« Et au milieu coule l’Esequibo », par Maurice Lemoine (Mémoire des Luttes)

En « mission spéciale » à Georgetown le 11 janvier 2024, Mike Pompeo, l’ex-directeur de la CIA et secrétaire d’Etat de Donald Trump, informe le président du Guyana des nouveaux plans du Pentagone et d’ExxonMobil contre le Venezuela.

mardi 13 février 2024   |   Maurice Lemoine

Plusieurs semaines de fortes tensions entre Caracas et Georgetown – capitale du pays voisin, la République coopérative du Guyana. En guise d’explication, TF1 avance : « Le Guyana menacé d’invasion par le Venezuela » (1er décembre 2023). Information que complète Le Monde  : « Le Venezuela lorgne le pétrole du Guyana » (2 décembre). Radio France internationale (RFI) soulignant au passage « les discours belliqueux du Venezuela » (14 décembre).

Au cœur de cette actualité, un différend territorial concernant la région d’Esequibo, contrôlée par le Guyana, mais que le Venezuela revendique. Au large des côtes de la zone en question, la multinationale américaine ExxonMobil vient de découvrir des hydrocarbures. Donc…

« Opportuniste » et par ailleurs « en difficulté face à son opposition », le gouvernement de Nicolás Maduro lance une série de mesures pour s’approprier cette manne pétrolière. Le 3 décembre 2023, il organise un référendum, qui se solde par un oui massif de ses compatriotes au rattachement de la région au Venezuela. Une annexion en bonne et due forme ! La preuve : Caracas crée une « Zone de défense » de l’Esequibo et nomme un général pour la diriger. Désormais, tout un chacun comprend et compatit : il s’agit d’un combat du David guyanien (808 000 habitants) contre le Goliath vénézuélien (28 millions de sujets).

Agressée, Georgetown a saisi la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute instance judiciaire de l’ONU. Le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken affirme son « soutien inébranlable à la souveraineté du Guyana ». Secrétaire général de l’Organisation des Etats américaine (OEA), Luis Almagro fait de même. Ne voyant « aucun argument » susceptible de justifier ce type d’« action unilatérale », le ministre britannique des Affaires étrangères David Cameron appelle de son côté le Venezuela à cesser ses agissements.

En fait, ce qui se passe est bien plus grave que ce qu’on subodorait : le Guyana, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et ExxonMobil sont odieusement agressés par l’ogre vénézuélien.

La République coopérative du Guyana

Indépendant depuis 1966, enclavé entre l’Océan atlantique (au nord), le Venezuela (au nord-ouest), le Brésil (au sud-ouest) et le Suriname (à l’est), le Guyana – officiellement République coopérative du Guyana – couvre 215 000 kilomètres carrés et reste profondément marqué par sa longue appartenance, avec une partie des Antilles, à l’ensemble des Indes occidentales britanniques. Ce, bien qu’il ait été « découvert » par Christophe Colomb en 1498 et qu’il ait également subi la domination hollandaise.

Longtemps, les principales richesses de ce petit pays anglophone ont été la bauxite, clé de voute de son économie, la canne à sucre et le riz ; 90 % des habitants – Afro-Guyaniens (descendants d’esclaves ; environ 30 %), Indo-Guyaniens (travailleurs ultérieurement venus d’Inde ; 40 %), métis (20 %) et Amérindiens (10 %) – vit et travaille dans les zones de basse altitude, le long de l’étroite plaine côtière. La vie sociale repose sur des bases ethniques, héritées de l’époque coloniale, opposant Hindoustanis (affaires, commerce, agriculture) et Afro-Guyaniens (administration, police, armée). Un fort bipartisme, lui aussi plus identitaire qu’idéologique, caractérise la vie politique. D’une part, le Parti civique progressiste du peuple (PPP/C), qui a mené la bataille pour l’indépendance, représente peu ou prou la majorité hindoue. De l’autre, le Congrès national du peuple (PNC) possède une base électorale essentiellement afro-guyanienne.

Objet du conflit, à l’ouest du fleuve Esequibo, le plus long cours d’eau du pays, l’Esequibo ou Guayana Esequiba, tapissé de forêts tropicales, couvre sept dixièmes du territoire (159 542 km², à peu près la moitié de l’Italie) et, très peu peuplé, n’abrite que 125 000 habitants, soit un cinquième de la population.

Le 2 août 2020, au terme d’élections au résultat contesté pendant cinq mois par le président sortant David Granger, qui se représentait, Mohamed Irfaan Ali (PPP/C), fermement appuyé par le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo, est devenu le nouveau chef de l’Etat. D’emblée, il a confirmé vouloir porter le différend frontalier avec le Venezuela devant la CIJ, rappelant que – avant même le mandat de Granger, lui-même très hostile à Caracas – c’est son parti le PPP/C qui, en 2014, à mis un terme au « dialogue de bonnes manières » entretenu depuis plusieurs décennies avec le pays voisin. Le 18 décembre 2020, la CIJ déclara admissible la demande de Georgetown sur le respect d’un traité signé en 1899 (la Sentence arbitrale de Paris) lui attribuant la zone contestée. Quelques temps auparavant, l’ambassadeur des Etats-Unis au Guyana, Perry Holloway, avait abondé dans ce sens en estimant que si les deux pays voulaient « maintenir la paix et adhérer au droit international », la décision de 1899 devait être respectée [1].

Conquêtes, occupations et truanderies

Au commencement étaient les autochtones (Caraïbes, Arawak, Warao). L’inévitable Christophe Colomb (1498). Un an plus tard, les Espagnols entreprennent d’explorer la contrée – sans encore s’y installer. Les Indigènes peinent à prononcer le nom du conquistador. Ils transforment (Juan de) Esquivel en « Esequibo » (c’est du moins ce que prétendent certains historiens). Pirates et corsaires s’abattent sur la région – portugais (1541), français (1543,1544), anglais (1561), multinationaux (1567).

Surtout hollandais, mais aussi britanniques, des Européens plantent leurs cabanes en 1616 au milieu de l’exubérante végétation. En 1648, en vertu du traité de Münster, que signent le Roi catholique d’Espagne et les Seigneurs Etats Généraux des Provinces-Unies des Pays-Bas, les « hidalgos » abandonnent à la Hollande la zone située à l’est du fleuve Esequibo [2]. Quand, en 1814, la Hollande perd les guerres napoléoniennes, qu’elle a eu l’imprudence de livrer aux côtés des Français, le territoire tombe entre les mains de Londres. La Guyane britannique est née.

Trois ans auparavant, le 5 juillet 1811, Francisco de Miranda et Simón Bolivar ont arraché l’indépendance du Venezuela à l’empire espagnol. Toutes les cartes de l’époque en attestent : depuis 1777, les frontières de la capitainerie du Venezuela s’étendaient jusqu’à l’Esequibo [3]. Le 21 décembre 1811, l’ensemble du territoire appartenant à l’ex-capitainerie est inclus dans la première Constitution du Venezuela.

Lorsque les Anglais ont hérité de la Guyane britannique en 1814, ni eux ni les Hollandais qui la leur ont cédé n’ont précisément défini la frontière ouest. Profitant du chaos des luttes d’indépendance, qui se poursuivent au Venezuela, les « british » franchissent subrepticement le fleuve Esequibo et commencent à grignoter des pans entiers du pays voisin.

En 1822, Bolivar fait parvenir une première protestation formelle au Foreign Office avec pour unique réponse : « No way ! »

Sous l’impulsion des Hollandais d’abord, puis des Britanniques, le Guyana s’est peuplé d’esclaves noirs arrachés à l’Afrique et jetés dans les plantations. L’esclavage aboli en 1833, des travailleurs étrangers sous contrat – Portugais, Chinois, puis Indiens (des Indes) – débarqueront par dizaines de milliers.

En 1834, par le biais de la Royal Geographical Society de Londres, les Anglais engagent un naturaliste d’origine allemande, Robert Schomburgk, pour qu’il explore toute la région et en établisse la cartographie. Ce que fait le savant, révélant dans son premier rapport les immenses richesses existant côté vénézuélien du fleuve Esequibo. Des bords de la Tamise montent des murmures intéressés. En 1839, le gouvernement mandate Schomburgk pour fixer une ligne de démarcation, tout en lui enjoignant de « ne pas s’en tenir au traité de Londres de 1814 », mais de « s’étendre au territoire vénézuélien ».

Un an plus tard, tracée arbitrairement, la « Ligne Schomburgk » dépouille le Venezuela de 4 920 km2. Cette fois, la controverse s’envenime. En 1844, invoquant le principe de l’uti possidetis juris (« vous posséderez ce que vous possédiez déjà »), le ministre vénézuélien Alejo Fortique insiste auprès de la puissance coloniale pour que le fleuve soit reconnu comme étant la frontière naturelle entre les deux pays. Londres traîne les pieds, mais, comme Caracas, s’engage à ne pas occuper ni usurper le territoire « en dispute ». Toutefois, perfide Albion oblige, profitant des difficultés du jeune Etat à contrôler ses frontières, l’invasion va se poursuivre, arrachant au Venezuela 141 930 km2 en 1886, qui deviendront 167 830 km2 en 1887 puis 203 310 km2 en 1897 [4]. La découverte de gisements aurifères est passée par là.

Caricature d’époque.

Ivres de leurs succès, les Anglais ont définitivement dépassé les bornes. En 1890, après qu’ils eussent avancé jusqu’à l’embouchure de l’Orénoque, leur flotte a débarqué des troupes sur la côte vénézuélienne. Ils ont juste oublié une chose : la Doctrine de Monroe. Un « texte sacré » gravé dans le marbre en 1823 par les Etats-Unis.

A l’origine, la doctrine avertit : « Aux Européens le vieux continent, aux Américains le Nouveau Monde ». Dit autrement : l’ensemble des Amériques ne peut plus être soumis à la colonisation ou à l’ingérence européenne, qui, menace pour la sécurité et la paix, seront considérées comme hostiles par Washington. La proclamation n’étant pas passée inaperçue, Caracas se tourne vers le grand voisin du Nord. Qui traîne à réagir. Jusqu’à ce que l’un de ses ex-ambassadeurs au Venezuela, William Lindsay Scruggs, ne publie un pamphlet intitulé British agressions in Venezuela ; or The Monroe doctrine on trial (Agressions britanniques au Venezuela ; ou la doctrine Monroe à l’épreuve) [5]. Piqué au vif, Washington interpelle enfin Londres. Qui lui expédie un « bras d’honneur » quand le premier ministre conservateur, Lord Salisbury, rétorque que la Doctrine de Monroe « n’a aucune valeur au regard du droit international ». Ce qui objectivement n’est pas faux – mais le problème n’est pas là ! Une telle remise en cause de la sphère d’influence des Etats-Unis met le président Grover Cleveland en fureur. Cette fois, l’affaire est prise au sérieux.

Le 17 décembre 1895, dans un message au Congrès, Cleveland annonce que les États-Unis « résisteront par tous les moyens à toute appropriation par la Grande-Bretagne ou à l’exercice par celle-ci d’une juridiction gouvernementale sur tout territoire appartenant de droit au Venezuela ». A sa demande, la Chambre des représentants émet la Résolution 252 : un arbitrage international devra résoudre la dispute entre la Grande-Bretagne et le Venezuela.

Touché par une telle solidarité, le président vénézuélien Joaquín Crespo signe des deux mains. Londres grogne, mais se plie aux désidératas de la puissance montante. Le 2 février 1897, le « Traité entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis du Venezuela relatif au règlement de la question de la frontière entre la colonie de la Guyane britannique et les Etats-Unis du Venezuela » (dit plus simplement « traité de Washington ») entérine le principe de l’arbitrage. Au terme des discussions, le Venezuela se montre déjà moins emballé. Une forte pression étatsunienne le menaçant de le laisser seul, « à la merci de la Grande-Bretagne », a précédé la définition de la composition du tribunal : deux juges américains désignés par la Cour suprême des Etats-Unis (Weston Fuller et David J. Brewer) ; deux britanniques nommés par la Cour suprême de leur pays (Lord Charles Russell et Lord Richard Henn Collins) ; un cinquième magistrat désigné par le Roi de Suède et de Norvège – qui s’avérera finalement être un russe ouvertement anglophile, Federico de Martens. Les Vénézuéliens ne sont pas invités à la fête ! Ils seront représentés et défendus par l’ex-président des Etats-Unis Benjamin Harrison et deux avocats de même nationalité (Benjamin S. Tracy et Severo Mallet-Prevost).

Malgré une telle incongruité, comment ne pas faire confiance aux « yankees »  ? En protecteurs désintéressés du continent, ne viennent-ils pas d’intervenir militairement à Cuba pour y aider les patriotes à en chasser les Espagnols et à en faire un pays « libre et souverain » ? Convaincu que la justice lui donnera raison, le gouvernement vénézuélien accepte la formule qui lui est imposée avant d’expédier dix caisses de documents, de courriers et de cartes aux Etats-Unis, où ils seront traduits [6].

Juges et avocats de l’arbitrage de Paris.

C’est donc le 3 octobre 1899, à Paris, sans la présence d’un seul Vénézuélien, qu’est prononcée la sentence. Si elle restitue au Venezuela la totalité de l’embouchure de l’Orénoque, son vital débouché sur l’Atlantique, ainsi que les terres situées de part et d’autre de celle-ci, elle lui arrache la totalité des 159 542 km² illégitimement occupés par l’Angleterre, à l’ouest du fleuve Esequibo. Quelques jours plus tard, le juriste américain Mallet-Prevost, conseiller de la défense du Venezuela, s’épanche en mode discret auprès de son collaborateur et ami George Lincoln Burr : « Nos arbitres ont été contraints d’accepter la décision et, en toute confidence, je n’hésite pas à vous assurer que les arbitres britanniques n’ont été guidés par aucune considération de droit ou de justice et que l’arbitre russe a probablement été incité à adopter la position qu’il a prise pour des raisons totalement étrangères à la question (…) Le résultat, à mon avis, est une gifle à l’arbitrage [7].  »

Le Premier Ministre Lord Salisbury se félicite du résultat de l’Arbitrage et part en courant avec le butin pour le poser aux pieds de son souverain (caricature du Punch de Londres, 11 octobre 1899).

Le verdict passe tout de même comme une lettre à la malle-poste : à ce moment, le Venezuela n’a plus de gouvernement ! Aux prises avec une conspiration qui le renversera vingt jours plus tard, le président Ignacio Andrade s’apprête à quitter le pays. Son adversaire et futur successeur, le général nationaliste Cipriano Castro, n’est pas encore arrivé dans la capitale à la tête de son armée privée [8]. Dans quelques temps (1902), prenant prétexte de dettes non remboursées par Caracas, une coalition de puissances européennes – Allemagne, Angleterre, Italie – dépêchera une escadre de quinze navires pour s’emparer de la flotte vénézuélienne et verrouiller par un blocus les zones côtières du pays.

Pour mettre fin à l’outrage, il faudra que les Etats-Unis – qui viennent de favoriser la sécession du Panamá pour s’emparer d’un territoire jusque-là colombien où ils entendent construire un canal – serve tardivement de médiateur entre Vénézuéliens et Européens, au nom de l’inévitable doctrine de Monroe [9]. Mais, en tout état de cause, la spoliation de l’Esequibo passe alors au second plan. Entre novembre1900 et juin1904, composée de représentants du Royaume-Uni et du Venezuela, une commission mixte ad hoc réalise la démarcation de la frontière établie par la sentence de Paris.

De Paris à Genève

Un demi-siècle passe. En 1949, le scandale éclate au grand jour. Il y a eu de la magouille là-dessous ! Dans un mémorandum qu’il a ordonné de ne publier qu’après sa mort, feu Mallet-Prevost révèle que le « Laudo arbitral de Paris » a été une mascarade, résultat d’un « achat » du président russe du tribunal, Federico de Martens, par les deux juges britanniques et, au nom d’une forme de solidarité anglo-saxonne [10], d’un arrangement politique secret entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis.

La publication de ces révélations dans la prestigieuse revue étatsunienne The American Journal of International Law [11] coïncide, cinquante années s’étant écoulées depuis les faits, avec la possible ouverture des archives britanniques et d’archives privées aux Etats-Unis. Avec l’autorisation de leur hiérarchie ecclésiastique, deux jeunes jésuites qui se trouvent à Londres, Hermann Oropeza et Pablo Celigueta, se plongent dans l’étude des documents. Le résultat de leurs recherches, qui s’étendent sur une dizaine d’années, permet auVenezuela d’étayer la réclamation qu’il porte, en 1962, devant l’Organisation des Nations unies (ONU). Lors d’un contact direct avec son homologue britannique, le 5 octobre 1963, le ministre des affaires étrangères Falcón Briceño expose les arguments du Venezuela avant de conclure : « La vérité historique et la justice exigent que le Venezuela réclame la restitution intégrale du territoire dont il a été dépossédé. »

Après l’échec de discussions tenues à Londres, cette séquence revendicative se clôture les 16 et 17 février 1966 à Genève, à l’occasion d’une réunion entre les ministres des Affaires étrangères Iribarren Borges (Venezuela), Michael Stewart (Royaume-Uni) et Forbes S. Burnham, premier ministre d’une Guyane britannique qui, depuis 1953, jouit d’une autonomie limitée. Les deux jours de négociations débouchent sur un consensus qui, signé par tous en espagnol et en anglais, prendra le nom d’ « Accord de Genève. Lequel, officiellement transmis au Secrétaire général de l’ONU le 2 mai [12], sera validé par le Guyana, conformément aux dispositions de l’article VII, le jour de son accession à l’indépendance, le 26 mai suivant. Indépendance que reconnaît immédiatement le Venezuela.

Engageant donc la nouvelle nation guyanienne, le document signé au bord du Lac Léman prend note des réclamations de Caracas, qui considère la sentence arbitrale de 1899 « nulle et non avenue », et prévoit dans son premier article la mise en place d’une commission mixte pour régler le différend « amicalement » et de « manière acceptable » pour les parties dans un délai de quatre ans. Le texte stipule également (article IV) que, en cas d’échec des négociations bilatérales, les signataires devront « choisir sans délai l’un des moyens de règlement pacifique prévus à l’article 33 de la Charte des Nations Unies », et, si là encore il y a absence de résultat, s’en remettront au secrétaire général de l’ONU. Formule qui, on le découvrira bien plus tard, peut être diversement interprétée.

Accord de Genève.

Sur le coup, l’accord a satisfait tout le monde, mais pas pour les mêmes raisons. Vu depuis le Venezuela, il actait une remise en cause acceptée par tous de la vilenie de 1899 et le bon droit de sa revendication. La Grande-Bretagne y voyait une manière élégante de se laver les mains et de laisser les deux autres protagonistes trouver la solution de l’imbroglio qu’elle avait provoqué. A quelques semaines de l’Indépendance, Burnham considérait que, une fois la Grande-Bretagne évincée de la partie, il aurait les mains libres pour changer les règles du jeu.

Et les Etats-Unis (de Lyndon B. Johnson) ? Implicitement et explicitement, ils appuient fermement… Caracas ! Ex-premier ministre de la Guyane encore britannique, tribun populaire et indépendantiste aux sympathies affirmées pour les pays socialistes, fondateur du PPP, Cheddi Jagan, devenu leader de l’opposition dans le nouvel Etat – désormais gouverné par Burnham –, pourrait bien le transformer en un « nouveau Cuba » si des élections imprudemment « régulières » lui permettaient d’arriver au pouvoir.

Pour des raisons inverses à celles de Washington, Fidel Castro soutiendra le Guyana au cours de la décennie 1970 – Burnham, longtemps considéré comme une marionnette des Etats-Unis, affirmant graduellement son autonomie, stabilisant le pays, nationalisant la bauxite, reconnaissant tous les pays socialistes et contribuant à briser l’isolement de Cuba [13].

Soucieux pour sa part de contrôler l’ensemble du bassin amazonien tout en se préservant des accès sur la mer caraïbe, le Brésil, dans la durée, prendra parti pour le Guyana.

Quand, en 1970, les quatre ans impartis à la commission mixte arrivent à échéance, aucune solution n’a été trouvée. Les tensions s’accumulent. En 1968, oubliant déjà les engagements pris deux ans auparavant à Genève, Burnham a commencé à négocier avec des entreprises étatsuniennes l’exploitation des ressources de la zone contestée. Sachant que, dans cette même zone, en 1969, a éclaté une révolte qui a sacrément secoué le Guyana.

Le soulèvement indigène de Rupununi.

Située au sud de la Guyana Esequiba, la région de Rupununi (58 000 km2) étend ses vastes savanes entourées de forêts à 500 km de Georgetown (et à 1 600 km de Caracas). Seule la voie aérienne permet à l’époque de rejoindre Lethem, son agglomération et centre commercial les plus importants, à proximité du Brésil. Malgré cet isolement, l’agriculture et l’élevage (entre 120 000 et 150 000 têtes de bétail) offrent à la zone une certaine prospérité. Environ 40 000 indigènes wapishana (mais aussi makushi et lokono) la peuplent en compagnie d’une poignée d’Européens (anglais et écossais), d’Américains et de Canadiens à qui la couronne britannique, en son temps, a donné des terres en concession [14]. Laquelle autorité britannique avait également placé les territoires amérindiens sous sa protection.

L’indépendance venue, toutes ces terres sont devenues propriété de l’Etat guyanien. Celui-ci permet à leurs occupants, indigènes ou autres, de continuer à les exploiter, mais en vertu d’une licence renouvelable chaque année. Un statut lui permettant, si ou lorsqu’il le jugera nécessaire, d’expulser ces résidants.

Depuis l’arrivée au pouvoir de l’ « afro-centriste » Burnham en 1968, une forte agitation secoue les Amérindiens de Rupununi, grands oubliés des politiques économiques et sociales de l’Etat. Qui plus est, on prête à Burnham l’intention de confisquer les « haciendas » des grands propriétaires et les parcelles des Indigènes pour les répartir, sur une base ethnique, pour ne pas dire raciste à l’égard des autochtones, à des Noirs et à des Hindous incités à coloniser la région.

La révolte éclate le 1er janvier 1969. Le 2, un groupe de rebelles armés prend la station de police, neutralise, au prix de quelques morts parmi ces dernières, les forces de sécurité. Empêchant toute communication avec la capitale, les stations de radio sont occupées ; les pistes d’aviation secondaires ainsi que celle de l’aérodrome de Lethem sont obstruées par des obstacles et des futs de carburant.

De cette province désormais totalement isolée et sous contrôle, s’élève la voix de Valerie Hart. Une indigène, malgré son nom – qu’elle doit à un époux aviateur, Harry Hart. Depuis l’aéroport de Lethem, entourée d’une centaine de paysannes armées de fusils, Valerie Hart, au nom d’un « Mouvement Guyveno » (guyanien-vénézuélien) annonce la création du Comité provisoire du gouvernement de Rupununi.

Valerie Hart.

Grâce au silence radio qu’ils ont imposé, les rebelles pensent pouvoir contrôler l’ensemble du territoire avant que le pouvoir central n’ait pu réagir. C’est compter sans un missionnaire adventistes étatsuniens de Lethem, partisan de Burnham, qui, possédant un émetteur-récepteur, avertit l’ambassade des Etats-Unis.

La foudre s’abat immédiatement. Le modeste armement des insurgés ne fait pas le poids face à celui des Forces de défense guyaniennes, qui vont jusqu’à utiliser des lance-flammes pour les neutraliser. Très vite en grande difficulté, les révoltés se tournent vers Caracas : une annexion au Venezuela serait possible à condition que leur soient garantis « les droits de l’homme, la propriété de leurs terres et une période de transition plus ou moins longue pour adapter le système juridique de la région au système vénézuélien, ainsi que l’autonomie pour certaines questions locales [15] ».

Par radio, le pouvoir ordonne à la troupe de bombarder les populations indigènes de Pirara et d’Annai – dont les habitations sont réduites en cendre. Sous la pression, la retraite des plus vulnérables doit débuter. Femmes et enfants entreprennent une marche désespérée en direction du Brésil et du Venezuela.

Sans ambiguïtés, cette fois, Hart a lancé : « Nous, les habitants du Rupununi de Guayana et donc Vénézuéliens de naissance, conformément à l’article 35 de la Constitution nationale, lançons un appel au gouvernement, au peuple et aux Forces armées vénézuéliennes pour qu’ils nous aident et empêchent les hordes du Premier ministre du Guyana de nous massacrer. Une autre Baie des Cochons n’est pas conforme à la tradition historique de la patrie de Bolivar [16]. Dans la Baie des Cochons, les Etats-Unis ont abandonné des citoyens non américains. Nous espérons que les Vénézuéliens du Rupununi ne seront pas abandonnés par le Venezuela à une extermination tragique. »

Désormais en grand danger, Hart s’envole avec son pilote de mari pour Santa Elena de Uairén, dans l’Etat de Bolívar (Venezuela). Le 4 janvier, très amicaux à son égard, les militaires vénézuéliens affrètent un vol pour que le couple rebelle gagne Caracas. En tant que présidente du Comité provisoire du gouvernement de Rupununi, Hart y rencontre les ministres de l’intérieur et des Affaires étrangères, Reinaldo Mora et Ignacio Iribarren Borges et leur demande d’appuyer la création d’une région indépendante du Guyana, sous protection du Venezuela. Elle réclame également de pouvoir rencontrer le chef de l’Etat.

A Caracas, la cheffe de la rébellion guyanienne demande l’aide de troupes et d’armes au Venezuela.

Flottement à Miraflores (le palais présidentiel) et à la « Casa Amarilla » (le ministère des Affaires étrangères). Raúl Leoni va, le 11 mars prochain, céder le pouvoir au social-chrétien Rafael Caldera, qui, le 1er décembre 1968, a été élu président.

Nul n’ignore que, à tous les niveaux du pouvoir et par-delà les négociations avec Georgetown, le sort de la Guyana Esequiba a donné lieu en permanence à toutes sortes de spéculations. Ainsi, durant la dictature de Marcos Pérez Jiménez (1952-1958), un plan nommé « Hipótesis Negra » (« hypothèse noire ») a-t-il circulé au sein de l’Académie militaire, qui envisageait la récupération musclée de la Guyana Esequiba. Toutefois, tout despote qu’il fût, Jiménez n’a pas franchi le Rubicon.

Du ministère des Affaires étrangères, le président Leoni lui-même a reçu six possibles scénarii – genre « toutes les options sont sur la table » – pour la reprise du territoire perdu. D’après la chercheuse Sonia Romero Harrington, Leoni aurait considéré comme la moins problématique une sécession puis une annexion au Venezuela « par la libre volonté [des] habitants » [17]. Ce qui ressemble fort à la révolte de Rupununi et conforte l’historien Guillermo Guzmán quand il prétend que, dans les archives personnelles d’Iribarren Borges, figurent de nombreux documents attestant du rôle d’acteurs vénézuéliens dans la rébellion.

Informé des fameux plans par le ministre désormais sortant Iribarren Borges, le futur président Caldera rétorque prudemment qu’il va réfléchir à la question. Durant une visite à des installations militaires de Ciudad Bolivar, quelques semaines auparavant, il a affirmé qu’il traiterait « avec fermeté et conformément aux intérêts du pays la revendication sur la Guayana Esequiba, mais avec en même temps une approche pacifique et conforme aux accords signés à Genève ».

Pour l’heure, Léoni occupe toujours Miraflores. Les réfugiés de Rupununi déferlent sur Ciudad Bolivar. Par effet de contagion, des centaines d’Amérindiens du nord de la Guyana Esequiba passent au Venezuela.

Il est temps que – voyant les fourmis dévorantes du communisme cachées derrière toute manifestation de mécontentement social ou politique – les États-Unis interviennent. Washington fait savoir que ce « mouvement armé » représente une menace pour la région. De son côté, la CIA informe Caracas que, en cas d’appui aux rebelles, l’aide militaire antisubversive lui sera retirée (alors que la guérilla vénézuélienne marxiste des Forces armées de libération nationales [FALN] est encore en activité). Le Venezuela pourrait même voir arriver sur son territoire les « british » de la Royal Navy !

Valerie Hart ne rencontrera pas Leoni. Les ministres lui font comprendre que des « questions de politique internationale très délicates » interdisent toute intervention du Venezuela. Le réalisme ne se transforme toutefois pas en trahison. Accueillant à bras ouverts les milliers de réfugiés, Caracas leur accorde naturalisation et pièces d’identité en tant que « citoyens vénézuéliens de naissance » car originaires d’un territoire que le Venezuela considère lui appartenant.

Georgetown se déchaîne. Le 16 janvier, le Guyana remet une note de protestation au secrétaire général de l’ONU, lui demandant que ses accusations soient portées à la connaissance de tous les pays membres de l’Organisation. Les conséquences n’iront pas plus loin qu’une condamnation du Venezuela par les pays du Commonwealth [18]. Le Venezuela nie toute implication. Les relations diplomatiques ne sont pas rompues. La « pasionaria » Valerie Hart entre dans la légende. Et, aujourd’hui encore, certains Vénézuéliens critiquent vertement l’attitude de Leoni et Caldera, considérant le non appui au soulèvement de Rupununi comme une occasion perdue.

Une embellie nommée Hugo Chávez…

« Nous avons annoncé que nous ne voulions pas d’une situation d’hostilité militaire avec le peuple guyanien, a déclaré Caldera, maintenant installé pour son premier mandat à Miraflores… Cela ne veut pas dire que le Venezuela ne doit pas utiliser toutes ses ressources juridiques, morales et politiques pour la récupération de quelque chose dont il a été injustement privé ». Malgré les tensions, ou peut-être pour les aplanir, les deux gouvernements s’accordent le 18 juin 1979, par le « protocole de Port Spain » (Trinité-et-Tobago), sur un moratoire de douze ans pendant lequel les réclamations seront de part et d’autre gelées [19].

Au moment du dégel, en 1982, Caracas refuse de reconduire le moratoire et propose la reprise de négociations directes. Georgetown, pour la première fois, évoque la Cour internationale de justice – dite CIJ.

Nouveau changement de cap en 1987 : d’un commun accord, les deux pays entérinent la méthode des « bons offices » à laquelle, sous l’égide de l’ONU, béni par les présidents Carlos Andrés Pérez et Desmond Hoyte, se colle en 1989 et pour dix ans, l’ex-secrétaire général de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), le grenadien [20] Alister McIntyre.

Au Venezuela, la IVe République agonise. Arrive un ouragan : Hugo Chávez. Après réforme de la Constitution, le pays devient la République bolivarienne du Venezuela. Un objectif, une vision : l’intégration latino-américaine. Des instruments : paix, souveraineté, respect du droit international.

Le 19 février 2004 demeurera une date historique : tout sourire, un président vénézuélien atterrit à Georgetown pour une visite officielle. A son homologue Bharrat Jagdeo, Chávez propose de privilégier la coopération, y compris dans l’Esequibo. « Le gouvernement vénézuélien, déclare-t-il, ne s’opposera dans la région à aucun projet qui bénéficie aux habitants (…) projets hydrauliques, voies de communication, énergie, projets agricoles… »

En 2005, Chávez fait mieux encore : il incorpore le Guyana à l’initiative PetroCaribe qu’il vient de lancer en juin. L’accord permet à treize pays de la Caraïbe d’acheter du pétrole au Venezuela, avec des conditions de paiement particulièrement généreuses (ce qui les sauvera d’un naufrage assuré lors de la grande crise financière déclenchée en 2008 par la déréglementation du système financier aux Etats-Unis).

En mode de paiement original, Venezuela et Guyana procèdent à un échange « pétrole contre riz ». Sans que Caracas ne hausse un sourcil, le Guyana, cette même année 2005, commence à exploiter six gisements d’or, de bauxite et de diamants en Guyana Esequiba.

En 2010, Chávez est tombé d’accord avec Jagdeo pour relancer la mission de « bons offices » paralysée pendant deux ans du fait de la mort du diplomate nommé par l’ONU Oliver Jackman. Le Jamaïcain Norman Girvan a pris le relai. Le 26 novembre de cette même année, Georgetown accueille le IVe Sommet de l’Union des nations sud-américaines (Unasur), à laquelle participe Chávez, qui a tant œuvré pour la création de l’organisation. En remplacement de l’équatorien Rafael Correa, l’anglophone Bharrat Jagdeo va en devenir président pro tempore pour une durée d’un an. Sans être « latino », et grâce au rêve bolivarien, le Guyana occupe désormais toute sa place en Amérique du Sud.

Hugo Chávez et Bharrat Jagdeo, juillet 2010.

Qui, le premier, trahit l’esprit de cette sérénité retrouvée ?

En septembre 2011, sans en aviser Caracas, Georgetown présente à la Commission des limites du plateau continental de l’ONU (CLPC) une demande d’extension de son domaine maritime sur la zone en réclamation. N’importe quel juriste sait pourtant que la Convention de l’ONU sur les droits de la mer interdit toute démarcation entre pays qu’opposent des conflits territoriaux…

Exprimant sa « préoccupation » sans se croire obligée de hausser démesurément le ton, Chávez réagit en envoyant en terrain neutre, à Trinité-et-Tobago, son ministre des Affaires étrangères… Nicolás Maduro. Accompagné du « monsieur bons offices de l’ONU », celui-ci y rencontre son homologue guyanienne Carolyn Rodrigues-Birkett. Résumant l’entrevue, un communiqué exprime la « satisfaction quant aux excellentes relations qui se sont développées entre les deux Etats » et réitère « leur engagement à maintenir ce niveau [21] ».

Minute ! Tout le monde ne voit pas les choses de cette façon…

« La volonté intégrationniste et la construction d’un avenir harmonieux entre nos pays doivent être partagées, communique l’opposition vénézuélienne à travers la Table d’unité démocratique (MUD), mais il est inconcevable qu’elles soient unilatérales, provoquant l’abandon des droits du Venezuela au profit du Guyana ». Les critiques s’abattent sur Chávez et son ministre Maduro, venues d’une droite vénézuélienne que bientôt, chauffée par Washington et l’ « anti-chavisme primaire » des médias, la « communauté internationale » chouchoutera.

« Ils ne parviendront pas à alimenter la polémique, rétorque Chávez, évoquant les opposants (les mêmes qu’aujourd’hui). Ils brandissent des drapeaux de guerre contre le peuple frère du Guyana pour une question que nous sommes en train de traiter au niveau politique et diplomatique. Ils tentent de soulever une tempête dans un verre d’eau ! »

La découverte

Du verre d’eau, on repasse à l’Atlantique. Chávez mort, c’est en tant que chef de l’Etat que Maduro effectue une première visite à Georgetown, le 2 juillet 2013. De cette rencontre reste la forte déclaration qu’il fait en arrivant : « Il n’y aura jamais la guerre en Amérique du Sud ! »

Las, le 16 octobre 2013, la marine vénézuélienne intercepte le « Teknik Perdana ». Battant pavillon panaméen, loué par la compagnie texane Anadarko Petroleum, le navire mène un travail d’exploration dans le « Bloc Roraima », donné unilatéralement en concession par le Guyana à trois compagnies pétrolières, parmi lesquelles Esso, marque associée à la compagnie étatsunienne ExxonMobil. Non seulement le navire prospecte sur la zone contestée, mais il le fait également face au Delta Amacuro, pleinement vénézuélien. Après un bref passage par l’île de Margarita, le capitaine ukrainien du navire Igor Bekirov et ses hommes d’équipage sont relâchés.

Une demande d’explication et une nouvelle rencontre à Port Spain entre ministres des Affaires étrangères – Carolyn Rodrigues-Birkett et Elías Jaua – réitère que « le dialogue et la coopération sont le chemin pour la résolution pacifique des différends entre les Etats ».

Visite de Maduro au Guyana en juillet 2013.

Merci. Pas de quoi. Caracas a fait preuve de souplesse. Lors du VIIe Sommet des Amériques tenu au Panamá les 10 et 11 avril 2015, Georgetown renvoie l’ascenseur. Le 9 mars précédent, depuis la Maison-Blanche, le « good guy » Barack Obama a signé un décret qui, ouvrant le terrain juridique à une possible intervention, fait du Venezuela « une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique étrangère des Etats-Unis ». Comme la brésilienne Dilma Rousseff, l’Argentine Cristina Kirchner, le cubain Raúl Castro, le bolivien Evo Morales ou l’équatorien Rafael Correa, pour ne citer qu’eux, le président guyanien Donald Ramotar se solidarise avec Caracas et critique le « décret Obama ».

Néanmoins… Deux mois auparavant, le 26 janvier 2015, Washington avait invité tous les pays de la Caraïbe à un Sommet sur la sécurité de l’énergie. Animé à l’évidence des meilleures intentions, le vice-président Joe Biden y a averti ces petites nations insulaires aux équilibres fragiles que les livraisons de PetroCaribe pourraient bien, prochainement, subir une chute brutale. Mieux vaudrait, a-t-il suavement avancé, que dans le cadre de l’Initiative de sécurité énergétique des Caraïbes, en cours de création, cet accord soit remplacé par de nouvelles alliances avec un partenaire beaucoup plus fiable : les Etats-Unis.

Fin de l’éclaircie

Pour sortir d’une confrontation avec son Parlement, que domine l’opposition et qu’il a suspendu afin d’éviter une motion de censure à son encontre, le président Ramotar a convoqué des élections anticipées. Depuis 1992, le Parti civique progressiste du peuple (PPP/C), son parti, gouverne le Guyana. Le scrutin du 11 mai 2015 marque un changement historique : à la tête d’une coalition de cinq partis, que domine le Congrès national du peuple (PNC), David Granger est élu de justesse (50 % des voix) et devient le huitième président du pays.

Passé par les académies militaires de Grande-Bretagne, du Nigéria et du Brésil, perfectionné par l’Université nationale de défense de Washington, poli en Floride par la Joint Special Operations University du Commandement sud de l’armée des Etats-Unis, Granger, parfait produit « made in USA », a terminé sa carrière en 1992 comme commandant-en-chef de la Force de défense du Guyana. Depuis, il fait de la politique. Et se montre très hostile à l’égard du Venezuela.

Tout va très vite et semble avoir été soigneusement préparé. Le 20 mai, neuf jours après la victoire électorale de l’ex-général, ExxonMobil, qui en connaissait l’existence depuis le mois de mars précédent, révèle avoir découvert 1,4 milliards de barils de pétrole de grande qualité dans le « Bloc Stabroek », une zone de 60 000 km2, au large de la Guyana Esequiba. Dès le lendemain, Granger pose sur le pont du navire d’exploration « Deepwater Champion », à 120 milles (222 km) de la côte, en compagnie de dirigeants de la compagnie pétrolière et de membres de son gouvernement. Puis il part aux Etats-Unis.

Comme il était prévisible, Caracas s’insurge et exige d’Exxon qu’elle cesse ses opérations : « L’Esequibo est un territoire vénézuélien et, par conséquent, tant qu’il n’y a pas de décision sur notre territoire, les eaux ne peuvent pas être utilisées à quelques fins », déclare la ministre Delcy Rodríguez. Maduro demande à l’ONU d’activer le mécanisme des « bons offices. Une attitude si… terriblement agressive qu’elle amène Granger à retourner aux Etats-Unis en juillet pour alerter, lors d’un discours prononcé au William Perry Center of Hemispheric Defense Studies : « Le Guyana est actuellement confronté au défi d’un Etat plus grand et joue sa survie. »

En gendarme du monde censé représenter la raison, le Département de la Défense US feint s’inquiéter pour la région : « Une [autre] conséquence potentielle d’une guerre entre le Guyana et le Venezuela est la possibilité que l’un ou l’autre pays utilise des méthodes irrégulières ou asymétriques lors de l’escalade du conflit. Les méthodes irrégulières ou asymétriques décrivent des techniques telles que le terrorisme, la guérilla, la subversion et la cyber-guerre, qui évitent généralement les confrontations directes avec la puissance militaire des gouvernements [22]. »

Et pour quelques barils de plus…

ExxonMobil… En 1900, on l’appelait Standard Oil Trust – un regroupement de compagnies achetées en 1882 par John Rockefeller et ses associés. Méthodes peu orthodoxes ruinant les concurrents et organisant l’évasion fiscale ; acquisitions, fusions ; lois antitrust obligeant en 1911 le monopole à se partager en trente-trois sociétés séparées ; profusion de sigles et de marques – Standard Oil, Socony, Esso, Enco, Humble, etc…

L’actuelle ExxonMobil résulte de la fusion le 30 novembre 1999 des compagnies Exxon Corporation et Mobil Oil, respectivement numéros 2 et 4 mondiaux à l’époque, derrière BP-Amoco (BP).

Les dirigeants de la multinationale, désormais « numéro un » dans le domaine des hydrocarbures aux Etats-Unis, ont toujours entretenu des relations étroites avec la classe politique et les gouvernements. « Il s’agit, a écrit le journaliste et universitaire Steve Coll, d’un Etat corporatif qui, au sein de l’Etat américain, a ses propres règles de politique étrangère [23]. » Outre ses subventions aux « think tanks » néolibéraux, Exxon a entre autres financé les campagnes électorales des deux George Bush – Lee « Iron Ass » Raymond, directeur général de 1993 à 2005, étant pour sa part un grand ami du vice-président (de Bush II) Dick Cheney.

A Lee Raymond, succèdera Rex Tillerson, entré dans l’entreprise en 1975 en tant qu’ingénieur. En 2017, à la tête d’une fortune estimée à 151 millions de dollars, dont une bonne partie dans les paradis fiscaux (dixit les « Paradise Papers ») [24], Tillerson quittera la multinationale pour devenir le secrétaire d’Etat de Donald Trump. Sombre présage. Tillerson a un sérieux contentieux avec le Venezuela.

En 2006, alors que le gouvernement de Chávez entamait un cycle de nationalisations, la nouvelle loi sur les hydrocarbures a imposé à trente-deux compagnies pétrolières présentes dans le pays de nouveaux contrats faisant d’elle des entreprises mixtes ayant pour partenaire la compagnie publique nationale PDVSA, laquelle devenait majoritaire (60 %) dans les nouvelles associations. Qui plus est, elles ont été davantage imposées. Si la plupart des multinationales ont joué le jeu, deux ont refusé : ConocoPhillips et ExxonMobil.

Exerçant sa souveraineté, l’Etat vénézuélien a pris le contrôle des actifs des deux entreprises. Devant le Centre international pour le règlement des différends (CIRDI), une dépendance de la Banque mondiale, ExxonMobil a exigé 16,8 milliards de dollars de dommages et intérêts [25]. Et n’a obtenu, six ans plus tard, le 9 octobre 2014, que 1,6 milliard de dollars.

De quoi rendre Tillerson furibond. De mèche avec le Guyana depuis quelques années, il attend toutefois l’arrivée au pouvoir du faucon David Granger et, comble de bonheur, le « décret Obama », pour narguer la République bolivarienne en rendant public le résultat des recherches de la multinationale dans la zone contestée.

L’escalade

Suspendu par Caracas, l’accord « riz contre pétrole » subit le premier les conséquences de la provocation. Dur coup pour l’économie guyanienne : durant les quatre années précédentes, le Venezuela lui a acheté 40 % de sa production.

Schéma désormais classique : tandis que Maduro sollicite la médiation du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, le gouvernement guyanien fait savoir qu’il n’est « pas intéressé » par la poursuite du processus de « bons offices » de l’ONU. Pour lui, une résolution judiciaire devant la CIJ est « l’unique option ». Granger rejette tout autant une autre proposition de Caracas : une réunion avec les douze membres de l’Union des nations sud-américaines (Unasur) pour traiter du différend. Puis il félicite la transnationale canadienne Guyana Goldfields, qui vient d’entreprendre l’exploitation de mines d’or dans le « secteur 7 », contesté, de l’Esequibo.

La ministre des Affaires étrangères Delcy Rodríguez remet une lettre du président Maduro au secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, le 1er juillet 2015.

Alors que la Caricom et l’Association caribéenne de l’industrie et du commerce (CAIC) soutiennent, comme elles l’ont toujours fait, le Guyana, le Parlement (Parlasur) du Marché commun du sud (Mercosur) approuve les revendications territoriales avancées par le Venezuela et approuve « sa diplomatie pacifique pour résoudre le différend ». Dans le cadre de la XXIe Rencontre des partis de gauche latino-américains célébrée à Mexico, le Forum de São Paulo approuve lui aussi à l’unanimité une résolution de soutien au Venezuela et condamne ExxonMobil « pour générer des tensions politiques entre deux peuples frères ».

Un pas en arrière, un pas en avant – Georgetown invente une sorte de tango guyanien. Après une rencontre avec Maduro à New York, en septembre 2015, dans le cadre de l’Assemblée générale de l’ONU, Granger accepte la réactivation du mécanisme des « bons offices ». Pas de quoi satisfaire l’opposition vénézuélienne qui, comme elle le fera en 2023, attaque sous tous les angles, fussent-ils contradictoires, sur le thème du Guyana. La stratégie du pouvoir « semble être un renoncement à défendre nos droits sur l’Esequibo », tonne le secrétaire général du parti Primero Justicia, Tomás Guanipa (futur « ambassadeur » en Colombie du « gouvernement » du président autoproclamé Juan Guaido). « Seize ans d’une politique de sous-estimation d’un thème qui, pour nous, est vital », précise-t-il, avant d’ajouter : « Il semblerait que, comme arrivent les élections [législatives de décembre 2015], ils [le pouvoir] veulent faire une sorte de show – discours repris mot pour mot, par les mêmes, en 2023 ! – et on arrive au comble de ne pas s’en prendre au pays voisin, mais à l’entreprise [ExxonMobil] !  » » Sous prétexte de fustiger Maduro, s’agit pas de se fâcher avec les parrains de la multinationale aux Etats-Unis !

« Le Venezuela n’a pas été et ne sera pas un pays impérialiste, pro-impérialiste, pro-colonialiste, non, nous sommes anti-impérialistes, anticolonialistes, nous développons une doctrine bolivarienne et chaviste de fraternité et d’amitié profonde », a dû rétorquer une fois de plus Maduro. Message bien reçu par le Département d’Etat américain (DoE) : vingt-quatre heures après avoir présenté ses lettres de créance, le nouvel ambassadeur des Etats-Unis à Georgetown, Perry Holloway, déclare que le Venezuela et le Guyana doivent résoudre leur dispute en respectant… la sentence arbitrale édictée en 1899 à Paris.

Dans l’ombre, Rex Tillerson et ses réseaux s’activent déjà depuis longtemps. A ce stade, ce différend territorial rend juridiquement problématique la poursuite des investissements. Non seulement l’Accord de Genève n’offre pas de solution rapide, mais, de plus, il implique de négocier avec l’ennemi intime d’ExxonMobil. Les avocats de la multinationale préconisent d’abandonner définitivement cette voie et poussent à porter l’affaire devant la CIJ. L’influence des grandes puissances – Etats-Unis et Union européenne – voire du Commonwealth, permettent d’envisager une issue plus favorable pour une nation anglophone que pour un pays latino déjà accusé de tous les maux.

Le 16 décembre 2016, cinq semaines après l’élection de Donald Trump, Ban Ki-moon informe qu’il relance les « bons offices », mais qu’il leur impose unilatéralement un terme fixé au 31 décembre 2017.

De manière unilatérale, le Guyana a créé une limite maritime arbitraire qui, conjuguée avec la frontière maritime légale de Trinité-et-Tobago, implique la perte du débouché du Venezuela sur l’Atlantique.
Proyección Marítima de la Zona en Reclamación : projection maritime de la zone en réclamation.
Mar territorial de Venezuela : eaux territoriales du Venezuela.
Línea arbitraria trazada por Guyana : limite arbitraire tracée par le Guyana.

Une pierre de plus sur le chemin de la déstabilisation

Janvier 2017 : Trump s’installe à la Maison-Blanche. Le 1er février, Tillerson arrive à la tête du Département d’Etat. ExxonMobil annonce immédiatement qu’elle va investir 5 milliards de dollars dans la zone que le Guyana lui a concédée. La multinationale joue sur du velours : déjà entamée, la grande offensive pour mettre la République bolivarienne à genoux va bientôt atteindre des sommets.

Du 31 mars au 12 août, une vague de violence insurrectionnelle se solde par un bilan de « 142 morts et plus de 1 000 blessés ». Transformés en martyrs par l’internationale médiatique, la moitié des défunts, souvent chavistes ou sans camp défini, ne participaient pas aux protestations. Quant aux « manifestants pacifiques », ils réussissent la performance de tuer par balles sept membres des forces de l’ordre et d’en blesser vingt-et-un par arme à feu.

Résultat garanti : à l’instigation de Washington, et avec le relais du secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (OEA) Luis Almagro, les pays conservateurs du continent créent le 8 août 2017 le Groupe de Lima [26], destiné à « isoler diplomatiquement le gouvernement de Maduro » et, pour la galerie, à « récupérer la démocratie au Venezuela ». Le Guyana s’empresse de rejoindre la « camarilla » et de se mettre sous sa protection.

Réélu le 20 mai 2018, Maduro n’est pas reconnu par la « communauté internationale » – les Etats-Unis, l’Union européenne, le Groupe de Lima (soit une cinquantaine de pays sur les 193 présents à l’ONU). Le 4 août suivant, une tentative d’assassinat du chef de l’Etat vénézuélien échoue de peu. Sur ordre direct de Washington, le député d’opposition Juan Guaido s’« autoproclamera » président de la République le 23 janvier 2019. L’administration Trump met progressivement en œuvre les 930 mesures coercitives unilatérales illégales – dites « sanctions » – qui, en l’excluant des financements internationaux, en l’empêchant d’acheter des médicaments, de la nourriture et des équipements, de produire ou de vendre son pétrole et son or, vont étrangler économiquement le pays et imposer de très dures conditions de vie à la population.

Sautant dans le train de cette offensive générale, ExxonMobil joue sa partition. Et sait mettre la main à la poche quand il le faut. Comme le révélera l’ex-ministre des ressources naturelles du Guyana, Raphael Trotman, la multinationale a fait cadeau de 18 millions de dollars au gouvernement Granger pour financer une armée de lobbyistes et d’avocats chargés d’exercer une forte pression sur l’ONU [27]. Coïncidence ? En janvier 2018, Ban Ki-moon prend la décision unilatérale de recourir à la voie juridictionnelle et renvoie l’affaire devant la CIJ, sans l’aval du Venezuela. L’article 4#2 de l’Accord de Genève établit pourtant que les parties devront établir d’un commun accord les mécanismes de la solution Dès lors, le Guyana dépose son mémoire pour que « la validité juridique et l’effet contraignant de la sentence arbitrale de 1899 soient confirmés », arguant avec un cynisme éhonté que la dite sentence « est valide et a un caractère obligatoire pour les deux parties ». Bonne fille, la Cour internationale a ouvert le dossier. Un détail : l’article 38#5 de son règlement lui interdit d’entamer une procédure sans le consentement préalable de toutes les parties !

Fort de cette évolution positive pour lui, le duo Exxon-Granger se croit tout permis. Le 22 décembre 2018, la marine de guerre bolivarienne devra intercepter deux navires d’investigation sismique « dans la zone économique de la République coopérative de Guyana » – en réalité dans l’aire correspondant à la projection maritime du Delta Amacuro, sous totale souveraineté du Venezuela.

« Par respect envers la Cour », le président Maduro a annoncé que le Venezuela « fournirait des informations » afin d’aider celle-ci « à s’acquitter de ses obligations en vertu de l’article 53.2 de son statut ». De sorte que, le 18 juin 2018, lors de la première réunion tenue par le président de la CIJ pour recueillir les vues des parties sur des questions de procédure, la vice-présidente Delcy Rodríguez a fait le déplacement à La Haye. Ce qui lui a permis de confirmer que, pour son gouvernement, la Cour n’avait « manifestement pas compétence pour connaître de l’affaire » et que le Venezuela avait décidé « de ne pas prendre part à l’instance ».

On notera au passage que cette attitude – ne pas reconnaître de façon automatique la juridiction de la CIJ – est partagée par 118 pays, soit plus de 60 % de la communauté internationale (la vraie). S’agissant du Venezuela, il s’agit d’une position ancrée dans l’Histoire, fortement influencée par la spoliation de 1899 : ne pas faire dépendre de tiers, Cours ou arbitres les affaires relatives à l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale, considérés comme des intérêts vitaux [28].

Si l’on effectue ici un saut dans le temps, passant de 2018 à 2024, et si l’on se place dans l’optique de la République bolivarienne, on observera que la CIJ, composée de quinze juges choisis pour un mandat de neuf ans, n’a rien d’un organisme réellement neutre, froid ou indifférent. Joan Donoghue, sa Présidente depuis 2021, a occupé de 2000 à 2010 des fonctions de haut niveau – conseillère juridique d’Hillary Clinton puis de Barack Obama – au Département d’Etat américain.

Cadre de 2009 à 2013 dans ce même DoE, Sarah Cleveland a plus tard été la « modératrice »d’un débat « Droits humains et démocratie au Venezuela » auquel participait Nikki Haley (pré-candidate du Parti républicain pour la présidentielle de 2024, grande partisane des sanctions), événement au terme duquel Cleveland déclara : «  Le Venezuela pose un défi fondamental à nos institutions régionales et internationales des droits humains. »

Lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères de son pays, le magistrat roumain Bogdan Lucian Aurescu a lui reconnu en Julio Borges, comparse du président fantoche Juan Guaido, son homologue vénézuélien, ce qui, en 2022, lors d’une conférence de presse commune, lui a valu les compliments d’Antony Blinken : « Les Etats-Unis ne pourraient désirer un allié plus inconditionnel ou plus engagé que la Roumanie. »

Hilary Charlesworth ? Conseillère du gouvernement guyanien, elle a exercé les fonctions de juge ad hoc nommée par Georgetown pour siéger en son nom, le 29 mars 2018, lors de l’examen de la compétence de la CIJ sur le différend avec le Venezuela. Quant à l’ex-conseiller légal du ministère des Relations extérieures sud-africain, Dire Tladi, il a déjà tranché en 2020, sans tenir compte du contexte de l’agression multiforme menée contre Caracas :« Les attaques contre les institutions et organisations internationales impliquent le retrait du Venezuela du mécanisme interaméricain des droits de l’Homme. »
On hésiterait pour moins que cela à se lancer dans la gueule du loup.

Par rapport aux délais standard de l’industrie pétrolière, ExxonMobil avance avec une rapidité déconcertante. En 2019, cinq ans à peine après la découverte de potentiels 11 milliards de barils, la multinationale inaugure les activités du premier navire flottant de production, stockage et déchargement (FPSO).
Parallèlement, le 18 décembre 2020, par douze voix pour et quatre contre, la CIJ déclare admissible la demande du Guyana. Une décision d’autant moins acceptable pour Caracas que le Royaume-Uni, partie indispensable pour régler la controverse, car ayant signé l’Accord de Genève, n’interviendra pas.
Le chef d’orchestre s’est lui manifesté un peu plus tôt quand, en septembre, lors d’une visite à Georgetown, le secrétaire d’Etat Mike Pompeo en personne a paraphé l’Accord de Shiprider. Sous prétexte de lutte contre le narcotrafic, celui-ci permet la réalisation de patrouilles maritimes et aériennes conjointes dans les eaux légalement ou non guyaniennes. Cet accord, a précisé Pompeo, oubliant « le narcotrafic », « nous permet d’aider le Guyana à résoudre le problème de sa souveraineté et, en outre, permet aux Etats-Unis de disposer de forces navales susceptibles d’agir pour protéger la zone économique exclusive guyanienne ».
L’escalade est maintenant évidente. En janvier 2021, le chef du Commandement sud de l’Armée des Etats-Unis (SouthCom), le général Craig Faller, l’un des principaux relais des menaces bellicistes de Trump, arrive au Guyana pour assister à des manœuvres militaires conjointes des deux pays.

La concomitance des actions hostiles amène Caracas à réagir en créant un Territoire de développement du front atlantique et une Commission de défense de l’Esequibo à l’Assemblée nationale – laquelle approuve la mesure à l’unanimité.

Le conflit, dès lors, prend sa forme actuelle. L’ « opération Guaido » ayant périclité sur le plan intérieur avant d’échouer lamentablement fin 2022 [29], le différend avec le Guyana devient un élément clé dans la poursuite de la mise au ban de la République bolivarienne, présentée cette fois comme belliciste et peu respectueuse du droit international.
Nouveaux acteurs, même stratégie. A la Maison-Blanche, Joe Biden. Au Guyana, Mohamed Irfaan Ali. Au SouthCom, une nouvelle cheffe, la générale Laura Richardson. Qui défend publiquement, sans vergogne, l’hégémonie des USA sur la région et menace ouvertement le Venezuela. Qui organise en juillet 2023, au Guyana, les exercices « Tradewinds 2023 » – 1500 militaires de vingt pays pour promouvoir l’interopérabilité régionale et renforcer la sécurité et la stabilité dans la Caraïbe [30].
Pour cette seule année 2023, vingt-et-une rencontres ont lieu entre chefs militaires des Etats-Unis et du Guyana. Un défilé de notables, de personnalités officieuses, officielles et de diplomates américains déferle sur Georgetown – dont le secrétaire d’Etat Antony Blinken, le 6 juillet. Quelques jours avant de présenter ses lettres de créance, le 25 octobre, au président Irfaan Ali, la nouvelle ambassadrice étatsunienne Nicole Therlot passe par le bureau de la générale Richardson, au siège du SouthCom, à Miami, pour y discuter de « l’association de sécurité » entre les deux pays.

La générale Laura Richardson et l’ambassadrice Nicole Theriot.

Avec de tels parrains, pourquoi se gêner ? Fin octobre, après appels d’offres, le gouvernement guyanien autorise huit compagnies pétrolières à effectuer des forages au large de l’Esequibo. Parmi elles, ExxonMobil et Hess (étatsuniennes), la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC), toutes trois déjà présentes et associées, mais aussi TotalEnergies (en partenariat avec Qatar Energy et la société malaisienne Petronas), International Group Investment (basée au Nigeria), Liberty Petroleum Corporation (Etats-Unis) et SISPRO (guyanienne).
Cette fois, c’en est trop. La tension monte de plusieurs crans. « Vous transformez le Guyana en une succursale d’ExxonMobil », réagit Maduro sur son compte X. Sur la base de l’article 71 de la Constitution – « Les questions d’importance nationale particulière peuvent être soumises à un référendum consultatif » –, l’Assemblée nationale annonce une consultation des citoyens vénézuéliens.

Le référendum

Le 3 décembre 2023, « el pueblo » devra répondre à cinq questions : « Rejetez-vous l’arbitrage de Paris de 1899 » ? « Approuvez-vous l’accord de Genève de 1966 comme seul mécanisme contraignant pour résoudre le problème » ? « Acceptez-vous de ne pas reconnaître la compétence de la Cour internationale de justice » ? « Vous opposez-vous à l’appropriation unilatérale des eaux territoriales de l’Esequibo par le Guyana » ? « Acceptez-vous la création d’un nouvel Etat, appelé Guayana Esequiba, sur le territoire contesté, l’octroi de la citoyenneté vénézuélienne à ses habitants et la mise en œuvre de programmes sociaux accélérés » ?
« Dans le pays, entend-on fréquemment, quel que soit l’interlocuteur, il y a deux thèmes qui nous unissent : la Vinotinto [l’équipe nationale de football] et le Guyana. » Dans les collèges, tous les élèves vénézuéliens ont eu sous les yeux les cartes géographiques avec une portion hachurée – la zone en réclamation. Et de fait, partout surgit le slogan : « L’Esequibo est à nous ». Aucun des dirigeants d’une opposition tiraillée entre ses convictions patriotes et son hostilité au pouvoir n’ose appeler à voter « non ». A l’exception de Volonté populaire (VP) des extrémistes Leopoldo López (luxueusement exilé en Espagne) et Juan Guaido (confortablement installé à Miami), les principaux partis de droite – Acción Democrática, Un Nuevo Tiempo, Primero Justicia, El Lápiz, Fuerza Vecinal, Primero Venezuela – appellent à participer.
Vainqueure des primaires auto-organisées de la droite le 22 octobre malgré une inéligibilité connue de tous, l’ultra María Corina Machado s’aligne, elle, sur le Guyana : après l’avoir qualifiée de « distraction », elle appelle à suspendre la consultation. En effet, dénonçant une « menace existentielle » pesant sur son pays, le gouvernement guyanien s’est lancé dans une opération des plus baroques en demandant lui aussi, mais à la CIJ… d’interdire le référendum organisé dans le pays voisin.

L’ensemble de l’opposition radicale vénézuélienne sonne en tout cas le tocsin pour « chauffer un peu » l’opinion internationale : cette agitation va être utilisée par le pouvoir chaviste pour suspendre l’élection présidentielle qui doit avoir lieu en 2024 !

Les instituts de sondage prévoyaient une participation allant de 8,2 millions (Datanálisis) à 12,3 millions de votants (International Consulting Services). Le 3 décembre, d’après le Conseil national électoral (CNE), il en vient 10,4 millions (51 % de l’électorat), soit rien d’extravagant. Sans surprise, 95 % des citoyens répondent « oui » aux cinq questions posées. Aucune surprise non plus du côté de l’opposition : elle polémique immédiatement sur les chiffres et, accusant le pouvoir de masquer une forte abstention, tente de délégitimer un référendum auquel elle a majoritairement participé et dont l’issue la satisfait !

Tout en réitérant son souhait d’«  un accord diplomatique juste, satisfaisant pour les parties et amical », le président Maduro s’appuie sur ce résultat pour mettre à son tour la pression sur Georgetown. « Nous devons respecter la décision de celles et ceux qui se sont exprimés dans les urnes », déclare-t-il. Trois jours après le référendum, il propose à l’Assemblée nationale d’approuver une loi spéciale créant la province (l’Etat) de Guyana Esequiba, demande qu’un recensement y soit conduit et que soit lancé un plan d’assistance sociale pour la population. Les autorités publient également une nouvelle carte officielle de la République bolivarienne du Venezuela, qui inclue la région Guyana-Esequiba, et désignent une autorité unique pour gérer celle-ci en la personne du général Alexis Rodríguez Cabello.

Cette fois, Georgetown ne rit plus. Là où, sur un sommet de la zone contestée, dans la Sierra de Paracaima, Irfaan Alí avait par pur défi, quelques jours auparavant, hissé le drapeau guyanien,un groupe d’Indigènes – lointains héritiers de la révolte de Rupununi – descend l’emblème de son mat et le remplace par l’étendard vénézuélien.

Le 6 décembre 2023, l’Assemblée nationale vénézuélienne commence ses discussions sur la « Loi organique pour la défense de la Guyana Esequiba » qui, en quatre chapitres et vingt-deux articles, prévoit la création du vingt-quatrième Etat de la Nation. Trois jours plus tard, les huit premiers articles seront approuvés (mais, depuis, l’élaboration de la loi a été interrompue sans qu’on sache si ou quand elle sera reprise).

Alors qu’ Irfaan Ali traite Maduro de « criminel » et compare l’attitude de son voisin à celle de la Russie envahissant l’Ukraine, le procureur général Anil Nandlall fait savoir que, en cas d’aggravation de la situation, le Guyana invoquera les articles 41 et 42 de la Charte des Nations unies, qui habilitent le Conseil de sécurité à prendre des mesures militaires et à appliquer des sanctions. «  Il peut autoriser l’utilisation des forces armées par les Etats membres pour contribuer à l’exécution des ordonnances de la Cour », a-t-il précisé. Maduro de son côté prévient qu’il va proposer une loi spéciale interdisant « aux sociétés qui opèrent ou collaborent aux concessions unilatérales données par le Guyana dans la mer à délimiter » d’opérer à l’avenir au Venezuela. Celles déjà présentes dans la zone contestée ont trois mois pour obtempérer – Maduro se disant toutefois « ouvert à la discussion  ». Et pour cause : Caracas risque de se heurter en la matière à quelques difficultés.

Guerre en Ukraine. Les sanctions imposées à Moscou ont d’importantes répercussions sur les marchés de l’énergie. Les Etats-Unis puisent massivement dans leurs réserves stratégiques, tombées à leur plus bas niveau en quarante ans. Il faut trouver de nouveaux fournisseurs pour remplacer une partie du pétrole « de Poutine ». Le gouvernement de Joe Biden se souvient qu’il existe un pays producteur nommé Venezuela. L’autre paria, Maduro, redevient magiquement un interlocuteur possible. Fin 2022, la multinationale Chevron est autorisée par Washington à réactiver en partie sa co-entreprise passée avec PDVSA. Depuis, la République bolivarienne exporte une petite partie de sa production aux Etats-Unis.

Signé par le pouvoir et la Plateforme d’unité démocratique (opposition), sur l’île de la Barbade, le 17 octobre 2023, un accord permettant l’organisation de l’élection présidentielle de 2024 donne à Washington le prétexte pour alléger un peu plus, partiellement et pour six mois, les « sanctions » sur le gaz et le pétrole vénézuéliens. Il s’agit d’une décision purement pragmatique, pas d’un dégel dans les relations : « Nous ne sommes pas prêts à un changement des relations diplomatiques avec le Venezuela », précise le Département d’Etat.

Par définition, l’avertissement du gouvernement vénézuélien ne concerne pas directement ExxonMobil, sortie du pays dans les conditions que l’on connaît. Toutefois, si la multinationale a depuis 2015 découvert quarante-six gisements au large des côtes du Guyana, dont quatre en 2023, c’est en collaboration avec ses partenaires minoritaires, le groupe pétrolier new-yorkais Hess (35 % de participation) et la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC ; 20 %).
Premier problème : Chevron, qui grâce à l’autorisation de Washington opère au Venezuela en tant que premier partenaire de PDVSA, a annoncé le 23 octobre 2023 l’acquisition pour 53 milliards de dollars de… Hess. Il s’agit pour Chevron de se renforcer face à son rival ExxonMobil et, entre autres projets, d’extraire du pétrole… au Guyana.
Second embarras : également présente en République bolivarienne en tant que second associé de PDVSA, la China National Petroleum Corporation (CNPC) a le même propriétaire que la CNOOC, qui opère avec Exxon côté guyanien – CNPC et CNOOC appartenant à l’Etat chinois.

Parmi tous ces protagonistes – gouvernement vénézuélien, Hess, CNPC, CNOOC – qui négociera, qui transigera, qui choisira telle ou telle alliance ? Diplomatiquement proche de Caracas et directement intéressé, Pékin a réagi en demandant aux deux pays de résoudre leur différend « de manière correcte » car,a précisé le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Wang Wenbin, cela répond « aux intérêts des peuples des deux pays et favorise également la stabilité, la coopération et le développement en Amérique latine et dans la région des Caraïbes ». Pour sa part, sans s’étendre sur les considérations qui compliquent la présence de sa multinationale dans les deux pays, le président exécutif de Chevron, Mike Wirth, s’est déclaré confiant « dans une solution pacifique et négociée ».

Pour qui Exxon le glas

Le gouvernement de Georgetown peut sans doute s’amuser de la situation complexe que doit affronter son adversaire – pour ne pas dire son ennemi. Dans l’un des pays les plus pauvres d’Amérique du sud, gangrené par le favoritisme politique, les Guyanien ont peut-être moins de raisons de jubiler. Certes, le début d’exploitation de ce pétrole pur et relativement facile à extraire, aux coûts de production bas (entre 25 et 35 dollars le baril), a permis un taux de croissance record (62 % en 2022, 38 % en 2023). De là à considérer que cette nouvelle manne va « ruisseler »…
C’est la Banque centrale du Guyana qui est chargée de la gestion opérationnelle du fonds souverain, Natural Resource Fund (NRF), créée en 2019 et alimenté par les revenus pétroliers. L’actuelle législation ne permet pas à l’opposition de nommer des représentants à son conseil d’administration. « Une préoccupation, dans un pays où la corruption est endémique », ne manquent pas de se plaindre les opposants.

« Comment Exxon s’est emparé d’un pays sans tirer un coup de feu », a pu titrer en juin 2023, pour le site étatsunien The Intercept, la journaliste Amy Westervelt, faisant allusion au Guyana [31]… L’accord de partage des revenus pétroliers prévoit que 75 % des recettes sont initialement affectées au recouvrement des coûts initiaux liés aux travaux d’exploration et d’exploitation menés par ExxonMobil et ses partenaires. Considérés comme du profit, les 25 % restant vont pour 50 % à l’Etat guyanien et 50 % aux groupes pétroliers (la part de l’Etat n’est censée augmenter qu’une fois atteint le recouvrement du coût des investissements initiaux). L’accord fixe également une redevance de 2 % sur les ventes de pétrole. Tous calculs faits, Exxon laisse à peine 14,5 % du total des revenus pétroliers au Guyana. Pratiquement, cela signifie que, entre 2018 et juin 2023, ExxonMobil et ses associés ont récupéré la somme colossale de 19 milliards de dollars, le Guyana se contentant de 3,057 milliards [32]. On est là très loin des standards vénézuéliens !
Dans le contrat passé avec l’Etat guyanien, l’article 32 (« Stabilité de l’accord ») stipule que le gouvernement « ne peut amender, modifier, annuler, résilier, déclarer invalide ou inapplicable, exiger une renégociation, imposer un remplacement ou une substitution, ou chercher à éviter, altérer ou limiter le présent accord » sans le consentement d’ExxonMobil. En imaginant un gouvernement futur désireux de changer les règles du jeu, cela s’appelle « être pieds et poings liés ».

Quelque peu indolent, le pouvoir guyanien a également omis de mettre en place un système lui permettant de vérifier le nombre de barils quotidiens déclaré par le géant pétrolier. Deux rapports d’audit ont bien été remis au gouvernement, mais ils n’ont pas été rendus publics, provoquant l’ire de l’opposition.
Le 3 mai 2023, saisie par des défenseurs de l’environnement, la Haute Cour guyanienne a exigé que le consortium dirigé par Exxon fournisse « une assurance illimitée et non plafonnée pour tous les coûts associés » au « nettoyage et à la restauration de tous les dommages causés » par « le déversement de tout polluant résultant de ses activités » sur les côtes du pays. Sage demande. L’un des plus hauts faits d’arme de l’entreprise remonte à 1989, quand l’un de ses superpétroliers, l’Exxon Valdez, a déversé plus de 40 000 tonnes de pétrole brut sur les côtes de l’Alaska. Sur plus de 7000 km2 et 800 kilomètres de côtes, sans compter l’ensemble des îlots touchés, la catastrophe écologique a provoqué la mort de plus de 200 000 oiseaux marins, de centaines de loutres, de phoques, d’aigles, d’orques et d’innombrables poissons. Dépendantes de la pêche, les communautés riveraines ont été économiquement fort affectées.

Initialement condamnée à payer cinq milliards de dollars pour aider les victimes de la tragédie, Exxon a, pendant quinze ans et devant divers tribunaux, contesté le montant de la peine. D’appel en appel, y compris devant la Cour suprême des Etats-Unis, la somme a été ramenée à 4,5 milliards en janvier 2004, puis à 2,5 milliards en 2006 avant d’être divisée par 10 pour atteindre 507 millions de dollars en 2007. Un dixième du coût des dommages causés par sa marée noire !

Le 3 mai dernier, la Haute Cour guyanienne a donné jusqu’au 10 juin au géant pétrolier pour produire les garanties demandées, sous peine de devoir stopper sa production. En faisant appel, le président d’ExxonMobil Guyana, Alistair Routledge, rétorqua immédiatement qu’une telle suspension aurait «  des conséquences financières importantes pour tous les investisseurs, mais aussi pour le pays en termes de pertes de revenus ». Message bien reçu. Le juge de la Cour d’appel a suspendu la décision et ordonné à Exxon de déposer une simple provision de 2 milliards de dollars auprès de l’Agence de protection de l’environnement (EPA) – ce qui fut fait.
En cas de fuites ou de marée noire, plus de dix pays de la Caraïbe peuvent être affectés.

Les négociations

Voisin du Venezuela et du Guyana, le brésilien Luiz Inácio Lula da Silva plaide le bon sens. Son conseiller et ex-ministre des Affaires étrangères Celso Amorín se déplace beaucoup. Grâce à leurs efforts, Caracas et Georgetown renouent le contact et s’engagent à « garder les canaux de communication ouverts ». Ce qui n’empêche pas les Etats-Unis d’annoncer des exercices militaires « de routine » au Guyana. La solution venant forcément d’ailleurs que de Washington, la Communauté des Etats latino-américains et caraïbes (CELAC) et la Caricom se mobilisent et manifestent leur intention d’organiser une réunion entre les deux chefs d’Etat pour tenter de faire baisser la tension.
La rencontre a lieu le 14 décembre 2023 à Argyles, où est situé l’aéroport international de Kingstown, la capitale de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, que gouverne le progressiste Ralph Gonsalves (président pro tempore de la CELAC). Trois jours auparavant, Irfaan Ali n’a pu s’empêcher de provoquer, au micro de la BBC  : « Bien sûr, nos frontières ont été établies en 1899. [Il y a eu] une fixation totale et complète de nos frontières. Tous nos partenaires dans cette région, y compris le Brésil, la Caricom, la CELAC, les Etats-Unis, l’hémisphère occidental et la communauté internationale, respectent la sentence arbitrale de 1899 comme un accord plein et entier. »
« Je viens avec un mandat du peuple vénézuélien, une parole de dialogue, une parole de paix, mais aussi pour défendre les droits du peuple, de notre patrie »,
se contente de déclarer Maduro en arrivant.

Sont présents Celso Amorín, deux représentants du secrétaire général de l’ONU António Guterres, les premiers ministres Roosevelt Skerrit (République dominicaine), président en exercice de la Caricom, Philip Davis (Bahamas), Mía Amor Mottley (Barbade), Dickon Mitchell (Grenade), Philip Pierre (Sainte-Lucie), Terrence Drew (Saint-Kitts-et-Nevis), Keith Rowley (Trinité-et-Tobago), ainsi qu’Alvaro Leyva, ministre des Affaires étrangères de Colombie.
Pendant son intervention, Maduro interroge : « Que se passerait-il si c’était le Venezuela qui organisait des exercices militaires [dans la zone contestée] avec le Commandement sud des Etats-Unis ? Tout le monde nous tomberait dessus ! »
Maduro s’amuse en sortant la liste des 119 pays qui ne reconnaissent pas la juridiction obligatoire de la CIJ. Parmi eux, les Etats-Unis, bien sûr, mais aussi, gouvernés par les dirigeants assis autour de la table, les Bahamas, Trinité-et-Tobago, la Grenade, Saint-Kitts-et-Nevis, Saint-Vincent-et-Grenadines, Sainte-Lucie et même… le Guyana !
Au terme de la réunion, un texte lu par Ralph Gonsalvez – la « Déclaration conjointe d’Argyle » – permet de comprendre que les deux Etats «  s’accordent pour la création d’une commission conjointe composée des ministres des Affaires étrangères et des personnels techniques des deux Etats pour traiter des sujets mutuellement établis. » Ralph Gonsalves (au nom de la CELAC), Roosevelt Skerrit (pour la Caricom) et Lula suivront les développements de l’affaire en tant qu’ « interlocuteurs », Antonio Guterres (ONU), le fera en tant qu’ « observateur. Détail important : le point 2 de l’accord stipule que les deux pays ont convenu que tout différend entre les deux Etats serait résolu conformément au droit international, « y compris l’Accord de Genève du 17 février 1966 ».

Rencontre Mohamed Irfaan Ali – Nicolás Maduro, 14 décembre 2023.

« Les deux Etats coopéreront sur le terrain pour éviter des incidents qui pourraient engendrer des tensions entre eux », a également précisé le point 6 des Accords d’Argyle. Dix jours plus tard, pas un de plus, le ministère de la Défense britannique annonce le déploiement dans les eaux controversées d’un navire militaire, le HMS Trent, « en raison des menaces d’annexion de l’Esequibo par le Venezuela ». Une ingérence d’autant plus insupportable que, par ailleurs, depuis 2019, la Grande-Bretagne a confisqué 31 tonnes des réserves d’or (1,3 milliards de dollars) déposées par la République bolivarienne dans les coffres-forts de la Banque d’Angleterre.
Caracas réplique en mobilisant spectaculairement 5 600 soldatsn sa marine et son aviation, pour des « manœuvres de caractère défensif » sur la frontière de l’Esequibo et sur sa côte atlantique. Les ducs et les duchesses de l’opinion mondiale s’enflamment contre « le boute-feu Maduro ». Le Brésil, lui, manifeste sa préoccupation en précisant que, d’où qu’elles proviennent, « les démonstrations militaires » sont contraires aux engagements pris à Argyles.

Provocation de la frégate britannique HMS Trent.
(ML) Caracas, janvier 2024.

Une fois la frégate militaire britannique disparue à l’horizon, le 31 décembre, au terme de ses absurdes ronds dans l’eau, les opérations de la Force armée nationale bolivarienne (FANB) ont été immédiatement interrompues. Il va de soi qu’aucun observateur digne de ce nom ne croit à une possible agression du Guyana par le Venezuela. Quand bien même il le souhaiterait, l’état de son économie, très affaiblie par les mesures coercitives unilatérales des Etats-Unis, ne l’y inciterait pas. Très en pointe par ailleurs quand, le 29 janvier 2014, avec La Havane comme hôte et la présence de plusieurs chefs d’Etat des trente-trois pays de la région, la CELAC a proclamé le continent « zone de paix » – renonçant ainsi à recourir à la force pour résoudre les conflits entre voisins –, Caracas n’a jamais remis en cause cette philosophie et la grande cause de l’intégration. Quant à sa supposée voracité, s’agissant des richesses de ses voisins…

Le 25 décembre 2023, Caracas et Puerto España (Port Spain en anglais) ont signé un accord pour l’exploitation commune du champ de gaz « Dragon » – 120 millions de mètres cubes – situé dans les eaux territoriales vénézuéliennes, au nord-est du Venezuela, près de la frontière maritime avec Trinité-et-Tobago, mais près de gisements trinidadiens exploités par Shell. Plus gros producteur de gaz des Caraïbes, Trinité-et-Tobago avait signé un protocole d’accord avec le Venezuela en 2016, pour des études techniques et commerciales en vue d’une exploitation aux revenus partagés, mais, les « sanctions » étatsuniennes ont paralysé le projet.
Il a fallu le récent assouplissement de l’embargo pétrolier pour que les deux Etats, pourtant souverains, puissent enfin avancer dans leur coopération. En décembre, Caracas a octroyé une licence de trente années à Shell et à la Compagnie nationale du gaz (NGC) de Trinité pour le développement et l’exportation du gaz (sous forme de gaz naturel liquéfié ; GNL) situé entre les deux pays. « Nous avons parcouru un long chemin pour arriver à ce grand jour, a déclaré le ministre trinidadien de l’Energie Stuart Young (…) c’est une étape historique. » Ce à quoi la vice-présidente vénézuélienne Delcy Rodríguez a rétorqué que « beaucoup plus de projets » sont à venir, exemples « de relations de coopération, d’amitié et de fraternité » entre les deux pays.

C’est dans ce même état d’esprit « de dialogue et de paix » que le ministre des Affaires étrangères vénézuélien Yván Gil a rencontré son homologue guyanien Hugh Todd, le 25 janvier 2024, à Brasilia. En présence du chef de la diplomatie brésilienne Mauro Vieira, la réunion a permis aux deux parties d’exprimer une fois de plus « leurs divergences ». – CIJ ou pas CIJ. Si le ministre guyanien a affirmé que son pays reste engagé à résoudre la controverse « d’une manière très pacifique », le vénézuélien a incité à « rejeter absolument la possibilité que des tierces parties interfèrent ou puissent tirer profit » de ce conflit.
Nul ne parie encore qu’il a été entendu.

Depuis la fin 2023, un défilé de fonctionnaires civils et militaires étatsuniens (et britanniques) s’abat sur Georgetown – parmi lesquels le conseiller adjoint à la Sécurité nationale US, Jon Finer, le directeur des affaires de l’hémisphère occidental au Conseil de sécurité nationale, Juan González, le commandant de la Force aérienne du Southern Command, le général de division Evan L. Pettus (trois jours en février). Le 4 février 2024, le gouvernement américain a annoncé une augmentation de son « aide militaire urgente » au Guyana.
Deux jours plus tard, le président d’ExxonMobil Guyana, Alistair routledge, proclamait que sa multinationale avait « parfaitement le droit » d’exploiter le Bloc Starbroek et annonçait la prochaine perforation de puits exploratoire à l’ouest des zones Liza et Payara, puis Trumpet Fish et Redmoth – à nouveau dans les eaux contestées. Caracas ayant élevé la voix, Routledge mit un peu plus d’huile sur le feu : « Les mesures prises par le Guyana pour renforcer ses relations bilatérales avec des pays comme les Etats-Unis dans le domaine de la défense et de la sécurité sont de bon augure ».

Le secrétaire adjoint à la défense des États-Unis pour l’hémisphère occidental, Daniel Erikson, au Guyana le 11 janvier 2024, dans le cadre du « renforcement des capacités des forces armées du Guyana ». https://newsroom.gy/2024/01/11/u-s-to-help-develop-guyana-defence-force-capabilities/
A Georgetown, le 11 janvier 2024, Mike Pompeo, l’ex-directeur de la CIA et secrétaire d’Etat de Donald Trump, informe le président du Guyana des nouveaux plans du Pentagone et d’ExxonMobil contre le Venezuela.

D’après le président Maduro, « plus que le Guyana, ce sont ExxonMobil et le Southern Command qui prétendent s’emparer de la mer qui appartient au Venezuela ». Voyant d’un œil inquiet une militarisation supplémentaire de la Caraïbe et du nord du sous-continent par les Etats-Unis, certains des voisins de Venezuela ne pensent pas très différemment. Le président Irfaan Ali n’envisage-t-il pas, sans s’en cacher, l’installation de bases militaires US dans son pays ? Sommé de prendre position sur le conflit par Irfaan Ali et par sa propre opposition de droite, le président colombien Gustavo Petro, après un appel à la désescalade, a souligné : « Depuis des années, on tente d’établir un conflit dans notre coin continental, les Colombiens apatrides et Trump en ont discuté. Reproduire le conflit OTAN/Russie sur nos propres terres, dans la jungle amazonienne, ne ferait que nous faire perdre un temps vital dans notre progrès et dans nos vies [33]. »

Au vu de l’ensemble du dossier, on est là loin des affirmations rabâchées à n’en plus finir sur l’Esequibo qui « a avivé la convoitise du Venezuela depuis que du pétrole y a été découvert » (La Tribune, 6 décembre 2023). Loin des explications simplistes des « attrape-bobos » de « gauche » Libération ou Politis« En première raison, cette agitation [du référendum], dans le style propre aux dirigeants autoritaires, a une visée intérieure. Maduro, à la tête du pays depuis mars 2013 (…) se maintient depuis des années au pouvoir par des artifices antidémocratiques grossiers, et il aspire à un troisième mandat lors de la prochaine présidentielle, qui doit se tenir au premier semestre 2024. » (Politis, 7 décembre 2023). Loin des valeureux libelles du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) : « Quelles que soient les combinaisons de l’impérialisme et le degré d’avilissement des gouvernements bourgeois qui leur sont soumis, les communistes révolutionnaires se tiennent du côté des nationalités opprimées et menacées, ici les Guyanais [34]. »
Encore un effort, camarades : à quand des Brigades internationales sponsorisées par ExxonMobil ?


[1https://media.defense.gov/2023/Apr/25/2003208200/-1/-1/0/3338.PDF

[2] Conclu le 30 janvier 1648, le traité de paix de Münster entérine la reconnaissance définitive de l’indépendance des Pays-Bas Unis, jusque-là sous souveraineté espagnole depuis que l’Empereur Charles Quint les a léguées à son fils, Philippe II.

[3] Entité administrative et politique créée en 1777, la capitainerie générale du Venezuela comprenait les actuels territoires du Venezuela et de l’île de Trinité (Trinité-et-Tobago).

[4https://www.aporrea.org/actualidad/a209870.html

[5] On en retrouvera le texte intégral (38 pages) in William Lindsay Scruggs, British aggressions in Venezuela, or, The Monroe doctrine on trial, ‎ Forgotten Books, Londres, 2018.

[6] Delia Picón, Historia de la Diplomacia Venezolana, Universidad Católica Andrés Bello, Caracas, 1999.

[7] George Lincoln Burr Papers, Box n°5, Cornell University (Ithaca, Etats-Unis).

[8https://revista.eneltapete.com/eneltapete/notas/22316/el-acuerdo-de-ginebra

[9] Le 14 février 1904, la levée du blocus sera la contrepartie d’accords par lesquels le Venezuela s’engagea à payer sa dette.

[10] Par solidarité anglo-saxonne, on entend ici celle qui unit les pays dont la colonisation britannique a fortement influencé l’organisation sociale, politique, culturelle, et où la langue principale est l’anglais (actuellement le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et certaines îles de la Caraïbe).

[11] Vol.43, n° 3, juillet 1949.

[12] Nations Unies, Recueil des traités, vol. 561, n° 8192, p.322.

[13] Lire Bernard Cassen, « La Guyana est bien partie », Le Monde diplomatique, juillet 1974.

[14https://lagranaldea.com/2023/09/29/guayana-esequiba-el-dia-en-que-venezuela-evito-una-guerra-pero-perdio-una-oportunidad/

[15http://www.visconversa.com/index.php/2019/01/04/la-rebelion-de-rupununi/

[16] Allusion à la tentative d’invasion de Cuba par une troupe mercenaire financée et entraînée par la CIA, le 17 avril 1961.

[17Ibidhttp://www.visconversa.com/index.php/2019/01/04/la-rebelion-de-rupununi/

[18] Organisation intergouvernementale actuellement composée de 56 Etats membres, presque tous anciens territoires de l’Empire britannique..

[19https://peacemaker.un.org/sites/peacemaker.un.org/files/GY-GB-VE_700618_Protocol%20of%20Port%20of%20Spain_0.pdf

[20] Habitant de l’île de La Grenade.

[21http://www.elnuevoherald.com/2011/09/30/1035455/venezuela-y-guyana-ratifican-buena.html#ixzz1ZWB8cCC9

[22https://media.defense.gov/2023/Apr/25/2003208200/-1/-1/0/3338.PDF

[23] Steve Coll, Private Empire. ExxonMobil and American Power, Penguin Press, New York, 2012.

[24https://www.commondreams.org/news/2017/11/06/probe-demanded-after-wilbur-ross-rex-tillerson-implicated-paradise-papers

[25] ConocoPhillips exigeait quant à elle 21 milliards de dollars. Le Ciadi lui en accordera 8,7 milliards en avril 2019.

[26] Argentine, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica, Guatemala, Honduras, Mexique, Panamá, Paraguay, Pérou, Guyana et Sainte-Lucie.

[27] Raphael Trotman, From destiny to prosperity, Isaiah Publications, Georgetown, 2023.

[28https://alefleming.wordpress.com/2020/07/12/guyana-contra-venezuela-la-competencia-de-la-corte-internacional-de-justicia-parte-ii/

[29] Lire « Un président imaginaire renversé par une Assemblée qui n’existe pas » (17 janvier 2023) – https://www.medelu.org/Un-president-imaginaire-renverse-par-une-Assemblee-qui-n-existe-pas

[30] Participent : Etats-Unis, Guyana, Antigua-et-Barbuda, Bahamas, Belize, Bermudes, Canada, Dominique, République dominicaine, Royaume-Uni, France, Grenade, Jamaïque, Mexique, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les Grenadines, Suriname et Trinidad et Tobago.

[31https://theintercept.com/2023/06/18/guyana-exxon-mobil-oil-drilling/

[32https://www.kaieteurnewsonline.com/2023/12/28/guyana-would-have-been-receiving-full-50-today-from-three-oil-projects/

[33https://www.elcolombiano.com/colombia/petro-ya-se-pronuncio-sobre-el-conflicto-entre-venezuiela-y-guyana-EC23305177

[34https://nouveaupartianticapitaliste.fr/maduro-veut-assimiler-une-grande-partie-du-guyana/

L’auteur : Maurice Lemoine, Journaliste

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URL de cet article : https://www.medelu.org/Et-au-milieu-coule-l-Esequibo


« En 2024, le Venezuela se prépare à une grande victoire électorale » : l’interview de Nicolas Maduro par Ignacio Ramonet

Alors que le monde reste sous le coup des conflits en Ukraine et à Gaza, l’actualité ne s’est pas arrêtée au Venezuela. Tout au contraire. L’actualité s’est accélérée et même précipitée ces dernières semaines à Caracas, qui est revenue à la une des grands médias internationaux.
Après les accords inattendus entre le parti au pouvoir et l’opposition extraparlementaire à la Barbade en octobre dernier, et la suspension par Washington de plusieurs mesures coercitives unilatérales contre le Venezuela, les tensions avec le Guyana se sont intensifiées lorsque les autorités de ce pays, en alliance avec ExxonMobil et la marine états-unienne, ont multiplié les provocations dans la région – revendiquée par le Venezuela depuis deux siècles – de l’Esequibo.

Le succès du référendum du 3 décembre au Venezuela sur cette revendication territoriale a été suivi par la signature des accords d’Argyle entre les présidents du Venezuela et du Guyana. Mais l’arrivée récente d’un navire de guerre britannique dans les eaux de la région, en contradiction avec les accords d’Argyle, a considérablement ravivé les tensions et les dangers.
Au milieu de ces turbulences, le Venezuela a remporté un succès diplomatique majeur le 20 décembre avec la libération d’Alex Saab, qui avait été injustement kidnappé et retenu en otage par les États-Unis pendant près de quatre ans. Nous avons entrepris de parler au président Nicolás Maduro de tout cela, et de bien d’autres questions importantes. Celui-ci a une fois de plus accepté, avec beaucoup de gentillesse, de nous accorder cette désormais traditionnelle interview du premier janvier.

Ignacio Ramonet : Monsieur le Président, bonsoir. Merci beaucoup d’avoir accepté cette invitation à cette nouvelle édition, qui est déjà la septième ou huitième, de notre « premier entretien de l’année ».

Président Nicolás Maduro : Oui, cette interview est toujours une très bonne occasion de faire un bilan réflexif de chacune de toutes ces années difficiles, pleines d’efforts et de sacrifices ; c’est un bilan, mais aussi une perspective pour l’avenir. Toujours à ta disposition, Ramonet.

« NOUS AVONS RÉSOLU L’ÉNIGME DE CANSERBERO ».

IR : Merci beaucoup. L’objectif de cet entretien est de faire le point sur l’année écoulée. En particulier, de faire le point sur les réalisations, les victoires, les progrès accomplis au Venezuela. Et aussi si vous pouviez définir quelques perspectives. Nous le verrons au cours de l’entretien.
Mais, si vous me le permettez, je voudrais d’abord commencer par un événement un peu hors sujet, mais qui a eu un impact énorme, notamment pour les millions de jeunes qui sont fans du rappeur vénézuélien Canserbero. Il y a quelques jours, nous avons appris que l' »énigme Canserbero » avait été résolue. On pensait que Canserbero s’était suicidé, mais le Ministère public vénézuélien a révélé qu’il avait en fait été assassiné. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette information ?

NM : Oui, il s’agit vraiment d’un travail scientifique et professionnel de reconstitution des événements, des circonstances, qui a permis d’aboutir à une conclusion définitive sur les auteurs intellectuels et matériels de l’assassinat de ce jeune artiste, de ce créateur vénézuélien qui, en un temps si court, avait eu un si grand impact sur les jeunes. Nous, Cilia (épouse de Nicolas Maduro, NdT) et moi, avons des petits-enfants de tous âges, et nos petits-enfants de huit, neuf, dix, douze, treize, quatorze, quinze ans sont des connaisseurs et des adeptes de l’art, de la musique, de la composition et des paroles de Canserbero. Je suis très surpris.

IR : D’autant plus qu’il est décédé il y a environ huit ans, n’est-ce pas ?

NM : Il y a neuf ans maintenant. Et cela me surprend parce que je l’avoue, je suis un homme de musique, et même je suis plus porté sur la salsa, le rock, je suis au courant des tendances actuelles… En 2023, je suis allé sur Spotify et j’ai découvert une liste de lecture très populaire, très chargée, très riche en musique de toutes sortes. Mais jusqu’à il y a peut-être deux ans, je ne savais pas qui était Canserbero… Je l’ai découvert parce que mes petits-enfants me l’ont expliqué, et qu’ils m’ont fait écouter chaque chanson, nous l’avons analysée l’une après l’autre. C’est ainsi qu’est né mon intérêt pour l’art de Canserbero. À un moment donné, j’ai parlé avec le Procureur Général, lui aussi admirateur de l’art de Canserbero, et lui, après avoir rassemblé un ensemble d’éléments qui formaient une hypothèse solide sur ce qui s’était passé… Tous les médias et les réseaux avaient sali le nom de Canserbero, ils avaient dit que c’était un assassin… Même le Ministère Public antérieur l’avait accusé d’assassinat après sa mort.

IR : Il a été accusé d’avoir commis un homicide avant son suicide.

NM : Oui, et puis ils ont imposé toute la thèse de l’homicide suivi du suicide, de la schizophrénie et de la folie. Et malgré cette tache injuste et brutale, son nom, ses paroles, son art, tout ce qu’il a fait s’est diffusé et Canserbero est maintenant reconnu dans le monde comme, sinon le principal, du moins l’un des principaux rappeurs de langue espagnole. L’enquête a donc été ouverte par le Ministère Public. J’ai exprimé et donné au Procureur, comme toujours, mais dans ce cas particulier, tout mon soutien. Il a mené toutes les investigations avec les moyens les plus avancés de la médecine légale et de la criminalistique. Les résultats ont été concluants. Justice a été rendue, le nom d’un jeune et noble créateur vénézuélien a été revendiqué, et je dirais même que sa renommée est en train de croître.
J’ai parlé avec ses proches le jour où le Procureur général Tarek William Saab a présenté les résultats, avec les aveux enregistrés en vidéo de l’assassin et du meurtrier, des deux meurtriers, et j’ai parlé avec sa famille, et sa famille a ressenti un soulagement dans son âme. Son père Cheo, ses sœurs, ses nièces. Je leur ai transmis mon abrazo au téléphone. Je leur ai dit qu’il s’agissait d’un esprit fort, quel que soit l’endroit où se trouve Canserbero, c’est un esprit très fort. Et que maintenant, son nom va grandir parmi la jeunesse du Venezuela, de l’Amérique latine, des Caraïbes et bien au-delà. Justice a enfin été rendue, ce qui est à l’honneur du Ministère public vénézuélien.

« NOUS AVONS RENDU LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE BEAUCOUP PLUS DYNAMIQUE ».

IR : C’est l’une des réalisations des derniers jours de 2023, mais comme nous l’avons dit, il y en a eu d’autres. 2023 a été une année symbolique, car c’était la dixième année de votre gouvernement. En particulier, je voudrais souligner certains des contacts internationaux que vous avez eus, certains voyages à l’étranger, des réunions : plusieurs réunions avec le président Gustavo Petro de Colombie, qui a organisé une conférence sur le Venezuela à Bogota ; une réunion avec le président Lula, qui est récemment revenu au pouvoir au Brésil, vous étiez à la rencontre organisée par Lula sur l’Amérique du Sud ; d’autres voyages stratégiques, en particulier en Turquie et en Arabie saoudite, et surtout le voyage très important en Chine, votre réunion avec le président Xi Jinping.
Comment ces contacts et ces voyages s’inscrivent-ils dans la diplomatie géopolitique traditionnelle de la révolution bolivarienne ?

NM : Le monde est déjà entré dans une nouvelle époque. L’ère des empires occidentaux est définitivement révolue, et le dernier des empires occidentaux, l’empire états-unien, connaît un processus de déclin historique qui est structurel, définitif. Comme la Grande- Bretagne, qui était un super-empire militaire, économique, commercial, naval… Et bien, elle a cessé, de l’être, elle a décliné… Même si elle reste un pays puissant, important.

Aujourd’hui, un monde plus équilibré a vu le jour, tel qu’en rêvait le libérateur Simón Bolívar. Nous nous trouvons d’ailleurs à Caracas, ville natale de notre héros, de notre Père fondateur, le libérateur Simón Bolívar, qui, très tôt au XIXe siècle, a parlé de la nécessité de « construire un univers d’équilibre« , un « monde d’équilibre » ; Le Libérateur a conçu la stratégie que nous pourrions appeler aujourd’hui la « stratégie d’un monde multipolaire », où notre Amérique, libérée par son épée, par son armée, par notre armée, serait l’un des grands blocs. En effet, la « Grande Colombie« , fondée sur les rives de l’Orénoque le 17 décembre 1819, est née comme une puissance atlantique, caribéenne, pacifique (océan Pacifique), amazonienne, andine, englobant ce qui est aujourd’hui le Venezuela ainsi que la Colombie, le Panama et une partie de l’Amérique centrale et de l’Équateur. Elle est née comme une puissance territoriale, démographique, militaire et économique.

IR : Presque comme un autre Brésil…

NM : Oui, pratiquement, et avec ses deux bras, l’un sur la mer des Caraïbes et l’Atlantique, et l’autre sur le Pacifique, avec toute la cordillère des Andes et un espace gigantesque sur l’Amazone. Et cette puissance fut appelée – comme le Libérateur tenta de le faire au Congrès de Panama en 1826 – à former un puissant bloc de nations, une union de républiques… La trahison l’emporta, la conspiration impériale l’emporta, et le projet de Bolivar fut poignardé, trahi, sali, oublié… Là où aurait dû naître un bloc puissant, il ne resta que quinze, vingt « républiquettes » entre guillemets – ceci dit en tout respect de chacun – chacune de son côté, toutes dominées.

C’est aujourd’hui que ce concept de « l’équilibre de l’univers« , d’un « monde multipolaire« , qui fut le grand rêve du géant, de notre Libérateur, voit le jour. Et nous y sommes attentifs. Le commandant Hugo Chávez a parlé d’une « nouvelle géopolitique mondiale » et il a mis en place la diplomatie bolivarienne de la paix. Son axe transversal est la construction d’un nouvel axe de puissance mondiale, et l’insertion du Venezuela dans cet axe.

Depuis l’Amérique latine en premier lieu, depuis l’Amérique du Sud, depuis les Caraïbes et depuis l’Amérique latine et les Caraïbes vers le monde. C’est pourquoi, cette année, nous avons rendu notre politique étrangère très dynamique. Nous avons participé à la tentative de Lula de rétablir l’UNASUR, qui est très importante et qui avance pas à pas, mais non sans menaces et conspirations impériales pour l’en empêcher. Cette année, nous avons participé à la consolidation de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC). Nous avons participé au sommet de Palenque à l’invitation du président mexicain López Obrador pour aborder avec d’autres leaders régionaux toute la question du changement climatique, de la migration, du développement et de l’indépendance. Et nous avons reçu le soutien de toute l’Amérique centrale et d’une partie de l’Amérique du Sud sur la question des sanctions, pour demander la levée des sanctions.

Photo : de gauche à droite, le président cubain Miguel Díaz-Canel, la présidente hondurienne Xiomara Castro, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador, le Premier ministre haïtien Ariel Henry, le président colombien Gustavo Petro et le président vénézuélien Nicolás Maduro posent lors du sommet de Palenque, au Chiapas (Mexique), le 22 octobre 2023.

« NOTRE VISITE EN CHINE A ÉTÉ MONUMENTALE. »

Cette année, nous avons consolidé nos relations avec la Turquie, l’Inde, la Russie et la Chine. Notre visite en Chine a été monumentale. Je me suis rendu en Chine six ou sept fois en tant que ministre des Affaires Étrangères, pour accompagner le Président Chávez, et j’y suis allé cinq ou six fois en tant que président. Et je peux te dire que le niveau des relations, des accords signés et des politiques définies entre le président Xi Jinping, entre la Chine et le Venezuela au cours de cette visite de six jours, est inégalé. Tout d’abord, nous avons élevé nos relations au rang de relations stratégiques de haut niveau, « infaillibles à tout moment« .

IR : C’est l’expression qui figure dans le document ?

NM : Oui, c’est l’expression officielle, c’est un concept que, pour la première fois, la Chine attribue à une relation conjointe avec un pays d’Amérique latine et des Caraïbes. Ce qui élève le niveau. Je dirais donc que nous progressons au milieu du siège impérial, au milieu de l’agression permanente, nous progressons dans le tissage du nouveau monde. Le Venezuela, humblement, modestement, mais avec la grandeur de la pensée de Bolivar, avec la grandeur de la nouvelle géopolitique mondiale de Chávez, persévère dans la construction d’un monde multipolaire, d’un monde de pays et de peuples vraiment libres.

« ALEX SAAB A DÉJÀ FAIT L’OBJET D’UNE TENTATIVE D’ASSASSINAT SUR ORDRE D’IVÁN DUQUE ».

IR : Monsieur le Président, parmi les réalisations de votre gouvernement, je voudrais en citer trois récentes. Premièrement : les accords de la Barbade en octobre, qui ont permis d’établir un accord avec l’opposition de droite extraparlementaire. Deuxièmement, le référendum sur l’Esequibo du 3 décembre, qui a été une grande victoire en termes de mobilisation électorale. Et la récente libération du diplomate Alex Saab.
Sur ce dernier point – nous reviendrons plus tard sur les deux autres – j’aimerais que vous nous apportiez des précisions, car vous avez déjà fait une déclaration à ce sujet, sur la manière et la difficulté avec lesquelles a été négociée la libération d’Alex Saab.


NM : Tout d’abord, comme nous l’avons dit, Alex Saab est un homme d’affaires d’origine colombienne, qui s’est installé au Venezuela et a commencé à développer un ensemble d’investissements très importants, il a été associé à un certain moment, en 2011, aux plans de ce qui allait devenir la Gran Misión Vivienda Venezuela (Grande Mission Logement du Venezuela). Plus tard, au cours de la phase dont j’ai été responsable, il s’est investi dans les programmes sociaux, mais il a surtout commencé à jouer un rôle très important et croissant lorsque les sanctions criminelles nous ont été imposées.

IR : Depuis 2016.

NM :
Oui, 2016, 17, 18, parce qu’il s’est investi… J’ai commencé à penser… Premièrement, il est colombien, il a du sang colombien ; deuxièmement, il a du sang palestinien, c’est de là que vient ce côté rebelle. Et il a commencé à travailler très habilement pour surmonter les sanctions qui étaient prises contre le Venezuela.

IR : De sa propre initiative ? Par patriotisme ?

NM : De sa propre initiative et aussi grâce à un ensemble de politiques que j’ai mises en œuvre en faisant appel au secteur privé pour que, grâce aux capitaux, aux investissements privés, nous puissions aller de l’avant, étant donné que tous nos comptes bancaires avaient été pillés, gelés, Ramonet. Il faut comprendre ce que signifie concrètement pour un pays de voir tous ses comptes bancaires gelés, et non seulement gelés, mais dont tout l’argent a été volé, plus de 21 milliards de dollars, un pays dont les propriétés à l’étranger ont été gelées, dont les produits sont interdits de vente dans le monde, dont l’industrie principale est persécutée, l’industrie pétrolière, tout cela nous a fait perdre, je le dis toujours parce qu’il y a peut-être des gens qui ne l’ont pas entendu, nous a fait perdre 99 % des revenus du pays, nous sommes passés de 54 milliards de dollars environ, une année, à 700 millions de dollars l’année suivante… Et l’objectif manifeste et direct de l’impérialisme était de faire s’effondrer la société et de procéder à un changement violent de gouvernement, ce qu’ils appellent dans leurs manuels stratégiques, un « regime change« . Et Fidel nous disait toujours : « Les crises créent des hommes« , « elles créent des leaderships« .

Je dirais que, dans cette crise, un homme a émergé : Alex Saab, et il a commencé avec des importations financées avec son capital, il a commencé à apporter de la nourriture, les colis alimentaires du CLAP (Comité local d’approvisionnement et de production, aide gouvernementale aux familles vénézuéliennes face aux pénries induites par le blocus, NdT) dans les moments difficiles de 2017, 2018. Et c’est pourquoi ils l’ont sanctionné, lui et toute sa famille, ses frères, sa sœur, son père, sa mère, ils les ont tous sanctionnés. Et puis ils ont commencé à le persécuter… Et les entreprises où il fabriquait les boîtes des CLAP, au Mexique et dans d’autres pays, ils ont également commencé à les persécuter, à les menacer de différentes sanctions.

En 2019 et surtout en 2020, il a joué un rôle important dans trois domaines clés, en particulier en 2020, lorsque la quarantaine, la pandémie de Covid, est arrivée. Grâce aux efforts de milliers de producteurs agricoles, de paysans, d’agriculteurs de la campagne vénézuélienne, nous produisons aujourd’hui 85 % des aliments consommés au Venezuela, un miracle agricole réalisé par qui ? Par les travailleurs, par les producteurs… Mais à l’époque, nous devions importer 90 % des colis des CLAP de l’étranger pour aider 7 millions de familles. Et Saab a été un homme clé dans l’articulation de ces importations.

Mais aussi, compte tenu du blocus, la raffinerie, les quatre raffineries pétrolières du Venezuela étaient à l’arrêt, nous ne pouvions pas obtenir de pièces de rechange, nous ne pouvions pas les acheter. Si nous les obtenions, nous n’avions pas de compte bancaire pour les payer, à cause des sanctions… Ensuite, nous avons fait des triangulations pour résoudre le problème et récupérer les quatre raffineries d’une manière miraculeuse et héroïque, grâce à l’ingénierie et aux connaissances des travailleurs du pétrole au Venezuela, et au soutien de nos amis dans le monde; des amis importants dans le monde. Alex Saab était l’homme qu’il fallait pour commencer à acheminer le carburant au Venezuela.
Il avait également noué des contacts dans le monde entier pour apporter des médicaments aux patients les plus démunis, et en particulier des médicaments essentiels pour lutter contre la pandémie de Covid. C’est à ce moment-là qu’il a été kidnappé.

IR : Au Cap-Vert.

« ALEX SAAB A LA TÉMÉRITÉ D’UN CHE GUEVARA ».

NM : Oui, au Cap-Vert. Deux jours plus tôt, ils avaient essayé de le tuer. Cela n’a jamais été dit… Deux jours auparavant, un groupe de criminels engagés par Iván Duque de Colombie avait tenté de tuer Alex Saab à son domicile à Caracas… Il en a miraculeusement réchappé. Et puis lui, avec son dynamisme, parce que c’est un homme entreprenant, avec du dynamisme, de l’initiative, je dirais téméraire, je dirais qu’Alex Saab a la témérité d’un Che Guevara pour affronter les risques et les dangers. Il est parti, il se rendait en Iran, pourquoi allait-il en Iran ? Pour garantir l’approvisionnement en essence du Venezuela pendant un an, 2020, 2021, pendant que nous récupérions la raffinerie. Pourquoi ce voyage ? Pour obtenir des médicaments triangulés à partir de l’Iran. Et en chemin, il a été capturé, kidnappé sans aucune preuve.

IR : Sans mandat…

« JE N’AI JAMAIS EU D’HOMME DE PAILLE ! »

NM : Non, il n’y avait pas de mandat d’arrêt international, tout d’abord. Deuxièmement, il bénéficiait de la protection d’un passeport diplomatique, en tant que fonctionnaire diplomatique du Venezuela, un gouvernement légitime, reconnu par les Nations Unies. En l’enlevant, ils ont violé les conventions qui protègent l’immunité diplomatique dans le monde entier, ce qui est très grave. Et puis, tout ce que l’on sait déjà : les tortures….

La première chose qu’ils ont essayée – comme il l’a expliqué – c’est qu’en juillet, en pleine quarantaine du Covid, ils lui ont demandé, par un coup de téléphone, d’arrêter les cargos transportant l’essence ; par un coup de téléphone, d’arrêter les expéditions de médicaments… Il y a un médicament clé, Ramonet, le Remdesivir, qui venait juste de sortir à l’époque comme le grand antiviral contre le coronavirus. Ils voulaient à tout prix l’arrêter. Lorsque le Remdesivir est arrivé à Caracas, en juillet 2020 et jusqu’à aujourd’hui, il a permis de sauver des milliers de vies de patients très graves qui étaient intubés dans tout le pays.

Ils voulaient aussi, sur un simple coup de fil, qu’Alex Saab arrête d’importer les aliments pour les colis des CLAP, pour produire quoi ? la mort par manque de médicaments, la famine et la pénurie totale d’essence, une situation nous avons frôlée… En fait, je peux te dire que sur les cinq bateaux qu’il a commandés – nous les avons payés mais il les a triangulés – sur les cinq bateaux d’essence qui devaient arriver, seuls deux bateaux ont pu arriver en juin 2020… Inoubliable ! Ce fut une fête pour le Venezuela… Les trois autres navires ont été volés par les États-Unis… Oui, tout simplement volés ! Ils les ont emmenés aux États-Unis… Pirates, corsaires, voleurs !

Ensuite, il y a eu toute l’étape de la torture pour l’obliger, disons, à valider les infamies, les mensonges qui circulent encore… Parce que les médias orduriers comme par exemple Semana de Colombie, qui est un magazine de l’oligarchie du narcotrafic colombien, Semana écrit encore : « Alex, l’homme de paille de Maduro« . Je n’ai jamais eu de prête-nom ! Je n’ai jamais eu de compte bancaire à l’étranger. Mes relations avec les hommes d’affaires nationaux et internationaux ont été et sont des relations de travail au bénéfice du pays ; à tel point que l’impérialisme n’a jamais pu montrer, malgré trois ans et demi de prise en otage de Saab dans ses prisons, une seule preuve, un seul papier sur les prétendus hommes de paille, les affaires sales et toute la pourriture qu’ils inventent dans leur justice ordurière et dans leurs médias orduriers.

Mais nous, nous n’abandonnons jamais personne derrière nous, nous n’avons jamais abandonné personne… Jamais ! Nous sommes toujours, nous avons toujours été aux côtés de sa famille, de sa femme Camila, qui de femme au foyer est devenue la dirigeante d’un puissant mouvement, le mouvement « Free Alex Saab » ; aux côtés de ses fils, de ses filles, de toute sa famille; avec amour… Surtout Cilia, qui parlait pratiquement à Camila toutes les semaines, nous recevions des informations ici et là. Et comme je l’ai dit à Alex lorsqu’il est sorti de la voiture et que je l’attendais à la porte du palais de Miraflores : « Alex, je savais que ce jour viendrait. Et il est arrivé. » Un miracle ? Un miracle comme seuls les révolutionnaires peuvent en faire, nous qui sommes fermes et qui affrontons l’empire avec notre vérité. Un miracle.

IR : Ce fut une belle victoire, Monsieur le Président. Dans le monde entier, de nombreuses personnes se sont réjouies de cette libération, parce qu’elles s’étaient battues pour dénoncer tous les mensonges qui avaient été proférés au sujet d’Alex Saab.

NM : Ramonet, je ne peux pas dire… mais j’ai reçu des mots de félicitations de la part de personnes que tu ne peux même pas imaginer, qui sont probablement en train de regarder ceci, de partout dans le monde, tu ne peux même pas l’imaginer. Des gens qui m’ont envoyé des félicitations. Des gens des États-Unis d’Amérique. Je ne citerai pas de noms, de grands artistes mondiaux… Je ne connais même pas certains d’entre eux. Et j’ai reçu des messages ici et là. Ils me disaient : voilà comment on traite un homme innocent. Nous avons procédé à un échange qui a dû être négocié… comme le disait José Martí : « Cela a dû se faire en silence« . Avec la prudence et la diplomatie nécessaires, nous avons réussi à libérer miraculeusement un homme innocent. Et en échange, nous avons remis un groupe de terroristes condamnés après avoir avoué qu’ils avaient commis des crimes et des délits dans le pays. C’est le prix que nous avons payé pour l’enlèvement. Pour la liberté de la personne enlevée. Et je pense que cela en valait la peine.

Photo: une des nombreuses mobilisations populaires à Caracas pour exiger la libération du diplomate Alex Saab après son enlèvement et son emprisonnement aux États-Unis.

« NOUS SOMMES EN TRAIN DE CONSTRUIRE UN NOUVEAU MODÈLE ÉCONOMIQUE DIVERSIFIÉ QUI NOUS DONNE UNE INDÉPENDANCE ABSOLUE VIS-À-VIS DU MONDE ENTIER. »

IR : Monsieur le Président, pour continuer avec le bilan de l’année, vous avez défini huit axes de travail très importants pour 2023. Et parmi eux, les lignes de l’économie. J’aimerais vous demander quelle est votre évaluation de cette approche et quelles sont les principales réalisations dans ces huit lignes de travail ?

NM : Je pense que 2023 a marqué un pas en avant, aussi. Nous avons dix trimestres de croissance économique continue qui ont commencé à la fin de 2021. Et nous avons réussi à maintenir la croissance dans ce que j’ai défini comme l’agenda économique bolivarien, 18 moteurs, les 18 moteurs vont étape par étape ; ces 18 moteurs ont besoin de politiques publiques, d’incitations, d’investissements, d’un marché national, d’un marché international, d’une bonne gestion publique, d’une bonne gestion privée, d’une bonne coordination. Je pense que nous sommes parvenus à une coordination parfaite avec tous les acteurs économiques internes du pays, et je pense que nous avons un niveau très élevé de dialogue et de compréhension avec les acteurs économiques internationaux qui arrivent avec leurs nouveaux investissements. Il s’agit là d’une grande réussite de ces dernières années, qui sera consolidée en 2023. J’ai quelques chiffres importants à te communiquer.

IR : La croissance en 2022 a été de 12 % environ ?

NM : C’est exact.

IR : En 2023, quelle est la croissance du Venezuela ?

NM : La Banque Centrale n’a pas encore donné de chiffres, mais on me dit que les 4,5 % prévus par la CEPAL (ONU) pourraient être atteints. Cela représente dix trimestres consécutifs de croissance. Tout cela, encore, au milieu d’un siège et avec nos propres investissements. Comme je l’ai dit, avec nos propres forces.
Une croissance de 5 % de l’activité agricole. Nous avons déjà cinq trimestres consécutifs de croissance de plus de cinq points de l’activité agricole, en produisant notre propre nourriture. Nous exportons même une partie de cette nourriture. Dix trimestres de croissance soutenue de 4 % de l’ensemble de l’activité manufacturière privée du pays, dans le cadre d’une reprise soutenue et durable, il reste encore une grande marge de croissance pour l’ensemble du secteur manufacturier. Environ 4 % de croissance de l’activité commerciale jusqu’au troisième trimestre. Ce quatrième trimestre, qui vient de s’achever en décembre, a atteint un niveau beaucoup plus élevé, l’activité commerciale s’est intensifiée, avec une force impressionnante. La production de l’industrie alimentaire et des boissons a augmenté de plus de 1,6 %. J’ai d’autres données ici. Je ne vais pas te noyer avec toutes les données.

IR : Mais la tendance est très positive ?

NM : Oui, la tendance est positive. En ce qui concerne les prises de pêche, le rétablissement de la capacité de pêche du pays, nous avons enregistré cette année une croissance de 25 %. Dans l’aquaculture, qui est également une activité à laquelle nous avons accordé une attention particulière, nous avons enregistré cette année une croissance de 20 %. Dans le seul secteur de la crevette, qui est un secteur d’exportation, nous avons enregistré une croissance de 98 % en 2023. Une augmentation de la production industrielle, agro-industrielle… Et l’arrivée d’importantes entreprises européennes, états-uniennes, chinoises, indiennes, etc., etc., pour investir dans le pétrole, le gaz et les entreprises de base.

Cela signifie que, dans les conditions établies par notre Constitution et nos lois, nous sommes en progression. Cette année, les recettes fiscales ont augmenté de 25,8 %, mais je dirais que, conformément aux besoins du pays et aux attentes de nos plans sociaux pour le redressement de l’État de bien-être social, les recettes fiscales – bien qu’elles aient beaucoup augmenté cette année – ont encore beaucoup de chemin à faire pour garantir des revenus qui nous permettront d’améliorer les revenus des travailleurs, des travailleuses et les investissements sociaux.

Cette année, jusqu’au mois de novembre, nous dépassons les 5.181 millions de recettes. Cela signifie qu’il y a un ensemble d’éléments très importants, la stabilité des taux de change, la fin définitive de l’hyperinflation, nous avons combattu l’inflation comme un mal structurel, séculaire, de l’économie, et avec les politiques que nous mettons en œuvre, nous avons de sérieuses chances d’améliorer cet élément, cette variable dans les mois et les années à venir.

Le portefeuille de crédit a augmenté de 91 % par rapport à 2022. Quatre- vingt-onze pour cent. Il s’agit de chiffres encore modestes, de l’ordre de 1,4 milliard de dollars. Le Venezuela aurait besoin de quatre, six, huit milliards de dollars, pour le portefeuille de crédit, ou beaucoup plus pour l’investissement ; mais c’est quelque chose qui a été réalisé d’une manière soutenue, durable.

IR : Et tout cela dans le contexte d’un pays bloqué et assiégé. Ce qui est d’autant plus méritoire.

NM : C’est bien de le rappeler. Car malgré les progrès que nous avons réalisés avec les accords de la Barbade, dont nous allons parler, et les discussions avec le gouvernement des États-Unis, le Venezuela n’a aujourd’hui aucun compte à l’étranger, il continue d’être un pays persécuté et assiégé. Nous avons obtenu tout cela grâce à nos propres efforts, nous les Vénézuéliens, nous seuls, je peux te le dire, avec fierté. Le secteur privé, petit, moyen, grand, avec quelques investissements venant de l’étranger, avec des politiques publiques consensuelles, correctes, pertinentes, justes, nous y sommes parvenus grâce à nos propres efforts, pratiquement seuls dans ce monde.

IR : Sans investissements étrangers significatifs ?

NM : Pour le dire avec le grand Ho Chi Minh, il s’agit de « penser avec notre tête, marcher avec nos pieds et construire avec nos mains », sans dépendre de personne. Sais-tu ce que l’on ressent ? Que nous sommes à un stade – et je le dis ici, dans la maison où est né Bolivar, le géant de l’Amérique – où nous construisons un nouveau modèle économique diversifié qui nous donne une indépendance absolue vis-à-vis du monde entier, si nécessaire. Un autre élément pour ton analyse, et pour l’analyse de tous ceux qui nous lisent ici dans le monde : en 2023, le Venezuela a atteint le niveau le plus élevé d’approvisionnement interne de son marché intérieur au cours des vingt-cinq dernières années, soit 97 %, essentiellement grâce à sa propre production et à l’activité des secteurs économiques privés avec des importations complémentaires, avec une politique très claire sur ce qui est importé, sur ce qui n’est pas importé et sur la protection du producteur national.

Je pense donc que nous faisons de grands progrès. Je dis toujours, bien sûr, qu’il y a encore un long chemin à parcourir, surtout pour générer la richesse, l’argent dont nous avons besoin pour avoir un impact sur les salaires et les revenus. Nous avons fait de notre mieux pour améliorer le revenu intégral des travailleurs, le revenu intégral minimum des travailleurs. Nous avons également réalisé un circuit avec les Grandes Missions et les Missions pour protéger la santé publique, l’éducation publique, la construction de 500.000 logements par an, pour protéger, avec le CLAP et les programmes alimentaires, le droit des personnes à l’alimentation, et pour placer les êtres humains au centre et les protéger intégralement pendant que nous récupérons la capacité, non seulement de générer et de produire des biens, des produits, des services, mais aussi de la richesse liquide, qui est l’objet de notre principal effort, et je sais que nous y parviendrons. Je sais que nous allons y parvenir. J’en suis sûr.

« NOUS AVONS DÉMANTELÉ LES MAFIAS CARCÉRALES ».

IR : Monsieur le Président, il y a une autre réalisation importante que vous n’avez pas mentionnée, à savoir la sécurité. Pendant longtemps, l’une des critiques les plus systématiques des médias internationaux, y compris pour critiquer la révolution bolivarienne, était de dire que le Venezuela était un pays très peu sûr, très dangereux, que Caracas était une ville dominée par la criminalité, la délinquance ; tout cela a changé jusqu’à un certain point. Aujourd’hui, Caracas est une ville de plus en plus paisible, de plus en plus sûre, les nuits de Caracas sont redevenues vivantes, comme peuvent le constater les touristes, les voyageurs, les correspondants étrangers ; c’est une réussite énorme. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez réussi à obtenir ce résultat, qui semblait presque impossible ?

NM : Un énorme travail a été réalisé sur la base d’un concept appelé « Cuadrantes de Paz » (zones de paix). Ces zones de paix sont un concept territorial. Aujourd’hui, nous avons trois mille « cuadrantes de paz ».

IR : Dans tout le pays ?

NM : Oui, dans tout le pays. Cette zone de paix, qui réunit-elle ? Les forces de police et de sécurité, l’organisation populaire, tout le pouvoir populaire dans sa diversité, et toutes les institutions impliquées dans la sécurité. Ces zones de paix ont contribué à libérer les territoires où le taux de criminalité était plus élevé et à établir les règles de fonctionnement des communautés de paix ; je pense que les zones de paix, les communautés de paix, sont l’un des éléments.

L’autre élément concerne le travail de renseignement pour démanteler les gangs criminels les plus dangereux, qui sont comme des gangs de nouvelle génération, des gangs plus armés, plus organisés, avec beaucoup d’argent. Nous avons mené des opérations de renseignement et des frappes chirurgicales contre des gangs dans différentes villes et différents endroits du pays. Par exemple, à Caracas, on se souvient de la frappe chirurgicale que nous avons menée contre les gangs d’un quartier connu dans le monde entier, la Cota 905. Cela a permis d’instaurer à Caracas un climat de coexistence, de tranquillité et de paix, car il y avait là un foyer, la Cota 905, un foyer incroyable, lié aux bandes criminelles de Colombie à l’époque d’Iván Duque. Lorsque nous sommes entrés dans leur repaire, la première chose que nous avons trouvée était une vingtaine de paramilitaires colombiens sur une montagne, s’entraînant pour une prétendue « insurrection populaire » à Caracas qu’ils allaient diriger, pour te donner une idée.

Troisièmement, cette année, 2023, des progrès ont été réalisés dans le démantèlement des mafias carcérales dans des prisons très représentatives du centre du pays, de l’ouest, des Andes, de l’est et du sud du pays.
Je pense que cela a été un coup très important pour mettre fin à ces mafias carcérales, pour leur enlever ce centre de criminalité. C’est une politique, que nous appelons l’opération Gran Cacique Guaicaipuro, et elle va se poursuivre.
En ce sens, je suis convaincu que nous allons continuer à progresser au Venezuela en tant que territoire de sécurité et de paix. Et j’en appelle toujours à la population : cela ne dépend pas d’un seul homme, cela dépend de l’effort commun que nous déployons dans les zones de paix, c’est la méthode.
Je l’ai même dit à certains gouvernements d’Amérique latine – je ne vais pas citer de noms – : je voudrais partager avec vous l’expérience de ces zones de paix pour que vous puissiez voir que la fusion et l’union sur le territoire des forces de l’ordre, des forces de police et de l’organisation sociale – dans le cas du Venezuela, le pouvoir populaire – donne des résultats importants.

« LE PRÉSIDENT DU GUYANA SE MOQUE DE LULA, DE LA CELAC ET DE LA CARICOM… »

IR : Monsieur le Président, une autre réalisation importante, comme nous l’avons mentionné précédemment, est le récent référendum sur la région de l’Esequibo, qui a été un succès parce qu’on a vu le soutien que la population a apporté à cette revendication. Le succès de ce référendum a contraint le président du Guyana à s’asseoir avec vous pour discuter directement du sort de l’Esequibo. Mais depuis, il y a eu l’envoi – que vous avez dénoncé – d’un navire de guerre britannique au large du Guyana. Dans ces conditions, comment voyez-vous l’avenir des négociations avec le Guyana sur l’Esequibo ?

NM : Pour l’instant, nous pourrions dire que nous traversons un moment de turbulence. Parce que le Guyana n’agit pas comme la République Coopérative du Guyana, il agit encore comme la « Guyane britannique », et accepte qu’un navire de guerre se rende sur ses côtes et de là, menace le Venezuela. Parce que ce navire de guerre, dès qu’il est parti vers ses côtes, a menacé le Venezuela. Et les déclarations impertinentes et insolentes du ministère britannique des affaires étrangères ont réaffirmé cette menace à l’égard du Venezuela. C’est ainsi qu’ils se comportent, le président du Guayana se comporte comme le président d’une Guyane britannique coloniale. Il se comporte comme un pays prisonnier, soumis. Je n’accepte pas ses excuses, je ne les accepte pas ! Le président Irfaan Ali tente de s’excuser en affirmant que le Guyana ne menacera jamais le Venezuela. Mais ce n’est pas lui qui a proféré un mot de menace, ce sont ses maîtres, c’est le vieil empire britannique, déclinant, en pleine décomposition, qui a envoyé un navire de guerre… Ils croient que le Venezuela est le Venezuela de 1902, quand ils sont venus avec leurs navires bombarder Maracaibo, Puerto Cabello, La Guaira ; quand ils sont venus massacrer le peuple du Venezuela pour imposer la sentence arbitrale de 1899, pour recouvrer les dettes illégales et immorales du XIXe siècle. Non, le Venezuela n’est plus celui de 1902, le Venezuela de Cipriano Castro. Non, non. C’est un Venezuela qui dispose de la puissance militaire pour se défendre. Et je le dis avec humilité, avec simplicité. Parce que je connais très bien les militaires vénézuéliens. Et je sais qu’elles donneraient leur vie pour défendre la souveraineté de ce pays, pour protéger ce pays. Je vous l’ai dit, nous sommes un peuple de paix. Pour faire le bien, comptez toujours sur nous. Pour les mauvaises choses, il vaut mieux ne pas nous chercher. Ne nous cherchez pas !

Que fait le gouvernement de Londres et que fait le président du Guyana ? Se moquer des médiateurs – du président Lula, se moquer du président de la CELAC, Ralph Gonsalves, se moquer de tous les pays de la Caricom… C’est ce qu’ils ont fait, se moquer d’eux, en menaçant le Venezuela avec un navire militaire, ce qui revient à rompre l’accord d’Argyle. Nous sommes actuellement dans une situation de turbulence. Nous savons y faire face, parce que nous ne sommes pas nés le jour des lâches, vois-tu Ramonet ? Je ne suis pas né le jour des lâches et je sais très bien, en tant que chef de l’État et commandant en chef des forces armées, ce que je dois faire pour défendre la dignité du Venezuela. Et ici, personne ne viendra nous menacer avec des navires de guerre. Ni aujourd’hui ni jamais. Nous ne sommes pas le Venezuela de 1902. Qu’on ne s’y trompe pas. Ne vous méprenez pas !

« AVEC LES ÉTATS-UNIS, NOUS AVONS TOUJOURS CHERCHÉ LE DIALOGUE, LA COMPRÉHENSION, LA COEXISTENCE »

IR : Monsieur le Président, après les Accords de la Barbade avec l’opposition de droite extraparlementaire, l’administration Biden a été contrainte de suspendre une partie des sanctions contre le Venezuela. Quelles prochaines étapes prévoyez-vous sur la voie de la normalisation des relations avec les États-Unis ?

NM : Nous devons d’abord dire deux choses. Premièrement, j’ai encouragé le dialogue plus d’un millier de fois avec tous les secteurs de l’opposition. Y compris avec le secteur extrémiste de la tendance « Guaido », l’opposition d’extrême droite, qui est l’opposition privilégiée et préférée des États-Unis, l’opposition pro-états-unienne, « Pitiyanqui » comme on dit ici… et qui est réuni dans la Plateforme Unitaire, la PUV. J’ai favorisé ces dialogues et nous les maintenons en permanence, toujours et sans arrêt. Ce sont des dialogues publics qui sont connus. Mais lors de dialogues privés, je les ai tous rencontrés. En 2020, et en 2021. Ils m’ont dit du mal de Guaidó. Je leur ai dit : agissez, mais ils n’osaient pas.

Finalement, ils se débarrassent de Guaidó alors qu’il est déjà une figure politique en décomposition, Guaidó sent déjà très mauvais, les gringos l’emmènent hors du pays, ils l’emmènent à Miami, milliardaire comme il est, il a volé la moitié du monde, il a volé les gringos, il a volé l’opposition, il a volé tout le monde ; et ils l’ont destitué parce que son discrédit pour ce secteur de l’opposition devenait insoutenable. Mais nous avons toujours maintenu le dialogue avec eux. Même si des secteurs de cette opposition s’assoient pour discuter mais continuent de conspirer en secret, et continuent toujours à conspirer. Chercher à faire un coup d’État au Venezuela, chercher à me tuer, etc., etc. Mais je crois au dialogue, en permanence.

Deuxièmement avec les États-Unis. Le président Chávez a toujours cherché et m’a appris à rechercher le dialogue, la compréhension et la coexistence avec les États-Unis d’Amérique. Et c’est ce que nous avons toujours fait. Ce que le président Chávez a fait avec Bill Clinton. Avec George W. Bush à deux reprises, bien que Bush ait mené un coup d’État ici les 11, 12 et 13 avril 2002 ; c’est ce que l’on a cherché à faire avec Barack Obama, le premier Obama. Le deuxième Obama, avec qui j’ai dû traiter étant président, a émis le décret déclarant le Venezuela « ennemi des États-Unis« . Face à face, Obama m’a dit : « Maduro, c’était une erreur, je vais la corriger« . Il ne l’a pas corrigée. Je lui ai dit : « Obama, le problème ce n’est pas toi, le problème est celui qui viendra après toi, qui pourra utiliser ce décret pour nous menacer, nous sanctionner ou nous envahir« . Et c’est ce qui s’est passé.
Avec Donald Trump, nous avons eu la relation que tout le monde connaît. Il a pris 930 mesures de sanctions contre le Venezuela. Il a mis ma tête à prix, cette tête que tu vois, ils l’ont mise à prix. Ils ont essayé de me tuer en 2018, le 4 août, depuis la Maison Blanche, ils ont essayé de me tuer. Le jour de l’attaque par drone, ils étaient réunis à la Maison Blanche, aujourd’hui la vérité est connue, et ils attendaient le résultat de l’attaque. Ils ont essayé de nous envahir à plusieurs reprises, ils ont formé des mercenaires de Colombie. Et pourtant, nous avons toujours cherché le dialogue et entretenu des liens de dialogue avec l’administration Trump, à tel point que nous avions presque conclu un échange pour libérer Alex Saab dans les derniers jours de Trump, avant les élections. Et quand Biden est arrivé, pareil. Nous avons toujours voulu un dialogue. Espérons qu’on progressera. Espérons-le. Nous avons fait de notre mieux pour établir une nouvelle ère dans les relations avec les États-Unis.

IR : Des étapes sont-elles prévues ?

NM : Il y a des idées communes, il y a un chemin, une feuille de route établie. Mais on ne peut pas dire, Ramonet, que les États-Unis ont levé les sanctions contre le Venezuela. Au contraire, les sanctions sont toujours en place. Ce que les États-Unis ont accordé, ce sont des licences, comme si le Venezuela était une colonie états-unienne. Des licences, comme à l’époque de la Guipuzcoana Company, qui contrôlait entièrement ce pays et accordait des licences d’exportation et d’importation, n’est-ce pas ? À l’époque de ce qu’on appelait les créoles blancs, jusqu’à ce que les créoles blancs en aient assez de la Guipuzcoana Company et déclarent l’indépendance de toute l’Amérique. C’est à peu près ce qui s’est passé. Le modèle que les États-Unis ont l’intention d’appliquer est un modèle de type Compañía Guipuzcoana contre le Venezuela. Donner les licences.
Mais nous sommes fermes. Et nous le disons à tous les gouvernements d’Amérique latine, de la CELAC et du monde : le Venezuela exige la levée complète et permanente de toutes les sanctions illégales, immorales et criminelles qui pèsent sur l’économie et la société. Toutes. Et ce sera notre objectif.
Et nous ne nous reposerons pas, nous persévérerons comme nous l’avons toujours fait jusqu’à ce que nous l’atteignions. Et sur ce chemin, en regardant la boule de cristal, je pense que nous y parviendrons.

« LES BRICS SONT L’AVENIR DE L’HUMANITÉ ».

IR : Monsieur le Président, nous sommes le 1er janvier et à ce jour, les BRICS, cette organisation formée par le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, ont constitué une sorte de nouveau pouvoir ou de contre-pouvoir, un peu dans la lignée de ce que vous avez mentionné plus tôt, de cette nouvelle géopolitique multipolaire. À ce jour, six nouveaux pays ont adhéré ou devraient adhérer. En fait, cinq d’entre eux sont en train d’adhérer, pour être précis : L’Iran, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte et l’Éthiopie. L’Argentine devait adhérer, mais le nouveau président Javier Milei vient de décliner l’invitation.
D’une part, j’aimerais que vous nous donniez votre avis sur l’importance des BRICS. Et d’autre part, si le Venezuela pourrait rejoindre ces nouveaux BRICS élargis ?


NM : Les BRICS sont l’avenir de l’humanité, les BRICS sont déjà une puissance économique définitive, ils ont une banque puissante, j’étais au siège de leur Banque de développement à Shanghai avec sa présidente Dilma Rousseff, nous avons de bonnes relations, qui vont de l’avant, avec la banque des BRICS. Je n’ai pas pu me rendre au sommet de l’Afrique du Sud en raison d’une forte otite, malheureusement. Lors du sommet d’Afrique du Sud, le Venezuela a été accepté comme partenaire. Et j’espère que lors du prochain sommet en Russie, avec la faveur de Dieu, toujours si Dieu le veut, le Venezuela rejoindra les BRICS+ en tant que membre permanent.

Nous parions sur les BRICS comme un élément de ce nouveau monde, du nouvel équilibre, comme faisant partie du concept géopolitique bolivarien d’un monde d’équilibre, d’un monde d’égaux. Et aussi comme une composante de l’avenir de l’humanité pour le développement des investissements des BRICS au Venezuela, pour le développement de grands marchés pour les produits vénézuéliens, pour le développement de relations multiples et diverses dans les sphères culturelles, politiques, institutionnelles et sociales. Ce sont de grandes civilisations, les civilisations chinoise, russe, indienne, notre frère le Brésil, notre sœur l’Afrique du Sud, l’Afrique ! Les cinq pays sont de grandes civilisations et nous faisons partie de la civilisation mixte de l’Amérique du Sud, des Caraïbes, de l’Amérique latine. Les BRICS nous remplissent donc d’émotion.
Le pas franchi par Javier Milei, de l’Argentine, ramène l’Argentine au 19e siècle. Je le dis aux Argentins et au monde entier, le projet de Milei est une opération élaborée pour s’emparer de l’Argentine, la sortir du monde multipolaire, en faire un vassal du monde impérial unipolaire, et la transformer en une nouvelle colonie, détruire l’État, détruire son économie, détruire son identité ; et la mesure qu’a prise Milei de sortir l’Argentine de cette immense organisation que sont les BRICS est une des choses les plus maladroites et les plus idiotes qu’il a faites à l’encontre de l’Argentine. Parce qu’en excluant l’Argentine des BRICS, il agit contre les Argentins, contre les travailleurs argentins, contre les hommes d’affaires argentins. Cela montre ce qu’est un projet colonial rétrograde du 19e siècle, un projet qui a échoué depuis le début. Et cela montre par contraste ce qu’est la diplomatie bolivarienne, la géopolitique mondiale, la nouvelle géopolitique que nous portons depuis le Venezuela, avec notre révolution.
J’aspire donc à passer rapidement du statut de partenaire des BRICS à celui de membre à part entière des BRICS.

« CE QUI EST COMMIS EN PALESTINE N’A PAS DE NOM… ».

IR : Monsieur le Président, le monde est aujourd’hui secoué par deux conflits majeurs : L’Ukraine et Gaza. Sur l’Ukraine, le Venezuela a décidé dès le départ de ne pas prendre parti, défendant un projet diplomatique à la recherche d’une solution négociée. Concernant le conflit israélo-palestinien, Caracas a rompu ses relations avec Israël en 2009. Pensez-vous que le Venezuela a pris la bonne décision dans les deux cas ? Comment voyez-vous l’évolution de ces deux conflits ?

NM : Je pense que ces deux guerres ont pour point commun les grandes entreprises de l’appareil militaire des États-Unis et de l’appareil militaire israélien, totalement liés. Les grands propriétaires de l’appareil militaire des États-Unis sont des investisseurs israéliens. Et je pense que ces deux guerres ont profité aux verseurs de sang, aux fabricants de la mort et des armes.
Une guerre est une menace contre la Russie… Pendant deux décennies entières, la Russie a mis en garde contre la menace de l’encerclement stratégique qui était en train de s’opérer à partir de l’Ukraine, et des pays de l’Europe de l’Est, et aussi sur l’attitude des fascismes, des « Milei d’Ukraine » et de tout le groupe qui a pris le pouvoir à Kiev en 2014, qui s’est mis au service de la stratégie de la provocation contre la Russie.
Toutes les guerres, disons-le, devraient être évitées et dans le cas de la guerre en Ukraine, une solution de paix devrait être recherchée, mais on ne veut pas la rechercher, on veut mettre la Russie à genoux et l’humilier. À l’heure actuelle, la Russie est en train de gagner la guerre contre l’ensemble de l’OTAN, malgré toutes ses dépenses militaires. Au milieu d’un effort énorme parce qu’elle a été sanctionnée économiquement, comme l’a dit récemment le président Vladimir Poutine, la Russie a gagné la guerre économique contre les sanctions, et la Russie a aujourd’hui de meilleurs indicateurs économiques de croissance, de stabilité économique, de prospérité économique que l’ensemble de l’Europe, y compris les États-Unis. Cela montre la grande force interne de la Russie en tant que nation puissante, nation productive, et de son économie. L’Occident est tout simplement obsédé par la russophobie, par l’idée de détruire la Russie. Il n’y a qu’une seule façon d’avancer : s’asseoir et discuter avec Poutine, avec la Russie, sur la base du respect, et parvenir à un accord qui réponde à la nécessité de garantir la sécurité et la paix pour la Russie et pour l’ensemble de la région.

Photo: Le 6 novembre, aux côtés de l’ambassadeur de Palestine au Venezuela Fadi Alzaben, le président Maduro a dénoncé « 75 ans de racisme, de déshumanisation par les suprémacistes d’Israël. Le monde doit se lever pour mettre fin à temps au génocide du peuple palestinien« .

Dans le cas du conflit en Palestine, il n’y a plus de doute. Il s’agit d’un génocide contre le peuple palestinien. Un génocide vieux de plus de soixante-quinze ans, ouvert, brutal. Et il n’y a pratiquement rien, personne pour élever la voix. Le pire dans ce génocide, c’est le silence complice de ce génocide. Le silence complice des élites européennes. La complicité des élites états-uniennes qui fabriquent des armes et des armes et des armes pour bombarder et tuer des Palestiniens innocents. Plus de 21.000 Palestiniens ont été tués. Onze mille d’entre eux étaient des enfants. Il semble qu’ils se sont attaqués aux enfants pour les exterminer. Plus de six mille femmes.

Ce qui est commis en Palestine n’a pas de nom, c’est seulement comparable à l’holocauste que le peuple juif a subi à l’époque d’Hitler, à l’époque nazie. La justice internationale devrait fonctionner. Mais nous ne voyons tout simplement pas apparaître la justice internationale. Un génocide en plein jour diffusé en direct sur les médias sociaux. Et rien ne se passe.
Tous ces génocides, toutes ces brutalités ne seront peut-être pas punis aujourd’hui, mais peut-être à l’avenir. Et le monde qui émerge demandera un jour des comptes à tous ceux qui ont encouragé ce génocide aujourd’hui. Nous sommes solidaires. Particulièrement en cette période de Noël. Nous avons gardé à l’esprit les enfants de Palestine. Là où l’enfant Jésus est né, Noël n’a pas pu être sauvé, Ramonet, le 24 décembre, tous les lieux de Bethléem ont été fermés. Et la crèche avec l’enfant Jésus entourée de chars. C’est le symbole : l’enfant massacré, Hérode encore. Mais nous verrons ce que l’avenir réserve à la lutte et à la résistance du peuple palestinien, et à la lutte et à la résistance de notre peuple.

« CELUI QUI GAGNERA LA BATAILLE DES RÉSEAUX GAGNERA LA GUERRE CULTURELLE ».

IR : Monsieur le Président, pour conclure, je voudrais vous poser une question qui va au-delà de la politique. De tous les présidents que je connais, vous êtes celui qui a le plus réfléchi à la relation avec les médias. Vous avez une émission de télévision très réussie que vous avez lancée récemment, « Avec Maduro plus », et vous êtes très présent sur les réseaux. Quelle est votre relation avec les médias ? Quels sont vos objectifs ? Et quelle relation pensez-vous qu’un président devrait avoir avec les médias aujourd’hui ?

NM : Il est essentiel de pouvoir communiquer. Et comme tu l’expliques toi-même, je l’ai entendu de ta bouche : nous sommes dans une nouvelle ère de communication. Je l’ai pris comme exemple et je l’ai expliqué à nos collaborateurs. L’humanité a connu cinq grands moments de communication.
Le premier, quand l’homo sapiens, a commencé à parler et à communiquer par la parole, partout où il existait sur la planète Terre.
Le deuxième, lorsqu’il a commencé à écrire et a commencé à communiquer par l’écriture. D’abord par des symboles, puis par l’écriture, en Chine, en Inde, etc.
Troisièmement, lorsque l’imprimerie est apparue, que les livres et les journaux sont apparus et qu’un journal pouvait circuler d’un continent à l’autre.
Quatrièmement, et c’est un moment de communication étroitement lié au 20e siècle, l’émergence du cinéma, de la radio et de la télévision, qui ont dominé pratiquement tout le 20e siècle et une partie du 21e siècle. Le président Chávez était un maître dans la gestion des médias traditionnels et a été l’initiateur de l’ère Twitter, un maître avec son compte @chavezcandanga, dans le premier réseau social de masse qu’était Twitter.

Et nous sommes dans un cinquième moment de communication, décisif, déterminant, total, dominant : celui des réseaux sociaux. Aujourd’hui, Instagram, Facebook, TikTok et ce qu’on appelle maintenant X dans une moindre mesure, et YouTube sont les réseaux sociaux dominants. Où l’on interagit pendant des heures, où l’on s’informe, où l’on communique. N’importe quel être humain, dans le quartier le plus reculé de Caracas, à Shanghai, à Mexico, à New York, à l’heure dont nous parlons, ouvre son Instagram, ouvre son TikTok, ouvre son Facebook et lance un message. Et il arrive souvent que ce message devienne viral. Parfois en raison du contenu, de la nature accrocheuse de ce qu’il poste. D’autres fois, grâce aux algorithmes des propriétaires eux-mêmes, ceux qui sont des propriétaires invisibles.
Avant, vous saviez qui possédait Venevisión ici au Venezuela, qui possédait Televen, qui possédait je ne sais quelle station de radio, le propriétaire de « El Nacional », Miguel Otero Silva, ton ami. Maintenant, vous ne savez pas où il vit, ni qui est le propriétaire, qui est le patron de TikTok au Venezuela. Où ? Dites-moi. Si vous avez une plainte à formuler, si TikTok a fait ceci, cela et cela contre ma famille, où dois-je m’adresser ? Quelle est la loi qui la régit ? C’est une question qui doit être étudiée.

C’est pourquoi je dis que nous devons construire un nouveau système. J’ai dit au peuple vénézuélien : nous devons construire un nouveau système de communication, d’influence permanente. Et je l’ai appelé le système GRC -Redes, Calles, Medios y Paredes (Réseaux, Rues, Médias et Murs). Je te laisse y penser. Je fais des efforts, je contribue à maintenir TikTok en vie, actif, attrayant, avec des choses pour maintenir mes autres réseaux sociaux, pour maintenir une voix différente dans ces réseaux qui sont dominés par les puissances transnationales, et pour communiquer dans les réseaux. Mais nous ne pouvons pas en rester là, nous devons continuer à communiquer dans les rues, dans les médias traditionnels et sur les murs, pour que les murs parlent aussi.
Il s’agit donc d’une question vitale de la nouvelle ère qui ne doit pas être négligée, c’est une priorité. Celui qui gagnera la bataille dans les réseaux, dans les rues, dans les médias et sur les murs, gagnera la bataille des idées, comme l’a dit Fidel, gagnera la bataille politique, gagnera la guerre culturelle. Elle est décisive.

« CETTE ANNÉE 2024, LE PEUPLE VÉNÉZUÉLIEN VA DONNER UNE NOUVELLE LEÇON À LA DROITE OLIGARCHIQUE ».

IR : Monsieur le Président, dernière question : 2024 sera une année électorale exceptionnelle dans le monde. Il y aura des élections dans près de soixante-quinze pays. Plus de 4 milliards de personnes seront mobilisées par les élections. Des élections aux États-Unis, en Russie, en Inde, en Ukraine. En Amérique latine, il y aura des élections au Mexique, en Uruguay, au Panama, au Salvador, en République dominicaine… et aussi au Venezuela. L’opposition a déjà désigné neuf candidats, semble-t-il. Et les analystes considèrent votre candidature comme acquise… J’aimerais donc vous demander si vous serez bien le candidat du chavisme à l’élection présidentielle de 2024 ?

NM :
Ce que je peux te dire, c’est que c’est encore prématuré. L’année ne fait que commencer. Seul Dieu le sait… Pas Diosdado (Maduro ironise à propos du nom d’un dirigeant et ami chaviste, NdT), mais Dieu. Attendons que les scénarios électoraux du processus qui aura lieu cette année soient définis, et je suis sûr qu’avec la bénédiction de Dieu, nous prendrons la meilleure décision.
Je suis président non pas parce que j’ai un ego et qu’un jour j’ai dit : « Je veux être président« . Ni parce que je suis de la noblesse. Ou parce que je porte le nom de Maduro comme un noble, un seigneur de ses terres, ou que je suis né pour être président, comme ces abrutis politiques de l’oligarchie rance, qui pensent qu’ils sont prédestinés à être président parce qu’ils ont du sang noble ou un nom de famille. Je suis un homme à pied, c’est dans la vie que j’ai trouvé les moyens de défendre une idée, une cause, un projet. Et sur cette route, nous avons rencontré le plus grand des maîtres, notre président Hugo Chávez, un père pour tous, qui a construit un projet, qui nous a ramené Bolívar. Il a fait entrer Bolívar dans le XXIe siècle et en a fait un projet pour la Patria Grande, un projet pour le pays, il en a fait la conscience du peuple.

Nous, je dis nous parce que je fais partie d’un collectif, faisons partie d’une cause historique. Je ne suis pas moi, je fais partie d’une cause historique, je fais partie d’un projet national, je fais partie d’un puissant mouvement populaire de millions d’hommes et de femmes. Je fais partie d’une équipe : le haut commandement politico-militaire de la révolution. Je ne me dois pas à moi-même, je ne m’impose pas un ego, une prédestination. Non. Pourquoi ai-je été président ? Eh bien, parce que le commandant Chávez, à un moment donné, en raison d’une maladie très grave, a dû prendre une décision… Et ce choix, le peuple l’a ratifié lors d’une élection héroïque, le 14 avril 2013. Ensuite, je me suis soumis aux épreuves d’une guerre brutale, et lorsque 2017 est arrivé – rappelle-toi les guarimbas (violences de l’extrême droite, NdT), quatre mois de violence, de tentatives de coups d’État, de tentatives d’assassinat – nous avons fait appel à l’Assemblée Constituante. La paix a été rétablie avec la Constitution en main. Ensuite, nous avons remporté les élections des gouverneurs de manière consécutive. Nous avons donné ce qu’on appelle au Venezuela une « pela » (KO électoral, NdT) à la droite réunie. Elle s’est enhardie. Je me souviens de Ramos Allup [du parti Acción Democrática] : « Nous allons gagner vingt-cinq gouvernorats sur vingt-trois« , avait-il déclaré.

Sur vingt-trois, nous en avons gagné dix-neuf… Les États les plus grands et les plus importants du pays… Un miracle populaire, un miracle chaviste. Et le 10 décembre de la même année, nous avons remporté les mairies, 80 % des mairies. Et en 2018, à l’aube de l’année 2018, nous avons tenu un débat au sein du mouvement populaire vénézuélien, du pouvoir populaire, du Grand pôle patriotique, du Parti socialiste unifié du Venezuela, et j’ai de nouveau été candidat en leur nom. Parce qu’ils l’ont décidé, et non parce que j’ai dit « je suis prédestiné« , ou « j’ai du sang noble« , ou « je suis le plus sympa« , ou « je suis indispensable« .
Donc ici, dans cette décision sur mon éventuelle candidature en 2024, ni les ambitions personnelles, ni les ambitions individualistes, ni l’ego, ni le titre de noblesse, ne passeront avant les intérêts de la patrie. Et quand la décision sera prise, quelle qu’elle soit, nous irons tous à la bataille… Ce que je peux te dire aujourd’hui, ce que je peux affirmer aujourd’hui, c’est qu’en cette année 2024, le peuple vénézuélien va donner aux empires du monde, à la droite oligarchique, aux extrémistes, une nouvelle leçon qu’ils n’oublieront pas de sitôt. Le mouvement populaire, les forces populaires et notre pays tout entier se préparent à une grande victoire électorale et à une nouvelle période de révolution avec le Plan national Simon Bolivar et les projets historiques que nous a légués le président Hugo Chávez. Je peux te l’assurer : 2024 sera une année de grands triomphes qui ouvrira les portes à de grandes réalisations pour l’avenir, en 2025 et au-delà.

IR : Merci beaucoup, Monsieur le Président. Je vous souhaite une bonne année et tout ce qu’il y a de mieux pour vous, pour votre famille et pour votre pays. J’attends avec impatience une nouvelle rencontre l’année prochaine.

NM : Bien sûr. Nous nous reverrons. Bonne année à toutes et à tous.

Interview réalisée dans la Maison Natale du Libérateur Simón Bolívar, Centre historique de Caracas, lundi 1er janvier 2024.

Traduction de l’espagnol : Thierry Deronne

Source : https://mondiplo.com/en-2024-nuestro-pais-se-prepara-para-una-gran

Photos : I.R. / Prensa Presidencial.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/01/01/en-2024-le-venezuela-se-prepare-a-une-grande-victoire-electorale-linterview-de-nicolas-maduro-par-ignacio-ramonet/

L’Amérique latine face au génocide du peuple palestinien

Photo: affiche appelant à une mobilisation au Mexique le 5 novembre avec la liste des organisateurs. Ce meeting a réuni environ 10 mille personnes.

Par contraste avec le silence relatif des gouvernements arabes de la région (sauf la Jordanie et l’Algérie) et en rupture totale avec la plupart des gouvernements occidentaux, l’Amérique latine – ses gouvernements et ses peuples -, font preuve d’une solidarité croissante avec le peuple palestinien face au génocide commencé par Israël en 1948 et soutenu par les États-Unis et l’Union Européenne.

Tandis que les (extrêmes) droites latino-américaines – soutenues par les groupes médiatiques liés à la vente d’armes, s’alignent sur l’extrême droite de Netanyahu et gomment 75 ans d’occupation, de colonisation et de nettoyage ethnique, les présidents du Venezuela, de Cuba, du Nicaragua, du Honduras, de Colombie ou du Brésil, entre autres, rejoignent l’avis de la Chine exprimé par l’ambassadeur Zhang Jun au Conseil de Sécurité : « Nous nous opposons au projet de créer un nouveau récit sur la question israélo-palestinienne qui occulte l’occupation du territoire palestinien depuis si longtemps ». Le 25 octobre, le président Lula a résumé l’opinion générale : « Ce n’est pas une guerre, c’est un génocide ». Une position qui lui a valu la vengeance et la pression de Tel Aviv qui, pendant plus d’un mois, a refusé d’autoriser 32 Brésilien(ne)s-Palestinien(ne)s et leurs familles à quitter Gaza. Ce n’est que le 13 novembre que le président Lula a enfin pu les accueillir à Brasilia. Revenant sur le massacre de plus de 4.600 enfants palestiniens par Israël, il a déclaré à cette occasion : « je n’aurais jamais pensé que les enfants puissent devenir les victimes privilégiées d’une guerre« . Ajoutant : « si le Hamas a commis un acte terroriste, alors Israël est un État multi-terroriste.« 

De Sao Paulo à Mexico Ciudad, les mouvements sociaux se mobilisent et font pression pour que les gouvernements rompent avec Israël et prennent des mesures pour stopper le génocide. Non sans succès. Le 31 octobre, le gouvernement bolivien de Lucho Arce a rompu ses relations diplomatiques avec Israël après que l’ex-président bolivien Evo Morales et les militant(e)s de base du MAS le lui ont demandé, ainsi que de déclarer Israël État terroriste. C’est le premier pays d’Amérique latine à rompre ses liens avec Tel Aviv depuis le 7 octobre. Le Venezuela l’avait déjà fait en 2009, lors d’un énième génocide du peuple palestinien. « Quel terrible massacre vient encore de commettre Israël ! Où est l’ONU ? Où est la Cour pénale internationale ? Où est le monde ? » s’était exclamé Hugo Chávez qui déclarait un an plus tard : « Si le monde avait un peu de dignité, les présidents d’Israël ainsi que des USA seraient depuis longtemps traduits devant la Cour pénale internationale. »

Photo : Mars 2013. Des citoyens palestiniens déploient un portrait de Hugo Chávez face à l’occupant israélien.

Autre mouvement social d’envergure, et qui ne se contente pas de mots, le Mouvement des Sans Terre du Brésil (MST) a envoyé le 30 octobre deux tonnes de nourriture de sa production aux habitant(e)s de Gaza. La cargaison de riz, de farine de maïs et de lait en poudre a été transportée par un avion de l’armée de l’air brésilienne. Le Mouvement a envoyé au total 100 tonnes de nourriture, avec le soutien du gouvernement Lula. La dirigeante nationale des Sans Terre Cassia Bechara souligne l’importance de la solidarité avec le peuple palestinien : « Les personnes qui ne meurent pas des bombardements risquent fort de mourir de faim, de manque d’eau potable, de manque de nourriture, ce qui explique l’urgence de cette action. Depuis le 21 octobre, l’aide humanitaire arrive par la frontière égyptienne, mais l’ONU et les organisations travaillant à Gaza font savoir que le volume est devenu nettement insuffisant, ne passe plus qu’au compte-goutte. C’est pourquoi nous devons exiger un cessez-le-feu et garantir les moyens de la solidarité avec le peuple de Gaza. ». Le 3 novembre un autre mouvement social, le Mouvement de Travailleurs de l’économie informelle de Buenos Aires, a collecté 10 tonnes de nourriture pour les envoyer au peuple de Gaza avec l’appui du Ministère des Affaires Étrangères argentin et du Croissant Rouge Égyptien.

Photos : le Mouvement des sans Terre organise la solidarité avec la Palestine, où il a envoyé plusieurs brigades de coopération ces dernières années.

Depuis le Venezuela bolivarien, le président Nicolas Maduro (1) a très vite fait expédier 30 tonnes d’aide d’urgence alimentaire après avoir conversé avec l’Autorité Palestinienne. « Nous montrons une fois de plus au monde que le Venezuela et la Palestine sont des peuples frères, qu’ils cherchent l’inspiration d’un monde nouveau, sans domination et sans empire » a déclaré l’ambassadeur de Palestine au Venezuela, Fadi Alzaben, lors de la mobilisation populaire organisée le 26 octobre dans les rues de Caracas par le #PSUV, principal parti chaviste, pour dénoncer le génocide commis par l’État d’Israël avec la complicité directe de l’Occident. Le 31 octobre, le Venezuela a dénoncé catégoriquement « le génocide perpétré par l’État d’Israël contre le peuple palestinien et le bombardement du camp de réfugiés de Jabalya » et a réitéré son exigence de l’application des résolutions de l’ONU et du Droit International constamment ignorés par Israël. Le 6 novembre, aux côtés de Fadi Alzaben, le président Maduro a dénoncé « 75 ans de racisme, de déshumanisation par les suprémacistes d’Israël. Le monde doit se lever pour mettre fin à temps au génocide du peuple palestinien« .

De son côté, dans son communiqué, le gouvernement nicaraguayen a ajouté sa voix à la dénonciation du génocide. « Nous condamnons fermement, comme toujours, la tragédie qui ne cesse de s’aggraver, face à l’arrogance, à l’aveuglement, à l’incompréhension et à l’inaction de la communauté internationale et en particulier de l’ONU« .

Bien que proche de Washington en politique étrangère, Gabriel Boric, président du Chili – où vit une communauté palestinienne nombreuse-, a rappelé le 31 octobre son ambassadeur à Tel Aviv, sans rompre toutefois les relations diplomatiques. Dans son communiqué, Boric dénonce « les plus de 8000 palestinien(ne)s tués lors d’un châtiment collectif qui viole de manière flagrante le droit international ». Le président colombien Gustavo Petro (qui n’avait pas rompu ses relations avec Israël comme certains l’ont cru) a rappelé, lui aussi, son ambassadrice à Tel Aviv : « si Israël ne cesse pas de massacrer les Palestiniens, nous ne pouvons rester là-bas. » Le mandataire colombien a publié sur son compte Twitter la photo d’un des massacres commis par l’État d’Israël : « C’est ce qu’on appelle un génocide. Ils le font pour faire sortir le peuple palestinien de Gaza et s’en emparer. Le chef d’État qui commet ce génocide est un criminel contre l’humanité. Ses alliés ne peuvent pas parler de démocratie. »

Israël l’a aussitôt accusé « d’appuyer le Hamas » (sic), à quoi Petro a répondu : « La Colombie n’appuie pas les génocides. » Le lendemain, lorsque Israël a bombardé un autre camp de réfugié(e)s, celui d’Al-Bureij, il a réagi: « La bombe que vous voyez dans la vidéo est composée de phosphore blanc. Ce produit chimique colle à la peau et pénètre jusqu’à l’os. Elle tue en provoquant une douleur intense. Elle a été larguée par l’État d’Israël. Le lieu où la bombe est larguée appartient aux Nations Unies, là où ces enfants sont en train de jouer. Le droit international qualifie cela comme crime de guerre. Le droit international ne doit pas être utilisé contre des rivaux, par commodité ; il lie toutes les nations de la terre, tous les peuples du monde. Le criminel de guerre, quelle que soit sa religion, son idéologie ou sa nation, doit être jugé et emprisonné. » (2)

Le 2 novembre 2023, alors que le Ministère de la Santé de Palestine informait que plus de 9000 personnes ont été tuées et 32000 blessées, Cuba a pris la parole à l’Assemblée Générale de l’ONU – où il venait de recevoir pour la 31ème fois un appui quasi unanime pour exiger la levée du blocus cruel des États-Unis. Le délégué cubain a dénoncé la complicité de Washington « avec le crime massif contre l’Humanité commis par Israël à Gaza« .

Le 3 novembre à Caracas, le Ministère des Affaires Étrangères du Venezuela, l’Ambassade de Palestine et l’Institut Simon Bolivar pour la Paix et la Solidarité entre les Peuples ont organisé la conférence pour le droit d’exister de la Palestine, pour le cessez-le-feu, et dénoncé le génocide commis par Israël (photos ci-dessous). Le même jour, le Honduras présidé par Xiomara Castro est devenu le troisième pays d’Amérique latine à rappeler son ambassadeur en Israël pour protester contre le nettoyage ethnique à Gaza. Le 14 novembre le Belize a suivi en rappelant ses diplomates à Tel Aviv et en supprimant l’accord de recevoir un ambassadeur israélien dans son pays (voir déclaration officielle ci-dessous).

Photo: 29 novembre 2023. L’Amérique Latine se mobilise contre le génocide.

Thierry Deronne, Caracas, le 1 novembre 2023.

Notes :

(1) Lire « le premier acte de politique étrangère du gouvernement Maduro : défendre les droits du peuple palestinien » (2013) https://venezuelainfos.wordpress.com/2013/04/18/premier-acte-de-politique-etrangere-du-gouvernement-maduro-defendre-les-droits-du-peuple-palestinien/

(2) Tweet du président Gustavo Petro avec la vidéo du bombardement au phosphore d’un camp de réfugié(e)s par Israël le 2 novembre 2023 : https://twitter.com/petrogustavo/status/1720060619032809874

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Photos :

Photo 1 et 2. La #Nakba ou l’exode forcé des Palestiniens en 1948, lors de la création de l’État d’Israël. Comprendre comment la Nakba de 1948 a été planifiée en détail et exécutée, et comment le monde n’a pas réagi, permet de comprendre la Nakba actuelle. A l’époque déjà, Israël disait que le nettoyage ethnique de la Palestine compensait l’Holocauste et des siècles d’antisémitisme en Europe.
Le «oui-mais-condamnez-vous-le-Hamas?» est une injonction médiatique qui vise à culpabiliser, sidérer l’interlocuteur pour l’empêcher de s’exprimer et d’agir. Comme l’explique l’historien israélien Ilan Pappe dans son nouveau texte : « La déhistoricisation aide Israël à poursuivre ses politiques génocidaires à Gaza. »
Photo 3 : la dernière photo de Gaza prise par Roshdi Sarraj, un des journalistes palestiniens assassinés par dizaines lors de ce septième génocide commis par l’État d’Israël depuis 2008.
Photo 4 : Fadia, sa femme Nour et leur bébé Fayrouz, trois rires que l’État d’Israël a fait taire à jamais.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/11/01/lamerique-latine-face-au-genocide-du-peuple-palestinien/

Samidoun se joint à la mission d’enquête internationale sur les sanctions des USA et de l’UE contre le Venezuela

1 août 2023

Le réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens Samidoun participe à la mission d’enquête internationale au Venezuela sur les sanctions occidentales et l’impérialisme états-unien, lancée par le Tribunal populaire international, l’Association internationale des avocats démocratiques et la Guilde nationale des avocats (EU) à propos de l’impact des sanctions, blocus et mesures économiques des États-Unis à l’encontre de la nation vénézuélienne et de son peuple.

La mission d’enquête est constituée de délégués représentant toute une série d’organisations internationales, dont d’éminents avocats, juristes, universitaires et activistes. La mission présentera ses conclusions le vendredi 28 juillet lors d’une séance publique, étalée sur toute la journée, à propos de l’impact des sanctions sur un ample éventail de facteurs sociaux, économiques, politiques et culturels.

La coordinatrice internationale de Samidoun, Charlotte Kates, qui fait également partie du comité de direction du Tribunal, participe à cette mission. Samidoun co-sponsorise le travail en cours du Tribunal contre l’impérialisme Etats-Unien et ses agressions économiques contre les peuples et nations du monde, dont le peuple palestinien, entre autres via l’actuel siège de Gaza.

La mission d’enquête organisera une série de réunions, de visites de sites et de forums en compagnie de responsables du gouvernement bolivarien du Venezuela, d’activistes hostiles aux sanctions, d’organisations féminines, sanitaires et agricoles, de communautés et de tout un échantillonnage de personnes qui ont été impactées par la politique impérialiste américaine de sanctions et de mesures économiques coercitives.

Elle se déroule dans le cadre de Tribunal populaire internationale en cours, qui a déjà mis sur pied des audiences sur les sanctions impérialistes occidentales au Zimbabwe, en Syrie, en Iran, en Irak,  au Liban, à Gaza, en Palestine, en Érythrée, au Nicaragua, à Cuba, en République populaire démocratique de Corée et en Libye, et en organisera de prochaines autour de Hawaii et de Puerto Rico également.

Parmi les participant.e.s à la mission d’enquête figurent :

  • Helyeh Doutaghi, coprésidente, Tribunal populaire international sur l’impérialisme états-unien ;
  • Suzanne Adely, présidente, Guilde nationale des avocats, comité de direction du Tribunal populaire international sur l’impérialisme Etats-Unien ;
  • Max Ajl, chercheur principal au département des études sur les conflits et le développement à l’Université de Gand, comité de direction du Tribunal populaire international sur l’impérialisme Etats-Unien ;
  • Corinna Mullin, universitaire anti-impérialiste et anticoloniale opérant à New York, comité de direction du Tribunal populaire international sur l’impérialisme Etats-Unien ;
  • Charlotte Kates, coordinatrice internationale du Réseau Samidoun de solidarité avec les prisonniers palestiniens, comité de direction du Tribunal populaire international sur l’impérialisme Etats-Unien ;
  • Edre Olalia, président transitoire, Association internationale des avocats démocratiques, juriste, membre du Tribunal populaire international sur l’impérialisme Etats-Unien ;
  • Mohammed Tay, professeur émérite en droit constitutionnel, en droit du travail et en droit administratif privé à l’Université libanaise, juriste, membre du Tribunal populaire international sur l’impérialisme Etats-Unien ;
  • Jaribu Hill, avocat en droit civil et en droits humains, directeur exécutif du Mississippi Workers’ Center for Human Rights, juriste, membre du Tribunal populaire international sur l’impérialisme Etats-Unien ;
  • Booker Omole, vice-président national et membre du comité central du Parti communiste du Kenya ;
  • Brahim Rouabah, enseignant en sciences politiques au Brooklyn College ;
  • Margaret Kimberley, Alliance noire pour la paix, rédactrice en chef exécutive du Black Agenda Report ;
  • Mohammed Zidan, activiste de très longue date au sein du mouvement estudiantin canadien ;
  • David Paul, membre de la Campagne « les sanctions tuent » et du Collectif de protection de l’ambassade du Venezuela à Washington ;
  • Adrienne Pine, anthropologue états-unienne active au sein du Conseil américain pour la paix et de la Campagne « les sanctions tuent ».

La mission d’enquête a entamé ses réunions le mardi 25 juillet, au moment où ses membres ont rencontré le vice-ministre des mesures anti-blocus, William Castillo, et le vice-ministre pour l’Amérique du Nord, Carlos Ron, à l’Observatoire vénézuélien contre le blocus, qui fournit des statistiques détaillées et des ressources sur l’impact des mesures économiques coercitives, non seulement au Venezuela, mais dans le monde entier. A eu lieu ensuite une visite à la Commune populaire Socialiste El Panal 2021, où les membres de la mission d’enquête ont pris connaissance des effets des mesures de sanctions sur les initiatives populaires ainsi que sur l’organisation des actions de résistance et du développement en vue d’affronter la « guerre économique » qui cible le Venezuela.

La mission d’enquête a réalisé des réunions entre le 24 et le 28 juillet 2023, au cours desquelles seront présentes toute une série d’ONG, de mouvements populaires, de responsables et de travailleurs sanitaires. Voici son rapport préliminaire : https://samidoun.net/2023/08/preliminary-statement-and-findings-of-the-venezuela-fact-finding-mission/ Suivez @sanctionstrib sur Twitter et sur Instagram pour de plus amples mises à jour émanant de la mission.

Traduction : Plateforme Charleroi-Palestine

Un président imaginaire renversé par une Assemblée qui n’existe pas

Note de Venezuelainfos : Depuis que Barack Obama décréta en 2015 que le Venezuela était « une menace extraordinaire et inhabituelle pour la sécurité des États-Unis », le blocus et les sanctions des USA/UE ont empêché la nation bolivarienne de produire 3,9 milliards de barils de pétrole (voir graphique). La perte de 232 milliards de dollars qui auraient dû être investis dans les salaires, l’éducation, les retraites, la santé et les services publics, a fait passer brutalement la population de la prospérité des années Chávez à une souffrance et un exode massif dénoncés par les experts de l’ONU. La reprise récente des activités de Chevron au Venezuela ne signifie nullement la fin des 928 sanctions : Joe Biden vient d’en allonger la liste et d’annoncer que cette politique de mesures coercitives unilatérales resterait « identique ». Bien que la droite et l’extrême droite vénézuéliennes ont récemment abandonné le putschiste Juan Guaido – nommé par Donald Trump « président du Venezuela » hors de tout scrutin présidentiel –, Washington refuse de reconnaitre le président élu, Nicolas Maduro, et ne fléchit pas dans son objectif d’éliminer le mauvais exemple d’une révolution participative. Quant à la promesse de la droite concédée en novembre 2022 lors de négociations avec le gouvernement bolivarien, à savoir de débloquer… 3 milliards de dollars gelés par l’Occident, afin de les consacrer « aux besoins humanitaires les plus pressants », elle est restée lettre morte. La politique d’alliances multipolaires et les investissements productifs de Nicolas Maduro permettent néanmoins au Venezuela de remonter la pente : la CEPAL (ONU) annonce pour 2023, comme en 2022, le taux de croissance le plus élevé du continent. Spécialiste de l’Amérique Latine, ex-rédacteur en chef du Monde Diplomatique, Maurice Lemoine dénude une fiction alimentée pendant des années par les journalistes occidentaux : la fake-présidence de Juan Guaido.

Illustration : Trump White House Archived / Flickr CC

Au Venezuela, l’opposition destitue Juan Guaido ». « L’opposition met fin à la présidence intérimaire ». « La présidence par intérim de Juan Guaido prend fin. »

Comme ces choses-là sont dites… Car, enfin… L’ex-député vénézuélien dont il est question n’a jamais été « président intérimaire » de son pays, mais « président autoproclamé ». Élue le 6 décembre 2015, la fraction de l’ « Assemblée nationale » qui, le 31 décembre dernier, a mis un terme à son pseudo-mandat n’existe pas plus. Suite aux élections législatives du 6 décembre 2020, tenues conformément à la Constitution, un nouveau Parlement a pris ses fonctions le 5 janvier 2021.

L’ « opposition » en apparence unique évoquée dans la majorité des commentaires est de même une fiction politico-médiatique. Son évocation ignore délibérément diverses forces représentatives opposées au chavisme et au président Nicolás Maduro, sans pour autant participer au « Guaido Circus » et à la déstabilisation du pays. Enfin, pour qui croirait encore à la fable d’un Guaido soutenu par 60 pays – la « communauté internationale » ! –, on rappellera que lors de l’Assemblée générale des Nations unies tenue en décembre 2021, seuls 16 pays sur 193 ont refusé de reconnaître le président Maduro.

Si l’on tient compte de toutes ces approximations, il n’est pas inutile de revenir sur ce « Monde de Narnia » [1], régulièrement raillé par les chavistes, pour en rappeler l’origine, l’évolution, mais aussi pour saisir l’ampleur des dégâts qu’il a causés.

A l’origine (et à grands traits)

Victorieuse des élections législatives du 6 décembre 2015, avec 112 sièges sur 167, la droite vénézuélienne – regroupée alors au sein de la Table d’unité démocratique (MUD) – aurait pu exercer les prérogatives qui lui revenaient si, faisant fi de la Constitution et de la séparation des pouvoirs, écartant avec dédain le mot « cohabitation », elle n’avait annoncé vouloir renverser le chef de l’Etat en six mois. Et si, par pure provocation, elle n’avait fait prêter serment et investi trois de ses députés de l’État d’Amazonas accusés de fraude par le Tribunal suprême de justice (TSJ). Dès lors, ce même TSJ décréta l’Assemblée en « desacato » (outrage à l’autorité) et lui retira toutes ses attributions tant qu’elle se maintiendrait dans l’illégalité.

Des émeutes insurrectionnelles (avril à août 2017) allant de pair avec la déstabilisation économique du pays amenèrent le chef de l’État à annoncer l’élection d’une Assemblée constituante le 30 juillet 2017. En l’absence d’Assemblée nationale (définitivement en « desacato »), il s’agissait de disposer d’un organe offrant un socle juridique aux mesures prises par le gouvernement. La MUD boycottant ce scrutin, la Constituante tomba entièrement entre les mains du Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) et de ses alliés (le Grand pôle patriotique ; GPP).

Tandis que le Parlement continuait à siéger, se considérant toujours en fonction, les élus de la nouvelle Assemblée s’installèrent dans un hémicycle mitoyen. Le 18 août, ils s’arrogèrent les pouvoirs législatifs, mettant l’Assemblée nationale élue en 2015 définitivement hors jeu.

Le blocage politique est à deux doigts de prendre fin quand, au terme d’un dialogue tenu en République dominicaine pendant plusieurs mois, chavisme et opposition s’accordent sur les conditions d’une prochaine élection présidentielle anticipée. Au tout dernier moment, début janvier 2018, et sur ordre du Département d’État américain, le chef de la délégation d’opposition Julio Borges se refuse à signer l’accord conjointement élaboré. Récusant cette dérobade téléguidée, le gouvernement maintient l’organisation de l’élection présidentielle, dans les conditions prévues et acceptées par les deux parties lors de la négociation. La consultation aura lieu le 20 mai 2018.

Au commencement était Obama

Si les partis composant la MUD boycottent à nouveau le scrutin, plusieurs candidats d’opposition, mécontents d’être exclus des principaux espaces de décision, décident de se présenter. Les deux principaux, Henri Falcón (Copei) et Javier Bertucci (Mouvement espérance pour le changement) obtiennent respectivement 20,94 % et 10,82 % des voix. Néanmoins, l’absence des gros bataillons d’électeurs de droite (54 % d’abstention) favorise Maduro, qui l’emporte largement avec 67,84 % des suffrages exprimés.

« Élection illégitime », proclament les États-Unis et leurs appendices – l’Organisation des États américains (OEA), l’Union européenne (UE) et les gouvernements latino-américains de droite regroupés au sein du Groupe de Lima. Ce très sélect club met le Venezuela à l’index pour « rupture de l’ordre démocratique ».

Prétexte « bidon », pure hypocrisie. Car c’est dès le 8 mars 2015, dans la grande tradition impérialiste des Richard Nixon et Ronald Reagan, que Barack Obama a, par décret, rangé le Venezuela au rang de « menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale des États-Unis ». Le cadre de l’agression à venir était d’ores et déjà posé.

Photo : Nicolás Maduro, Président de la République bolivarienne du Venezuela, lors de la COP 27 en Égypte, novembre 2022.

Depuis le début 2016, en vertu d’un accord, les quatre principaux partis constituant la MUD – Action démocratique (AD), Volonté populaire (VP), Primero Justicia (Justice d’abord ; PJ), Un Nouveau temps (UNT) – doivent alterner chaque année, et pour douze mois, à la tête du législatif. Le 5 janvier 2019, arrive le tour de VP : un de ses députés élu dans l’Etat de La Guaira avec 90 000 voix, Juan Guaido (VP), devient président de cette Assemblée nationale (AN) qui continue à se réunir sans aucunement légiférer.

Dix jours plus tard, premier étage de la fusée : en inaugurant l’ordre du jour de l’AN, Guaido annonce la recherche d’un « accord sur la déclaration d’usurpation de la Présidence de la République et l’application de la Constitution afin de la restaurer ».

Le deuxième étage se déploie le 22 janvier : depuis Washington, le vice-président étatsunien Mike Pence appelle le peuple vénézuélien à manifester le lendemain afin de « restaurer la démocratie et la liberté ».

Troisième étage, le 23 janvier : dans la rue, Guaidó s’autoproclame « président en exercice » du Venezuela et « prête serment » devant la foule fournie de ses partisans. Donald Trump l’adoube par tweet dans les minutes qui suivent.

A la fois président du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, Guaido, auquel il ne manque que la présidence du pouvoir judiciaire pour se transformer en Sainte Trinité [2], est reconnu immédiatement par les gouvernements latino-américains et européens épris (prétendent-ils) d’Etat de droit et de démocratie » !

Le grand jeu de la « pression maximale » peut commencer.

L’opération Guaido n’a en réalité qu’un seul objectif immédiat : faire basculer la Force armée nationale bolivarienne (FANB) et amener les militaires à renverser Maduro au nom d’une supposés « fin de l’usurpation ». A l’exception de quelques défections individuelles, ce putsch, recherché par la persuasion (à Caracas) et de menaçantes pressions (depuis Washington), n’aura jamais lieu. L’Armée demeure loyale à la Constitution et au chef de l’Etat. Il faut dès lors châtier les Vénézuéliens pour les obliger à plier.

Avec l’appui inconditionnel des dirigeants des quatre partis phares de la MUD, rebaptisés G-4, l’administration Trump instaure une politique de mesures coercitives unilatérales destinées à ruiner l’économie vénézuélienne. Ce qu’elle parvient à faire en paralysant drastiquement l’entretien des infrastructures, pétrolière et autres, ainsi que la production et la vente des hydrocarbures, principales ressources de la nation.

Dans l’indifférence générale – nous parlons-là des ténors, des porte-paroles et des « observateurs » de ce qu’on appelle improprement la « communauté internationale » – 927 mesures unilatérales de tous types (927 !) [3] vont frapper les dirigeants politiques, les hommes d’affaires, l’industrie, la production agricole, les exportations, les importations (même de médicaments, pendant la pandémie), les compagnies maritimes et aériennes – mais aussi les firmes internationales prétendant maintenir leurs liens commerciaux avec le Venezuela. La population paie l’agression au prix fort. Plusieurs millions de personnes choisissent de s’exiler. On demeurera prudent sur l’estimation de leur nombre, celui-ci, à des fins de propagande, ayant été régulièrement manipulé, mais, en tout état de cause, on assiste à une tragédie. Que justifie et justifiera en permanence Guaido : « Les sanctions sont le seul outil dont dispose le monde libre pour affronter les dictateurs. Elles sont insuffisantes. Mais elles sont nécessaires [4]. »

Photo : de gauche à droite : Carlos Vecchio (« ambassadeur » aux Etats-Unis), Julio Borges (« ministre des Affaires étrangères) et Juan Guaido, président autoproclamé, avec le « boss », Donald Trump.

« Toutes les options »

« Insuffisantes » prétendent Guaido et ceux qui le soutiennent, évoquant les « sanctions ». C’est bien ce que pense Donald Trump qu’assiste sa « Troïka de la tyrannie » personnelle – Mike Pompeo (secrétaire d’Etat), John Bolton (conseiller à la Sécurité nationale), Elliott Abrams (envoyé spécial pour le Venezuela et l’Iran) [5]. « Toutes les options sont sur la table », annonce donc en permanence Washington, agitant la menace d’une intervention militaire.

A ceux qui objectent qu’une telle intervention ajouterait à la souffrance du peuple, l’ultra-radicale María Corina Machado, dirigeante du parti Vente Venezuela (Viens Venezuela), répond : « J’en conviens, mais c’est pour son bien. »

Photo : Carlos Vecchio, « ambassadeur » du Royaume de Narnia à Washington avec Laura Richardson, cheffe du Commandement sud de l’Armée des Etats-Unis (Southern Command).

Pour mener leur offensive sans risquer d’être accusés d’impérialisme, les Etats-Unis font monter en première ligne le Groupe de Lima. Les rôles secondaires y sont tenus par le président équatorien Lenín Moreno (transfuge de la gauche), le chilien Sebastián Piñera (34 morts, 2300 blessés dont 1400 par armes à feu pendant la répression du mouvement social de 2019) ou le hondurien Juan Orlando Hernández (aujourd’hui incarcéré pour narcotrafic aux Etats-Unis) [6] ; en bellicistes principaux se distinguent les chefs d’Etat d’extrême droite Iván Duque (Colombie) et Jair Bolsonaro (Brésil). A la tête d’une OEA totalement inféodée, Luis Almagro joue les chefs d’orchestre. En Europe, les Emmanuel Macron (France) ou Pedro Sánchez (Espagne) suivent servilement ce douteux attelage, allant jusqu’à poser un ultimatum à un pays souverain pour qu’il organise de nouvelles élections.

Les médias dominants sanctifient ces grandes manœuvres – accablant Maduro en toute circonstance et détournant pudiquement les yeux lorsque Guaido, placé sur un piédestal, tente un coup d’Etat (avril 2019) ou participe personnellement à l’organisation d’une opération mercenaire (3 mai 2020) destinée à renverser ou « éliminer » Maduro [7].

Photo : Février 2019, Cúcuta (Colombie) : Juan Guaido avec – de gauche à droite –Sebastián Piñera (Chili), Iván Duque (Colombie), Mario Abdo Benítez (Paraguay), ses alliés du Groupe de Lima.

Fiction politique, pillage réel

A président autoproclamé, gouvernement autoproclamé. En marge de l’Etat que jamais ne cessera de contrôler le gouvernement bolivarien, Guaido crée une pléthorique structure parallèle dotée de pseudo ministres et d’une Cour suprême de Justice (installés en Colombie), d’ambassadeurs, de représentants internationaux, de présidents ad hoc d’entreprises publiques, comme la compagnie pétrolière PDVSA, ou d’institutions, comme la Banque centrale du Venezuela (BCV) [8].

Au-delà des grandes proclamations dégoulinantes destinées aux médias, jamais cette nébuleuse ne se souciera de malnutrition, de santé, de services publics – pas même pendant la pandémie. Sa seule préoccupation sera de parvenir à une rupture institutionnelle, à une intervention militaire étrangère et surtout… à s’emparer et jouir d’un fabuleux butin.

Grâce aux « sanctions », Washington s’est emparé de CITGO (filiale aux Etats-Unis de PDVSA) – trois raffineries et une chaîne de commercialisation de carburants d’une valeur de 8 milliards de dollars. D’autres millions de dollars de biens et d’actifs ont été gelés. En Colombie, l’entreprise d’Etat vénézuélienne Monómeros a été confisquée. En Europe, au nom d’une permanente servilité à l’égard de Washington, 1 milliard de réserves d’or placées en dépôt à la Banque d’Angleterre par la BCV, 1,543 milliard d’euros déposés dans la banque portugaise Novobanco et 123 millions reposant dans les coffres de la Deutsche Bank sont immobilisés ou saisis (on ne cite là que les cas les plus emblématiques).

Washington décidant de mettre ce pactole à disposition du « président intérimaire », Guaido et sa « pandilla » [9] se retrouvent en mesure de gérer à volonté de considérables sommes d’argent. Et de taper outrageusement dans la caisse ! En rémunérant les « fonctionnaires », les notables, les amis, les vautours (en juin 2021, le cabinet Arnold&Porter avait par exemple déjà reçu plus de 6 millions de dollars pour ses services juridiques dans l’affaire de l’or de la Banque d’Angleterre que tente de récupérer Caracas). Chaque année, en 2021 et 2022, le « gouvernement intérimaire » se verra octroyer 52 millions de dollars d’argent de poche par Washington qui, tenant Guaido et les siens en laisse, se réserve en dernière analyse la gestion des fonds.

Impossibles à cacher, les scandales d’appropriation et de détournements de fonds se multiplient.

Premières fractures

Significatif : à deux reprises candidat de la droite contre Hugo Chávez (2012 ; 44,3 % des voix), puis, après la mort de ce dernier, contre Nicolás Maduro (2013 ; 49,1 %), Henrique Capriles Radonski commence à tenir des propos sévères à l’égard du « gouvernement » de Guaido, auquel participent pourtant des membres de son parti Primero Justicia, à l’image de Julio Borges (« ministre des Affaires étrangères », à Bogotá). En effet, alors que les élections législatives approchent, les partis du G-4 se divisent en interne entre partisans du boycott et tenants de la participation. Las d’être contrôlés depuis l’étranger au service d’une politique qui enfonce leurs concitoyens dans la misère et d’appartenir à des partis dont les directions, contrairement aux statuts, n’ont pas été renouvelées depuis des années, des militants et dirigeants se rebellent. Le Tribunal suprême de justice arbitre et leur donne raison. C’est ainsi qu’Action démocratique (supposément social-démocrate), Primero Justicia (droite néolibérale) et Volonté populaire (droite extrême) se cassent en deux, une partie demeurant au sein du G-4, l’autre réintégrant le jeu démocratique. Où elles s’ajoutent aux opposants « modérés » qui, en 2018, ont participé à la présidentielle.

Première conséquence de ces fractures : en janvier 2020, alors que le député Guaido (c’est là son seul titre légitime) entend se maintenir à la tête de l’Assemblée nationale (qui continue à fonctionner en apesanteur), c’est un dissident de Primero Justicia, Luis Parra, qui est élu président grâce à l’alliance des mutins de l’opposition et des socialistes du PSUV. Mis en minorité, Guaido monte un show extravagant et va se faire « élire » président de l’AN par ses fidèles dans les locaux du quotidien d’opposition El Nacional – qui s’étonnera un peu plus tard d’avoir de sérieux problèmes avec le pouvoir !

Parra, lui, affronte immédiatement des problèmes d’une autre nature : venant de commettre un crime de lèse-majesté, il est, avec six autres députés d’opposition dissidents, sanctionné par le Département du Trésor américain pour « tentative infructueuse de prise de contrôle du Parlement ». Washington sachant faire preuve d’une grande mansuétude, il est néanmoins précisé que ces sanctions « pourront être retirées s’ils se rangent aux côtés du peuple vénézuélien et de Juan Guaido ».

Photo : show médiatique monté par Guaido pour entrer dans l’enceinte l’Assemblée nationale alors que personne ne l’a empêché d’y pénétrer normalement (5 janvier 2020).

La crise qui déchire désormais les diverses factions de la droite leur coûte cher : lors des législatives du 6 décembre 2020, la coalition (GPP), qui soutient le président Maduro, obtient 67,7 % des 5,2 millions de suffrages exprimés. La participation n’a été que de 31 % du corps électoral. Censées aider l’opposition, les « sanctions » américaines ont certes affaibli le gouvernement, mais elles ont aussi forcé les citoyens, à gauche comme à droite, à se concentrer sur la survie quotidienne au détriment de la mobilisation politique. Qui décroît par ailleurs, chez les opposants, au fur et à mesure que se révèle la nature prédatrice des marionnettes de la Maison-Blanche. Dans un tel contexte, l’opposition n’obtient que 22 % voix, les dissidents d’Action démocratique, du fait d’une significative présence territoriale, étant les plus votés (7 %). Indépendamment de ces résultats, qu’on peut juger médiocres, un premier constat saute alors aux yeux : la stratégie abstentionniste du G4 favorise le chavisme et consolide le positionnement des alternatives de droite modérées.

Installée début janvier 2021, la nouvelle Assemblée nationale dispose donc d’une large majorité de sièges pro-Maduro. Parmi les députés figurent des noms forts du chavisme tels que Diosdado Cabello (vice-président du PSUV), Cilia Flores (épouse de Maduro), Jorge Rodríguez (élu président de l’AN), ainsi que des leaders populaires, des femmes et des jeunes issus des mouvements de base. Devenue inutile, l’Assemblée constituante disparaît.

En pronostiqueurs avisés, les États-Unis et leurs satellites avaient par avance annoncé qu’ils ne reconnaitraient pas la validité de cette élection. La grande imposture peut donc continuer : chassés des locaux de l’Assemblée nationale, les ex-députés d’extrême droite, dont seule l’existence donne un semblant de légitimité à Guaido, continuent à se réunir par vidéoconférences, comme s’ils appartenaient toujours à l’assemblée parlementaire. Ils se baptisent « Assemblée nationale 2015 » (AN-2015), censément « la seule légitime », pour parfaire l’illusion.


Comme Donald Trump et Jair Bolsonaro le feront aux États-Unis et au Brésil, les ténors de l’ « AN-2015 » et du gouvernement autoproclamé continuent à mettre systématiquement en doute la régularité des scrutins – par définition « frauduleux ». Toutefois, les pauvres résultats de leur stratégie fissure chaque jour un peu plus l’opposition – y compris dans les rangs des radicaux. De sorte que, le 31 août 2021, la MUD annonce qu’elle participera aux prochains scrutins régionaux et municipaux, tout en ratiocinant : « Nous savons que ces élections ne seront ni justes ni classiques ». Dans cette hypothèse, pourquoi y participer ? Comprenne qui pourra.

En tout cas, dans la perspective de ces régionales du 21 novembre, toutes les composantes de la droite décident d’inscrire leurs candidats aux postes de maires et de gouverneurs. Réticent jusqu’au dernier moment à légitimer le processus électoral et par conséquent le « rrrrrrrégime » honni de Maduro, Guaido finit par appeler la droite au rassemblement derrière la MUD : « Ce n’est pas le moment pour les disputes entre partis, ce n’est pas le moment pour les disputes d’ego, ou les guéguerres de pouvoir mais c’est le moment de la réflexion et de l’unité.  » Trop tard, trop ambigu. Divisées, et même si elles remportent plus d’une centaine de municipalités, les oppositions s’inclinent devant le PSUV (42 % des suffrages), vainqueur dans la majorité des villes et des régions (19 États sur 23) [10].

A ce moment, il faut toute la mauvaise foi, l’ignorance ou, en France comme ailleurs, la connivence de l’appareil médiatique avec l’extrême droite, pour ne pas se rendre compte qu’il n’existe plus au Venezuela « une opposition », mais un nouvel écosystème de partis politiques divisé en au moins trois grands courants : représentant la cabale qui a sapé la souveraineté nationale et déstabilisé la vie sociale et politique de la République, la Plateforme unitaire (nouveau nom de la MUD), réunit une quarantaine de petites formations autour du G-4, de l’ « AN-2015 » et de Guaido ; l’Alliance démocratique, à laquelle se rattache le Copei (parti traditionnel social-chrétien), est une coalition de modérés dirigée par des leaders tels que Luis Parra ; nouveaux venus, Lapiz et Fuerza Vecinal (la Force du quartier, dissidence de partis comme Volonté populaire et Primero Justicia), s’opposent également aux errements du gouvernement autoproclamé.

On notera au passage que les divisions n’épargnent pas le camp chaviste, moins le PSUV d’ailleurs que le Grand pôle patriotique, dont le Parti communiste (PCV) s’est retiré, et au sein duquel Patrie pour tous (PPT) s’est divisé en deux factions, l’une demeurant fidèle à Maduro, l’autre passant, sans rejoindre la droite, dans l’opposition. Sans compter quelques ex-hiérarques, à l’instar de l’ex-procureure générale Luisa Ortega (accusée de corruption au Venezuela et… aux États-Unis !) ou Rafael Ramírez qui, depuis l’Italie, mène une guerre totale contre Maduro, mais qui, pour être crédible, devrait des explications au pays sur l’ampleur des détournements de fonds commis lorsqu’il était le « tzar du pétrole » au sein de PDVSA.

Toutefois, c’est bien à droite qu’ont lieu les plus durs affrontements. Alors que la Plateforme unitaire et Guaido ont repris à Mexico des négociations avec « le gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela » (reconnaissant, quoi qu’ils en disent, implicitement et explicitement Maduro), les partis de l’Alliance démocratique demandent à être inclus dans ces rencontres. De leur point de vue, des pourparlers plus inclusifs devraient permettre de prendre en compte d’autres points de vue que ceux du G-4 dans les discussions. Ils se heurtent à une fin de non recevoir dont témoigne, en mode particulièrement cassant, la réaction du secrétaire générale de la faction « dure » d’Action démocratique, Henry Ramos Allup : ces « alacranes [scorpions] n’appartiennent pas à l’opposition mais sont des employés du régime. »

Chaude ambiance. Mais on n’a encore rien vu. Car la soif de profit et l’intérêt politique donnent lieu à un enchevêtrement de calculs très évolutifs au fil du temps.

La chute

On l’a vu, les députés élus le 6 décembre 2015, y compris Guaidó, ont achevé leur mandat constitutionnel de cinq ans le 4 janvier 2021. Fonctionnant dès lors dans une semi-clandestinité, l’« AN-2015 » a une première fois approuvé la « continuité constitutionnelle de la présidence en exercice ». L’approbation sera renouvelée début 2022, dans l’indifférence générale des Vénézuéliens, mais aussi les critiques des voix qui, au sein d’Action démocratique et de Primero Justicia, récusent la persistance d’un « intérim » qui ne débouche sur aucun résultat concret. Critiques estompées par la satisfaction des Etats-Unis. Eux voient toujours dans cette fiction « la seule institution démocratique » restante dans le pays.

Fort de ces précédents, Guaidó demande à la direction de l’« AN-2015 » de le reconduire, ainsi que l’architecture institutionnelle parallèle, pour une durée d’un an à partir du 5 février 2023. A cette fin, il convoque une session extraordinaire pour le 22 décembre 2022. Et le ciel lui tombe sur la tête. Trois des partis du G-4 – Action démocratique, Primero Justicia et Un Nouveau Temps – qui se rebaptisent G-3 ! – considèrent que « le gouvernement provisoire a cessé d’être utile […] et ne présente aucun intérêt pour les citoyens ». Rien là de vraiment nouveau. En décembre 2021, le ministre des Affaires étrangères du gouvernement imaginaire, Julio Borges (PJ), avait claqué spectaculairement la porte en dénonçant : « Le gouvernement intérimaire était un instrument pour sortir de la dictature, mais il a été déformé jusqu’à devenir une sorte de fin en soi, géré par une caste. Elle s’est bureaucratisée et ne remplit plus sa fonction. Il [le gouvernement] doit disparaître [11]. »

Ce 22 décembre, à une large majorité – 72 ex-parlementaires contre 24 –, l’ « AN-2015 » met fin au régime provisoire, cette figure n’ayant pas atteint son objectif : réaliser « une transition démocratique » et mettre fin à « l’usurpation » du pouvoir par Nicolás Maduro.

D’autorité, en « autoproclamé » habitué à s’arroger tous les droits, Guaido décide d’un report de la décision au 3 janvier 2023, « dans l’intérêt de la recherche d’un accord plus large pour le pays ». Le tollé provoqué au sein du G-3, qui n’a pas été consulté sur cette suspension, l’oblige a convoquer la nouvelle assemblée pour le 30 décembre. Tout en organisant la contre-attaque du camp de Narnia.

Réunissant d’« éminents juristes », le Bloc constitutionnel du Venezuela met en garde contre les conséquences institutionnelles, politiques, économiques et sociales de la fin de cette étape. Le TSJ en exil avertit (sans rire) que prétendre remplacer la figure présidentielle par un gouvernement parlementaire « viole la Constitution » ! Le vétéran politique Henry Ramos Allup se désolidarise de son parti, Action démocratique, et se prononce pour le maintien de l’ « autoproclamé ».

La tension monte d’un cran, les coups volent dans tous les sens. Selon l’ex-député Oneiber Peraza (Volonté populaire), il est « paradoxal » que le leader de Primero Justicia Henrique Capriles appelle à la fin du gouvernement intérimaire, « mais ne demande pas à Nicolás Maduro de quitter le pouvoir ». Pour le groupuscule Causa R (membre du G-4) l’élimination du gouvernement provisoire serait « un assassinat légal ». Guaido lui-même se démène comme un beau diable. Il prévient que l’alternative n’est pas sans risque « en raison des interprétations juridiques ou politiques que chaque pays [qui le reconnaît] pourrait donner ». Il dénonce un saut dans le vide. En désespoir de cause, il propose d’être remplacé à la « présidence intérimaire », cet outil devant être « défendu au-dessus des noms ou des intérêts personnels. Maintenir la présidence n’a rien à voir avec Juan Guaido ! »

Rien n’y fait. La session extraordinaire du 30 décembre confirme le verdict : par 72 voix pour, 29 contre et 8 abstentions, Guaido subit « un coup d’État parlementaire » – sans qu’existe ni État ni Parlement impliqués !

Interrogé quelques semaines auparavant par le quotidien espagnol El País – « Dans une élection propre, êtes-vous convaincu de pouvoir battre Maduro ? » – Guaido pérorait encore : « Dans une élection libre et propre, je ne serais pas le seul à battre Maduro. Si on lance un chien, on bat Maduro. Et ce n’est pas que je veuille banaliser un chien. Ce que je veux dire par là, c’est que la grande majorité des Vénézuéliens veulent une solution [12]. » Ses amis du G-3 semblent en avoir trouvé une – pas forcément celle qu’il espérait.

Cela étant, beaucoup se demandent : que s’est-il passé ?

Une partie du mystère est levé lorsque le G-3 édicte les nouvelles règles du jeu : toutes les structures, organes, entités, dispositions du gouvernement provisoire seront éliminés, à l’exception de ceux qui sont liées aux actifs à l’étranger, comme le conseil ad hoc de PDVSA (en charge de CITGO), ou le conseil ad hoc de la Banque centrale du Venezuela.

Et pour quelques dollars de plus…

Les désaccords et divergences entre les partenaires du G-4 (VP, PJ, AD et UNT) ne sont pas de nature idéologique ou même politique. Il s’agit bel et bien d’affrontements liés à une répartition du butin. Dans la pratique, et au fil du temps, sur fond d’irrégularités administratives et de détournements de fonds, le gouvernement intérimaire de Guaido est devenu, grâce aux fortunes confisquées par les États-Unis ou aux fonds destinés à une supposée aide humanitaire, la plateforme financière de Volonté populaire. S’ils ont eu, dans le cadre de la coalition, leur part significative de pouvoir et d’argent – on parle de 1 600 fonctionnaires ! –, les autres partis n’ont jamais pu piocher dans le coffre-fort avec la même impudeur que VP. Lors de sa rupture en décembre 2021, feignant oublier son rôle dans le développement de ce pillage, dont il a largement profité dans son confortable exil à Bogotá, Julio Borges avançait : « La gestion des actifs est un scandale. Un fidéicommis doit être créé pour qu’il y ait de la transparence. Personne ne rend de comptes, les actifs sont utilisés à des fins personnelles. » Emblématique et dévastatrice (y compris et peut-être surtout chez les électeurs vénézuéliens de droite) : l’image de Leopodo López, leader de Volonté populaire et mentor de Guaido, jouissant en Espagne d’un exil particulièrement doré…

De ce pactole géré et distribué en dernière analyse par l’Oncle Sam, il a beaucoup été question lors des débats précédant la « destitution » de Guaido. Celui-ci a averti que la fin de son gouvernement intérimaire risquait d’entraîner la perte des actifs de la République qui, horreur suprême ! « pourraient finir dans les mains de Maduro ». « Les acteurs de l’Angleterre, des États-Unis et de l’OEA nous ont dit qu’ils ne peuvent pas garantir qu’avec la réforme de la loi sur les statuts, les actifs seront protégés », a renchéri l’ex-député Freddy Guevara.

Des sommes considérables sont en jeu. Indépendamment du hold-up réalisé par les États-Unis sur les avoirs vénézuéliens, la Conférence internationale des donateurs, qui s’est déroulée au Canada en juin 2021, a amené la Commission européenne à ajouter 147 millions d’euros au « paquet d’aide » de 319 millions déjà déboursés depuis 2018. Une partie de ces dons va à une pléthore d’Organisations non gouvernementales (ONG) gravitant dans l’orbite de Guaido. On ignore pour l’heure si Washington assignera en 2023, comme en 2021 et 2022, 52 millions de dollars au gouvernement parallèle pour son fonctionnement.

Le 5 janvier, lorsque Dinorah Figuera (Primero Justicia) a été désignée nouvelle présidente de l’« AN-2015 », en remplacement de Guaido, ses toutes premières paroles ont été édifiantes sur l’ordre des priorités : « J’ai la volonté de travailler avec tous les députés et de représenter tous les citoyens. Nous saluons et accueillons les moyens de protéger les biens de la République »…

Transition

Exit la « présidence par intérim ». Elle laisse place à un nouveau Parlement parallèle et a des « commissions » dirigés par une présidente, Dinorah Figuera, et deux vice-présidentes, Marianela Fernández (UNT) et Auristela Vásquez (AD). Dans le baroque, on peut difficilement faire mieux pour « gouverner » un pays ou même fédérer l’opposition. Quasiment inconnue du grand public vénézuélien, l’ex-députée Dinorah Figuera vit en Espagne depuis 2018. Auristela Vásquez demeure dans le même pays (elles pourront au moins se réunir !). Marianela Fernández réside, elle, aux États-Unis. Jamais l’expression « gouvernement Internet » n’aura été aussi conforme à la réalité.

Photo : de gauche à droite : Marianela Fernández (première vice-présidente), Dinorah Figuera (présidente), Auristela Vásquez (seconde vice-présidente).

Depuis les Etats-Unis, Carlos Vecchio a été le premier des trente-cinq « ambassadeurs » fantoches à annoncer mettre un terme à sa fonction. « Le pire, c’est que nous ne pouvons pas rentrer au Venezuela car nous avons tous des mandats d’arrêt, émis par le régime de Nicolás Maduro », a larmoyé depuis Madrid Enrique Alvarado, « ambassadeur » en Hongrie pendant quatre ans. Au Brésil, le 2 janvier, les dirigeants et les membres de plusieurs mouvements populaires [13], ont symboliquement remis les locaux de l’ambassade de la République bolivarienne à la délégation emmenée par le président de l’Assemblée nationale Jorge Rodríguez venue participer à l’intronisation du président Luiz Inácio Lula da Silva. Les lieux avaient été envahis en 2019 par des sympathisants de Guaido, mais repris par les militants de ces organisations sociales, avec l’aide de parlementaires de la gauche brésilienne et du corps diplomatique vénézuélien demeuré dans le pays. L’« ambassadrice » de Guaido, María Teresa Belandria, n’a jamais pu en prendre possession.

Venues de l’autre bord, les accusations fusent contre le G-3. Certains parlent de « suicide », d’autres de « capitulation ». « Si demain Maduro sort plus fort, sachez que c’est votre responsabilité »,tempête l’ex-vice président de l’ « AN-2015 » Freddy Guevara (VP). Guaido dénonce le viol de l’article 233 de la Constitution et n’hésite pas à évoquer un « coup d’Etat ». Après un long-long-long silence très commenté, Leopoldo López rend hommage à son « ami et camarade de lutte » : « De nombreuses voix à l’époque l’ont mis en garde, et elles avaient raison ; les mains de Guaidó étaient liées par l’AN, et ce qui a commencé comme un contrôle politique s’est rapidement transformé en chantage et en trahison. » Là, c’est surtout le leader de Volonté populaire, parti jusque-là dominant, éjecté par ses concurrents, qui exprime son ressentiment.

Photo : Juan Guaido et le leader de Volonté Populaire Leopoldo López, libéré alors qu’il se trouvait assigné à résidence, lors de la tentative de coup d’État du 30 avril 2019.

Washington ?

D’emblée, une chose apparaît certaine : l’éjection de Guaido n’a pas pu avoir lieu sans l’autorisation de l’administration états-unienne. Voire sans qu’elle l’ait suggérée ou ordonnée. Tous les leaders de feu le G-4 sont en relation permanente avec les représentants de Joe Biden. Ils n’auraient pas sauté dans le vide sans disposer d’un parachute aux couleurs de la bannière étoilée. « Ambassadeur » de Guaido en Colombie, Tomás Guanipa (PJ) a involontairement confirmé cette absolue dépendance lorsqu’il a révélé : « Tout ce qui concerne la réforme du statut a été préalablement communiqué aux pays alliés (…) On nous a toujours dit que la décision serait respectée. » Avant de lever le voile sur les raisons profondes de l’opération : « Un grand effort est fait pour construire une alliance de pays autour de l’accompagnement du Venezuela, non seulement dans le processus de négociation, en donnant de la force à l’opposition, mais surtout pour promouvoir, demander, lutter et travailler pour des élections libres. Et ce processus, dans lequel les pays les plus importants du monde sont impliqués, avait un caillou dans la chaussure. Ce caillou s’appelait gouvernement provisoire. Pourquoi ? Parce que le gouvernement intérimaire, en devenant une fin en soi, est aussi devenu une source de controverse dans ces pays. La plupart ne le reconnaissent plus, quelques-uns le reconnaissent et, pour la construction de cette alliance, il fallait le supprimer [14].  »
Tout est dit. C’est l’effritement de l’appui international au président de Narnia qui a imposé un changement de stratégie. Début 2021, l’UE n’a-t-elle pas cessé d’appeler Guaido « président par intérim », pour utiliser l’expression « leader de l’opposition » ? C’est donc, à l’instigation de Washington, d’une tentative de « reconstitution de ligue en train de se dissoudre » qu’il s’agit !

Photo : Juan Guaido et l’ambassadeur de France Romain Nadal (Caracas, 4 mars 2019).

En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées.

Washington joue sur tous les tableaux. On a pu croire un instant à un dégel quand, en mars 2022, sans même prévenir Guaido, le président Biden a envoyé une délégation de hauts responsables de la Maison Blanche et du Département d’Etat discuter avec le chef de l’Etat en exercice, Nicolás Maduro. A été évoqué un éventuel approvisionnement des Etats-Unis en pétrole, dans le contexte de la crise énergétique amplifiée par les sanctions occidentales contre la Russie. De fait, après un temps de latence, la multinationale Chevron a été autorisée à reprendre, sous conditions et pour six mois, une partie de ses opérations d’extraction et de commercialisation [15]. Début janvier, deux premiers pétroliers ont quitté le Venezuela pour les États-Unis.
Sur un autre plan, et dans le cadre des négociations entre le gouvernement vénézuélien et la Plateforme unitaire, au Mexique, a été signé un « accord social » prévoyant le déblocage de 3,15 milliards de dollars séquestrés illégalement à l’étranger pour les investir dans les services publics. L’affaire semble moins fluide que lorsque Washington est directement intéressé. « Cet accord a été signé, a confié Maduro, début janvier, au journaliste Ignacio Ramonet, mais il est difficile d’obtenir du gouvernement états-unien qu’il prenne les mesures nécessaires pour libérer ces ressources [16].  »

Pendant les dernières heures du « président autoproclamé », un porte-parole du Conseil national de sécurité (CNS) déclarait : « Le président Biden continuera à soutenir le gouvernement intérimaire quelle que soit la forme qu’il prendra. » Confirmation quelques jours plus tard, après le débarquement de Guaido. « Nous reconnaissons l’Assemblée nationale de 2015 », déclare le porte-parole du département d’État Ned Price, avant de souligner que la position des États-Unis à l’égard de Nicolás Maduro « ne va pas changer » car « il n’est pas le dirigeant légitime du Venezuela ». Washington autorise désormais l’ « AN-2015 », sa commission déléguée, ainsi que toute entité créée par l’institution d’opposition, à gérer les biens vénézuéliens à l’étranger.
Du côté des « alliés », soumission habituelle. La Grande-Bretagne s’aligne immédiatement sur les États-Unis. Bien qu’ayant serré la main de Maduro en l’appelant « Président », le 7 novembre 2022, à Charm el-Cheikh, dans le cadre de la COP27, Emmanuel Macron, pour ne citer que lui, refuse de commenter les décisions prises par les « forces démocratiques du Venezuela » qui sont libres de « s’organiser de la façon qui leur semble la meilleure ». On attend avec impatience de voir comment l’espagnol Pedro Sánchez va gérer la présence sur son territoire de la présidente d’une « Assemblée nationale » qui n’existe pas.

Tout changer pour que rien ne change ! Aucune mesure coercitive unilatérale n’a été en réalité levée. La stratégie est claire : maintenir la pression, en particulier économique, pour que, lors de l’élection présidentielle de 2024, les Vénézuéliens exercent un vote sanction.
Si, par rapport aux terribles années 2016-2021, la situation du pays s’est considérablement améliorée, de nombreuses manifestations sociales de travailleurs, enseignants, personnel médical et autres témoignent déjà, en ce moment, des difficultés quotidiennes qu’affronte la population.
Le 15 septembre, l’administratrice adjointe pour l’Amérique latine et les Caraïbes de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), Marcela Escobari, a témoigné devant la Commission des relations extérieures du Sénat américain. Évoquant « trois domaines pour promouvoir l’unité de l’opposition et faire pression pour améliorer les conditions électorales », elle a affirmé que l’USAID « soutiendra l’initiative d’une primaire » et « la formation » d’un candidat anti-chaviste – pour un scrutin qu’elle qualifie d’ores et déjà de « non libres » (au cas où…).
Car, avec ou sans Guaido, l’affaire est loin d’être gagnée pour l’opposition.

Des primaires déprimantes

Après avoir poussé les opposants, pendant des années, dans le ravin de l’abstention systématique, la Plateforme unitaire a décidé en juin 2022 de se lancer dans des primaires pour participer à la présidentielle. Avec au moins trois pré-candidats (dont Tomas Guánipa) et peut être Henrique Capriles, Primero Justicia devra sans doute organiser une « primaire dans la primaire » pour déterminer celui qu’elle lancera dans l’arène. Côté Action démocratique (tendance « dure » Henry Ramos Allup), Carlos Prosperi assure que sa candidature est accueillie avec enthousiasme par les électeurs de tout le pays, qu’il parcourt assidument. Président d’Un Nuevo Tiempo (UNT), ancien candidat à la présidence et actuel gouverneur du Zulia, Manuel Rosales, pour avoir rencontré Maduro à plusieurs reprises et l’avoir appelé « président » a été qualifié au sein du G-4 de « collaborationniste » – en bon français, « collabo ».

Premier écueil : ce sont ces trois partis – rebaptisés G-3 – qui ont éjecté Guaido de la « présidence » et ont mis Volonté populaire en minorité. Il est donc à prévoir que, à partir de maintenant, dénonçant la « trahison » et les « vendus », c’est plus une lutte « à mort » qu’un affrontement courtois, que va entreprendre VP contre ses anciens « amis ». Depuis Madrid, Leopoldo López accuse déjà ouvertement Tomás Guanipa (PJ), membre de la délégation de la Plateforme unitaire qui négocie avec le gouvernement (et à laquelle participe VP) : « Maduro a un câble de mise à la terre avec l’un des membres de la commission [17].  » Il ne se montre pas plus tendre avec Henrique Capriles et Manuel Rosales…
D’une manière générale, un tel affrontement entre « alliés » divise profondément la base, peu encline à se rallier au vainqueur lorsque la primaire a délivré son verdict.
Par ailleurs, ces quatre partis de l’ex-G-4 ont mené le pays dans l’impasse, l’ont dépouillé de ses fleurons – CITGO ou Monómeros –, ont pourri la vie quotidienne, y compris de leurs partisans, tandis que leurs chefs vivaient comme des rois au Venezuela, en Colombie, en Espagne ou aux États-Unis. Pas sûr que l’électeur se précipite pour plébisciter l’un d’entre eux – à commencer par Guaido (pour peu qu’il puisse se présenter, car de nombreuses poursuites judiciaires pèsent sur lui).

Longtemps opposée aux primaires et même aux élections – auxquelles elle préférerait une intervention militaire US –, l’« ultra » María Corina Machado (Vente Venezuela) a changé d’avis. L’effondrement du G-4, du « président autoproclamé », dont elle n’a cessé de dénoncer l’impuissance, et de la Plateforme unitaire, qualifiée par elle de « cartel », lui ouvre un espace dans le clan des opposants radicaux. Tenante d’une guerre éternelle, elle assure que si elle remporte les primaires, l’élection présidentielle ne se tiendra pas avec l’actuel Conseil national électoral (CNE) !
Dans un autre registre, le politologue et chaviste défroqué Nicmer Evans (Mouvement pour la démocratie et l’inclusion) tout en annonçant sa participation à la primaire, la critique férocement, estimant n’être pas suffisamment pris en compte par la coalition (le G-4 élargi).

Photo : María Corina Machado.

Reste que parler du processus est une chose, le mener à bien en est une autre. Tout ce beau monde se déchire sur les modalités de l’organisation. Après moult débats et affrontements, une Commission des primaires a finalement été présentée aux médias et au grand public le 18 novembre 2022. On ne parlera pas d’un très joyeux baptême. Les militants et sympathisants étant restés aux abonnés absents, la cérémonie n’a même pas pu remplir la petite enceinte où elle avait lieu, dans le Paseo El Hatillo (Caracas).
Cette commission va devoir décider de qui pourra être pré-candidat et qui devra être d’emblée éliminé – en imaginant que Guaido gagne les primaires, il ne sera vraisemblablement pas accepté comme candidat par CNE ! Elle devra déterminer si c’est ce même CNE (habituellement honni et vilipendé) qui conseillera, observera ou organisera l’événement. Elle devra également trancher sur la participation de l’ « opposition modérée », qui souhaite rejoindre la compétition, avec des chances non négligeables – mais que tous ou presque qualifient de nid de « collabos ». Lequel, s’il devait se présenter à part à la présidentielle, contre le candidat du PSUV certes, mais aussi contre celui issu des primaires, réduirait d’autant les chances des secteurs anti-chavistes.

Sachant par ailleurs que…

L’Amérique latine a changé. Après l’élection de Luis Arce en 2020, la Bolivie a repris des relations normales avec Caracas. Alberto Fernández a mis un terme à l’hostilité argentine. Le Pérou, qui s’était rapproché après l’élection de Pedro Castillo, a actuellement bien d’autres problèmes à régler que ceux du Venezuela. Plus important encore : en quelques semaines, Gustavo Petro, nouveau président de gauche en Colombie, a rencontré à deux reprises son homologue Maduro. Les relations diplomatiques et commerciales ont repris. Depuis le 1er janvier, c’est un ami qui gouverne le Brésil : Luiz Inácio Lula da Silva. Isolé hier, le Venezuela retrouve de l’oxygène. Le monde a une énorme soif de pétrole. Du fait de la crise à laquelle elle a été soumis, la République bolivarienne a diversifié son économie et marche désormais sur plusieurs pieds.

Photo : Première rencontre Nicolás Maduro – Gustavo Petro.

Tous les observateurs en sont d’accord (même quand c’est pour s’en désoler) : la chute de la maison Guaido est une formidable victoire pour le chavisme. Même le secrétaire général de l’OEA, Luis Almagro, a mangé son chapeau en estimant que les processus de négociation passés se sont trop concentrés sur la sortie de Maduro, « qui, en tant qu’objectif stratégique, n’était probablement pas la plus viable, ni réalisable, ni réaliste ». Pauvre Almagro ! Il a même dû ajouter que, « dans de nombreux cas sous-estimé en ce qui concerne sa capacité de survie, sa gestion politique et ses compétences diplomatiques », Maduro consolide sa position.
Quoi qu’en aient pensé beaucoup, 2024 n’est pas joué.
Reste une inconnue. Confronté à son cuisant échec, jusqu’où ira Washington pour imposer ses règles du jeu ? L’incessante et insupportable question.

Photo : chômage technique pour la « spécialiste » préférée des plateaux de télévision français.

Mardi 17 janvier 2023   |   Maurice Lemoine


[1] Narnia est un monde imaginaire créé par l’auteur irlandais Clive Staples Lewis dans lequel se déroule une série de sept romans de fantasy : « Le Monde de Narnia ».

[2] Nous reprenons là une formule de l’ex-recteur de l’Université centrale du Venezuela (UCV) et actuel membre suppléant du Conseil national électoral (CNE) Luis Fuenmayor Toro – https://www.costadelsolfm.org/2023/01/05/luis-fuenmayor-toro-el-interinato-eterno-continua/

[3Los números del Bloqueo, relato de una estadística de una agresión 2014-2022, Caracas, 2022.

[4https://www.costadelsolfm.org/2021/05/05/quien-crea-que-desde-una-gobernacion-puede-enfrentar-la-dictadura-no-entiende-el-contexto-que-vivimos-dijo-juan-guaido/

[5] L’expression « Troïka de la tyrannie » a été inventée par John Bolton pour désigner Cuba, le Nicaragua et le Venezuela.

[6] Lire « Honduras : du coup d’État au narco-Etat », 22 avril 2022 – https://www.medelu.org/Honduras-du-coup-d-Etat-au-narco-Etat

[7] Lire « Baie des Cochons ou “Opération Mangouste” » (18 mai 2020) – https://www.medelu.org/Baie-des-Cochons-ou-Operation-Mangouste

[8] Au total, le gouvernement de Narnia comprendra : le Conseil d’administration ad hoc de PDVSA, le Conseil d’administration ad hoc de la Banque centrale du Venezuela, le Bureau du Procureur spécial de la République, et le Conseil national de la défense judiciaire, le Contrôleur spécial de la République, la Commission présidentielle pour l’administration des dépenses, les conseils d’administration ad hoc des institutions autonomes telles que la Banque de développement économique et social (Bandes) ou la Corporation de Guayana, des commissaires présidentiels, les représentations diplomatiques ou consulaires…

[9] Bande de délinquants.

[10] Lire « Paysages vénézuéliens avant la victoire (chaviste !) », 10 décembre 2021 – https://www.medelu.org/Paysages-venezueliens-avant-la-victoire-chaviste

[11https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-59549486

[12https://elpais.com/internacional/2022-11-05/guaido-le-ganaria-a-maduro-en-unas-elecciones-pero-a-el-le-ganaria-hasta-un-perro.html

[13] Mouvement des sans terre (MST), Parti des travailleurs (PT) centrale unique des travailleurs (CUT), Comité anti-impérialiste Abreu e Lima, etc.

[14https://correodelcaroni.com/pais-politico/tomas-guanipa-la-proxima-semana-reinician-reuniones-con-aliados-para-fortalecer-mexico/

[15] L’exploitation reprend dans le cadre de l’entreprise mixte Chevron (États-Unis)-Petropiar (Venezuela), comme l’exige la Constitution bolivarienne. Créant la surprise, la gérance générale de cette entreprise mixte a été confiée à Martin Philipsen, un cadre de Chevron.

[16] Lire « 2023, l’heure d’un monde nouveau : l’interview de Nicolás Maduro par Ignacio Ramonet », 4 janvier 2023 – https://www.medelu.org/2023-l-heure-d-un-monde-nouveau-l-interview-de-Nicolas-Maduro-par-Ignacio

[17https://www.resumenlatinoamericano.org/2023/01/13/venezuela-las-delaciones-de-leopoldo-lopez-contra-sus-socios-del-g4/

Source de cet article : https://www.medelu.org/Un-president-imaginaire-renverse-par-une-Assemblee-qui-n-existe-pas

Malhonnêteté « calibrée » : pourquoi les médias occidentaux continuent à occulter les sanctions contre le Venezuela (Fair.org)

Selon AP (17/5/22), les États-Unis vont « alléger quelques sanctions économiques contre le Venezuela »…

Par Ricardo VAZ

Les sanctions décrétées par les États-Unis d’Obama à Biden en passant par Trump ont tué, même selon des estimations déjà dépassées, des dizaines de milliers de Vénézuéliens. Ces politiques unilatérales ont été largement condamnées par les organismes multilatéraux et les experts en droits humains de l’ONU Alfred de Zayas ou Alena Douhan pour leur impact meurtrier, ainsi que pour leur violation du droit international (Venezuelanalysis, 18/09/21, 15/09/21, 25/03/21, 31/01/19).
Mais les lecteurs/téléspectateurs des médias privés du monde occidental ne sont absolument pas conscients de cette réalité, car les médias de l’establishment ont fait tout leur possible pour valider les sanctions en occultant complètement leurs effets humains et sociaux (FAIR.org, 6/4/21, 12/19/20) – en écrivant par exemple que Washington a « sanctionné le gouvernement » (AP, 5/21/22) plutôt que le peuple du Venezuela.

Une récente ouverture politique de la part de Biden, microscopique au départ et fermée assez rapidement, a mis en évidence tous ces traits malhonnêtes, illustrant à quel point les responsables des États-Unis ont les coudées franches pour continuer à infliger une punition collective aux Vénézuéliens sans être remis en question ni être contrôlés par personne.

Les sténographes l’ont à la bonne…

…alors que NBC (17/5/22) dit que les « États-Unis allègent certaines sanctions » en usant de l’indicatif présent…

Le 17 mai, le département du Trésor des États-Unis a autorisé la compagnie pétrolière américaine Chevron à s’entretenir avec PDVSA, la compagnie pétrolière d’État vénézuélienne, pour discuter de ses activités dans le pays. Les responsables ont clairement indiqué qu’il était toujours interdit au géant de l’énergie de forer ou de vendre du brut vénézuélien (AP, 17/5/22).
Deux semaines plus tard, la Maison Blanche a renouvelé la licence actuelle de Chevron, qui ne permet que des travaux de maintenance, jusqu’en novembre. Néanmoins, cette brève « ouverture » a révélé quelques techniques intéressantes…

Tout d’abord, tous les médias mainstream ont pratiquement fait le même titre, écrivant que les États-Unis « assouplissent certaines sanctions » (NBC, 17/5/22), allaient « assouplir quelques sanctions économiques » (AP, 17/5/22) ou « commencent à assouplir les restrictions » (Washington Post, 17/5/22) sur le Venezuela. Et bien que la portée très étroite de l’autorisation ait laissé peu de choix de mots, elle n’a certainement pas forcé les journalistes du secteur privé à s’en tenir aux informations fournies par des « fonctionnaires anonymes« .
Pas un seul média de l’establishment n’a mentionné que les sanctions ont un impact sur les Vénézuéliens ordinaires. Au lieu de cela, le privilège de « simplement pouvoir parler » à des compagnies pétrolières a été dépeint comme une incitation pour le président Nicolás Maduro à reprendre le dialogue avec l’opposition !

…et le Washington Post (17/5/22) annonce à ses lecteurs que les États-Unis « commencent à assouplir les restrictions ».

Le rachitique arrière-plan/contexte fourni dans la plupart des articles laisse la place à de nombreuses allégations. Lorsque l’on évoque les raisons de l’échec des pourparlers entre le gouvernement et l’opposition en octobre dernier, on dit aux lecteurs que Maduro s’est retiré après « l’extradition d’un allié proche/clé » aux États-Unis (Washington Post, 17/5/22 ; AP, 17/5/22). Toutefois, il n’est jamais fait mention du fait que, selon les documents officiels divulgués par Caracas, l' »allié » en question (Alex Saab) jouit de l’immunité diplomatique, et que Washington a violé la convention de Vienne en le faisant arrêter à l’étranger et en l’extradant (FAIR.org, 21/07/21).

Les médias privés ont continué à se faire l’écho d’accusations sans fondement contre le gouvernement élu de Nicolas Maduro comme s’il s’agissait de vérités absolues, qu’il s’agisse de fraude électorale (FAIR.org, 27/01/21), de trafic de drogue (FAIR.org, 24/09/19) ou de censure des médias (FAIR.org, 20/05/19). La conséquence est qu’à présent, aucun rédacteur en chef ne bronchera devant une description du gouvernement vénézuélien comme étant « autoritaire » (Washington Post, 17/5/22), « autocratique » (CNN, 17/5/22) ou « corrompu et répressif » (New York Times, 17/5/22).

Les journalistes de l’establishment se sont montrés assez enthousiastes dans le relai des menaces de style mafieux de leurs sources anonymes, à savoir que les États-Unis « calibreront » leurs sanctions en fonction des progrès jugés acceptables dans les pourparlers entre le gouvernement et la droite (Reuters, 17/5/22 ; NBC, 17/5/22 ; AFP, 17/5/22 ; AP, 17/5/22). Les responsables états-uniens font référence aux politiques qui tuent des milliers de civils comme s’il s’agissait d’un commutateur qu’ils peuvent baisser ou remonter à volonté, et leurs complices dans les médias ne voient aucune raison de s’en alarmer. D’ailleurs, pourquoi faudrait-il s’en alarmer ?

Le New York Times (17/5/22) a titré de manière plus correcte que les États-Unis allaient « offrir un allégement mineur des sanctions ».

Pour sa part, le New York Times (17/5/22) a décrit les mesures comme un « allégement mineur des sanctions« , ce qui, malgré l’adjectif, semble encore un peu exagéré, considérant que les sanctions impliquent un embargo pétrolier et qu’il n’y a eu en tout qu’une simple conversation avec Chevron. Le journal de référence a également essayé de dépeindre les sanctions comme ayant peu à voir avec l’effondrement de l’industrie pétrolière du Venezuela, en écrivant qu’elles n’ont commencé qu’en 2019. En fait, les premières mesures prises à l’encontre de PDVSA – la coupant du crédit international – datent de la mi-2017, après quoi la production s’est effondrée, passant de près de 2 millions de barils par jour à 350 000 en trois ans (Venezuelanalysis, 27/08/21), faisant perdre comme l’a rappelé l’ex-président économiste Rafael Correa 99% de ses revenus à l’État vénézuélien.

Simultanément, l’espagnol Repsol et l’italien Eni ont obtenu des licences d’exploitation de pétrole en contrepartie de dettes qui « ne profiteront pas financièrement à [PDVSA] » (Reuters, 6/5/22). Et aucun journaliste de média privé n’a trouvé à redire sur le fait que, d’une manière ou d’une autre, c’est le département du Trésor américain qui a le pouvoir « d’autoriser » les entreprises européennes à traiter avec le Venezuela.

Toutes les critiques ne sont pas égales…

Wall Street Journal : L’allégement des sanctions contre le Venezuela est un piège pour Biden. Mary Anastasia O’Grady (Wall Street Journal, 19/5/22) a averti que les États-Unis « se dirigeaient sur la pointe des pieds vers un rapprochement avec le dictateur Nicolás Maduro ».

Le fait que l’administration Biden revisite ne serait-ce qu’un peu sa politique de sanctions a généré une réaction féroce qui a alimenté le parti pris des médias d’entreprise. La section d’opinion du Wall Street Journal a fourni son extrémisme habituel, avec un membre du comité éditorial, Mary Anastasia O’Grady (26/5/22) écrivant que les États-Unis pourraient se diriger « sur la pointe des pieds vers un rapprochement avec le dictateur Nicolás Maduro qui abandonnera la cause de la liberté vénézuélienne« .

La chroniqueuse du Wall Street Journal a qualifié le « président intérimaire » vénézuélien non élu de l’opposition, Juan Guaidó, de « reconnu internationalement« , alors que le nombre de pays qui le reconnaissent effectivement n’est plus que de 16 (Venezuelanalysis, 12/8/21). Elle a en quelque sorte présenté le coup d’État militaire, médiatique et patronal d’avril 2002, soutenu par les États-Unis et qui a brièvement renversé le président démocratiquement élu Hugo Chávez, comme « des opposants qui défendent l’État de droit en utilisant les institutions« .

Mais les reportages étaient également très partiaux lorsqu’il s’agissait de peser le pour et le contre de l’initiative de l’administration Biden. En effet, seules les critiques « bellicistes » de la politique officielle sont diffusées (FAIR.org, 5/2/22).

Un groupe de personnalités de la droite vénézuélienne, allant d’économistes à des analystes politiques en passant par des chefs d’entreprise, a écrit une lettre à l’administration Biden en avril pour demander un allègement des sanctions (Bloomberg, 4/14/22). Bien qu’ils aient reconnu le rôle supposé des États-Unis dans la résolution de la crise politique du pays, ils ont souligné l’évidence : les sanctions nuisent au peuple vénézuélien. Néanmoins, lorsqu’il a été temps de discuter de la politique de sanctions, aucune de ces personnalités n’a été contactée par les journalistes des médias privés pour faire un commentaire.

The Guardian : L’Occident ne doit pas lever les sanctions contre Maduro, affirme l’opposition vénézuélienne
La levée des sanctions contre le Venezuela « donnerait la victoire à une alliance autocratique dirigée par Vladimir Poutine », selon celui que le Guardian (14/5/22) appelle « le vice-ministre des affaires étrangères du pays ».

Au lieu de cela, le Guardian (14/5/22) a tendu la main aux partisans de la ligne dure, allant jusqu’à interviewer une personne ayant un emploi fictif dans le « gouvernement intérimaire » de Guaidó et l’appelant « vice-ministre des affaires étrangères du pays« . La politicienne parrainée par les États-Unis s’oppose à l’allègement des sanctions sans concessions politiques et – suivant les dernières tendances en matière de propagande – prévient que « si Maduro est aidé, Poutine l’est aussi. »

Un certain nombre de démocrates de la Chambre des représentants des États-Unis s’opposent de plus en plus vivement à la politique vénézuélienne de l’administration, en raison de ses conséquences humanitaires. Quelques jours avant les timides ouvertures, ils ont écrit une autre lettre à Biden (The Hill, 5/12/22). Mais lorsqu’il a fallu évaluer la dernière mesure, cette lettre n’a mérité qu’une seule phrase dans un seul rapport (AP, 17/5/22).

En revanche, le sénateur Marco Rubio (Guardian, 19/5/22) et le représentant Michael McCaul (New York Times, 17/5/22), tous deux républicains d’extrême droite, étaient présents pour accuser l’administration d' »apaiser » ou de « capituler » devant Maduro. Le seul démocrate présent était le faucon anti-Cuba et anti-Venezuela notoire Bob Menendez, dont le rejet de toute pitié envers le Venezuela a été largement diffusé (AP, 17/5/22 ; AFP, 17/5/22 ; NBC, 17/5/22 ; Washington Post, 17/5/22 ; Reuters, 17/5/22).

Il est remarquable que, même après la décision de l’administration Biden de repousser l’octroi de la licence à Chevron jusqu’aux élections de mi-mandat, des agences comme Associated Press (27/5/22) n’ont fait que soutenir les partisans de la ligne dure. Et donc, avec pratiquement aucun changement dans les efforts de « pression maximale » de Trump, le public des médias privés verra la Maison Blanche critiquée pour « s’être pliée en quatre pour apaiser un despote du pétrole« , mais pas pour avoir causé la sous-alimentation de 30% de la population vénézuélienne (Venezuelanalysis, 22/08/21).

Des impérialistes au pays des merveilles

Bloomberg : Les États-Unis ont besoin d’en voir plus de la part de Maduro pour alléger les sanctions contre le Venezuela. « La levée unilatérale des sanctions contre le Venezuela ne va pas améliorer la vie des Vénézuéliens », a affirmé de manière absurde un haut conseiller de la Maison Blanche à Bloomberg (19/5/22).

Si les journalistes occidentaux ne sont pas désireux de dire à leur public ce que les sanctions ont signifié, ils sont encore moins désireux de contester les faussetés flagrantes provenant de personnalités haut placées du Beltway.

Dans un reportage de Bloomberg (19/5/22), les rédacteurs Patrick Gillespie et Erik Schatzker ont emprunté un chemin familier en permettant au conseiller principal de la Maison Blanche Juan Gonzalez de jouer les preneurs d’otages, en exigeant que l’allègement des sanctions nécessite des « mesures démocratiques » non spécifiées et des « libertés politiques plus grandes« . Mais dans le processus, ils ont publié un mensonge scandaleux et flagrant.

« La levée unilatérale des sanctions à l’encontre du Venezuela ne va pas améliorer la vie des Vénézuéliens« , a déclaré M. Gonzalez, cité par Bloomberg. Étonnamment, les auteurs ont publié cette déclaration sans émettre la moindre réserve ou critique, alors qu’en fait la levée des sanctions est la chose la plus évidente que les États-Unis pourraient faire pour améliorer la vie des Vénézuéliens.

Le gouvernement vénézuélien, des personnalités/groupes de la droite vénézuélienne, des rapporteur(se)s spéciaux des Nations Unies, des groupes de réflexion, des économistes, des représentants des États-Unis et même la Chambre de commerce états-unienne ont documenté ou au moins reconnu les conséquences néfastes des sanctions unilatérales. Ne pas inclure une seule de ces sources pour équilibrer les propos de Gonzalez est un choix aussi délibéré que malhonnête.

La dernière apparition du Venezuela sous les projecteurs a montré une fois de plus à quel point les médias privés sont essentiels pour défendre la politique étrangère des États-Unis. Avec leurs efforts « calibrés » pour dissimuler les conséquences des sanctions, les journalistes occidentaux ont en fait rendu invisibles au public des milliers et des milliers de victimes vénézuéliennes. Ce sont eux qui mériteraient d’être sanctionnés.

Ricardo Vaz

Source : https://fair.org/home/calibrated-dishonesty-western-media-coverage-of-venezuela-sanctions/

Traduit de l’anglais par Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/06/15/malhonnetete-calibree-pourquoi-les-medias-occidentaux-continuent-a-occulter-les-sanctions-contre-le-venezuela-fair-org/

Comment Trump proposa à Guaido une attaque militaire contre le Venezuela

Dans ses mémoires récemment publiées, l’ex-Secrétaire à la Défense (républicain), le lieutenant colonel Mark Esper (à gauche sur la photo) révèle les détails sur une attaque militaire envisagée contre le Venezuela et proposée par le président Trump lors d’une réunion à la Maison Blanche avec le putschiste vénézuélien d’extrême droite Juan Guaido.

Le 9 juin 2020, lors d’une réunion du Conseil National de Sécurité, Robert O’Brien, conseiller présidentiel, propose une attaque militaire contre le complexe de la raffinerie de Jose, dans l’est du Venezuela. C’est ce qu’explique Esper lui-même, qui était présent à la réunion.

L’objectif tactique était de paralyser l’économie pétrolière du Venezuela et, grâce au chaos et à la souffrance populaire, d’atteindre l’objectif stratégique : renverser le président Maduro et imposer Juan Guaidó comme président du Venezuela.

L’opération serait exécutée par une frappe aérienne sur le complexe pétrolier ou par un assaut amphibie avec des troupes spéciales de la marine des USA. Un acte de guerre conforme aux appels continus de Trump à une action militaire depuis 2017.

Le secrétaire d’État, M. Esper, le président des chefs d’état-major interarmées, M. Milley, et le directeur de la CIA, M. Haspel, ont considéré que l’attaque serait un acte de guerre contre-productif, car elle unirait le peuple pour défendre le président Maduro.

Photo : une des deux réunions de Guaido à la Maison Blanche, accompagné de ses alliés d’extrême droite Borges et Vecchio. Les vénézuéliens firent comprendre aux Etats-Uniens qu’ils serait bien que ceux-ci fassent le travail à leur place, à savoir qu’ils interviennent militairement pour éliminer Maduro.

Ce groupe n’a donc pas approuvé l’attaque militaire, préférant des attaques cybernétiques (sur les systèmes numériques de l’infrastructure économique) et des opérations clandestines soutenues par les USA mais exécutées par les forces de droite à l’intérieur du Venezuela.

Le général Milley a proposé en outre des opérations de guerre irrégulière (du type de la Contra au Nicaragua) exécutées par des mercenaires vénézuéliens formés en Colombie. Cette idée fut proposée à Guaidó plusieurs fois lors de la rencontre avec Trump à la Maison Blanche le 5 février 2020.

Ces cyberattaques/incursions eurent bien lieu (sabotages électriques, attaques depuis la Colombie, etc.). Le Washington Post publia in extenso un premier contrat signé quelques mois auparavant par le Juan Guaido avec des mercenaires états-uniens pour mener une attaque et assassiner Nicolas Maduro : https://www.washingtonpost.com/…/a86baff6-40fa-4116…/

La Colombie narco-paramilitaire est la base principale d’où partent les incursions armées contre le gouvernement du Venezuela. Plusieurs camps d’entraînement ont été créés à cette fin. La Colombie est occupée par 7 bases militaires états-uniennes. Elle est devenue en 2022 « l’Allié stratégique principal de l’OTAN » pour reprendre les termes récents de la Maison Blanche. Comme le rappelle le spécialiste de l’Amérique Latine Maurice Lemoine, c’est à Bruxelles, le 14 février 2022, et en présence du président Duque, que le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg déclare : « Nous avons échangé des points de vue sur l’approfondissement de la coopération entre la Russie et la Chine, et notamment sur leur soutien au régime répressif du Venezuela ».

A noter que la France a soutenu le putschiste Guaido (proche des paramilitaires et narcotrafiquants colombiens, aujourd’hui lâché par ses alliés d’extrême droite pour sa corruption extrême) dans ces tentatives de renverser un gouvernement élu. Photos : Juan Guaido à Paris (Macron, Le Drian) et avec l’ambassadeur Romain Nadal à Caracas.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/05/13/comment-trump-proposa-a-guaido-une-attaque-militaire-contre-le-venezuela/

OTAN, suspends ton vol ! (nouvelles d’Amérique Latine, par Maurice Lemoine)

Illustration : Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN et Ivan Duque, président de la Colombie, le 14 février 2022 / Photo : NATO Flickr CC

C’est l’histoire d’un type qui passe devant un chien et qui lui donne un grand coup de pied. L’animal jappe. Impassible, l’homme lui décoche un nouvel horion. Le chien aboie furieusement. Sans s’en préoccuper, l’homme le shoote à nouveau. Cette fois, le chien bondit et lui mord furieusement le mollet. Le type se tourne alors vers les amis qui l’accompagnent et fait : « Ah ! Vous voyez bien qu’il est méchant ! »

L’auteur: Maurice Lemoine, ex-rédacteur en chef du Monde Diplomatique, couvre l’Amérique Latine depuis 35 ans.

Le 24 février, arguant de ce que les territoires séparatistes du Donbass – les Républiques populaires de Donetsk et Louhansk –avaient sollicité l’aide de la Russie et que cette dernière était d’autre part progressivement encerclée par l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), le président Vladimir Poutine a déclenché ce qu’il a appelé une « opération militaire spéciale » contre l’Ukraine – en réalité, une invasion du pays voisin. En recourant à l’usage de la force en violation des principes juridiques du droit international et de la Charte des Nations unies, Poutine a pris l’énorme responsabilité d’un déchaînement de violence entraînant, pour Ukrainiens et Russes, son cortège de souffrances, de morts et de destruction. Provoquant l’effroi, resurgit du passé de la vieille Europe une maxime qu’on croyait oubliée : celle de Jacques Prévert – « Quelle connerie la guerre ! » – dans son poème « Rappelle-toi Barbara ». 
 
Comme d’habitude en pareille circonstance, le champ des réactions ne donne lieu à aucune surprise. Bottée, casquée, harnachée, l’union sacrée médiatique « publique-privée » sort la grosse artillerie dans une version où, sur l’air de « Johnny s’en-va-t-en guerre », tout est par définition noir ou blanc. A la marge, et tout en condamnant sans équivoque l’action de la Fédération de Russie, quelques voix de sensibilités politiques diverses contextualisent le conflit, en analysent la complexité et suggèrent que, si avaient été prises en compte les demandes légitimes depuis longtemps exprimées par Moscou, une telle catastrophe aurait pu ou dû être évitée – à l’instar (entre autres) de Dominique de Villepin, Hubert Védrine ou Jean-Luc Mélenchon. Lequel, de ce fait rebaptisé « poutiniste » (populiste étant devenu éculé), est haineusement vilipendé par le club européo-atlantiste « en état de mort cérébrale » des Daniel Cohn-Bendit, Yannick Jadot, Alain Lipietz, Raphael Glucksmann ou Anne Hidalgo (Madame « entre 1,5 % et 3 % » dans les sondages d’opinion).

Bien que située de l’autre côté de l’Atlantique, l’Amérique latine se sent – et est de fait – concernée par ce conflit en apparence européen. D’où un premier constat : malgré une relative réactivation de la Communauté des Etats latino-américains et caraïbes (Celac) sous la récente présidence pro tempore du Mexique d’Andrés Manuel López Obrador (AMLO), la région aborde la crise en ordre dispersé. Diverses, les prises de position s’y expliquent par les enjeux politiques et économiques propres à chacun des pays.

En inaugurant le Conseil permanent de l’Organisation des Etats américains (OEA) convoqué de façon virtuelle le 25 février, le secrétaire général de l’OEA Luis Almagro a joué son habituel rôle d’employé zélé du Département d’Etat américain en estimant qu’« aucune des raisons invoquées par le président russe ne peut être une excuse pour les actes qui sont commis sous ses ordres en Ukraine ». Vingt-et-un pays l’ont suivi – en réalité vingt, le Venezuela étant représenté par le pseudo gouvernement du président imaginaire Juan Guaido – en condamnant « énergiquement l’invasion illégale, injustifiée et non provoquée de l’Ukraine par la Fédération de Russie ». Parmi ces nations figurent la Colombie, principale alliée de Washington sur le sous-continent, mais aussi le Chili, l’Equateur, le Mexique, le Paraguay et le Pérou [1].

On a pu remarquer, au sein de ce bloc, certaines incongruités. Au Chili, un président récemment élu, l’ancien dirigeant étudiant Gabriel Boric (centre-gauche), aligné sur le chef de l’Etat sortant, néolibéral pro-américain et bourreau du mouvement social de 2019, Sebastián Piñera (droite). Après une première et sèche condamnation de Moscou, Boric, qui a pris ses fonctions le 11 mars, a partagé sur Twitter un message de 9 minutes du président ukrainien Volodimir Zelenski. Moins partisane, la Convergence sociale, dont est issu Boric, a rejeté « les solutions de guerre », exprimé sa « solidarité au peuple ukrainien » tout en prônant la fin des alliances militaires « dirigées par des grandes puissances ». A son échelon et fort de sa longue expérience politique, le Parti communiste chilien (PCC), dont trois membres participeront comme ministres au premier gouvernement Boric, introduit une nuance plus affirmée en estimant que « chaque pays doit assumer sa responsabilité ; en premier lieu la Russie ; mais aussi les Etats-Unis et l’OTAN ».

Le même cas de figure peut être observé au Pérou. Passablement erratique dans ses décisions, mais aussi déstabilisé par le « coup d’Etat lent » qu’a déclenchée la droite contre lui [2], le président Pedro Castillo s’aligne sans nuances sur l’arc de forces pro-Washington. En revanche, et même si Pérou libre, qui l’a porté au pouvoir, n’a pas émis de position officielle, le fondateur et secrétaire général de ce parti, Vladimir Cerrón, a publié une série de messages explicites sur son compte Twitter. Il y dénonce « le maintien de la structure militaire de l’OTAN », qui, pour lui, « n’est rien d’autre que la machine de guerre de l’Amérique du Nord et de l’Europe ».
Dernier représentant d’une « nouvelle gauche » annoncée ou souhaitée par beaucoup : le colombien Gustavo Petro. Donné potentiel vainqueur de l’élection présidentielle du 29 mai prochain, à la tête d’une large coalition, le Pacte historique, ce dernier a pour l’instant évité de se prononcer sur le fond. Les positions extrêmes du président Iván Duque ayant entraîné la circulation de rumeurs prétendant que la Colombie allait envoyer des troupes en Europe [3], Petro, lors d’un meeting de campagne (24 février), s’est impatienté : « Nous n’allons pas pouvoir aider la Russie ou l’Ukraine ou les Etats-Unis, nous devons nous aider nous-mêmes ; nous sommes trop impliqués dans une autre guerre et dans la lutte contre la faim, pour aller maintenant tuer de jeunes Colombiens sur les champs de bataille d’Ukraine… » En d’autres termes : en pleine campagne électorale, Petro choisit de ne braquer ni ses alliés « anti-impérialistes » ni les éventuels ralliés centristes d’un second tour, moins enclins à mettre en cause les Etats-Unis.

D’autres pays, et non des moindres, condamnent l’usage de la force par Moscou, mais prônent la diplomatie, à l’image de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil ou du Mexique. Et pour cause. Aucun d’entre eux, et depuis longtemps, ne considère la Russie comme une ennemie. On rappellera que, en juillet 2014, une tournée de Vladimir Poutine en Amérique latine l’a amené à Cuba, au Nicaragua, mais aussi en Argentine, avant de se terminer à Fortaleza, au Brésil, à l’occasion du sommet des BRICS – au sein desquels, outre le Brésil et la Russie, figurent la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud. Une rencontre à Brasilia entre Poutine et la présidente Dilma Rousseff donna lieu à la signature d’accords économiques concernant les infrastructures, la santé, la technologie, l’éducation, la culture et des secteurs aussi stratégiques que l’aéronautique et la défense. S’agissant de cette dernière, fut envisagée « à court terme » la vente par Moscou aux forces armées brésiliennes d’un système de défense anti-aérien. Rebaptisé « empeachment », le coup d’Etat juridico-parlementaire du 31 août 2016 contre Rousseff mit un terme à ces relations jusqu’à une période toute récente puisque, lors d’une visite à Moscou, le président Jair Bolsonaro a rencontré son homologue Vladimir Poutine, en pleine crise ukrainienne, le 16 février dernier.

Explication : depuis le départ du républicain Donald Trump de la Maison-Blanche, les relations entre Brasilia et Washington se sont sérieusement refroidies. En conséquence, le Brésil a redécouvert le traitement réservé aux néo-colonies. Ce qui signifie qu’en 2021 Joe Biden lui a envoyé son chef de la CIA William Burns, puis le conseiller à la Sécurité nationale Jake Sullivan, pour faire passer un message impérieux : ne laissez pas la chinoise Huawei participer à la vente aux enchères de la 5G prévue pour cette année, « sinon » … Le Brésil possède le plus grand marché des télécommunications d’Amérique latine – ceci expliquant cela. Même pour un satrape, pour peu qu’il soit un minimum nationaliste, ce genre de pression finit par agacer. D’où la même résistance lorsque les Etats-Unis ont lourdement insisté pour que Bolsonaro annule son déplacement à Moscou. Lequel, centré officiellement sur la promotion des relations commerciales bilatérales et l’éventuelle construction d’une centrale nucléaire en territoire brésilien, a finalement eu lieu – « sans rien à voir avec la situation géopolitique dans l’est de l’Europe », précisa le ministre des Affaires étrangères Carlos Franca à son homologue étatsunien Antony Blinken, qui l’interpellait.

Lorsque le général Hamilton Mourao, vice-président du Brésil, s’est exprimé en faveur d’un « soutien à l’Ukraine », il a été sèchement recadré par Bolsonaro. Depuis, ce dernier a précisé que le Brésil entendait rester « neutre » et Itamaraty (le ministère des Affaires étrangères) a rejeté « l’intervention dans les affaires intérieures et les menaces d’agression contre toute nation, mais aussi les sanctions unilatérales telles celles que les Américains et leurs alliés ont annoncé qu’ils adopteraient contre la Russie ».
Susceptible de revenir au pouvoir en cas de victoire de Luiz Inácio Lula da Silva en octobre 2022, le Parti des travailleurs (PT) s’est prononcé pour sa part le 24 février : « La résolution des conflits en politique internationale doit toujours être recherchée par le dialogue et non par la force, qu’elle soit militaire, économique ou autre. » En conséquence, le PT appelle à une résolution pacifique de la crise par la médiation, dans les enceintes multilatérales.

Le 22 octobre 2021, le ministre bolivien des Affaires étrangères Rogelio Mayta découvrait lui aussi la Place Rouge. Quatre mois plus tard, le 22 février 2022, là encore en pleine crise Kiev-Moscou, les ministres russe de l’Energie Nikolay Shulguinov et bolivien des Hydrocarbures Franklin Molina signaient d’importants accords énergétiques, en marge du sixième sommet du Forum des pays exportateurs de gaz à Doha (Qatar).
Le chef de l’Etat argentin Alberto Fernández est lui arrivé le 2 février en Russie pour y rencontrer « le maître du Kremlin » (selon l’inévitable formule des radoteurs de la « journalie »). La visite à Moscou de la présidente Cristina Kirchner, en avril 2015, après la tournée sud-américaine de Poutine en juillet 2014, avait été considérée comme un affront à Washington. Le déplacement de Fernández a donné lieu aux mêmes réactions. « Je ne sais pas pourquoi cela a soulevé tant de poussière et pourquoi voyager en Russie et en Chine [où il rencontra Xi Jinping, les jours suivants] signifie que nous voulons avoir une mauvaise relation, par exemple, avec les Etats-Unis », a réagi Fernández en soulignant que le monde est « multilatéral » et oblige à avoir « des relations mûres et respectueuses avec tous les pays ».
Au programme de la rencontre se trouvaient la participation d’entreprises russes dans la modernisation du réseau ferroviaire argentin, ainsi que des projets d’investissement dans les secteurs clés de l’électricité, du gaz, du pétrole et de l’industrie chimique. Toutefois, si Fernández fit sensation, c’est parce qu’il déclara que son pays devait « cesser d’être si fortement dépendant du Fonds monétaire international et des Etats-Unis » et annonça qu’il souhaitait faire de Buenos Aires « la porte d’entrée de la Russie en Amérique latine ».

On ajoutera à cette formule très remarquée une autre déclaration d’autant plus frappante qu’elle explique pourquoi, dans certains pays d’Amérique latine, la Russie est particulièrement appréciée  : « Vous étiez là, a déclaré Fernández à Poutine, quand le reste du monde ne nous aidait pas avec les vaccins. » Au plus fort de la pandémie, alors que les nations riches monopolisaient scandaleusement les armes anti-Covid et refusaient d’en lever les brevets, c’est effectivement la Russie qui, avec 90 millions de doses de son Sputnik V, s’est portée au secours de l’Argentine, du Venezuela, du Nicaragua, du Mexique, de la Bolivie et du Paraguay (puis du Honduras et du Guatemala). Lui même vacciné avec Sputnik V, Fernández a fait de l’Argentine le premier pays d’Amérique latine à le produire dans ses propres laboratoires. D’aucuns ont dénoncé Moscou (de même que Pékin et La Havane) pour une opportuniste « diplomatie du vaccin ». Peut-être. Mais on ne voit pas en quoi celle-ci serait plus condamnable que la posture « occidentale » du « vous pouvez tous crever ».

Ce n’est donc pas du fait d’une « connivence écœurante » qu’un certain nombre de pays observent, à l’égard de Moscou, une attitude mesurée. Que ce soit à l’OEA où à l’Assemblée générale de l’ONU, les uns et les autres ont tenu peu ou prou le même langage. Ainsi, si l’ambassadeur de Bolivie à l’OEA, Héctor Enrique Arce, affirme que « rien, absolument rien, ne justifie une quelconque forme de violence ou d’agression lorsque la perte regrettable de vies humaines est en jeu », c’est sans condamner formellement la Russie. Sur Twitter, le 22 février, le ministre des Affaires étrangères mexicain Marcelo Ebrard se prononce « en faveur d’une solution pacifique au conflit, du respect de l’intégrité de l’Ukraine et des résolutions des Nations unies ». Un peu plus tard, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador (AMLO) « condamne énergiquement » l’offensive russe, mais précise immédiatement : « Nous n’allons décider d’aucune sanction économique parce que nous devons maintenir de bonnes relations avec tous les gouvernements du monde. Et nous voulons être en mesure de pouvoir parler avec les parties en conflit. » AMLO se prononce également contre l’interdiction de médias russes : « Cela s’apparente à de la censure. On ne peut pas d’un côté vouloir promouvoir la liberté et de l’autre la limiter. » 
Reçu à Mexico le 2 mars par son ami AMLO, le brésilien Lula se prononce également contre la guerre, non sans la contextualiser : « Il est inacceptable qu’un pays se sente autorisé à installer des bases militaires autour d’un pays ; il est inacceptable qu’un pays réagisse en envahissant un autre pays. »

AMLO et Lula, à Mexico, le 2 mars 2022.

Même en Amérique latine, la déclaration du ministre italien de la Défense Mario Mauro à l’occasion de la Conférence de Munich sur la sécurité, en février 2007, n’est pas passée inaperçue : « L’usage de la force ne peut être légitime que si cette décision a été prise par l’OTAN, l’Union européenne ou l’ONU. » Nul n’ignore que cette prépotence, cet exercice abusif d’un pouvoir absolu (on ne parle pas là de l’ONU), ont déjà été mis en œuvre, et depuis longtemps. Au début des années 1990, par exemple, en reconnaissant les Républiques sécessionnistes qui ne s’appelaient ni Crimée ni Donbass, mais Slovénie, Croatie, puis Bosnie-Herzégovine (OTAN : Deliberate Force, 1995) issues du démantèlement de la Yougoslavie. En 1999, lorsque l’OTAN, comme toujours sous commandement des Etats-Unis, bombarda la Serbie pendant soixante-dix-huit jours pour imposer l’indépendance du Kosovo en ignorant la Charte des Nations unies. En 2001, 2004 et 2011 lors de l’attaque, de l’invasion ou de l’occupation de l’Afghanistan (Force internationale d’assistance à la sécurité ; FIAS), de l’Irak (NTM-I) [4] et de la Libye (Unified Protector ; OUP), avec les conséquences « hautement positives » que tout un chacun connaît. De tels précédents n’excusent en rien l’expédition guerrière déclenchée par Moscou, mais disqualifient la crème des commentateurs qui, aujourd’hui en pointe dans la dénonciation de « la guerre criminelle de Poutine », se sont tus à l’époque, quand ils n’ont pas chaudement soutenu ces opérations.

Gorbatchev, Hekmut Kohl, Hans-Dietrich Genscher évoquant la réunification de l’Allemagne, 15 juillet 1990.

Neuf novembre 1989 : le Mur de Berlin tombe. Le 9 février 1990, dans la salle Catherine II, haut lieu historique du Kremlin, le secrétaire d’Etat américain James Baker rencontre le dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev. Dans le cadre d’une discussion sur la sécurité soviétique, alors que les négociations sur la réunification de l’Allemagne battent leur plein, Baker prononce la fameuse phrase : « La juridiction militaire actuelle de l’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce vers l’est [5]. » Le lendemain, 10 février, toujours au Kremlin, le chancelier allemand Helmut Kohl tient le même langage [6]. En mars 1991, à Bonn, devant Boris Eltsine (président de la Fédération de Russie) et Edouard Chevardnadze (ex-ministre des Affaires étrangères de l’Union soviétique), les représentants des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne s’engagent à nouveau à ce que l’OTAN ne s’étende pas au delà de l’Elbe (frontière entre les deux Allemagnes jusqu’en 1990) et à ce qu’elle n’accepte pas de nouveaux membres. Tant les archives britanniques qu’une récente enquête du magazine allemand Der Spiegel confirment l’existence de cet engagement [7].

Aucune de ces promesses n’a été tenue. En trente ans, avec l’incorporation de pays ex-membres du Pacte de Varsovie, de l’URSS et de la Yougoslavie, l’OTAN est passée de seize à trente membres [8]. En mars 2007, il y a quinze ans, Vladimir Poutine soulevait déjà le problème lors de la conférence annuelle sur la sécurité de Munich : « L’OTAN a placé ses forces de première ligne à nos frontières ! (…) Contre qui cette expansion est-elle tournée ? Et qu’est-il advenu des assurances données par nos partenaires occidentaux après la dissolution du Pacte de Varsovie ? » Aucune réaction. Total mépris. La patience de Moscou s’épuise quand les yeux de Washington, Bruxelles et Mons (siège de l’OTAN) se tournent de plus en plus ostensiblement vers l’Ukraine. Le 8 juin 2017, le parlement de Kiev n’a-t-il pas voté (276 voix contre 25) un amendement législatif rendant prioritaire l’objectif d’entrer dans l’OTAN ? Les missiles stockés en Pologne ou en Roumanie sont susceptibles d’atteindre Moscou en quinze minutes (ce qui est déjà très peu) ; les mêmes déployés en Ukraine le feraient trois fois plus rapidement. Qu’en la personne de Poutine la Fédération de Russie sente menacés ses intérêts vitaux stratégiques n’a rien d’absurde, de paranoïaque ou d’étonnant. Un péril d’autant plus vécu comme une provocation que de sérieux contentieux opposent déjà les deux nations.

En 2010, quand Viktor Ianoukovitch arrive au pouvoir, c’est au terme d’élections reconnues comme légitimes. Depuis 1997, une Charte de partenariat spécifique a été signée entre l’Ukraine et l’OTAN. Tout en souhaitant maintenir le niveau de coopération existant, Ianoukovitch indique que, pour l’instant, il ne poursuivra pas l’objectif d’une adhésion à l’Alliance. En novembre 2013, il aggrave son cas en annonçant reporter la signature imminente d’un Accord d’association avec l’Union européenne « pour mieux en évaluer les conséquences ». Un président ne devrait pas dire ça ! Durant trois mois (21 novembre 2013 – 22 février 2014) des dizaines et parfois des centaines de milliers de personnes descendent dans la rue et se rassemblent au centre de Kiev, sur la place Maïdan (place de l’Indépendance). En théorie, il s’agit d’un mouvement pacifique. Il l’est en partie – gens ordinaires ; pro-européens ; opposants à Ianoukovitch, aux oligarques et à la corruption ; dirigeants libéraux ; nationalistes. Mais, en partie insurrectionnelle, la révolte ne s’arrêtera pas « sans démission du président ». La violence se déchaîne. Menée par les Berkut (forces de polices anti-émeutes), la répression ne fait pas dans la dentelle. La presse internationale prend fait et cause pour cette « insurrection spontanée ». Spontanée, peut-être, mais qui ne manque pas d’appuis intéressés.

Le 5 décembre 2013, à Kiev, au cours d’un sommet de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), la sous-secrétaire d’Etat américaine pour l’Europe et l’Eurasie Victoria Nuland a apporté son soutien aux manifestants : « Nous sommes avec le peuple ukrainien, qui voit son avenir dans l’Europe. » Elle appelle le gouvernement à écouter la voix de son peuple et, lisant à l’évidence l’avenir dans une boule de cristal, met en garde contre les risques de « chaos et de violences » s’il ne s’incline pas. Le 11 décembre, accompagnée de l’ambassadeur américain en Ukraine Jaffrey Pyatt, Nuland se rend place Maïdan et se mêle aux protestataires à qui elle distribue des gâteaux.
Comme auraient pu le faire – nul n’en doute une seconde ! – des dignitaires russes, iraniens, nord-coréens, vénézuéliens ou chinois pour encourager à New York les activistes d’Occupy Wall Street (2011) [9], ou les manifestations et émeutes du mouvement Black Lives Matter (2020) [10], ou même les violentes démonstrations des Gilets jaunes français (2018), ambassadeurs, politiciens et ministres en provenance de l’UE et des Etats-Unis défilent à la tribune de Maïdan.


Début décembre 2013, le chef de la diplomatie allemande Guido Westerwelle prend un bain de foule au milieu des manifestants. Le ministre des affaires étrangères canadien John Baird l’imite et, comme lui, s’affiche avec les dirigeants de l’opposition. Suivent, le 14 décembre, le sénateur républicain John McCain (candidat défait de la présidentielle américaine de 2008, président de l’International Republican Institute) accompagné du jeune sénateur démocrate Chris Murphy. « Nous sommes ici pour soutenir votre juste cause, le droit souverain de l’Ukraine à choisir son propre destin librement et en toute indépendance », lance McCain aux révoltés. Au cas où ceux qui l’écoutent, mais aussi les autres, n’auraient pas compris qu’ils peuvent choisir « en toute indépendance », il précise : « Et le destin que vous souhaitez se trouve en Europe ! » Avant d’oser cet avertissement d’un cynisme (ou d’un comique) absolu : « Nous voulons indiquer clairement à la Russie et à Vladimir Poutine que l’ingérence dans les affaires de l’Ukraine n’est pas acceptable pour les Etats-Unis. » Thèse que reprendra un peu plus tard (sans rire davantage) le conseiller adjoint à la Sécurité nationale de Barack Obama, un certain… Antony Blinken (aujourd’hui secrétaire d’Etat) : « Tant que la Russie suivra la voie des provocations plutôt que d’essayer de résoudre cette question par des moyens pacifiques et de favoriser une désescalade, il y aura des conséquences et ces conséquences iront crescendo. » Vice-président des Etats-Unis, Joseph Robinette Biden, dit Joe Biden, appelle Ianoukovitch à retirer les forces de l’ordre de la rue. Et de laisser prendre « le Capitole » ? Il ne le précise pas.

John McCain, Euromaïdan, 14 décembre 2013.

Lorsqu’ils ont effectué leur pèlerinage sur la place Maïdan, tous les admirables démocrates qui s’y sont succédés avaient manifestement oublié leurs lunettes. Idem pour Bernard-Henri Lévy quand, à peine reposé du chaos qu’il a contribué à provoquer en Libye, il hurle à ses nouveaux « combattants de la liberté », le 9 février : « Les vrais Européens, c’est ici, sur le Maïdan, qu’ils se trouvent réunis ! » Pas plus que les autres, BHL ne remarque la présence, pourtant particulièrement visible, au milieu de la foule, d’oriflammes pas vraiment anodins. Les drapeaux horizontaux rouge et noir appartiennent aux militants de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA), branche militaire de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) qui, en d’autres temps, collabora avec le IIIe Reich. Le trident jaune sur fond bleu orne les bannières du parti d’extrême droite Svoboda (Liberté). Ex-Parti social-nationaliste d’Ukraine, qui arborait un symbole proche de la swastika, Svoboda a renoncé à ce dernier en 2004, pour se forger un minimum de respectabilité [11]. Ce qui ne l’empêche pas de conserver son discours antisémite et russophobe et d’afficher sa priorité des priorités : la « dé-soviétisation » du pays ! Comme le fait le C14 (ancienne aile jeunesse de Svoboda). Coalition de groupuscules fascisants qui considèrent Svoboda « trop libéral », Praviy Sektor (« Secteur droite »), se définit avant tout comme « nationaliste, défendant les valeurs de l’Europe blanche et chrétienne ». Organisés, entraînés, en tenues paramilitaires, ses militants jouent un rôle essentiel dans le déchaînement de violence. Devenue force organisatrice, l’ensemble de cette mouvance crée les premières « sotins » (« centaines » : groupes de combat de 60 à 100 personnes), introduit explosifs artisanaux et armes à feu dans les manifestations.

Une telle présence de forces fascisantes sur le Maïdan ne fait pas de tous les Ukrainiens des néo-nazis – comme le suggère sans nuances Vladimir Poutine quand il prétend « dénazifier » le pays. Elle ne peut toutefois être occultée car exerçant sur la sphère militaire et politique ukrainienne une influence très supérieure à sa représentation électorale. Le 13 janvier 2014, dans un article intitulé « La triste progression du mouvement de protestation ukrainien, de la démocratie et de l’Etat de droit vers l’ultranationalisme et l’antisémitisme », Oleksandr Feldman, président du Comité juif ukrainien et membre du Parlement, appelait les dirigeants de l’opposition Arseni Iatseniouk et Vitali Klitschko à dénoncer « la dérive néo-fasciste [constatée] au cours des dernières semaines et à rompre leur alliance avec Svoboda [12] ».

Ianoukovitch fut renversé. Non par un mouvement présenté de manière idyllique comme « citoyen et populaire », mais par une « révolution de couleur » soutenue depuis l’étranger. Le déroulé de l’opération passe d’autant moins inaperçu en Amérique latine que des pratiques similaires ou approchantes ont été mises en œuvre au Venezuela en avril 2002 (tentative de coup d’Etat contre Hugo Chávez), puis en 2014 et en 2017 à travers ce qu’on a appelé les « guarimbas »  ; au Nicaragua en 2018 ; en Bolivie en 2019. De quoi rapprocher les gauches continentales des thèses, pas toujours hors-sol, défendues par Moscou.
Pour en revenir à l’Ukraine, le nouveau gouvernement pro-occidental du milliardaire Petro Porochenko est rejeté par l’est du pays, qui compte une forte population russophones. Qui plus est, le pouvoir jette de l’huile sur le feu : promulgation de « lois de « dé-communisation », abolition du statut du russe comme seconde langue officielle dans les régions de l’Est, promotion des groupes d’extrême droite… Une telle offensive provoque d’inévitables réactions. Dont la sécession (assistée en sous-main par Moscou), puis l’annexion de la Crimée le 18 mars 2014 par Vladimir Poutine, après un référendum que conteste la « communauté internationale ». « On nous répète sans cesse que le Kosovo, c’était un cas à part, car des milliers de personnes y ont péri, réagira Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie. Faut-il en conclure que, pour que les habitants de la Crimée obtiennent la reconnaissance de leur droit imprescriptible, il faut que coule autant de sang en Crimée qu’au Kosovo ? Pardonnez-moi, ce sont des parallèles et des analogies parfaitement impropres [13]. »

Emblème du Bataillon d’Azov.

Mouvements autonomistes dans l’est de l’Ukraine : frontalier de la Russie, le Donbass est le théâtre d’affrontements entre séparatistes pro-russes et armée ukrainienne. Pour mettre fin aux hostilités, deux accords sont signés à Minsk, capitale de la Biélorussie. Le premier (5 septembre 2014), par les représentants du Groupe de contact trilatéral sur l’Ukraine – Russie, Ukraine et Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Le second (12 février 2015), par les présidents François Hollande, Angela Merkel, Petro Porochenko et Vladimir Poutine. Ce dernier n’appuie pas la revendication d’indépendance des séparatistes. De fait, les protocoles signés prévoient que le gouvernement ukrainien reprendra le contrôle de ses frontières orientales, mais procédera à une réforme constitutionnelle permettant que les régions de Donetsk et de Lougansk bénéficient d’un statut spécial, une forte autonomie respectant leur spécificité linguistique [14].
Jamais les gouvernements ukrainiens pro-occidentaux successifs ne respecteront ces accords pourtant garantis par Bonn et Paris. Pis… Au vu et au su de tous, le Donbass va être livré aux bombardements et à la soldatesque des milices ultranationalistes et néonazies [15]. Formé le 5 mai 2014, composé majoritairement d’Ukrainiens mais aussi de volontaires étrangers, le Bataillon Azov, dont les « hommes en noir » professent l’idéologie du IIIe Reich et la suprématie de la race blanche, est rapidement incorporé à la Garde nationale. L’emblème du bataillon reprend les couleurs bleu et jaune de l’Ukraine ainsi que la « Wolfsangel » inversée [16]. Avec le soutien logistique de l’armée ukrainienne, les exactions de cette unité chargée de terroriser les populations russophones et de faire la sale besogne sont innombrables (et documentées). Depuis 2014, la « guerre sale » menée dans le Donbass a fait de l’ordre de 14 000 morts.

Trois pays latinos se retrouvent dans l’œil du cyclone pour leur « appui à la Russie » : Cuba, le Nicaragua et le Venezuela. Réflexes ataviques d’un anti-impérialisme coincé dans les coordonnées des années 1960-1970 ? Ces pays pointent surtout l’hypocrisie des prédicateurs revendiquant pour Kiev les principes wilsoniens du droit à la souveraineté nationale et à l’autodétermination [17]. Droits aussi légitimes qu’intangibles, nul ne le contestera ici. Mais entend-on ces voix exiger la même chose pour Managua, La Havane ou Caracas ? Cuba, victime depuis 1962 d’un embargo dévastateur et illégal au regard du droit international parce que son « régime » ne convient pas à l’Hégémon. Le Venezuela, dont l’économie a été détruite par les mesures coercitives unilatérales imposées par Washington depuis un décret absurde signé en mars 2015 par Barack Obama.
Il est plaisant d’entendre ces jours-ci les rois du commentaire décrire avec force détails (et une certaine délectation) comment les sanctions prises par les Etats-Unis et l’Union européenne – une « guerre totale » ! – vont mettre la Russie à genoux et affecter durement sa population. Ces dernières années, les mêmes « spécialistes de tout » ont passé leur temps à prétendre que le châtiment imposé au Venezuela par les Etats-Unis n’était nullement responsable de l’effondrement du pays – imputable à la seule gestion du « dictateur Nicolás Maduro ». Ce sont les mêmes mesures, effectivement dévastatrices ! Elles ont interdit toute transaction avec la Banque centrale vénézuélienne (BCV), elles ont étouffé l’industrie pétrolière et ses exportations (96 % des revenus du pays), elles ont paralysé les importations, elles ont cruellement frappé la population. Et pourtant, le Venezuela bolivarien n’a jamais envahi personne pour être ainsi châtié… Simplement, son indépendance et sa politique n’ont pas l’heur de plaire à « Yankilandia » [18].

L’OTAN, donc… L’Ukraine aurait un droit inaliénable à rallier le pacte militaire de son choix. Qu’on imagine un seul instant la Russie (ou la Corée du Nord ou l’Iran ou n’importe quelle puissance possiblement hostile) installer des bases militaires dotées d’armes stratégiques au Mexique, à Cuba, au Nicaragua, dans les îles de Saint-Vincent et les Grenadines, au Venezuela… S’agissant de la réponse de la Maison-Blanche et du Pentagone, le champ des hypothèses n’est pas très étendu. Car il existe un précédent. Celui-ci a commencé le 14 octobre 1962 lorsque, après avoir repéré des cargos soviétiques chargés de missiles en route vers Cuba, des avions espions américains ont pris, en survolant l’île, des clichés de rampes de lancement de fusées à moyenne portée. A 140 kilomètres de la Floride ! Le président John F. Kennedy imposa un blocus maritime et ferma les voies d’accès vers Cuba. Bras de fer. La moindre tentative des bateaux soviétiques de forcer la quarantaine pouvait provoquer un conflit ouvert entre Washington et Moscou. C’est-à-dire une possible confrontation nucléaire. La quintessence de la démence meurtrière. Qui prendrait un tel risque ? Au terme d’un compromis, Nikita Khrouchtchev donna l’ordre à ses navires de rebrousser chemin tandis que Kennedy s’engageait à ne pas envahir Cuba (et à retirer les fusées américaines de Turquie). C’est là la seule fois dans l’Histoire où les Etats-Unis ont pu légitimement se sentir menacés par Cuba (à la décharge de l’île, on rappellera qu’un débarquement d’exilés anticastristes dans la baie des Cochons avait tenté en avril 1961 de renverser Fidel Castro – d’où le besoin de protection). En tout état de cause, ce rappel historique souligne tout simplement qu’en matière d’extension d’une force potentiellement hostile, le maximalisme n’est ni souhaitable ni permis. Pas plus sur les frontières de la Russie que sur celle des États-Unis.

Agressés ces dernières années par Washington, tant Cuba que le Nicaragua et le Venezuela ont trouvé en la Russie un allié précieux. Depuis le retour de Daniel Ortega au pouvoir en 2007, Managua et Moscou ont ainsi renforcé leurs relations dans tous les domaines – à tel point que le Nicaragua a ouvert un consulat en Crimée après son annexion. Pour diverses raisons, Managua se trouve dans le collimateur de Washington [19]. Le 24 février dernier, après un passage par Cuba, le président de la Douma (Chambre basse du Parlement russe) Viacheslav Volodin s’est réuni dans la capitale nicaraguayenne avec le président Ortega. La semaine précédente, le vice-premier ministre Yuri Borisov avait fait le même déplacement. Ces rencontres ont donné lieu à la signature d’accords économiques et militaires tandis que, pour expliquer cette « solide alliance » avec un Nicaragua menacé de « sanctions » par Washington, Volodin soutenait que Moscou « se base sur le principe de la non-intervention dans les Etats souverains » – ce qui ferait évidemment sursauter plus d’un Ukrainien !

Le Venezuela n’ignore pas que l’agression dont il est victime a une origine : ses réserves de pétrole, les plus importantes du monde (sans parler de l’or, du coltan et d’un certain nombre de métaux précieux). C’est donc avec un œil particulièrement aiguisé qu’il a suivi les pressions de toutes sortes exercées par Washington sur Moscou, Bonn et Bruxelles, pour empêcher l’achèvement et la mise en service du gazoduc Nord Stream 2. Washington n’a pas d’amis (même pas l’Allemagne !), uniquement des intérêts. Lesquels ne sont pas neutres dans l’agressivité affichée, depuis plusieurs années, à l’égard de Moscou. Le gaz russe constitue un obstacle à la conquête de l’Europe par le gaz naturel liquéfié (GNL) étatsunien. Lequel, depuis la balle dans le pied que vient de se tirer Poutine, voit augmenter ses possibilités de pénétration. Amis de l’environnement, bonjour ! Un gaz « non conventionnel » tiré du sous-sol par la technique très polluante de la fracturation hydraulique et acheminé dans des navires méthaniers…

Plus encore que le Nicaragua, le Venezuela est hautement redevable à la Russie, dont l’aide économique a contribué à atténuer l’effet des « sanctions » étatsuniennes. Entamée à l’époque du président Chávez, l’assistance militaire de Moscou a été tout aussi déterminante à l’époque où, Donald Trump ayant mis « toutes les options sur la table », les tambours de guerre résonnaient sur les frontières. Totalement aligné sur la Maison-Blanche, le président Colombien Iván Duque ne demandait qu’à agir et une enquête récente du journaliste Horacio Verbitsky a révélé que, sous Mauricio Macri, l’armée argentine s’est spécifiquement préparée, entre avril et juillet 2019, pour une intervention au Venezuela en tant que membre d’une force « multinationale » [20]. La présence en République bolivarienne, non de bases russes, mais d’un armement défensif conséquent – chars T-72, avions de chasse Sukhoi Su-30A, batteries anti-missiles et radars de dernière génération installés tant à Caracas (Fort Tiuna) qu’à proximité de la frontière colombienne – n’a pas été neutre dans le non-recours à cette option.

Chacun à sa manière, ces trois pays ont manifesté leur non alignement sur la « norme commune ». Néanmoins, leurs réactions recoupent nombre des déclarations de pays non catalogués « pro-Poutine ». « Défenseur du droit international et attaché à la Charte des Nations unies, Cuba défendra toujours la paix et s’opposera à l’usage ou à la menace de la force contre tout Etat, proclame La Havane. Nous regrettons profondément la perte de vies civiles innocentes en Ukraine. Le peuple cubain a eu et continue d’avoir une relation attachante avec le peuple ukrainien. » Mais, « il n’est pas possible d’examiner avec rigueur et honnêteté la situation actuelle en Ukraine sans évaluer soigneusement les justes revendications de la Fédération de Russie à l’encontre des Etats-Unis et de l’OTAN (…) ».
Même tonalité chez le représentant de Managua devant l’Assemblée générale des Nations unies : « Le Nicaragua réitère son engagement à respecter la souveraineté, l’intégrité territoriale et la sécurité de tous les pays. Les Etats membres doivent impérativement respecter les buts et principes de la Charte des Nations unies. Cela s’applique à tous les Etats membres des Nations unies. » Toutefois… « Le Nicaragua considère que les négociations entre la Russie et l’Ukraine sont essentielles (…) pour garantir la sécurité et la paix, là où l’OTAN a insisté pour ignorer les accords qui, à différents moments, ont été assumés avec la Fédération de Russie après la dissolution de l’Union soviétique. »

Le 2 mars, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté (141 voix) une résolution déplorant dans les termes les plus énergiques « l’agression » commise par la Russie contre l’Ukraine et exigeant qu’elle retire immédiatement ses forces militaires du territoire ukrainien. Aucun pays d’Amérique latine n’a voté « contre ». Ni le Salvador, la Bolivie, Cuba et le Nicaragua, qui font partie des abstentionnistes (35 pays) [21], ni le Venezuela, qui n’a pas participé à la session – en raison de ses difficultés économiques, il a accumulé trop d’arriérés dans sa contribution financière obligatoires au budget de l’ONU et s’y voit donc privé du droit de vote, même s’il peut s’y exprimer. Ce qu’il fit donc ultérieurement : « Le Venezuela joint sa voix à la paix, au dialogue, aux résolutions [des conflits] par des mécanismes pacifiques, a déclaré le 7 mars la vice-présidente vénézuélienne Delcy Rodríguez durant son intervention au Congrès du Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV). On ne nous verra jamais dans les rangs de la guerre, ou pour la guerre. On nous verra toujours pour les droits des êtres humains, pour les droits de l’environnement et de la planète. »
L’OTAN et ses « puissances » peuvent-elles en dire autant ?

Depuis sa ratification par Cuba en octobre 2002, le Traité de Tlatelolco, initialement signé par quinze Etats le 14 février 1967, regroupe l’ensemble des pays d’Amérique latine et des Caraïbes auxquels il interdit de fabriquer ou d’acquérir des armes nucléaires et de les déployer sur leur territoire [22]. Cinq puissances nucléaires reconnues par le Traité de non-prolifération (TNP), soit la Chine, les Etats-Unis, la France, la Fédération de Russie et le Royaume-Uni ont signé et ratifié un protocole additionnel à ce Traité dans lequel elles s’engagent à ne pas mettre en péril ce statut de zone dénucléarisée.
 Les îles Malouines (Falkland Islands en anglais, Islas Malvinas en espagnol) appartiennent à un archipel de l’Atlantique Sud situé à 480 km des côtes de l’Argentine et à 14 600 kilomètres de celles de l’Angleterre. Elles comptent une population d’environ 3 000 habitants, dont les deux tiers résident dans la capitale Port Stanley. Depuis 1820, l’Argentine conteste la souveraineté du Royaume-Uni sur ces îles, à tel point que, en 1982, elles ont été l’enjeu d’un conflit militaire entre les deux pays – la Guerre des Malouines.
Les 10 et 11 mars 2013, lors d’un référendum sans aucune base légale organisé par Londres, les habitants de l’archipel ont voté massivement en faveur du maintien dans le giron britannique – renvoyant dans les limbes de l’ignorance ou de la mauvaise foi le quotidien Libération (16 mars 2014) quand il vit dans le référendum en… Crimée un « putsch politique et militaire orchestré de main de maître depuis Moscou, [qui] crée un précédent dangereux, sans équivalent depuis la seconde guerre mondiale ».
Réaction de la « communauté internationale » devant le référendum austral orchestré par Londres : « Nada ! »

Lors de la Conférence générale de l’Organisme pour l’interdiction des armes nucléaires en Amérique latine (OPANAL) tenue à Buenos Aires en 2013, la présidente argentine Cristina Fernández de Kirchner a dénoncé la présence croissante de « sous-marins nucléaires » du Royaume-Uni dans les eaux de l’archipel des Malouines, en violation flagrante du Traité de Tlatelolco. Une décennie plus tard ou presque, le Royaume-Uni, membre de l’OTAN, maintient à travers les îles six sites distincts qu’occupent entre 1000 et 2000 soldats. La caserne et la base aérienne géante et inter-armée de Mount Pleasant sont les plus importantes. La construction d’un port en eau profonde (Mare Harbour) à Port Stanley en amplifie la capacité militaire et sert les intérêts stratégiques britanniques et américains dans l’Atlantique sud. Appareillant des Malouines, d’imposants navires de la Navy patrouillent en permanence dans la région. Narguant une Amérique latine qui a banni l’arme atomique de ses contrées, des sous-marins nucléaires y naviguent toujours aussi ostensiblement.
En présence du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, le président cubain Raúl Castro ouvre le 28 janvier 2014, à La Havane, le second Sommet de la Communauté des Etats latino-américains et Caraïbes (CELAC). Tout un symbole : Castro a troqué pour l’occasion son uniforme de général pour un sobre costume bleu nuit. Le lendemain, c’est lui qui informe solennellement : qu’ils soient gouvernés par la gauche ou par la droite, les trente-trois membres du bloc [23] se sont mis d’accord pour déclarer la région « Zone de paix ». L’acte signé fait état de l’engagement envers la solution pacifique des différends dans la région et dans le monde pour bannir à jamais le recours à la force ; exprime la décision de respecter le droit inaliénable de chaque Etat de choisir son système économique, politique, social et culturel. Le président Castro demande aux représentants de la CELAC de « se guider sur cette déclaration lorsqu’ils devront prendre des décisions à l’échelle internationale ».
Une Zone de paix ! Qui pourrait y trouver à redire ? Personne. Sauf que…
Voici qu’arrive l’OTAN, la succursale des Etats-Unis. Signé le 24 août 1949, son traité fondateur invite à rejoindre l’organisation « tout Etat européen susceptible (…) de contribuer à la sécurité de la région de l’Atlantique Nord » (article 10). Vous avez dit européen ? Le 25 juin 2013, à Bruxelles, c’est un ministre de la Défense… colombien, Juan Carlos Pinzón, qui annonce les prémices d’un « accord » entre son pays et l’OTAN. Des militaires colombiens commencent à recevoir un entraînement à Rome (Collège de défense de l’OTAN) et à Oberammergau (Allemagne), où fonctionne une école de cadres de l’Organisation. Un an plus tard, le président Juan Manuel Santos réalise le rêve affiché de son prédécesseur Álvaro Uribe en présentant un projet de loi faisant de la Colombie un « observateur » de l’Organisation atlantique. De partout fusent les protestations. « Il y a un tournant négatif vers un agenda de déstabilisation régionale, de division régionale, d’attaque contre la révolution bolivarienne et d’adhésion aux plans hégémoniques impériaux », s’insurge Nicolás Maduro. « Je veux que vous sachiez que c’est une agression, une provocation, une conspiration contre les gouvernements anti-impérialistes, contre le Venezuela, le Nicaragua, l’Équateur, la Bolivie, et nous ne le permettrons pas », s’enflamme Evo Morales, le président bolivien. Ministre de la Défense du Brésil, Celso Amorim déclare : « Nous respectons la souveraineté des pays, mais nous sommes préoccupés par le rapprochement d’un pays membre de l’Union des nations sud-américaines [Unasur] et du Conseil sud-américain de défense avec une alliance militaire de défense extrarégionale [24]. »

En raison de vices de procédure dans son approbation par le Congrès, la Cour constitutionnelle déclarera cet accord inconstitutionnel en 2015, jusqu’à ce que, en mai 2017, le législatif approuve l’entrée de la Colombie comme « partenaire global » dans cette alliance militaire « qui défend la démocratie ». Une entrée annoncée « effective » le 31 mai 2018 et définitivement ratifiée par le président Iván Duque, à Bruxelles, le 14 février dernier.
Avec sept bases utilisées en permanence par les militaires « yankees », la Colombie est déjà un vaste camp US surarmé. Depuis juin 2020, plusieurs dizaines de membres de la Brigade d’assistance des forces de sécurité (Security Forces Assistance Brigade ou SFAB) sont arrivés en complément pour « conseiller », « assister », « activer » et « accompagner » l’armée colombienne. Il s’agit, a-t-on mille fois expliqué tant au sein du Commandement sud de l’armée des Etats-Unis (US Southern Command) qu’à Bogotá, de lutter contre le narcotrafic. Avec un bilan pour le moins mitigé si l’on en croit Pierre Lapaque, représentant de l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC), le 9 juin 2021 : « Le pays comptait 143 000 hectares de cultures illicites en 2020, ce qui représente une diminution de 7 % par rapport aux 154 000 de 2019 », mais « la production de cocaïne continue à augmenter », Que viendrait faire de plus l’OTAN dans ce bourbier ?

Objectifs officiellement annoncés : « Parvenir à des approches communes face aux défis mondiaux en matière de sécurité, tels que la cyber-sécurité, la sécurité maritime, le terrorisme et ses liens avec le crime organisé ; soutenir les efforts de paix et de sécurité, y compris la sécurité humaine, en mettant particulièrement l’accent sur la protection des civils et des enfants ; promouvoir le rôle des femmes dans la paix et la sécurité, ainsi que renforcer les capacités des forces armées colombiennes. ». On croit rêver. Les femmes et les enfants défendus en Colombie par un partenariat avec l’OTAN… Ne manquent que les parterres de fleurs, les petits oiseaux et les gentils lapins…
En adhérant à l’Alliance, Bogotá lui ouvre la porte aux frontières du Brésil, de l’Equateur, du Pérou, du Panamá et surtout du Venezuela. Quelques jours avant que Duque ne se rende à Bruxelles pour ratifier l’accord avec l’OTAN, la secrétaire d’Etat étatsunienne pour les affaires politiques, Victoria Nuland – ex-actrice remarquée de la place Maïdan, le monde est vraiment petit ! –, rencontrait à Bogotá des fonctionnaires colombiens dans le cadre d’un dialogue stratégique « de haut niveau » sur la sécurité. A une station de radio, elle a confié : « Les Russes sont chaque jour plus actifs sur la frontière entre la Colombie et le Venezuela. »

A Bruxelles, le 14 février, en présence du secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg, le président Duque en fit des kilos sur le même thème. « Nous avons échangé des points de vue sur l’approfondissement de la coopération entre la Russie et la Chine, et notamment sur leur soutien au régime répressif du Venezuela », déclarera Stoltenberg en conférence de presse. Avant de remercier le colombien « pour la contribution de son pays à la consolidation de la paix et de la stabilité à l’échelle internationale » et de conclure : « Donc, notre coopération est bonne pour l’OTAN et bonne pour la Colombie. L’OTAN soutient le développement des forces armées et des institutions colombiennes, faisant d’elles un exemple pour le reste de l’Amérique latine. »
Merci, Stoltenberg, voici l’opinion rassurée ! Le 18 février 2021, en effet, la juridiction spéciale pour la paix (JEP) avait semé le trouble en révélant que, entre 2002 et 2008, l’armée colombienne a assassiné plus de 6 400 civils, présentés ensuite comme des guérilleros. L’épisode peut paraître lointain. Sans entrer dans une description exhaustive des multiples exploits des nouveaux petits soldats de l’OTAN, on mentionnera le dernier des mille scandales qui commotionnent quotidiennement l’opinion publique colombienne : la destitution, le 13 février 2022, du général Jorge Hernando Herrera Díaz, et le transfert de son cas au Bureau du procureur général de la Nation. Lors d’une réunion des commandants de la 29e Brigade de l’armée, Díaz a imprudemment révélé ses relations avec le gang de narco-paramilitaires « Los Pocillos », qui gère un couloir par lequel transitent 150 tonnes de cocaïne chaque année [25]. Malheureusement pour lui, l’enregistrement de la conversation a fuité.
Bienvenue au sein de l’OTAN, donc, pour ce pays où un « Alexeï Navalny » anonyme est assassiné tous les deux jours (36 depuis début 2022, 1320 depuis 2016).

Conflit Russie-Ukraine. Tensions avec le Venezuela. Fin février, dans la mer Caraïbe, à 70 miles nautiques (130 kilomètres) de Cartagena, la marine colombienne et l’US Navy ont effectué un exercice commun. Pour la première fois, un sous-marin nucléaire, l’ « USS Minnesota », participait aux manœuvres. « Il s’agit d’un exercice de l’OTAN, précisa fièrement le ministre colombien de la Défense Diego Molano. L’apparition d’un sous-marin nucléaire dans la Caraïbe colombienne est un signe de confiance. » Il s’agit, ajouta-t-il, de « protéger les intérêts communs, tels que la lutte contre le trafic de drogue, à laquelle participent quarante pays qui unissent leurs forces pour saisir la cocaïne et d’autres drogues illicites. » Des missiles de croisière BGM-109 Tomahawk (équipés d’ogives conventionnelles ou nucléaires), des torpilles Mark 40 (destinées à l’attaque des sous-marine nucléaires en eau profonde), des missiles « antinavire » (longue portée) AGM-84 Harpoon pour… intercepter des narcos ! A Caracas, on est en droit d’en douter.

Sous des aspects plus policés, Biden n’est en rien différent de Trump. S’agissant du Venezuela, « toutes les options » sont toujours « sur la table ». Certaines peuvent apparaître, de façon tout à fait inattendue. Qu’on en juge…
Conseiller spécial de Joe Biden pour l’Amérique latine, Juan González se réjouit le 27 février (Voz de América) : les sanctions appliquées « à l’agresseur de l’Ukraine sont si fortes qu’elles auront un impact sur les gouvernements qui ont des liens économiques avec la Russie. Et c’est à dessein. Le Venezuela va donc commencer à ressentir cette pression, le Nicaragua aussi, tout comme Cuba. »
Le 8 mars, Biden renforce spectaculairement les mesures coercitives en décidant d’interdire les importations énergétiques russes aux Etats-Unis. Ce sera selon lui « un coup dur pour la machine de guerre de Vladimir Poutine ». Cet embargo va avoir d’énormes répercussions dans le monde entier, soulignent les experts, qui annoncent « un choc énergétique  ». De fait. Les marchés paniquent. Même les Etats-Unis sont touchés, dont 8 % des importations de pétrole proviennent de Russie. Biden le savait. Il faut à Washington de nouveaux partenaires. Dès le 5 mars, il a donc envoyé une délégation au… Venezuela. Ce pays n’a plus le droit de vendre son pétrole brut sur le marché américain. La guerre en Ukraine change la donne. Parmi les trois membres qui composent, la délégation figure Juan González. Celui qui se réjouissait de l’impact à venir des « sanctions » ravale précipitamment son hostilité et rencontre le président… – non, pas l’ « employé modèle » Juan Guaido, qui n’a même pas été prévenu – et rencontre, donc, le vrai chef de l’Etat, snobé depuis 2018, Nicolás Maduro. Confirmé par ce dernier, le premier tour de table permet de comprendre que les Etats-Unis souhaitent savoir si – en échange de tout ou partie des mesures coercitives ? – ils ne pourraient pas remplacer une partie de leurs importations de pétrole russe par du pétrole vénézuélien.
Quitte à ressortir le bâton si la négociation, qui ne fait que débuter, échoue.

Entre ses Main Operating Bases (MOB : base militaire comportant d’importante infrastructure), ses Foreign Operating Locations (FOL : site opérationnel pré-positionné), ses Cooperative Security Locations (CSL : site de sécurité en coopération, équipé des technologies les plus avancées en matière d’espionnage et de détection), ses Regional Emergency Operations Center (REOC : centre d’opérations d’urgence régionale), le Southcom dispose de 76 bases militaires autour de l’Amérique latine et sur son territoire. Réactivée par le Pentagone en avril 2008 pour faire ostensiblement face à la montée en puissance des gouvernements de gauche dans la région, la IVe Flotte opère de la Caraïbe à l’Atlantique sud [26].
Pour les « élites » du monde, qui voient en l’Amérique latine un formidable réservoir de matières premières, cela n’est pas suffisant. En février 2019, le secrétaire général Jens Stoltenberg déclarait publiquement qu’ « il est possible d’envisager l’option selon laquelle d’autres pays d’Amérique latine deviennent également des partenaires de l’OTAN » [27]. Cette même année 2019, Lors d’une rencontre entre Bolsonaro et Donald Trump, ce dernier se proposa comme intermédiaire pour faire entrer le Brésil au sein de l’Organisation. Proposition réitérée en 2021 à Bolsonaro par le conseiller à la Sécurité nationale Jake Sullivan, en échange d’une prise de distances à l’égard de Pékin et Moscou.

Deux objectifs sont recherchés par ce type d’intégration. En premier lieu, l’ « interopérabilité ». Ce terme barbare recouvre l’aptitude d’organisations militaires différentes à mener des opérations conjointes en quelque lieu que ce soit. Elle exige d’eux qu’ils partagent une doctrine et des procédures communes, leurs infrastructures et leurs bases respectives, leurs ressources, et qu’ils soient en mesure de communiquer les uns avec les autres [28]. Elle crée en second lieu des synergies entre les pays membres et, en particulier, au sein de leurs forces armées. En ce sens, elle renouvelle en l’élargissant la technique mise en œuvre au sein de la ténébreuse Ecole des Amériques (SOA ; School of Americas) qui, installée au Panamá de 1946 à 1984, forma aux doctrines de contre-insurrection des dizaines de milliers d’officiers latino-américains (devenus pour certains dictateurs ou tortionnaires) [29]. Outre la formation militaire avec des instructeurs du « premier monde », les relations entre officiers des différents pays créent une sorte de franc-maçonnerie possédant ses réseaux, ses moyens financiers autonomes, son vocabulaire commun. Quel que soit la nation d’origine, le militaire est gagné subtilement au « way of life » occidental par des contacts répétés. Un bain idéologique et une franche camaraderie auxquels – indépendamment des éventuelles alternances politiques – il aura du mal à renoncer.

En violant le droit international et en envahissant illégalement l’Ukraine, la Fédération de Russie est directement responsable de la tragédie qui commotionne le monde entier. Toutefois, au-delà de l’émotion immédiate, de la compassion et de la solidarité éprouvées, sans retenue aucune, pour le peuple ukrainien, on ne peut juger « la partie » sans analyser « le tout ». On ne peut pas plus personnaliser et psychiatriser de façon absurde – « la folie de Poutine ! » – sans questionner l’irrationalité ou le cynisme des décisions du « camp du bien ». Sans sécurité pour tous, il n’y a et il n’y aura de sécurité pour personne. L’élargissement de l’OTAN ne répond nullement à la nécessité de garantir la paix et la stabilité de ses membres, mais à la volonté de domination d’un club sélect et belliciste dirigé et dominé par les Etats-Unis. Quiconque en douterait n’a qu’à observer l’Amérique latine. Hors zone, hors sol, hors temps, l’OTAN et les siens y bafouent de façon obscène la dénucléarisation imposée par le Traité de Tlatelolco et, grâce à un cheval de Troie (peut-être deux ou trois demain), la volonté clairement exprimée de vivre dans une Zone de paix.


[1] Liste complète : Antigua et Barbuda, Bahamas, La Barbade, Belize, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica, Equateur, Etats-Unis, La Grenade, Guatemala, Guyana, Mexique, Panama, Paraguay, Pérou, République dominicaine, Surinam, Trinidad et Tobago.

[2] Après moult péripéties plus ubuesques les unes que les autres, la sous-commission des accusations constitutionnelles du Congrès péruvien a approuvé le 28 février une motion visant à destituer le président pour de supposées « violation de la Constitution » et « trahison de la patrie ».

[3] Si l’envoi d’un contingent militaire colombien n’est nullement à l’ordre du jour, plusieurs dizaines d’ex-militaires de ce pays, d’après le quotidien El Espectador, se prépareraient à rejoindre Kiev après que le président Zelenski ait appelé les volontaires du monde entier à rejoindre la Légion de défense territoriale de l’Ukraine.

[4] La campagne de mars 2003 contre l’Iraq a été menée par une coalition de forces de différents pays, dont certains appartenaient à l’OTAN et d’autres non. Du fait de ses divisions internes (opposition de la France et de l’Allemagne), l’OTAN, en tant qu’organisation, n’a joué aucun rôle ni dans la décision de lancer la campagne, ni dans sa conduite. Toutefois, en 2004, au sommet d’Istanbul, les « Alliés » ont dépassé leurs divergences et ont décidé d’aider l’Iraq à mettre en place « des forces de sécurité efficaces et responsables ». C’est ainsi qu’a été créée la Mission OTAN de formation en Iraq (NTM-I).

[5https://nsarchive.gwu.edu/briefing-book/russia-programs/2017-12-12/nato-expansion-what-gorbachev-heard-western-leaders-early

[6] Philippe Descamps, « L’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce vers l’est », Le Monde diplomatique, Paris, septembre 2018.

[7https://www.spiegel.de/ausland/nato-osterweiterung-aktenfund-stuetzt-russische-version-a-1613d467-bd72-4f02-8e16-2cd6d3285295

[8] L’OTAN s’est élargie à la Hongrie, la Pologne et la République tchèque en 1999 ; à la Bulgarie, l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie, la Roumanie, la Slovénie et la Slovaquie en 2004 ; à l’Albanie et la Croatie en 2009 ; au Monténégro en 2017 ; à la Macédoine du Nord en 2020. Trois pays ont exprimé le souhait de rejoindre l’organisation : la Géorgie, la Bosnie-Herzégovine et… l’Ukraine.

[9] Mouvement de contestation autogéré dénonçant les abus du capitalisme financier né le 17 septembre 2011.

[10] Suite à la mort de George Floyd, Afro-américain de 46 ans assassiné par un policier le 25 mai 2020 à Minneapolis.

[11] Le 13 décembre 2012, dans une résolution sur la situation en Ukraine, le Parlement européen lui-même condamnera toute alliance avec le parti Svoboda.

[12https://www.huffpost.com/entry/ukraine-protests-nationalism-anti-semitism_b_4588507

[13Le Courrier de Russie, Moscou, 16 avril 2014.

[14] Les accords prévoyaient également : suppression de toutes les armes lourdes dans une zone de 15 kilomètres derrière la ligne de contact, par chaque partie du conflit, afin de créer une zone démilitarisée de 30 kilomètres de large en tout ; interdiction d’opérations offensives ; interdiction du survol de la zone de sécurité par des avions de combat ; retrait de tous les mercenaires étrangers de la zone de conflit ; mise en place d’une mission de l’OSCE pour surveiller la mise en œuvre du protocole.

[15https://consortiumnews.com/2015/06/12/u-s-house-admits-nazi-role-in-ukraine/

[16] La « Wolfsangel » (« crochet à loups ») fut l’emblème, entre autres, de la 2e division SS « Das Reich ».

[17] Dans un discours tenu le 8 janvier 1918 devant le Congrès, le président des Etats-Unis Woodrow Wilson (1913-1921) introduit en « quatorze points » le concept du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

[18] La terre des Yankees.

[19] Lire « L’âge d’or et la fin de cycles ne sont plus ce qu’ils étaient » (31 janvier 2022) – https://www.medelu.org/L-Age-d-or-et-la-Fin-de-cycle-ne-sont-plus-ce-qu-ils-etaient

[20https://www.resumenlatinoamericano.org/2022/02/13/argentina-un-general-paleolitico-y-la-planificacion-de-la-invasion-a-venezuela/

[21] Dont la Chine, l’Inde, l’Iran, le Pakistan et de nombreux pays africains (Algérie, Afrique du Sud, Centrafrique, Mali, Burkina Faso, Sénégal, etc.). N’ont voté « contre » que cinq pays : Russie, Bélarus, Erythrée, Corée du Nord et Syrie.

[22http://www.obsarm.org/obsnuc/traites-et-conventions/francais/tlatelolco.htm

[23] Tous les Etats du continent et des Caraïbes, sauf les Etats-Unis et le Canada.

[24] Le Conseil de défense sud-américain (CDS) est une initiative militaire promue sous la direction du Brésil qui vise à « construire une identité de défense sud-américaine ».

[25https://cambiocolombia.com/articulo/conflicto/esta-es-la-puta-guerra-general-reconoce-alianza-con-narcotraficantes-para

[26] Créée pendant la Seconde Guerre mondiale pour protéger le trafic dans l’Atlantique Sud, la IVe Flotte avait été dissoute en 1950.

[27https://www.pagina12.com.ar/406149-la-sombra-de-la-otan-en-bolivia

[28https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/pdf_publications/20120116_interoperability-fr.pdf

[29] Transférée en 1984 à Fort Benning (Géorgie), la SOA a été dissoute en 2001, pour renaître immédiatement de ses cendres sous le nom d’Institut de l’hémisphère occidental pour la sécurité et la coopération (WHISC).

Source : https://www.medelu.org/OTAN-suspends-ton-vol


Interview du Président Maduro par Ignacio Ramonet : de la résistance à la croissance en 2022; les trois défis d’une révolution mondiale.

Ignacio Ramonet – Bonsoir Monsieur le Président, merci beaucoup de nous recevoir et de nous accorder cette interview. C’est déjà un classique, non ? Comme au football (rires) ces rencontres que nous avons…

Nicolás Maduro Oui, c’est un peu comme les matches du Real Madrid-Barcelone (rires). 

Ignacio Ramonet C’est la sixième fois que nous réalisons un entretien à la fin de l’année, afin de faire le bilan de l’année qui s’achève mais aussi de dessiner des perspectives pour l’année qui commence.

Nicolas Maduro – exact.

Ignacio Ramonet – j’aimerais vous interroger autour de trois thèmes : la politique intérieure, l’économie et la politique internationale. Et j’aimerais terminer par une dernière question sur un sujet beaucoup plus vaste. Commençons par la politique intérieure. Au Venezuela comme dans d’autres pays, l’année 2021, puis 2022, ont été marquées par la pandémie. Ces dernières semaines on nous annonce, depuis l’OMS aussi, une sorte de tsunami de la variante Ómicron, que nous voyons en Europe en ce moment avec en France 200 mille cas quotidiens il y a quelques jours. La question est : comment le Venezuela va y faire face ? La méthode que vous avez mise en place pour lutter contre la Covid sera-t-elle efficace contre Omicron ? Et enfin, pouvez-vous nous donner une idée de la façon dont la vaccination se passe, au Venezuela ?

Nicolas Maduro – Eh bien, tout d’abord, je tiens à te remercier pour ce cycle d’entretiens qui servent à évaluer ce que nous faisons, depuis 2016, nous voici déjà à l’orée de 2022. J’envoie un salut à tous les adeptes de vos interviews, de vos articles et à tous ceux dans le monde qui peuvent nous voir et nous entendre. 

Cette variante Ómicron rappelle au monde que la pandémie n’est pas terminée, que les prévisions sur une fin de la pandémie ne sont pas exactes, qu’il est donc nécessaire de combiner des mesures préventives de biosécurité sanitaire, de vaccination de masse, avec la recherche scientifique à la recherche de solutions et de traitements pour ce coronavirus, qui a déjà eu tant de variantes.

Ómicron a des dizaines de mutations, ce qui la rend plus contagieuse. Jusqu’à présent les études qui ont été faites dans le monde disent que cette variante n’est pas plus mortelle, mais plus contagieuse, d’où les phénomènes que nous voyons en Espagne, en Italie, en Allemagne, en France, aux États-Unis, de milliers, de milliers de cas; aux États-Unis, il y a eu 250 000 cas en une seule journée; en Espagne, ils ont atteint 1400 cas pour 100 000 habitants, 1400 cas pour 100 000 habitants, 100 000 cas par jour.

Nous avons fait un grand effort avec beaucoup de conscience collective, de discipline, avec beaucoup de leadership de la révolution, du système de santé publique que nous avons, le rôle éminent des médecins femmes et hommes, des infirmières, de tout ce que nous appelons la Mission 100% santé « Barrio Adentro » (« au cœur du quartier »). Avec toute une batterie de mesures offertes à la population depuis le gouvernement bolivarien.

L’élément clé de la prévention est la sensibilisation, c’est l’éducation des personnes. Si les gens sont motivés, si les gens sont bien informés, ils prennent soin d’eux-mêmes. Si vous donnez en permanence aux gens de bonnes raisons de prendre soin d’eux-mêmes, ils veilleront à prendre eux-mêmes leurs mesures de biosécurité.

Nous avons suivi une méthode depuis 2020 qui a couvert pratiquement toute l’année, et que nous avons levée en novembre, qui est la méthode « sept + sept », une semaine flexible suivie d’une semaine plus préventive. Cette année, les variantes brésiliennes sont arrivées ici, les deux variantes brésiliennes, la variante Delta est arrivée, plus létale, toutes sont venues et sont entrées par la Colombie et le Brésil; et maintenant nous venons de détecter la variante Ómicron. Et nous avons maintenu par rapport au monde, en particulier ce qu’ils appellent le monde développé, les États-Unis, l’Europe et tous ces pays, en ce qui concerne le nombre de contagions et de décès et les pourcentages qu’ils ont, le Venezuela a eu un contrôle exemplaire sur la pandémie. Nous l’avons maintenue, avec la méthode « sept + sept ».

Quand nous avons commencé à progresser dans la vaccination, avec déjà 40% de la population vaccinée, nous avons repris les classes présentielles et flexibilisé les mesures de biosécurité, puis nous sommes passés à une flexibilisation totale. C’est ainsi que le pays a fonctionné, en novembre, avec une affluence spectaculaire des gens dans les rues, sur les places publiques, les boulevards, les parcs, les fêtes, ce fut un Noël vraiment formidable, heureux. Et malgré ce grand brassage, tu peux voir comment notre peuple prend soin de lui-même, vraiment. Il peut y avoir une personne qui, par fatigue ou négligence, cesse de porter le masque, mais c’est circonstanciel, dans l’ensemble, les gens prennent soin d’eux-mêmes.

Nous arrivons à des chiffres vraiment impressionnants. Le Venezuela vient d’atteindre 6 cas pour 100.000 habitants. Alors que l’Espagne, les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie, se disent « pays développés », possèdent la richesse du monde, n’est-ce pas ?, eh bien, cet humble pays appelé Venezuela atteint six cas pour 100.000 habitants. Et malgré ce chiffre, vraiment impressionnant, nous maintenons les soins et l’ensemble des mesures sur la population afin qu’elle puisse continuer à être prise en charge. Et nous nous sommes également fixé comme objectif d’atteindre 90% de vaccination.

Il faut tenir compte du fait que les mesures coercitives illégales connues comme « sanctions », le blocus, la guerre économique des États-Unis contre le Venezuela cette année, avaient notamment pour but de nous priver de vaccins, Ramonet ! Ils ont menacé toutes les compagnies internationales de vaccins de sanctions si elles vendaient des vaccins au Venezuela. Le monde doit le savoir. Le gouvernement états-unien a menacé toutes les entreprises du monde. Puis ils ont dit que c’était un mensonge. Et nous avons fait notre travail, intensivement, pour réussir à acquérir tous les vaccins dont le pays avait besoin cette année (principalement de Cuba, de la Chine, de Russie, contrairement en Europe où règnent Pfizer and Co, NdT). Je te donne un scoop : nous avons atteint 89% de la vaccination. Et nous en avons en stock, pendant le mois de janvier de nouveaux lots de vaccins arriveront, nous avons déjà budgétisé tous les vaccins dont le peuple vénézuélien a besoin pour les rappels au cours de l’année 2022.

« Les mesures préventives contre la Covid doivent être prises volontairement, consciemment,  elles ne peuvent pas être imposées à la population ni avec des couvre-feux, ni avec la répression »

Le monde devrait savoir que nous vaccinons à partir de 2 ans, puis nous commençons à vacciner à partir de 18 ans, puis les femmes enceintes, puis nous commençons à vacciner de 12 à 18 ans. Ce qui va nous donner une immunité plus forte, cela va nous donner une protection plus puissante pour notre population.

Je crois donc que le virus continuera d’affecter l’Humanité, nous devons rester attentifs à la bonne méthode à appliquer. Nous ne pouvons pas renoncer à la méthode « sept + sept », ni renoncer aux mesures préventives. Mais que ce soit volontairement et consciemment; les mesures préventives ne peuvent pas être imposées à la population avec des couvre-feux, avec la répression, les mesures préventives doivent être basées sur la conquête de la conscience et de la volonté du peuple, pour démontrer l’équité des mesures de protection de la santé. En 2022, j’espère qu’en réalisant la vaccination de 95% de la population, nous aurons un pays calme, avec sa population libre de se déployer, de travailler, avec une vie sociale relativement normale, de la même manière heureuse qu’il a pu vivre durant ces deux derniers mois de l’année 2021.

Ignacio Ramonet – Après les élections régionales et municipales du 21 novembre, j’aimerais que vous nous donniez votre analyse des résultats, que révèlent ces résultats sur l’état des forces politiques actuelles au Venezuela?

Nicolas Maduro – Les méga-élections du dimanche 21 novembre de cette année, nous donnent beaucoup matière à réfléchir. Cette campagne électorale n’a pas été facile, je l’ai dit à plusieurs reprises à la direction de campagne des forces révolutionnaires dirigées par le camarade Diosdado Cabello, parce que le blocus, les sanctions ont créé des problèmes de services publics, des problèmes dans la vie quotidienne du peuple, qu’il y a une bonne partie de la population qui ne comprend pas que ces effets proviennent en grande partie des sanctions, il y a beaucoup de mécontentement, de désagréments. C’est ce que l’impérialisme américain recherche quand il met un pays sous pression,  pour l’écraser, comme il l’a fait avec le Venezuela, il cherche à créer cette confusion, cet agacement, la protestation du peuple, c’est le but de leurs mesures coercitives et unilatérales, leurs sanctions, de leur guerre économique contre nos finances publiques, contre notre liberté de commercer.

J’ai dit aux compagnons : regardez, il y a des problèmes dans des services publics importants tels que l’eau, il y a des problèmes qui sont venus du sabotage du système électrique, il y a des problèmes dans tout ce qui est le service des déchets solides, ce sont les problèmes que les maires et les gouverneurs doivent résoudre, ce sont de vrais problèmes de la population. Beaucoup d’entre eux causés par le blocus occidental, par l’accès impossible aux pièces de rechange, aux équipements que tout pays doit renouveler pour maintenir ses services publics, et constituer un stock de pièces de rechange pour maintenir en état leurs services publics.

Nous sommes arrivés à un point où pour acheter les pièces de rechange d’une pompe à eau – au Venezuela 90% de l’eau doit être montée des rivières aux villes en altitude-, pour acheter un moteur, une pompe à eau d’une certaine envergure ou des pièces de rechange, l’OFAC, le gouvernement états-unien, empêchent le Venezuela de l’acquérir.  Comment expliquer tout cela à la population? On lui explique, et il y a une partie de la population qui le comprend parfaitement, qui d’une manière stoïque et héroïque, continue à soutenir la révolution consciemment; mais il y a une autre partie de la population qui s’est dépolitisée et qui tout simplement proteste, s’énerve, blâme le gouvernement, la révolution et blâme souvent les dirigeants régionaux et locaux. Cette élection n’a pas été facile. Et nous en étions conscients.

Au parti socialiste uni du Venezuela nous avons décidé de mener un processus primaire pour consulter la base, pour choisir nos candidats à partir du vote populaire. Les primaires ont été bonnes, avec une bonne participation. Mais ces primaires ont aussi ouvert des conflits dans les régions, dans les municipalités, avec parfois des divisions en deux groupes, ou trois. Si Ramonet et Maduro se sont lancés pour être gouverneur de l’État et que Ramonet a gagné, Maduro a ensuite demandé à ses partisans de ne pas voter pour Ramonet. Ce qui a fait que dans certaines municipalités et dans certains États, eh bien, la bataille a été plus difficile encore. Et nous avons gagné malgré cela et dans certaines municipalités et certains États, en l’occurrence trois États de la République, sur les 23 postes de gouverneurs, l’opposition a remporté trois postes de gouverneur. Et sur les 335 maires, l’opposition en a remporté 108. Beaucoup de nos défaites s’expliquent par ces divisions, ces intrigues et ces affrontements entre groupes, il faut le dire. C’est la première fois que j’en parle, Ramonet.

Les primaires ont laissé des blessures insurmontables dans la plupart des États et des municipalités du pays, qui ont été exploitées de différentes manières par des secteurs de la droite, de l’opposition, et qui ont rendu la bataille plus dure mais malgré ces circonstances objectivement difficiles, produit des sanctions et de ces dimensions subjectives des divisions produites par les primaires, nous avons obtenu une grande victoire, nous avons remporté 65% des maires et des conseils municipaux du pays, nous avons remporté 80% des postes de gouverneurs du pays. Avec un leadership renouvelé lors des primaires, profondément enraciné dans le peuple. Vraiment, Ramonet, ces dirigeants que nous avons dans les rues, dans les communautés, dans les quartiers, dans les municipalités et dans les états, est composé de vrais dirigeant(e)s. Nous avons construit un système de direction et un système de forces vraiment impressionnant qui a rendu possible cette formidable victoire, je dirais (sûrement cette interview sera vue par de nombreux dirigeant(e)s de gauche, de ce qu’on appelle des mouvements progressistes révolutionnaires).

« Quelle force de gauche, quelle force révolutionnaire, quelle force politique de n’importe quelle idéologie dans le monde aujourd’hui peut obtenir une victoire comme celle obtenue par le mouvement chaviste au Venezuela ? »

D’où ma question : après toute la guerre qu’ils ont faite au Venezuela, comment se fait-il que les forces bolivariennes et chavistes obtiennent cette formidable victoire ? Au Venezuela, nous avons organisé 29 élections en 22 ans et c’est la 27e victoire. Il faut en être conscient :  la 27ème victoire. Nous sommes comme je le dis toujours fait de ce bois particulier, enracinés dans le réel, nous sommes réels. Nous avons un leadership, nous ne tournons pas le dos aux gens, nous sommes avec les gens à travers dans les réussites comme dans les épreuves, nous sommes capables de renouveler notre discours, notre programme politique, nous sommes capables de nous renouveler spirituellement, nous sommes capables de renouveler notre sourire et de regarder les gens dans les yeux.

Quelle force de gauche, quelle force révolutionnaire, quelle force politique de n’importe quelle doctrine ou idéologie dans le monde aujourd’hui peut obtenir une victoire comme celle obtenue par le mouvement bolivarien, le mouvement chaviste au Venezuela ? Laissons chacun tirer ses propres conclusions. En tout cas, je pense que cela a été une impulsion importante, cela montre que nous sommes la majorité et que nous avons une base solide pour promouvoir la reprise économique, la relance de l’État-providence et construire ce que nous allons construire, de nouvelles majorités, de nouvelles directions, de nouvelles forces.

Ignacio Ramonet – Il faut ajouter, Monsieur le Président dans cette perspective, qu’en plus de cette victoire dans un cadre très démocratique, ce sont des élections qui ont été menées sous l’observation de centaines d’observateurs internationaux.

Nicolas Maduro – en effet.

Ignacio Ramonet – C’est pratiquement la seule victoire d’un parti au pouvoir dans ce contexte de Covid dans le monde. Aux États-Unis, le parti au pouvoir perd, en ce moment le parti au pouvoir perd, en Allemagne…

Nicolas Maduro – Celui qui a gouverné auparavant a perdu, Donald Trump.

Ignacio Ramonet – Donald Trump, c’est pourquoi Donald Trump a perdu.

Nicolas Maduro – Et maintenant Biden est en train de perdre.

Ignacio Ramonet – Merkel a perdu, en Norvège, aussi, dans de nombreux pays d’Amérique latine, ceux qui gouvernent ont perdu.

Nicolas Maduro – en Argentine Macri a perdu, Piñera au Chili. La droite au Pérou…

Ignacio Ramonet – Toutes ces élections qui ont été faites en cette période de Covid, le résultat est que, celui qui gouverne a du mal à mener à bien ces élections. C’est pourquoi cette victoire au Venezuela est en effet exceptionnelle. J’aimerais aussi que nous parlions de la relation avec la droite et l’extrême droite. Vous avez eu un dialogue avec cette opposition au Mexique, un dialogue avec la médiation de la Norvège. Mais ce dialogue, cette table de dialogue a été interrompu notamment après l’arrestation et l’extradition d’Alex Saab, qui avait un statut diplomatique et son extradition vers les États-Unis. Je voulais vous demander, Monsieur le Président, à quelles conditions comptez-vous reprendre le dialogue avec l’opposition, l’opposition la plus radicale, au Mexique?

Nicolas Maduro – Il est important de garder à l’esprit, Ramonet, que j’ai appelé au dialogue pendant plus de huit ans, presque neuf ans, mille fois je l’ai proposé sous ma présidence, en toutes circonstances j’ai appelé au dialogue politique, avec toutes les oppositions, dialogue, débat, compréhension.  Parce que je suis un homme de dialogue et de paix. Je crois au dialogue, à la compréhension, au débat et je crois à la recherche du consensus et chaque fois qu’il y a eu un dialogue, nous avons trouvé la voie du consensus et de la paix. Je suis contre la violence politique totale que la droite a introduite au Venezuela depuis plusieurs années, à plusieurs reprises, les insurrections violentes d’extrême droite en 2014, ou en 2017. Je suis contre les appels qu’ils ont lancés pour envahir le Venezuela, leur appel aux marines, à l’armée impériale des États-Unis, pour envahir le Venezuela au cours des années 2019, 2020. 

Et cette fois, après plusieurs efforts avec le royaume de Norvège, avec la Russie, avec les Pays-Bas, entre autres, avec le Mexique, nous avons réussi à établir un terrain d’entente avec l’opposition extrémiste, avec l’opposition qui agit en dehors de la Constitution, l’opposition de Guaido/Trump, tout ce que Trump a laissé. Cette opposition en dehors de la Constitution, nous sommes allés la chercher : nous sommes arrivés au Mexique après de nombreuses réunions privées, avec parfois des accords préliminaires via les médiateurs, secrètes et semi-secrètes. Pendant que cette opposition « guaidociste » lançait ses discours grandiloquents, proférant des bêtises, ils nous rencontraient en secret. Et il a été possible de se mettre d’accord sur un accord signé, un mémorandum où l’opposition putschiste de Guaido reconnaît pour la première fois la légitimité constitutionnelle du gouvernement que je préside. On en a beaucoup parlé et expressément, et nous l’avons mis comme condition : « ou vous reconnaissez et signez la reconnaissance du gouvernement constitutionnel ou il n’y a pas de dialogue avec vous ». Et ils ont dit qu’ils signeraient et ils l’ont signé. Les dialogues se sont très bien déroulés, je peux le dire. Nous entrions déjà dans la profondeur des grandes questions de la ré-institutionnalisation du Venezuela, de l’économie, des sanctions pénales, de tout , de la vie du pays. Et alors que nous entamions déjà l’examen de ces grandes questions et qu’il y avait un pré-accord là-dessus, et que nous allions pouvoir donner de bonnes nouvelles et de bonnes nouvelles pour le pays, une fois de plus le gouvernement des États-Unis, le département d’État a commis un acte dont ils savaient à l’avance qu’il allait provoquer la rupture des dialogues.

Ignacio Ramonet – Pensez-vous qu’il s’agit d’un sabotage ?

Nicolas Maduro – Je pense que oui, je n’ai aucun doute, ce fut un sabotage du gouvernement des États-Unis contre le dialogue au Mexique, je peux l’affirmer car nous en avons parlé avec le gouvernement des États-Unis. L’opposition elle-même, son coordinateur Gerardo Blyde, s’est entretenue à Washington avec le département d’État qui lui a donné des garanties, comme à nous, qu’ils n’allaient pas emmener Alex Saab, notre diplomate, pour que les dialogues se poursuivent de manière fructueuse. Et Alex Saab, que nous avions intégré à ces pourparlers, a commencé à participer par vidéoconférence. Mais les États-Unis ont porté un coup, un coup de poignard, à nos négociations au Mexique.

Pourquoi l’ont-ils fait? Vraiment, chacun peut s’interroger : pourquoi les États-Unis sabotent-ils un dialogue fructueux pour le pays, qui donnera des résultats au Venezuela et qui consolidera la paix et l’institutionnalité de notre démocratie? Ils ont enlevé le diplomate Alex Saab, l’ont emmené sans avertissement et sans protestation. Et maintenant Alex Saab est enfermé dans une prison de Floride, ils l’ont kidnappé et ont inventé mille accusations qui ne reposent sur rien. Alex Saab reste notre représentant à la table de négociation au Mexique. Il faudrait qu’il y ait de grands changements dans cette affaire de l’enlèvement d’Alex Saab pour que nous retournions au Mexique.

On verra ce qui se passera en janvier, en février, nous attendons avec impatience les mois à venir.

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président, nous allons parler de l’économie maintenant : il y a quelque chose que tous les analystes – qui étaient si critiques de la situation économique au Venezuela il y a quelques années – disent, et qu’aujourd’hui tous les observateurs notent : malgré le blocus des États-Unis ou de l’Union européenne,  malgré les mesures coercitives et unilatérales, la situation économique s’améliore très visiblement. J’aimerais que vous nous disiez comment vous vous expliquez cette amélioration.

« Le Venezuela dispose de ses propres moteurs pour aller de l’avant et remplacer l’ancienne économie capitaliste dépendante du pétrole, la vieille économie rentière installée au Venezuela pendant 100 ans »

Nicolas Maduro – Eh bien tout d’abord le Venezuela a ses propres moteurs pour répondre à ses besoins économiques. Je le dis depuis longtemps. Le Venezuela a ses propres moteurs économiques, il a une puissance économique, il a une capacité industrielle, il a une capacité technologique, il a les connaissances nécessaires pour aller de l’avant et remplacer l’ancienne économie capitaliste dépendante du pétrole, la vieille économie rentière qui a été installée au Venezuela pendant 100 ans. Une économie devenue totalement dépendante du pétrodollar.

Les sanctions économiques ont sans aucun doute terriblement frappé la vie économique du pays, le revenu économique du pays et donc le revenu économique de l’État, de la classe ouvrière, de la famille vénézuélienne, du monde des affaires. Ces 440 mesures coercitives et sanctions de l’ère Trump contre le Venezuela, ont eu l’effet d’une bombe atomique.

La guerre économique contre la production de pétrole, contre la production d’or, l’attaque contre la monnaie, contre la crypto-monnaie créée comme une alternative pour les achats internationaux.

J’ai lancé le Programme économique bolivarien, ce programme économique composé de 17 moteurs, avec une stratégie de développement pour chacun de ces moteurs.

Et nous avons progressivement mis en œuvre des mesures pour libérer les forces productives dans un schéma d’économie de guerre, qui n’est pas une économie normale. Voyez par exemple l’économie du Mexique, de l’Argentine, du Chili, du Brésil : aucune de ces économies n’est soumise à aucune mesure de blocus, de limitation de leur liberté commerciale, de limitation de leur liberté monétaire, financière, aucune.

Le Venezuela subit une économie de guerre de facto, qui nous a été imposées, brutalement. Je vois parfois des gens qui parlent du Venezuela dans le monde, même des gens qui se disent progressistes et qui ne savent pas ce que c’est que de faire face à une situation comme celle-ci, je voudrais les y voir, j’aimerais les voir à l’œuvre, ces dirigeants qui se disent progressistes et qui répètent tant de clichés sur le Venezuela, alors qu’ils ne savent pas ce que nous avons souffert, et comment de la souffrance nous sommes passés à la résistance et maintenant à la croissance.

Nous avons pris une série de mesures. J’ai ici un document économique du bilan que je m’apprête à présenter à l’Assemblée nationale en janvier 2022, le Venezuela s’est adapté progressivement à la guerre économique, depuis le lancement du Programme de relance économique en août 2018. Nous lancions déjà des éléments pour adapter l’économie à l’économie de guerre.

Nous avons avancé toutes ces années, d’abord la loi sur les délits du change a été abrogée, pour faciliter la circulation de la monnaie, un élément fondamental. En gardant le bolivar comme monnaie, nous rendons le mouvement des devises internationales plus flexible.

Le système de contrôle des prix a été remplacé par un système de prix convenus avec le privé, qui, bien que très faible, aide. Des réformes fiscales ont été menées et un programme de dépenses publiques et d’investissements a été mis en œuvre pour réduire le déficit budgétaire. Et nous faisons de grands progrès dans la réduction du déficit budgétaire.

Un marché des changes a été créé qui n’existait pas au Venezuela, aujourd’hui le taux de change officiel est la moyenne pondérée des marchés de change existants au Venezuela, dans les banques.

Nous avons adapté et créé des mécanismes pour une économie de guerre. Les subventions ont été optimisées. Par exemple, la subvention aux taux d’intérêt sur les prêts et la subvention à l’essence.

Un nouveau cadre juridique a été développé pour faciliter et sécuriser les investissements, et la loi anti-blocus a été approuvée qui fonctionne d’une manière « divine » comme on dirait là-bas dans les Andes.

« Au second semestre de 2021, nous avons connu une croissance économique de 7,5 %. Cela signifie que l’économie avec son propre moteur, avec sa propre force, l’économie réelle, a repris le chemin de la croissance économique. »

Le mécanisme de dialogue avec tous les secteurs privés du pays a également été réactivé. Aujourd’hui, nous avons une relation étroite avec tous les secteurs moyens, petits, moyens, grands, nationaux, internationaux, nous avons un dialogue permanent au sein du Conseil national de l’économie productive.

La production de pétrole et la production des raffineries, du complexe pétrochimique et des complexes d’amélioration du pays se sont progressivement rétablies.

La politique tarifaire est en train d’être récupérée, très importante en tant que mécanisme de promotion et de défense de la production nationale, dans un cadre de respect des accords internationaux, avec le slogan « d’abord le Venezuela, d’abord le nôtre », pour protéger l’industrie nationale, pour protéger les producteurs nationaux.

Cette année, nous avons lancé ce que les experts appellent, la ré-expression monétaire : nous avons éliminé 6 zéros au Bolivar et nous avons renforcé le point de vue psychologique, la gestion du Bolivar dans un cadre général d’amélioration de l’économie. Il a été très bien accepté par la population, le lancement du Bolivar numérique, notre monnaie numérique.

Grâce à cet ensemble de mesures, Ramonet, de manière systématique, soutenue et cohérente, l’économie vénézuélienne est actuellement dans une période claire de reprise.

Je peux te dire que nous avons récupéré la croissance économique et qu’au second semestre de 2021, nous avons connu une croissance économique de 7,5 %. Cela signifie que l’économie avec son propre moteur, avec sa propre force, l’économie réelle, a repris le chemin de la croissance économique. C’est une excellente nouvelle.

C’est le fait surtout de l’économie non pétrolière, bien que l’économie pétrolière soit également en croissance, mais l’économie non pétrolière ne dépend plus des pétrodollars, elle croît sur la base de son propre effort, de sa capacité d’autofinancement et du marché national.

Nous avons réactivé le marché intérieur avec une reprise impressionnante du commerce intérieur, que notre peuple observe.

Par conséquent, sans aucun doute, la plus grande réussite a été la défense de notre modèle économique. Le Venezuela réactive son économie, promeut la croissance avec des opportunités pour tous, mais surtout pense aux plus vulnérables, aux plus nécessiteux, à partir de notre vision humaniste et socialiste.

Cela signifie que 2021 a été la meilleure année malgré toute cette guerre économique et je crois que nous devons continuer à être très attentifs au développement de l’économie, à fournir des installations pour que les forces productives internes continuent d’être libérées et à continuer à contrôler tous les processus inflationnistes.

Nous terminons maintenant le mois de décembre avec de bonnes nouvelles de l’année du point de vue inflationniste.

Ignacio Ramonet – C’est ce que je voulais vous demander Monsieur le Président parce que l’inflation est toujours une préoccupation de la population et la question est de savoir quelles mesures vous comptez adopter pour réduire l’inflation ou la faire disparaître. Bien que dans le monde entier en ce moment l’inflation est de retour, pour des raisons également liées au monde post-pandémie de Covid. Quelle est la situation de l’inflation ici au Venezuela ?

Nicolas Maduro – Le Venezuela a toujours eu une économie inflationniste, avant la guerre économique, avant les mesures coercitives, avant le plan de guerre économique, avant l’économie de guerre. Une économie avec 60 ans de revenus pétroliers et une consommation élevée du marché intérieur qui a toujours généré un déséquilibre entre la capacité de consommation intérieure comme produit des pétrodollars, avec la capacité de production et la satisfaction de ces besoins. 

Et d’ailleurs nous avons toujours connu cette tendance du secteur privé à spéculer pour gagner, pour obtenir le maximum de profit. Ce sont deux éléments qui ont traversé la vie économique au cours des 60, 70 dernières années. Lorsque cette période de guerre intense pour écraser le Venezuela est arrivée, eh bien les mesures économiques ont fait perdre à l’État vénézuélien, Ramonet, 99% de ses revenus. Je veux dire, nous sommes passés en un jour d’un revenu public de 100 dollars à un revenu public d’1 dollar.

Nous sommes passés en un jour de 54 milliards de dollars en un an à un revenu de 600 millions de dollars l’an dernier. Par l’embargo contre le pétrole, mais aussi contre les comptes : avec le gel de nos comptes bancaires, ils nous ont volé plus de 30 milliards de dollars à l’étranger et ils ne les ont toujours pas rendus. Par le vol et l’enlèvement de nos entreprises elles-mêmes comme la société Citgo aux États-Unis, ou de la société Monomeros en Colombie. Ce fut brutal ! Comme je disais, une bombe atomique contre le pays.

S’il n’y a pas de revenu, cela a eu un impact énorme sur la capacité de l’État à réguler le marché, le marché des changes, et dans ce cas le marché du dollar. Et cela a eu un impact énorme sur l’hyperinflation qui était positionnée au Venezuela.

La façon de lutter contre l’hyperinflation en premier lieu était la protection sociale, à travers le système d’allocations du « Carnet de la Patrie » pour notre peuple, à travers les aides alimentaires de nos Comités d’Approvisionnement et de Production, à travers toutes les missions et les grandes missions sociales. En premier lieu, la protection sociale du peuple et deuxièmement, un ensemble de mesures de nature économique, monétaire, financière.

Tu me dis : que faut-il faire? Eh bien, nous devons approfondir ce que nous avons fait. Attaquer l’une des bases de l’inflation et augmenter la capacité de production de nourriture, de biens et de services, de sorte que l’offre équilibre la demande ou la dépasse. C’est un élément, parfois fondamental dans les processus inflationnistes du Venezuela et partout dans le monde.

L’autre chose, c’est d’augmenter les revenus nationaux. Le revenu national nous permet de réguler marché des changes et de satisfaire ses besoins. Les besoins en devises de l’économie pour avancer et contrôler encore plus, contrôler pleinement les processus inflationnistes générés par le mouvement du dollar à l’intérieur du pays.

Nous avons fait des progrès sur chacun de ces fronts, je peux vous dire, par exemple, qu’avec ce système de taux de change nous avons réussi à stabiliser ce dollar qui montait en flèche dans le pays; nous avons réussi à le stabiliser, à ralentir et j’ai bon espoir que d’ici 2022, nous pourrons continuer à gouverner le nouveau système de taux de change du pays, dans le cadre du schéma de guerre économique.

Toujours au niveau de l’inflation, le Venezuela a déjà connu durant quatre mois consécutifs une inflation à un chiffre. Aujourd’hui, nous pouvons dire et déclarer politiquement, sûrement les autorités économiques le feront dans les mois à venir, mais je peux déclarer politiquement avec le résultat de la gestion de l’inflation entre les mois de septembre, octobre, novembre et décembre, qui a été d’un chiffre avec une tendance à la baisse, que le Venezuela abandonne la situation d’hyperinflation,  produit de la guerre économique et des sanctions.

Le Venezuela avance d’un bon pied dans l’année 2022. Je crois que 2022 combinera des éléments importants de croissance, de ralentissement de l’inflation, de création de richesse, ce qui permettra la chose la plus importante de toutes: que toute cette richesse devienne éducation, santé, logement, salaire, revenu, bonheur social, vie. Ce que notre commandant Chavez définissait comme une transition vers un modèle socialiste humainement gratifiant. C’est notre objectif.

Ignacio Ramonet – C’est d’autant plus remarquable, que la production de pétrole n’a pas connu une croissance spectaculaire, à la suite du blocus. Et le Venezuela n’avait pas l’habitude d’avoir une économie dans laquelle le pétrole n’était pas l’élément le plus important. J’aimerais donc que vous nous parliez un peu du pétrole au Venezuela en ce moment, comment va la production? Et en quoi cela sera-t-il lié aux perspectives économiques dont vous parlez pour l’année prochaine ? Et quels sont les nœuds qui existent encore dans l’économie vénézuélienne, qui devraient être débloqués pour permettre une plus grande croissance? 

« Les dirigeants progressistes de gauche ou de droite sociale-démocrate, doivent savoir que le blocus contre le Venezuela restera l’un des crimes les plus inhumains commis contre un peuple. Parce que tout a été fait. »

Nicolas Maduro – Le nœud principal, c’est la génération de richesse monétaire qui nous permette de faire des investissements suffisants dans l’appareil économique, dans l’appareil pétrolier, et des investissements suffisants dans le système de protection sociale, afin que le pays vive un processus d’expansion économique et sociale, de croissance économique et sociale.

Le nœud principal est le revenu national. Et c’est le principal point d’attaque de l’impérialisme états-unien. Ce qui est fait contre le Venezuela est quelque chose de criminel, de cruel, les dirigeants progressistes de gauche, ou de droite sociale-démocrate, doivent savoir, tout dirigeant qui peut m’écouter doit savoir, que le blocus contre le Venezuela restera l’un des crimes les plus inhumains commis contre un peuple. Parce que tout a été fait.

Le monde doit comprendre, et je l’explique parfois dans les réunions internationales, dans des vidéoconférences, la guerre déployée contre nos comptes. L’État vénézuélien ne peut pas avoir un compte bancaire dans le système financier international, par exemple, pour payer des vaccins, des médicaments, des fournitures, des matières premières. C’est-à-dire tout ce dont nous avons besoin.

Le Venezuela n’a pas le droit d’importer les pièces de rechange, ni les machines nécessaires à son industrie pétrolière, à ses raffineries, à sa pétrochimie, à son industrie en général.

Le Venezuela n’a aucun droit, on a voulu empêcher sa liberté de commerce pour ses produits naturels, ses produits fondamentaux, et les entreprises, les comptes bancaires, les gens, les navires, qui veulent charger les produits du Venezuela et les vendre au monde, sont sanctionnés ou menacés de sanctions. C’est pourquoi je suis plus que jamais convaincu de la construction d’une économie non pétrolière, productive, génératrice de richesses qui réponde aux besoins du peuple, fidèle à ce chemin laissé par le projet du commandant Hugo Chávez, face à ces conditions extrêmes que nous avons dû vivre et que nous devons vivre. Je vois ces conditions extrêmes comme une occasion d’avancer sur cette voie, et la justesse de cette voie et cette possibilité de générer de la richesse par nos propres efforts est démontrée.

Le Venezuela a atteint 1 million de barils par jour de production de pétrole. Nous avions prévu 1 million 200 mille barils quotidiens pour cette année, PDVSA (compagnie publique du pétrole, NdT) nous doit 200.000 barils, mais c’est vraiment une formidable réussite des travailleurs. Pratiquement sans argent. La production de pétrole est une activité économique d’investissement élevé, pour récupérer les puits, mettre la technologie dans les puits, et cet investissement se rétablit très rapidement. Tous ceux qui connaissent le secteur pétrolier savent qu’il en est ainsi, nous récupérons la production pétrolière avec des investissements vénézuéliens, centime après centime, pour récupérer un puits, récupérer un autre puits et c’est ainsi que nous avançons, Ramonet. Cette année, nous avons atteint 1 million de barils par jour. L’objectif pour 2022 est d’atteindre 2 millions de barils par jour. Avancer pas à pas de manière soutenue, durable pour récupérer la capacité de production.

Cette année, nous avons récupéré la capacité des quatre raffineries du pays, malgré les tentatives de bombardement, de sabotage de nos raffineries par des incursions terroristes. Une grande réussite des travailleurs du pétrole, cette année, est que nous avons récupéré plus de 90% de la capacité de production de la pétrochimie.

Cela signifie que l’industrie du raffinage et du pétrole pétrochimique du Venezuela avance avec son propre poumon, avec son propre investissement, avec son propre effort, avec sa propre technologie. Tous ceux qui nous écoutent doivent savoir que le système avec lequel l’industrie pétrolière de raffinage et pétrochimique du Venezuela a été construite est à 100% états-unien ou européen. Donc il y a encore une partie du processus de production qui est paralysée, abîmée, endommagée, car la dépendance à l’extérieur est de 100%. Et les états-uniens le savent, les impérialistes le savent. Et ils ont attaqué pendant des années, jusqu’à ce que nos ingénieur(e)s, nos scientifiques, nos travailleur(se)s commencent à fabriquer des pièces avec l’ingénierie nationale et à récupérer des puits, des raffineries, etc.

C’est un chemin vraiment héroïque. Le Venezuela travaille très dur pour construire une économie qui ne dépende pas du pétrole, générant des biens et des services qui répondent vraiment aux besoins nationaux. Générateur de richesse alternative, richesse monétaire. Et nous travaillons également à la reprise de la puissante industrie pétrolière qui complétera merveilleusement tout le processus de développement économique que le Venezuela va connaître dans toutes ces années à venir.

Ignacio Ramonet – Président, en matière de politique internationale et en particulier, je voudrais que nous parlions d’abord des États-Unis. Plus tôt cette année, il y a eu un changement politique majeur aux États-Unis, quand le président démocrate Joe Biden a succédé au président républicain Donald Trump. Cependant, la politique des États-Unis à l’égard du Venezuela n’a pas changé, elle reste extrêmement hostile, objectivement parlant, quelles initiatives comptez-vous adopter pour avoir des contacts, des relations, peut-être que vous les avez et vous pouvez nous le révéler ici ? Quelles sont les relations que le Venezuela entretient actuellement avec l’administration actuelle des États-Unis ?

Photo: Créé de toutes pièces par Donald Trump puis « naturalisé » par le rouleau-compresseur des médias internationaux, Juan Guaido n’a jamais participé à une élection présidentielle mais s’est autoproclamé « président du Venezuela » dans un centre commercial des quartiers chics de Caracas. Putschiste d’extrême droite, photographié en compagnie de la bande d’assassins/ravisseurs colombiens « Les Rastrojos » et ultra-corrompu selon des médias colombiens, panaméens ou le Washington Post – qui publia même son contrat avec des paramilitaires pour envahir le Venezuela-, ce fake-président a été abandonné par la plupart de ses alliés, comme son « ministre des affaires étrangères » le putschiste Julio Borges, son « ambassadeur à Bogota » Calderon Berti, ou l’ex-candidat présidentiel Capriles, qui lui reprochent sa corruption débridée. (Note de Venezuelainfos).

Nicolas Maduro – Eh bien, je l’ai dit à plusieurs reprises, Donald Trump est parti, mais l’empire est resté, l’empire est intact. Joe Biden est arrivé comme une grande promesse de changement, de grand changement pour la société états-unienne et de grand changement pour l’Humanité. Mais en ce qui concerne le Venezuela, tout a continué : la guerre financière, monétaire, pétrolière, économique, commerciale. Il n’y a eu aucun signe, aucun signe de rectification, d’amélioration sur toutes ces mesures cruelles.

Quand nous sommes allés au Mexique, nous savions que lorsque nous allions nous asseoir pour parler à l’opposition extrémiste de Guaido, nous allions en fait parler aux États-Unis. Et le gouvernement états-unien l’a laissé entendre, l’a fait comprendre dans des déclarations publiques. Mais bon, on sait déjà quel a été le sort des négociations du Mexique, comment Washington s’est arrangé pour faire dérailler les négociations de paix.

Cela dit, je pense et je le dis toujours à mes compagnons, aux dirigeants, à tous les dirigeants politiques que nous avons, du Grand Pôle patriotique, du Parti socialiste Uni du Venezuela, aux gouverneurs, à toute la direction de la révolution et au peuple en général, que nous ne pouvons rien attendre que de nous-mêmes. C’est une pensée de José Gervasio Artigas qu’aimait beaucoup le président Chávez. N’attendons rien que de nous-mêmes. Considérons-nous dans notre vérité, dans notre raison, dans notre projet bolivarien et avançons. Loin de nous l’impérialisme, loin de nous leurs accusations, leurs persécutions, poursuivons ici notre travail, notre combat quotidien, avec notre vérité et nos réalisations, avec nos avancées. Espérons que, qui sait quand et avec qui, les possibilités d’un dialogue direct, courageux, sincère et compréhensif avec le gouvernement des États-Unis s’ouvriront. J’aimerais que ce soit avec l’administration Joe Biden, espérons-le. S’il se noue, parfait. Sinon, nous continuons notre lutte, notre combat. C’est notre façon, de marcher avec nos propres pieds, de penser avec notre propre tête, comme dirait Ho Chi Min.

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président, vous parliez tout à l’heure des actifs vénézuéliens à l’étranger, et vous avez cité Citgo, cette compagnie pétrolière qui est aux États-Unis, ou Monomeros, qui se trouve en Colombie. Il y a aussi la question des réserves d’or déposées au Royaume-Uni. Quelles initiatives votre gouvernement prend-il pour tenter de recouvrer, par exemple, la gestion souveraine de ces actifs ?

Nicolas Maduro – Nous menons une activité diplomatique, politique et juridique permanente. Nous menons un jugement à Londres pour récupérer des réserves d’or de la Banque centrale du Venezuela. Il y a eu suffisamment de preuves des autorités légitimes reconnues à l’échelle nationale et mondiale par le système des Nations Unies, les autorités légitimes de la Banque centrale du Venezuela, du gouvernement constitutionnel du Venezuela. S’il s’agissait de jugements ajustés à la vérité réelle, à la vérité juridique et à la justice, le Venezuela devrait récupérer l’or qui appartient à la Banque centrale du Venezuela et qui fait partie des réserves et des actifs du Venezuela. 

Dans le cas de la société Citgo aux USA, il faut savoir qu’elle possède six raffineries aux États-Unis, et plus de 7.000 stations-service. C’est une entreprise qui apportait des contributions importantes à la fin de chaque année et que nous gérions de manière transparente et soignée. Et toutes les contributions qu’elle a données sont devenues au Venezuela des investissements économiques, pour le logement, l’éducation, la santé, l’alimentation. Il y a des comptes clairs de tous les revenus qui ont été générés par Citgo.

Citgo, c’était aussi mais je ne sais pas si elle fonctionne encore, une fondation pour l’aide humanitaire aux enfants, qui a été totalement démantelée et dont les ressources ont été utilisées pour des activités illicites, pour des activités personnelles, familiales, de la mafia de l’extrême droite vénézuélienne qui s’est emparé de Citgo.

Eh bien, nous continuerons également à chercher par la voie judiciaire légale, bien qu’aux États-Unis, il n’y a aucune possibilité de garantir un processus équitable pour le gouvernement et l’État vénézuéliens afin de récupérer Citgo, il n’y en a pas. C’est la justice impériale, ils s’imposent, point final, et ils ont volé Citgo, ses biens, ses actifs, ses comptes bancaires.

Il en va de même pour Monómeros, une entreprise qui avait des chiffres positifs, une entreprise bien gérée par la révolution, qui a été mise en faillite, détruite par Juan Guaidó, Leopoldo López et toute cette bande de gangsters d’extrême droite. C’est la vérité.

En cela, il y a une lutte politique et diplomatique; en cela, il y a aussi une lutte juridique que nous devons mener parce que les droits du pays prévalent, mais c’est aussi une lutte morale. Ces gens ont démontré leur hypocrisie, la déchéance morale qui les caractérisent, en tombant comme des oiseaux de proie sur ces entreprises, sur ces actifs, et qu’ont-ils fait? Voler, se répartir le butin.

Sans oublier, Ramonet, les 1.600 millions de dollars que le gouvernement états-unien a reconnu, il y a un an, avoir donnés au groupe de Guaido. Puis ils se sont tus. Ils ont tenté de minimiser l’affaire.

Mais ces 1.600 millions de dollars appartiennent aux contribuables américains. Un jour, des juristes émergeront, de bonnes personnes qui chercheront la vérité sur la source de l’argent. 1.600 millions de dollars, c’est beaucoup d’argent pour un pays, à qui l’ont-ils donné? Et comment ont-ils détourné cet argent ? Voilà à quel type de personnages nous sommes confrontés, Ramonet. A une ultra-droite très corrompue, très bradeuse de patrie. Et tant mieux si tout cela entre dans la lumière publique : il est temps que notre peuple sache ce qu’ils représentent et les dommages qu’ils ont causés à notre pays.

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président, parlons de l’Amérique latine. Dernièrement, en Amérique latine, à mesure que les élections ont lieu, les victoires du camp progressiste se multiplient, nous l’avons vu de manière très spectaculaire au Honduras et au Chili en particulier, et les sondages en ce moment semblent annoncer également des victoires progressistes de la gauche latino-américaine en Colombie, où les élections auront lieu en mai 2022, et au Brésil, où les élections auront lieu en octobre 2022.  Comment analysez-vous cette situation, comment expliquez-vous tant de victoires progressistes en ce moment en Amérique latine ?

« Le Venezuela a toujours été à l’avant-garde de la lutte contre le néolibéralisme, je le dis humblement, mais c’est notre vérité historique. Nous ne sommes pas seulement une force de gauche. Nous nous définissons comme une force transformatrice, révolutionnaire à la racine, une force bolivarienne historique.»

Nicolas Maduro – Eh bien, je les attribue à l’épuisement du néolibéralisme, un épuisement profond et absolu. Ce modèle néolibéral a été maintenu au cours des 20 dernières années sur la base de la tromperie, des mensonges, de la manipulation, de la fraude électorale, dans de nombreux pays sur la base de la division dans le camp progressiste ou sur la base de la répression comme c’est le cas de la Colombie, du Chili, de l’Équateur, et comme ce fut le cas dans les gouvernements précédents au Pérou, à feu et à sang, ces gouvernements de droite et néolibéraux ont imposé leurs politiques de privatisation et supression de droits sociaux en usant du mensonge, de la tromperie et de la répression. Bolsonaro a également imposé son modèle néolibéral au Brésil, mais le néolibéralisme n’a pas de réponses pour le peuple, il est épuisé, totalement épuisé. Le Venezuela est à l’avant-garde. Le Venezuela a toujours été à l’avant-garde, Ramonet, je le dis humblement, mais c’est notre vérité historique, le 27 février, le 28 février 1989, le peuple vénézuélien a été le premier à se soulever contre la politique du Fonds monétaire international imposée par le gouvernement social-démocrate de Carlos Andrés Pérez. C’était le premier soulèvement populaire, la première rébellion populaire en l’an 89, il y a 32 ans.

Nous allons célébrer, le 4 février 2022, les 30 ans de la rébellion militaire bolivarienne du commandant Chávez contre le Fonds monétaire international, contre l’impérialisme, contre l’oligarchie, contre le néolibéralisme, c’était une rébellion anti-néolibérale, anti-oligarchique, anti-monétariste.

Nous avons été les premiers à nous rebeller. Puis le projet bolivarien a été le premier projet anti-néolibéral qui est arrivé au pouvoir avec des votes. Six décembre 1998. Nous venons de célébrer les 23 ans de la première victoire anti-néolibérale d’une force révolutionnaire. Parce que nous sommes une force révolutionnaire, nous ne sommes pas seulement une force anti-néolibérale, nous ne sommes pas seulement une force de gauche, nous ne sommes pas seulement une force qui s’agrège au progressisme. Nous nous définissons comme une force transformatrice, révolutionnaire à la racine, une force bolivarienne historique.

Eh bien à partir de ce triomphe, tu le sais, est venue la première vague, l’arrivée de Lula en 2003, l’arrivée de Néstor Kirchner en 2003, l’arrivée du Frente Amplio en Uruguay avec Tabaré Vázquez, le retour du Front sandiniste de Daniel Ortega, l’émergence et le triomphe d’Evo Morales en Bolivie. L’émergence et le triomphe de Rafael Correa, les forces progressistes des Caraïbes, le Cuba historique de Fidel, de Raúl, et maintenant de Miguel Díaz Canel.

Ainsi s’est formée la première vague qui a permis de grands progrès dans la création de l’ALBA, Petrocaribe, Unasur, CELAC, la réunion dans la diversité des idéologies et des politiques, la réunion de l’Amérique latine et des Caraïbes.

Et il a été possible d’indiquer la voie vers les années et les décennies à venir. Maintenant, il y a une deuxième vague très différente de la première, mais qui reste fondamentalement anti-néolibérale, car les peuples se sont réveillés, les peuples cherchent un moyen d’en sortir et, espérons-le, les dirigeants et les forces politiques qui émergent en Amérique latine, seront fidèles à l’héritage historique de ceux qui les ont précédés, aux martyrs qui ont donné leur sang pour un changement profond, un changement historique en Amérique latine. Espérons-le. Et que le passage des années à venir cette floraison anti-néolibérale prenne un cours unitaire pour que l’Amérique latine dans sa diversité, dans sa diversité complexe, puisse se redécouvrir sur son propre chemin, le chemin de l’union, de la libération et du développement partagé.

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président pour conclure, une question qui nous amène à une vision plus théorique, disons. J’ai observé que dans plusieurs de vos récents discours, vous parlez du monde qui change de cycle. Et vous dites, vous avez répété qu’il est nécessaire en ce moment aussi de changer l’analyse politique. J’aimerais que vous nous expliquiez, comment voyez-vous ce changement de cycle qui se produit dans le monde? Et quelle analyse politique faut-il adapter à ce changement de cycle ?

Nicolas Maduro – C’est une contribution que nous apportons depuis le Venezuela pour que les secteurs de la pensée et de la culture, et les secteurs politiques mènent un débat éclairant sur l’époque historique que nous vivons. La période historique de l’an 2000 à l’an 2010 est-elle la même que celle de l’année 2010 à l’année 2020, que nous commençons à « voir »? Nous remarquons des changements substantiels qui méritent compréhension et qui méritent une transformation dans la création de la politique, en particulier parmi les secteurs révolutionnaires progressistes de la gauche, les secteurs qui recherchent la transformation du monde. Il y a 30 ans, l’Union soviétique s’est désintégrée, et quelques-uns ont compris les opportunités qu’il y avait pour de nouveaux projets, beaucoup à gauche se sont retrouvés moralement brisés, intellectuellement, beaucoup sont passés à droite, dans les frustrations du pessimisme. Et la frustration et le pessimisme sont toujours le prélude au reniement des objectifs et des politiques transformatrices. Peu de gens ont résisté dans le monde, mais c’est après la chute de l’Union soviétique qu’au Venezuela a émergé le projet bolivarien, sous la direction de Chávez, le projet national Simón Bolívar, à partir de nos racines. Nous avons modestement apporté nos contributions aux nouveaux paradigmes des mouvements révolutionnaires du monde. L’impact du leadership de Chávez pour les nouveaux paradigmes n’est aujourd’hui nié par personne, sinon nous ne serions pas la cible de la campagne que l’impérialisme promeut et finance dans tous les pays du monde contre le Venezuela, contre la révolution bolivarienne, avant contre Chávez, maintenant contre moi, dans toute les télévisions, radios, presse écrite, réseaux sociaux de l’Espagne, de l’Italie, du Portugal, de l’Argentine, du Mexique, du Brésil, du Chili, de Colombie, partout où vous allez, il y a une campagne contre le Venezuela, il doit bien y avoir une raison à cela ! 

Si nous ne pouvions nous défendre, nous n’aurions pas eu l’impact que le projet bolivarien, la direction du commandant Chávez, la révolution bolivarienne, ont eu.

A partir de cette expérience d’être liés à l’émergence d’une nouvelle époque, d’un nouveau paradigme, nous proposons au mouvement révolutionnaire du monde, aux intellectuels honnêtes du monde, aux secteurs progressistes du monde, que nous examinions les changements qui existent, que nous les identifiions très bien. Il y a au moins trois éléments qui ont un impact rapide sur le changement dans le monde. L’émergence d’une autre époque, d’autres générations, d’une autre mentalité, d’un autre discours et d’une autre façon de voir la vie et la politique. Trois éléments au moins, Ramonet.

Tout d’abord, la pandémie. Cela a tout changé et sa fin n’est pas à l’ordre du jour, elle imprimera sa marque dans la psyché collective, dans la façon d’assumer la vie sociale. La pandémie a tout changé, les coutumes sociales, la manière d’entrer en relation avec l’autre. Il y a dans le monde des secteurs négationnistes, qui exposent leur propre vie en niant, en affirmant que c’est une manipulation des systèmes politiques du monde. La pandémie est un élément qui est là pour rester et qui a modifié tous les comportements sociaux, et qui nous oblige à comprendre les nouveaux schémas de relation sociale.

Photo : Vijay Prashad, Directeur de l’Institut Tricontinental de Recherche Sociale, lors du vidéo-débat avec Nicolas Maduro, entouré de quelques ministres, et les dirigeants de l’ALBA-TCP pour formuler des propositions sur « le monde d’après ».

L’autre élément est l’accélération du changement économique, les nouveaux acteurs économiques du monde. Quand vous vous demandez, ou demandez dans les années 50, 60, donnez-moi le nom du magnat du monde, les gens diraient Rockefeller, et qu’est-ce que Rockefeller? Industrie pétrolière. Quand on vous demande aujourd’hui, quels sont les magnats du monde ? Elon Musk, fusées spatiales, technologie. Zuckerberg le propriétaire de Facebook, Instagram, WhatsApp, communications… Propriétaire du monde, Zuckerberg.

Ignacio Ramonet – Ils appellent cela le capitalisme numérique.

Nicolas Maduro – Capitalisme numérique. Ou Bill Gates, qui est déjà en train d’être supplanté. Mais Bill Gates parle d’Internet, de technologie, d’informatique, de smartphones.

Ignacio Ramonet – Microsoft.                            

Nicolas Maduro – L’économie et les relations qui émergent des deux économies marquent un changement accéléré dans la façon d’être, dans la conscience et dans le fonctionnement de la circulation des richesses dans le monde entier. Il faut garder un œil là-dessus. Depuis le Venezuela, nous demandons l’aide de tous les chercheurs, de tous les spécialistes de ces sujets pour comprendre le mieux et être en mesure d’adapter notre vision et notre action à la nouvelle ère qui a déjà émergé. 

« Depuis le Venezuela, nous demandons l’aide de tous les chercheurs, de tous les spécialistes de ces sujets pour comprendre et adapter notre vision et notre action à la nouvelle ère du capitalisme numérique. »

Et un troisième élément, sur lequel tu insistes beaucoup Ramonet, est le caractère dominant des réseaux sociaux dans les relations sociales, culturelles, humaines de l’humanité d’aujourd’hui. À ce sujet, il y a beaucoup de théoriciens, j’ai entendu plusieurs conférences que tu as données sur la façon dont les réseaux sociaux ont remplacé les médias traditionnels, et comment les réseaux sociaux ont créé une réalité virtuelle très puissante et piègent l’individu en tant que tel, contrairement aux anciens médias qui ont généré de grands débats de caractère collectif et social.

La nature dominante des médias sociaux à elle seule a changé notre monde. Il n’est plus possible de faire de la politique sans les réseaux sociaux, il n’est plus possible de faire du marketing sans les réseaux sociaux. Vous ne pouvez pas vendre, si vous vouliez vendre une marque de lunettes comme celle-ci, et que vous alliez en faire la promotion à la radio et dans la presse, vous n’en vendriez pas, mais si vous en faites la promotion sur Tik Tok, sur Instagram, on vous l’arrache des mains.

C’est une autre vie, c’est un autre monde. C’est pourquoi je dis que nous sommes entrés dans une nouvelle ère. Et depuis la révolution bolivarienne, nous l’assumons, nous l’étudions pour nous adapter, pour nous renouveler, pour faire les changements que nous devons faire et pour que les forces révolutionnaires et progressistes du changement soient à l’avant-garde de la nouvelle époque et des temps nouveaux qui arrivent.

Ignacio Ramonet – Merci beaucoup, Monsieur le Président. Est passionnante en particulier la réflexion théorique sur ce nouveau monde qui s’installe. Je vous transmets mes vœux de bonheur pour la nouvelle année, pour tout le peuple vénézuélien et vous donne rendez-vous l’année prochaine pour notre « classique » 2023.

Nicolas Maduro – Merci à toi Ramonet. Je salue toutes les personnes de bonne volonté de par le monde. Depuis le Venezuela nous continuons à résister avec beaucoup d’amour et beaucoup de foi dans notre victoire.

Source (vidéo de l’entretien original en espagnol) : https://youtu.be/J_VwS6DxCgw

Traduction : Thierry Deronne pour Venezuelainfos

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/01/02/interview-du-president-maduro-par-ignacio-ramonet-de-la-resistance-a-la-croissance-en-2022-les-trois-defis-dune-revolution-mondiale/

Le Venezuela multipolaire renoue avec la croissance

Photo : le président Maduro est accueilli par le Ministre des Affaires Étrangères du Mexique Marcelo Ebrard lors du Sommet de la CELAC (Communauté des États Latino-américains et des Caraïbes), en septembre 2021.

Fidèle à la stratégie multipolaire du Sommet de Bandoeng souvent évoquée par Hugo Chávez et à l’« équilibre du monde » rêvé par Simon Bolivar, le Venezuela a renforcé ses alliances avec la zone asiatique, la Russie, la Chine, l’Iran, la Guinée Équatoriale, ce qui lui a permis d’augmenter sa production et son exportation de pétrole en 2021. Le gouvernement Maduro commence à surmonter le blocus inhumain organisé par l’Europe et les États-Unis et a décidé de consacrer 77% du budget 2022 aux investissements sociaux : éducation, santé, construction de logements, production nationale, alimentation, allocations, etc… (on trouvera plus de détails  à ce sujet dans http://observatorio.gob.ve). C’est aussi une bonne nouvelle pour les pays des Caraïbes bénéficiaires des programmes de coopération mis en place par le Venezuela, notamment via l’ALBA et PetroCaribe.

Selon le dernier rapport de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP), la nation des Caraïbes a pompé 625.000 Barils par jour (BPJ) en novembre, soit 15.000 de plus qu’en octobre. La compagnie pétrolière publique PDVSA, dont le président Chávez avait repris le contrôle pour financer les programmes sociaux de la révolution, a enregistré un chiffre beaucoup plus élevé de 824.000 BPJ, soit une augmentation de 68.000 par rapport au mois précédent.

La production n’avait pas atteint cette barre des 600.000 Barils par Jour depuis le début de 2020, Washington et l’UE ayant renforcé les sanctions visant à fermer les marchés internationaux à l’industrie pétrolière vénézuélienne. À partir de 2017, l’ancienne administration Trump a intensifié les efforts de changement de régime en imposant des sanctions financières, un véritable embargo pétrolier et une foule d’autres mesures coercitives illégales. Les revenus extérieurs de l’État se sont réduits de 99%, provoquant une forte détérioration de l’économie et des services publics, d’où de grandes souffrances sociales et un exode de population dénoncés par les rapporteurs spéciaux de l’ONU tels qu’Alfred de Zayas et Alena Douhan (1).

L’actuel gouvernement de Joe Biden n’a rien fait pour alléger ou lever les sanctions contre la principale industrie publique du Venezuela, malgré les appels de plus en plus nombreux de l’ONU, de ces experts indépendants en matière de droits humains et même de membres du Congrès états-unien, en faveur de la levée de ces mesures.

L’administration du président Nicolas Maduro a cherché à relancer la production de brut en trouvant d’autres sources de capitaux, de marchés et de matériaux indispensables, notamment la Russie, la Chine et l’Iran.

Un approvisionnement régulier en condensat iranien a été la clé de la récente augmentation de la production de pétrole. Selon Bloomberg, l’Iran a envoyé au moins trois cargaisons contenant 4,6 millions de barils de ce produit de mélange depuis juillet. Le condensat est mélangé au brut extra-lourd produit dans la ceinture pétrolière de l’Orénoque pour être transporté, traité et exporté. Une quatrième cargaison aurait été déchargée au Venezuela cette semaine.

L’aide iranienne s’inscrit dans le cadre de la coopération entre les deux pays pour contourner les sanctions états-uniennes, un accord d’échange de condensat contre du brut ayant été conclu en septembre. En outre, le 6 décembre, le président Maduro a eu un entretien téléphonique avec son homologue iranien Ebrahim Raisi afin de renforcer les liens pour l’année prochaine. Au cours de la conversation, M. Raisi a réaffirmé son engagement à élargir l’alliance Iran-Venezuela, appelant à des « mesures plus importantes » pour accélérer les projets énergétiques.

« La coopération pétrolière entre les deux pays doit prendre une nouvelle forme, et dans le domaine du raffinage et des ressources pétrochimiques, nous devons prendre des mesures plus importantes », a déclaré le président iranien. Raisi a de même condamné le régime de sanctions imposé par le « système arrogant des États-Unis au peuple et au gouvernement vénézuéliens. » Téhéran fait face aux mesures coercitives unilatérales de Washington depuis 1979.

Les exportations du Venezuela ont également augmenté au cours des derniers mois. La moyenne des exportations de PDVSA a atteint 500.000 Barils par Jour sur l’année, la Chine étant le principal facilitateur et la destination finale du commerce du brut vénézuélien. Selon des documents consultés par Reuters, les revenus pétroliers croissants financeront 61 % du budget du pays pour 2022.

Le 14 décembre, l’Assemblée Nationale du Venezuela, à majorité chaviste, a approuvé le budget 2022 pour un montant total de 62 milliards de bolívars (environ 13 milliards de dollars américains), soit quelque 60 % de plus que l’équivalent de 2021. Lors de la présentation du plan annuel, la vice-présidente Delcy Rodríguez a expliqué que 77 % des ressources seront allouées aux programmes sociaux.

La vice-présidente a par ailleurs présenté un projet de loi visant à réformer partiellement les taxes sur les grandes transactions afin de privilégier l’utilisation de la monnaie locale et de continuer à stimuler la production nationale. La législation doit encore être discutée et approuvée par le parlement. « Le budget 2022 est encadré par des politiques qui nous ont permis de défendre notre monnaie et d’avancer dans la lutte contre l’hyperinflation », a déclaré Rodríguez.

Photo: Signature de l’accord de confidentialité entre le ministère des Mines et des Hydrocarbures de la République de Guinée équatoriale et le ministère du Pétrole de la République bolivarienne du Venezuela, le 22 décembre 2021.

La stratégie du gouvernement pour le rebond économique de l’année prochaine s’appuie sur les efforts en cours pour ralentir la spirale inflationniste, en stabilisant le taux de change entre le bolívar numérique et le dollar américain. Ces mesures ont vu le pays connaître trois mois consécutifs d’inflation à un chiffre pour la première fois depuis 2016.

La Banque centrale du Venezuela (BCV) a fait état d’une inflation de 8,4 % en novembre, après les 6,8 et 7,1 % enregistrés en octobre et septembre, respectivement. La décélération de l’inflation n’est pas le seul signe de stabilité économique. L’Association vénézuélienne des exportateurs (AVEX) a enregistré une augmentation de 30 % des ventes à l’étranger cette année par rapport à 2020. La majorité des exportations correspond aux produits de la mer, au cacao, au chocolat, au bois, aux fruits tropicaux et au secteur automobile.

De même, les agences internationales ont pris connaissance de la reprise économique du Venezuela après une récession de sept ans. En octobre, le Crédit Suisse a prévu que le produit intérieur brut (PIB) de la nation sud-américaine augmenterait de 5,5 % en 2021, des prévisions confirmées par l’agence EMFI (Londres). Bien que ces prévisions constituent un changement de tendance important par rapport à ces dernières années, il faut garder en tête que les sanctions financières et pétrolières états-unienne et européenne pèsent toujours sur le pays. Mais le président Maduro considère que la relative stabilisation économique et politique de 2021 ouvrira la voie à des perspectives favorables l’année prochaine. « Aucune de toutes ces agressions ne pourra empêcher le peuple vénézuélien d’atteindre son objectif de bien-être social », a-t-il tweeté vendredi dernier.

Signe des temps : chaque mois des centaines de vénézuélien(ne)s rentrent au pays, fuyant l’exploitation et la xénophobie dans des pays que les médias privés leur avait présentés comme « prospères et accueillants » (Colombie, Equateur, Pérou, Chili, etc..). Le gouvernement bolivarien met à leur disposition des vols gratuits de la compagnie publique CONVIASA.

Texte : Andreína Chávez Alava / édité par Ricardo Vaz depuis Caracas.

Source : https://venezuelanalysis.com/news/15414

Note (1): Deux importants experts du Droit international dénoncent les vraies causes des migrations et des morts au Venezuela : https://venezuelainfos.wordpress.com/2020/02/27/deux-importants-experts-du-droit-international-denoncent-les-vraies-causes-des-migrations-et-des-morts-au-venezuela/

Traduit de l’anglais par Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/12/21/le-venezuela-multipolaire-renoue-avec-la-croissance/