Loin des médias, le Venezuela

Depuis douze ans, ce modeste blog « de terrain » cherche à témoigner de la nature profonde de la révolution bolivarienne : démocratisation, socialisme participatif, autogouvernements populaires. Le Venezuela n’est pas seulement la victime de l’impérialisme, de ses blocus, de ses agressions ou de ses « sanctions ». C’est un peuple en marche, qui tire de son Histoire anticoloniale et de « l’équilibre du monde » cher à Simon Bolivar, les formes politiques de sa révolution.

Contrairement à ce que font les grands médias, ce blog transmet des expériences utiles à toutes celles et ceux qui veulent changer la vie. C’est une manière de se libérer du piège de « la remorque » qui consiste à passer sa vie à répondre au mensonge du jour (et oblige de ce fait à légitimer des thématiques étrangères aux intérêts des citoyen(ne)s.)

On sait depuis longtemps comment marche le journalisme dominant. Pour épauler le capitalisme dans sa guerre contre les gouvernements rebelles, il isole les peuples et fragmente le réel (sous-thèmes au lieu de la structure, effets au lieu des causes, individualités politiques au lieu des processus collectifs, extinction du temps sous la dictature du « présentisme », etc…). Sa cible, ce sont les militant(e)s de gauche. Il n’attaque pas le Venezuela parce qu’il est une « dictature » mais parce qu’il faut endiguer l’exemple de la démocratie de gauche la plus avancée des Amériques, celle où le record en nombre d’élections côtoie le progrès de la démocratie participative. Bref, tant que durera le quasi-monopole privé des médias, il faudra maintenir ce travail forcé de « réponse ». Comme dans nos « douze points sur les « i » d’élections présidentielles ».

Mais revenons à nos moutons. Force est de constater qu’après 24 ans de révolution, la machine à démocratiser ne se refroidit pas. Deux événements, auxquels j’ai assisté ces derniers jours, en témoignent.

Le Ministère vénézuélien de la Culture a organisé du 21 au 31 mars 2024 la troisième édition annuelle de son Festival International de Théâtre Progressiste. 150 troupes de théâtre nationales, et des troupes théâtrales de 20 pays, ont participé. Dans tout le pays, le public a pu assister à 830 représentations et découvrir le travail de près de 2000 artistes. L’entrée était très modique et, dans la plupart des cas, gratuite. Avec en parallèle, des ateliers et des activités de plein air pour les enfants. École artistique mais aussi prise de conscience. Tous ces spectacles venus d’Amérique latine, d’Europe, d’Afrique et d’Asie, ont permis au peuple vénézuélien de découvrir un monde que les médias prennent tant de soin à occulter.

Venue de Tunisie, d’Afrique, la pièce « L’Albatros » parle de la migration, du cimetière de la Méditerranée et pose des questions urgentes, fondamentales : « Qu’est-ce que l’égalité ? Qui a des droits ? ». Elle parle des mouvements de masse et de la rage des peuples causés par le capitalisme et l’impérialisme global. Ils sont cinq. Le sixième est un petit bateau en papier, brisé par les vagues déferlantes de la mer. « Je remercie la mer de nous avoir accepté sans visas ni passeports. Je remercie les poissons qui nous mangeront sans nous connaître. Lorsque les amis iront frapper à ta porte pour te donner leurs condoléances, refuse-les. » « Quel beau poème, poignant ! » s’écrie une spectatrice vénézuélienne. « Et quel public ! Concentré, chaleureux, intime, respectueux » répond la tunisienne Jamila Chihi. J’ai conversé avec Chedly Arfaoui qui a écrit et mis en scène cette pièce magistrale ainsi qu’avec ses actrices et acteurs – Fatma Ben Saïdane, Abdelkader Ben Saïd, Ali Ben Saïd, Meriem Ben Hamida et Malek Zouaidi. Voici mon reportage (VO FR ST ESP) :

Quelques jours plus tard, j’ai participé à une conférence de presse au Ministère des Communes et des Mouvements Sociaux. Entouré de délégué(e)s de communes (autogouvernements populaires) de plusieurs régions du pays – des femmes en majorité -, le ministre Guy Vernáez explique le processus de la consultation populaire nationale du 21 avril 2024. Près de 4500 communes voteront pour le projet qu’elles considèrent comme prioritaire. Le gouvernement fournira les ressources pour qu’elles puissent l’exécuter, avec leurs propres organisation et leur propre main d’œuvre. Il ne s’agit pas, comme dans d’autres pays, d’une simple consultation. Ici, le vote oblige le gouvernement à financer chacun des projets.

Ces dernières années, le président Maduro a insisté auprès de ses ministres pour qu’ils accélèrent le transfert du pouvoir et des ressources aux organisations populaires. Pour cette élection-ci, plus de 27.000 projets ont déjà été présentés dans les assemblées citoyennes. Venue de l’État de Carabobo, la déléguée communarde Ofelia García explique : « la plupart des projets présentés visent à améliorer les services publics, les routes, la santé, l’éducation, l’environnement, les plans de production, les sports, les processus industriels, les transports publics et le système de production agricole. Tous les conseils communaux de notre territoire ont été convoqués et les projets ont été classés en fonction de leur intérêt commun et non individuel. »

Thierry Deronne, Caracas, le 8 avril 2024.

Photos : ci-dessus, mes questions au Ministre des Communes et mouvements Sociaux Guy Vernaez. Ci-dessous : assemblées citoyennes pour informer sur le vote qui permettra aux organisations communardes de choisir leur projet prioritaire.

Notre reportage (VO ESP) de la conférence de presse :

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/08/loin-des-medias-le-venezuela/

L’aventure de la télévision populaire au Venezuela : entretien avec Thierry Deronne (Venezuelanalysis)

Note : L’interview ci-dessous, réalisée par le site d’information Venezuelanalysis, relate trente ans de travail au Venezuela de notre école de communication, cinéma et théâtre des mouvements sociaux. Vous pouvez soutenir cette école via ce compte. Merci d’avance pour votre solidarité !

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SVP ne mentionner que : « Soutien école communication ».

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Venezuelanalysis : Thierry Deronne est un cinéaste vénézuélien d’origine belge qui accompagne depuis longtemps les luttes de la classe ouvrière et des paysans en Amérique latine. Au milieu des années 1990, au Venezuela, il a encouragé les médias populaires et les projets éducatifs, avant de jouer un rôle clé dans le mouvement de la télévision populaire pendant la révolution bolivarienne. Deronne est actuellement professeur à l’Université Nationale des Arts [créée par Hugo Chávez]. Son dernier documentaire, Nostalgiques du futur, co-réalisé avec Victor Hugo Rivera, est un voyage dans quelques territoires où le féminisme populaire change la vie.

Venezuelanalysis – Tu es arrivé au Venezuela en 1994, en provenance du Nicaragua, où tu avais déjà pris part aux luttes latino-américaines. Une fois au Venezuela, tu as travaillé avec la Escuela de Formación Obrera (École de formation ouvrière) à Maracay, dans l’État d’Aragua. Que peux-tu nous dire de cette expérience ?

Thierry Deronne – C’est grâce aux compagnes féministes vénézuéliennes avec qui je travaillais au Nicaragua dans les années 80, pendant la révolution sandiniste, que j’ai pu, il y a trente ans exactement, parvenir au Venezuela. C’était 5 ans avant la révolution bolivarienne et l’élection d’Hugo Chávez. Notre première base d’opérations fut l’école de formation ouvrière, à Maracay, créée par des avocats spécialisés dans le droit du travail comme Isaias Rodriguez, Priscilla Lopez et d’autres militantes féministes. Un lieu de rencontre, un espace ouvert et parfois clandestin pour tous ceux qui sentaient que quelque chose devait bouger ici, que le pays allait changer. Jan Hol, un Néerlandais qui était un des coordinateurs, faisait vivre chichement cette école avec le financement d’un syndicat des Pays-Bas. C’est dans cet espace que j’ai créé l’École populaire de cinéma et organisé les premiers ateliers audiovisuels pour les activistes de toutes sortes de luttes, travailleur(se)s, mouvements de femmes, paysan(ne)s, étudiant(e)s, etc. Nous nous rendions dans des villages qui luttaient pour la terre ou dans une communauté rurale qui refusait l’imposition d’une décharge industrielle. Nous accompagnions des camarades féministes qui animaient des ateliers contre la violence sexiste et qui voulaient disposer des outils nécessaires pour se représenter sur un film. Ce travail nous a permis de mettre en lumière le rôle des femmes dans la sphère de la reproduction sociale. L’École populaire de cinéma s’est forgée et développée avec ces luttes. Tout en gardant un pied à l’École de formation ouvrière, elle est devenue plus mobile, itinérante : nous sommes allés là où les travailleurs, les militant(e)s féministes ou les paysan(ne)s avaient besoin d’outils pour représenter leurs luttes.

Venezuelanalysis – Peux-tu décrire plus en détail ton travail d’éducateur populaire ?

Thierry Deronne – Il s’agissait par exemple d’organiser un atelier d’écriture de scénarios avec des femmes qui apprenaient à raconter leur propre histoire par le biais de la fiction, en subvertissant le style dominant et normatif des « telenovelas ». Ou travailler sur la récupération de la mémoire historique et documenter les grèves des travailleurs. Nous avons filmé les dernières grèves des travailleurs du textile à Maracay [à la fin des années 90]. Il s’agissait d’un mouvement très important, nous avons aidé les grévistes à le visibiliser. Dans ce documentaire, l’œil de la caméra passe des femmes qui cuisinaient dans les usines occupées aux cortèges de travailleurs, puis aux réunions et aux débats entre grévistes. Nous nous faufilions la nuit dans les usines occupées, toujours en collaboration avec les travailleurs, et nous enregistrions ce qu’ils faisaient. Cette grève a été un tournant pour nous : nous sommes passés de la production de reportages vidéo, à la réalisation d’un véritable documentaire. Par la suite, nous avons fait de la création d’une école vénézuélienne du documentaire l’un de nos objectifs. Un processus révolutionnaire a besoin de documenter ses luttes, ses constructions collectives et ses victoires.

Photos : Teletambores, une des premières chaînes de télévision populaire du Venezuela.

Venezuelanalysis – Vers l’an 2000, tu as fondé Teletambores à Maracay, une des premières chaînes de télévision populaire du pays. Peux-tu nous raconter cette histoire ?

Thierry Deronne – À l’époque, toutes les chaînes de télévision étaient commerciales et, bien entendu, elles ne diffusaient rien sur les luttes des travailleur(se)s. Leur rôle était soit d’occulter, soit de diviser et de démobiliser le mouvement social, en isolant les dirigeants de leur base, en insistant sur la violence, en opposant les grévistes aux usagers, en parlant d’essoufflement de la lutte, etc.. Nous avons installé une antenne de télévision sur le toit de la maison de Maria Santini, dans le barrio Francisco Linares de Alcántara, dans la banlieue de Maracay. Maria était une camarade féministe. Le jeune ingénieur en télécommunications José Ángel Manrique, du projet populaire TV Rubio dans les Andes, nous a donné des conseils techniques. C’est ainsi que nous avons pu commencer à diffuser la télévision dans le quartier. Plus tard, nous avons obtenu un deuxième émetteur, qui a permis d’atteindre plus d’habitant(e)s. Un peu plus tard, vers 1997, Blanca Eekhout et Ricardo Márquez de Catia TVe [une télévision populaire de Caracas] sont venus nous voir. Ils voulaient discuter et voir avec nous comment unir les forces dans la construction de médias d’un type nouveau. C’est ainsi qu’est né le mouvement de la télévision populaire au Venezuela.

Après l’élection d’Hugo Chávez en décembre 1998, et surtout lors de l’assemblée constituante de 1999, quelques amis députés ont défendu l’inclusion du concept de « communication plurielle » dans la nouvelle constitution bolivarienne. C’est ce qui a ouvert la porte au cadre légal et par là, à une multitude de projets de communication non conventionnels au sein de la révolution. Mais le vrai tournant s’est produit lors du coup d’État d’avril 2002 contre Hugo Chávez: les médias populaires ont joué un rôle important dans la résistance et le retour au pouvoir du président élu, alors que les médias privés avaient occulté ce mouvement populaire. La population, et le gouvernement bolivarien, ont compris que les médias privés avaient été un outil majeur du coup d’État contre le processus bolivarien, et qu’une véritable « révolution médiatique » devenait nécessaire. Dans ce contexte post-coup d’État, Chávez est devenu un défenseur des médias populaires. Je me souviens d’une belle histoire : Catia TVe lui a envoyé une lettre l’invitant à inaugurer le nouveau siège, mais la nouvelle réglementation n’avait pas encore été promulguée. Chávez était déterminé à y assister, mais les avocats de la CONATEL [Commission Nationale des Télécommunications] lui ont déconseillé de le faire, à cause du vide juridique. Chávez a répondu: « S’il n’y a pas de loi, faisons-la ! »

Cette prise de conscience a conduit à la rédaction du cadre juridique pour les médias populaires, dans les bureaux de la CONATEL avec la participation de nos médias populaires, dont Catia TVe, Teletambores et TV Rubio. Pour la première fois, des personnes qui ne venaient pas des médias dominants se retrouvaient à la même table que les ingénieurs et les avocats de la CONATEL pour écrire une loi. Ce fut un moment extraordinaire !

Venezuelanalysis – Le mouvement de la télévision communautaire a été très dynamique dans les premières années de la révolution bolivarienne. Quels étaient ses principaux objectifs ?

Thierry Deronne – Chaque télévision communautaire avait son propre style, ses propres méthodes, sa forme et son histoire. Néanmoins, une idée nous rassemblait : le producteur devait être le peuple.
Cela peut paraître simple, mais c’est une véritable révolution ! Nous avons inscrit dans la loi l’obligation pour un média populaire, pour obtenir une concession radio-électrique, de diffuser 70% de productions populaires, et d’organiser une formation permanente pour créer les groupes de producteurs(trices) audiovisuel(le)s. On peut toujours parler en général de participation, mais sans la formation qui permet à chacun(e) de comprendre et manier les outils, idéologiquement et techniquement, cette participation reste lettre morte. Nous rejetions radicalement l’idée du média fait en studio, par des journalistes professionnels, qui se croient le centre du monde, ou tout au moins un centre de pouvoir. Notre télévision populaire Teletambores étant issue d’une école documentaire en rupture avec le code audiovisuel dominant, la participation directe des gens était une évidence. Cela signifie aussi que les processus et les délais de production étaient différents. Nous devions être immergés dans notre milieu populaire, et c’était les habitant(e)s qui menaient les enquêtes, et toutes les étapes de la production.

Autre chose, dans nos ateliers, nous avons toujours critiqué la propagande et la manipulation audiovisuelles. Nous considérons par exemple la relation entre le son et l’image d’une manière créatrice. Contre le pléonasme du son et de l’image, la relation entre un son autonome et une image autonome encourage la création de sens par le public, une lecture plus ouverte. En fait nous réactivions les enseignements de cent ans de pensée marxiste sur les médias et les expériences concrètes de nombreuses révolutions politico-esthétiques. En adaptant cet héritage au Venezuela, nous nous sommes dit : si la force motrice de la révolution bolivarienne est la participation directe du peuple, nous ne pouvons pas tomber dans le cliché simpliste du « imitons les armes de l’ennemi pour les retourner contre lui », car utiliser les codes de Venevisión [grande chaîne de télévision privée du Venezuela] aurait signifié reproduire la télévision de plateau autour d’un présentateur-vedette qui devient vite narcissique, les studios séparés de la vie, une machine à vendre des marchandises télévisuelles à un spectateur passif, bref, une légitimation du capitalisme et une contradiction frontale avec la participation populaire directe.

Photos : images de « Venezuela Adentro », un programme de Vive TV qui racontait les processus vivants d’organisations populaires.

Venezuelanalysis – Fin 2003, tu as rejoint Vive TV, une chaîne publique de télévision. Vive TV était une initiative vraiment extraordinaire à l’époque. De quoi s’agissait-il ?

Thierry Deronne – Vive TV était une chaîne de télévision publique qui se voulait la voix de l’organisation populaire sous toutes ses formes. Le président Chávez décida de la créer pour embrasser la vie du processus et sa réalité populaire, pour sortir de la vieille télévision publique VTV, porte-voix nécessaire du gouvernement mais insuffisante dans le nouveau contexte révolutionnaire. Peu après son inauguration, la jeune militante Blanca Eekhout – venue de la télévision populaire Catia Tve -, nommée présidente de la chaîne, m’a demandé de l’aider à développer un nouveau paradigme de télévision. C’est ainsi que l’école populaire de cinéma a déménagé de Maracay à Caracas. Notre objectif était de créer non pas une nouvelle chaîne, mais un nouveau type de télévision.

Cela n’a pas été facile, car la vitesse de création de Vive Tv, voulue par Chávez, ne nous a pas laissé le temps de former le personnel sur la base de concepts nouveaux, et nous a obligés à faire appel à des compagnes et compagnons qui venaient des médias commerciaux, qui venaient avec des modes de faire « dominants ». Ou à la classe moyenne de l’Université Centrale du Venezuela, qui n’aimait pas trop l’idée que le peuple fasse la télévision, pas plus que les journalistes professionnels engagés à Vive TV, mortifiés à l’idée de ne pas apparaître à l’écran. Différentes idées circulaient sur la manière de faire de la télévision, mais Blanca a finalement soutenu notre proposition de construire quelque chose de nouveau : nous avons pendant six ans pratiqué la formation intégrale d’un(e) travailleur(se) télévisuel(le) organique des organisations populaires : le « producteur ou productrice intégral(e). »

Nous sommes restés fidèles à cette idée marxiste selon laquelle « ce n’est que d’une technique qu’on peut déduire une idéologie ». C’est Augusto Boal qui brise l’espace bourgeois du théâtre où seuls quelques-uns ont le droit d’être acteurs et tous les autres de n’être que spectateurs. D’où son théâtre en rond où les spectateurs qui proposent des modifications de la scène, entrent dans l’espace du jeu et deviennent actrices ou acteurs. C’est Bertolt Brecht qui refuse que la radio fonctionne à sens unique, et propose qu’elle devienne une chose vraiment démocratique, qu’elle passe de la diffusion à l’inter-communication du peuple avec le peuple. C’est Sartre qui dit la même chose à l’heure de fonder un journal : « on croit que la liberté d’information, le droit à la liberté de la presse, c’est un droit du journaliste. Mais pas du tout, c’est un droit du lecteur du journal. C’est-à-dire que c’est les gens, les gens dans la rue, les gens qui achètent le journal, qui ont le droit d’être informé. C’est les gens qui travaillent dans une entreprise, dans un chantier, dans un bureau qui ont le droit de savoir ce qu’il se passe et d’en tirer les conséquences. Naturellement, il en résulte qu’il faut que le journaliste ait la possibilité d’exprimer ses pensées, mais cela signifie seulement qu’il doit faire en sorte que le peuple discute avec le peuple. » C’est Marx, aussi : « Dans une société communiste il n’y a pas de peintres, mais tout au plus des humains, à qui entre autres choses il arrive de peindre » . Tout cela va de pair avec la revendication de récupérer le temps de la vie, de créer un temps de loisir qui ne soit plus voué à « oublier le travail » mais à créer, à aimer, à apprendre. Cela reste plus que jamais un enjeu stratégique pour la prise de pouvoir par le monde du travail, pour l’élévation permanente de ses capacités comme force politique, participative, sociale et culturelle. Toutes ces idées « léninistes » se sont incarnées dans notre formation intégrale à Vive TV, c’est ainsi que nous avons commencé à rompre avec la division sociale du travail. Tout le monde, du cadreur(se) à l’agent(e) de sécurité, des technicien(ne)s aux producteurs(trices) ou aux administrateur(trices), participait à nos ateliers.

Venezuelanalysis – Parle-nous de ces ateliers.

Thierry Deronne – L’objectif était que chacun acquière les outils nécessaires, intellectuels et techniques, pour concevoir et réaliser un programme audiovisuel, non pas dans un espace fermé, une chambre de montage, ou devant un ordinateur pour remplir une case dans la grille de diffusion, mais par exemple en passant une semaine avec un groupe de paysans en lutte pour la terre. L’idée était qu’après avoir vécu plusieurs jours aux côtés des personnes en lutte, les collaborateurs de Vive TV reviendraient avec une idée plus claire des besoins populaires en termes de production audiovisuelle.
Nous invitions aussi les mouvements sociaux à Vive TV. À l’époque, on pouvait entrer dans un studio de Vive Tv et trouver une poignée de travailleurs d’INVEPAL parlant de la prise de contrôle de l’usine de production de papier ou un groupe de paysan(ne)s discutant de leur réalité dans l’État de Barinas. Aujourd’hui, une quinzaine d’années plus tard, quand je voyage à travers le vaste Venezuela, je rencontre des gens qui me disent : « je peux vous aider pour le son ou la caméra, j’ai étudié avec vous à Vive ». L’école de Vive TV a été semée en sol fertile, en plein processus révolutionnaire.

Venezuelanalysis – Tu as encouragé la production non conventionnelle à Vive TV. Peux-tu nous parler des types de programmes qui y étaient produits ?

Thierry Deronne – Nous essayions de réinventer l’ensemble de la télévision, ses relations internes, sa relation au peuple et sa programmation, vue comme un grand « montage » en soi, entre éducation et visibilisation populaire. Nous avions la liberté et les ressources publiques pour le faire. C’était un vieux rêve devenu réalité ! Il y avait un programme qui s’appelait « Venezuela Adentro » [À l’intérieur du Venezuela], dont nous avons produit des milliers d’épisodes. Pour le créer, nous nous sommes inspirés de Santiago Álvarez de l’ICAIC [Institut du cinéma cubain] et de son « Noticiero Latinoamericano » – chronique hebdomadaire de la révolution cubaine. Personne ne mâchait ses mots dans ses reportages : ils traitaient des vrais problèmes auxquels la révolution était confrontée. C’était très instructif et humoristique à la fois. Même si ce « noticiero » exprimait des critiques, la révolution cubaine avait la maturité suffisante pour protéger ce canal. Chaque dimanche, les Cubains s’asseyaient dans la salle de cinéma pour le regarder avec plus d’intérêt que la fiction qui le suivait. Cette expérience a été une source d’inspiration pour notre « Venezuela Adentro », où il était possible d’adopter des positions critiques au sein de la révolution, et où le peuple restait toujours le sujet. Chávez a accueilli et même encouragé la critique au sein de la révolution bolivarienne. Il nous disait : « Occupez les mairies, occupez les gouvernements régionaux ! Changez tout ! » Cela nous a incités à traverser à cheval une rivière, à gravir une montagne, à faire de longues heures de route pour rejoindre, écouter, comprendre des collectifs en lutte un peu partout.

Pour en revenir à la programmation de Vive Tv, je détache trois autres programmes. D’abord le « cours de philosophie » et le « cours de cinéma ». Nous avions souvent des gens souhaitant suivre nos ateliers, mais qui ne pouvaient pas y être physiquement, donc ces cours diffusés par l’écran était une sorte d’ « université en ligne», pour qu’un plus grand nombre puisse les voir. Un autre programme comme « En Proceso » était un plan-séquence qui suivait le travail, par exemple, d’un comité de terres urbain. La caméra suivait les porte-parole du comité qui visitaient les maisons d’un quartier, qui le cartographiaient, qui échangeaient avec les habitant(e)s pour connaître leurs principaux besoins et propositions. L’idée était de présenter la réalité telle qu’elle se vit, sans éliminer les soi-disant « temps morts » où apparemment « il ne se passe rien ».

Venezuelanalysis – Dans les premières années du processus bolivarien, les médias populaires se sont multipliés. Cependant, ce mouvement a décliné au fil des ans. Pourquoi ?

Thierry Deronne – La principale raison est la puissance du modèle de la télévision capitaliste. Les télévisions populaires sont nées comme des îlots dans le vaste océan de la communication capitaliste. Certains n’ont pas reconnu ou compris le potentiel de la télévision participative en tant qu’outil du protagonisme populaire de la révolution bolivarienne. La solution eut consisté à mettre en place une politique publique de communication capable de promouvoir la multiplication des médias populaires à grande échelle (« seule la quantité génère la qualité »…) pour faire émerger un modèle nouveau. Naturellement, cette expansion aurait dû être complétée par une formation et une éducation généralisées et permanentes aux pratiques nouvelles. Des problèmes internes ont également contribué au déclin, notamment le manque de cohésion au sein du mouvement, les conflits « territoriaux », le sectarisme, l’appropriation personnelle ou familiale des médias. Les médias communautaires se heurtaient à un autre obstacle : la technologie coûtait fort cher à l’époque et c’est grâce à l’État révolutionnaire que beaucoup de ces médias ont pu être montés. Mais les organisations avaient du mal à générer des revenus suffisants pour l’entretien ou le remplacement d’équipements obsolètes ou endommagés.

Aujourd’hui, la communication populaire se redéploie dans les smartphones qui offrent une technologie plus abordable et plus légère, qui permet une « écriture » beaucoup plus participative du réel. Sauf que leurs formats ont été pensés par la Silicon Valley, en tant qu’outils de consommation capitaliste. Formats courts, tape-à-l’œil et narcissiques. Avec des répercussions politiques, comme la fragmentation du réel, les tribus étanches du politiquement correct, le sentiment d’impuissance, et sur ce vide politique, la montée en puissance de la peur, de la post-vérité et de personnalités telles que Trump, Bolsonaro ou Milei… Il y a donc deux tâches urgentes à accomplir aujourd’hui. Premièrement, la revitalisation de la communication populaire avec le soutien de l’État pour établir un nouveau modèle. Cela nécessitera des financements, notamment pour la formation. Ensuite, il est impératif de créer un nouveau type de médias sociaux. Nous devons mettre en contact des experts en médias numériques avec les mouvements sociaux pour créer un nouveau réseau qui ne soit pas pensé par le capitalisme mais depuis les besoins de la société, qui laisse par exemple le temps nécessaire pour raconter des histoires d’organisations.

Photos : à Antímano, Caracas, un groupe de femmes construisent elles-mêmes leurs maisons. L’École populaire de cinéma et de théâtre travaille avec elles.

Venezuelanalysis Quel est aujourd’hui l’objectif de cette école de cinéma et de théâtre des mouvements sociaux, née dans les années 90 ?

Thierry Deronne – Créer un grand bataillon de cinéastes documentaires, pour de nombreuses raisons. Les principales sont la préservation de la mémoire historique et la transmission de l’expérience. Mais aussi l’agit/prop, ainsi que l’autocritique. C’est aussi un espace d’étude de la réalité : le cinéma documentaire doit nous donner le temps de comprendre la dialectique fine des processus. Notre école essaie de tenir toutes ces rênes à la fois. Compte tenu du contexte antérieur à la révolution, la télévision commerciale reste une référence écrasante, avec sa publicité, ses telenovelas, ses studios et ses présentateurs(trices)-vedettes. C’est elle qui reste l’école pour de nombreux professionnels des médias. Par conséquent, la production du documentaire révolutionnaire, participatif, reste limitée au sein du processus bolivarien. Plus encore en ce qui concerne la fiction, les récits paraissent souvent écrits dans un pays anachronique, hors révolution, qui oscille entre le monde des telenovelas ou le péplum historique à costumes. La plupart des cinéastes vénézuélien(ne)s restent dans une opposition à la rénovation du cinéma à travers la participation populaire ou font des films thématiquement induits par les grilles des télévisions ou des festivals occidentaux.

Pour affronter cette situation, l’École populaire de cinéma et de théâtre a commencé à organiser des noyaux de production au niveau local. La commune d’El Maizal possède désormais sa propre école de communication populaire, mais il existe également des groupes de travail dans d’autres communes. Comme dans la commune Che Guevara et ailleurs. L’objectif principal est toujours le même : produire à partir de la lutte, de l’organisation, de la vie et de la pensée populaires. Une leçon que je tire de toute cette histoire, c’est qu’à Vive TV, les contraintes de temps, la vélocité de création du média, nous avaient empêché de former la base productive qui aurait pu garantir la programmation permanente du peuple pour le peuple. Notre objectif actuel est de continuer à former les organisations, qui ont beaucoup avancé depuis cette époque pionnière, dans l’espoir que surgissent de nouveaux médias et de nouveaux et nouvelles cinéastes.

Photos : l’école populaire de cinéma et de théâtre forme un noyau audiovisuel dans la commune d’El Maizal.

Venezuelanalysis – L’École populaire de cinéma et de théâtre organise-t-elle également des ateliers de théâtre ?

Thierry Deronne – Bien sûr, notre école s’engage aussi dans la création théâtrale, en s’inspirant de la tradition brésilienne du « théâtre de l’opprimé » et celle du « théâtre épique » de Bertolt Brecht. Deux compagnons du Brésil : Douglas Estevam, du Collectif Culture du MST, et Julian Boal, du Théâtre de l’Opprimé, nous ont aidés en 2023. Douglas a collaboré avec des femmes autoconstructrices à Antímano, pour raconter au pluriel leur incroyable histoire, comme organisation et comme personnes. Parallèlement, Julian a travaillé sur un autre angle, celui de la lutte de ces femmes contre la violence sexiste. Il s’agit là aussi de rompre avec un théâtre encore dominé par la telenovela. Le théâtre de l’opprimé et le théâtre épique de Bertolt Brecht sont des outils extraordinaires pour construire la démocratie participative, raison d’être et moteur de la révolution bolivarienne.
En 2024, le plan implique la formation, la pratique, la réflexion et le suivi. Depuis une collaboration avec des clowns impliqués dans le mouvement des squats au Brésil, puis des exercices à petite échelle de théâtre de l’opprimé, vers des formes plus élaborées de théâtre épique. Pour renforcer notre travail, nous avons également fait appel à un extraordinaire metteur en scène et dramaturge brésilien: Sérgio De Carvalho et sa Compañía do Latão, axée sur le théâtre épique.

Photos : atelier de théâtre épique avec Douglas Estevam au sein du projet d’auto-construction de Jorge Rodríguez Padre à Antímano, Caracas.

Venezuelanalysis – Tu produis ou réalises aussi des documentaires. Comment cela fonctionne-t-il ?

Thierry Deronne
– Certains documentaires sont réalisés en collaboration directe avec des organisations sociales. Prenons l’exemple de « Marcha », centré sur la marche paysanne de 2018. Une grande partie du matériel provenait des paysan(ne)s eux-mêmes. À la fin, nous avons monté le matériel et les paysans nous ont guidés dans ce processus. Il y a aussi des films comme « Nostalgiques du futur » [2023], un documentaire sur le féminisme populaire qui nous a permis de visiter de nombreux territoires où les femmes s’organisent, et de tisser des liens entre les différentes luttes. Nous travaillons actuellement sur un documentaire qui explore les économies communales, celles qui veulent substituer le capitalisme encore majoritaire au Venezuela. Il y a aussi des documentaires réalisés directement par une organisation. Par exemple, notre formatrice Lana Vielma et d’autres communard(e)s d’El Maizal réalisent un documentaire sur les assemblées dans les zones reculées de la commune. L’une des tâches urgentes reste le renforcement de notre école de cinéma documentaire. Comme je te disais, faire les images de notre processus révolutionnaire est vital. La transmission générationnelle est un défi stratégique pour toutes les révolutions; si le fil est rompu, nous savons comment l’Empire en tire parti. Par ailleurs, pour vivre et grandir, les révolutions exigent un processus continu de « révision, rectification et réimpulsion » pour parler comme Chávez… Réduire la communication au marketing est une menace pour l’existence de la révolution et même de la nation.

Propos recueillis par Cira Pascual Marquina

Sources : https://venezuelanalysis.com/interviews/communication-by-and-for-the-people-a-conversation-with-thierry-deronne-part-i/ et https://venezuelanalysis.com/interviews/vicissitudes-of-grassroots-media-a-conversation-with-thierry-deronne-part-ii/

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/02/01/laventure-de-la-television-populaire-au-venezuela-entretien-avec-thierry-deronne-venezuelanalysis/

Comment soutenir une école révolutionnaire de communication pour les mouvements sociaux d’Amérique Latine ?

Photo: Rien qu’en 2023, notre école a offert près d’une quarantaine d’ateliers aux organisations communardes ou autres dans l’ensemble du Venezuela.

L’école itinérante de communication des mouvements sociaux « Hugo Chávez » arrive à ses trente ans de travail au Venezuela et en Amérique latine. Des milliers de compagnes et compagnons des mouvements sociaux ont été formé(e)s pour créer non pas simplement de « nouveaux médias » mais des médias d’un type nouveau. Après ses premiers pas au Nicaragua en 1986, l’école a jeté l’ancre au Venezuela, en 1994. Ce passage d’un pays à l’autre nous le devons aux compagnes féministes vénézuéliennes rencontrées dans les montagnes du Nicaragua, en pleine révolution sandiniste.

Au Venezuela, la vitalité et la capacité de résistance de la révolution, après 24 ans, s’explique par l’Histoire populaire profonde, anticoloniale et antiesclavagiste, ainsi que par la relation créatrice entre organisations populaires et gouvernement bolivarien. Le processus n’est pas parti de la gauche classique – historiquement minoritaire, souvent éloignée des secteurs populaires – mais de la synthèse opérée par Hugo Chávez entre des militaires patriotes de milieu populaire et un peuple capable de s’organiser par lui-même. Aux antipodes de l’image sédimentée par les médias occidentaux, la révolution bolivarienne est une machine à démocratiser en profondeur le champ politique, une démocratie révolutionnaire qui croit dans les autogouvernements populaires. Ce dialogue entre organisations et gouvernement bolivarien est ouvert en permanence. Il revêt une importance toute particulière en 2024, au moment où Nicolas Maduro s’efforce de résorber les énormes dettes sociales, culturelles et existentielles qu’ont généré pour la population dix ans d’un blocus et d’une guerre économique cruelle organisés par l’Occident.

Les 13 et 14 décembre 2023, notre école de communication a été invitée parmi une centaine d’autres organisations à la rencontre nationale « Voces Populares Hablan para la Construcción de una Agenda Común » (« Des voix populaires parlent pour construire un agenda commun »), organisée par le Ministère des Communes et des Mouvements Sociaux. L’objectif du ministère était d’écouter des propositions. « C’est ici que nous allons développer l’agenda. Si nous perdons le pouvoir politique, nous perdons tout. C’est pourquoi nous devons nous articuler. » a expliqué le ministre Jorge Arreaza. Ce type de réunion est organisé dans d’autres pays d’Amérique Latine, là où ont été élus des gouvernements progressistes – comme dans la Colombie de Gustavo Petro ou dans le Brésil de Lula.

A Caracas, les porte-parole des mouvements sociaux ont élaboré leurs propositions au terme de cinq tables de travail. A celle de la Communication populaire – où la compagne féministe Aimee Zambrano du collectif militant de création visuelle UTOPIX était également présente -, Thierry Deronne, au nom de l’École, a tiré le bilan de 24 ans de politiques de communication et fait plusieurs propositions dont :

  • la refonte totale de l’enseignement universitaire de la communication sociale;
  • la création d’une école nationale de communicateurs populaires basée sur un nouveau paradigme;
  • la démocratisation radicale de la propriété des médias (et que le Venezuela appuie le lancement d’une loi internationale en ce sens !);
  • la remise de l’État au service de la communication populaire;
  • la multiplication des concessions légales pour les médias populaires;
  • un projet d’ingénierie numérique pour créer un type de réseaux sociaux libéré du métabolisme narcissique et éphémère de ceux que nous employons par défaut, créés par la « Silicon Valley ».

« Depuis 30 ans, la gauche semble redécouvrir chaque matin la mainmise écrasante du capitalisme sur les médias. Mais elle a bien peu fait pour l’empêcher ou pour penser de nouveaux médias alors que Chomsky, Ramonet, Bourdieu, Sean Mac Bride (UNESCO), Godard, Mattelart, etc… avaient tout expliqué et proposé à partir des années 80. Jusqu’à quand la gauche laissera-t-elle les médias et les réseaux aux mains du Capital et attendra les bras croisés que cet immense pouvoir de facto altère les résultats électoraux (Argentine, Equateur etc…), favorise les coups d’État (Dilma, Lula, Evo, Castillo etc…) ou les prépare (Petro, etc…) ?« 

Ces propositions s’enracinent dans nos trente ans de travail. Au terme d’une enquête que nous avons menée en 2014-2015 sur les 35 télévisions communautaires existantes au Venezuela, une des leçons centrales fut que dans une culture de capitalisme dominant, on ne peut créer un média de but en blanc, mais comme l’aboutissement d’un patient travail de formation collective, intégrale, au sein de l’organisation. Ce processus doit transmettre l’idée fondamentale que « ce n’est que d’une technique qu’on peut déduire une idéologie ». Un média n’est pas révolutionnaire parce que son discours l’est, mais parce que son organisation l’est : ses relations de travail internes, ses processus de formation et de production, sa relation avec le peuple en général. Il n’y a pas de technique neutre, même si le capitalisme a naturalisé celle de « vendre » les programmes à des consommateurs passifs. Pour le directeur du Tricontinental Institute, l’historien indien Vijay Prashad : « Nous ne voulons pas créer un « CNN socialiste ». Nous ne voulons pas copier les médias capitalistes. Nous devons créer des médias socialistes non seulement par leurs contenus mais aussi par leurs formes. Alors les institutions apparaîtraient sous un jour totalement différent. Nous voulons que les paysans soient les médias. Nous voulons que les syndicalistes soient les médias ». Pas de socialisme vivant sans participation populaire directe dans la construction d’une information plurielle, sans émancipation généralisée des consciences et capacité collective de s’orienter dans le monde.

Rien qu’en 2023, notre école a offert près d’une quarantaine d’ateliers aux organisations communardes ou autres dans l’ensemble du Venezuela. Du 16 novembre au 14 décembre, la Cinémathèque Nationale du Venezuela a organisé un atelier sur le thème «Comment et pourquoi faire du film documentaire dans une révolution ? ». Son objectif est résumé par le documentariste et scénariste cubain Julio García Espinoza : «Un cinéma révolutionnaire exige avant tout de montrer le processus des problèmes. C’est-à-dire le contraire d’un cinéma qui se consacre essentiellement à célébrer les résultats. Le contraire d’un cinéma autonome et contemplatif qui « illustre bien » les idées ou concepts que nous possédons déjà. »

L’atelier a permis aux mouvements sociaux de comprendre le rôle du documentaire dans plusieurs contextes révolutionnaires du XXème siècle en analysant de manière participative des documentaires de Dziga Vertov, Camila Freitas, Tatiana Huezo, Marta Rodríguez, Barbara Kopple, Joris Ivens, Marceline Loridan, Patricio Guzman, Carolina Rivas, Agnès Varda, Sara Gomez, Santiago Alvarez, etc… Le documentaire offre de nombreuses fonctions vitales à la révolution : mémoire, agitation/propagande, critique, transmission d’expériences de peuple en peuple, étude approfondie de la réalité, école de création populaire. Il permet aussi inventer aussi un langage libérateur – en permettant la relation égalitaire entre « filmé(e)s » et « filmeur(se)s », jusqu’à la transformation de ces dernier(e)s, ou en créant l’égalité entre les sons, entre les images, et entre le son et l’image. Plus qu’une « description réaliste» on peut le voir à cet égard comme l’essai de nouvelles relations sociales. A la fin de l’atelier sont nés plusieurs projets de documentaires collectifs, notamment à partir du mouvement afrodescendant et du mouvement des autoconstructrices (photos de l’atelier ci-dessous).

Autre type d’atelier offert en 2023 : le théâtre, pour lequel nous avons invité Douglas Estevam et Maria da Silva du Mouvement des Sans Terre. Julian Boal formateur du Théâtre de l’Opprimé a lui aussi apporté ses efforts pour que les femmes autoconstructrices d’Antimano organisent leur groupe de théâtre. Là aussi « ce n’est que d’une technique que l’on peut déduire une idéologie » : la forme du Théâtre de l’Opprimé ou du théâtre épique rompt en pratique avec la forme du théâtre bourgeois où « certains ont le droit d’être en scène, alors que d’autres n’ont que le droit d’être spectateurs » (Julian Boal).

Photo: Douglas Estevam du Mouvement des Sans Terre du Brésil lors de son atelier de théâtre épique avec les autoconstructrices d’Antimano (Caracas)

2024 sera l’occasion de poursuivre dans cette voie avec le Mouvement des Sans Terre du Brésil et d’autres collectifs théâtraux brésiliens. Des étudiants haïtiens formés en agroécologie au Venezuela et qui ont reçu un atelier de notre école en 2022 souhaitent recevoir chez eux, dans l’île, un atelier qui sera organisé dès février. Au Venezuela, 2024 s’annonce aussi comme une étape intense de nouvelles productions – plusieurs documentaires seront produits pour décrire l’émergence d’un monde nouveau, par exemple sur l’économie communarde – et de renforcement du système de communication inter-communal, avec le déplacement des équipes de formation d’une commune à l’autre. Les photos de Rusbeli Palomares, jeune fille de 14 ans et coordinatrice de la communication de la Commune « Che Guevara » dans les Andes, expriment les fruits de la formation visuelle autour du besoin de créer un imaginaire communard (voir ci-dessous).

Comment nous aider ?

Dans ce contexte de demande croissante de formation des organisations populaires, nous voulons faire un saut décisif. Avec plus de matériels, plus d’équipes de formation. Nous voulons aussi acquérir un moyen de transport collectif pour sillonner le pays (dans le style de la photo ci-dessous.)

Vous pouvez nous apporter votre aide via ce compte. Merci d’avance pour votre solidarité.

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SVP ne mentionner que : « Soutien école communication »

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L’alliance entre les Sans Terre du Brésil et la révolution bolivarienne s’intensifie

L’alliance inédite entre un mouvement social et un gouvernement révolutionnaire, scellée par le président Chávez en 2006, se renforce : le président Nicolas Maduro a demandé à son Ministère des Communes et des Mouvements Sociaux d’intensifier la coopération avec les Sans Terre du Brésil.

Le ministère dirigé par Jorge Arreaza, et le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre du Brésil (MST), représenté par son coordinateur national Joao Pedro Stédile, ont tenu le 30 novembre 2022 une vidéoconférence dans le but de renouveler et d’intensifier le programme de coopération et de travail. Un moment particulièrement propice, a rappelé Arreaza, puisque le Venezuela aborde une nouvelle étape de sa transition vers le socialisme et le Brésil entame une nouvelle étape politique avec la victoire de Lula da Silva.

En août dernier, le président Nicolás Maduro avait déjà demandé aux Sans terre de l’aider à développer un projet agro-écologique de plantation de riz. Des représentants du Mouvement ont alors effectué une visite technique au Complexe électronique de systèmes technologiques d’Alcaraván, situé dans l’État rural de Guárico, et ont étudié la possibilité d’une coopération technique. Le protocole d’accord entre ce mouvement social et le ministère des communes existe déjà et a été signé en 2014, huit ans après le premier accord signé avec le gouvernement bolivarien à la suite d’une visite-surprise du Président Chavez à une terre occupée et mise en production par les Sans Terre au Brésil.

Dans son discours, le ministre des Communes Arreaza, a défini le rapprochement comme une nouvelle étape pour générer une alliance politique, technique, technologique et sociale, une alliance intégrale entre le Venezuela et le Brésil, dans laquelle le Mouvement des Sans Terre (MST) et le ministère des communes et mouvements sociaux du Venezuela sont les principaux interlocuteurs.

Un échange de techniques et de savoirs : le Venezuela met à la disposition du MST les processus et les connaissances sur l’expérience de l’organisation du pouvoir populaire et des organisations communardes comme l’outil technologique Sistema de Integración Comunal (SINCO), plate-forme en ligne créée par le Conseil Fédéral du Gouvernement bolivarien pour maintenir une communication directe avec les Conseils Communaux, les Communes, les Mouvements Sociaux et toute organisation de base qui formule ses propres projets et demande l’appui des ressources de l’État.

« Nous avons toujours compris, en théorie et en pratique, que les changements structurels et sociaux ne sont possibles dans une société que lorsque nous parvenons à une équation qui unit un gouvernement populaire à des mouvements populaires forts et disposant d’une masse organisée. Nous suivons votre expérience vénézuélienne avec grand intérêt, car vous avez la possibilité de réunir cette équation » a déclaré Joao Pedro Stedile, de la coordination nationale du MST brésilien, au début de sa participation, au cours de laquelle il a remercié le Venezuela pour sa solidarité constante dans sa lutte politique.

Stedile a expliqué l’expérience particulière du Mouvement en matière « d’organisation, de production, de vie dans les zones rurales« , afin que le ministère des Communes puisse décider comment en faire bénéficier le Venezuela, un aspect de la coopération qu’il a divisé en plusieurs domaines : l’éducation technique, « nous avons investi beaucoup d’énergie dans le développement d’écoles supérieures d’agroécologie et de coopérativisme » ; la formation politique pour élever le niveau de culture et de conscience ; le contrôle des semences, l’agro-industrie coopérative, les machines et outils agricoles, et les bio-intrants, fondamentaux pour affronter le modèle agro-industriel.

Le coordinateur national des Sans Terre a également avancé l’idée d’établir un bureau ou une antenne à Caracas pour la coordination technologique et scientifique, ce que le ministre Arreaza a accueilli positivement, tandis qu’il a proposé de renforcer l’Institut universitaire d’agroécologie « Paulo Freire », situé à Barinas, né de la coopération avec le Mouvement des Sans Terre, dont le leader a ajouté que des écoles d’agroécologie devraient également être créées dans les organisations communardes. Lors de cette vidéoconférence organisée à Caracas le 30 novembre, les deux parties se sont engagées à maintenir la communication et à établir d’autres réunions directes afin de concrétiser et de faire le suivi de ces actions.

Source : https://www.comunas.gob.ve/2022/11/30/ministerio-comunas-movimiento-sin-tierras-brasil-renuevan-programa-trabajo/

Traduction : Thierry Deronne
URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/12/03/lalliance-entre-les-sans-terre-du-bresil-et-la-revolution-bolivarienne-sintensifie/

« Construire sa maison sans dépendre d’une entreprise privée » : l’École du Constructeur Populaire au Venezuela

« Le plus beau, pour ces jeunes qui viennent des milieux populaires, c’est de pouvoir réaliser leur rêve, construire leur propre maison sans dépendre d’une entreprise privée. Les projets collectifs de nos apprenti(e)s naissent de la collaboration avec les habitant(e)s, ils ou elles vont dans la communauté, cherchent le problème et proposent des solutions, grâce à leur formation technique, à partir d’une vision sociale« , raconte fièrement l’ingénieur Eskell Romero, directeur de l’école du Constructeur Populaire « Aristobulo Isturiz ». » « Dans chaque lotissement de la Grande Mission Logement Venezuela se trouve un noyau de notre école« .

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Terra Tve est une expérience unique : une télévision/école qui travaille au Venezuela, sur le terrain, pour vous montrer une révolution participative occultée depuis vingt ans par les médias. Elle a formé des milliers de communicateurs(trices) populaires, réalise des reportages, des documentaires sous-titrés en français, pour les diffuser dans le monde entier. Vous pouvez suivre sa chaîne YouTube en cliquant ici.

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El Maizal, comme une école

Située dans l’Ouest du Venezuela la Commune socialiste « El Maizal » est née de l’expropriation en 2009 du grand domaine du même nom. Fidèle à la vision communale du chavisme, elle renforce chaque jour ses potentiels de production et de formation. Sous les palmes de la future école primaire destinée aux filles et fils des communard.e.s, Lana, membre du comité de formation et Celia, membre de la Brigade des Sans terre du Brésil, nous expliquent le nouveau projet éducatif. Production: Terra TV. République Bolivarienne du Venezuela 2021.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/02/24/el-maizal-comme-une-ecole/

La démocratie qui se construit au Venezuela, par Florin Platon


Le Venezuela possède peut-être le mécanisme de vote le plus efficace et le plus innovant au monde. Après avoir expérimenté leur système de vote, il m’est encore difficile de comprendre pourquoi il n’est pas mis en œuvre en Europe ou aux États-Unis – le système automatisé au Venezuela semble être tiré d’un film de science fiction.

Photo : Florin Platon, Georgiana Nitu, et les député.e.s européen.ne.s Mick Wallace et Clare Daly. Expert en communication publique, Florin Platon est membre fondateur et coordinateur de DiEM25 en Roumanie – le mouvement initié par Yanis Varoufakis, avec Noam Chomsky, Julian Assange, l’eurodéputé portugais Rui Tavares, le philosophe croate Srećko Horvat, le philosophe italien Lorenzo Marsili, la mairesse de Barcelone Ada Colau Ballano, le philosophe allemand Boris Groys etc.

Le 6 décembre, le Venezuela a tenu des élections législatives. Pendant une semaine, j’ai participé en tant qu’observateur international à l’invitation du «Conseil électoral national» (CNE) du Venezuela. J’ai reçu l’invitation en tant que membre fondateur et coordinateur de DiEM25 en Roumanie – le mouvement initié par Yanis Varoufakis, avec Noam Chomsky, Julian Assange et bien d’autres, à être une voix critique et à construire une nouvelle vision de la démocratie en Europe et dans le monde. Quatre autres militants roumains ont répondu à l’appel. L’invitation a également été envoyée aux institutions européennes et aux responsables roumains, qui ont préféré boycotter les élections, avant même qu’elles ne commencent. Comme les États-Unis et leurs alliés.

En regardant de l’autre côté de l’océan les élections américaines ou même les élections en Roumanie et en Europe, il est difficile d’en faire un exemple d’exercice démocratique. Cependant, pour comparer ces systèmes électoraux et rendre un verdict sur les élections vénézuéliennes, la première chose à faire est d’être présent et de les observer sur place. Malgré les boycotts européens et américains, il y a eu des fonctionnaires de l’UE qui ont décidé de participer sur la base du mandat qui leur a été donné par les citoyens de l’UE – « L’établissement refuse de participer ici, mais nous ne représentons pas l’establishment, nous représentons des citoyens européens élus au Parlement européen « – ont déclaré Mick Wallace et Clare Daly, membres du Parlement européen.

Le Venezuela a un passé mouvementé, tout comme l’ensemble de l’Amérique du Sud (et le «Sud mondial» en général). Les «grandes puissances» (plus connu comme la «communauté internationale») ont divisé ces régions en leurs zones d’influence, se disputant leur exploitation. Pour les contrôler, les exploiter et en extraire des capitaux, les puissances occidentales y ont fait des «révolutions», des assassinats ou même des interventions militaires directes, sans aucune restriction envers la souveraineté, les droits de l’homme ou le droit international. Une réalité présente au Venezuela encore aujourd’hui. Je n’ai pas été surpris quand dans un bureau de vote à Caracas, la capitale du Venezuela, pendant l’activité d’observation, un vieil homme a mis sa main sur mon épaule et a dit – « Yankee, go home! ». La politique de « l’Occident » envers « les autres » est restée la même aujourd’hui, d’autant plus que rien ne les arrête, comme dans la célèbre remarque de la Grèce antique – « Les puissants font ce qu’ils veulent et les faibles endurent » (Thucydide)

La mission a commencé par des aventures des routes de vol – certains observateurs se sont retrouvés bloqués au Mexique, sous la pression du gouvernement américain. Trump a annoncé qu’il était déterminé à vaincre le socialisme, qu’il a décrit comme le contraire de la liberté, de la prospérité et de la démocratie.

Avec le recul, les États-Unis ont une longue histoire d’agression contre le socialisme, à commencer par le conflit en Corée, au Vietnam et en continuant à ce jour avec le Venezuela. Sous couvert de leurs sanctions illégales, les États-Unis tentent de montrer que tout système autre que le capitaliste et le marché libre ne peut qu’apporter la pauvreté. À cette fin, les sanctions imposées par les États-Unis et leurs alliés, y compris l’UE, affectent toute la population du Venezuela, et en particulier les pauvres, sans discrimination.

Avant l’élection d’Hugo Chavez à la présidence en 1998, le Venezuela était contrôlé par un monopole politique (Pacte Puntofijo), composé de deux partis qui s’alternent au pouvoir, comme le système américain – Acción Democrática (AD) et COPEI. Si le monopole politique, aidé par le contexte économique international, a créé une période de croissance économique, il a également produit une grande corruption et une accumulation de pouvoir économique entre les mains de la clientèle des deux partis qui contrôlaient toutes les ressources de l’État. Ce sera l’héritage que Chavez ne pourra pas surmonter et qu’il oppose toujours aux gouvernements de gauche.

La victoire de Chavez en 1998 signifiait mettre fin à ce monopole et relancer la démocratie au Venezuela. Soutenu par «Patria Para Todos», «Partido Comunista Venezolano» et «Movimiento al Socialismo», Chavez a été voté principalement par les classes ouvrières, les pauvres et les marginalisés socialement. En rédigeant une nouvelle constitution, Chavez a également changé le nom du pays en «République bolivarienne du Venezuela». Bien que le Venezuela ait connu une forte prospérité économique grâce aux exportations de pétrole, la plupart de la population vivait dans une pauvreté extrême, sans éducation ni soins de santé. Dès sa première année au pouvoir, Chavez lancera une série de programmes sociaux, regroupés plus tard en 2003, dans les «missions bolivariennes». Au-delà de leur aspect social, il faut noter qu’à travers eux, notamment à travers la mission d’alphabétisation et d’identification de la population, une grande partie de la population, jusque-là exclue du vote, a obtenu le droit de vote.

Observer les élections

Dans les banlieues encore plus pauvres, la participation était beaucoup plus élevée et les citoyens plus enthousiastes que dans les zones plus riches.

Des mesures de sécurité médicale supplémentaires imposées par la pandémie de covid-19 ont forcé les gens à se distancer et à se distancer de plusieurs zones d’accès, chacune avec des mesures de désinfection. Les centres de vote étaient organisés principalement dans les écoles. Devant eux, des auvents ont été construits, équipés de chaises, comme première zone d’accès dans le processus de vote, où les gens pouvaient attendre l’entrée des locaux.

A l’entrée du périmètre de l’école se trouvait la première zone de désinfection, fournie par les militaires ou spécialement aménagée par elle. Il y avait une deuxième salle d’attente dans la cour de l’école et dans le couloir, le tout pour éviter les embouteillages et garder la distance. Un bureau de vote comptait entre 4 et 6 bureaux de vote dans les salles de classe, selon la population. En fonction de la carte d’identité, chaque citoyen était distribué dans un certain bureau de vote.

A l’entrée de l’école il y a eu une deuxième désinfection et une troisième à l’entrée de la classe, dans le bureau de vote. Lors du vote, la quatrième désinfection suit, après s’être identifié sur l’enregistreur spécial d’empreintes digitales, on vote et on signe dans le registre électoral. Et bien sûr, l’obligation de porter un masque dans tous les espaces publics. Il s’agit peut-être du protocole de prévention de la pandémie le plus élaboré et le mieux développé, utilisé lors des élections pendant cette période. En fait, le monde a pris très au sérieux les risques de pandémie, en respectant les mesures sans aucune indication ou pression préalable des autorités. Les transports en commun n’étaient pas bondés non plus.

Tous les bureaux de vote sont gardés par l’armée à l’intérieur et par la police et la «Guardia Nacional», une sorte de gendarmerie, à l’extérieur du bureau de vote. De plus, dans les rues, vous pouviez voir la police presque partout, à n’importe quelle intersection ou station-service. Leur but était d’empêcher toute tentative violente de boycotter l’élection, mais aussi d’inspirer confiance dans le vote. Le Venezuela a l’un des taux de criminalité violente les plus élevés de la région. En février 2020, un groupe d’extrême droite a incendié le hangar où étaient stockés les machines des bureaux de vote, détruisant la majeure partie de celles-ci, dans le but de boycotter le processus électoral au Venezuela.

La machine à voter

Le Venezuela possède peut-être le mécanisme de vote le plus efficace et le plus innovant au monde. Après avoir expérimenté leur système de vote, il m’est encore difficile de comprendre pourquoi il n’est pas mis en œuvre en Europe ou aux USA. Comparé au système de vote par bulletin de vote, compté à la main et recueilli dans des sacs, le système automatisé du Venezuela semble venir d’un film de Science Fiction. Et il est utilisé ainsi depuis 1998.

En février, lorsque toutes les machines à voter ont été incendiées et détruites à la suite d’une attaque, il leur a fallu moins d’un an pour fabriquer 14.000 appareils supplémentaires et les améliorer. 22 ans après le premier scrutin du Venezuela, les champions de la démocratie de l’UE et des États-Unis utilisent toujours le vote papier, avec des erreurs et des fraudes électorales. En quoi cela consiste? Chaque bureau de vote a un tel appareil, qui est essentiellement un petit ordinateur à écran tactile. Dans un bureau de vote avec 4 bureaux de vote, il y a 4 machines. Ils sont gardés et transportés par du personnel armé et sont descellés et refermés à la fin, dans le bureau de vote, uniquement en présence du personnel autorisé du bureau de vote, y compris des représentants des partis. Après l’incident de sabotage du réseau électrique au Venezuela, les nouveaux appareils disposent désormais d’une batterie interne qui leur permet une autonomie de plus de 4 heures, en cas de coupures de courant. Pratiquement une fois sorti de la boîte et allumé, l’appareil ne nécessite aucune intervention supplémentaire. Un technicien du Conseil national électoral est présent pour les appareils dans le bureau de vote, en cas d’incidents et imprévus. Aussi, jusqu’à la fin du vote, l’appareil n’est connecté à aucun réseau de données, donc toute intervention sur celui-ci est impossible.

Comment se déroule le vote.

Chaque électeur, en fonction de sa carte d’identité, est affecté à un bureau de vote spécifique. Une fois à l’intérieur, la première étape consiste à vérifier votre carte d’identité. L’électeur place la carte dans un support et l’opérateur, sans y toucher, entre les données dans une petite carte. Il convient de noter que l’appareil est chargé uniquement avec les données d’identification des personnes qui doivent voter dans la section respective.

J’ai été témoin lorsqu’une personne a commis une erreur dans le bureau de vote et que la machine a rejeté son inscription, puis a été dirigée par le personnel vers le bureau de vote où elle devait voter. Une fois les données saisies et l’enregistreur confirmant les données, l’électeur place son doigt sur l’appareil et son empreinte digitale est lue, comme une double mesure d’identification. Tous les citoyens vénézuéliens sont identifiés par empreinte digitale lorsqu’ils fabriquent leur carte d’identité.

Ce n’est qu’après cette double identification que le deuxième appareil – la machine à voter elle-même – est activé. Il est sur une table, derrière un écran improvisé, pour se cacher et garder le vote secret. L’électeur se dirige vers la machine et choisit sur l’écran tactile son option de vote. Il y a aussi la possibilité d’un vote blanc, au cas où vous voudriez exprimer votre opposition à toutes les options de vote existantes. Une fois l’option de vote exprimée et confirmée, l’appareil émet un petit reçu dans lequel l’option de vote effectuée est enregistrée. L’électeur peut maintenant vérifier si le reçu émis correspond à l’option de vote exprimée sur la machine.

Après avoir voté sur la machine, l’électeur se rend dans une urne où il place le reçu. Il faut mentionner qu’il n’y a pas de données d’identité de l’électeur, le vote restant secret. Ces reçus restent un double système de vérification de l’exactitude du vote via la machine à voter. Après l’urne, l’électeur signe le registre de vote, où il met également son empreinte digitale. Une dernière étape est la désinfection des mains avant que l’électeur ne quitte la salle.

Chaque section est desservie par 4 personnes autorisées et deux «témoins» des partis, nécessairement un du pouvoir et un de l’opposition. Cependant, le système de vote ne permet aucune possibilité de fraude, car le personnel et les témoins ne peuvent en aucun cas corrompre le processus de vote. Par rapport à cela, le système classique utilisé en Europe fait des observateurs de partis une sorte de cerf qui doivent constamment garder les bulletins de vote, ils peuvent être mal comptés voire annulés, chaque processus électoral étant systématiquement suivi d’allégations de vol et de fraude.

Au final, les personnes du registre électoral qui ne se sont pas présentées sont vérifiées dans le registre, afin de ne pas pouvoir apporter des ajouts après. On sait également combien de personnes ont voté dans cette section. Dans le même temps, l’appareil publie un développeur avec les résultats sur la section respective, que chacun des membres de la commission vérifie et signe. Seulement à ce moment, la machine à voter est connectée au réseau de données spécialement utilisé par l’État, par câble ou signal mobile, quand le réseau câblé n’est pas disponible. A ce moment, les données de chaque appareil sont transmises au Conseil National Electoral pour centraliser les données. Quelques minutes après la clôture du vote, le résultat est confirmé au niveau national! Plus simple et plus efficace que ça, c’est difficile à imaginer!

Lors de discussions avec des experts du Conseil électoral national, nous avons cherché des moyens de falsifier le vote. L’une des idées était de cloner un tel appareil et d’entrer illégalement sur le réseau. Cependant, chaque appareil possède un jeton d’enregistrement, un code, dont l’unique correspondant de confirmation se trouve au CNE. Fondamentalement, si vous ne disposez pas du code de confirmation, votre appareil sera identifié comme illégal.

De plus, avec le dispositif déployé à la fin, avant sa connexion au réseau, les observateurs ou «témoins» des différents partis politiques (de droite comme de gauche) ont accès à un comptage parallèle en temps réel. Ainsi, les partis peuvent connaître le résultat du vote, avant même qu’il ne soit centralisé au CNE et confirme la concordance des données. Bien que le résultat du vote soit connu quelques minutes après la clôture du vote, les reçus des urnes sont vérifiés par les bureaux de vote comme mesure supplémentaire. La vérification se fait au hasard dans environ 50% des sections ou là où elle est expressément demandée. Après avoir confirmé la concordance entre le développeur de la machine à voter et les reçus comptés, «CNE» vérifie tous les autres appels et annonce officiellement le résultat du vote. Pour les élections en cours, la confirmation définitive des résultats du vote a eu lieu à 13 heures.

Il faut mentionner que pour la pleine sécurité du vote, vous ne pouvez pas voter dans une autre section que celle où vous êtes affecté, vous ne pouvez pas voter à l’étranger et vous ne pouvez pas voter à distance. Il n’y a pas non plus d’urne mobile, un sacrifice destiné à éviter toute tentative possible de frauder le vote. Pour les personnes âgées ou handicapées, un vote accompagné peut avoir lieu, l’accompagnant signant également dans un registre spécial, avec l’interdiction d’accompagner plus d’une personne, le jour du vote.

Fête démocratique

L’expression souveraine de la démocratie ne peut être mieux incarnée que par le vote, et l’attention et la performance du système électoral au Venezuela montrent avant tout leur appréciation et leur attachement à la démocratie. Priver les citoyens de leur droit de vote ou les priver de ce droit est le plus grand affront et attaque contre la démocratie. 107 partis ont été inscrits dans la course, aux niveaux national et régional, avec un total de 14.400 candidats. Les principaux partis au niveau national ont été regroupés en 5 alliances – deux de gauche, y compris l’alliance au pouvoir – PSUV +, et l’alternative populaire révolutionnaire (Parti communiste) – et trois alliances de droite, y compris les principaux partis historiques du Venezuela – Acción Democrática et COPEI.

Le climat politique du Venezuela n’est pas parfait, il y a des soupçons d’abus du gouvernement pendant son mandat jusqu’à présent et en particulier le conflit constitutionnel entre l’Assemblée nationale (Parlement) et la Cour suprême de justice («TSJ»). Distrait par la propagande de la presse occidentale et présenté comme la principale étape vers l’autoritarisme par le gouvernement Maduro, la raison de la crise constitutionnelle était aussi simple que possible. À la suite des élections du 6 décembre 2015, la Cour suprême a ouvert une enquête sur une accusation de fraude électorale contre 4 députés – 3 de l’opposition et 1 du pouvoir, tous élus dans la région amazonienne et accusés d’avoir acheté des votes. La demande de la Cour de justice était que les 4 ne soient pas investis dans le Parlement avant la fin de l’enquête. Bien que sans les 3 répondants, l’opposition disposait d’une majorité écrasante au Parlement (109 députés sur 167 au total), ils ont décidé d’ignorer la décision du tribunal et d’investir les 3 comme députés, même poursuivis pour fraude électorale. Ce que les médias occidentaux ont qualifié d’abus de pouvoir n’était qu’une enquête indépendante de la justice, à laquelle l’opposition s’est frauduleusement opposée. De plus, le Parlement n’a pas été dissous, mais comme le montre la déclaration de la Cour suprême de justice – « Les décisions prises ou à prendre par l’Assemblée nationale, tant que ces citoyens en font partie, sont nulles et non avenues. »

Le ridicule de la situation est d’autant plus grand que les décisions du Parlement, annulées par l’arrêt, visaient en fait à retirer du parlement les portraits d’Hugo Chavez et de Simon Bolivar (fondateur de l’Etat indépendant du Venezuela) et à libérer un homme politique condamné à la prison. Transposé dans la réalité roumaine, ce serait comme si le PSD arrivait au pouvoir, voterait pour la libération de Liviu Dragnea ou d’autres condamnés, sans aucune base légale et jetterait le pays dans le chaos pour cela. Partant de cet incident et de l’absence de dialogue politique dans l’esprit du droit et du bien public, la situation s’est continuellement dégradée au Venezuela, atteignant des situations dans lesquelles les chefs de l’opposition ont exigé du parlement l’intervention militaire étrangère au Venezuela.

En votant pour un nouveau parlement, toute revendication légitime de Juan Guaido, l’ancien président de l’ancien parlement, autoproclamé président du Venezuela, cesse. Il convient également de noter que Juan Guaido n’a jamais bénéficié d’un large soutien démocratique au parlement. Le parti qu’il représente, «Voluntad Popular», avait remporté 14 députés sur un total de 167 députés ou comparé aux 112 opposants unis. Respectivement environ 8%. De plus, le poste de président du parlement est voté chaque année et à la majorité, l’opposition nommant les chefs de chaque parti de la coalition, par rotation, Guaido étant le 4e président nommé par l’opposition, par ordre d’importance dans la coalition. À la suite de l’élection présidentielle de 2018, Juan Guaido, en tant que président du Parlement, a rejeté le résultat de l’élection et s’est proclamé président par intérim du Venezuela, perpétuant pratiquement le conflit constitutionnel qui avait débuté en 2015.

Toute cette escalade du conflit et l’ignorance des citoyens ordinaires ont finalement eu un fort effet négatif sur la perception de l’opposition au sein de la population. Conscients des coûts matériels pour l’économie, mais surtout pour la population en général, de nombreux députés et partis d’opposition ont pris leurs distances et se sont distancés du groupe radical qui continue de boycotter la stabilité au Venezuela. Henrique Capriles, deux fois candidat de l’opposition à la présidence, a publiquement appelé à la fin de l’administration intérimaire invoquée par l’opposition comme un manque de légitimité. Il est impossible pour aucune démocratie de revendiquer la légitimité du pouvoir autrement que par le vote populaire. Et le 6 décembre 2020, les citoyens du Venezuela ont élu librement et souverainement, un pouvoir que personne ne peut leur enlever, en particulier aux États qui prétendent respecter et pratiquer la démocratie.

L’avenir de la démocratie

Les élections au Venezuela et les tensions similaires générées par l’Occident et d’autres États, comme celles contre la Russie, l’Ukraine, la Bolivie ou la Syrie, soulèvent la question de savoir dans quelle mesure la démocratie invoquée par l’Occident coïncide avec celle pratiquée par eux. Dans quelle mesure les décisions politiques représentent-elles la volonté des citoyens ou l’agenda d’autres intérêts particuliers? Dans quelle mesure la démocratie européenne est-elle la subordination du capital et des intérêts financiers aux citoyens ou la subordination des citoyens à eux? De nombreux intellectuels, de Geroge Orwell à Noam Chomsky ou Slavoj Žižek, ont contesté la pratique de la démocratie en Occident. Finalement, dans l’UE, le bastion de la démocratie, un journaliste a été arrêté et retenu captif et torturé pour avoir simplement dit la vérité – Julian Assange. La violence contre les manifestants, comme les Gilets Jaunes en France ou les manifestations en Allemagne et dans d’autres pays, fait désormais partie de la politique officielle de ces gouvernements. Dans quelle mesure ces gouvernements représentent-ils encore les citoyens? En fait, ce n’est pas une nouvelle que le pouvoir financier et les monopoles des médias influencent de manière décisive les résultats des élections dans ces pays. Et la déception de la population par rapport à la représentativité de ces gouvernements se traduit par la très faible participation de ces États. Si le Venezuela avait une participation de cc. 31% dans les conditions où une partie des partis d’opposition ont boycotté les élections, en Roumanie, aux élections qui ont eu lieu le même jour, également pour le Parlement, la participation était de 33% sans qu’aucun parti ne boycotte les élections.

Ce courant anti-démocratique qui se consolide en Europe va de pair avec une réaffirmation du fascisme et de l’extrémisme dans ces États, la révolution en Ukraine soutenue par l’UE et les États-Unis étant éloquente par la restauration des partis fascistes au pouvoir, pour la première fois depuis 1945. En fait, le régime de Staline était également autoritaire et antidémocratique. Et selon la logique invoquée aujourd’hui par l’UE et les USA, les Occidentaux auraient été les premiers à condamner et tenter une intervention militaire en URSS … Par coïncidence, ils l’ont fait! Et c’est ainsi que l’Holocauste et la Seconde Guerre mondiale ont commencé. Et tous les arguments pour les atrocités nazies de la Seconde Guerre mondiale sont ramenés aujourd’hui, avec le même parfum de normalité, également contre les États qui choisissent des modèles opposés au capitalisme occidental.

L’époque où l’Occident est devenu l’autorité et le centre du monde, avec les «Autres» transformés en États ou colonies de seconde classe, ne représente plus un avenir, mais un passé. L’avenir appartient à un monde multipolaire, avec des droits et des responsabilités égaux partagés entre les citoyens du monde, avec la tâche de combattre la pauvreté, les conflits et la destruction du climat, assumée ensemble. Aucune frontière, aucun mur ne pourra arrêter les effets de ces fléaux de l’humanité, encore moins la pollution et la destruction de notre planète.

Sur le fossé entre ceux qui ont reconnu le droit souverain du peuple vénézuélien aux élections, et ceux qui se sont opposés, condamnant en outre tout un peuple à un embargo injuste et un crime humanitaire, la divergence croissante entre les anciens un monde construit et maintenu sur le colonialisme et l’exploitation, et un nouveau monde qui commence à se définir. C’est ce nouveau départ que nous devons tous imaginer et construire. Ensemble!

Par Florin Platon / Sputnik / traduit par www.venesol.org

L’École de Communication des Mouvements Sociaux Hugo Chavez, c’est parti !

Avant d’initier les premiers ateliers présentiels à Caracas, nous avons décidé de diffuser nos cours en ligne. Ce premier cours « Pour un documentaire qui exprime la beauté intérieure des secteurs populaires » a été conçu par le réalisateur et formateur Jesus Reyes et restera disponible de manière permanente sur Youtube. Après l’avoir regardé, vous pouvez poser vos questions en écrivant à escuelaterratv@gmail.com

Tous les quinze jours un nouveau cours sera mis en ligne pour que vous puissiez vous former à fond, avec l’aide de notre équipe de formateurs(trices), à tous les aspects de la communication populaire au service de la transformation sociale.

La campagne de solidarité pour créer l’Ecole de Communication des Mouvements Sociaux « Hugo Chavez » est en cours. Vous pouvez vous joindre aux 120 premiers donateurs, et faire naître l’école grâce à ce lien : https://www.helloasso.com/…/pour-la-creation-de-l-ecole-de…/

URL de cet article : lecole-de-communication-des-mouvements-sociaux-hugo-chavez-cest-parti

Les entretiens des Nouvelles Libres – L’école de communication internationale des mouvements sociaux à Caracas

Thierry Deronne, créateur du blog Venezuela infos, a accepté de nous parler du projet qui est en train de voir le jour à Caracas : celui d’une école de communication internationale des mouvements sociaux. Entretien.

  1. Bonjour Thierry. Vous habitez au Venezuela depuis 1994. Comment d’abord avez vous pris la décision d’aller vivre là-bas ?

 « Dans les années 80, parmi d’innombrables “internationalistes”, j’ai vécu deux ans au Nicaragua pour apporter mon modeste concours de vidéaste à l’immense effort de transformation mené par le gouvernement sandiniste (1). J’y ai rencontré Mariana Yonüsg Blanco, une militante vénézuélienne féministe dont l’appartement était devenu une sorte de “siège de l’ONU ». Jésuites madrilènes, théologienne de gauche allemande, infirmières basques, professeur de musique mexicain, médecins cubains, femmes bâtisseuses de Condega, nous débattions passionnément, de longues nuits durant, de comment nous allions construire la planète socialiste. Après la défaite électorale des sandinistes en 1990, nombre de ces “architectes” ont dû renoncer à leur « folie » et sont rentrés dans leur pays. Mariana est retournée au Venezuela avec ses enfants. Elle m’a invité à la rejoindre à Maracay pour poursuivre le travail d’éducation populaire. C’est elle qui m’a fait connaitre le MBR-200, le mouvement bolivarien – encore à demi clandestin – conçu par Hugo Chavez à sa sortie de prison. Après la victoire électorale du Comandante en 1998 s’est déployée au Venezuela la même énergie collective qu’au Nicaragua. Grâce à quoi j’ai pu fonder une école populaire et latino-américaine audiovisuelle et deux télévisions populaires. A partir de 2004 j’ai participé à la direction et à la formation du personnel de la télévision publique participative Vive TV créée à la demande du président Chavez par la militante de la communication populaire Blanca Eekhout. »

  1. Sur votre site vous présentez un aspect du Venezuela qu’en France et en Europe nous ne connaissons pas ou peu. Pourquoi ce choix ?

 « Les médias qui fabriquent le consentement mondial ont pour tactique de personnaliser les processus (Venezuela = Maduro, etc.). Invisibiliser le peuple, son rôle moteur dans la démocratie participative, vise à empêcher l’identification citoyenne pour mieux construire des opinions publiques favorables aux “frappes sélectives” contre un “dictateur solitaire”. Depuis vingt ans, les journalistes français, logés dans les secteurs chics de Caracas, ont occulté les 80 % de quartiers populaires où vit la base sociale du chavisme. Ils ont repeint en « peuple » substitutif l’extrême droite insurgée des Guaido et autres, et en « répression » les affrontements générés pour les médias internationaux. On pourra rappeler cent fois que Jimmy Carter, le Conseil des Juristes Latino-américainsRodriguez ZapateroLula ou Rafael Correa, parmi tant d’observateurs internationaux, ont attesté la transparence, la légitimité, le nombre record d’élections, que cela resterait insuffisant. C’est l’inclusion des exclu(e)s et l’avènement d’une démocratie participative qui caractérisent le mieux le Venezuela bolivarien. Montrer ce que les gens font de leur destin, apprendre à comprendre, à respecter et à aimer ce sujet plein d’histoire, qui construit des communes et d’autres formes de pouvoir citoyen, et qui n’est pas seulement une “victime de l’impérialisme pétrolier”, est donc stratégique. C’est l’angle que je privilégie dans mon Blog Venezuela Infos. »

« Si les grands médias du capitalisme n’ont de cesse d’effacer l’Histoire des peuples et d’opposer les citoyen(ne)s pour mieux démobiliser leurs luttes, nous suffira-t-il de démocratiser leur propriété ? »

 

  1. Un projet, l’école de communication internationale des mouvements sociaux est en train de voir le jour. Pouvez-nous le présenter ?

 « Si les grands médias du capitalisme n’ont de cesse d’effacer l’Histoire des peuples et d’opposer les citoyen(ne)s pour mieux démobiliser leurs luttes, nous suffira-t-il de démocratiser leur propriété ? Préparer le monde nouveau pourrait-il se faire sans créer de nouveaux médias qui permettent « au peuple de discuter avec le peuple » ? Récupérer tous ces espaces n’aura de sens qu’en nous formant d’abord et partout à une forme nouvelle, plus participative, moins narcissique, et moins éphémère, d’informer. Et comme disent les Travailleur(se)s Sans Terre du Brésil « c’est en période de reflux qu’il faut se former pour ne pas être pris au dépourvu quand revient la courbe ascendante« … »

  1. D’où est venue cette idée et par qui est-elle portée ?

 « Depuis vingt ans, avec Pablo Kunich d’Alba TV et tant d’autres, nous avons participé à des rencontres de mouvements sociaux latino-américains qui concluaient à ce besoin pressant d’un vaste système de communication populaire. C’est paradoxal : alors que nous assumons que tout travail politique, toute compréhension de l’Histoire suppose de mettre les cartes sur la table, d’ouvrir et de traiter les contradictions à partir du cerveau collectif, au moment de « communiquer » nous revenons à la forme pauvre – commerciale, lisse, verticale – de vendre un message à un consommateur individuel. On recycle les schèmes de la communication du libre marché, des techniques émanant d’un monde que nous rejetons. Or s’il est un acquis de la pensée révolutionnaire en matière de communication, c’est celui qu’Althusser résumait: “Ce n’est que d’une technique que l’on peut déduire une idéologie”. Un média (ou une usine, un État, une université, une commune, etc.) n’est pas révolutionnaire parce que son discours l’est mais parce que son mode de production l’est (à savoir comment il émane de la population, comment il organise le travail, la formation interne, la programmation, etc.).

Située à Caracas, au carrefour des Amériques et des Caraïbes, l’école de communication internationale Hugo Chavez est un vieux rêve des mouvements sociaux. Sa force réside dans les 25 ans d’expérience de ses fondateurs(trices) et dans son infrastructure déjà prête de production et de transmission télévisée. Elle sera un pas important vers le retour du champ médiatique aux mains des citoyen(ne)s et tendra les bras vers les autres continents, vers l’Afrique en particulier. »

  1. Quel est le rôle des mouvements sociaux, et notamment du Mouvement des Sans Terre dans ce projet ?

 « Les Sans Terre du Brésil appuient depuis le début, puissamment, notre école, et de beaucoup de manières, ils font d’ailleurs partie de son équipe pédagogique à Caracas. En tant qu’enseignant(e)s nous avons été très influencé(e)s par l’extraordinaire Université populaire des Sans Terre construite par eux-mêmes, sur la base du volontariat, au sud de Sao Paulo pour les mouvements sociaux du monde entier.

L’école Florestan Fernandes est un projet intégral. Après les matins d’étude de la philosophie, de l’économie politique, de l’agroécologie ou de la théorie de l’organisation, les étudiant(e)s de tous les continents partagent la tâche de produire leur alimentation en cultivant sur le terrain de l’école, et ils s’organisent pour faire la cuisine, entretenir l’école et créer toutes sortes d’activités culturelles parallèles aux cours. Aucune activité n’y est étrangère à la vision transformatrice. Dans notre école de communication aussi, chaque mouvement social apportera sa propre expérience. »

  1. Quelles en seront les modalités ? Qui pourra s’inscrire ? Quels seront les cursus et les matières ?

 « L’école est destinée aux mouvements sociaux – qu’il s’agisse de travailleurs(ses) et créateur(trice)s de tout bord, syndicats, mouvements de femmes, de jeunesse, écologistes, coordinations paysannes, enseignantes, étudiantes, médias alternatifs, etc. Dès 2020, elle organisera chaque année 30 ateliers intégraux, quatre ateliers de formation de formateurs, quatre séminaires, quatre laboratoires de création et deux stages internationaux. Elle apportera des réponses concrètes aux besoins en formation audiovisuelle, photographique, théâtrale, radiophonique, télévisuelle (y compris la transmission en direct) et dans l’écriture multimédia. Elle mettra ses modules de formation et ses master classes en ligne afin d’en faciliter l’accès à tous. Les mouvements pourront également envoyer leurs scénarios ou productions pour être analysés par nos formateurs. L’école sera un espace d’articulation des mouvements sociaux du monde entier et de rencontre avec les organisations populaires locales. »

  1. Depuis l’arrivée au pouvoir de Chavez au Venezuela, les attaques économiques, mais aussi médiatiques, contre le pays se multiplient. Plus généralement elles touchent tous les pays Latinos-américains dirigés par la gauche mais aussi tous les pays du monde qui refusent d’être les valets de l’impérialisme. Cette école est-elle un moyen de rétablir quelques vérités ?

 « Une des conséquences de la vitesse émotionnelle, de l’instantané satellitaire, de l’absence de contexte, etc. qui caractérisent le champ médiatique actuel, est « l’obligation de moyenne ». D’un côté mille médias martèlent la Weltanschauung états-unienne (Maduro-est-un-dictateur-qui-affame-son-peuple), de l’autre le terrain du Venezuela reste trop lointain, difficile d’accès. La plupart des citoyens, intellectuels ou militants sont donc réduits à « faire une moyenne » forcément bancale entre l’énorme quantité de mensonges quotidiens et le réel. Ce qui donne, dans le meilleur des cas : « Il y a des problèmes de droits de l’homme, de famine, de pauvreté, je condamne la violence d’où quelle vienne, etc. »

Comment, dès lors, nous reconnecter au réel ? Quand le Mouvement des Sans Terre du Brésil, ou Via Campesina, ou le Forum de Sao Paulo qui regroupe 168 organisations, partis politiques et mouvements sociaux d’Amérique Latine, ou 28 organisations vénézuéliennes des droits humains décrivent la déstabilisation économique, les violences, mais aussi les réponses populaires et gouvernementales à cette guerre impériale, on dispose d’un large éventail alternatif de sources et d’expertises provenant d’organisations démocratiques. C’est-à-dire de sources directes et d’une connaissance plus profonde de la réalité que la « moyenne » d’un science-po occidental, obligé de préserver sa carrière médiatique et universitaire. Dans notre école, le temps d’enquête, l’acquisition d’une culture historique, la possibilité de travailler sur place avec un secteur aussi ancré dans le réel que les mouvements sociaux, vont permettre en effet de générer toute sortes de contenus, documentaires, reportages multimédias, au-delà de toute propagande. »

« L’information est un besoin vital du peuple pour s’orienter dans le chaos de la globalisation. »

 

  1. A long terme l’école pourra-t-elle être reproduite dans d’autres pays afin d’aider à l’émergence de nouveaux médias ?

 « Telle est en effet notre stratégie : contribuer à mettre en place une politique de rupture médiatique partout dans le monde. Il est temps de sortir de l’éternelle “critique des médias” pour récupérer notre temps, notre agenda. Seule la souveraineté populaire, communicationnelle, la polyphonie des témoignages contradictoires, endogènes, permettent à une nation de croître mais aussi de dialoguer avec les autres. L’information est un besoin vital du peuple pour s’orienter dans le chaos de la globalisation. C’est pour esquiver les menaces, survivre, croître et trouver des alliés qu’il a besoin d’une information plurielle et différenciée – alors que la commerciale est de plus en plus homogène, superficielle, socialement inutile. C’est pourquoi l’avenir du métier d’informer est dans la démocratie participative. Pour le dire avec Sartre “le rôle du journaliste est de permettre que le peuple discute avec le peuple”. Contrairement aux médias commerciaux, la communication populaire ne résout pas la réalité sur l’écran ou sur la scène mais reste une « oeuvre ouverte » pour que le peuple participe à la construction du sens et se mette en mouvement. C’est aussi pourquoi elle est toujours originale dans sa forme. Elle repart toujours de quelque chose de nouveau parce que la réalité bouge à chaque instant, génère une forme nouvelle, non-formatée, à tout moment. Elle fait aussi ce que ne font jamais les médias dominants : un suivi d’une information pour transmettre les leçons qui nourriront la construction d’autres organisations.

Comment ne pas voir que lorsque le mode de produire l’information sera totalement nié par le grand monopole privé, notre grande “cellule” – appelons-la république, nation ou peuple – aura toujours besoin de “s’alimenter” ? Dès lors qu’attendons-nous ? Pourquoi ne pas anticiper les événements ? Combien de coups d’Etat médiatiques de plus attendrons-nous pour rédiger une loi mondiale, de démocratisation de la propriété des médias, refonder un service public participatif qui ne soit pas la copie du privé, remettre le reste des ondes, concessions, fréquences et ressources aux organisations populaires, repenser un usage du numérique organisateur et non narcissique, tribal ou éphèmère, et mettre en activité les écoles de la nouvelle communication sociale ? L’école “Hugo Chavez” est une école parmi d’autres. Chaque peuple va construire la sienne pour générer des médias socialement utiles qui posent les questions utiles aux citoyen(ne)s. »

Pour aider cette école à naître, tout don, même petit, sera très utile : https://www.helloasso.com/associations/primitivi/collectes/pour-la-creation-de-l-ecole-de-communication-integrale-a-caracas-venezuela

(1) : Un peu d’histoire #8 : L’affaire Iran-Contra

Nouveau documentaire sur la révolution bolivarienne: « Semences, rêves et contradictions » (Terra TV)

 

Il y a 13 ans un accord entre le Gouvernement de Hugo Chavez et le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre a permis la présence permanente au Venezuela de formatrices et formateurs brésiliens. Au service de la souveraineté alimentaire mais aussi comme porteurs d’une expérience latino-américaine des plus importantes en matière de formation intégrale pour les mouvements sociaux. Ce travail ne s’est jamais arrêté malgré de nombreux obstacles bureaucratiques.

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Yirley Rodriguez lance le cours

La compagne Yirley Rodriguez (photo), formatrice et militante féministe explique: “L’école de formation internationaliste “A Namuna signifie “la semaille”. C’est le mot Warao pour dire “semaille”. Nous avons choisi un nom indigène en tant qu’école décoloniale. L’école est le produit d’expériences de formation que nos mouvements sociaux mènent depuis de nombreuses années, appuyés par le Mouvement des Sans Terre du Brésil et sa Brigade Internationaliste Apolonio de Carvalho qui s’est établie au Venezuela il y a 13 ans, ainsi des organisations comme “Femmes pour la vie”, “Front Culturel de Gauche”, Editions “La tranchée”, etc…

Plusieurs organisations ont envoyé des compagnes et compagnons étudier dans l’école “Florestan Fernandes” au Brésil, l’école des Sans Terre, et y ont appris une méthode de formation intégrale, basée sur l’éducation populaire. Nos cours couvrent des aspects tels que l’organisation révolutionnaire, le féminisme populaire, la formation de formateurs(trices). L’école “A Namuna” part du contexte populaire, pour ne pas séparer l’étudiant de la réalité populaire dans laquelle il ou elle est immergé(e), pour qu’il ou elle la vive, collectivement, pour mettre à jour les contradictions, les problématiser et pour que les étudiant(e)s cherchent à les dépasser à travers l’organisation sociale. Notamment en construisant des relations de production socialistes et féministes. C’est pourquoi nous avons organisé cet atelier dans le cadre d’une prise de terres de commune El Maizal.”

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Une des méthodes apportées par le Mouvement des Sans Terre est la « Ciranda ». Une équipe formée par les étudiant(e)s s’occupe des enfants pour que les femmes qui sont mères puissent participer pleinement au cours. A ce moment prendre soin des enfants des travailleuses devient les enfants devient une responsabilité de tout le collectif du cours.

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C’est sur l’espace d’une prise de terre par la Commune El Maizal que le cours est organisé, pour mieux marier étude théorique et apprentissage pratique, pour maintenir le concept d’une pédagogie liant l’étude à l’immersion dans la réalité populaire. Chaque sous-groupe étudiant apprend avec les habitants un aspect différent du travail, traire les vaches, réparer des outils, cuisiner, cultiver les parcelles… C’est une autre caractéristique de la pédagogie politique des Sans Terre.

Réalisation: Yarumi Gonzalez.

Montage: Miguel Escalona.

Production: Terra TV.

République Bolivarienne du Venezuela 2019.

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