier et rompre la dépendance à l’égard des intermédiaires privés. En outre, comme je l’ai déjà dit, nous pensons que le nouveau modèle économique doit créer les conditions pour que les communards les plus engagés puissent participer plus directement… Toutes ces considérations sont cruciales pour la construction d’une nouvelle hégémonie communale. Si la commune ne produit pas de bénéfices économiques tangibles, quelque chose doit changer. L’échec n’est pas une option pour nous !

Photos : ateliers réalisés en 2023 par l’École de Communication des Mouvements Sociaux « Hugo Chávez » (projet qu’on peut soutenir ici). L’École a aidé la commune d’El Maizal à créer sa propre école, baptisée « Yordanis Rodriguez El Pealo ».

Dans tout cela, la communication est également importante. Peux-tu nous parler de votre travail de reportage et de production de contenu sur la commune d’El Maizal et le gouvernement municipal de Simón Planas ?

Dans la commune d’El Maizal, nous sommes politiquement solides : les habitants de Simón Planas admirent Ángel Prado et la commune d’El Maizal. Néanmoins, il est essentiel de reconnaître que tout le monde ne perçoit pas la commune comme la solution ultime ou comme une alternative viable. Notre capacité à communiquer s’est accrue au fil des ans et nous pouvons aujourd’hui documenter toutes les assemblées qui se tiennent sur le territoire de Simón Planas. Nous sommes également en mesure de faire savoir que, depuis la mairie, nous faisons beaucoup de choses, qu’il s’agisse de réparer l’éclairage public et les routes, de répondre aux préoccupations sanitaires et aux problèmes d’eau, de construire des maisons ou de promouvoir des événements sportifs et culturels. Cependant, si ces efforts nous donnent un cachet politique, ils ne sont pas à la hauteur du projet communal, car ils ne transforment pas la société dans son ensemble.

C’est pourquoi nous avons inauguré il y a trois ans l’école de communication Yordanis Rodríguez « El Pelao » d’El Maizal. Notre objectif est de connecter les jeunes aux processus organisationnels et de leur donner les moyens de faire en sorte que la communication ne soit plus l’apanage des journalistes qui privilégieront toujours les contenus qui méritent d’être cliqués. Il est impératif de souligner l’importance de l’organisation communautaire, qui doit être racontée par ses acteurs. Et dans ce projet, le rôle des jeunes est essentiel.

Interview: Cira Pascual Marquina / Chris Gilbert (Venezuenalysis)

Source : https://venezuelanalysis.com/interviews/building-the-new-with-the-old-still-standing-a-conversation-with-lana-vielma/

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/02/29/faire-du-neuf-avec-du-vieux-lana-jeune-communarde-dans-la-revolution-au-venezuela/

Le Venezuela donne un coup d’accélérateur aux autogouvernements populaires.

La révolution bolivarienne est une machine à démocratiser en profondeur le champ politique, notamment par la mise en place de différents types d’autogouvernements populaires, la plupart du temps sous la forme de communes mais aussi sous d’autres formes d’organisation. Ce mouvement puise ses racines dans l’histoire populaire de résistance au colonialisme et notamment dans la création de cumbes afro-descendants par des ex-esclavisé(e)s fugitif(ve)s, ancêtres d’une grande partie des communes actuelles. Il faut y ajouter les racines du « bien commun » indigène et, bien sûr, la révolution bolivarienne initiée par Hugo Chávez qui a synthétisé ces racines avec le marxisme et la pensée du « gouvernement territorial » (« toparquia« ) de Simon Rodríguez, le tuteur de Simón Bolívar.

Il y a dans ce mouvement une forte vitalité. Cependant ce n’est encore qu’une minorité de la population qui vit dans ces territoires organisés. Il faut beaucoup travailler pour transformer « l’esprit de la commune » (Hugo Chávez) en « sens commun » dans un pays où l’économie privée et les médias commerciaux occupent encore une place dominante : « Il ne faut pas continuer à ouvrir des usines qui sont comme une île entourée par la mer du capitalisme, car la mer les engloutit. Il faut  » implanter l’esprit socialiste tout au long de la chaîne, depuis le travail de la terre jusqu’au système de distribution et de consommation. » (Hugo Chavez, 2012). C’est pourquoi, ces dernières années, les communes les plus avancées ont envoyé des brigades de l’Union Communarde (« Union Comunera« ) dans tout le pays pour rencontrer d’autres groupes en train de s’organiser, encourager les initiatives naissantes et les sortir de leur isolement. Cette aventure démocratique est racontée dans notre documentaire « Nostalgiques du futur » (1). Un des objectifs est de dépasser le capitalisme en créant des circuits économiques intégraux, du producteur au consommateur, autour de produits tels que le café, le cacao, le poisson, etc… Des « routes communales » pour garantir un commerce équitable et direct, sans intermédiaires.

Photo : réunion de travail dans la commune populaire « Cinco Fortalezas » (Cumanacoa, état de Sucre). « Dans le temps et l’espace communal, la part la plus atomisée de l’être humain se brise et commence le moment de l’unité. Ce passage du moi individuel au moi collectif est atteint à partir de toutes les luttes quotidiennes que nous, communardes et communards, vivons au jour le jour pour satisfaire nos besoins. » dit Nacho, membre de la Commune Che Guevara.

Ce 20 octobre 2023 on commémorait au Venezuela les onze ans du « changement de cap », une réunion télévisée de 2012, passée à la postérité, où le président Hugo Chávez avait sévèrement critiqué ses ministres pour leur mollesse dans l’appui à la construction de cette démocratie directe parallèle à la démocratie représentative, et lancé son célèbre « la commune ou rien !« 

Onze ans plus tard donc, Nicolas Maduro et ses ministres ont rencontré les communes – autogouvernements populaires -, lors d’un vaste meeting à Caracas pour dresser la liste des avancées, des problèmes et des propositions des milliers de communard(e)s venu(e)s de tout le Venezuela.

Le président a d’abord demandé au gouvernement d’acheter la production communarde en priorité : « le Conseil des vice-présidents disposera de 72 heures pour établir un mécanisme efficace permettant d’intégrer la production des communes dans le programme national de marchés publics. Il y a des problèmes à résoudre et nous devons les résoudre sur la base des propositions qui viennent de la base, du peuple organisé » a souligné le chef de l’État, qui a par ailleurs ordonné de reprendre l’autoconstruction comme méthode pour faire avancer la Grande Mission Sociale « Logement Venezuela » (2) : « Cette mission doit être planifiée non pas depuis le ministère, mais depuis le territoire avec le peuple organisé. Le projet du pouvoir populaire est vital si nous voulons avancer dans la construction d’une nouvelle société« .

Autres mesures annoncées par le président bolivarien pour soutenir les autogouvernements populaires :

– Transfert de 15 entreprises industrielles au pouvoir populaire.

– Transfert immédiat de 48 locaux de Mercal et PDVAL (magasins d’aliments subventionnés par l’État), qui seront réactivés dans le cadre de la création de la Corporation nationale labellisée « Produit par les Communes ».

– Approbation de 348 millions 665.020 bolivars pour la promotion de 43 circuits économiques communaux (circuits économiques intégraux, du producteur au consommateur, autour de produits tels que le café, le cacao, le poisson, etc… pour garantir un commerce équitable et direct, sans intermédiaires.).

– 130 projets présentés par les communard(e)s liés à l’électricité, l’eau, la santé, l’environnement, le gaz et le logement seront financés.

« A mesure que nous récupérerons le revenu national avec la levée partielle des sanctions par les États-Unis, toute rentrée d’argent dans les caisses de l’État ira directement aux circuits économiques communaux, à ceux qui existent et à ceux que nous allons créer » a expliqué Maduro, qui a enfin demandé aux ministres qu’ils lient directement leurs agendas de travail aux besoins du pouvoir populaire : « Vos agendas de travail doivent prendre en compte prioritairement les plans des communes« . Et de conclure : « La grande contribution du président Chávez à la théorie mondiale du socialisme en tant que courant de changement pour la justice et l’égalité est le socialisme construit au plan territorial, communal, dans les quartiers populaires, dans les communautés populaires. Difficile à construire ? Oui, mais essentiel et nécessaire. Il faut un maximum de pouvoir au peuple !« 

Thierry Deronne, Caracas, le 20 octobre 2023.

Notes :

(1) on peut voir ce documentaire en ligne : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/06/08/nostalgiques-du-futur-en-ligne-les-mutins-de-pangee/

(2) Ce vaste programme gouvernemental créé par Hugo Chávez en 2012 vise pour 2025 l’objectif de 5 millions de logements bon marché remis au familles populaires.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/10/21/le-venezuela-donne-un-coup-daccelerateur-aux-autogouvernements-populaires/

« PETARE NORD » épisode 4 (VO sous-titres français)

Le jour est venu de rassembler les cartes produites par l’équipe du Laboratoire International de l’Habitat Populaire et les conseils communaux de la Commune « Vamos con Todo » à Petare Norte, au Venezuela. Moment de grande émotion : découvrir sur une carte collective l’image complète de la lutte d’un quartier populaire contre l’exclusion historique. Yasmine Jiménez, porte-parole de cette commune de Petare, explique, les larmes aux yeux : « Nos grands-parents, nos parents ont dû construire leurs maisons comme ils le pouvaient. Ils n’avaient pas d’ingénieur ou d’architecte à leurs côtés pour leur dire plus ou moins comment faire. Mais leurs maisons sont stables, sont dignes. Il est temps pour nous, communardes et communards, de marquer notre empreinte de transformation dans chaque territoire, dans le monde. Lorsque toutes les missions sociales révolutionnaires s’incarneront en profondeur dans la réalité de nos territoires communaux, nous pourrons dire clairement que nous faisons la révolution et nous pourrons renforcer le socialisme, en tant qu’égalité des droits. Le rôle des femmes est fondamental. C’est nous, les femmes, qui remplissons d’amour nos quartiers et nos familles, et tant que nous nous verrons avec les yeux de l’amour, nous remporterons de grandes victoires politiques.
Production : TERRA TV/LIHP. Réalisé et monté par Jesús Reyes. République bolivarienne du Venezuela, mai 2023. Durée : 13 min 15 sec. VO SUBT FRANÇAIS.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/05/12/petare-nord-episode-4-vo-sous-titres-francais/

(VIDEO ST FR) « Petare Norte », Venezuela, chronique 3.

Depuis le mois de février, Terra TV produit chaque mois un épisode sous-titré en français de « Petare Norte ». Porté par le Laboratoire International pour l’Habitat Populaire (LIHP), ce projet pilote, unique en son genre, allie l’intelligence créatrice de l’auto-gouvernement populaire (la Commune « Vamos con todo » de Petare) à l’architecture sociale comme réponse aux défis des grandes concentrations urbaines. Il compte sur la collaboration du gouvernement bolivarien de Miranda, ainsi que d’autres institutions nationales et locales. Ce projet fera l’objet d’un documentaire produit par Terra TV qui sortira en 2024.

Dans ce troisième épisode, la participation populaire à la « cartographie communale » s’intensifie. Une habitante et membre du conseil communal Cuatro Sectores explique : « nous apprenons à mettre les légendes, à dessiner les passages, nos lieux de rencontre, c’est la première fois qu’on les voit comme ça, c’est ce que j’ai appris. Nous nous sommes familiarisés avec la carte, où nous reconnaissons nos maisons : « regarde, il y a ma maison, il y a ta maison  » et ainsi de suite. Je peux faire la même chose au conseil communal. Donner une carte à tout le monde, aux délégué(e)s des conseils communaux et à tout le monde dans chaque conseil communal, une carte de tous les territoires, de tous les commerces et de toutes les entreprises, des maisons à risque. Pour que chacun puisse gérer ses propres informations, ainsi quand une institution se présente dans la rue, les voisins disposent déjà de toute l’information. Pour que tout le monde soit informé, parce que quand on est informé, personne ne peut te « raconter des histoires ».

« Pas faire une place, non. La priorité là maintenant… il devrait y avoir un CDI [Centre de Diagnostic Intégral], un espace pour la culture, un espace pour les réunions du conseil communal, et le reste, eh bien… on verra ce qu’on peut mettre d’autre ». (déléguée du Conseil Communal Simón Bolívar 1783)

« La qualité de vie, c’est que nous allons avoir quoi ? De bons logements, une école, ce qui n’est pas encore le cas; Nous allons avoir un terrain où nous pourrons jouer au basket-ball, [pour] que les enfants fassent du sport; il y aura un endroit où les enfants pourront faire de la danse. Où les enfants pourront danser, vous voyez ? C’est une bonne vie pour eux, ils oublient les drogues, ils oublient : « allons boire au bar là-haut », parce qu’ils font déjà du sport et vous les occupez là. Ils vont être mieux lotis et ils vont prendre soin de ce qu’on leur donne ». (délégué du conseil communal d’El Chinchorro).

« Il y a les escaliers en mauvais état, tu tombes, le vieillard tombe, tu tombes quand tu portes de l’eau. Mais si l’on améliore cela, la qualité de vie peut être meilleure, si personne ne doit porter de l’eau, si l’eau arrive à tout le monde par des canalisations, et ils devraient aussi la faire payer pour que les gens apprécient l’eau et ne la gaspillent pas. ». (déléguée du Conseil Communal Cuatro Sectores).

« Petare Norte, c’est une terre bénie et il y a du talent partout. Et il y a des matériaux pour construire un espace (…) » (déléguée du conseil communautaire de Cuatro Sectores).

« Il y a beaucoup de bonne main-d’œuvre ici dans les communautés, ce qui manque, c’est juste un diplôme. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un diplôme d’ingénieur, mais nous avons déjà sans diplôme, des maçons, des professionnels, de tout, nous avons besoin de beaucoup de main-d’œuvre, de personnes qualifiées, de personnes qui ont été formées. Et Petare sera une puissance mondiale (…) ». (déléguée du Conseil Communal Cuatro Sectores).

L’équipe des compagnes architectes du LIHP « à l’écoute de la carte » des habitant(e)s de la commune Vamos con todo, à Petare, avril 2023.

Source : LIHP

Traduction : T.D.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/04/22/video-st-fr-petare-norte-venezuela-chronique-3/

(vidéo/photos:) Construire sa maison, construire son image, vision féminine de la révolution au Venezuela

Lorsqu’elles sont arrivées en 2015 sur le site où elles ont construit un immeuble de six étages, elles n’ont trouvé que de la ferraille et des débris. Aujourd’hui, les travailleuses (80% de femmes) et les travailleurs de l’AVV « Jorge Rodríguez Padre », sur l’avenue principale d’El Algodonal, secteur Antímano, Caracas, s’apprêtent à occuper leurs logements, et à vivre pleinement leur habitat.

L’école de communication des mouvements sociaux « Hugo Chávez » et TERRA TV appuient depuis longtemps ce collectif du féminisme populaire en réalisant ce type de chroniques audiovisuelles (comme le reportage ci-dessus, signé Victor Hugo Rivera) ou le documentaire « Nostalgiques du futur » tourné avec elles pendant une année et récemment projeté dans de nombreux cinémas en Europe. La finalité est de transférer aux travailleuses et travailleurs les outils de production artistique, pour qu’elles ou ils produisent eux-mêmes leurs images et leurs récits. D’où aussi, en 2023, l’organisation d’ateliers comme celui mené par le photographe Félix Gerardi (dimanche 5 février, voir le reportage photos ci-dessous) ou celui de théâtre donné par Douglas Estevam, du Mouvement des Sans terre du Brésil (du 13 au 16 avril, lire le reportage ici).

Thierry Deronne, Caracas, avril 2023.

Photos : « Voir ce que l’on ne voit plus, rendre l’ordinaire extraordinaire » : le 5 février 2023, la magie communicative de Félix Gerardi a permis qu’en quelques heures « las compañeras » s’emparent de nombreux outils pour écrire leur histoire, en vue de la rédaction d’un livre sur l’épopée de l’autoconstruction de leur immeuble. Photos : T. Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/04/12/video-photos-construire-sa-maison-construire-son-image-vision-feminine-de-la-revolution-au-venezuela/

(vidéo:) « Petare Norte », Venezuela, chronique 2.

Cartographie communale comme stratégie sociale

Deuxième épisode d’une chronique vénézuélienne au long cours qui raconte en images comment des citoyen(ne)s rêvent et transforment leur habitat, pour rompre avec la logique capitaliste de l’espace.

Que veut dire : comprendre son territoire ? Comment lire son environnement, ses évolutions, ses dynamiques ? Ces interrogations posées par la démarche collective d’étude urbaine engagée dans le vaste quartier populaire de Petare Norte (près de Caracas, au Venezuela) ont poussé le Laboratoire International pour l’Habitat Populaire (LIHP) à initier une cartographique participative du territoire dans une dialectique entre ce qui est possible d’un point de vue technique (incarné par l’acteur scientifique : architectes, ingénieurs, …), ce qui est nécessaire et souhaitable du point de vue des communautés organisées à l’échelle communale (conseils communaux et communes) et ce qui est plausible, pour la puissance publique (l’État vénézuélien et du gouvernement régional de l’État de Miranda) dans le cadre de ses ambitions politiques, de ses actions et de ses projets de réalisations.

Au fil des réunions, des cartes dynamiques sont produites, tissant des liens de « communications » entre ces trois familles d’acteurs en associant, mêlant, combinant : activités humaines (de l’espace intime à l’espace de socialisation) ; activités urbaines (du public et du privé…) pour appréhender le territoire dans son mouvement et dans l’espace.

Cette deuxième chronique audiovisuelle, réalisée par Jesus Reyes de Terra TV, illustre cette démarche de cartographie participative.

Jean-François Parent

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/04/10/video-petare-norte-venezuela-chronique-2/

(Vidéo/photos:) Un théâtre pour la révolution bolivarienne

Documentaire sous-titré en français sur l’atelier de théâtre offert par Douglas Estevam aux autoconstructrices d’Antimano, 13-16 mars 2023. Production: Terra TV. Réalisation: Jesus Reyes. Durée: 44 minutes.

Le sixième étage de briques rouges, presque achevé, surplombe Antimano, le plus grand quartier populaire du Venezuela. Ici les femmes ont décidé d’assumer elles-mêmes la construction de leurs logements. Lorsqu’elles ont découvert ce terrain en 2015, il n’était que ferrailles et débris. Depuis la colline, entre les piliers de ciment qui s’échappent vers le ciel, on aperçoit le quartier des entassés, des exploités, invisibles sur les cartes d’avant la révolution. « Ce ne fut pas facile de nous semer dans les institutions » explique Ircedia. Cette épopée de bâtisseuses a connu, comme dans toute révolution, son lot d’abandons, de renoncements, de luttes avec la bureaucratie, mais la persévérance des Ayary, Ircedia, Maira, Andreina et tant d’autres, maintiennent en vie le plan de la révolution bolivarienne – transférer le pouvoir d’État aux organisations populaires. C’est ici que nous avons invité le Mouvement des Travailleurs Sans Terre du Brésil à jeter les fondations d’un théâtre populaire.

Le Mouvement des Travailleurs Sans Terre est surtout connu au Venezuela pour sa solidarité fidèle et son soutien à l’agriculture agroécologique : un vaste accord de coopération signé sous l’impulsion de Chávez a été renforcé par Nicolas Maduro. Mais le « mouvement social le plus important de l’Amérique Latine » (Fidel Castro) a aussi développé au Brésil un immense front culturel : quarante groupes de théâtre, écoles artistiques, ateliers d’écriture, réflexions théoriques, publication des pièces, contes et romans écrits par les asentados et asentadas, en témoignent. D’où l’invitation faite par notre École de Communication des Mouvements Sociaux « Hugo Chávez » au Secteur National de la Culture des Sans Terre pour qu’il transmette cette expérience aux communes populaires du Venezuela, en mars 2023.

Pendant que Maria da Silva part donner une formation audiovisuelle dans la commune rurale de El Maizal, à six heures de Caracas, Douglas Estevam offre un atelier de théâtre à une quinzaine d’autoconstructrices d’Antimano. « Qu’ils viennent tous » répond-il aux compagnes qui lui demandent si leurs enfants peuvent participer.

Douglas enseigne à passer de la relation quotidienne au gestus social du théâtre. La construction collective d’une pièce suppose que chaque participant(e) habite son espace, et construise des personnages non naturalistes, à partir de leurs contradictions, et donc transformables. « L’atelier nous permet d’intérioriser notre relation au public » dit Ircedia. « Cela fait des années que nous nous côtoyons dans le travail mais j’ai découvert plus que jamais les autres» ajoute Claudia.

Des personnages naissent de la mémoire des débuts. Ircedia raconte comment après la mort de son mari, Ursulina a mis longtemps à ouvrir la boite à outils du défunt puis, un jour, s’est saisie des tenailles pour se joindre au chantier et nouer les tiges du béton armé sur six étages. Voici Claudia, la vendeuse de rue, qui – telle la Madre Carrar de Brecht -, préfère continuer à vendre ses colliers et ses bracelets malgré la chaleur qui fait qu’on ne vend rien. Il faudra toute la patience d’Ursulina qui vient la chercher une fois, deux fois, pour qu’un jour elle accepte de se rendre à une réunion des bâtisseuses. « De vendeuse de rue à constructrice, oui, j’ai beaucoup changé » expliquera-t-elle à la fin de l’atelier. A l’autre bout de la scène, c’est Maira l’esthéticienne, armée de ses outils de maquillage, qui parle : « mes mains étaient habituées aux pinceaux. Elles ne serviront plus seulement à souligner la beauté des femmes vénézuéliennes mais aussi à les aider à construire leurs maisons ». Miguel Rojas s’avance dans son uniforme militaire pour raconter comment il s’était enamouré du chantier au point d’y passer tout son temps, jusqu’à ce que sa femme lui reproche de l’avoir abandonnée : « Tu as sûrement une amante là-bas ». L’ex-soldat interroge le chœur des femmes : « que faire ? ». « Qu’elle vienne travailler avec nous ! » lui crient-elles.

Dans cet atelier de trois jours et demi – véritable course contre la montre – Douglas Estevam recueille calmement les idées, rassemble les images, parcourt le terrain du chantier, interroge les participant(e)s et, la nuit venue, réfléchit aux exercices qui permettent d’aller plus loin.

L’immeuble de six étages est l’espace parfait pour un théâtre révolutionnaire. Avec son air de « ring de boxe », ses quatre côtés et les étages qui donnent au public des points de vue différents, le rez-de-chaussée rappelle le laboratoire, entre cirque et usine, où Sergueï Eisenstein expérimenta le « cubisme  » dialectique qu’il allait développer au cinéma.

Puis, sur les roches et sur la plaine qui s’étendent au pied de l’immeuble, battues par le vent, Douglas propose aux autoconstructrices de réinstaller les décombres et les ferrailles du début, leurs outils de travail et quelques matériaux de construction : un territoire ouvert vers le passé et vers le futur, sans murs ni rideaux, dans la lumière totale du soleil. Chaque outil émet des sons nouveaux, se mêle aux instruments de musique rapportés par les participant(e)s. Dès que Douglas soumet aux participant(e)s quelques lignes des « Jours de la Commune », le « tous ou personne, tout ou rien » de Brecht se mue en rap. Le « théâtre de l’ère scientifique » et l’énergie anti-coloniale de la révolution bolivarienne se sont vite reconnus.

L’Histoire est le capital des peuples. Une révolution ne peut durer sans un front culturel puissant, déterminé à transmettre à ses propres organisations, aux nouvelles générations et aux peuples du monde entier, les leçons de l’action. Au Venezuela, paradoxalement, un processus visant à construire un État basé sur le pouvoir communard, semble encore paralysé à l’heure de porter au théâtre ou au cinéma de fiction les millions d’histoires quotidiennes de la révolution. Les autoconstructrices d’Antimano montrent la voie, avec leur chœur comme organe vocal d’une révolution féminine. Ircedia Boada insiste : «  Jamais nous ne cesserons de nous former ».

Thierry Deronne, Caracas, 08 avril 2023

Photo ci-dessus: à droite, le formateur du Secteur Culture de la direction nationale du Mouvement des Sans Terre, Douglas Estevam, également membre de la coordination politico-pédagogique de l’École Nationale Florestan Fernandes (Brésil). A gauche, Thierry Deronne, de l’école de communication des mouvements sociaux « Hugo Chávez » (Venezuela), Antimano, 16 mars 2023. Photo: Andreina San Martin.

Photos: Jesus Reyes, Thierry Deronne, Andreina San Martin.

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« Petare Norte » : transformer la vie populaire au Venezuela

Porté par le Laboratoire International pour l’Habitat Populaire*, « Petare Norte » est une expérience-pilote unique au monde, menée avec une commune populaire du vaste « barrio » de Petare, à l’est de Caracas, État de Miranda. Vous pouvez suivre pas à pas chacune des étapes de ce projet participatif de transformation urbaine en vous abonnant à sa chaîne YouTube (sous-titrée en français) : https://www.youtube.com/@terratv2023

« Petare Norte » revêt une importance stratégique au niveau local et international. Son objectif est de trouver des solutions aux problèmes d’une grande agglomération populaire avec la participation directe des habitant(e)s, à toutes les étapes du processus. L’État communal comme plan de la révolution bolivarienne ouvre la la possibilité pour les organisations populaires du territoire de participer, avec voix et vote, à la prise de décision.

La stratégie du projet est l’appropriation du territoire, l’inclusion des habitant(e)s dans l’espace et le temps, le droit d’habiter qui va au-delà du simple droit à la vie et de l’accès à la ville, compris dans ses deux dimensions : le droit d’accès aux biens et aux services et le droit de participer pleinement à la planification de la ville.

Photo : Jean-François Parent, président du LIHP. Carte participative du projet « Petare Norte ». Photo TD

Texte : LIHP

Photos : Thierry Deronne / Vidéo : Jesus Reyes. Production : Terra TV 2023

* Pour plus d’informations : en France : Laboratoire International de l’habitat Populaire, LIHP, 25 rue Jean Jaurès, 93200 Saint-Denis, France / +33 1 42438090 / contact@lihp.info / www.lihp.info
Au Venezuela : LIHP Agencia América Latina, Torre Este de Parque Central, Piso 19, A.P. 1010, Caracas, Venezuela / + 58 212 5732543

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