Au Venezuela les communard(e)s continuent à créer l’État nouveau.

Lorenzo Santiago, Brasil de Fato | Caracas (Venezuela)

Petit à petit, les Vénézuéliens ont remonté les rues étroites du quartier de Catia pour aller voter dans les bureaux de la commune d’Altos de Lídice, à Caracas (1). L’élection de ce dimanche 21 avril au Venezuela n’a pas pour but de choisir un député, un maire ou un gouverneur. L’objectif de la consultation populaire est de définir les projets prioritaires pour chacun des 4500 auto-gouvernements communards du pays. Dans la rue, on note la forte participation des femmes. Carmen Forjado, coordinatrice de l’équipe électorale de la commune « Golpe de Timón » : « Nous sommes les 70% des électeurs, nous avons laissé le foyer, notre confort, nous nous sommes donné les moyens d’agir sur le plan politique. Nous avons le sentiment d’incarner tout ce processus ».

15.617 bureaux de vote répartis dans 49.000 conseils communaux du Venezuela ont ouvert leurs portes tôt le matin à ces électrices et aux électeurs qui ont pu choisir les priorités de chaque commune parmi sept options. Le projet retenu est transmis au ministère des communes et des mouvements sociaux, pour être financé. Il sera mis en œuvre avec le concours des habitant(e)s eux-mêmes, avec l’aide matérielle du gouvernement révolutionnaire. Les projets sur lesquels les Vénézuéliens votent sont l’eau potable, les services électriques, l’amélioration des services publics, du système de santé, de l’éducation, du sport, des transports publics, la gestion des déchets, l’entretien des rues ou des routes, la protection de l’environnement, des projets productifs, des processus industriels, le système de production agricole, etc… Qu’il s’agisse d’acheter des ambulances, d’améliorer l’approvisionnement en eau potable ou de construire un réseau Wi-Fi public, les Vénézuéliens revendiquent ce vote comme une étape avancée de la démocratie participative.

Le caractère politique de ces élections va au-delà de la politique des partis. Les communes sont un concept de l’État nouveau, proposé par le président Hugo Chávez. Son objectif reste clair : que l’État soit géré de la base au sommet et que les décisions des conseils communaux prennent toute leur place dans la prise de décision commune peuple/gouvernement. Il ne s’agit pas d’une simple consultation citoyenne, comme dans d’autres pays. Ici le résultat du vote oblige l’État à financer le projet retenu par la population.
Les projets élus ce dimanche ont été choisis après un débat approfondi au sein des conseils communaux. Par le biais d’assemblées, les habitants ont été écoutés et ont fait valoir ce qu’ils considéraient comme les principales demandes. A partir de là, ont été choisi les sept projets les plus urgents, et nécessaires.

Pour Dahis Escobar, éducatrice à l’université plurinationale Patria Grande, la participation populaire est fondamentale pour mettre en œuvre des projets qui répondent étroitement à la réalité des communes. « Ce n’est pas une simple démocratie représentative. Je ne choisis pas quelqu’un qui promet de réaliser quelque chose sans que je sache s’il va le faire ou pas, ou parce qu’il nous a dit que selon lui, tel ou tel projet est le meilleur pour la communauté. Non. Ici, la démocratie est participative et directe. Nous participons nous-mêmes au choix des projets que nous allons réaliser. Le débat sert à écouter les demandes réelles de la population ».

« Vaincre le capitalisme »

Pour José Ibarra, porte-parole des infrastructures de la commune socialiste d’Altos de Lídice, « C’est très important pour vaincre l’État capitaliste. Avant, nous étions habitués à une mairie. Mais aujourd’hui, le pouvoir populaire participe à partir de son territoire, des projets à court, moyen et long terme sont élaborés. Les gens eux-mêmes, les porte-parole des conseils communaux et le Comité Local d’Approvisionnement, participent ensemble à ce projet au bénéfice des communes »

Mères, pères, grands-pères et grands-mères accompagnés de leurs enfants, petits-enfants et neveux. Des familles entières se sont rendues aux urnes en ce dimanche qui s’annonçait nuageux à Caracas. Le ministère des communes s’attendait à ce qu’au moins 1,3 million de communard(e)s participent à la consultation. Parce qu’ils sont simples et rapides à mettre en œuvre, le gouvernement calcule que les projets retenus seront finalisés dans un délai maximum de deux mois. Les travaux seront gérés par les communes elles-mêmes par l’intermédiaire de la Banque Communale, une figure créée par l’assemblée nationale au sein du vaste éventail des lois du pouvoir populaire. Chaque commune dispose de sa propre banque, et d’une unité qui concentre l’administration des fonds. La banque recevra l’argent du ministère et l’investira conformément à ce qui a été approuvé dans les assemblées.

Contrairement aux élections traditionnelles (35 en 24 ans de révolution), les personnes âgées de plus de 15 ans peuvent participer à la consultation populaire. Pour Dahis Escobar, la présence des jeunes est un gage de plus grande représentativité dans le choix des projets. « Les plus de 15 ans peuvent choisir les projets qu’ils préfèrent, l’important est que ces projets soient réalisés par les habitants de ces communautés eux-mêmes. C’est un projet pour toute la commune, qui profite à toute la commune, pas à un secteur, pas à un individu, mais à toute la commune ».

Photo : Sur la base du vote, chaque commune dresse la liste des projets qui seront mis en œuvre en priorité par le gouvernement / Monyse Ravena

« Grand jour ! Le pouvoir dans notre pays est enfin dans les mains du peuple », a déclaré le président Maduro, pour qui « la droite déteste le pouvoir populaire, rien que ces mots – pouvoir populaire – génèrent son mépris, sa haine, à l’assemblée elle a toujours voté contre les lois qui le garantissent. » L’idée du gouvernement bolivarien est que le processus de consultation et de choix des projets soit mené plus souvent. Le vote a été suivi par des observateurs du monde entier dans tout le pays, dans les différents points de vote. Le sociologue portoricain Ramón Grosfoguel, célèbre penseur de la décolonialité, en était : « le processus électoral de la consultation populaire devrait être analysé par d’autres gouvernements comme un exemple de réussite. C’est un exemple de démocratie participative qui n’a pas de précédent dans le monde. On ne voit cela nulle part dans le monde, ici on en a déjà fait l’expérience et cela semble normal, mais pour nous qui venons de l’extérieur, c’est tout sauf normal, c’est un exemple ».

Lorenzo Santiago

Source : https://www.brasildefato.com.br/2024/04/22/consulta-popular-envolve-49-mil-comunas-na-venezuela-e-escolhe-projetos-prioritarios-para-territorios

Traduction du portugais : Thierry Deronne

Note :
(1) Les communes sont un type d’organisation sociale et politique basé sur les quartiers urbains et les communautés rurales. Créées dans le cadre de la loi organique des communes, promulguée en 2010 par le président de l’époque, Hugo Chávez, elles expérimentent une nouvelle forme d’autogouvernement populaire basée sur l’autogestion et le dialogue permanent avec l’État. Elles ont la priorité dans le transfert des ressources de l’État et ne doivent pas nécessairement se limiter à un état ou à une municipalité, c’est-à-dire qu’une même commune peut couvrir plus d’une ville. Le rôle de la commune implique également la gestion économique des ressources. Ces organisations s’appuient sur la loi de l’économie communale, qui reconnaît plusieurs types d’organisation au niveau économique : les entreprises communales de propriété sociale directe, les unités familiales de production ou les sociétés communales de propriété sociale indirecte, qui sont des sociétés mixtes, gérées pour moitié par l’État et pour moitié par la commune.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/23/au-venezuela-les-communardes-continuent-a-creer-letat-nouveau/

Médecins du peuple et du monde. Conversation avec Vanessa Almeida et John Chikuike Ogbu, étudiants au Venezuela.

Cira Pascual Marquina, Caracas, 1 mars 2024

Photo : Vanessa Almeida est la porte-parole principale des étudiants de l’ELAM. John Chikuike Ogbu est le porte-parole adjoint. (Venezuelanalysis)

À la fin des années 1990, deux puissants ouragans ont balayé les Caraïbes, faisant des dizaines de morts et de blessés. La catastrophe humanitaire a mis en évidence la nécessité d’augmenter le nombre de médecins dans la région. C’est à ce moment que Fidel Castro a fondé l’École latino-américaine de médecine (ELAM) à La Havane. Inspiré par l’internationalisme de la révolution cubaine, le Venezuela a fondé sa propre ELAM en 2007. L’école a diplômé des milliers de médecins du monde entier. En parcourant son siège, dans le centre de Caracas, on peut surprendre dans les couloirs des conversations allant de l’arabe au créole haïtien, en passant par le portugais et l’anglais.

Nous nous sommes entretenus avec deux jeunes étudiants de l’ELAM sur leurs expériences à l’ELAM. Vanessa Almeida est une étudiante de cinquième année, membre du Mouvement des sans terre du Brésil, originaire d’Itamaraju, une petite ville rurale. John Chikuike Ogbu est un étudiant de deuxième année issu d’une famille de la classe ouvrière de la ville d’Enugu, au Nigeria.


Vanessa, en tant que porte-parole des étudiants, peux-tu nous expliquer le projet de l’ELAM ?

Vanessa Almeida : L’École latino-américaine de médecine fut la prunelle des yeux de Chávez, et un héritage de la révolution cubaine, c’est une communauté de futurs médecins du monde entier, en particulier du Sud, qui s’engagent à retourner dans leur pays d’origine et à travailler avec des populations mal desservies. L’ELAM date de 1999, elle a été fondée à Cuba alors que la situation était très difficile. Qu’a fait Fidel face à l’adversité ? A-t-il renoncé à l’internationalisme de la révolution ? Non, il a dit : « d’autres envoient des armes et des armées pour occuper des pays, nous, nous enverrons une armée de médecins pour sauver des vies. Cela faisait partie de la « bataille des idées ». Puis, en 2007, Chávez a introduit le projet ELAM au Venezuela.

Aujourd’hui, on trouve des médecins ELAM dans les « barrios » et les « favelas » (quartiers populaires), ainsi que dans les zones rurales les plus reculées du monde. Chávez estimait que les soins de santé étaient un droit universel. La solidarité internationale était au cœur de sa politique. C’est pourquoi l’école fondée à Cuba correspondait parfaitement à la révolution bolivarienne. L’ELAM est peut-être le projet qui exprime le mieux l’engagement du Venezuela à promouvoir la justice sociale et l’égalité dans le monde entier… même aux heures les plus difficiles !

Photos : Fidel Castro a inauguré l’ELAM de Cuba en 1999. (ELAM)

Le Venezuela a connu de graves difficultés ces dernières années en raison du blocus et des sanctions des États-Unis. Bien que l’ELAM n’a jamais fermé ses portes, il est certain qu’elle a dû affronter de grandes difficultés.

Vanessa : Les choses n’ont pas été faciles : le blocus, la pandémie, les attaques politiques contre la révolution. Pourtant, le Venezuela nous a ouvert ses portes et est devenu notre « maison loin de chez nous ». Lorsque le blocus a rendu la vie vraiment difficile, Nicolás Maduro aurait pu dire : « concentrons-nous d’abord sur notre peuple ». Au lieu de cela, il a décidé de maintenir en vie le projet de Chávez. Même lorsque la situation était très difficile, l’école nous a nourris et logés. Elle a pris en charge les frais liés aux études. Je lui en suis reconnaissante : la plupart d’entre nous n’auraient jamais pu étudier la médecine dans leur pays, ou si nous en avions eu la possibilité, cela nous aurait coûté les yeux de la tête.

Comment l’exercice de la médecine est-il conçu à l’ELAM ?

John Chikuike Ogbu : La conception de la médecine à l’ELAM est radicalement différente de la conception conventionnelle. Notre cursus est axé sur la « médecine communautaire intégrale », ce qui implique une perspective humaniste qui associe la science et l’engagement envers la société. L »amour et l’humilité sont les clés pour devenir des médecins de proximité. Nous apprenons tout cela en étudiant l’anatomie, la biochimie et l’éthique médicale. Les médecins de l’ELAM vont dans le monde, se consacrant au bien-être des communautés ; ils ne s’assoient pas dans un cabinet médical sophistiqué en attendant que les malades viennent à eux pour être « guéris » par un médecin qui ressemble à Dieu. En outre, le type de soins de santé promu par l’ELAM est avant tout préventif.

Le capitalisme marchandise tout, même la santé. L’ELAM, quant à lui, la dé-commercialise. Vanessa, peux-tu nous en parler ?

Vanessa : C’est vrai, le capitalisme marchandise tout, même la santé ! Les médecins conventionnels sont formés pour « soigner » un patient, lui passer la facture et le renvoyer sur le marché du travail capitaliste. Ils ne sont pas formés pour comprendre la douleur psychologique des patients, leurs soucis, leurs contextes socio-économiques, en amont. En revanche, un médecin formé dans notre ELAM comprend la communauté dans laquelle il exerce parce qu’il y vit, parce qu’il parcourt la ville pour se rendre au cabinet, parce qu’il parle aux habitant(e)s et qu’il rend visite aux malades chez eux si nécessaire. Un médecin de l’ELAM n’est pas formé pour s’enrichir, mais pour servir la population. Dans mon cas, lorsque j’obtiendrai mon diplôme, soyez sûrs que je ne participerai pas à la marchandisation de la santé. La médecine promue par l’ELAM est « intégrale », surmontant la conception selon laquelle les patients ne sont que la somme de leurs organes. Nous considérons les patients de manière holistique, les diagnostics tenant également compte du contexte culturel, des facteurs socio-économiques et du contexte familial.

Cette approche nous permet de nous attaquer aux causes profondes d’un mal de tête récurrent ou d’un terrible mal de ventre, et d’offrir potentiellement des solutions qui ne reposent pas uniquement sur des médicaments. Bien entendu, cela ne signifie pas que les connaissances scientifiques ne sont pas importantes pour nous, mais elles ne constituent qu’une partie de la solution.

Photo : École latino-américaine de médecine « Salvador Allende » (ELAM) au Venezuela

Quel est le rôle de l’internationalisme à l’ELAM ?

John : L’ELAM accueille actuellement des étudiants de plus de 20 pays, principalement des pays du Sud. L’institution a une solide perspective Sud-Sud et un engagement véritable pour les peuples opprimés. Chávez rêvait que l’ELAM devienne une communauté internationale, et c’est précisément ce qui s’est réalisé. Nos camarades de classe et d’études viennent d’Amérique latine, des Caraïbes et d’Afrique, et un important groupe d’étudiants de frères et sœurs palestiniens étudient ici.

Vanessa, tu es une militante du MST [Mouvement des Travailleurs Sans Terre] brésilien, une organisation liée de longue date au processus bolivarien. Quelle importance revêt pour toi l’héritage de Chávez ?

Vanessa : Au sein du Mouvement des Sans Terre, nous aimons beaucoup Chávez, parce qu’il a modifié le cours de l’histoire de l’Amérique latine, parce qu’il était un véritable internationaliste et parce qu’il se souciait des travailleur(se)s du monde entier. Il a également établi un lien particulier avec les paysans. Dans notre école, Chávez est vivant ! Il y a une histoire sur lui que j’ai trouvée très émouvante. Lorsqu’il était soigné pour un cancer à Cuba, il demandait constamment des nouvelles de son peuple : « Comment va mon peuple ? C’était sa première question en se réveillant de l’opération, et il interrogeait toutes les personnes qui lui rendaient visite. En tant que médecins de l’ELAM, nous devons imiter cette attitude : le peuple, le peuple, est notre première, deuxième et troisième priorité.
Les études sont intenses. Je me lève tous les jours à 5 heures du matin et me couche tard. Je dois profiter au maximum de cette opportunité. Lorsque j’aurai obtenu mon diplôme, je rentrerai chez moi et j’offrirai à la communauté ce que la révolution bolivarienne m’a donné.

John, en tant que Nigérian, vous êtes assez loin de chez vous et vous avez dû apprendre une nouvelle langue. Pourriez-vous partager cette partie de votre histoire ?

John : En effet, tout n’a pas été facile. Tout d’abord, lorsque je suis arrivé, j’ai dû passer par une longue période d’isolement. Ensuite, il y a le défi de la langue. Je ne parlais pas espagnol à mon arrivée, et j’ai encore du mal avec cette langue. Je me souviens qu’en tant que pré-médecin, j’ai dû étudier la biochimie, ce qui est déjà un défi en soi. Essayer de naviguer dans le contenu tout en apprenant la langue était stressant, mais j’étais déterminé à réussir. Je me tournais vers Youtube, j’empruntais des livres et, si nécessaire, mes camarades de classe venaient à ma rescousse. Petit à petit, mes compétences linguistiques se sont améliorées, et bien que le régime universitaire reste intense, la plupart du temps, je n’ai pas de difficultés avec la langue.

Il y a eu d’autres obstacles : nous sommes tous loin de chez nous et nos journées sont très longues, si bien qu’il m’arrive de ne pas pouvoir appeler ma famille, ce qui est difficile. Heureusement, mes camarades de classe et mes professeurs sont en train de devenir ma deuxième famille, et même si ma famille dans mon pays me manque, je ne me sens plus aussi seul.

Vanessa, peux-tu nous parler du travail universitaire à l’ELAM et de son programme ?

Vanessa : à l’ELAM, nous avons un programme d’études et de pratique très exigeant. En tant qu’étudiante en cinquième année, j’ai de longues heures de rotation dans les hôpitaux, et 24 heures de cours par semaine. Nos professeurs, originaires de Cuba et du Venezuela, sont très engagés dans la révolution mais ils ne nous imposent aucune politique : notre cœur est tourné vers le processus bolivarien, non par obligation, mais parce que nous ressentons tout cet amour au Venezuela. Nos professeurs nous enseignent à devenir des scientifiques humanistes, des professionnels de la santé engagés.

Vous êtes tous deux activement impliqués dans la pratique médicale. Penchons-nous sur cet aspect de votre formation.

John : Je fais un stage au Centre de diagnostic intégral Amelia Blanco [CDI], où nous apprenons la médecine préventive et curative. Nous effectuons également des visites de maison en maison pour cartographier la communauté et comprendre le profil socio-économique du « barrio » (quartier populaire). C’est la clé pour devenir un docteur « intégral ». Apprendre à travailler et à s’occuper des gens dès le début est très important à l’ELAM. Sans ces bons rapports avec les gens, comment les aider à guérir ?

Vanessa : Actuellement, je suis en rotation à l’hôpital Victorino Santaella dans les « Altos Mirandinos ». L’expérience a été extraordinaire. J’ai beaucoup appris des résidents, des médecins et des spécialistes, ainsi que de la directrice de l’hôpital, vraiment engagée. On la voit souvent dans les couloirs de l’hôpital en train de résoudre des problèmes, de s’assurer qu’il y a du matériel médical, etc. C’est ainsi que tout fonctionnaire médical devrait être : sur le terrain. Lors de mes stages en médecine, j’ai appris à traiter et à soigner une femme âgée ou un nourrisson, ainsi qu’à pratiquer certaines interventions chirurgicales. Parallèlement, j’ai acquis les compétences nécessaires pour accompagner des personnes dans des moments très difficiles.

Pour en revenir à l’impact du blocus auquel le Venezuela est confronté, avez-vous observé ses effets sur le système médical ?

Vanessa : Oui. Le blocus a un impact évident sur les hôpitaux et les installations médicales. Malgré ces difficultés, des médecins et du personnel médical dévoués se sont montrés à la hauteur de la situation, réalisant des miracles pour sauver des vies.

Le gouvernement veille également à ce que les hôpitaux soient correctement approvisionnés. J’ai personnellement constaté que certaines alliances Sud-Sud donnent des résultats. Les installations médicales sont désormais mieux approvisionnées. Si certains emballages et instructions peuvent être rédigés en chinois ou en arabe – ce qui présente son lot de difficultés -, nous avons désormais les compétences nécessaires pour identifier les fournitures. Nous tirons le meilleur parti de ce que nous avons. Le blocus états-unien est criminel et son impact sur la santé du peuple vénézuélien est bien réel, mais nous sommes en mesure de soigner nos patients.

Entretien réalisé par Cira Pascual Marquina pour Venezuelanalysis.

Source : https://venezuelanalysis.com/interviews/internationalist-doctors-a-conversation-with-vanessa-almeida-and-john-chikuike-ogbu/

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/14/medecins-du-peuple-et-du-monde-conversation-avec-vanessa-almeida-et-john-chikuike-ogbu-etudiants-au-venezuela/

Semences de souveraineté

« La semence est comme une bénédiction, on ne peut la refuser à personne« .
Bernabé Torres (Vallée de Gavidia, État de Mérida).

À 3500 mètres au-dessus du niveau de la mer, au-dessus de la vallée silencieuse de Mucuchíes, dans l’État de Mérida, se trouve un endroit très réel, qui semble imaginé. Un lieu aussi extraordinaire que les montagnes, la terre, la végétation et les paysages andins. Dans ce lieu, discrètement et minutieusement, on réinvente la souveraineté alimentaire du Venezuela. Il s’agit du Centre biotechnologique pour la formation à la production de semences Agamiques (Cebisa), dirigé par des paysan(ne)s dans le cadre de la coopération scientifique/paysanne du Ministère de la science, de la technologie et de l’innovation.

Le centre est géré par Proimpa, Productores Integrales del Páramo, une association libre de paysan(ne)s, de producteur(trice)s locaux et de travailleur(se)s de Mérida. Cette association a été fondée en 1999, motivée par l’idée d’Hugo Chávez de travailler à la souveraineté alimentaire. Elle travaille aujourd’hui en étroite collaboration avec des scientifiques de différentes institutions, telles que l’Institut vénézuélien de recherche scientifique (IVIC), l’Institut d’études avancées (IDEA) et l’Institut national de recherche agricole (INIA).

Dans ce petit bâtiment de trois étages, au bord d’une colline, auquel on accède par une route très escarpée, la recherche en laboratoire s’allie à la production sur le terrain, pour créer et reproduire des variétés de semences. Dans un laboratoire soigné, dans des conditions techniques strictes, la biotechnologie permet de produire des plantes conservant leur identité génétique. Des clones, dont naîtront des semences asexuées (agamiques) pour la pomme de terre, l’ail, la fraise, l’igname, la patate douce et d’autres cultures. C’est ici qu’a été initiée, par exemple, la production des semences de pommes de terre autochtones, qui a permis de substituer l’importation. Elle sont aujourd’hui distribuées à des producteurs dans tout le Venezuela.

Ces procédés, dont on pensait jusqu’à récemment qu’ils n’étaient réalisables que dans des laboratoires extérieurs ou dans de grandes entreprises transnationales, sont aujourd’hui pratiqués dans ce petit espace géré principalement par des paysannes, par de jeunes travailleurs et des scientifiques qui ont étudié dans les lycées des montagnes de Mucuchíes et qui sont aujourd’hui des spécialistes des techniques de reproduction génétique, au plus haut niveau. Une science appliquée au droit à l’alimentation. « Une science pour la vie et non pour le marché » comme la définit la vice-présidente des sciences, Gabriela Jiménez.

À Cebisa, nous sommes accueillis par Edith, Moralva, Ingrid, Lalo et Jesús. Une activité intense se déroule dans les laboratoires dont le produit – les plantes génétiquement produites de 80 variétés de pommes de terre et d’autres cultures – ira à un réseau de 12 pépinières pour générer la production de semences qui, à leur tour, iront dans les champs et les cultures de diverses régions du pays.

La plupart des personnes travaillant au Cebisa sont des femmes. Elles parlent avec passion. « Nous unissons les connaissances ancestrales et les connaissances scientifiques pour produire une souveraineté technologique et alimentaire. » Ce sont elles qui dirigent le laboratoire et veillent à la rigueur des procédures scientifiques. Dans les pépinières, les tâches sont réparties pour assurer l’achèvement du cycle, l’évaluation du rendement, des caractéristiques et de la production finale des semences.

Dans la plus moderne de leurs installations, la pépinière aéroponique, les semences sont produites « dans l’air ». Les plants produits en laboratoire ne sont pas enterrés, mais poussent suspendus tout en étant alimentés par le haut grâce à un ingénieux système de micro-tubulures.

Mais l’organisation paysanne va bien au-delà de la production de semences. Plus haut, à Apartaderos, l’Entreprise socialiste de production et de stockage « Hugo Chávez », une entité sociale gérée par les communes (autogouvernements populaires), permet de collecter des pommes de terre et des semences à travers un circuit qui relie les producteurs locaux aux institutions publiques et au marché, en éliminant les coûts des intermédiaires et en faisant baisser les prix. De là, par exemple, plus de 100.000 kilos de pommes de terre sont distribués mensuellement – avec paiement immédiat au producteur et à un prix équitable – par les programmes du ministère de l’alimentation, dans les foires agricoles souveraines et les cantines scolaires. L’alliance entre les connaissances scientifiques et les savoirs ancestraux a permis de remettre la science entre les mains des paysans. Aujourd’hui, les pommes de terre sont produites à basse altitude, ce qui ne serait jamais arrivé si les semences indigènes, paysannes et souveraines n’avaient pas été sauvées.

Dans différentes régions du pays, plus de cinq mille familles utilisent la biotechnologie et s’intègrent à cette innovation qui ouvre peu à peu la voie à une nouvelle économie. Avant la révolution bolivarienne, l’agrobusiness s’était développé au Venezuela à travers l’appropriation de la rente pétrolière et des biens publics par une oligarchie liée aux États-Unis. Le président Chávez a commencé par interdire l’importation de semences OGM. Quelques années plus tard le mouvement social et les députés chavistes ont promulgué la Loi des Semences (2015). En 2024, cette politique d’État se renforce, comme à Mérida, avec la participation directe des organisations populaires, sur le territoire lui-même.

William Castillo Bollé

Photo : la vice-présidente des sciences, de la technologie, de l’éducation et de la santé, Gabriela Jiménez Ramírez, lors d’une livraison de semences de sept variétés de maïs, pour la culture de 30.000 hectares au cours du cycle de plantation 2024.

Source : https://medium.com/@planwac/semillas-de-soberan%C3%ADa-0e6bece6fd12

Traduction de l’espagnol : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/12/semences-de-souverainete/

Loin des médias, le Venezuela

Depuis douze ans, ce modeste blog « de terrain » cherche à témoigner de la nature profonde de la révolution bolivarienne : démocratisation, socialisme participatif, autogouvernements populaires. Le Venezuela n’est pas seulement la victime de l’impérialisme, de ses blocus, de ses agressions ou de ses « sanctions ». C’est un peuple en marche, qui tire de son Histoire anticoloniale et de « l’équilibre du monde » cher à Simon Bolivar, les formes politiques de sa révolution.

Contrairement à ce que font les grands médias, ce blog transmet des expériences utiles à toutes celles et ceux qui veulent changer la vie. C’est une manière de se libérer du piège de « la remorque » qui consiste à passer sa vie à répondre au mensonge du jour (et oblige de ce fait à légitimer des thématiques étrangères aux intérêts des citoyen(ne)s.)

On sait depuis longtemps comment marche le journalisme dominant. Pour épauler le capitalisme dans sa guerre contre les gouvernements rebelles, il isole les peuples et fragmente le réel (sous-thèmes au lieu de la structure, effets au lieu des causes, individualités politiques au lieu des processus collectifs, extinction du temps sous la dictature du « présentisme », etc…). Sa cible, ce sont les militant(e)s de gauche. Il n’attaque pas le Venezuela parce qu’il est une « dictature » mais parce qu’il faut endiguer l’exemple de la démocratie de gauche la plus avancée des Amériques, celle où le record en nombre d’élections côtoie le progrès de la démocratie participative. Bref, tant que durera le quasi-monopole privé des médias, il faudra maintenir ce travail forcé de « réponse ». Comme dans nos « douze points sur les « i » d’élections présidentielles ».

Mais revenons à nos moutons. Force est de constater qu’après 24 ans de révolution, la machine à démocratiser ne se refroidit pas. Deux événements, auxquels j’ai assisté ces derniers jours, en témoignent.

Le Ministère vénézuélien de la Culture a organisé du 21 au 31 mars 2024 la troisième édition annuelle de son Festival International de Théâtre Progressiste. 150 troupes de théâtre nationales, et des troupes théâtrales de 20 pays, ont participé. Dans tout le pays, le public a pu assister à 830 représentations et découvrir le travail de près de 2000 artistes. L’entrée était très modique et, dans la plupart des cas, gratuite. Avec en parallèle, des ateliers et des activités de plein air pour les enfants. École artistique mais aussi prise de conscience. Tous ces spectacles venus d’Amérique latine, d’Europe, d’Afrique et d’Asie, ont permis au peuple vénézuélien de découvrir un monde que les médias prennent tant de soin à occulter.

Venue de Tunisie, d’Afrique, la pièce « L’Albatros » parle de la migration, du cimetière de la Méditerranée et pose des questions urgentes, fondamentales : « Qu’est-ce que l’égalité ? Qui a des droits ? ». Elle parle des mouvements de masse et de la rage des peuples causés par le capitalisme et l’impérialisme global. Ils sont cinq. Le sixième est un petit bateau en papier, brisé par les vagues déferlantes de la mer. « Je remercie la mer de nous avoir accepté sans visas ni passeports. Je remercie les poissons qui nous mangeront sans nous connaître. Lorsque les amis iront frapper à ta porte pour te donner leurs condoléances, refuse-les. » « Quel beau poème, poignant ! » s’écrie une spectatrice vénézuélienne. « Et quel public ! Concentré, chaleureux, intime, respectueux » répond la tunisienne Jamila Chihi. J’ai conversé avec Chedly Arfaoui qui a écrit et mis en scène cette pièce magistrale ainsi qu’avec ses actrices et acteurs – Fatma Ben Saïdane, Abdelkader Ben Saïd, Ali Ben Saïd, Meriem Ben Hamida et Malek Zouaidi. Voici mon reportage (VO FR ST ESP) :

Quelques jours plus tard, j’ai participé à une conférence de presse au Ministère des Communes et des Mouvements Sociaux. Entouré de délégué(e)s de communes (autogouvernements populaires) de plusieurs régions du pays – des femmes en majorité -, le ministre Guy Vernáez explique le processus de la consultation populaire nationale du 21 avril 2024. Près de 4500 communes voteront pour le projet qu’elles considèrent comme prioritaire. Le gouvernement fournira les ressources pour qu’elles puissent l’exécuter, avec leurs propres organisation et leur propre main d’œuvre. Il ne s’agit pas, comme dans d’autres pays, d’une simple consultation. Ici, le vote oblige le gouvernement à financer chacun des projets.

Ces dernières années, le président Maduro a insisté auprès de ses ministres pour qu’ils accélèrent le transfert du pouvoir et des ressources aux organisations populaires. Pour cette élection-ci, plus de 27.000 projets ont déjà été présentés dans les assemblées citoyennes. Venue de l’État de Carabobo, la déléguée communarde Ofelia García explique : « la plupart des projets présentés visent à améliorer les services publics, les routes, la santé, l’éducation, l’environnement, les plans de production, les sports, les processus industriels, les transports publics et le système de production agricole. Tous les conseils communaux de notre territoire ont été convoqués et les projets ont été classés en fonction de leur intérêt commun et non individuel. »

Thierry Deronne, Caracas, le 8 avril 2024.

Photos : ci-dessus, mes questions au Ministre des Communes et mouvements Sociaux Guy Vernaez. Ci-dessous : assemblées citoyennes pour informer sur le vote qui permettra aux organisations communardes de choisir leur projet prioritaire.

Notre reportage (VO ESP) de la conférence de presse :

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/08/loin-des-medias-le-venezuela/

Sans Terre, féministes, communistes, syndicalistes, afrodescendant(e)s : les mouvements populaires brésiliens dénoncent la désinformation sur les élections au Venezuela et appellent à la solidarité de la gauche mondiale

Les mouvements populaires brésiliens lancent un manifeste de solidarité avec le peuple vénézuélien :

« Compte tenu de la polémique autour du processus électoral vénézuélien, nous souhaitons exprimer notre opinion.

  1. Depuis la victoire d’Hugo Chávez aux élections de 1998, jusqu’à aujourd’hui, les États-Unis et ses lobbies pétroliers ont mené une guerre sans fin contre le peuple vénézuélien.
  2. Ils ont décrété le blocus de la vente de son pétrole, gelé ses comptes à l’étranger, volé ses fonds déposés dans plusieurs banques et, le mois dernier, ont même détourné un avion-cargo de la compagnie d’État vénézuélienne, voué aux missions humanitaires anti-blocus, lorsqu’il a fait escale à Buenos Aires. Bien qu’il avait été légalement vendu à une entreprise vénézuélienne, ils l’ont emmené à Miami avec l’aide du gouvernement Milei et l’y ont détruit, craignant qu’un tribunal international n’ordonne sa restitution.
  3. Ils ont imposé un président fantoche, M. Guaidó, qui a commis une série de crimes, en plus de s’approprier plus de 50 millions de dollars. Dénoncé par ses proches alliés d’extrême droite. Il vit aujourd’hui aux États-Unis, protégé par les autorités.
  4. Le Venezuela dispose d’un système électoral démocratique, qui utilise des machines à voter électroniques et des votes imprimés pour vérification. Il a organisé plus de 30 élections au cours de cette période. Le tout audité par les autorités judiciaires électorales internationales, y compris celles du Brésil.
  5. Lors de ces élections, des gouverneurs, des maires et des députés opposés au chavisme ont été élus, sans que personne ne proteste. La campagne contre les machines à voter électroniques est une pratique d’extrême droite dans plusieurs pays, dont le Brésil.
  6. Le pouvoir électoral est indépendant et se situe au même niveau que les pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif. Ses membres sont proposés par la société, les universités et les partis politiques et nommés par l’Assemblée Nationale. Dans le conseil actuel, deux des cinq membres ont été nommés par les partis d’opposition.
  7. María Corina Machado, représentante de l’extrême droite « bolsonariste », a tenté de se présenter aux élections toute en sachant qu’elle avait déjà été déclarée inéligible par la justice, il y a six mois, pour délits de corruption, trahison et tentatives de coup d’État, parrainés par elle et par son mouvement « Vente Venezuela » qu’elle a toujours refusé d’enregistrer comme parti politique. La Cour suprême a examiné son cas et a réaffirmé qu’elle n’était pas éligible, tout comme elle l’a fait ici pour Bolsonaro.
  8. Par pur effet de propagande, sachant qu’elle n’était pas éligible, elle a nommé au dernier moment Mme Corina Yoris qui n’avait le soutien d’aucun parti politique ET n’a même pas présenté les exigences légales de signatures de 5% des électeurs – norme électorale pour s’inscrire conformément aux lois. Le conseil électoral l’a rejetée à l’unanimité. Comme cela est déjà arrivé au Brésil.
  9. 13 candidats sont inscrits, dont 12 de l’opposition, parmi lesquels un gouverneur de l’État du Zulia qui s’était déjà présenté à la présidence contre Hugo Chávez en 2006. Au total, 37 partis politiques ont participé, dont 70 % sont des partis politiques d’opposition au gouvernement.
  10. La liberté de la presse est totale dans le pays, avec plusieurs chaînes de télévision et journaux ouvertement opposés au gouvernement, où les opposants disent ce qu’ils veulent. Contrairement au Brésil où n’ont accès qu’à la télévision que ceux qui défendent les thèses du Capital, même sur les questions internationales.
  11. Le blocus économique des ÉTATS-UNIS, l’impossibilité de disposer de pièces de rechange pour l’industrie pétrolière et la baisse des exportations ont entraîné d’énormes difficultés économiques pour la population et nombre d’entre eux ont décidé d’émigrer pour des raisons économiques. Comme cela est arrivé aux habitant(e)s de tous les pays d’Amérique latine, il suffit de regarder la frontière avec le Mexique. Et comme ici au Brésil avec les milliers de Brésiliens qui ont émigré aux États-Unis et au Portugal.
  12. Ces dernières années, le Venezuela a subi des tentatives d’invasion militaire, par voie maritime et depuis la Colombie, déjouées par les forces publiques avec le soutien de la population.
  13. Le président Maduro a été victime de plusieurs tentatives d’assassinat, notamment par des drones, qui ont également été déjouées et leurs auteurs arrêtés.
  14. Le peuple vénézuélien a besoin de justice internationale pour restituer ses avoirs à l’étranger, tels que ses réserves d’or, volées par l’Angleterre.
  15. Le peuple vénézuélien a besoin de mettre fin au blocus économique et de pouvoir utiliser ses principaux actifs pétroliers pour relancer le développement du pays.
  16. Il est clair qu’une campagne de diffamation organisée par les États-Unis et ses grands groupes économiques à travers les médias privés de tout le continent est en cours pour diffamer le processus électoral vénézuélien et in fine ne pas en reconnaître les résultats. Aucun gouvernement n’a le droit de s’immiscer dans les affaires intérieures des autres peuples. Et notre constitution défend le droit des peuples à l’autodétermination.
  17. Nous appelons tous les mouvements populaires, syndicats, partis politiques et associations de juges et procureurs brésiliens à se rendre au Venezuela et à suivre le processus électoral sur place.
  18. Nous appelons tous les mouvements populaires et la gauche brésilienne à être solidaires du peuple vénézuélien et dénonçons les actions du gouvernement états-unien et de ses satellites, menées dans le cadre de la guerre hybrides en cours depuis tant d’années.
  19. Nous appelons chacun à être également solidaire avec les pauvres des États-Unis, avec les peuples d’Haïti, de Palestine, de Cuba, de Porto Rico et des pays africains du SAHEL, qui affrontent les mêmes intérêts de l’empire états-unien et de ses alliés européens. L’empire français est chassé d’Afrique après avoir volé tant de richesses naturelles.
  20. Depuis 25 ans, le peuple vénézuélien subit les conséquences de la guerre hybride imposée par le gouvernement des États-Unis et ses compagnies pétrolières. Malgré les défaites et les difficultés, il a toujours gagné et gagnera encore.

Brésil, 2 avril 2024.”

Traduction : Thierry Deronne

Premiers signataires :

  1. Mouvements populaires et partis politiques :
    • Confederación Nacional de los Trabajadores y Trabajadoras de la
      Agricultura Familiar de Brasil – CONTRAF – Brasil
      Central de los Trabajadores y Trabajadoras de Brasil – CTB
      Centro brasileno por la paz – CEBRAPAZ
      Central de Movimientos Populares-CMP
      Centro de estudios de religiones de matriz africana – CENARAB
      Coordinacion nacional de comunidades Quilombolas – CONAQ
      Consejo Pastoral de los/las Pescadores/as – CPP
      Frente Evangélica por el Estado de Derecho
      Levante Popular de la Juventud – LPJ
      Marcha Mundial de Mujeres – MMM
      Movimiento de los Trabajadores Rurales Sin Tierra – MST
      Movimiento de Pescadores y Pescadoras Artesanales – MPP
      Movimiento Brasil Popular – MBP
      Movimiento de Mujeres Campesinas – MMC
      Movimiento de los Afectados por Barragem – MAB
      Movimeinto de los Pequenos Agricultores – MPA
      Movimiento de los Trabajadores Desempleados – MTD
      Movimiento por la Soberania Popular en la Minerania – MAM
      Movimiento de los Trabajadores y Trabajadoras del Campo – MTC
      Partido comunista de Brasil – Pcdob
      Rede de Médicos y Medicas Populares – RMMP
      Union de la juventud socialista – UJS

2. Personnalités et porte-parole de la société brésilienne:

Acilino Ribeiro – dirigente do PSB
Ariovaldo santos, Pastor evangélico
Beto Almeida, Periodista
Breno Altman, Periodista

Celia Gonçalves, makota de los pueblos de terreiro
Cesar Silva Fonseca, Periodista
David Stival, ex-presidente del PT-RS, professor universitário
Eduardo Moreira, empresario y comunicador
Frei Sérgio Gorgen, frade franciscano
Georgina de Queiroz, profesora
Guilherme Estrela, geólogo de la Petrobras
Joao Pedro Stedile, activista de la lucha por la Reforma Agraria.
José Reinaldo Carvalho, Periodista, presidente de Cebrapaz
Júlio Flávio Gameiro Miragaya, economista
Leila Jinkings, Periodista
Luis Sabanay, Pastor presbiterano
Marcelo Barros, Monge Beneditino
Maria luiza Busse, Periodista de ABI
Mario Vitor santos, Periodista
Monica Buckmann, professora universitária
Ney Stronzake – Abogado
Nilza Valeria, Periodista
Oswaldo Maneschy, Periodista
Paulo Miranda, Director de la TV Comunitária de Brasília
Pedro Augusto Pinho, ex-presidente de la AEPET y del Corpo Permanente de la
Escuela Superior de Guerra
Roberto Requião, ex-gobernador , y ex-senador del Estado de Paraná
Rosana Fernandes, Coordinadora General de la Escola Nacional Florestan Fernandes
Sandra de Barreto, socióloga
Socorro Gomes, ex-diputada Federal por el PcdoB y directora de relaciones
internacionales de Cebrapaz
Valter Pomar, miembro del Diretório Nacional del PT
Lucinha Barbosa, Secretaria de Movimientos Populares del PT
Airton Faleiro, Diputado Federal-Para
Dilson Marcom, Diputado Federal – PT-Rio Grande del Sur
Joao daniel, Diputado Federal- PT Sergipe
Marina del MST, Diputada Estadual – PT-Rio de Janeiro
Messias, Diputado Estadual – PT Ceara
Orlando Silva, Diputado Federal- Pcdob São Paulo
Rosa amorim, Diputada Estadual – PE-Pernambuco
Valmir assunção, Diputado Federal- PT-Bahia
Romenio Pereira, Secretario de las Relaciones Internacionales de PT (parti de Lula)

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Venezuela : douze points sur les « i » d’élections présidentielles.

Par Thierry Deronne, Caracas.

1. Depuis la victoire électorale de Hugo Chávez en décembre 1999, le Venezuela a organisé 35 élections en 24 ans, dont un référendum sur la nouvelle Constitution. Le chavisme a perdu deux élections nationales. La droite a fait élire des gouverneurs, des députés, des maires et des conseillers municipaux. La transparence du système électoral vénézuélien, à double vérification, électronique et imprimée, a fait dire dès 2012 à Jimmy Carter qu’«en le comparant aux 92 processus électoraux que j’ai observés dans le monde entier, le système électoral vénézuélien est le meilleur du monde» (1). Dans l’isoloir, l’écran numérique permet à l’électeur/trice de voter sur écran puis de lancer l’impression de son vote, qu’il ou elle vérifie et plie avant de le déposer dans l’urne à proximité. Tous les partis et observateurs peuvent ainsi comparer les votes électroniques avec les votes imprimés, dans n’importe quel bureau, partout où ils le souhaitent. Les élections les plus récentes (2021) ont été validées par l’ensemble des observateurs internationaux. (2)

2. A la suite de l’«Accord des Barbades» (3), cosigné par le gouvernement du Venezuela et l’opposition de droite en octobre 2023, 40 partis d’opposition ou pro-chavistes – soit 97% des partis politiques -, et 155 délégué(e)s des principaux secteurs économiques, culturels, religieux et sociaux du Venezuela, se sont réunis pendant plusieurs jours à Caracas pour définir une feuille de route électorale (photos). Cet accord, relu et signé par toutes les parties le 4 mars 2024, a permis au Centre National Électoral (CNE) de fixer la date des présidentielles au 28 juillet.

Seule à refuser de prendre part à ces réunions : l’oligarque d’extrême droite Maria Corina Machado, admiratrice du Likoud, qui a participé à tous les coups d’État contre Chávez et Maduro, avant d’être déclarée inéligible par la justice, comme la justice brésilienne l’a fait pour le putschiste Bolsonaro. En cause : son implication dans le réseau de corruption de Juan Guaido, sa participation à l’organisation des violences, ses appels à l’invasion armée du Venezuela par les États-Unis, et avoir représenté un pays étranger (le Panama) pour appuyer cette intervention (alors qu’elle était députée vénézuélienne) ce qui est interdit par la Constitution (4). Cette décision a été confirmée en appel par la Cour suprême du Venezuela. Ces dernières semaines, son parti «Vente Venezuela», qu’elle a toujours refusé d’inscrire au Conseil National Électoral, a renoué avec les méthodes insurrectionnelles pratiquées en 2014 et en 2017 (attentats contre le président Maduro, violences de rue, destructions de services publics). Plusieurs militants du premier cercle de la dirigeante ont été arrêtés alors qu’ils préparaient des violences et un attentat contre le président (5). Ils ont aussitôt été présentés par Machado, Washington et les grands médias comme des «prisonniers politiques». Comme l’explique Ignacio Ramonet, «depuis des années, les dénonciations du gouvernement bolivarien sur les déstabilisations et les attentats terroristes sont occultées ou traitées avec les guillemets de l’ironie par les grands médias».

3. Les élections présidentielles de 2024 auront le deuxième plus grand nombre de candidats depuis 31 ans (6). Sur les treize candidats en lice pour la présidentielle, douze appartiennent à l’opposition (en majorité de droite, mais aussi de l’évangélisme ou de la social-démocratie). Ces partis vont d’«Acción Democrática» et «Copei», venus de l’ancien régime bipartisan qui a gouverné le pays pendant 40 ans, à «Fuerza Vecinal», récemment issu d’une dissidence de l’extrême droite. Le président sortant, Nicolás Maduro, a été choisi comme candidat par les onze organisations politiques du «Gran Polo Patriótico Simón Bolívar». Dans cette coalition de la gauche, le principal parti chaviste – le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) -, est le seul à avoir organisé des primaires avec plus de quatre millions et demi de sympathisant(e)s, militant(e)s et dirigeant(e)s de base qui ont tenu des assemblées dans près de 50.000 communautés populaires de tout le pays.

4. Actuellement, les sondages de la firme privée Hinterlaces donnent une majorité à Nicolas Maduro (7). Son directeur Oscar Schémel explique: «A peine 9 % des Vénézuéliens sympathisent avec un parti d’opposition. C’est le niveau le plus bas jamais atteint. La plupart de ses dirigeants sont rejetés par l’opinion publique à plus de 80 % – Juan Guaidó, Capriles, Henry Ramos et d’autres, à cause de leurs conflits internes mais aussi des sanctions occidentales qu’ils ont promues et des souffrances sociales générées (…) Pendant 25 ans, nous n’avons vu de la part de l’opposition aucun programme structurel (à part renverser le gouvernement bolivarien), aucune présence massive dans les rues. L’opposition a perdu la capacité de diriger une meeting dans un quartier populaire, elle «a perdu la rue». Une bonne partie de ses victoires est due au vote des mécontents des mauvaises gestions gouvernementales. (…) Par contre, le chavisme est la seule force politique qui, en 25 ans, a proposé un plan à long terme. Une sorte de «culture chaviste» s’est installée, mettant au cœur de la politique les thèmes de l’égalité, de l’inclusion de celles et ceux qu’une sorte d’apartheid avait écarté de la participation politique.» Les agences de renseignement des États-Unis sont arrivées à la même conclusion qu’Hinterlaces: le dirigeant vénézuélien Nicolás Maduro remporterait les prochaines élections présidentielles de la nation sud-américaine en juillet. (8)

5. Après les années les plus dures d’un blocus occidental dénoncé par les rapporteurs de l’ONU (9), et qui a entraîné la mort de 100.000 personnes, Hinterlaces note aussi que « 81% des électeurs vénézuéliens retrouvent l’espoir. » L’ex-Président et économiste Rafael Correa a expliqué récemment que malgré le blocus et les 926 sanctions renouvelées en mars 2024 par l’administration de Joe Biden, les chiffres de la CEPAL (ONU) indiquent que les politiques du gouvernement révolutionnaire (stimulation de la production nationale, alliances multipolaires..) permettront d’atteindre de nouveau cette année la croissance la plus élevée d’Amérique du Sud. L’hyper-inflation a été freinée: l’inflation du troisième trimestre 2023 fut la plus basse depuis 2012. Ce qui explique le retour progressif des migrant(e)s qui avait fui le pays massivement à partir du blocus occidental.

6. Pour s’inscrire aux présidentielles, toutes les organisations politiques qui le voulaient se sont enregistrées auprès du Centre National Électoral (sans le moindre obstacle, en respectant la législation électorale). Mais «Vente Venezuela», le «parti» d’extrême droite de Maria Corina Machado, n’a jamais demandé à être inscrit, et n’a jamais participé à une élection. Plus que d’un parti, il s’agit d’une ONG (financée par les États-Unis) qui s’est fait connaître en 2023 par le biais d’une «primaire de l’opposition» controversée, menée avec un énorme battage médiatique international mais sans inscription sur les listes électorales et avec pour seul arbitre l’ONG «Súmate», dont María Machado est membre fondatrice. Les cahiers de vote ont été détruits après le scrutin. Dès juin 2004, l’économiste états-unien Mark Weisbrot du CEPR a dénoncé devant la sous-commission des affaires de l’hémisphère occidental du Sénat états-unien, le financement de Súmate par la NED (une des façades de la CIA). (10)

7. Comme dans de nombreux pays, en Espagne par exemple, la loi électorale vénézuélienne prévoit que chaque parti qui souhaite inscrire une candidature nomme un représentant légal auprès du Conseil Électoral. Seul ce représentant légal dispose du mot de passe pour introduire les données dans le système. Ne s’étant jamais inscrite et n’ayant aucun représentant légal, Maria Corina Machado n’a pas pu entrer dans le système, tout en affirmant devant les caméras que la page était «bloquée pour elle par la dictature». En réalité, la dirigeante savait dès le départ qu’elle ne pourrait pas participer aux élections. Pourquoi, dès lors, cette mise en scène ? Explications.

8. L’an passé, Washington avait accepté de lever temporairement plusieurs des 926 sanctions contre le Venezuela, tout en menaçant de les reconduire en 2024 si Maria Corina Machado ne figurait pas parmi les candidats. En clair, les États-Unis veulent imposer la raison du plus fort contre la loi électorale du Venezuela. C’est ce sentiment de puissance que lui donne l’appui de Washington et de l’internationale médiatique, qui permet à Machado d’affirmer, devant les médias, que la «dictature l’empêche de se présenter».

9. Les médias occultent que la majorité de la gauche et des mouvements sociaux latino-américains, comme les Mouvements de l’ALBA ou le Réseau des Intellectuels en Défense de l’Humanité, appuient la démocratie vénézuélienne face à cette manœuvre. Sans Terre, féministes, communistes, syndicalistes, afrodescendant(e)s, responsables du PT (parti de Lula) : un manifeste signé par de nombreux partis de gauche et mouvements populaires brésiliens dénonce la désinformation sur les élections au Venezuela et appelle la gauche mondiale à exprimer sa solidarité (11). La Présidente du Honduras (également présidente de la CELAC) Xiomara Castro demande que cessent les «ingérences extérieures dans les élections vénézuéliennes» et, répondant favorablement à l’invitation du gouvernement bolivarien, enverra sur place une équipe d’observateurs électoraux (12). Comme le Honduras, le Nicaragua ou Cuba, la Bolivie de Lucho Arce exprime dans un communiqué officiel sa solidarité avec «la République bolivarienne du Venezuela, son peuple et notre frère le président Nicolas Maduro face aux menaces et aux actions de certaines organisations d’extrême droite qui, au lieu de se joindre à la compétition électorale comme l’ont décidé d’autres organisations d’opposition, s’emploient à déstabiliser les élections et le système politique vénézuélien. (…) Les États-Unis doivent respecter l’autodétermination du Venezuela et abandonner leurs plans d’ingérence et d’intervention.» (13)

Position semblable du célèbre «Groupe de Puebla» qui regroupe des (ex-) présidents et leaders latino-américains progressistes : «Nous sommes témoins que le gouvernement et l’opposition se sont engagés dans un dialogue intensif ces derniers temps (…) Cette étape doit garantir que la voie électorale pacifique est le moyen de régler les différends, de légitimer pleinement le processus électoral et de mettre fin aux voies déstabilisatrices, aux interventions, aux actions militaires, aux sanctions économiques ou à d’autres actions de force, toutes incompatibles avec la voie démocratique.» (14)

Pour sa part l’ex-président Evo Morales lance « un appel fraternel à tous les gouvernements et à toutes les organisations politiques et sociales de gauche, progressistes et humanistes pour qu’ils ne se laissent pas entraîner par la désinformation sur ce qui se passe au Venezuela. Comme aujourd’hui, d’autres attaques préparées par l’impérialisme ne manqueront pas de se produire plus tard. Il est de notre devoir de défendre le processus révolutionnaire initié par le Président Chávez et poursuivi par notre frère le Président Nicolás Maduro. »

Le 5 avril, le président du Mexique Lopez Obrador dénonce : « le Venezuela est attaqué par la droite du monde entier, tout comme Cuba. Nous connaissons ce type de guerre sale » et exige de laisser le Venezuela mener ses présidentielles « sans ingérence, et que le peuple choisisse librement, et en paix ». (15)

Le monde multipolaire manifeste également son appui. Le porte-parole des Affaires Étrangères de la Chine a déclaré: «Nous soutenons le Venezuela dans l’organisation des élections conformément à sa constitution et à ses lois, lui souhaitons plein succès dans ce scrutin et nous nous opposons à toute ingérence extérieure dans ses affaires intérieures. La Chine appelle la communauté internationale à jouer un rôle positif et constructif à cette fin.» (16) Comme pour les élections de 2021, l’ONU a accepté l’invitation du gouvernement bolivarien à envoyer son équipe d’observateurs (17), arrivée le 23 avril. Dans les prochaines semaines arriveront au Venezuela les équipes du Centre Carter et de l’Union Européenne (18).

10. Lorsque des fonctionnaires des affaires étrangères de Colombie et du Brésil, dont les présidents sont des alliés du Venezuela, ont émis des communiqués en phase avec les médias dominants et critiqué la non-inscription de Maria Corina Machado, les grands médias ont aussitôt annoncé «la rupture de Lula et de Petro avec Maduro». C’est faux. Les relations bilatérales se poursuivent sans obstacles (19). Quelques jours plus tard, le 9 avril, s’est tenue à Caracas la cinquième réunion de travail entre les présidents Maduro et Petro pour renforcer les relations bilatérales en économie et en politique. Le mandataire colombien a rencontré également des partis d’opposition, et la Colombie a accepté l’invitation du Venezuela d’envoyer une équipe d’observateurs électoraux aux élections du 28 juillet. En outre la guérilla de l’ELN et le gouvernement colombien vont se retrouver à Caracas pour avancer dans le processus de paix. Pour le président Petro, « le Venezuela peut beaucoup nous aider, comme il l’a souvent fait, à surmonter le problème des conflits armés. » (20)

Photo : Caracas, le 9 avril, cinquième réunion de travail entre les présidents Maduro et Petro pour renforcer les relations bilatérales.

Quant au Président Lula, il a expliqué à la presse, le 23 avril 2024, que la droite a enfin nommé un candidat unique aux présidentielles de juillet (écartant la putschiste Machado, inéligible), qu’il y aura des observateurs internationaux, que le Brésil en sera volontiers, et redemande aux USA – comme l’ont fait ses homologues colombien et mexicain -, de lever les 936 « sanctions » pour favoriser le retour des migrants économiques.

Le Coordinateur National du Mouvement des Sans Terre du Brésil Joao Pedro Stedile, les analystes Walter Smolarek de Liberation News, Zoe Alexandra de People’s Dispatch (21), les journalistes brésiliens Breno Altman d’Opera Mundi et Lorenzo Santiago de Brasil de Fato (22), l’historien Vijay Prashad du Tricontinental Institute, ont démonté la fake news de la « candidate exclue » diffusée par l’extrême droite vénézuélienne.

Une réponse particulièrement intéressante est venue du politologue espagnol Juan Carlos Monedero, ex-dirigeant de Podemos (23): «Je crains que Lula et Petro n’aient pas été informés par ces fonctionnaires sur ce qui s’est passé au Venezuela. Ne soyons pas dupes. Les États-Unis ne veulent pas que Nicolas Maduro gagne les élections et recommencent à les saboter. Le problème de l’opposition vénézuélienne, ce sont ses divisions. L’inégibilité de Maria Corina Machado n’a constitué une surprise pour personne au Venezuela. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elle n’a tenu aucun compte de la législation vénézuélienne ni de ce que dit l’«Accord des Barbades» signé par le gouvernement et l’opposition. Les milieux d’affaires vénézuéliens ne veulent pas de Machado au pouvoir car ils savent qu’elle déclencherait une guerre civile. La population déteste l’alter ego de Machado, Juan Guaido, pour les milliards de dollars qu’il a volés et pour les sanctions qui ont causé tant de souffrances. Machado a été jugée et condamnée pour exiger une intervention militaire des États-Unis. C’est comme si les juges espagnols déclaraient inéligible un politicien qui demande par exemple qu’on bombarde l’Espagne ou qui promeut la violence ou la désobéissance à la Constitution espagnole. Pour beaucoup moins que ça, en Espagne, nous avons jugé inéligibles beaucoup de personnes.

Monedero conclut : «Restons humbles: ce qu’on ne veut pas pour son pays, on ne peut le vouloir pour un autre pays. Comme l’avait d’ailleurs dit Lula, la droite vénézuélienne devrait cesser de pleurer et se chercher un autre candidat. Machado a préférer jouer à la victimisation. Le reste de la droite le sait, et a refusé d’inscrire sous sa bannière Machado ou la candidate de substitution qu’elle voulait imposer au dernier moment. La droite a fait savoir à Machado qu’elle n’acceptait pas qu’elle prenne des décisions sans les consulter, puis lui a joué un bon tour en nommant par surprise, in extremis, son propre candidat: Manuel Rosales,le gouverneur du Zulia, qui s’était déjà présenté contre Chávez. Bref, quand Machado crie à la «dictature», ou quand elle dit que la page électronique du Centre national Électoral est «bloquée pour elle», etc… la réalité est tout simplement qu’elle n’a pas de base légale pour présenter sa candidature et que les partis de droite lui ont préféré un autre candidat.» (24)

La droite vénézuélienne elle-même a reconnu, le 16 avril, que Maria Corina Machado « ne croit pas aux élections et veut toujours jouer la carte de la violence » (25).

11. Maria Corina Machado est la fille d’un magnat de l’acier vénézuélien, Henrique Machado Zuloaga, dirigeant de Sivensa, une des plus grandes entreprises sidérurgiques du Venezuela (26), nationalisée en 2008 par Hugo Chávez lorsqu’il commença une politique de redistribution en faveur des plus pauvres. Machado en a gardé une soif de vengeance et incarne parfaitement l’oligarchie raciste du Venezuela pressée d’effacer la révolution bolivarienne et l’inclusion de la population métisse. Son projet est de replacer le Venezuela sur orbite états-unienne, et d’en faire «un pays de propriétaires et d’entrepreneurs» en privatisant tout ce qui peut l’être – un programme ultra-libéral proche de celui de Milei en Argentine. Privatiser l’entreprise pétrolière mais aussi les millions de logements sociaux que le «régime» comme elle dit, construit gratuitement pour les secteurs populaires.

À l’extrême-droite de l’échiquier politique, elle a longtemps occupé une position marginale. En 2010, elle est élue députée. En 2012, elle se présente aux primaires de la droite mais n’obtient que 3% des voix. Sa «base» sont des ONGs comme «Sumate» ou «Vente Venezuela», financées par les États-Unis. Son admiration pour le Likoud est la sublimation de ce qu’elle ferait au pouvoir, après avoir appuyé en vain les coups d’État contre Chávez puis contre Maduro. Elle a signé un accord «stratégique» de coopération avec ce parti pour, en cas de victoire, compter sur le savoir-faire contre-insurrectionnel dont les israéliens sont spécialistes (voir les massacres commis par leurs « élèves » en Colombie, au Guatemala, etc…). Cette répression de la rébellion populaire a déjà eu lieu pendant les 48 heures du coup d’État contre Chávez en 2002 (27). Maria Corina était des signataires du décret putschiste qui supprima toutes les autorités démocratiques du pays et intronisa le chef du patronat Pedro Carmona comme président. En 2005, elle a rencontré George W. Bush à la Maison-Blanche pour discuter du « retour à la démocratie », c’est-à-dire du renversement du gouvernement bolivarien.

Ci-dessus: Maria Corina était des signataires du décret du coup d’État contre Chavez qui supprima toutes les autorités démocratiques du pays et intronisa le chef du patronat Pedro Carmona comme président du Venezuela en 2002.
Ci-dessus : Accord de « partenariat opérationnel » sur des thèmes comme « géopolitique et sécurité » entre deux partis d’extrême droite, le « Vente Venezuela» de Maria Corina Machado, et le Likoud.

En 2014, on la retrouve à l’origine de l’opération «La Salida» (la sortie) qui consistait à déchaîner la violence pour renverser par la force le président Maduro. Le bilan s’élève à plusieurs dizaines de morts parmi policiers et manifestants. En 2017, lors d’autres émeutes d’extrême droite, un jeune homme noir de 22 ans est lynché, poignardé puis brûlé vif parce que «noir donc chaviste» (28). La même année, des bombes sont utilisées pour attaquer des policiers et des câbles de fer sont tendus dans les rues pour décapiter les motards de la police. En 2019, elle participe activement à l’instauration du président fantoche, non élu mais nommé par Donald Trump, Juan Guaido. Les 31 tonnes d’or du Venezuela au Royaume-Uni, la filiale pétrolière états-unienne CITGO et beaucoup d’autres actifs de l’État vénézuélien sont volés par un fake-président adoubé avec empressement par des présidents comme Emmanuel Macron. Machado fait partie de son clan. Elle applaudit le blocus occidental des aliments et des médicaments : exigeant aux États-Unis de « mettre toute la pression, toutes les sanctions, et l’asphyxie financière totale pour arriver au point de rupture et renverser Maduro » (29), et se prononce publiquement à partir de 2020, en faveur d’une intervention militaire menée par les États-Unis, en invoquant l’activation du traité TIAR.

12. Vingt-cinq ans après l’élection d’Hugo Chávez et le début de la révolution bolivarienne, les États-Unis n’ont pas renoncé à la détruire, en raison de son opposition au néo-libéralisme et à l’impérialisme, de ses alliances multipolaires et de ses politiques visant à mettre les ressources du pays, notamment pétroliers, au service des majorités historiquement exclues. En avril, la commandante générale du Southern Command Laura Richardson visitera Buenos Aires, comme l’a déjà fait le directeur de la CIA William J. Burns, pour y organiser avec le président d’extrême droite Javier Milei, une nouvelle base avancée contre l’axe du mal: Cuba-Venezuela-Nicaragua et bien sûr contre « l’influence croissante des BRICS », lire : de la Chine et de la Russie, en Amérique Latine.

La méthode de Washington est bien connue : faire campagne pour jeter le doute sur l’intégrité du processus électoral de manière à présenter le résultat comme frauduleux, quelles que soient les preuves réelles le jour de l’élection. Le rôle des grands médias est d’invalider la possible élection du favori des sondages, Nicolas Maduro, en installant l’idée qu’une élection sans Machado ne peut être considérée comme légitime. Le 30 janvier, quelques jours après le rejet de son appel par la Cour suprême du Venezuela, Machado a été interviewée par CNN et présentée comme « la principale dirigeante de l’opposition vénézuélienne ». Le Washington Post a titré: «Elle est la tête de liste dans la course pour chasser Maduro. Mais il veut la bloquer».

Le président français Emmanuel Macron s’était ridiculisé en recevant le putschiste d’extrême droite Juan Guaido à l’Élysée comme « président du Venezuela» avant de reconnaitre en 2023 le président élu, Nicolas Maduro. Dénoncé par ses alliés de droite pour sa corruption, Guaido a fui la justice du Venezuela et vit un exil doré aux États-Unis. Après ce désastre diplomatique, le mandataire français est vite retombé dans l’ornière états-unienne en déclarant au Brésil, le 28 mars 2024: «Nous condamnons très fermement l’exclusion d’une candidate très sérieuse et crédible de l’élection présidentielle au Venezuela, nous demandons sa réintégration (…) Nous ne devons pas désespérer aujourd’hui, si je puis dire, mais la situation est grave et s’est détériorée avec la décision qui a été prise.» (30)

Le gouvernement bolivarien a maintenu un principe simple : les forces politiques de toute idéologie peuvent participer aux élections tant qu’elles ne conspirent pas avec des puissances étrangères pour porter atteinte à l’indépendance du Venezuela. Ce principe est pratiqué dans le monde entier. Aux États-Unis par exemple, où le 14ème amendement interdit aux coupables d’insurrection d’exercer une fonction publique. Quand le porte-parole du département d’État états-unien Matthew Miller a critiqué l’inégibilité de Machado, Caracas a répondu : «Votre communiqué montre le vrai visage du propriétaire du cirque qui voudrait délégitimer les prochaines élections présidentielles.» Les autorités du Conseil National Électoral du Venezuela ont également critiqué « l’audace » du Département d’État états-unien à vouloir diriger les élections au Venezuela: «Le CNE ne peut pas assumer la responsabilité de l’inéligibilité de certains individus qui placent leurs intérêts au-dessus de la légalité nationale, se croyant oints par une puissance extérieure ». (31)

La cible prioritaire des médias sont les militant(e)s de gauche. Les menaces occidentales contre les élections présidentielles de juillet 2024 nous rappellent qu’on n’attaque pas le Venezuela parce qu’il est une «dictature» mais parce qu’il faut endiguer l’exemple contagieux de la démocratie de gauche la plus avancée des Amériques, celle où le record en nombre d’élections côtoie le progrès constant de la démocratie participative et des autogouvernements populaires. De même que l’Occident n’a jamais pardonné aux Jacobins noirs d’Haïti de fonder la première république libre des Amériques et fait tout, à la faveur du narco-chaos, pour y renforcer son emprise, les vénézuéliens savent que les États-Unis et l’Europe ne leur pardonneront jamais leurs racines : l’armée de Bolivar servit à libérer de l’esclavage et du joug impérial les peuples latino-américains, jamais à les asservir.

Thierry Deronne, Caracas, 31 mars 2024.

Merci pour leurs contributions à Joao Pedro Stedile, Zoe Pepper, Christian Rodriguez et Maria Luisa Nunez.

Notes :

(1) « Former US President Carter: Venezuelan Electoral System “Best in the World” » https://venezuelanalysis.com/news/7272/

  1. « Les observateurs internationaux saluent la transparence du scrutin » https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/11/23/venezuela-alors-que-les-observateurs-internationaux-saluent-la-haute-transparence-du-scrutin-des-leaders-de-la-droite-appellent-a-tourner-la-page-du-putschisme-de-guaido/
  2. Sur cet accord : « Venezuelan Gov’t, Opposition Resume Dialogue, Establish Electoral Conditions » https://venezuelanalysis.com/news/venezuelan-government-opposition-dialogue/
  3. « Les lois électorales vénézuéliennes sont conçues pour garantir la démocratie en dépit des ambitions personnelles » https://www.counterpunch.org/2024/04/01/venezuelan-election-laws-are-designed-to-guarantee-democracy-despite-personal-ambitions/ et « Une fois de plus, Washington s’immisce dans les élections d’un autre pays » https://b-tornare.overblog.com/2024/04/une-fois-de-plus-washington-s-immisce-dans-les-elections-d-un-autre-pays.html / (en anglais:) https://orinocotribune.com/yet-again-washington-meddles-in-another-nations-election/
  4. Sur les préparatifs de violences et d’attentats : « Venezuela: Authorities Arrest Two María Corina Machado Associates Over Alleged Violent Plot » https://venezuelanalysis.com/news/venezuela-authorities-arrest-two-maria-corina-machado-associates-over-alleged-violent-plot/ Voir aussi :https://twitter.com/latablablog/status/1772381434486866302 / http://www.mp.gob.ve/index.php/2024/03/26/fiscal-general-informo-detencion-de-dos-hombres-armados-cerca-de-tarima-presidencial-en-caracas/ / https://diariovea.com.ve/incendio-en-transaragua-destruyo-112-autobuses-no-se-descarta-sabotaje/
  5. Lire « Les élections présidentielles de 2024 auront le deuxième plus grand nombre de candidats depuis 31 ans » https://operamundi.uol.com.br/politica-e-economia/venezuela-eleicoes-presidenciais-de-2024-terao-2o-maior-numero-de-candidatos-em-31-anos/
  6. Sondages d’Hinterlaces : https://www.hinterlaces.net/monitor-pais-6-de-cada-10-venezolanos-votara-por-el-candidato-del-psuv-en-las-presidenciales/
  7. Les agences de renseignement de Washington confirment une probable victoire de Maduro aux présidentielles : https://es-us.noticias.yahoo.com/agencias-espionaje-eeuu-creen-maduro-204010134.html
  8. Sur les souffrances causées à la population par les mesures coercitives unilatérales (« sanctions ») occidentales : https://venezuelanalysis.com/analysis/on-unilateral-coercive-measures-part-ii-a-conversation-with-alena-douhan/
  9. Témoignage de Mark Weisbrot devant la sous-commission de l’hémisphère occidental, du Peace Corps et des affaires de stupéfiants de la commission des relations extérieures (Sénat), 24 juin 2004 https://www.cepr.net/democracy-venezuela/
  10. Lire le manifeste : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/03/sans-terre-feministes-communistes-syndicalistes-afrodescendantes-les-mouvements-populaires-bresiliens-denoncent-la-desinformation-sur-les-elections-au-venezuela-et-appellent-a-la-solidarite-de/. Les mouvements sociaux de l’ALBA défendent le processus électoral du Venezuela : https://albamovimientos.net/celebramos-la-democracia-defendemos-la-soberania-abrazamos-la-dignidad-del-bravo-pueblo-declaracion-de-apoyo-a-las-elecciones-presidenciales-en-venezuela/
  11. Communiqué de la Présidente du Honduras : https://twitter.com/XiomaraCastroZ/status/1773029865119154681
  12. Communiqué du Ministère des Affaires Étrangères de Bolivie du 30 mars 2024 : https://cancilleria.gob.bo/mre/2024/03/30/14485/
  13. Communiqué du Groupe de Puebla : https://www.grupodepuebla.org/comunicado-del-grupo-de-puebla-sobre-las-elecciones-presidenciales-en-venezuela/
  14. La Jornada : https://www.jornada.com.mx/noticia/2024/04/05/politica/venezuela-y-cuba-tienen-en-contra-a-toda-la-derecha-del-mundo-amlo-4492
  15. Déclarations du Ministère des Affaires Étrangères de la Chine : https://www.fmprc.gov.cn/eng/xwfw_665399/s2510_665401/202403/t20240329_11273709.htm
  16. Rencontre ONU/gouvernement bolivarien : https://twitter.com/yvangil/status/1775641308679307744
  17. https://twitter.com/VTVcanal8/status/1775935543374643471
  18. L’ambassade du Venezuela à Brasilia a demandé une réunion avec le gouvernement de Lula, estimant qu’il ne dispose pas « d’informations claires », et précise que la réunion se déroulera sur le même ton amical que d’habitude. La réunion s’est tenue avec Celso Amorim, conseiller en chef spécial de la présidence de la République au Brésil. Le Président Lula a expliqué à la presse, le 23 avril 2024, que la droite a enfin nommé un candidat unique aux présidentielles de juillet (écartant la putschiste Machado, inéligible), qu’il y aura des observateurs internationaux, que le Brésil en sera volontiers, et redemande aux USA – comme l’ont fait ses homologues colombien et mexicain, de lever les 936 « sanctions » pour favoriser le retour des migrants économiques.
  19. Continuité des relations Colombie/Venezuela : https://twitter.com/venezuelainfos/status/1777828843337679194. Sur la médiation vénézuélienne des négociations entre gouvernement colombien et guérilla : https://venezuela-news.com/eln-gobierno-petro-reuniran-venezuela-avanzar-proceso-paz/
  20. Zoe Pepper et Walter Smolarek, « Venezuela’s election in the crosshairs of new US regime change scheme » https://peoplesdispatch.org/2024/03/15/venezuelas-election-in-the-crosshairs-of-new-us-regime-change-scheme/
  21. Lorenzo Santiago, « Entenda por que Corina Yoris, motivo de discórdia com Brasil, não disputará as eleições da Venezuela », https://www.brasildefato.com.br/2024/04/03/entenda-por-que-corina-yoris-motivo-de-discordia-com-brasil-e-colombia-nao-disputara-as-eleicoes-da-venezuela
  22. Message vidéo de Juan Carlos Monedero : https://twitter.com/i/status/1774041151789527056
  23. Maria Corina Machado aurait pu choisir la troisième option prévue par la loi organique sur les processus électoraux : l’initiative individuelle. Dans ce cas, conformément aux dispositions de l’article 52, elle devait présenter au CNE des signatures de soutien correspondant à 05 % du nombre de votant(e)s enregistrés lors de la dernière élection, afin d’approuver sa candidature. La question est de savoir pourquoi elle ne l’a pas fait, surtout si comme elle l’affirme, elle a obtenu le soutien de plus de 2 millions d’électeurs lors de primaires organisées par son ONG… Voir aussi la déclaration du dirigeant de l’opposition Manuel Rosales : https://twitter.com/manuelrosalesg/status/1773115988612948270
  24. Voir https://twitter.com/elpoliticove/status/1780578535620427818
  25. Pour une « biographie non-autorisée » de Maria Corina Machado : https://twitter.com/latablablog/status/1773758289341280369
  26. Ce coup d’État est raconté dans le documentaire passionnant de Kim Bartley : « La révolution ne sera pas télévisée » (VO STF) : https://t.co/ieL3lUMVbQ
  27. « Ils ont brûlé vif mon fils parce qu’il était noir et chaviste », https://venezuelainfos.wordpress.com/2019/05/19/ils-ont-brule-vif-mon-fils-parce-quil-etait-noir-et-chaviste/
  28. Message audio de Maria Corina Machado : https://twitter.com/yvangil/status/1777086443879379106
  29. Déclaration d’Emmanuel Macron au Brésil : https://www.france24.com/es/francia/20240328-macron-culmina-su-visita-a-brasil-qu%C3%A9-acord%C3%B3-el-presidente-franc%C3%A9s-con-lula-da-silva. Sur l’histoire incroyable de Juan Guaido et les fourvoiements de Macron et de son ambassadeur à Caracas, on lira l’excellent «thriller» du journaliste Maurice Lemoine : « Juanito roi de la vermine », Le Temps des Cerises éditeur, 2023 https://www.amazon.fr/Juanito-vermine-Roi-du-Venezuela/dp/2370712759
  30. « Le Venezuela rejette l’intervention extérieure et la campagne de délégitimation du processus électoral » : https://venezuelanalysis.com/news/venezuela-rejects-foreign-interference-in-elections-denounces-us-delegitimization-campaign/

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/01/venezuela-douze-points-sur-les-i-delections-presidentielles/

(Vidéo ST FR) Coopération internationale avec la révolution bolivarienne : des architectes français et vénézuéliens créent un prototype novateur de logement.

Un prototype de logement révolutionnaire au Venezuela (sous-titres en français). Production: TERRA TV

Si « l’espace est politique » comme l’expliquait le philosophe Henri Lefebvre, cette question prend tout son sens dans la révolution bolivarienne, au Venezuela. Depuis plusieurs années le Laboratoire International d’Habitat Populaire (LIHP, Paris/Caracas) dirigé par Jean-François Parent et son équipe y travaille autour de la question du droit à la ville, et plus encore, du droit d’habiter en produisant un espace socialement et politiquement nouveaux. Ce prototype de logement est né du dialogue permanent du LIHP avec les acteurs sociaux, les communes urbaines, les autogouvernements populaires et différents organes gouvernementaux de la Révolution Bolivarienne (1). Avec, parmi les nombreux défis, celui de transformer la figure « centrale » de l’architecte en allié réflexif, créateur, des mouvements populaires.

La question de l’espace de vie allié à la participation populaire est une priorité pour le gouvernement révolutionnaire. En 2023, un total de quatre millions huit cent mille logements ont été construits pour les secteurs populaires dans le cadre de la « Grande Mission Logement » lancée par Hugo Chávez en 2012. Le président Maduro a indiqué que le gouvernement en construira 3 millions de plus entre 2025 et 2030, tout en insistant auprès du Ministre de l’Habitat et du Logement pour que soit renforcée la participation populaire dans ces (auto)constructions.

Le modèle proposé par le LIHP suppose d’industrialiser la filière du bois – une matière très disponible au Venezuela mais peu utilisée sur les chantiers. Avantages : le temps de construction très court (un mois environ), le fait qu’il s’agit d’une architecture sèche (pas besoin d’eau ni de ciment), légère, lumineuse, auto-ventilée, basée sur une structure de panneaux mobiles. L’espace est modifiable à souhait et adaptable aux contextes de vie et de travail les plus divers. Ce modèle arrive à point nommé pour répondre aux besoins de la population à un moment où le pays renoue avec la croissance, malgré la persistance d’un blocus économique occidental qui a réduit la disponibilité de certains matériaux et freiné l’essor de la grande mission logement.

Dans ce reportage réalisé par l’équipe de TERRA TV (sous-titré en français), plusieurs délégué(e)s de mouvements populaires, ainsi que le président du Laboratoire International pour l’Habitat Populaire, expliquent les nombreuses possibilités offertes par ce prototype. « Pour nous, le plus important, explique Jean-François Parent, est que ce prototype génère un débat dans l’ensemble de la société, dans sa diversité et ses contradictions, sur comment, à travers l’espace, transformer la société à laquelle nous appartenons. Produire une architecture populaire qui propose une libération culturelle à l’ensemble du corps social par de nouvelles formes d’habiter qui transforment nos relations à l’environnement, au sens large du terme.»

Thierry Deronne, Caracas, 19 mars 2024

Note :

(1) Le prototype d’unité familiale productive a été réalisé dans le cadre la mission confiée par le Gouvernement de l’État Bolivarien de Miranda au Laboratoire International pour l’Habitat Populaire au travers de l’alliance stratégique définie et signée en 2018 entre le Gouverneur Hector Rodriguez et Jean François Parent architecte. Étude et réalisation du Prototype : Equipe du LIHP – Laboratorio Internacional por el Habitat Popular. 25 rue Jean Jaurès, 93200 Saint-Denis, France. Au Venezuela : Parque Central, Torre Este, Piso 19, A.P. 1010, Caracas. Mail : contact@lihp.info / Site : http://www.lihp.info / @LIHP_FRANCE

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/03/19/video-st-fr-cooperation-internationale-avec-la-revolution-bolivarienne-des-architectes-francais-et-venezueliens-creent-un-prototype-novateur-de-logement/

Jemima Pierre : « L’Occident a encore peur des Noirs d’Haïti ». A propos du « laboratoire impérialiste » dénoncé par le Venezuela.

Au début du mois de mars 2024, devant les chefs d’État de la CELAC réunis à Kingstown (Saint-Vincent-et-les-Grenadines), le président vénézuélien Nicolás Maduro a dénoncé les nouvelles menaces qui pèsent sur le peuple haïtien : « Nous ne sommes pas d’accord avec une invasion, qu’elle soit ouverte ou camouflée. La solution, c’est que l’Amérique latine et les Caraïbes accompagnent, aident Haïti à suivre sa propre voie et à mettre en œuvre son propre modèle, à reconstruire son propre État, ses propres institutions, et renouer avec toutes les formes de coopération comme le programme de pétrole à bas prix PetroCaribe lancé par Chávez. ». Trois jours plus tard, à Caracas, il a poursuivi : « Combien d’interventions militaires les États-Unis ont-ils menées en Haïti ? Lorsque la renaissance du peuple haïtien s’est produite au début de ce siècle, nous nous sommes réveillés avec la nouvelle qu’un avion états-unien avait emmené, après l’avoir kidnappé, le président Aristide hors de son pays. Haïti a été démembré, martyrisé par l’interventionnisme impérialiste, ils l’ont détruit de l’intérieur. On parle aujourd’hui d’un soulèvement de gangs criminels. Mais qui les a dotés de tous ces fusils ? Ces armes sont venues massivement des États-Unis. À qui profite le chaos ? Qui veut une invasion ? Ce qui se passe en Haïti, ils l’ont tenté ici au Venezuela lors des déstabilisations de l’extrême droite, et veulent le refaire ici en cette année électorale… Le narco-chaos est une nouvelle forme de domination. »

« Guerre de gangs, spirale de la violence »… Le « présentisme » des médias sert à cacher l’intervention états-unienne contre Haïti. Nous publions ci-dessous l’analyse de la professeure haïtienne d’anthropologie Jemima Pierre qui dévoile le « laboratoire impérialiste » dénoncé par Cuba et par le Venezuela.

Si votre connaissance d’Haïti provient uniquement des médias occidentaux, vous pourriez être pardonné de croire aux affirmations suivantes :
« Haïti, un « État en faillite » envahi par la « violence des gangs », ne peut retrouver sa stabilité que par l’invasion d’une force militaire étrangère. »
« Haïti a un gouvernement souverain qui a l’autorité légale de demander une invasion militaire du pays pour « combattre les gangs. »
« Les États-Unis, en poussant le Kenya et les pays du CARICOM à mener une invasion armée étrangère en Haïti, agissent avec les meilleures intentions en Haïti et s’engagent à garantir la paix et la stabilité en Haïti et dans la région des Caraïbes. »
« La CARICOM agit en solidarité avec le peuple haïtien et soutient la souveraineté haïtienne. »

Aucune de ces déclarations n’est vraie. En fait, elles contribuent à obscurcir non seulement les motivations qui sous-tendent les récents appels à une intervention étrangère en Haïti, mais aussi la nature de la réalité politico-économique actuelle d’Haïti et l’histoire qui a permis à ce pays d’en arriver là. La répétition et la saturation de ces affirmations dans les médias, même dans la région des Caraïbes, a dupé une grande partie du monde en l’amenant à applaudir une intervention militaire étrangère en Haïti. La vérité est que, sous couvert d’aider Haïti, la souveraineté et l’indépendance de ce pays sont en fait en train d’être étouffées.

Que se passe-t-il donc en Haïti ? Pourquoi les États-Unis font-ils pression pour une nouvelle invasion militaire étrangère en Haïti ? Pourquoi les pays du CARICOM leur apportent-ils leur aide ? Plus important encore, pourquoi les États-Unis accordent-ils autant d’attention à la situation en Haïti ?

Comprendre ce qui se passe en Haïti, c’est comprendre à quel point l’agression impériale, occidentale, contre le peuple haïtien et la souveraineté haïtienne a été et reste constante. Cette agression se traduit par le fait qu’Haïti est actuellement sous occupation étrangère, et ce depuis vingt ans. Il ne s’agit pas d’une exagération. La seule solution à la crise actuelle en Haïti est la fin de l’occupation étrangère actuelle.
En 2004, Haïti a célébré le bicentenaire de son indépendance. La même année, l’indépendance d’Haïti a été contrecarrée par des puissances étrangères. Un an plus tôt, la France, le Canada et les États-Unis ont ourdi un complot lors des réunions de l' »Initiative d’Ottawa sur Haïti » pour renverser le gouvernement élu d’Haïti. Au petit matin du 29 février 2004, le complot s’est déroulé. Ce matin-là, le président Jean-Bertrand Aristide a été enlevé par des marines états-uniens et envoyé sur une base militaire en République centrafricaine. Ce jour-là, George W. Bush a annoncé qu’il envoyait des forces militaires en Haïti pour « aider à stabiliser le pays » et, dans la soirée, deux mille soldats états-uniens, français et canadiens étaient sur le terrain. La CARICOM, sous la direction du premier ministre jamaïcain P. J. Patterson, protesta vigoureusement contre le coup d’État.

La force d’invasion franco-américano-canadienne a ciblé et tué les partisans d’Aristide, a supervisé l’installation d’un premier ministre fantoche et a permis la formation d’une force paramilitaire qui a mis en place des escadrons de la mort anti-Aristide. Le coup d’État a ensuite été blanchi par les Nations Unies qui, sous la direction des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, les États-Unis et la France, ont voté l’envoi d’une mission de « maintien de la paix » en Haïti. La mission a été déployée dans le cadre d’un mandat « chapitre 7 » permettant aux soldats étrangers d’utiliser toute la force contre la population.L’ONU a pris le relais des forces états-uniennes et a créé la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), chargée de l’occupation militaire sous le couvert de « l’instauration de la paix et de la sécurité. »
Opération de plusieurs milliards de dollars, la MINUSTAH comptait, à tout moment, entre 6.000 et 12.000 militaires et policiers stationnés en Haïti, ainsi que des milliers de civils. L’aile militaire de la mission MINUSTAH était dirigée par le Brésil, qui fournissait la plus grande partie des soldats.Toutefois, cette force d’occupation militaire multinationale comprenait également des soldats de plusieurs pays des Caraïbes, d’Amérique du Sud et d’Afrique, dont l’Argentine, le Chili, la Colombie, la Jamaïque, la Grenade, le Bénin, le Burkina Faso, l’Égypte, la Côte d’Ivoire, le Nigeria, le Rwanda, le Sénégal, la Guinée, le Cameroun, le Niger et le Mali.

L’occupation de l’ONU sous la MINUSTAH a été marquée par sa brutalité à l’égard du peuple haïtien. Des civils ont été attaqués et assassinés. Des « soldats de la paix » ont commis des crimes sexuels.Les soldats de l’ONU ont déversé des déchets humains dans les rivières utilisées pour l’eau potable, déclenchant une épidémie de choléra qui a tué entre 10 000 et 40 000 personnes. L’ONU n’a jamais été tenue responsable de ces crimes contre le peuple haïtien.
L’occupation a été renforcée par la création et l’opérationnalisation du Core Group. Le Core Group est un groupe non élu d’étrangers originaires du Brésil, du Canada, de France, d’Espagne, des États-Unis et d’Allemagne qui s’est autoproclamé arbitre de la politique haïtienne. Ni neutre ni passif, le Core Group joue un rôle actif et interventionniste dans les affaires politiques quotidiennes d’Haïti. Il s’est efforcé d’étendre et de protéger les intérêts économiques étrangers en Haïti. Il n’a cessé d’intervenir dans les affaires politiques souveraines d’Haïti, souvent sans la collaboration ou le consentement du gouvernement haïtien.

On prétend que cette occupation a officiellement pris fin en 2017 avec le retrait officiel de la mission MINUSTAH. Pourtant, l’ONU est restée en Haïti par l’intermédiaire d’un nouveau bureau avec un nouvel acronyme : BINUH, le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti. Haïti est actuellement dirigé par un groupe d’étrangers non haïtiens, le Core Group et le bureau BINUH, ceux-là mêmes qui sont responsables de la destruction de sa démocratie.

L’occupation du Core Group est à l’origine de la situation difficile dans laquelle se trouve actuellement le pays. Les forces d’occupation ont supervisé l’effondrement complet de l’État haïtien tout en permettant à un groupe d’étrangers malhonnêtes – pays et entreprises, organisations non gouvernementales et multinationales – de reprendre les fragments brisés de l’économie politique haïtienne, en grande partie pour servir des intérêts étrangers. En fait, c’est sous cette occupation que les États-Unis et leurs alliés, la France et le Canada, ont installé le néo-duvaliériste Michel Martelly en 2011, au lendemain du tremblement de terre de 2010 ; le successeur de Martelly, Jovenel Moïse, en 2016 ; et l’actuel Premier ministre de facto non élu, Ariel Henry, après l’assassinat de Moïse en 2021.

Sous l’occupation du Core Group, la vie de l’Haïtien moyen s’est détériorée. Mais il faut aussi être clair : le peuple haïtien n’a pas pris l’occupation à la légère (1). L’un des aspects les moins médiatisés de la « crise » actuelle en Haïti est la protestation continue du peuple haïtien contre l’occupation et pour l’autodétermination. Le peuple a manifesté par centaines de milliers en 2004 après la destitution d’Aristide par les États-Unis, la France et le Canada. Il a protesté contre l’imposition d’un autre président illégitime, Jovenel Moïse, en 2015 et 2016. Ils ont protesté contre la corruption du parti politique de Martelly et Moïse, le PHTK, imposé par les États-Unis, en 2018 et 2019. Et ils ont protesté contre le premier ministre non élu et installé de facto par les États-Unis, Ariel Henry.

Depuis plus de deux ans maintenant, les États-Unis font pression pour un renforcement de la présence militaire en Haïti et ont protégé le gouvernement fantoche d’Ariel Henry, non élu et impopulaire, jusqu’à sa démission récente. Ils ont protégé ce gouvernement afin de continuer à contrôler Haïti. En fait, les gouvernements fantoches d’Haïti ont bien servi les États-Unis. Par exemple, c’est Ariel Henry qui a imposé la suppression des subventions au carburant pour la population, soutenue par le FMI, que les États-Unis préconisent depuis des années et qui a plongé le peuple haïtien dans une pauvreté encore plus grande.
Aujourd’hui, les États-Unis ont besoin de maintenir leur contrôle sur Haïti car le pays est stratégiquement important pour leurs objectifs géopolitiques – la poursuite de la militarisation de la région des Caraïbes et de l’Amérique latine en préparation de leur confrontation avec la Chine et la mise en œuvre de la loi sur les fragilités globales (Global Fragilities Act). Pourtant, les États-Unis ne sont pas disposés à poser leurs propres bottes sur le terrain, et se tournent d’abord vers le Canada, puis vers le Brésil, puis vers les pays de la CELAC et de la CARICOM, tous réticents à mener la mission, même s’ils ont soutenu l’appel à l’intervention militaire. Le gouvernement kenyan de William Ruto a sauté sur l’occasion de mener l’intervention, acheté par un sac d’argent et une tape d’approbation sur leur tête néolibérale. Haïti va maintenant être envahi par les États-Unis, mais avec la « face noire » du Kenya et des pays de la CARICOM comme couverture.

Les citoyens du Kenya et des pays du CARICOM ont-ils demandé à leurs gouvernements pourquoi les États-Unis, le Canada ou la France n’enverraient pas leurs propres soldats pour envahir et occuper Haïti cette fois-ci ? Les citoyens de ces pays ont-ils considéré que le « Premier ministre » de facto non élu, Ariel Henry (aujourd’hui démissionnaire, NdT), n’a aucune base légale pour appeler à une invasion étrangère d’Haïti ? Les citoyens de ces pays se sont-ils demandé se sont-ils demandé pourquoi les États-Unis ou l’ONU n’appellent pas à l’invasion armée d’un pays comme l’Équateur, où des gangs brutaux ont assiégé le pays, ou la Jamaïque, où l’état d’urgence est quasi permanent, ou les États-Unis eux-mêmes, où des fusillades de masse sont perpétrées chaque jour ? Les citoyens de ces pays se sont-ils demandé pourquoi les États-Unis ou les Nations unies n’appellent pas à l’invasion armée d’Israël, qui commet un génocide ?

Pourquoi Haïti ?

On nous dit que l’intérêt des États-Unis pour Haïti est humanitaire, que les États-Unis veulent protéger le peuple haïtien des « gangs criminels ». Pourtant, les armes états-uniennes ont inondé Haïti et les États-Unis ont constamment rejeté les appels à l’application effective de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU pour un embargo sur les armes contre les élites haïtiennes et états-uniennes qui importent des armes dans le pays. En outre, lorsque nous parlons de « gangs », nous devons reconnaître que les gangs les plus puissants du pays sont des filiales des États-Unis eux-mêmes : le Bureau intégré des Nations unies (BINUH) et le Core Group, les deux entités coloniales qui ont effectivement dirigé le pays depuis le coup d’État de 2004. C’est ce gang, le Core Group et son Premier ministre installé, Henry, qui, avec le bureau de l’ONU en Haïti, insiste sur cette solution violente à la crise dans le pays – une crise qu’ils ont eux-mêmes contribué à créer.

Alors qu’Haïti est confronté à une nouvelle invasion – cette fois-ci menée nominalement par le Kenya et les pays du CARICOM – je voudrais demander à la communauté caribéenne de réfléchir au vaste arsenal dont dispose l’empire états-unien pour convaincre le reste du monde d’accepter volontiers une nouvelle attaque contre la souveraineté haïtienne. Je voudrais également demander à la communauté caribéenne de prendre en considération le fait qu’une grande partie de ce que nous entendons sur Haïti aujourd’hui est une déformation – ou une fabrication pure et simple – de la réalité sociale et politique d’Haïti.

Document ci-dessus : Le 13 mars, le Southern Command déploie une unité d’élite des Marines des États-Unis à Port-au-Prince, en Haïti.

La plupart d’entre eux manquent de contexte historique, en particulier lorsqu’il s’agit de l’ingérence incessante des agents et institutions étrangers, pour comprendre la situation haïtienne. Elle repose en grande partie sur un racisme profond qui présume que les Noirs sont ingouvernables tout en s’opposant aux implications de l’engagement historique d’Haïti en faveur de la liberté des Noirs.
Dans le même temps, les protestations continues de la communauté haïtienne contre les troupes étrangères et l’ingérence occidentale témoignent de son courage inébranlable. Haïti est le théâtre de l’une des plus longues luttes au monde pour la libération des Noirs et l’indépendance anticoloniale. Cela explique l’assaut réactionnaire constant de l’empire états-unien contre le peuple haïtien, punissant ses tentatives répétées de souveraineté par des décennies d’instabilité destinées à garantir et à étendre l’hégémonie des Etats-Unis. Depuis deux siècles, la contre-insurrection impériale contre Haïti vise à mettre fin à l’expérience révolutionnaire la plus ambitieuse du monde moderne. Les tactiques déployées pour attaquer la souveraineté haïtienne ont été cohérentes et persistantes.

Alors que Linda Thomas-Greenfield, l’ambassadrice des États-Unis auprès des Nations Unies, était au Guyana le week-end dernier, en partie pour « continuer à rallier le soutien mondial à la mission multinationale de soutien à la sécurité (MSS) en Haïti », nous devons nous demander pourquoi les dirigeants de la CARICOM veulent participer à la destruction de la souveraineté et du peuple haïtiens. Et nous devons nous rappeler que la « crise » en Haïti a été créée et entretenue par les États-Unis et leurs alliés. Les pays de la CARICOM doivent s’opposer à l’occupation étrangère d’Haïti et ne pas prolonger la crise.

Après la démission d’Ariel Henry, les États-Unis sont en train de créer le nouveau « gouvernement » d’Haïti en donnant à leurs protégés de la bourgeoisie haïtienne de 24 à48 heures pour envoyer des noms à un « conseil présidentiel » dont la première priorité est de préparer le pays à une intervention armée étrangère.

Tout Haïtien participant à cette mascarade est un traître.

Jemima Pierre

L’auteure : D’origine haïtienne, Jemima Pierre est professeure d’anthropologie à l’UCLA, à l’Institut de justice sociale de l’université de Colombie-Britannique et associée de recherche au Centre d’étude de la race, du genre et de la classe sociale de l’université de Johannesburg. Coordinatrice pour Haïti/Amériques de l’Alliance Noire pour la Paix (Black Alliance for Peace)

Note:

(1) Lire https://venezuelainfos.wordpress.com/2019/02/17/la-revolution-qui-progresse-en-haiti-est-directement-liee-a-celle-du-venezuela/

Source : https://www.stabroeknews.com/2024/02/26/features/in-the-diaspora/why-is-caricom-betraying-haiti-on-behalf-of-the-u-s/

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/03/13/jemima-pierre-loccident-a-encore-peur-des-noirs-dhaiti-a-propos-du-laboratoire-imperialiste-denonce-par-le-venezuela/

Venezuela : les sept grandes transformations

Photo: Les présidents Lula et Maduro, le 2 mars 2024, à Kingstown (Saint-Vincent-et-les-Grenadines) pour le Sommet de la CELAC (Communauté des États latino-américains et des Caraïbes)

Depuis toujours, le président Lula est harcelé par le pouvoir médiatique au sujet du Venezuela, mais, contrairement à la gauche occidentale, il ose résister. Lors d’une conférence de presse avec son homologue espagnol Pedro Sanchez le 5 février à Brasilia, il a salué la décision du pays voisin de fixer la date des élections présidentielles au 28 juillet 2024 (fruit d’un dialogue de 97% des partis politiques et des acteurs de la société vénézuélienne). Élections, a-t-il rappelé, qui auront lieu en présence des observateurs internationaux (1). Le président du Brésil a conseillé de « cesser de pleurer » à la militante d’extrême droite Maria Corina Machado (liée au Likoud et aux déstabilisations violentes contre Chávez et Maduro), inéligible pour complicité de corruption avec Juan Guaido. Il lui a suggéré de laisser la droite choisir un autre candidat qu’elle. Un pied-de-nez aux États-Unis qui veulent l’imposer à tout prix.

Photo : Accord de « partenariat opérationnel » sur des thèmes comme « géopolitique et sécurité » entre deux partis d’extrême droite, le « Vente » vénézuélien de Maria Corina Machado, et le Likoud israélien.

Cette désobéissance aux injonctions des pouvoirs médiatique et impérial ne date pas d’aujourd’hui. Lula a déjà qualifié d’« excès de liberté » le record en nombre de scrutins organisés par le Venezuela depuis la révolution. En ce qui concerne le putschiste d’extrême droite Juan Guaido, lié à plusieurs tentatives de coups d’État, il avait déclaré qu’« avec tout ce qu’il a fait, il aurait dû aller en prison » (2). À noter qu’en 2012 Jimmy Carter qualifia le système électoral vénézuélien de « meilleur du monde » (3) et que les dernières élections, en 2021, ont été validées par l’ensemble des observateurs internationaux (4).

Mais au-delà de cette ligne de la lutte politique classique, « obligée », d’une démocratie représentative face aux pouvoirs de facto que sont les pouvoirs économique et militaire impériaux (blocus des USA, agressions paramilitaires et déstabilisations), ou le pouvoir médiatique (faire passer le Venezuela pour une dictature, l’isoler sur le plan mondial), la révolution bolivarienne travaille sur une deuxième ligne, stratégique, qui est son véritable objectif (et qui indiffère les médias) : poursuivre la refonte de l’État sur les bases du pouvoir direct des citoyen(ne)s, de l’économie productive diversifiée pour sortir de la dépendance du pétrole, de la justice sociale, de l’écosocialisme et de la participation au monde multipolaire.

Après un vaste processus de participation et de délibération populaires, le gouvernement bolivarien a approuvé le 26 février 2024 le Plan des sept transformations (7T). Il s’agissait avant tout d’une application du « pouvoir populaire en action », la forme politique constitutive du processus révolutionnaire bolivarien : plus de 60.000 assemblées communautaires, organisées dans tout le Venezuela selon la méthode de la Consultation, du Débat et de l’Action (CDA), ont discuté, intégré et finalisé le plan des 7T, jusqu’à son approbation finale dans ce que le président lui-même, Nicolás Maduro, a défini comme le moteur de la construction collective du socialisme en vue du développement du pays. La stratégie 7T couvre en fait tous les secteurs, les sphères économique, politique, sociale, environnementale, de paix et de sécurité.

Ces sept transformations sont les suivantes :

Transformation économique : modernisation des méthodes et des techniques de production, dans le but de consolider la diversification économique pour créer un nouveau modèle d’exportation.

Indépendance intégrale : actualisation et élargissement de la doctrine bolivarienne dans ses dimensions politique, culturelle, éducative, scientifique et technologique, dans le sens de l’autodétermination.

Consolidation de la paix et de la sécurité des citoyens : perfectionnement du modèle de coexistence civique, garantie de la justice, des droits humains et de la préservation de la paix.

Protection sociale : accélérer la consolidation, face aux conséquences dramatiques de la guerre économique, de l’État-providence, des missions bolivariennes, qui sont l’une des « valeurs » du Venezuela bolivarien.

Repolitisation : le blocus et ses effets sociaux (migrations, lutte pour la survie, ainsi que le surgissement de la nouvelle génération travaillée par les réseaux sociaux du capitalisme) rendent prioritaire la nécessité de renouveler la centralité de la dimension politique, et de consolider la démocratie participative et directe, qui est une autre des caractéristiques du processus bolivarien. Au début de 2024, le président Maduro a demandé à ses ministres « d’accélérer le transfert du pouvoir politique aux organisations populaires ».

Écologie : lutter contre la crise climatique, sensibiliser et protéger la population de l’impact environnemental, protéger l’Amazonie et les réserves naturelles face aux destructions telles que l’orpaillage. Plusieurs actions des forces armées ont permis de démanteler des réseaux extractivistes clandestins qui détruisaient et empoisonnaient les parcs naturels du sud du pays.

Géopolitique multipolaire : positionner le Venezuela dans la nouvelle configuration mondiale, à la fois en relançant l’intégration latino-américaine et caribéenne et en participant aux grandes stratégies de développement de la zone des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Le Venezuela a d’ailleurs formalisé sa demande d’adhésion aux BRICS lors du sommet de Johannesburg.

Photo : durant sa cinquième visite en Chine du 8 au 14 septembre 2023, qui a porté les relations bilatérales au plus haut niveau – « de tous temps et à toute épreuve » que la Chine réserve aux alliés stratégiques -, le Président Maduro s’est également entretenu avec le directeur général du Centre international de réduction de la pauvreté de Chine, Liu Junwen (5).

La stratégie de ces sept transformations s’inscrit dans un cadre stratégique plus large visant, comme l’a rappelé Maduro lui-même, à « accélérer la transition d’une économie dépendante du pétrole à une économie qui vise un processus de croissance bien au-delà du pétrole, qui vise à satisfaire d’abord les besoins matériels du pays ». En effet, le pétrole reste la principale source de richesse du Venezuela, et c’est pour cette raison qu’il est le secteur le plus directement visé par les mesures coercitives (unilatérales et illégitimes) imposées par les États-Unis.

Les « sanctions » contre l’industrie pétrolière vénézuélienne imposées par les États-Unis ont fait chuter la production d’environ trois millions de barils de pétrole par jour (2010) à 500 000 (2020). Ce déclin a entraîné une chute de 95% des ressources de l’État. En visite récemment au Venezuela, le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, Michael Fakhari, a déclaré que « les mesures coercitives unilatérales sous forme de sanctions économiques ont limité fortement la capacité à mettre en œuvre des programmes de protection sociale et à fournir des services publics de base ».

C’est pourquoi, avec le plan 7T, la diversification économique et productive prend une dimension centrale. Un « Agenda économique bolivarien » a été défini, divisé en dix-huit moteurs productifs : agroalimentaire ; pharmaceutique ; industrie ; exportations ; économie municipale, sociale et socialiste ; hydrocarbures ; pétrochimie ; mines ; tourisme ; construction ; sylviculture ; défense ; télécommunications et technologies de l’information ; banque ; industries de base, stratégiques et socialistes ; automobile ; crypto-monnaies ; et entreprenariat productif. L’objectif est la construction d’un modèle économique renouvelé, basé sur la diversification de la production et suivant une orientation socialiste.

06.03.24 – Gianmarco Pisa / Venezuelainfos

Notes :

  1. Le Centre National Électoral du Venezuela a invité la CELAC, la Communauté des Caraïbes (CARICOM), l’Union interaméricaine des organisations électorales (UNIORE), le Groupe d’experts des Nations Unies, l’Union africaine, l’Union européenne et le Centre Carter : https://venezuela-news.com/cne-anuncia-convocatoria-de-observacion-internacional/
  2. https://venezuelainfos.wordpress.com/2020/04/09/lex-president-lula-maduro-est-un-leader-democratique-guaido-devrait-etre-en-prison-le-blocus-etats-unien-tue-des-civils/
  3. https://venezuelanalysis.com/news/7272/
  4. https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/11/23/venezuela-alors-que-les-observateurs-internationaux-saluent-la-haute-transparence-du-scrutin-des-leaders-de-la-droite-appellent-a-tourner-la-page-du-putschisme-de-guaido/
  5. https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/09/13/les-relations-sino-venezueliennes-a-un-niveau-historique/

Références:

Gabriel Ovalles, Las 7 Transformaciones: rumbo al desarrollo del país, Ministerio del Poder Popular para el Proceso Social de Trabajo, 19.02.2024: www.mpppst.gob.ve/mpppstweb/index.php/2024/02/19/rumbo-al-desarrollo-del-pais

Lucas Estanislau, Com Zonas Econômicas Especiais, Venezuela quer superar bloqueio e dependência petroleira, Brasil de Fato, 10.07.2022: www.brasildefato.com.br/2022/07/10/com-zonas-economicas-especiais-venezuela-quer-superar-bloqueio-e-dependencia-petroleira

Prensa MPP- Despacho (ICA 21.09.2023), “Presidente Maduro insta a revisar y evaluar los 18 motores de la Agenda Económica Bolivariana”, 21.09.2023:

www.presidencia.gob.ve/Site/Web/Principal/paginas/classMostrarEvento3.php?id_evento=25229

TeleSUR – MS, “Venezuela aprueba el Plan de las Siete Transformaciones”, 27.02.2024: www.telesurtv.net/news/venezuela-aprueba-el-plan-de-las-siete-transformaciones-20240227-0001.html

Redazione, “Il relatore speciale delle Nazioni Unite chiede la revoca delle sanzioni contro il Venezuela”, l’AntiDiplomatico, 15.02.2024:

www.lantidiplomatico.it/dettnews-il_relatore_speciale_delle_nazioni_unite_chiede_la_revoca_delle_sanzioni_contro_il_venezuela/45289_53045

Source de cet article : https://www.pressenza.com/fr/2024/03/venezuela-les-sept-grandes-transformations/

Merci à Bernard Tornare https://b-tornare.overblog.com/

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/03/08/venezuela-les-sept-grandes-transformations/

Sandino, retour vers le futur (L’Huma Magazine, février 2024)

A l’occasion des 90 ans de l’assassinat du général nicaraguayen Augusto C. Sandino sur ordre de Washington, L’Humanité Magazine m’a demandé de lui consacrer un article. J’y mets en lumière un Sandino méconnu : constructeur de communes autogérées dans les zones libérées par sa guérilla paysanne, suivant une vision très proche des communes populaires organisées aujourd’hui au Venezuela; et prophète, avec son « Plan pour la réalisation du rêve suprême de Bolivar », des politiques de coopération reprises par la gauche latino-américaine, en particulier sous l’impulsion d’Hugo Chávez. Le 21 février, j’ai prononcé à l’Institut Simon Bolivar à Caracas une conférence intitulée « De Sandino a Chávez » pour développer cette continuité historique (photos ci-dessous)

Le 19 juillet 1979, lorsque s’effondre la dictature des Somoza – longue de près de 45 ans – et qu’entrent à Managua, juchés sur des blindés, les guérilleros du Front Sandiniste, les Nicaraguayens euphoriques découvrent à la télévision l’image en noir et blanc d’un général qui enlève et remet son chapeau. Ce salut de quelques secondes, passé en boucle, est l’unique image en mouvement de Sandino. Revanche pour celui que la longue nuit du somozisme a tenté d’expulser de l’Histoire après son assassinat perpétré sur ordre de Washington, il y a 90 ans, le 21 février 1934.

Dans Augusto C. Sandino, le « C » ne vient pas comme on le lit parfois de « César » mais de «  Calderon » – nom de sa mère, domestique au service d’un propriétaire terrien. De leur relation, le « bâtard » naît en 1895 dans le village de Niquinohomo, à une trentaine de kilomètres de la capitale du Nicaragua. « J’ai ouvert les yeux dans la misère et j’ai grandi dans la misère. Dès que j’ai pu marcher, je l’ai fait sous les plantations de café en aidant ma mère (…) C’est ainsi que j’ai grandi, ou peut-être est-ce pour cela que je n’ai pas grandi. »

C’est là qu’à 17 ans, en 1912, il voit passer le corps mutilé du général patriote Benjamin Zeledón –  un des chefs de l’insurrection contre le président fantoche Adolfo Diaz, agent des Etats-unis -, fusillé par les Marines intervenus massivement dans le pays, emmené dans une charrette à bœufs : « cela m’a donné la clé de la situation nationale ». Travailleur migrant, il part au Guatemala où il est témoin des exactions de la United Fruit Company (1) , empire de la production bananière qui domine déjà l’économie de l’Amérique Centrale. Puis il se fond parmi les travailleurs de la Huasteca Petroleum Company au Mexique, où il apprend énormément des luttes syndicales, au moment où parviennent les vents de l’anarchosyndicalisme, des utopies socialistes, de l’anti-impérialisme et de la révolution soviétique. La déflagration révolutionnaire du Mexique (1910), la grande rédemption des paysans sans terre et des peuples indigènes autour d’hommes à cheval comme Emiliano Zapata et Pancho Villa, le marquent profondément. Sandino y reconnaît la ligne insurrectionnelle initiée au Nicaragua par les leaders de la résistance indigène Diríangén et Nicarao lors de la Conquista espagnole au XVIe siècle, rallumée en 1881 par la rébellion, brutalement réprimée, du peuple indigène Matagalpa qui défend sa terre.

De retour dans sa patrie, Sandino s’enrôle dans l’armée des libéraux en guerre contre les conservateurs. Jusqu’au jour où il décide de rompre avec ce bipartisme de grands propriétaires terriens qui ne voient dans le paysan qu’une chair à canon pour leurs batailles du «pouvoir pour le pouvoir». Il refuse de signer le Pacte de l' »Espino Negro » qui place le pays sous la coupe des États-Unis. « Je ne me vends pas, je ne me rends pas. Patrie libre ou mourir ».

Autour d’un drapeau rouge pour la liberté et noir pour la mort, avec une poignée de mineurs, de paysans et d’artisans, avec toutes et tous ceux qu’ont invisibilisés des siècles de colonialisme, il lance en 1927 sa « guerre de libération nationale ». Le «  général des hommes libres », comme l’appelle l’écrivain communiste français Henri Barbusse, est un homme sûr de lui. Pour les paysans indigènes, il est le « huehualt », le vieux sage . “Justicia, redención, dignidad, libertad” : sa langue fluide parle aux exclus. Autodidacte, Sandino se forge une solide philosophique politique qui va de Bolivar a Lénine. Il entre dans la franc-maconnerie, étudie les alternatives aux religions de l’oppresseur, cherche dans la théosophie – utopie mystique de la fraternité et de l’égalité, les fondements de sa «commune universelle». Il s’intéresse à Gandhi, médite, croit dans la télépathie et dans la réincarnation. Mais son Dieu est anticlérical, c’est le Dieu des pauvres, et la cohésion de son armée repose sur l' »abrazo », l’accolade simple des « hermanos » – frères en toute chose.

Bien avant Guernica (1937), la première frappe aérienne contre une population civile a lieu à Ocotal, en 1927, lorsque les États-Unis bombardent un village où sont retranchés les combattants sandinistes. Sandino comprend qu’une guerre frontale est vouée à l’échec. Il réorganise sa guérilla dans les montagnes profondes de Nueva Segovia, au nord, près de la frontière avec le Honduras, et recrute des milliers de soldats parmi les paysans exploités, humiliés, dont les terres sont volées par les grands propriétaires, formant progressivement une « Armée de Défense de la Souveraineté Nationale ». « Nous ne sommes pas des militaires. Nous sommes du peuple, nous sommes des citoyens armés. Nous irons jusqu’au soleil de la liberté ou jusqu’à la mort ; et si nous mourons, notre cause continuera à vivre. ».

La « petite armée folle », comme l’a appelée la poétesse chilienne Gabriela Mistral, affronte les compagnies états-uniennes – dont la United Fruit – et déstabilise les Marines qui ne soupçonnent pas que derrière les cris d’oiseaux se cache le « télégraphe » de la guérilla. Le « Chœur des Anges », brigade d’enfants, accompagne les embuscades d’un tintamarre qui fait croire que la troupe sandiniste est plus nombreuse. Les prostituées recueillent les confidences des occupants sur l’oreiller.

Face à cette armée insaisissable, les Marines répondent par la terreur, ce qui ne fait que grossir les rangs des rebelles. Au contre-amiral Sellers qui lui propose de renoncer au combat, Sandino répond : « La souveraineté d’un peuple ne se discute pas, elle se défend les armes à la main. » En 1933, après six ans de guerre, les États-Unis retirent enfin leurs troupes non sans avoir armé, entraîné et installé derrière eux « leur » Garde Nationale. Un an plus tard, alors que Sandino s’est rendu à Managua pour signer la paix avec le président libéral Sacasa, il est trahi et assassiné sur ordre de Washington par le directeur de ce corps répressif, Anastasio Somoza García.

Sandino était-il un « bandit », « un assassin communiste » comme le martèleront les manuels scolaires de la dictature somoziste pendant 40 ans ?  « Un naïf », « un aventurier », un « caudillo bourgeois anticolonial » comme pontifiera une gauche liée à Moscou au moment où l’Internationale Communiste décida de substituer à sa ligne anti-impérialiste une ligne exclusive de «classe contre classe» ?

Pour comprendre Sandino, mieux vaut le conjuguer au futur. Dès 1932, il annonce son projet de créer des coopératives dans les zones libérées. Dans un continent où les élites ont les yeux fixés sur le nord, Sandino chambarde la politique. Son armée de paysan(ne)s ébauche une nouvelle géométrie du pouvoir qui puise aux racines du socialisme communard et du bien commun indigène. « La propriété privée est la source des guerres fratricides », explique-t-il. Là où les Yankees semaient la mort et la destruction, le travail agricole des combattant(e)s permet de créer l’embryon d’une société communautaire, autogérée, avec réseau de santé, logements décents, réfectoires communs, écoles d’alphabétisation. Les coopératives sandinistes sont d’authentiques communes, conçues pour vivre et produire collectivement. En faisant la guerre, en résistant, en cultivant, les nombreuses femmes qui se sont jointes à la rébellion acquièrent un statut nouveau. Sans être féministe au sens strict, le mouvement sandiniste marque pour elles le début d’un processus d’autodétermination, en rupture avec une société archaïque, violente, patriarcale, qui les avait complètement annulées. C’est sur cette base populaire que Sandino rêve de construire l’État nouveau. A Wiwili, sur les rives du Rio Coco qui connecte la paysannerie du nord avec les peuples autochtones de la côte caraïbe, il crée un modèle de coopératives qu’il envisage d’étendre peu à peu vers la région atlantique puis, pourquoi pas, au-delà du Nicaragua.

Pour l’élite des États-Unis comme pour l’oligarchie locale, Sandino n’est pas seulement le guérillero à abattre, mais le leader d’une dangereuse révolution qui rend le pouvoir au peuple et dont l’économie oppose la petite propriété aux « latifundios », vastes domaines agricoles aux mains d’une poignée de seigneurs féodaux qui exploitent jusqu’au sang les travailleurs journaliers 

Quelques heures après l’avoir assassiné, la Garde Nationale détruit les coopératives sandinistes et massacre tous leurs membres, y compris les personnes âgées, les femmes et les enfants. Jusqu’en 1979, la dynastie somoziste devient la « grande propriétaire » exclusive des secteurs clefs d’une économie où les relations de production s’apparentent plus au féodalisme qu’au capitalisme.

Une autre prophétie de Sandino inquiète l’Empire : « l’avènement du Nicaragua comme nation latino-américaine », un concept nourri par ses lectures bolivariennes. «  Profondément convaincu que le capitalisme américain a atteint la dernière étape de son développement en se transformant, par conséquent, en impérialisme ; qu’il ne tient plus compte des théories du droit et de la justice ; qu’il méconnaît les principes absolus d’indépendance de chaque section de la nation latino-américaine, nous considérons, écrit-il, que l’Alliance des nationalités latino-américaines nous est encore plus indispensable.»

En 1929, il envoie aux présidents latino-américains son « Plan pour la réalisation du rêve suprême de Bolivar » : une alliance des 21 nations latino-américaines avec conférence permanente de ses dirigeants, constitution d’une Cour de justice latino-américaine pour régler les litiges entre nations, citoyenneté latino-américaine, force de défense commune, base navale et canal interocéanique au service de tous, réparations pour les destructions causées par les États-Unis. Sans oublier la banque latino-américaine pour « financer, sans dépendre de l’extérieur, la construction d’ouvrages et de moyens de communication et de transport », l’union douanière pour stimuler le marché intérieur et « l’appui au tourisme latino-américain afin de promouvoir la connaissance mutuelle entre nos citoyens ». 44 articles au total qui prennent aujourd’hui tout leur sens, à l’heure de la révolution bolivarienne, de l’Alliance Bolivarienne pour les Peuples de nos Amériques (ALBA, créée en 2004), de la Communauté des États Latino-Américains et des Caraïbes (CELAC, 2010) et de l’Union des Nations Sud-américaines (UNASUR, 2008).

En 1934, Somoza fait disparaître le corps de Sandino et de ses compagnons, jamais retrouvés. Le désespoir s’abat sur les quelques survivant(e)s. Mais l’histoire de l’Amérique latine est une course de relais.

Trente ans plus tard, Carlos Fonseca Amador, le fils myope d’une couturière de Matagalpa, réveille la mémoire de l’Armée de Défense de la Souveraineté Nationale jusqu’à en faire l’acte de naissance du Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN, créé en 1961). Fonseca sait que « la mémoire de Sandino est plus vivante chez les paysans que chez l’habitant des villes ». Il rencontre des survivants comme Santos Lopez qui a combattu sous les ordres directs de Sandino. Pendant des années, Fonseca et son équipe recherchent, étudient tout ce qui reste des écrits du « général des hommes libres ». C’est l’époque du Che, et la rébellion des années 1930 confirme le caractère crucial de la guérilla pour la victoire des peuples sur l’impérialisme. Mais aussi, en fin de compte, l’unité nationale comme stratégie fondamentale. La réflexion historique de Fonseca nourrit l’école de cadres du FSLN et contribue puissamment à la victoire de 1979.

Au journaliste basque Ramón de Belausteguigoitia venu l’interviewer dans ses montagnes du nord en 1933, le général rebelle décrit une vision qui garde son mystère: « Depuis l’origine du monde, la terre n’a cessé d’évoluer. Mais c’est ici, en Amérique centrale, que je vois une formidable transformation… Je vois quelque chose que je n’ai jamais dit auparavant… (…) le Nicaragua enveloppé d’eau. Une immense dépression venant du Pacifique… Les volcans au-dessus seulement… Comme si une mer se vidait dans une autre. »

De la fraternité des communes autogérées à l’alliance entre nations-sœurs, la vision de Sandino a gardé sa puissance d’avenir. Celle d’un monde multipolaire, libéré du mythe occidental d’un «centre», avec ses «marges» et ses «périphéries».

T.D., Caracas, 18 février 2024.

Aperçu de l’édition enrichie de nombreuses photos. Pour celles et ceux qui souhaiteraient acheter la version numérique de cette édition de l’HM (avec l’article en p. 76-81) et une mise en page plus riche que la version Web, c’est ici : https://kiosque.humanite.fr/detail/publication/detail-top-right/17?issue_id=167775&switch_toc=archive. Pour une version résumée de l’article : https://www.humanite.fr/histoire/amerique-latine/nicaragua-augusto-sandino-le-sillon-de-la-revolution

L’auteur : Thierry Deronne, Cinéaste, universitaire, licencié en communications sociales http://ihecs.be. A vécu au Nicaragua (1986-88) et réside au Venezuela depuis 1994. Compte «X» : https://twitter.com/venezuelainfos

Notes:

(1) Voir « l’HD » n°641 du 10 janvier 2019 et sur humanite.fr, « 1899, naissance de la United Fruit Company. Bananes, massacres et coups d’État », par Marc de Miramon.

(2) Pour une iconographie intégrale, voir https://acsandino.org.ni/libro-fotos/ (livre de photos téléchargeable en PDF sur le site du petit-fils de Sandino) et http://www.sandinorebellion.com/index.htm (site états-unien).

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