Venezuela : les sept grandes transformations

Photo: Les présidents Lula et Maduro, le 2 mars 2024, à Kingstown (Saint-Vincent-et-les-Grenadines) pour le Sommet de la CELAC (Communauté des États latino-américains et des Caraïbes)

Depuis toujours, le président Lula est harcelé par le pouvoir médiatique au sujet du Venezuela, mais, contrairement à la gauche occidentale, il ose résister. Lors d’une conférence de presse avec son homologue espagnol Pedro Sanchez le 5 février à Brasilia, il a salué la décision du pays voisin de fixer la date des élections présidentielles au 28 juillet 2024 (fruit d’un dialogue de 97% des partis politiques et des acteurs de la société vénézuélienne). Élections, a-t-il rappelé, qui auront lieu en présence des observateurs internationaux (1). Le président du Brésil a conseillé de « cesser de pleurer » à la militante d’extrême droite Maria Corina Machado (liée au Likoud et aux déstabilisations violentes contre Chávez et Maduro), inéligible pour complicité de corruption avec Juan Guaido. Il lui a suggéré de laisser la droite choisir un autre candidat qu’elle. Un pied-de-nez aux États-Unis qui veulent l’imposer à tout prix.

Photo : Accord de « partenariat opérationnel » sur des thèmes comme « géopolitique et sécurité » entre deux partis d’extrême droite, le « Vente » vénézuélien de Maria Corina Machado, et le Likoud israélien.

Cette désobéissance aux injonctions des pouvoirs médiatique et impérial ne date pas d’aujourd’hui. Lula a déjà qualifié d’« excès de liberté » le record en nombre de scrutins organisés par le Venezuela depuis la révolution. En ce qui concerne le putschiste d’extrême droite Juan Guaido, lié à plusieurs tentatives de coups d’État, il avait déclaré qu’« avec tout ce qu’il a fait, il aurait dû aller en prison » (2). À noter qu’en 2012 Jimmy Carter qualifia le système électoral vénézuélien de « meilleur du monde » (3) et que les dernières élections, en 2021, ont été validées par l’ensemble des observateurs internationaux (4).

Mais au-delà de cette ligne de la lutte politique classique, « obligée », d’une démocratie représentative face aux pouvoirs de facto que sont les pouvoirs économique et militaire impériaux (blocus des USA, agressions paramilitaires et déstabilisations), ou le pouvoir médiatique (faire passer le Venezuela pour une dictature, l’isoler sur le plan mondial), la révolution bolivarienne travaille sur une deuxième ligne, stratégique, qui est son véritable objectif (et qui indiffère les médias) : poursuivre la refonte de l’État sur les bases du pouvoir direct des citoyen(ne)s, de l’économie productive diversifiée pour sortir de la dépendance du pétrole, de la justice sociale, de l’écosocialisme et de la participation au monde multipolaire.

Après un vaste processus de participation et de délibération populaires, le gouvernement bolivarien a approuvé le 26 février 2024 le Plan des sept transformations (7T). Il s’agissait avant tout d’une application du « pouvoir populaire en action », la forme politique constitutive du processus révolutionnaire bolivarien : plus de 60.000 assemblées communautaires, organisées dans tout le Venezuela selon la méthode de la Consultation, du Débat et de l’Action (CDA), ont discuté, intégré et finalisé le plan des 7T, jusqu’à son approbation finale dans ce que le président lui-même, Nicolás Maduro, a défini comme le moteur de la construction collective du socialisme en vue du développement du pays. La stratégie 7T couvre en fait tous les secteurs, les sphères économique, politique, sociale, environnementale, de paix et de sécurité.

Ces sept transformations sont les suivantes :

Transformation économique : modernisation des méthodes et des techniques de production, dans le but de consolider la diversification économique pour créer un nouveau modèle d’exportation.

Indépendance intégrale : actualisation et élargissement de la doctrine bolivarienne dans ses dimensions politique, culturelle, éducative, scientifique et technologique, dans le sens de l’autodétermination.

Consolidation de la paix et de la sécurité des citoyens : perfectionnement du modèle de coexistence civique, garantie de la justice, des droits humains et de la préservation de la paix.

Protection sociale : accélérer la consolidation, face aux conséquences dramatiques de la guerre économique, de l’État-providence, des missions bolivariennes, qui sont l’une des « valeurs » du Venezuela bolivarien.

Repolitisation : le blocus et ses effets sociaux (migrations, lutte pour la survie, ainsi que le surgissement de la nouvelle génération travaillée par les réseaux sociaux du capitalisme) rendent prioritaire la nécessité de renouveler la centralité de la dimension politique, et de consolider la démocratie participative et directe, qui est une autre des caractéristiques du processus bolivarien. Au début de 2024, le président Maduro a demandé à ses ministres « d’accélérer le transfert du pouvoir politique aux organisations populaires ».

Écologie : lutter contre la crise climatique, sensibiliser et protéger la population de l’impact environnemental, protéger l’Amazonie et les réserves naturelles face aux destructions telles que l’orpaillage. Plusieurs actions des forces armées ont permis de démanteler des réseaux extractivistes clandestins qui détruisaient et empoisonnaient les parcs naturels du sud du pays.

Géopolitique multipolaire : positionner le Venezuela dans la nouvelle configuration mondiale, à la fois en relançant l’intégration latino-américaine et caribéenne et en participant aux grandes stratégies de développement de la zone des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Le Venezuela a d’ailleurs formalisé sa demande d’adhésion aux BRICS lors du sommet de Johannesburg.

Photo : durant sa cinquième visite en Chine du 8 au 14 septembre 2023, qui a porté les relations bilatérales au plus haut niveau – « de tous temps et à toute épreuve » que la Chine réserve aux alliés stratégiques -, le Président Maduro s’est également entretenu avec le directeur général du Centre international de réduction de la pauvreté de Chine, Liu Junwen (5).

La stratégie de ces sept transformations s’inscrit dans un cadre stratégique plus large visant, comme l’a rappelé Maduro lui-même, à « accélérer la transition d’une économie dépendante du pétrole à une économie qui vise un processus de croissance bien au-delà du pétrole, qui vise à satisfaire d’abord les besoins matériels du pays ». En effet, le pétrole reste la principale source de richesse du Venezuela, et c’est pour cette raison qu’il est le secteur le plus directement visé par les mesures coercitives (unilatérales et illégitimes) imposées par les États-Unis.

Les « sanctions » contre l’industrie pétrolière vénézuélienne imposées par les États-Unis ont fait chuter la production d’environ trois millions de barils de pétrole par jour (2010) à 500 000 (2020). Ce déclin a entraîné une chute de 95% des ressources de l’État. En visite récemment au Venezuela, le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, Michael Fakhari, a déclaré que « les mesures coercitives unilatérales sous forme de sanctions économiques ont limité fortement la capacité à mettre en œuvre des programmes de protection sociale et à fournir des services publics de base ».

C’est pourquoi, avec le plan 7T, la diversification économique et productive prend une dimension centrale. Un « Agenda économique bolivarien » a été défini, divisé en dix-huit moteurs productifs : agroalimentaire ; pharmaceutique ; industrie ; exportations ; économie municipale, sociale et socialiste ; hydrocarbures ; pétrochimie ; mines ; tourisme ; construction ; sylviculture ; défense ; télécommunications et technologies de l’information ; banque ; industries de base, stratégiques et socialistes ; automobile ; crypto-monnaies ; et entreprenariat productif. L’objectif est la construction d’un modèle économique renouvelé, basé sur la diversification de la production et suivant une orientation socialiste.

06.03.24 – Gianmarco Pisa / Venezuelainfos

Notes :

  1. Le Centre National Électoral du Venezuela a invité la CELAC, la Communauté des Caraïbes (CARICOM), l’Union interaméricaine des organisations électorales (UNIORE), le Groupe d’experts des Nations Unies, l’Union africaine, l’Union européenne et le Centre Carter : https://venezuela-news.com/cne-anuncia-convocatoria-de-observacion-internacional/
  2. https://venezuelainfos.wordpress.com/2020/04/09/lex-president-lula-maduro-est-un-leader-democratique-guaido-devrait-etre-en-prison-le-blocus-etats-unien-tue-des-civils/
  3. https://venezuelanalysis.com/news/7272/
  4. https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/11/23/venezuela-alors-que-les-observateurs-internationaux-saluent-la-haute-transparence-du-scrutin-des-leaders-de-la-droite-appellent-a-tourner-la-page-du-putschisme-de-guaido/
  5. https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/09/13/les-relations-sino-venezueliennes-a-un-niveau-historique/

Références:

Gabriel Ovalles, Las 7 Transformaciones: rumbo al desarrollo del país, Ministerio del Poder Popular para el Proceso Social de Trabajo, 19.02.2024: www.mpppst.gob.ve/mpppstweb/index.php/2024/02/19/rumbo-al-desarrollo-del-pais

Lucas Estanislau, Com Zonas Econômicas Especiais, Venezuela quer superar bloqueio e dependência petroleira, Brasil de Fato, 10.07.2022: www.brasildefato.com.br/2022/07/10/com-zonas-economicas-especiais-venezuela-quer-superar-bloqueio-e-dependencia-petroleira

Prensa MPP- Despacho (ICA 21.09.2023), “Presidente Maduro insta a revisar y evaluar los 18 motores de la Agenda Económica Bolivariana”, 21.09.2023:

www.presidencia.gob.ve/Site/Web/Principal/paginas/classMostrarEvento3.php?id_evento=25229

TeleSUR – MS, “Venezuela aprueba el Plan de las Siete Transformaciones”, 27.02.2024: www.telesurtv.net/news/venezuela-aprueba-el-plan-de-las-siete-transformaciones-20240227-0001.html

Redazione, “Il relatore speciale delle Nazioni Unite chiede la revoca delle sanzioni contro il Venezuela”, l’AntiDiplomatico, 15.02.2024:

www.lantidiplomatico.it/dettnews-il_relatore_speciale_delle_nazioni_unite_chiede_la_revoca_delle_sanzioni_contro_il_venezuela/45289_53045

Source de cet article : https://www.pressenza.com/fr/2024/03/venezuela-les-sept-grandes-transformations/

Merci à Bernard Tornare https://b-tornare.overblog.com/

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/03/08/venezuela-les-sept-grandes-transformations/

« En 2024, le Venezuela se prépare à une grande victoire électorale » : l’interview de Nicolas Maduro par Ignacio Ramonet

Alors que le monde reste sous le coup des conflits en Ukraine et à Gaza, l’actualité ne s’est pas arrêtée au Venezuela. Tout au contraire. L’actualité s’est accélérée et même précipitée ces dernières semaines à Caracas, qui est revenue à la une des grands médias internationaux.
Après les accords inattendus entre le parti au pouvoir et l’opposition extraparlementaire à la Barbade en octobre dernier, et la suspension par Washington de plusieurs mesures coercitives unilatérales contre le Venezuela, les tensions avec le Guyana se sont intensifiées lorsque les autorités de ce pays, en alliance avec ExxonMobil et la marine états-unienne, ont multiplié les provocations dans la région – revendiquée par le Venezuela depuis deux siècles – de l’Esequibo.

Le succès du référendum du 3 décembre au Venezuela sur cette revendication territoriale a été suivi par la signature des accords d’Argyle entre les présidents du Venezuela et du Guyana. Mais l’arrivée récente d’un navire de guerre britannique dans les eaux de la région, en contradiction avec les accords d’Argyle, a considérablement ravivé les tensions et les dangers.
Au milieu de ces turbulences, le Venezuela a remporté un succès diplomatique majeur le 20 décembre avec la libération d’Alex Saab, qui avait été injustement kidnappé et retenu en otage par les États-Unis pendant près de quatre ans. Nous avons entrepris de parler au président Nicolás Maduro de tout cela, et de bien d’autres questions importantes. Celui-ci a une fois de plus accepté, avec beaucoup de gentillesse, de nous accorder cette désormais traditionnelle interview du premier janvier.

Ignacio Ramonet : Monsieur le Président, bonsoir. Merci beaucoup d’avoir accepté cette invitation à cette nouvelle édition, qui est déjà la septième ou huitième, de notre « premier entretien de l’année ».

Président Nicolás Maduro : Oui, cette interview est toujours une très bonne occasion de faire un bilan réflexif de chacune de toutes ces années difficiles, pleines d’efforts et de sacrifices ; c’est un bilan, mais aussi une perspective pour l’avenir. Toujours à ta disposition, Ramonet.

« NOUS AVONS RÉSOLU L’ÉNIGME DE CANSERBERO ».

IR : Merci beaucoup. L’objectif de cet entretien est de faire le point sur l’année écoulée. En particulier, de faire le point sur les réalisations, les victoires, les progrès accomplis au Venezuela. Et aussi si vous pouviez définir quelques perspectives. Nous le verrons au cours de l’entretien.
Mais, si vous me le permettez, je voudrais d’abord commencer par un événement un peu hors sujet, mais qui a eu un impact énorme, notamment pour les millions de jeunes qui sont fans du rappeur vénézuélien Canserbero. Il y a quelques jours, nous avons appris que l' »énigme Canserbero » avait été résolue. On pensait que Canserbero s’était suicidé, mais le Ministère public vénézuélien a révélé qu’il avait en fait été assassiné. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette information ?

NM : Oui, il s’agit vraiment d’un travail scientifique et professionnel de reconstitution des événements, des circonstances, qui a permis d’aboutir à une conclusion définitive sur les auteurs intellectuels et matériels de l’assassinat de ce jeune artiste, de ce créateur vénézuélien qui, en un temps si court, avait eu un si grand impact sur les jeunes. Nous, Cilia (épouse de Nicolas Maduro, NdT) et moi, avons des petits-enfants de tous âges, et nos petits-enfants de huit, neuf, dix, douze, treize, quatorze, quinze ans sont des connaisseurs et des adeptes de l’art, de la musique, de la composition et des paroles de Canserbero. Je suis très surpris.

IR : D’autant plus qu’il est décédé il y a environ huit ans, n’est-ce pas ?

NM : Il y a neuf ans maintenant. Et cela me surprend parce que je l’avoue, je suis un homme de musique, et même je suis plus porté sur la salsa, le rock, je suis au courant des tendances actuelles… En 2023, je suis allé sur Spotify et j’ai découvert une liste de lecture très populaire, très chargée, très riche en musique de toutes sortes. Mais jusqu’à il y a peut-être deux ans, je ne savais pas qui était Canserbero… Je l’ai découvert parce que mes petits-enfants me l’ont expliqué, et qu’ils m’ont fait écouter chaque chanson, nous l’avons analysée l’une après l’autre. C’est ainsi qu’est né mon intérêt pour l’art de Canserbero. À un moment donné, j’ai parlé avec le Procureur Général, lui aussi admirateur de l’art de Canserbero, et lui, après avoir rassemblé un ensemble d’éléments qui formaient une hypothèse solide sur ce qui s’était passé… Tous les médias et les réseaux avaient sali le nom de Canserbero, ils avaient dit que c’était un assassin… Même le Ministère Public antérieur l’avait accusé d’assassinat après sa mort.

IR : Il a été accusé d’avoir commis un homicide avant son suicide.

NM : Oui, et puis ils ont imposé toute la thèse de l’homicide suivi du suicide, de la schizophrénie et de la folie. Et malgré cette tache injuste et brutale, son nom, ses paroles, son art, tout ce qu’il a fait s’est diffusé et Canserbero est maintenant reconnu dans le monde comme, sinon le principal, du moins l’un des principaux rappeurs de langue espagnole. L’enquête a donc été ouverte par le Ministère Public. J’ai exprimé et donné au Procureur, comme toujours, mais dans ce cas particulier, tout mon soutien. Il a mené toutes les investigations avec les moyens les plus avancés de la médecine légale et de la criminalistique. Les résultats ont été concluants. Justice a été rendue, le nom d’un jeune et noble créateur vénézuélien a été revendiqué, et je dirais même que sa renommée est en train de croître.
J’ai parlé avec ses proches le jour où le Procureur général Tarek William Saab a présenté les résultats, avec les aveux enregistrés en vidéo de l’assassin et du meurtrier, des deux meurtriers, et j’ai parlé avec sa famille, et sa famille a ressenti un soulagement dans son âme. Son père Cheo, ses sœurs, ses nièces. Je leur ai transmis mon abrazo au téléphone. Je leur ai dit qu’il s’agissait d’un esprit fort, quel que soit l’endroit où se trouve Canserbero, c’est un esprit très fort. Et que maintenant, son nom va grandir parmi la jeunesse du Venezuela, de l’Amérique latine, des Caraïbes et bien au-delà. Justice a enfin été rendue, ce qui est à l’honneur du Ministère public vénézuélien.

« NOUS AVONS RENDU LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE BEAUCOUP PLUS DYNAMIQUE ».

IR : C’est l’une des réalisations des derniers jours de 2023, mais comme nous l’avons dit, il y en a eu d’autres. 2023 a été une année symbolique, car c’était la dixième année de votre gouvernement. En particulier, je voudrais souligner certains des contacts internationaux que vous avez eus, certains voyages à l’étranger, des réunions : plusieurs réunions avec le président Gustavo Petro de Colombie, qui a organisé une conférence sur le Venezuela à Bogota ; une réunion avec le président Lula, qui est récemment revenu au pouvoir au Brésil, vous étiez à la rencontre organisée par Lula sur l’Amérique du Sud ; d’autres voyages stratégiques, en particulier en Turquie et en Arabie saoudite, et surtout le voyage très important en Chine, votre réunion avec le président Xi Jinping.
Comment ces contacts et ces voyages s’inscrivent-ils dans la diplomatie géopolitique traditionnelle de la révolution bolivarienne ?

NM : Le monde est déjà entré dans une nouvelle époque. L’ère des empires occidentaux est définitivement révolue, et le dernier des empires occidentaux, l’empire états-unien, connaît un processus de déclin historique qui est structurel, définitif. Comme la Grande- Bretagne, qui était un super-empire militaire, économique, commercial, naval… Et bien, elle a cessé, de l’être, elle a décliné… Même si elle reste un pays puissant, important.

Aujourd’hui, un monde plus équilibré a vu le jour, tel qu’en rêvait le libérateur Simón Bolívar. Nous nous trouvons d’ailleurs à Caracas, ville natale de notre héros, de notre Père fondateur, le libérateur Simón Bolívar, qui, très tôt au XIXe siècle, a parlé de la nécessité de « construire un univers d’équilibre« , un « monde d’équilibre » ; Le Libérateur a conçu la stratégie que nous pourrions appeler aujourd’hui la « stratégie d’un monde multipolaire », où notre Amérique, libérée par son épée, par son armée, par notre armée, serait l’un des grands blocs. En effet, la « Grande Colombie« , fondée sur les rives de l’Orénoque le 17 décembre 1819, est née comme une puissance atlantique, caribéenne, pacifique (océan Pacifique), amazonienne, andine, englobant ce qui est aujourd’hui le Venezuela ainsi que la Colombie, le Panama et une partie de l’Amérique centrale et de l’Équateur. Elle est née comme une puissance territoriale, démographique, militaire et économique.

IR : Presque comme un autre Brésil…

NM : Oui, pratiquement, et avec ses deux bras, l’un sur la mer des Caraïbes et l’Atlantique, et l’autre sur le Pacifique, avec toute la cordillère des Andes et un espace gigantesque sur l’Amazone. Et cette puissance fut appelée – comme le Libérateur tenta de le faire au Congrès de Panama en 1826 – à former un puissant bloc de nations, une union de républiques… La trahison l’emporta, la conspiration impériale l’emporta, et le projet de Bolivar fut poignardé, trahi, sali, oublié… Là où aurait dû naître un bloc puissant, il ne resta que quinze, vingt « républiquettes » entre guillemets – ceci dit en tout respect de chacun – chacune de son côté, toutes dominées.

C’est aujourd’hui que ce concept de « l’équilibre de l’univers« , d’un « monde multipolaire« , qui fut le grand rêve du géant, de notre Libérateur, voit le jour. Et nous y sommes attentifs. Le commandant Hugo Chávez a parlé d’une « nouvelle géopolitique mondiale » et il a mis en place la diplomatie bolivarienne de la paix. Son axe transversal est la construction d’un nouvel axe de puissance mondiale, et l’insertion du Venezuela dans cet axe.

Depuis l’Amérique latine en premier lieu, depuis l’Amérique du Sud, depuis les Caraïbes et depuis l’Amérique latine et les Caraïbes vers le monde. C’est pourquoi, cette année, nous avons rendu notre politique étrangère très dynamique. Nous avons participé à la tentative de Lula de rétablir l’UNASUR, qui est très importante et qui avance pas à pas, mais non sans menaces et conspirations impériales pour l’en empêcher. Cette année, nous avons participé à la consolidation de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC). Nous avons participé au sommet de Palenque à l’invitation du président mexicain López Obrador pour aborder avec d’autres leaders régionaux toute la question du changement climatique, de la migration, du développement et de l’indépendance. Et nous avons reçu le soutien de toute l’Amérique centrale et d’une partie de l’Amérique du Sud sur la question des sanctions, pour demander la levée des sanctions.

Photo : de gauche à droite, le président cubain Miguel Díaz-Canel, la présidente hondurienne Xiomara Castro, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador, le Premier ministre haïtien Ariel Henry, le président colombien Gustavo Petro et le président vénézuélien Nicolás Maduro posent lors du sommet de Palenque, au Chiapas (Mexique), le 22 octobre 2023.

« NOTRE VISITE EN CHINE A ÉTÉ MONUMENTALE. »

Cette année, nous avons consolidé nos relations avec la Turquie, l’Inde, la Russie et la Chine. Notre visite en Chine a été monumentale. Je me suis rendu en Chine six ou sept fois en tant que ministre des Affaires Étrangères, pour accompagner le Président Chávez, et j’y suis allé cinq ou six fois en tant que président. Et je peux te dire que le niveau des relations, des accords signés et des politiques définies entre le président Xi Jinping, entre la Chine et le Venezuela au cours de cette visite de six jours, est inégalé. Tout d’abord, nous avons élevé nos relations au rang de relations stratégiques de haut niveau, « infaillibles à tout moment« .

IR : C’est l’expression qui figure dans le document ?

NM : Oui, c’est l’expression officielle, c’est un concept que, pour la première fois, la Chine attribue à une relation conjointe avec un pays d’Amérique latine et des Caraïbes. Ce qui élève le niveau. Je dirais donc que nous progressons au milieu du siège impérial, au milieu de l’agression permanente, nous progressons dans le tissage du nouveau monde. Le Venezuela, humblement, modestement, mais avec la grandeur de la pensée de Bolivar, avec la grandeur de la nouvelle géopolitique mondiale de Chávez, persévère dans la construction d’un monde multipolaire, d’un monde de pays et de peuples vraiment libres.

« ALEX SAAB A DÉJÀ FAIT L’OBJET D’UNE TENTATIVE D’ASSASSINAT SUR ORDRE D’IVÁN DUQUE ».

IR : Monsieur le Président, parmi les réalisations de votre gouvernement, je voudrais en citer trois récentes. Premièrement : les accords de la Barbade en octobre, qui ont permis d’établir un accord avec l’opposition de droite extraparlementaire. Deuxièmement, le référendum sur l’Esequibo du 3 décembre, qui a été une grande victoire en termes de mobilisation électorale. Et la récente libération du diplomate Alex Saab.
Sur ce dernier point – nous reviendrons plus tard sur les deux autres – j’aimerais que vous nous apportiez des précisions, car vous avez déjà fait une déclaration à ce sujet, sur la manière et la difficulté avec lesquelles a été négociée la libération d’Alex Saab.


NM : Tout d’abord, comme nous l’avons dit, Alex Saab est un homme d’affaires d’origine colombienne, qui s’est installé au Venezuela et a commencé à développer un ensemble d’investissements très importants, il a été associé à un certain moment, en 2011, aux plans de ce qui allait devenir la Gran Misión Vivienda Venezuela (Grande Mission Logement du Venezuela). Plus tard, au cours de la phase dont j’ai été responsable, il s’est investi dans les programmes sociaux, mais il a surtout commencé à jouer un rôle très important et croissant lorsque les sanctions criminelles nous ont été imposées.

IR : Depuis 2016.

NM :
Oui, 2016, 17, 18, parce qu’il s’est investi… J’ai commencé à penser… Premièrement, il est colombien, il a du sang colombien ; deuxièmement, il a du sang palestinien, c’est de là que vient ce côté rebelle. Et il a commencé à travailler très habilement pour surmonter les sanctions qui étaient prises contre le Venezuela.

IR : De sa propre initiative ? Par patriotisme ?

NM : De sa propre initiative et aussi grâce à un ensemble de politiques que j’ai mises en œuvre en faisant appel au secteur privé pour que, grâce aux capitaux, aux investissements privés, nous puissions aller de l’avant, étant donné que tous nos comptes bancaires avaient été pillés, gelés, Ramonet. Il faut comprendre ce que signifie concrètement pour un pays de voir tous ses comptes bancaires gelés, et non seulement gelés, mais dont tout l’argent a été volé, plus de 21 milliards de dollars, un pays dont les propriétés à l’étranger ont été gelées, dont les produits sont interdits de vente dans le monde, dont l’industrie principale est persécutée, l’industrie pétrolière, tout cela nous a fait perdre, je le dis toujours parce qu’il y a peut-être des gens qui ne l’ont pas entendu, nous a fait perdre 99 % des revenus du pays, nous sommes passés de 54 milliards de dollars environ, une année, à 700 millions de dollars l’année suivante… Et l’objectif manifeste et direct de l’impérialisme était de faire s’effondrer la société et de procéder à un changement violent de gouvernement, ce qu’ils appellent dans leurs manuels stratégiques, un « regime change« . Et Fidel nous disait toujours : « Les crises créent des hommes« , « elles créent des leaderships« .

Je dirais que, dans cette crise, un homme a émergé : Alex Saab, et il a commencé avec des importations financées avec son capital, il a commencé à apporter de la nourriture, les colis alimentaires du CLAP (Comité local d’approvisionnement et de production, aide gouvernementale aux familles vénézuéliennes face aux pénries induites par le blocus, NdT) dans les moments difficiles de 2017, 2018. Et c’est pourquoi ils l’ont sanctionné, lui et toute sa famille, ses frères, sa sœur, son père, sa mère, ils les ont tous sanctionnés. Et puis ils ont commencé à le persécuter… Et les entreprises où il fabriquait les boîtes des CLAP, au Mexique et dans d’autres pays, ils ont également commencé à les persécuter, à les menacer de différentes sanctions.

En 2019 et surtout en 2020, il a joué un rôle important dans trois domaines clés, en particulier en 2020, lorsque la quarantaine, la pandémie de Covid, est arrivée. Grâce aux efforts de milliers de producteurs agricoles, de paysans, d’agriculteurs de la campagne vénézuélienne, nous produisons aujourd’hui 85 % des aliments consommés au Venezuela, un miracle agricole réalisé par qui ? Par les travailleurs, par les producteurs… Mais à l’époque, nous devions importer 90 % des colis des CLAP de l’étranger pour aider 7 millions de familles. Et Saab a été un homme clé dans l’articulation de ces importations.

Mais aussi, compte tenu du blocus, la raffinerie, les quatre raffineries pétrolières du Venezuela étaient à l’arrêt, nous ne pouvions pas obtenir de pièces de rechange, nous ne pouvions pas les acheter. Si nous les obtenions, nous n’avions pas de compte bancaire pour les payer, à cause des sanctions… Ensuite, nous avons fait des triangulations pour résoudre le problème et récupérer les quatre raffineries d’une manière miraculeuse et héroïque, grâce à l’ingénierie et aux connaissances des travailleurs du pétrole au Venezuela, et au soutien de nos amis dans le monde; des amis importants dans le monde. Alex Saab était l’homme qu’il fallait pour commencer à acheminer le carburant au Venezuela.
Il avait également noué des contacts dans le monde entier pour apporter des médicaments aux patients les plus démunis, et en particulier des médicaments essentiels pour lutter contre la pandémie de Covid. C’est à ce moment-là qu’il a été kidnappé.

IR : Au Cap-Vert.

« ALEX SAAB A LA TÉMÉRITÉ D’UN CHE GUEVARA ».

NM : Oui, au Cap-Vert. Deux jours plus tôt, ils avaient essayé de le tuer. Cela n’a jamais été dit… Deux jours auparavant, un groupe de criminels engagés par Iván Duque de Colombie avait tenté de tuer Alex Saab à son domicile à Caracas… Il en a miraculeusement réchappé. Et puis lui, avec son dynamisme, parce que c’est un homme entreprenant, avec du dynamisme, de l’initiative, je dirais téméraire, je dirais qu’Alex Saab a la témérité d’un Che Guevara pour affronter les risques et les dangers. Il est parti, il se rendait en Iran, pourquoi allait-il en Iran ? Pour garantir l’approvisionnement en essence du Venezuela pendant un an, 2020, 2021, pendant que nous récupérions la raffinerie. Pourquoi ce voyage ? Pour obtenir des médicaments triangulés à partir de l’Iran. Et en chemin, il a été capturé, kidnappé sans aucune preuve.

IR : Sans mandat…

« JE N’AI JAMAIS EU D’HOMME DE PAILLE ! »

NM : Non, il n’y avait pas de mandat d’arrêt international, tout d’abord. Deuxièmement, il bénéficiait de la protection d’un passeport diplomatique, en tant que fonctionnaire diplomatique du Venezuela, un gouvernement légitime, reconnu par les Nations Unies. En l’enlevant, ils ont violé les conventions qui protègent l’immunité diplomatique dans le monde entier, ce qui est très grave. Et puis, tout ce que l’on sait déjà : les tortures….

La première chose qu’ils ont essayée – comme il l’a expliqué – c’est qu’en juillet, en pleine quarantaine du Covid, ils lui ont demandé, par un coup de téléphone, d’arrêter les cargos transportant l’essence ; par un coup de téléphone, d’arrêter les expéditions de médicaments… Il y a un médicament clé, Ramonet, le Remdesivir, qui venait juste de sortir à l’époque comme le grand antiviral contre le coronavirus. Ils voulaient à tout prix l’arrêter. Lorsque le Remdesivir est arrivé à Caracas, en juillet 2020 et jusqu’à aujourd’hui, il a permis de sauver des milliers de vies de patients très graves qui étaient intubés dans tout le pays.

Ils voulaient aussi, sur un simple coup de fil, qu’Alex Saab arrête d’importer les aliments pour les colis des CLAP, pour produire quoi ? la mort par manque de médicaments, la famine et la pénurie totale d’essence, une situation nous avons frôlée… En fait, je peux te dire que sur les cinq bateaux qu’il a commandés – nous les avons payés mais il les a triangulés – sur les cinq bateaux d’essence qui devaient arriver, seuls deux bateaux ont pu arriver en juin 2020… Inoubliable ! Ce fut une fête pour le Venezuela… Les trois autres navires ont été volés par les États-Unis… Oui, tout simplement volés ! Ils les ont emmenés aux États-Unis… Pirates, corsaires, voleurs !

Ensuite, il y a eu toute l’étape de la torture pour l’obliger, disons, à valider les infamies, les mensonges qui circulent encore… Parce que les médias orduriers comme par exemple Semana de Colombie, qui est un magazine de l’oligarchie du narcotrafic colombien, Semana écrit encore : « Alex, l’homme de paille de Maduro« . Je n’ai jamais eu de prête-nom ! Je n’ai jamais eu de compte bancaire à l’étranger. Mes relations avec les hommes d’affaires nationaux et internationaux ont été et sont des relations de travail au bénéfice du pays ; à tel point que l’impérialisme n’a jamais pu montrer, malgré trois ans et demi de prise en otage de Saab dans ses prisons, une seule preuve, un seul papier sur les prétendus hommes de paille, les affaires sales et toute la pourriture qu’ils inventent dans leur justice ordurière et dans leurs médias orduriers.

Mais nous, nous n’abandonnons jamais personne derrière nous, nous n’avons jamais abandonné personne… Jamais ! Nous sommes toujours, nous avons toujours été aux côtés de sa famille, de sa femme Camila, qui de femme au foyer est devenue la dirigeante d’un puissant mouvement, le mouvement « Free Alex Saab » ; aux côtés de ses fils, de ses filles, de toute sa famille; avec amour… Surtout Cilia, qui parlait pratiquement à Camila toutes les semaines, nous recevions des informations ici et là. Et comme je l’ai dit à Alex lorsqu’il est sorti de la voiture et que je l’attendais à la porte du palais de Miraflores : « Alex, je savais que ce jour viendrait. Et il est arrivé. » Un miracle ? Un miracle comme seuls les révolutionnaires peuvent en faire, nous qui sommes fermes et qui affrontons l’empire avec notre vérité. Un miracle.

IR : Ce fut une belle victoire, Monsieur le Président. Dans le monde entier, de nombreuses personnes se sont réjouies de cette libération, parce qu’elles s’étaient battues pour dénoncer tous les mensonges qui avaient été proférés au sujet d’Alex Saab.

NM : Ramonet, je ne peux pas dire… mais j’ai reçu des mots de félicitations de la part de personnes que tu ne peux même pas imaginer, qui sont probablement en train de regarder ceci, de partout dans le monde, tu ne peux même pas l’imaginer. Des gens qui m’ont envoyé des félicitations. Des gens des États-Unis d’Amérique. Je ne citerai pas de noms, de grands artistes mondiaux… Je ne connais même pas certains d’entre eux. Et j’ai reçu des messages ici et là. Ils me disaient : voilà comment on traite un homme innocent. Nous avons procédé à un échange qui a dû être négocié… comme le disait José Martí : « Cela a dû se faire en silence« . Avec la prudence et la diplomatie nécessaires, nous avons réussi à libérer miraculeusement un homme innocent. Et en échange, nous avons remis un groupe de terroristes condamnés après avoir avoué qu’ils avaient commis des crimes et des délits dans le pays. C’est le prix que nous avons payé pour l’enlèvement. Pour la liberté de la personne enlevée. Et je pense que cela en valait la peine.

Photo: une des nombreuses mobilisations populaires à Caracas pour exiger la libération du diplomate Alex Saab après son enlèvement et son emprisonnement aux États-Unis.

« NOUS SOMMES EN TRAIN DE CONSTRUIRE UN NOUVEAU MODÈLE ÉCONOMIQUE DIVERSIFIÉ QUI NOUS DONNE UNE INDÉPENDANCE ABSOLUE VIS-À-VIS DU MONDE ENTIER. »

IR : Monsieur le Président, pour continuer avec le bilan de l’année, vous avez défini huit axes de travail très importants pour 2023. Et parmi eux, les lignes de l’économie. J’aimerais vous demander quelle est votre évaluation de cette approche et quelles sont les principales réalisations dans ces huit lignes de travail ?

NM : Je pense que 2023 a marqué un pas en avant, aussi. Nous avons dix trimestres de croissance économique continue qui ont commencé à la fin de 2021. Et nous avons réussi à maintenir la croissance dans ce que j’ai défini comme l’agenda économique bolivarien, 18 moteurs, les 18 moteurs vont étape par étape ; ces 18 moteurs ont besoin de politiques publiques, d’incitations, d’investissements, d’un marché national, d’un marché international, d’une bonne gestion publique, d’une bonne gestion privée, d’une bonne coordination. Je pense que nous sommes parvenus à une coordination parfaite avec tous les acteurs économiques internes du pays, et je pense que nous avons un niveau très élevé de dialogue et de compréhension avec les acteurs économiques internationaux qui arrivent avec leurs nouveaux investissements. Il s’agit là d’une grande réussite de ces dernières années, qui sera consolidée en 2023. J’ai quelques chiffres importants à te communiquer.

IR : La croissance en 2022 a été de 12 % environ ?

NM : C’est exact.

IR : En 2023, quelle est la croissance du Venezuela ?

NM : La Banque Centrale n’a pas encore donné de chiffres, mais on me dit que les 4,5 % prévus par la CEPAL (ONU) pourraient être atteints. Cela représente dix trimestres consécutifs de croissance. Tout cela, encore, au milieu d’un siège et avec nos propres investissements. Comme je l’ai dit, avec nos propres forces.
Une croissance de 5 % de l’activité agricole. Nous avons déjà cinq trimestres consécutifs de croissance de plus de cinq points de l’activité agricole, en produisant notre propre nourriture. Nous exportons même une partie de cette nourriture. Dix trimestres de croissance soutenue de 4 % de l’ensemble de l’activité manufacturière privée du pays, dans le cadre d’une reprise soutenue et durable, il reste encore une grande marge de croissance pour l’ensemble du secteur manufacturier. Environ 4 % de croissance de l’activité commerciale jusqu’au troisième trimestre. Ce quatrième trimestre, qui vient de s’achever en décembre, a atteint un niveau beaucoup plus élevé, l’activité commerciale s’est intensifiée, avec une force impressionnante. La production de l’industrie alimentaire et des boissons a augmenté de plus de 1,6 %. J’ai d’autres données ici. Je ne vais pas te noyer avec toutes les données.

IR : Mais la tendance est très positive ?

NM : Oui, la tendance est positive. En ce qui concerne les prises de pêche, le rétablissement de la capacité de pêche du pays, nous avons enregistré cette année une croissance de 25 %. Dans l’aquaculture, qui est également une activité à laquelle nous avons accordé une attention particulière, nous avons enregistré cette année une croissance de 20 %. Dans le seul secteur de la crevette, qui est un secteur d’exportation, nous avons enregistré une croissance de 98 % en 2023. Une augmentation de la production industrielle, agro-industrielle… Et l’arrivée d’importantes entreprises européennes, états-uniennes, chinoises, indiennes, etc., etc., pour investir dans le pétrole, le gaz et les entreprises de base.

Cela signifie que, dans les conditions établies par notre Constitution et nos lois, nous sommes en progression. Cette année, les recettes fiscales ont augmenté de 25,8 %, mais je dirais que, conformément aux besoins du pays et aux attentes de nos plans sociaux pour le redressement de l’État de bien-être social, les recettes fiscales – bien qu’elles aient beaucoup augmenté cette année – ont encore beaucoup de chemin à faire pour garantir des revenus qui nous permettront d’améliorer les revenus des travailleurs, des travailleuses et les investissements sociaux.

Cette année, jusqu’au mois de novembre, nous dépassons les 5.181 millions de recettes. Cela signifie qu’il y a un ensemble d’éléments très importants, la stabilité des taux de change, la fin définitive de l’hyperinflation, nous avons combattu l’inflation comme un mal structurel, séculaire, de l’économie, et avec les politiques que nous mettons en œuvre, nous avons de sérieuses chances d’améliorer cet élément, cette variable dans les mois et les années à venir.

Le portefeuille de crédit a augmenté de 91 % par rapport à 2022. Quatre- vingt-onze pour cent. Il s’agit de chiffres encore modestes, de l’ordre de 1,4 milliard de dollars. Le Venezuela aurait besoin de quatre, six, huit milliards de dollars, pour le portefeuille de crédit, ou beaucoup plus pour l’investissement ; mais c’est quelque chose qui a été réalisé d’une manière soutenue, durable.

IR : Et tout cela dans le contexte d’un pays bloqué et assiégé. Ce qui est d’autant plus méritoire.

NM : C’est bien de le rappeler. Car malgré les progrès que nous avons réalisés avec les accords de la Barbade, dont nous allons parler, et les discussions avec le gouvernement des États-Unis, le Venezuela n’a aujourd’hui aucun compte à l’étranger, il continue d’être un pays persécuté et assiégé. Nous avons obtenu tout cela grâce à nos propres efforts, nous les Vénézuéliens, nous seuls, je peux te le dire, avec fierté. Le secteur privé, petit, moyen, grand, avec quelques investissements venant de l’étranger, avec des politiques publiques consensuelles, correctes, pertinentes, justes, nous y sommes parvenus grâce à nos propres efforts, pratiquement seuls dans ce monde.

IR : Sans investissements étrangers significatifs ?

NM : Pour le dire avec le grand Ho Chi Minh, il s’agit de « penser avec notre tête, marcher avec nos pieds et construire avec nos mains », sans dépendre de personne. Sais-tu ce que l’on ressent ? Que nous sommes à un stade – et je le dis ici, dans la maison où est né Bolivar, le géant de l’Amérique – où nous construisons un nouveau modèle économique diversifié qui nous donne une indépendance absolue vis-à-vis du monde entier, si nécessaire. Un autre élément pour ton analyse, et pour l’analyse de tous ceux qui nous lisent ici dans le monde : en 2023, le Venezuela a atteint le niveau le plus élevé d’approvisionnement interne de son marché intérieur au cours des vingt-cinq dernières années, soit 97 %, essentiellement grâce à sa propre production et à l’activité des secteurs économiques privés avec des importations complémentaires, avec une politique très claire sur ce qui est importé, sur ce qui n’est pas importé et sur la protection du producteur national.

Je pense donc que nous faisons de grands progrès. Je dis toujours, bien sûr, qu’il y a encore un long chemin à parcourir, surtout pour générer la richesse, l’argent dont nous avons besoin pour avoir un impact sur les salaires et les revenus. Nous avons fait de notre mieux pour améliorer le revenu intégral des travailleurs, le revenu intégral minimum des travailleurs. Nous avons également réalisé un circuit avec les Grandes Missions et les Missions pour protéger la santé publique, l’éducation publique, la construction de 500.000 logements par an, pour protéger, avec le CLAP et les programmes alimentaires, le droit des personnes à l’alimentation, et pour placer les êtres humains au centre et les protéger intégralement pendant que nous récupérons la capacité, non seulement de générer et de produire des biens, des produits, des services, mais aussi de la richesse liquide, qui est l’objet de notre principal effort, et je sais que nous y parviendrons. Je sais que nous allons y parvenir. J’en suis sûr.

« NOUS AVONS DÉMANTELÉ LES MAFIAS CARCÉRALES ».

IR : Monsieur le Président, il y a une autre réalisation importante que vous n’avez pas mentionnée, à savoir la sécurité. Pendant longtemps, l’une des critiques les plus systématiques des médias internationaux, y compris pour critiquer la révolution bolivarienne, était de dire que le Venezuela était un pays très peu sûr, très dangereux, que Caracas était une ville dominée par la criminalité, la délinquance ; tout cela a changé jusqu’à un certain point. Aujourd’hui, Caracas est une ville de plus en plus paisible, de plus en plus sûre, les nuits de Caracas sont redevenues vivantes, comme peuvent le constater les touristes, les voyageurs, les correspondants étrangers ; c’est une réussite énorme. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez réussi à obtenir ce résultat, qui semblait presque impossible ?

NM : Un énorme travail a été réalisé sur la base d’un concept appelé « Cuadrantes de Paz » (zones de paix). Ces zones de paix sont un concept territorial. Aujourd’hui, nous avons trois mille « cuadrantes de paz ».

IR : Dans tout le pays ?

NM : Oui, dans tout le pays. Cette zone de paix, qui réunit-elle ? Les forces de police et de sécurité, l’organisation populaire, tout le pouvoir populaire dans sa diversité, et toutes les institutions impliquées dans la sécurité. Ces zones de paix ont contribué à libérer les territoires où le taux de criminalité était plus élevé et à établir les règles de fonctionnement des communautés de paix ; je pense que les zones de paix, les communautés de paix, sont l’un des éléments.

L’autre élément concerne le travail de renseignement pour démanteler les gangs criminels les plus dangereux, qui sont comme des gangs de nouvelle génération, des gangs plus armés, plus organisés, avec beaucoup d’argent. Nous avons mené des opérations de renseignement et des frappes chirurgicales contre des gangs dans différentes villes et différents endroits du pays. Par exemple, à Caracas, on se souvient de la frappe chirurgicale que nous avons menée contre les gangs d’un quartier connu dans le monde entier, la Cota 905. Cela a permis d’instaurer à Caracas un climat de coexistence, de tranquillité et de paix, car il y avait là un foyer, la Cota 905, un foyer incroyable, lié aux bandes criminelles de Colombie à l’époque d’Iván Duque. Lorsque nous sommes entrés dans leur repaire, la première chose que nous avons trouvée était une vingtaine de paramilitaires colombiens sur une montagne, s’entraînant pour une prétendue « insurrection populaire » à Caracas qu’ils allaient diriger, pour te donner une idée.

Troisièmement, cette année, 2023, des progrès ont été réalisés dans le démantèlement des mafias carcérales dans des prisons très représentatives du centre du pays, de l’ouest, des Andes, de l’est et du sud du pays.
Je pense que cela a été un coup très important pour mettre fin à ces mafias carcérales, pour leur enlever ce centre de criminalité. C’est une politique, que nous appelons l’opération Gran Cacique Guaicaipuro, et elle va se poursuivre.
En ce sens, je suis convaincu que nous allons continuer à progresser au Venezuela en tant que territoire de sécurité et de paix. Et j’en appelle toujours à la population : cela ne dépend pas d’un seul homme, cela dépend de l’effort commun que nous déployons dans les zones de paix, c’est la méthode.
Je l’ai même dit à certains gouvernements d’Amérique latine – je ne vais pas citer de noms – : je voudrais partager avec vous l’expérience de ces zones de paix pour que vous puissiez voir que la fusion et l’union sur le territoire des forces de l’ordre, des forces de police et de l’organisation sociale – dans le cas du Venezuela, le pouvoir populaire – donne des résultats importants.

« LE PRÉSIDENT DU GUYANA SE MOQUE DE LULA, DE LA CELAC ET DE LA CARICOM… »

IR : Monsieur le Président, une autre réalisation importante, comme nous l’avons mentionné précédemment, est le récent référendum sur la région de l’Esequibo, qui a été un succès parce qu’on a vu le soutien que la population a apporté à cette revendication. Le succès de ce référendum a contraint le président du Guyana à s’asseoir avec vous pour discuter directement du sort de l’Esequibo. Mais depuis, il y a eu l’envoi – que vous avez dénoncé – d’un navire de guerre britannique au large du Guyana. Dans ces conditions, comment voyez-vous l’avenir des négociations avec le Guyana sur l’Esequibo ?

NM : Pour l’instant, nous pourrions dire que nous traversons un moment de turbulence. Parce que le Guyana n’agit pas comme la République Coopérative du Guyana, il agit encore comme la « Guyane britannique », et accepte qu’un navire de guerre se rende sur ses côtes et de là, menace le Venezuela. Parce que ce navire de guerre, dès qu’il est parti vers ses côtes, a menacé le Venezuela. Et les déclarations impertinentes et insolentes du ministère britannique des affaires étrangères ont réaffirmé cette menace à l’égard du Venezuela. C’est ainsi qu’ils se comportent, le président du Guayana se comporte comme le président d’une Guyane britannique coloniale. Il se comporte comme un pays prisonnier, soumis. Je n’accepte pas ses excuses, je ne les accepte pas ! Le président Irfaan Ali tente de s’excuser en affirmant que le Guyana ne menacera jamais le Venezuela. Mais ce n’est pas lui qui a proféré un mot de menace, ce sont ses maîtres, c’est le vieil empire britannique, déclinant, en pleine décomposition, qui a envoyé un navire de guerre… Ils croient que le Venezuela est le Venezuela de 1902, quand ils sont venus avec leurs navires bombarder Maracaibo, Puerto Cabello, La Guaira ; quand ils sont venus massacrer le peuple du Venezuela pour imposer la sentence arbitrale de 1899, pour recouvrer les dettes illégales et immorales du XIXe siècle. Non, le Venezuela n’est plus celui de 1902, le Venezuela de Cipriano Castro. Non, non. C’est un Venezuela qui dispose de la puissance militaire pour se défendre. Et je le dis avec humilité, avec simplicité. Parce que je connais très bien les militaires vénézuéliens. Et je sais qu’elles donneraient leur vie pour défendre la souveraineté de ce pays, pour protéger ce pays. Je vous l’ai dit, nous sommes un peuple de paix. Pour faire le bien, comptez toujours sur nous. Pour les mauvaises choses, il vaut mieux ne pas nous chercher. Ne nous cherchez pas !

Que fait le gouvernement de Londres et que fait le président du Guyana ? Se moquer des médiateurs – du président Lula, se moquer du président de la CELAC, Ralph Gonsalves, se moquer de tous les pays de la Caricom… C’est ce qu’ils ont fait, se moquer d’eux, en menaçant le Venezuela avec un navire militaire, ce qui revient à rompre l’accord d’Argyle. Nous sommes actuellement dans une situation de turbulence. Nous savons y faire face, parce que nous ne sommes pas nés le jour des lâches, vois-tu Ramonet ? Je ne suis pas né le jour des lâches et je sais très bien, en tant que chef de l’État et commandant en chef des forces armées, ce que je dois faire pour défendre la dignité du Venezuela. Et ici, personne ne viendra nous menacer avec des navires de guerre. Ni aujourd’hui ni jamais. Nous ne sommes pas le Venezuela de 1902. Qu’on ne s’y trompe pas. Ne vous méprenez pas !

« AVEC LES ÉTATS-UNIS, NOUS AVONS TOUJOURS CHERCHÉ LE DIALOGUE, LA COMPRÉHENSION, LA COEXISTENCE »

IR : Monsieur le Président, après les Accords de la Barbade avec l’opposition de droite extraparlementaire, l’administration Biden a été contrainte de suspendre une partie des sanctions contre le Venezuela. Quelles prochaines étapes prévoyez-vous sur la voie de la normalisation des relations avec les États-Unis ?

NM : Nous devons d’abord dire deux choses. Premièrement, j’ai encouragé le dialogue plus d’un millier de fois avec tous les secteurs de l’opposition. Y compris avec le secteur extrémiste de la tendance « Guaido », l’opposition d’extrême droite, qui est l’opposition privilégiée et préférée des États-Unis, l’opposition pro-états-unienne, « Pitiyanqui » comme on dit ici… et qui est réuni dans la Plateforme Unitaire, la PUV. J’ai favorisé ces dialogues et nous les maintenons en permanence, toujours et sans arrêt. Ce sont des dialogues publics qui sont connus. Mais lors de dialogues privés, je les ai tous rencontrés. En 2020, et en 2021. Ils m’ont dit du mal de Guaidó. Je leur ai dit : agissez, mais ils n’osaient pas.

Finalement, ils se débarrassent de Guaidó alors qu’il est déjà une figure politique en décomposition, Guaidó sent déjà très mauvais, les gringos l’emmènent hors du pays, ils l’emmènent à Miami, milliardaire comme il est, il a volé la moitié du monde, il a volé les gringos, il a volé l’opposition, il a volé tout le monde ; et ils l’ont destitué parce que son discrédit pour ce secteur de l’opposition devenait insoutenable. Mais nous avons toujours maintenu le dialogue avec eux. Même si des secteurs de cette opposition s’assoient pour discuter mais continuent de conspirer en secret, et continuent toujours à conspirer. Chercher à faire un coup d’État au Venezuela, chercher à me tuer, etc., etc. Mais je crois au dialogue, en permanence.

Deuxièmement avec les États-Unis. Le président Chávez a toujours cherché et m’a appris à rechercher le dialogue, la compréhension et la coexistence avec les États-Unis d’Amérique. Et c’est ce que nous avons toujours fait. Ce que le président Chávez a fait avec Bill Clinton. Avec George W. Bush à deux reprises, bien que Bush ait mené un coup d’État ici les 11, 12 et 13 avril 2002 ; c’est ce que l’on a cherché à faire avec Barack Obama, le premier Obama. Le deuxième Obama, avec qui j’ai dû traiter étant président, a émis le décret déclarant le Venezuela « ennemi des États-Unis« . Face à face, Obama m’a dit : « Maduro, c’était une erreur, je vais la corriger« . Il ne l’a pas corrigée. Je lui ai dit : « Obama, le problème ce n’est pas toi, le problème est celui qui viendra après toi, qui pourra utiliser ce décret pour nous menacer, nous sanctionner ou nous envahir« . Et c’est ce qui s’est passé.
Avec Donald Trump, nous avons eu la relation que tout le monde connaît. Il a pris 930 mesures de sanctions contre le Venezuela. Il a mis ma tête à prix, cette tête que tu vois, ils l’ont mise à prix. Ils ont essayé de me tuer en 2018, le 4 août, depuis la Maison Blanche, ils ont essayé de me tuer. Le jour de l’attaque par drone, ils étaient réunis à la Maison Blanche, aujourd’hui la vérité est connue, et ils attendaient le résultat de l’attaque. Ils ont essayé de nous envahir à plusieurs reprises, ils ont formé des mercenaires de Colombie. Et pourtant, nous avons toujours cherché le dialogue et entretenu des liens de dialogue avec l’administration Trump, à tel point que nous avions presque conclu un échange pour libérer Alex Saab dans les derniers jours de Trump, avant les élections. Et quand Biden est arrivé, pareil. Nous avons toujours voulu un dialogue. Espérons qu’on progressera. Espérons-le. Nous avons fait de notre mieux pour établir une nouvelle ère dans les relations avec les États-Unis.

IR : Des étapes sont-elles prévues ?

NM : Il y a des idées communes, il y a un chemin, une feuille de route établie. Mais on ne peut pas dire, Ramonet, que les États-Unis ont levé les sanctions contre le Venezuela. Au contraire, les sanctions sont toujours en place. Ce que les États-Unis ont accordé, ce sont des licences, comme si le Venezuela était une colonie états-unienne. Des licences, comme à l’époque de la Guipuzcoana Company, qui contrôlait entièrement ce pays et accordait des licences d’exportation et d’importation, n’est-ce pas ? À l’époque de ce qu’on appelait les créoles blancs, jusqu’à ce que les créoles blancs en aient assez de la Guipuzcoana Company et déclarent l’indépendance de toute l’Amérique. C’est à peu près ce qui s’est passé. Le modèle que les États-Unis ont l’intention d’appliquer est un modèle de type Compañía Guipuzcoana contre le Venezuela. Donner les licences.
Mais nous sommes fermes. Et nous le disons à tous les gouvernements d’Amérique latine, de la CELAC et du monde : le Venezuela exige la levée complète et permanente de toutes les sanctions illégales, immorales et criminelles qui pèsent sur l’économie et la société. Toutes. Et ce sera notre objectif.
Et nous ne nous reposerons pas, nous persévérerons comme nous l’avons toujours fait jusqu’à ce que nous l’atteignions. Et sur ce chemin, en regardant la boule de cristal, je pense que nous y parviendrons.

« LES BRICS SONT L’AVENIR DE L’HUMANITÉ ».

IR : Monsieur le Président, nous sommes le 1er janvier et à ce jour, les BRICS, cette organisation formée par le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, ont constitué une sorte de nouveau pouvoir ou de contre-pouvoir, un peu dans la lignée de ce que vous avez mentionné plus tôt, de cette nouvelle géopolitique multipolaire. À ce jour, six nouveaux pays ont adhéré ou devraient adhérer. En fait, cinq d’entre eux sont en train d’adhérer, pour être précis : L’Iran, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte et l’Éthiopie. L’Argentine devait adhérer, mais le nouveau président Javier Milei vient de décliner l’invitation.
D’une part, j’aimerais que vous nous donniez votre avis sur l’importance des BRICS. Et d’autre part, si le Venezuela pourrait rejoindre ces nouveaux BRICS élargis ?


NM : Les BRICS sont l’avenir de l’humanité, les BRICS sont déjà une puissance économique définitive, ils ont une banque puissante, j’étais au siège de leur Banque de développement à Shanghai avec sa présidente Dilma Rousseff, nous avons de bonnes relations, qui vont de l’avant, avec la banque des BRICS. Je n’ai pas pu me rendre au sommet de l’Afrique du Sud en raison d’une forte otite, malheureusement. Lors du sommet d’Afrique du Sud, le Venezuela a été accepté comme partenaire. Et j’espère que lors du prochain sommet en Russie, avec la faveur de Dieu, toujours si Dieu le veut, le Venezuela rejoindra les BRICS+ en tant que membre permanent.

Nous parions sur les BRICS comme un élément de ce nouveau monde, du nouvel équilibre, comme faisant partie du concept géopolitique bolivarien d’un monde d’équilibre, d’un monde d’égaux. Et aussi comme une composante de l’avenir de l’humanité pour le développement des investissements des BRICS au Venezuela, pour le développement de grands marchés pour les produits vénézuéliens, pour le développement de relations multiples et diverses dans les sphères culturelles, politiques, institutionnelles et sociales. Ce sont de grandes civilisations, les civilisations chinoise, russe, indienne, notre frère le Brésil, notre sœur l’Afrique du Sud, l’Afrique ! Les cinq pays sont de grandes civilisations et nous faisons partie de la civilisation mixte de l’Amérique du Sud, des Caraïbes, de l’Amérique latine. Les BRICS nous remplissent donc d’émotion.
Le pas franchi par Javier Milei, de l’Argentine, ramène l’Argentine au 19e siècle. Je le dis aux Argentins et au monde entier, le projet de Milei est une opération élaborée pour s’emparer de l’Argentine, la sortir du monde multipolaire, en faire un vassal du monde impérial unipolaire, et la transformer en une nouvelle colonie, détruire l’État, détruire son économie, détruire son identité ; et la mesure qu’a prise Milei de sortir l’Argentine de cette immense organisation que sont les BRICS est une des choses les plus maladroites et les plus idiotes qu’il a faites à l’encontre de l’Argentine. Parce qu’en excluant l’Argentine des BRICS, il agit contre les Argentins, contre les travailleurs argentins, contre les hommes d’affaires argentins. Cela montre ce qu’est un projet colonial rétrograde du 19e siècle, un projet qui a échoué depuis le début. Et cela montre par contraste ce qu’est la diplomatie bolivarienne, la géopolitique mondiale, la nouvelle géopolitique que nous portons depuis le Venezuela, avec notre révolution.
J’aspire donc à passer rapidement du statut de partenaire des BRICS à celui de membre à part entière des BRICS.

« CE QUI EST COMMIS EN PALESTINE N’A PAS DE NOM… ».

IR : Monsieur le Président, le monde est aujourd’hui secoué par deux conflits majeurs : L’Ukraine et Gaza. Sur l’Ukraine, le Venezuela a décidé dès le départ de ne pas prendre parti, défendant un projet diplomatique à la recherche d’une solution négociée. Concernant le conflit israélo-palestinien, Caracas a rompu ses relations avec Israël en 2009. Pensez-vous que le Venezuela a pris la bonne décision dans les deux cas ? Comment voyez-vous l’évolution de ces deux conflits ?

NM : Je pense que ces deux guerres ont pour point commun les grandes entreprises de l’appareil militaire des États-Unis et de l’appareil militaire israélien, totalement liés. Les grands propriétaires de l’appareil militaire des États-Unis sont des investisseurs israéliens. Et je pense que ces deux guerres ont profité aux verseurs de sang, aux fabricants de la mort et des armes.
Une guerre est une menace contre la Russie… Pendant deux décennies entières, la Russie a mis en garde contre la menace de l’encerclement stratégique qui était en train de s’opérer à partir de l’Ukraine, et des pays de l’Europe de l’Est, et aussi sur l’attitude des fascismes, des « Milei d’Ukraine » et de tout le groupe qui a pris le pouvoir à Kiev en 2014, qui s’est mis au service de la stratégie de la provocation contre la Russie.
Toutes les guerres, disons-le, devraient être évitées et dans le cas de la guerre en Ukraine, une solution de paix devrait être recherchée, mais on ne veut pas la rechercher, on veut mettre la Russie à genoux et l’humilier. À l’heure actuelle, la Russie est en train de gagner la guerre contre l’ensemble de l’OTAN, malgré toutes ses dépenses militaires. Au milieu d’un effort énorme parce qu’elle a été sanctionnée économiquement, comme l’a dit récemment le président Vladimir Poutine, la Russie a gagné la guerre économique contre les sanctions, et la Russie a aujourd’hui de meilleurs indicateurs économiques de croissance, de stabilité économique, de prospérité économique que l’ensemble de l’Europe, y compris les États-Unis. Cela montre la grande force interne de la Russie en tant que nation puissante, nation productive, et de son économie. L’Occident est tout simplement obsédé par la russophobie, par l’idée de détruire la Russie. Il n’y a qu’une seule façon d’avancer : s’asseoir et discuter avec Poutine, avec la Russie, sur la base du respect, et parvenir à un accord qui réponde à la nécessité de garantir la sécurité et la paix pour la Russie et pour l’ensemble de la région.

Photo: Le 6 novembre, aux côtés de l’ambassadeur de Palestine au Venezuela Fadi Alzaben, le président Maduro a dénoncé « 75 ans de racisme, de déshumanisation par les suprémacistes d’Israël. Le monde doit se lever pour mettre fin à temps au génocide du peuple palestinien« .

Dans le cas du conflit en Palestine, il n’y a plus de doute. Il s’agit d’un génocide contre le peuple palestinien. Un génocide vieux de plus de soixante-quinze ans, ouvert, brutal. Et il n’y a pratiquement rien, personne pour élever la voix. Le pire dans ce génocide, c’est le silence complice de ce génocide. Le silence complice des élites européennes. La complicité des élites états-uniennes qui fabriquent des armes et des armes et des armes pour bombarder et tuer des Palestiniens innocents. Plus de 21.000 Palestiniens ont été tués. Onze mille d’entre eux étaient des enfants. Il semble qu’ils se sont attaqués aux enfants pour les exterminer. Plus de six mille femmes.

Ce qui est commis en Palestine n’a pas de nom, c’est seulement comparable à l’holocauste que le peuple juif a subi à l’époque d’Hitler, à l’époque nazie. La justice internationale devrait fonctionner. Mais nous ne voyons tout simplement pas apparaître la justice internationale. Un génocide en plein jour diffusé en direct sur les médias sociaux. Et rien ne se passe.
Tous ces génocides, toutes ces brutalités ne seront peut-être pas punis aujourd’hui, mais peut-être à l’avenir. Et le monde qui émerge demandera un jour des comptes à tous ceux qui ont encouragé ce génocide aujourd’hui. Nous sommes solidaires. Particulièrement en cette période de Noël. Nous avons gardé à l’esprit les enfants de Palestine. Là où l’enfant Jésus est né, Noël n’a pas pu être sauvé, Ramonet, le 24 décembre, tous les lieux de Bethléem ont été fermés. Et la crèche avec l’enfant Jésus entourée de chars. C’est le symbole : l’enfant massacré, Hérode encore. Mais nous verrons ce que l’avenir réserve à la lutte et à la résistance du peuple palestinien, et à la lutte et à la résistance de notre peuple.

« CELUI QUI GAGNERA LA BATAILLE DES RÉSEAUX GAGNERA LA GUERRE CULTURELLE ».

IR : Monsieur le Président, pour conclure, je voudrais vous poser une question qui va au-delà de la politique. De tous les présidents que je connais, vous êtes celui qui a le plus réfléchi à la relation avec les médias. Vous avez une émission de télévision très réussie que vous avez lancée récemment, « Avec Maduro plus », et vous êtes très présent sur les réseaux. Quelle est votre relation avec les médias ? Quels sont vos objectifs ? Et quelle relation pensez-vous qu’un président devrait avoir avec les médias aujourd’hui ?

NM : Il est essentiel de pouvoir communiquer. Et comme tu l’expliques toi-même, je l’ai entendu de ta bouche : nous sommes dans une nouvelle ère de communication. Je l’ai pris comme exemple et je l’ai expliqué à nos collaborateurs. L’humanité a connu cinq grands moments de communication.
Le premier, quand l’homo sapiens, a commencé à parler et à communiquer par la parole, partout où il existait sur la planète Terre.
Le deuxième, lorsqu’il a commencé à écrire et a commencé à communiquer par l’écriture. D’abord par des symboles, puis par l’écriture, en Chine, en Inde, etc.
Troisièmement, lorsque l’imprimerie est apparue, que les livres et les journaux sont apparus et qu’un journal pouvait circuler d’un continent à l’autre.
Quatrièmement, et c’est un moment de communication étroitement lié au 20e siècle, l’émergence du cinéma, de la radio et de la télévision, qui ont dominé pratiquement tout le 20e siècle et une partie du 21e siècle. Le président Chávez était un maître dans la gestion des médias traditionnels et a été l’initiateur de l’ère Twitter, un maître avec son compte @chavezcandanga, dans le premier réseau social de masse qu’était Twitter.

Et nous sommes dans un cinquième moment de communication, décisif, déterminant, total, dominant : celui des réseaux sociaux. Aujourd’hui, Instagram, Facebook, TikTok et ce qu’on appelle maintenant X dans une moindre mesure, et YouTube sont les réseaux sociaux dominants. Où l’on interagit pendant des heures, où l’on s’informe, où l’on communique. N’importe quel être humain, dans le quartier le plus reculé de Caracas, à Shanghai, à Mexico, à New York, à l’heure dont nous parlons, ouvre son Instagram, ouvre son TikTok, ouvre son Facebook et lance un message. Et il arrive souvent que ce message devienne viral. Parfois en raison du contenu, de la nature accrocheuse de ce qu’il poste. D’autres fois, grâce aux algorithmes des propriétaires eux-mêmes, ceux qui sont des propriétaires invisibles.
Avant, vous saviez qui possédait Venevisión ici au Venezuela, qui possédait Televen, qui possédait je ne sais quelle station de radio, le propriétaire de « El Nacional », Miguel Otero Silva, ton ami. Maintenant, vous ne savez pas où il vit, ni qui est le propriétaire, qui est le patron de TikTok au Venezuela. Où ? Dites-moi. Si vous avez une plainte à formuler, si TikTok a fait ceci, cela et cela contre ma famille, où dois-je m’adresser ? Quelle est la loi qui la régit ? C’est une question qui doit être étudiée.

C’est pourquoi je dis que nous devons construire un nouveau système. J’ai dit au peuple vénézuélien : nous devons construire un nouveau système de communication, d’influence permanente. Et je l’ai appelé le système GRC -Redes, Calles, Medios y Paredes (Réseaux, Rues, Médias et Murs). Je te laisse y penser. Je fais des efforts, je contribue à maintenir TikTok en vie, actif, attrayant, avec des choses pour maintenir mes autres réseaux sociaux, pour maintenir une voix différente dans ces réseaux qui sont dominés par les puissances transnationales, et pour communiquer dans les réseaux. Mais nous ne pouvons pas en rester là, nous devons continuer à communiquer dans les rues, dans les médias traditionnels et sur les murs, pour que les murs parlent aussi.
Il s’agit donc d’une question vitale de la nouvelle ère qui ne doit pas être négligée, c’est une priorité. Celui qui gagnera la bataille dans les réseaux, dans les rues, dans les médias et sur les murs, gagnera la bataille des idées, comme l’a dit Fidel, gagnera la bataille politique, gagnera la guerre culturelle. Elle est décisive.

« CETTE ANNÉE 2024, LE PEUPLE VÉNÉZUÉLIEN VA DONNER UNE NOUVELLE LEÇON À LA DROITE OLIGARCHIQUE ».

IR : Monsieur le Président, dernière question : 2024 sera une année électorale exceptionnelle dans le monde. Il y aura des élections dans près de soixante-quinze pays. Plus de 4 milliards de personnes seront mobilisées par les élections. Des élections aux États-Unis, en Russie, en Inde, en Ukraine. En Amérique latine, il y aura des élections au Mexique, en Uruguay, au Panama, au Salvador, en République dominicaine… et aussi au Venezuela. L’opposition a déjà désigné neuf candidats, semble-t-il. Et les analystes considèrent votre candidature comme acquise… J’aimerais donc vous demander si vous serez bien le candidat du chavisme à l’élection présidentielle de 2024 ?

NM :
Ce que je peux te dire, c’est que c’est encore prématuré. L’année ne fait que commencer. Seul Dieu le sait… Pas Diosdado (Maduro ironise à propos du nom d’un dirigeant et ami chaviste, NdT), mais Dieu. Attendons que les scénarios électoraux du processus qui aura lieu cette année soient définis, et je suis sûr qu’avec la bénédiction de Dieu, nous prendrons la meilleure décision.
Je suis président non pas parce que j’ai un ego et qu’un jour j’ai dit : « Je veux être président« . Ni parce que je suis de la noblesse. Ou parce que je porte le nom de Maduro comme un noble, un seigneur de ses terres, ou que je suis né pour être président, comme ces abrutis politiques de l’oligarchie rance, qui pensent qu’ils sont prédestinés à être président parce qu’ils ont du sang noble ou un nom de famille. Je suis un homme à pied, c’est dans la vie que j’ai trouvé les moyens de défendre une idée, une cause, un projet. Et sur cette route, nous avons rencontré le plus grand des maîtres, notre président Hugo Chávez, un père pour tous, qui a construit un projet, qui nous a ramené Bolívar. Il a fait entrer Bolívar dans le XXIe siècle et en a fait un projet pour la Patria Grande, un projet pour le pays, il en a fait la conscience du peuple.

Nous, je dis nous parce que je fais partie d’un collectif, faisons partie d’une cause historique. Je ne suis pas moi, je fais partie d’une cause historique, je fais partie d’un projet national, je fais partie d’un puissant mouvement populaire de millions d’hommes et de femmes. Je fais partie d’une équipe : le haut commandement politico-militaire de la révolution. Je ne me dois pas à moi-même, je ne m’impose pas un ego, une prédestination. Non. Pourquoi ai-je été président ? Eh bien, parce que le commandant Chávez, à un moment donné, en raison d’une maladie très grave, a dû prendre une décision… Et ce choix, le peuple l’a ratifié lors d’une élection héroïque, le 14 avril 2013. Ensuite, je me suis soumis aux épreuves d’une guerre brutale, et lorsque 2017 est arrivé – rappelle-toi les guarimbas (violences de l’extrême droite, NdT), quatre mois de violence, de tentatives de coups d’État, de tentatives d’assassinat – nous avons fait appel à l’Assemblée Constituante. La paix a été rétablie avec la Constitution en main. Ensuite, nous avons remporté les élections des gouverneurs de manière consécutive. Nous avons donné ce qu’on appelle au Venezuela une « pela » (KO électoral, NdT) à la droite réunie. Elle s’est enhardie. Je me souviens de Ramos Allup [du parti Acción Democrática] : « Nous allons gagner vingt-cinq gouvernorats sur vingt-trois« , avait-il déclaré.

Sur vingt-trois, nous en avons gagné dix-neuf… Les États les plus grands et les plus importants du pays… Un miracle populaire, un miracle chaviste. Et le 10 décembre de la même année, nous avons remporté les mairies, 80 % des mairies. Et en 2018, à l’aube de l’année 2018, nous avons tenu un débat au sein du mouvement populaire vénézuélien, du pouvoir populaire, du Grand pôle patriotique, du Parti socialiste unifié du Venezuela, et j’ai de nouveau été candidat en leur nom. Parce qu’ils l’ont décidé, et non parce que j’ai dit « je suis prédestiné« , ou « j’ai du sang noble« , ou « je suis le plus sympa« , ou « je suis indispensable« .
Donc ici, dans cette décision sur mon éventuelle candidature en 2024, ni les ambitions personnelles, ni les ambitions individualistes, ni l’ego, ni le titre de noblesse, ne passeront avant les intérêts de la patrie. Et quand la décision sera prise, quelle qu’elle soit, nous irons tous à la bataille… Ce que je peux te dire aujourd’hui, ce que je peux affirmer aujourd’hui, c’est qu’en cette année 2024, le peuple vénézuélien va donner aux empires du monde, à la droite oligarchique, aux extrémistes, une nouvelle leçon qu’ils n’oublieront pas de sitôt. Le mouvement populaire, les forces populaires et notre pays tout entier se préparent à une grande victoire électorale et à une nouvelle période de révolution avec le Plan national Simon Bolivar et les projets historiques que nous a légués le président Hugo Chávez. Je peux te l’assurer : 2024 sera une année de grands triomphes qui ouvrira les portes à de grandes réalisations pour l’avenir, en 2025 et au-delà.

IR : Merci beaucoup, Monsieur le Président. Je vous souhaite une bonne année et tout ce qu’il y a de mieux pour vous, pour votre famille et pour votre pays. J’attends avec impatience une nouvelle rencontre l’année prochaine.

NM : Bien sûr. Nous nous reverrons. Bonne année à toutes et à tous.

Interview réalisée dans la Maison Natale du Libérateur Simón Bolívar, Centre historique de Caracas, lundi 1er janvier 2024.

Traduction de l’espagnol : Thierry Deronne

Source : https://mondiplo.com/en-2024-nuestro-pais-se-prepara-para-una-gran

Photos : I.R. / Prensa Presidencial.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/01/01/en-2024-le-venezuela-se-prepare-a-une-grande-victoire-electorale-linterview-de-nicolas-maduro-par-ignacio-ramonet/

Les relations sino-vénézuéliennes à un niveau historique

La cinquième visite d’État du Président Nicolas Maduro en République Populaire de Chine marque un tournant historique. Lors des retrouvailles avec son homologue vénézuélien, le président Xi Jinping a annoncé que la Chine et le Venezuela élèvent leur relation au partenariat stratégique « de tous temps et à toute épreuve » – un statut réservé aux « happy few ». « Nous continuerons à soutenir fermement les efforts du Venezuela pour défendre la souveraineté nationale, la dignité nationale et la stabilité sociale. Nous le soutenons résolument contre l’ingérence extérieure » a ajouté le président chinois.

Xi a évoqué la réforme et l’ouverture de la Chine, en particulier le développement des zones économiques spéciales, et a indiqué que ces outils ont permis à la Chine de progresser à pas pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui. « L’établissement du partenariat stratégique tous temps Chine-Venezuela répond aux attentes communes des deux peuples et correspond à la tendance générale du développement historique« , a-t-il ajouté, exhortant les deux parties à « faire avancer une coopération stratégique plus fructueuse, à apporter de plus grands bénéfices aux deux peuples et à injecter davantage d’énergie positive dans la paix et le développement mondiaux. »

Un peu d’histoire…

L’histoire des relations diplomatiques entre la Chine et le Venezuela a commencé en 1974, lorsque des relations diplomatiques formelles ont été établies et que l’existence d’une seule Chine a été reconnue par Caracas face aux tentatives séparatistes soutenues par l’Occident de certains secteurs politiques et économiques de Hong Kong et de Taïwan. Pour Nicolas Maduro, le passage des relations formelles nouées en 1974 au niveau actuel a commencé avec la visite du Président Hugo Chávez en Chine en octobre 1999, porteur de la vision d’« équilibre du monde » de Simon Bolivar, et n’a cessé de se renforcer ensuite, notamment avec la visite du Président Xi Jinping à Caracas en juillet 2014. Cette coopération a été freinée en 2018, lorsque les sanctions et le blocus occidentaux ont torpillé la fluidité de la coopération entre les deux pays. Dans cette étape, « douloureuse et difficiled’une économie de guerre » – plus de 900 mesures coercitives unilatérales, tout un système étanche de blocus financier, bancaire, pétrolier par lesquels les États-Unis et l’Union Européenne ont fait perdre à l’État vénézuélien 99% de ses revenus -, « le Venezuela a pu compter sur l’aide de la Chine. Quand, par exemple, l’UE et les USA ont bloqué l’accès du Venezuela aux médicaments et aux vaccins pendant la pandémie, la Chine a envoyé son vaccin VeroCell qui a permis de protéger le peuple vénézuélien ». Et quand l’Occident a empêché le Venezuela d’exporter son pétrole, c’est encore la Chine qui a ouvert son marché au brut vénézuélien.

Aujourd’hui, les travaux de la septième Commission Mixte de Haut Niveau Chine-Venezuela ont permis aux deux pays de signer 31 accords de coopération scientifique, technologique, industrielle, environnementale, éducative, de santé publique, ainsi que commerciale dans le cadre l’initiative « Route de la Soie« . Pour le président bolivarien, « cette nouvelle étape qui s’ouvre à un niveau plus élevé, historique, est cohérente avec les défis du XXIe siècle. Cette relation va s’accélérer. Sa base concrète est dans les documents. Ni protocole, ni bureaucratie : chacun doit obtenir des résultats à court, moyen et long terme. (..) Ces documents, a expliqué Nicolas Maduro, incarnent l’engagement à travailler bilatéralement dans les domaines de l’énergie – « l’épine dorsale » des accords, a-t-il souligné -, des finances et de la monnaie, en renforçant la capacité du yuan, de l’économie, du commerce et de l’industrie, ainsi que dans le domaine de l’éducation commerciale pour la phase d’exportation de notre production » : la Chine va augmenter ses importations du Venezuela, notamment des produits de la pêche en mer Caraïbe.

Autre point développé par Maduro : « Nous allons progresser dans le domaine minier ; le potentiel industriel du Venezuela dans ce domaine est important si l’on tient compte des grandes réserves certifiées non seulement de pétrole et de gaz naturel mais aussi de cobalt, d’or, de diamants, de nickel, de bauxite, de fer, parmi d’autres matériaux fondamentaux dans les chaînes de production mondiales, et d’un intérêt particulier pour les industries chinoises et le développement scientifique. (..) Une zone économique spéciale de 9 millions d’hectares sera décrétée dans la partie orientale du Venezuela qui dispose d’un potentiel agricole », où la vocation d’exporter des produits agroalimentaires vers la Chine sera également développée.

L’objectif essentiel des zones économiques spéciales, selon la législation vénézuélienne en vigueur, est de développer des mécanismes d’investissement public et privé, national et étranger, d’intérêt stratégique pour l’État vénézuélien. Leur centre d’activité consisterait à stimuler les développements antérieurs et à promouvoir de nouvelles activités dans des domaines tels que l’industrie, la science et la technologie, le tourisme et le commerce de biens et de services. Plusieurs documents sont en cours de signature pour poursuivre et approfondir la coopération aérospatiale – la Chine a largement contribué à doter le Venezuela de satellites d’observation dans les dernières années – dont « l’intégration au projet de station lunaire », ainsi que dans le domaine du tourisme aérien. « Conviasa, la compagnie publique aérienne du Venezuela, est prête à assurer un vol direct Chine-Venezuela« .

Sans oublier les échanges en matière de formation politique et de travail social, entre le Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV, le parti chaviste) et le Parti Communiste Chinois (PCC). Car on aurait tort de croire que ces accords ne concernent que le volet économique. Durant cette visite qui s’est déroulée du 8 au 14 septembre, le Président Maduro s’est entretenu avec plusieurs responsables régionaux du Parti Communiste ainsi qu’avec le directeur général du Centre international de réduction de la pauvreté de Chine, Liu Junwen (photo ci-dessous) pour signer d’autres accords de coopération. Fondé en 2005, le Centre international de réduction de la pauvreté est non seulement un canal stratégique pour le développement de la coopération Sud-Sud, mais aussi une plateforme de recherche, de formation, d’échange et de coopération pour contribuer à la cause de l’éradication de la pauvreté dans le monde.

La République Populaire de Chine a réussi à sortir 800 millions de personnes de la pauvreté, dont 100 millions sous l’administration du président Xi Jinping. Dans les zones rurales, le taux de pauvreté est passé de 10,2 % en 2012 à 0,6 % en 2019, tandis que la population à faible revenu a diminué de 98,99 millions en 2012 à 5,51 millions en 2019.

Le Venezuela consacre 77,1 % du budget national à l’investissement social. Il est le seul pays au monde à accorder une attention prioritaire à la population en renforçant la production, l’achat et la distribution de denrées alimentaires à un prix symbolique, (système des CLAP), ainsi que les programmes de logement (près de 5 millions de logements à bas prix depuis le lancement de ce programme par Hugo Chávez), d’éducation, de santé et de sécurité sociale.

Les deux nations vont par ailleurs renforcer leur collaboration dans le cadre de mécanismes multilatéraux tels que les BRICS, les Nations Unies, le G77+Chine, et renforcer la solidarité et la coopération avec d’autres pays émergents. Elles défendront les intérêts communs de ces derniers et encourageront la coopération entre la Chine et l’ensemble de l’Amérique latine et des Caraïbes.

Au début de son séjour en Chine, Nicolas Maduro a retrouvé une vieille amie : l’ex-présidente du Brésil Dilma Rousseff, actuelle présidente de la Banque de Développement des BRICS (installée à Shanghai), pour plancher ensemble sur une architecture financière libérée des sanctions occidentales et des chantages politiques du dollar. Il lui a exprimé l’intention du Venezuela d’adhérer en tant que membre à part entière aux BRICS et d’ici là « de demander notre incorporation à leur Nouvelle Banque de Développement« .

« Sous la direction du président Xi Jinping, la Chine est devenue un grand pays engagé en faveur de la paix, du développement et du bien-être de toute l’humanité, ainsi qu’un moteur important pour la promotion d’un monde multipolaire. Entre la Chine et le Venezuela existe un type de relation qui peut être considéré comme un modèle pour les relations entre les pays du Sud. Un modèle de ce que doit être la relation entre une superpuissance comme la Chine, la grande superpuissance du 21e siècle, et un pays émergent, héroïque, révolutionnaire et socialiste comme le Venezuela » a expliqué Nicolas Maduro qui, après sa longue visite en Chine, s’est réuni en Algérie avec le premier ministre Aiman Benabderrahmane puis a rejoint Cuba pour le sommet du G77 + la Chine, vaste alliance de 134 pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine où il a retrouvé des interlocuteurs aussi divers que le Secrétaire Général de l’ONU Antonio Guterres, le Président Diaz-Canel de Cuba, le Président João Lourenço d’Angola, la Ministre des Affaires Étrangères du Mexique Alicia Bárcena, le Ministre des Affaires Étrangères de Saint-Kitts-et-Nevis Denzil Douglas, la présidente du honduras Xiomara Castro, etc… Il a invité le G77 + la Chine à travailler en commun à mettre fin aux blocus et sanctions occidentaux, et proposé au Sud Global de construire une souveraineté communicationnelle et numérique.

Carte: les pays du G77 + la Chine. Ci-dessous : leur sommet à La Havane, Cuba, 15 septembre 2023.

Thierry Deronne, Caracas, 13 septembre 2023, avec Xinhua et Mision Verdad

Déclaration finale conjointe de la République Populaire de Chine et de la République Bolivarienne du Venezuela en espagnol : https://mppre.gob.ve/2023/09/13/declaracion-conjunta-republica-popular-china-republica-bolivariana-venezuela-establecimiento-asociacion-estrategica-prueba-y-todo-tiempo/ et en anglais : https://mppre.gob.ve/2023/09/13/joint-statement-between-peoples-republic-china-bolivarian-republic-venezuela-establishment-all-weather-strategic-partnership/

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/09/13/les-relations-sino-venezueliennes-a-un-niveau-historique/

Version à l’italien de cet article : https://contropiano.org/news/internazionale-news/2023/09/17/maduro-a-pechino-le-relazioni-tra-cina-e-venezuela-ai-massimi-storici-0164197

Europe – Amérique latine : retrouvailles au Sommet, par Maurice Lemoine (MEDELU)

Bruxelles, 16 juillet 2023. Réunis pour deux jours, vingt-sept dirigeants européens, trente-trois latino-américains. Discours d’ouverture du Premier ministre de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Ralph Gonsalves, en sa qualité de président pro tempore de la Communauté des Etats latino-américains et caraïbes (CELAC) : « Nous devons améliorer la situation pour tous, avec un multilatéralisme respectant le droit international et suivant les préceptes de la paix et du développement durable. » Suit le président en exercice du Conseil de l’Union européenne, le chef du gouvernement espagnol Pedro Sánchez : « Aujourd’hui, plus que jamais, nous devons renouveler notre confiance commune dans les valeurs du multilatéralisme. » S’extrayant un instant de sa principale préoccupation – faire nommer une Américaine proche des GAFAM [1], Fiona Scott Morton, à la tête de la très stratégique direction générale de la concurrence de la Commission européenne –, la présidente de la dite Commission, l’atlantiste Ursula von der Leyen, y va de son appréciation : « Nous sommes alliés pour renforcer l’ordre international fondé sur des règles, pour défendre la démocratie, les droits de l’homme et la paix. Nous avons intérêt à renforcer notre partenariat politique. »

Voilà. Tout le monde semble d’accord. Le Sommet Union Européenne-CELAC peut commencer.

Huit années que les deux organismes intergouvernementaux ne se sont pas retrouvés. De multiples causes : outre la crise du Covid, qui n’a pas favorisé les contacts, un relatif désintérêt de la « vieille Europe » pour ses partenaires de l’autre bord, la quasi-désagrégation de l’organisme latino-américain, auxquels se sont ajoutés, en 2017, un désaccord concernant la participation du Venezuela.

Née officiellement à Caracas les 2 et 3 décembre 2011, à l’initiative de la première vague des chefs d’Etat de gauche désireux de s’émanciper de l’influence pesante de Washington – Hugo Chávez (Venezuela), Luis Inácio Lula da Silva (Brésil), Rafael Correa (Equateur), Evo Morales (Bolivie), Néstor et Cristina Kirchner (Argentine), etc. –, le mécanisme d’intégration régionale qu’est la CELAC n’en a pas moins eu pour premier président pro tempore le conservateur chilien Sebastián Piñera. Le 28 janvier 2013, et pour une année, le cubain Raúl Castro lui succéda. Dans l’idée de ses créateurs, les divergences idéologiques devaient s’effacer devant la concertation politique et la coopération sociale et culturelle des trente-trois pays continentaux et insulaires de la région – sans les États-Unis ni le Canada.

Revenue un temps et majoritairement au pouvoir, la droite – Enrique Peña Nieto (Mexique), Mauricio Macri (Argentine), Pedro Pablo Kuczynski (Pérou), Lenín Moreno (Equateur), Jair Bolsonaro (Brésil), Iván Duque (Colombie), etc. – n’a eu de cesse que de détruire cet instrument en voie de concurrencer, voire supplanter, l’Organisation des Etats américains (OEA) si chère aux amis de la Maison-Blanche et du Département d’Etat. La création en août 2017 du Groupe de Lima, chargé par Washington des basses besognes dans la déstabilisation de la République bolivarienne du Venezuela, marqua le paroxysme de cette séquence de… désintégration de l’intégration [2].

Élection après élection, à commencer par la mexicaine et l’argentine, le vent a tourné. Le Groupe de Lima n’a pas survécu à ses turpitudes, au changement politique régional et à la solide résistance du président vénézuélien Nicolás Maduro. L’organisation par le mexicain Andrés Manuel López Obrador (AMLO) d’un VIe Sommet en octobre 2021 a marqué la résurrection d’une CELAC que, au cours des quatre années précédentes, beaucoup avaient prématurément enterrée. Le retour au pouvoir de Lula au Brésil et de Luis Arce en Bolivie (après un coup d’Etat s’étendant sur une année), l’arrivée de Gustavo Petro en Colombie, de Xiomara Castro au Honduras et (d’une façon moins affirmée) de Gabriel Boric au Chili n’ont fait que redonner du souffle au vieux rêve de l’émancipation. Que n’a jamais abandonné la « troïka de la résistance » (Cuba, Nicaragua, Venezuela).

Dans un contexte géopolitique chahuté par les crises en cascade, le ralentissement de la croissance des économies et du commerce, l’augmentation des niveaux d’inégalité ainsi qu’une destruction de l’environnement aux conséquences potentiellement catastrophiques se sont exacerbés. « Les impacts socio-économiques de la pandémie de Covid-19 et du conflit en Ukraine ont confirmé qu’aucun pays, région ou continent ne peut relever seul les défis du développement durable », a noté la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL) [3].

Pour faire face aux défis, les pays développés amorcent de nouvelles politiques industrielles, technologiques et environnementales – Pacte vert en Europe, CHIPS and Science Act et Inflation Reduction Act aux Etats-Unis – qui, inévitablement, auront un fort impact sur la compétitivité mondiale et ses conséquences sociales. Dans ce contexte, note toujours la CEPAL, « il est essentiel d’éviter d’aggraver les asymétries technologiques qui peuvent avoir de graves conséquences liées au retard de production et de revenu des économies en développement. Il sera donc essentiel d’explorer les possibilités pour l’Amérique latine et les Caraïbes de s’associer à ces politiques par le biais d’investissements et d’autres mécanismes de collaboration ».

Montée en puissance de la Chine et conflit OTAN-Russie sur le territoire ukrainien : l’Union européenne, en ce qui la concerne, doit revoir et/ou renforcer ses filières d’approvisionnement en matières premières et en minéraux stratégiques. Après l’avoir négligé, sauf pour appuyer les forces conservatrices et leur mentor Donald Trump ligués contre le Venezuela, l’UE redécouvre donc l’ensemble latino-américain. Et la CELAC. Laquelle a retrouvé tout son poids lorsque le Brésil de Lula l’a réintégrée – Bolsonaro l’en ayant retiré en 2020.

En octobre 2022, à Buenos Aires, une réunion bi-régionale des ministres des Affaires étrangères marqua la volonté commune de rétablir les liens et d’organiser un sommet. Quelque peu en difficulté dans son pays face à un Parti populaire (PP ; droite) « dans une bonne dynamique », Pedro Sánchez souhaitait faire de ce conclave l’événement phare de la présidence espagnole du Conseil de l’UE. De ce fait, il jeta tout son poids afin de convaincre Lula et Petro de ne pas déléguer leurs ministres des Affaires étrangères, mais de se déplacer personnellement, pour donner un maximum de brillant à la réunion qu’il co-présiderait.

Au-delà des sourires de circonstance, les relations ne sont pas particulièrement au beau fixe entre européens et « latinos ». L’UE a perdu chez ces derniers de son influence. Si elle est le premier investisseur dans cette partie du monde – 35 % des investissements étrangers directe (IED) –, elle n’est que son troisième partenaire commercial après la Chine et les Etats-Unis. Toutes tendances politiques confondues, les économies latino-américaines se sont en effet largement tournées vers la Chine, devenue le premier partenaire commercial de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Chili, de Cuba, du Paraguay, du Pérou, de l’Uruguay, et le deuxième de la plupart des autres pays [4]. De 10 milliards de dollars en 2000, la valeur des échanges est passée à 485,7 milliards de dollars en 2022.

Sur le grand échiquier des relations internationales, les BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud – sont beaucoup plus « tendance » au sein des gauches continentales que l’UE et les Etats-Unis. A l’occasion du dernier sommet des BRICS, l’ex-présidente brésilienne Dilma Rousseff est devenue présidente de leur Nouvelle Banque de Développement (NBD). Pour la seule Amérique latine, l’Argentine, Cuba, le Mexique, le Nicaragua et le Venezuela ont exprimé le souhait de rejoindre l’alliance, qui pourrait à terme devenir « BRICS+ » [5].

Une rude concurrence pour Bruxelles (et Washington, cela va de soi). Qui ne doit rien au hasard. Car, confie un brésilien de São Paulo à Jana Puglierin, directrice à Berlin du bureau du Conseil européen des relations extérieures, « quand les Américains viennent au Brésil, ils veulent parler de la Chine. Quand viennent les Chinois, ils parlent de développement [6].  »

Le nombre des Européens qui eux aussi font le déplacement a augmenté de façon considérable ces derniers temps. Le Haut représentant pour les affaires étrangères Josep Borrell en Argentine et en Uruguay (octobre 2022), puis à Cuba (juin 2023). Le chancelier fédéral Olaf Scholz et le président allemand Frank-Walter Steinmeier au Brésil en janvier dernier. La cheffe de leur diplomatie, Annalena Baerbock, au Brésil, en Colombie et au Panamá, du 4 au 9 juin. Ursula von der Leyen au Brésil, en Argentine, au Chili et au Mexique quasiment au même moment.

Chacune de ces visites permet de percevoir dans quelle direction souffle ostensiblement le vent. A Brasilia, Baerbock propose une relation plus étroite, sous réserve d’un changement de position à l’égard de la guerre en Ukraine et de Pékin. A Buenos Aires, Von der Leyen signe avec Alberto Fernández un protocole d’accord sur les matières premières, et notamment le lithium – dont la demande en Europe « sera multipliée par 12 d’ici 2030 », précise la présidente de la Commission. Un métal essentiel pour la stratégie de décarbonation de l’UE, qui, entre autres mesures, a prévu d’interdire la vente de voitures neuves à moteur thermique à partir de 2035. Sachant que 56 % (au moins) des ressources en lithium de la planète se trouvent dans le triangle formé par la Bolivie (première réserve mondiale), l’Argentine et le Chili. Et que la Bolivie, non seulement a nationalisé le secteur à travers l’entreprise publique Yacimientos de Litio Bolivianos (YLB), mais, ulcérée par l’appui implicite et explicite des Etats-Unis et de l’UE au coup d’Etat mené contre Evo Morales en novembre 2019 [7], vient de signer en juin un accord d’association avec une entreprise russe (Uranium One Group JSC, filiale de Rosatom) et un groupe chinois (Citic Guoan) pour l’extraction et l’industrialisation du nouveau métal précieux.

En préparant le Sommet, l’UE a donc en tête quelques objectifs bien précis. Aborder, bien entendu, tous les grands sujets inhérents à ce type de rassemblement : droits de l’homme, démocratie, réchauffement climatique, environnement, développement, coopérations multiples, etc. Mais aussi faire sortir les « latinos » de l’ « insupportable neutralité » qu’ils observent quant au conflit ukrainien et signer, après des années d’atermoiements, le traité de libre-échange UE-Mercosur (Marché commun du sud : Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay). Ce qui très vite, et malgré l’opération de séduction entreprise, va se révéler moins aisé qu’espéré.

Premier accroc d’importance, en amont du Sommet : l’Ukraine.

Le 2 mars 2022, lors de l’Assemblée générale des Nations unies réunie en urgence du fait du blocage du Conseil de sécurité (où la Russie dispose d’un droit de veto), la quasi totalité des pays latino-américains ont voté la résolution qui « déplore dans les termes les plus énergiques l’agression commise par la Fédération de Russie contre l’Ukraine en violation du paragraphe 4 de l’Article 2 de la Charte [de l’ONU] »  ; qui « exige également que la Fédération de Russie retire immédiatement, complètement et sans condition toutes ses forces militaires du territoire ukrainien à l’intérieur des frontières internationalement reconnues du pays [8]  ».

Si la Bolivie, Cuba et le Nicaragua se sont abstenus, si le Venezuela n’a pu s’exprimer (il n’a plus le droit de vote du fait d’arriérés de paiement), personne n’a voté contre. Compte tenu de leur histoire, le paragraphe 4 de l’Article 2 de la Charte dit « quelque chose » à ces pays : « Tous les Etats sont tenus de s’abstenir, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies, et de régler leurs différends internationaux par des moyens pacifiques. » En y faisant référence, ils ne pensent pas qu’à la Russie !

Ultérieurement, au sein des gauches latinas de gouvernement, nul n’appuiera l’invasion de l’Ukraine, mais nul ne « condamnera » Moscou (à l’exception du Chili). Nul n’acceptera de livrer des armes, fussent-elles très anciennes, à Kiev ; d’isoler diplomatiquement ou d’infliger des sanctions à la Russie. Les relations avec le Kremlin sont généralement bonnes. Et bien peu, lorsqu’ils analysent les origines du conflit, considèrent l’OTAN comme une colombe de la paix [9].

Aussi, le rejet est-il brutal lorsque la CELAC découvre que, sans l’avoir en rien consultée, Pedro Sánchez a invité Volodomyr Zelensky au Sommet. En mai 2022, déjà, le président Lula avait exprimé son sentiment au sujet de ce dernier : «  [Zelensky] est à la télévision le matin, le midi et le soir. Il est au Parlement britannique, au Parlement allemand, au Parlement français, au Parlement italien (…). Il veut la guerre. S’il ne la voulait pas, il aurait négocié un peu plus [10].  » En position de force au sein de la CELAC, les pairs de Lula partagent cette opinion. La réaction est telle que, sous pression à son tour, l’Union européenne doit annuler l’invitation.

Deuxième couac précédant l’atterrissage des délégations à Bruxelles : le Mercosur.

Quatre pays fondateurs : l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay. Des hauts, des bas, des réussites somme toute modestes. Deux partenaires dans l’antichambre : la Bolivie, au processus d’adhésion inachevé ; le Venezuela, intégré depuis 2012, mais suspendu en décembre 2017 du fait des tensions entre Caracas et les gouvernements néolibéraux. Avec l’UE, vingt années de négociations pour réduire les droits de douane et stimuler les échanges commerciaux ! En attendant mieux, le Mercosur exporte déjà vers l’Europe des productions agricoles, minérales et énergétiques ; l’UE expédie en retour des marchandises à contenu technologique et à haute valeur ajoutée.

Les deux blocs représentent ensemble environ 25 % de l’économie mondiale et un marché de 780 millions de personnes. Malgré les réticences de quelques pays européens tels que l’Autriche, la Belgique, la France, l’Irlande et les Pays-Bas, un accord a été présenté comme « finalisé » en juin 2019. Il a toutefois été mis en suspens. S’ils l’appuyaient à 100 % dans sa participation active à la destruction du Venezuela, les dirigeants de l’UE ne tenaient pas trop à apparaître sur la photo aux côtés d’un Jair Bolsonaro qui, en même temps, massacrait l’Amazonie.

Exit Bolsonaro. « Il serait bon que l’accord commercial soit signé avant la fin de l’année [2023] », a pressé Von der Leyen. Patatras ! Voici que Lula et l’argentin Alberto Fernández ruent dans les brancards. A l’accord de 2019, l’UE a ajouté en mars 2023 un strict « protocole additionnel » – la « side letter » – dont les normes environnementales (déforestation, pesticides, OGM) posent des conditions drastiques à l’entrée en Europe des produits latino-américains.

Nouvelle, l’approche européenne ne peut être purement et simplement rejetée. Elle est d’ailleurs jugée encore trop laxiste par l’ensemble des mouvements altermondialistes et des partis écologistes, qui, depuis les années 1990, contestent l’existence même de ce type de Traité de libre commerce (TLC). En mettant en avant quelques exemples emblématiques pour expliciter leur position. Ainsi : menée dans huit pays européens, dont la France, une enquête sur les citrons verts importés du Brésil publiée en avril 2023 montre que des produits phytosanitaires toxiques, pour certains non autorisés dans l’UE, sont exportés par les firmes de cette même UE vers le Brésil et reviennent en boomerang à leur point de départ, sous forme de résidus dans les denrées alimentaires – dont les citrons en question [11].

De même, il n’est pas scandaleux pour un pays comme la France, mais pas que lui, de vouloir protéger ses agriculteurs, déjà en forte difficulté et sommés de se reconvertir dans le « durable », du déferlement prévu de 99 000 tonnes de viande de bœuf supplémentaires par an, de 180 000 tonnes de volailles (et de 180 000 tonnes de sucre) – avec l’impact environnemental entraîné par la circulation transatlantique de tels chargements [12].

Toutefois, le fameux « protocole additionnel » reste en travers de la gorge des dirigeants de l’autre rive. En vertu d’un règlement « contre la déforestation » voté le 19 avril 2023 par les parlementaires européens, l’huile de palme, le bétail, le soja, le café, le cacao, le bois, le caoutchouc, ainsi que leurs produits dérivés, ne pourront plus être vendus dans l’UE à partir de 2026, s’ils proviennent de terres déboisées ou dégradées. Fort bien. Un Lula peut très bien comprendre ce type de nécessité. Sous ses précédents mandats (2004-2012), il est parvenu à passer de 30 000 km² défrichés par an à 5000 km², grâce à un contrôle renforcé. Après que, sous Bolsonaro, la déforestation moyenne annuelle ait grimpé de 75 % par rapport à la décennie précédente, Lula, depuis son retour au pouvoir, s’est engagé à respecter l’Accord de Paris [13] et a présenté un nouveau plan de lutte très ambitieux pour protéger l’Amazonie. Malgré les résistances d’un Congrès au sein duquel il ne dispose pas de la majorité, il a publiquement affirmé vouloir faire du Brésil un exemple mondial en réduisant ses émissions de gaz à effet de serre et en mettant fin à la déforestation illégale d’ici 2030. Et voici que l’UE « exige » un « objectif intermédiaire » de réduction de la déforestation d’au moins 50 % par rapport aux niveaux actuels jusqu’en… 2025 (c’est-à-dire demain). Et voici que l’UE « ordonne » que soit assuré « un développement durable et une transformation rurale inclusive », qu’elle est elle-même incapable de mettre en œuvre sur son propre territoire. Le tout, sous peine de sanctions !

Attitude insupportable, s’emportent tant l’Argentine que le Brésil. « Entre partenaires stratégiques, il doit y avoir une prémisse de confiance mutuelle et non de méfiance et de sanctions », ajoute Lula, qui préside le Mercosur. Employé à outrance par les Etats-Unis et l’UE, le concept de « sanction » ne passe plus chez des « latinos » excédés. Et il passe d’autant moins que, dans l’accord tel qu’ainsi modifié, les ambiguïtés ne manquent pas. Ainsi, note le ministre argentin des Affaires étrangères Santiago Cafiero, « si le Mercosur libère les droits de douane pour 95 % des exportations européennes de produits agricoles, l’UE ne libère que 82 % des importations agricoles en provenance du Mercosur et n’offre que des quotas ou des préférences fixes pour la plupart des autres produits ». Sachant que, pour les rubriques telles que le bœuf, la volaille, le miel, le fromage, le maïs et l’éthanol, ces futurs quotas permanents seraient inférieurs aux présentes exportations du Mercosur. « Ce qui signifie que, si cet accord est mis en œuvre, nous devrons réduire ce que nous exportons à l’heure actuelle ! » Et que, le critère des contingentements « ne s’applique pas dans le sens inverse : les biens industriels importés de l’UE ne sont soumis à aucun quota [14]. » Car, bien entendu, l’une des exigences de l’UE est d’avoir accès aux marchés publics des pays impliqués. Et de concurrencer sans entraves les industries locales, en particulier argentines et brésiliennes, les plus performantes du bloc. Sans parler des moyennes entreprises. « Le Brésil ne peut pas renoncer à son droit de se réindustrialiser. L’Argentine ne peut pas renoncer à être un pays doté d’une industrie forte. Un accord doit être bénéfique pour tout le monde », conclue Lula. Qui annonce avant même de quitter Brasilia : non acceptable en l’état, cet accord devra être renégocié [15].

Troisième motif de fort agacement, de l’autre côté de l’Atlantique : sous l’influence du Parti populaire européen (PPE ; droite de droite), aligné sur la politique hostile des Etats-Unis, le Parlement européen donne un très mauvais signal en se livrant à une véritable provocation. Le 12 juillet, sur la base d’un débat tenu le 13 juin en son sein, il condamne « les atteintes systématiques aux droits de l’homme à Cuba » (359 « pour », 226 « contre », 50 abstentions), réclame des sanctions contre le président Miguel Diaz-Canel et invite l’UE à « suspendre immédiatement le dialogue politique et l’accord de coopération » en cours avec La Havane.

Le lendemain, ce même Parlement s’en prend au Venezuela et, sur la base d’éléments très contestables, invite les participants au prochain sommet UE-CELAC « à publier une déclaration exigeant le plein respect des droits de l’homme, de la démocratie et des libertés fondamentales ». Dans le même élan, les eurodéputés réactionnaires mènent campagne pour que la République bolivarienne soit exclue du dit Sommet et que, s’il se présente à Bruxelles, le président Maduro soit « immédiatement détenu ».

Pour faire bonne mesure, les latino-américains découvrent enfin que, parallèlement à la célébration officielle, un forum « Société civile, jeunesse et autorités locales » est organisé par le Forum Policy of Development (plate-forme multipartite soutenue par la Commission européenne) et la Fondation UE-ALC (organisation intergouvernementale) dans la plus totale opacité et sans qu’ils aient été invités à donner leur avis sur le choix des mouvements et autres ONG appelés à y participer.

Compte tenu de ces précédents, il n’y a pas eu de véritable surprise dans le déroulement du Sommet [16]. En surface, aucun clash. Beaucoup de poignées de main. Suivant qui observait ou commentait la scène, des ondes de rage ou de jubilation ironique ont flotté lorsque Delcy Rodriguez, vice-présidente de l’ex-paria vénézuélien, a posé tout sourire pour la photo officielle entre Pedro Sánchez, Charles Michel et Ursula von der Leyen. Ensuite, chacun a continué à jouer sa partition [17]. La question du changement climatique, de ses effets et des mesures qu’il impose a été présente dans presque toutes les interventions. Par avance, lors de la cérémonie d’ouverture, le président du Conseil européen Charles Michel a parfaitement résumé la vision commune et très politiquement bienséante des chefs d’Etat et responsables politiques de l’UE : « Nous partageons des racines, des valeurs et une culture communes ainsi que des liens économiques et sociaux étroits. Et nous sommes une force puissante au sein de l’Assemblée générale des Nations unies, pour défendre la démocratie, le multilatéralisme et les droits de l’homme. » Sans oublier le récurent : « Tous les pays de notre planète doivent être en sécurité. C’est pourquoi nous ne pouvons pas laisser la Russie parvenir à ses fins. Ce serait un désastre pour le multilatéralisme et notre système fondé sur des règles. »

Côté latino, indépendamment des différences notables entre gouvernements de gauche et pouvoirs de droite, on a beaucoup entendu ce type de considération : « Nous ne pouvons pas et ne voulons pas maintenir le paradigme centre-périphérie. Nous refusons de continuer à être les fournisseurs de matières premières essentielles et de main-d’œuvre peu qualifiée aux salaires les plus bas » (Alicia Bárcenas, ministre mexicaine des Affaires étrangères). Ou encore : « L’Amérique latine et les Caraïbes ne sont plus l’arrière-cour des Etats-Unis. Nous ne sommes pas non plus d’anciennes colonies qui ont besoin de conseils, et nous n’accepterons pas d’être traités comme de simples fournisseurs de matières premières » (Diaz-Canel, président cubain). Très en pointe sur le sujet, Petro a plaidé pour « un premier Plan Marshall climatique à l’échelle mondiale ».

Toutefois, même les révoltés ont eu de bonnes manières. Rien qui ne risque, en apparence, de faire capoter la rencontre. On s’est raccompagnés, au terme des réunions, avec force tapes dans le dos.

Le Sommet s’est achevé le 18 juillet par une déclaration en 41 points dont plusieurs liés à la lutte contre le changement climatique, à l’environnement, à la promotion des énergies renouvelables, à la réforme du système financier international, à la santé publique et à l’éducation. Des accords bilatéraux ont été signés par l’UE avec le Chili (matières premières critiques, dont lithium), avec l’Argentine et l’Uruguay (énergies renouvelables). Au terme du raout, non sans un zeste d’ironie, Lula constatera : « J’ai rarement vu autant d’intérêt politique et économique des pays de l’Union européenne envers l’Amérique latine. Peut-être en raison du différend entre les Etats-Unis et la Chine. Peut-être en raison des investissements chinois en Afrique et en Amérique latine. Peut-être pour la nouvelle route de la soie. Peut-être à cause de la guerre. Le fait concret est que l’Union européenne a montré beaucoup d’intérêt à investir à nouveau en Amérique latine, annonçant un investissement de 45 milliards d’euros dans la prochaine période. »

Avec en arrière-fond la concurrence des « Nouvelles routes de la soie », la stratégie « Global Gateway » (« Passerelle mondiale ») : Von der Leyen vient effectivement d’annoncer 45 milliards d’euros d’investissement dans des projets d’infrastructure et des partenariats économiques jusqu’en 2027 (voir l’encadré en fin d’article). Tout en accueillant l’annonce avec intérêt et sympathie, les latinos demeurent prudents, pour ne pas dire circonspects. « En 2009, rappelle Ralph Gonsalves, on parlait déjà d’un fonds d’un milliard de dollars pour atténuer le changement climatique et rien ne s’est encore produit. » Un prochain sommet devant se tenir en Colombie dans deux ans, l’actuel président de la CELAC a complété : « On se retrouvera en 2025 et on verra bien si nous avons reçu l’argent d’ici là ! »

Comme en témoignera le même Gonsalves, la rédaction du communiqué final, en coulisse, loin des projecteurs, n’a pas été de tout repos : « Tout le monde n’a pas obtenu ce qu’il souhaitait dans la déclaration. Il y a eu des désaccords comme on s’y attendait, mais nous y sommes parvenus. Des sujets comme le financement de la lutte contre le changement climatique, la réforme de l’architecture financière mondiale ou le développement social inclusif. D’autres issus de notre histoire et qui laissent encore des traces comme l’esclavage ou la traite des esclaves… »

Il fallait s’y attendre. L’UE a fait de l’Ukraine l’alpha et l’oméga de sa politique extérieure. Un mois avant le Sommet, elle a fait parvenir à la CELAC un projet de déclaration finale mettant Moscou au ban des accusés. En réponse, les latinos et les caribéens ont renvoyé une contre-proposition supprimant tous les paragraphes sur le soutien à Kiev. Sans doute agacés par l’insistance des euro-atlantistes, ils ont introduit dans le texte un sujet les concernant de beaucoup plus près : « La nécessité de prendre des mesures appropriées pour restaurer la dignité des victimes [de la traite transatlantique des esclaves africains], y compris des réparations et des indemnisations ». Puis ils ont refusé la présence de Zelensky.

La rencontre débute. Non sans une certaine arrogance à l’égard de leurs interlocuteurs, dont ils connaissent désormais parfaitement la position, les Européens remettent le couvert. « Nous ne pouvons pas faire de ce sommet UE-CELAC un sommet sur l’Ukraine, doit réagir d’emblée Ralph Gonsalves, observant que la question « a été et continue d’être abordée dans d’autres forums plus pertinents ». Cause toujours… Le bras de fer continue. L’UE entend que, dans le communiqué final, les participants « condamnent fermement » la Fédération de Russie. Les latinos ne cèdent pas. « Il ne fait aucun doute qu’il y a une invasion impérialiste de l’Ukraine, a déclaré Petro dans sa première intervention, mais comment appelez-vous celle de l’Irak, de la Libye ou de la Syrie ? Pourquoi cette invasion provoque-t-elle cette réaction et pas les précédentes de ce siècle ? Ne vaudrait-il pas mieux travailler sur un concept général qui empêche quiconque d’envahir un autre pays ? »

La CELAC impose finalement un texte très succinct qui mentionne « une profonde préoccupation concernant la guerre en cours contre l’Ukraine », sans mentionner Moscou. Suivi, aux antipodes de l’approche guerrière maximaliste européenne, du credo d’une région qui se veut Zone de paix : « Nous soutenons la nécessité d’une paix juste et durable et les efforts en vue d’une solution diplomatique. »

Grand classique : en fonction de ses penchants, chaque média ou réseau social qui s’empare du paragraphe le rapporte à sa façon. Pour les uns, la profonde préoccupation exprimée concerne «  la guerre en cours en Ukraine ». Pour les autres, c’est «  la guerre en cours contre l’Ukraine ». Si l’on s’en réfère aux versions officielles en anglais – « We express deep concern on the ongoing war against Ukraine [18]… » – et en espagnol – « Expresamos nuestra profunda preocupación por la guerra en curso contra Ucrania [19] » –, c’est bien l’expression « guerre contre l’Ukraine » qui est employée.

Un point, malgré les reculs qu’ils ont dû concéder, pour les Européens.

Insuffisant ! Dans son habituel numéro de bon élève qui « fait de la lèche » pour s’attirer un sourire de la maîtresse, le président chilien « de gauche » Gabriel Boric fustige ses pairs latinos pour s’être opposés à une condamnation de Moscou. Par la même occasion, il s’en prend une nouvelle fois au Nicaragua, au Venezuela et à Cuba, qu’il considère comme des « dictatures ». Toutefois, s’agissant de l’île, il se rallie courageusement aux 185 pays sur 189 qui, en 2022, pour la vingt-troisième fois, à l’Assemblée générale des Nations unies, ont condamné le blocus auquel la soumettent Etats-Unis. Il critique même les sanctions appliquées par Washington au Venezuela, non pour leur caractère injuste, mais parce qu’elles « n’apportent rien ».

Plutôt indulgent antérieurement lors d’une situation similaire, Lula, cette fois, réagit. Attribuant les critiques de Boric à un criant déficit d’expérience – « Le manque d’habitude de participer à ces réunions rend peut-être un jeune plus assoiffé, plus pressé » –, il souligne : « Nous savons tous ce que pense l’Europe, nous savons tous ce qui se passe entre l’Ukraine et la Russie. Nous savons tous ce que pense l’Amérique latine. Je ne suis pas obligé d’être d’accord avec Boric, c’est sa vision. »

Considéré avec une suspicion croissante par les gauches latino-américaines, Boric, fort heureusement pour lui, se fait de nouveaux amis : « Concernant mon entretien avec Emmanuel Macron, va-t-il confier au quotidien Le Monde (25 juillet), nous avons discuté, notamment, des valeurs que nous partageons et de la manière dont nous pouvons lutter pour faire triompher la démocratie et les droits humains. » D’après la presse allemande, par son alignement sur la droite latina et l’UE, Boric « a sauvé le Sommet ».

Autre blocage prévisible : « Nous prenons note des travaux en cours entre l’UE et le Mercosur », se contente de pointer le communiqué final. Par rapport aux prémices, les positions n’ont pas évolué pas pendant le Sommet. Là encore, Lula résume la situation : « Nous allons devoir apprendre qu’en matière de négociation, nous n’obtenons pas tout ce que nous voulons, mais que nous ne cédons pas non plus sur tout ce que l’autre partie veut. Nous nous mettons d’accord sur ce qui est possible. C’est ce que je suis prêt à faire, c’est ce que le Mercosur est prêt à faire et c’est ce qui se passera. »

Il est de bon ton de dire que de tels sommets n’accouchent que de souris. Dans le cas présent, ce n’est que partiellement vrai. Côté UE, on a repris langue avec une partie du monde que, multilatéralisme oblige, il serait néfaste de négliger et dont il serait absurde d’être exclu. Côté latino-américain et caraïbe, on note avec satisfaction la tonalité de la déclaration finale. Il n’est pas si fréquent qu’un conclave tenu avec les Eurocrates rappelle la résolution de l’ONU enjoignant la levée du blocus imposé à Cuba ; critique le maintien de l’île, par Washington, sur la liste des Etats soutenant le terrorisme ; s’oppose aux lois extraterritoriales ; désigne les pays latinos et caraïbes comme appartenant à une Zone de paix ; réaffirme les principes de souveraineté, d’autodétermination, de non-intervention dans les affaires qui relèvent principalement de la compétence nationale des Etats et de non-recours, dans les relations internationales, à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ; revient sur le soutien sans réserve au processus de paix en Colombie et, notamment, à la mise en œuvre intégrale de l’accord de paix de 2016 conclu entre le gouvernement colombien et les FARC-EP ; évoque une réforme du système financier international ; offre « une victoire diplomatique historique » à Buenos Aires, d’après le président Alberto Fernández, en mentionnant l’appui historique de la CELAC « sur la question de la souveraineté des Iles Malouines » occupées par la Grande-Bretagne et revendiquées par l’Argentine. « Merci, le Brexit », sourient les latino-américains…
Seul un pays n’a pas signé ce communiqué final : le Nicaragua. En cause, le point 15, sur la « guerre contre l’Ukraine ». Mais aussi le fait que les Européens ont mis leur veto sur deux des propositions de Managua. La première : une mise en cause des sanctions contre Cuba, le Venezuela et le Nicaragua. Si l’exigence d’une levée du blocus contre Cuba a bien été retenue, note Managua, « ils n’ont pas accepté de mettre le Venezuela ni le Nicaragua. » Pas plus qu’il n’a été demandé aux Etats-Unis, comme le souhaitaient les sandinistes, de respecter la sentence de la Cour Internationale de Justice de La Haye (27 juin 1986) et d’indemniser (17 milliards de dollars) le Nicaragua pour les « actes de terrorisme » (activités militaires et paramilitaires) commis contre lui par Washington dans les années 1980.

Pour mémoire, on notera qu’à l’ombre du Sommet, s’est déroulée une réunion sur la crise au Venezuela. Y participaient la vice-présidente Delcy Rodríguez et le représentant d’une partie de l’opposition Gerardo Blyde, mais aussi les présidents Macron, Lula, Petro, Fernández, ainsi que le Haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères Josep Borrell. De cette rencontre qui a prôné « une négociation politique débouchant sur l’organisation d’élections équitables pour tous », s’accompagnant d’une « levée des sanctions » (sans préciser quand), on notera que, quand bien même elle serait portée par les meilleures intentions, elle demeure un chapelet de vœux pieux dans la mesure où le seul pays susceptible de lever les dites sanctions, les Etats-Unis, en était totalement absent et s’en désintéresse complètement.
Si l’on excepte la reconnaissance de Delcy Rodríguez comme vice-présidente légitime de la République bolivarienne, une victoire pour Caracas, le seul résultat tangible de l’événement est donc que les participants feront à nouveau « le point » lors du Forum de Paris sur la Paix du 11 novembre 2023.
On ne pourrait que se féliciter de l’implication croissante du président Macron dans une « tentative de résolution de la crise vénézuélienne » si, alors qu’il prônait une négociation saine et respectueuse face à Delcy Rodríguez et aux présidents de gauche latino-américains, il n’avait chaudement félicité Gabriel Boric, lors d’une rencontre à Paris, le 21 juillet, pour sa condamnation des atteintes aux droits de l’Homme au… Venezuela. Ce n’est plus du « en même temps », c’est du « je joue cyniquement sur tous les tableaux ».

De façon aussi symbolique que significative, un certain nombre de chefs d’Etat – Miguel Díaz Canel, Gustavo Petro, Luis Arce –, une vice-présidente – Delcy Rodríguez – et deux ministres des Affaires étrangères – Alicia Bárcena (Mexique), Iván Gil (Venezuela) – sont passés à un moment ou à un autre, et en particulier lors de sa clôture, à la « Cumbre de los Pueblos » (Sommet des Peuples). Ce chaud Forum a été organisé, également à Bruxelles, à l’initiative d’une centaine de collectifs, organisations populaires et sociales ainsi que partis politiques latino-américains et européens – représentés, entre autres, pour ces derniers, par Jean-Luc Mélenchon (LFI ; France), Raoul Hedebouw et Peter Mertens (Parti des travailleurs ; Belgique), Sandra Pereira (Parti communiste ; Portugal).
Les interventions des hauts dirigeants échappés du Sommet officiel et, dans le contexte de cette « Cumbre », beaucoup plus « libres » de parole, ne se sont en rien démarquées du ton très offensif de cette base que certains qualifieraient de « radicale », bien que n’étant en rien excessive. Elle aussi a délivré sa déclaration finale. Condamnant « les campagnes médiatiques visant à déstabiliser les gouvernements démocratiquement élus par leurs peuples en Amérique latine et dans les Caraïbes », pointant du doigt l’ingérence de l’impérialisme étatsuniens et de ses collaborateurs dans le renversement des gouvernements populaires, celle-ci a de plus stigmatisé le blocus contre Cuba, rejeté les mesures coercitives américaines contre le Venezuela et le Nicaragua, et répudié la politique de l’UE les approuvant.

Depuis en bas cette fois, mais en phase avec le sommet, une pierre de plus dans la revendication d’autonomie de l’Amérique latine et dans sa recherche d’une coopération avec l’UE, mais en condition de transparence, de respect et d’égalité.

Maurice Lemoine

Global Gateway

Telle qu’elle a été présentée, l’initiative « Global Gateway » impliquerait l’investissement de l’UE dans (environ) 130 projets aussi divers que (liste indicative, au conditionnel et non exhaustive) :

  • Argentine  : chaînes de valeur pour les matières premières essentielles (lithium et cuivre) ; production d’énergie renouvelable ; efficacité énergétique ; bio-économie.
  • Belize  : mini-infrastructures pour les communautés indigènes ; crédits pour les PME, les micro-entreprises et les agriculteurs
  • Bolivie  : exploitation du lithium.
  • Brésil  : prévention de la déforestation en Amazonie ; télécommunications, également en Amazonie ; promotion d’une bio-économie durable ; financement d’initiatives énergétiques vertes et promotion de l’hydrogène vert.
  • (Iles de la) Caraïbe (en général) : énergie solaire et éolienne ; lutte contre les pénuries d’eau ; adaptation au changement climatique ; lutte contre la pollution de l’océan.
  • Chili  : chaînes de valeur des matières premières essentielles (lithium, cuivre) ; production de carburants neutres en carbone (hydrogène vert).
  • Colombie  : production d’hydrogène vert et d’énergies renouvelables ; augmentation de la connectivité Internet ; contribution à la ligne 2 du métro de Bogotá.
  • Costa Rica  : pêche et agriculture durables ; électrification des transports publics.
  • Cuba  : industrie biotechnologique ; centrales éoliennes et solaires afin d’augmenter la production d’électricité.
  • Equateur  : extension et amélioration des systèmes d’assainissement et d’eau potable ; système andin d’interconnexion électrique.
  • Guatemala  : lutte contre la contamination des bassins hydrographiques ; maintien de l’approvisionnement en eau de la capitale Ciudad Guatemala.
  • Guyana  : soutien à la sylviculture, au traitement de l’eau et à la fabrication d’équipements sanitaires.
  • Haïti  : soutien à l’éducation.
  • Honduras  : construction d’un barrage pour production d’énergie durable.
  • Jamaïque  : rénovation urbaine ; gestion des déchets ; micro-entreprises ; réseaux G-5.
  • Mexique : développement de parcs industriels et de chaînes de valeur de l’économie verte.
  • Panamá  : projets de transition énergétique.
  • Paraguay  : plantation forestière ; nouvelle usine de pâte à papier ; modernisation du réseau de distribution d’électricité.
  • Pérou  : tourisme « durable » ; plans d’interconnexion électrique ; amélioration de la mobilité urbaine.
  • République dominicaine  : infrastructures de transport urbain ; gestion de l’eau et des déchets.
  • Salvador  : cofinancement du train du Pacifique et de la première ligne du métro de San Salvador.
  • Trinité-et-Tobago  : collecte et traitement de l’eau ; soutien à la transition numérique.
  • Uruguay  : production d’hydrogène renouvelable ; adaptation de l’infrastructure du port de Montevideo.
  • Venezuela  : programme de réduction des émissions de dioxyde de carbone et de méthane dans les raffineries et les puits de pétrole de la province pétrolière et gazière de Monagas (est du pays).

Avec Inter Press Service – https://ipsnoticias.net/2023/07/america-latina-y-la-ue-casi-unanimes-al-cerrar-su-cumbre/

Illustrations : Conseil de l’Union européenne


NOTES

[1] Acronyme reprenant l’initiale des « géants du net » : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft.

[2] A l’origine, le Groupe de Lima comprend l’Argentine, le Brésil, le Canada, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, le Guatemala, le Honduras, le Mexique, le Panamá, le Paraguay, le Pérou, le Guyana et Sainte-Lucie.

[3] Comisión Económica para América Latina y el Caribe (CEPAL), Oportunidades para la inversión y la colaboración entre América Latina y el Caribe y la Unión Europea (LC/TS.2023/78), Santiago, 2023 – https://repositorio.cepal.org/bitstream/handle/11362/48984/3/S2300118_es.pdf

[4] Christophe Ventura, Géopolitique de l’Amérique latine, IRIS et Editions Eyrolle, Paris, 2022.

[5] Les BRICS n’ont pas finalisé la documentation définissant les principes et critères permettant d’accueillir de nouveaux membres. Un tel document pourrait être prêt et présenté lors du Sommet de l’organisation, en Afrique du Sud, en août. Alors que trente pays ont déclaré leur intention de rejoindre le bloc, vingt demandes d’adhésions ont été enregistrées.

[6https://www.dw.com/es/prensa-alemana-europa-pierde-influencia-en-am%C3%A9rica-latina/a-66160232

[7] Lire « Les petits télégraphistes du coup d’Etat qui n’existe pas » (4 février 2020) – https://www.medelu.org/Les-petits-telegraphistes-du-coup-d-Etat-qui-n-existe-pas

[8https://press.un.org/fr/2022/ag12407.doc.htm

[9] Lire « OTAN, suspends ton vol » (14 mars 2022) – https://www.medelu.org/OTAN-suspends-ton-vol

[10https://time.com/6173232/lula-da-silva-transcript/

[11https://www.greenpeace.fr/accord-ue-mercosur-un-cocktail-toxique/

[12] Sur l’argumentation des opposants à l’Accord, lire : https://www.collectifstoptafta.org/IMG/pdf/dossier_militant.pdf

[13] L’Accord de Paris est un traité international juridiquement contraignant sur les changements climatiques. Il a été adopté par 196 Parties lors de la COP 21, la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques tenue à Paris, le 12 décembre 2015. Il est entré en vigueur le 4 novembre 2016.

[14https://ladiaria.com.uy/mundo/articulo/2023/7/cumbre-del-mercosur-canciller-argentino-planteo-actualizar-los-textos-del-acuerdo-alcanzado-con-la-union-europea-en-2019/

[15] Montrant un fort empressement à voir affluer les investissements étrangers, l’Uruguay fait bande à part et souhaite depuis longtemps s’extraire des règles du Mercosur, qui impliquent des négociations « en bloc », pour signer des accords bilatéraux.

[16] Outre le Sommet proprement dit, la réunion de la « société civile » a eu lieu les 14 et 15 juillet, sans grandes répercussions ; une table ronde des entreprises, le 17 ; une rencontre des ministres de l’Economie se tiendra à Saint-Jacques-de-Compostelle le 15 septembre.

[17] L’Amérique latine a été représentée par vingt-et-un chefs d’Etat – Argentine, Bahamas, la Barbade, Belize, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Cuba, Dominique, République dominicaine, Equateur, Guyana, Haïtí, Honduras, Jamaïque, Paraguay, SaintChristopheetNiévès, Surinam, Uruguay – , deux vice-president(e)s – Panamá, Venezuela –, huit ministres des Affaires étrangères – El Salvador, la Grenade, Guatemala, Mexique, Nicaragua, Pérou, Sainte-Lucie, Trinité et Tobago.

[18https://www.consilium.europa.eu/media/65920/st12000-en23.pdf

[19https://www.consilium.europa.eu/media/65925/st12000-es23.pdf

URL de cet article : https://www.medelu.org/Europe-Amerique-latine-retrouvailles-au-Sommet

« SUR », la monnaie souveraine imaginée par Lula : un anti-Euro, dans les pas de Chavez et de Keynes.

Par Pablo Giuliano, correspondant de TELAM au Brésil

Un temps écarté par 580 jours d’un emprisonnement basé sur des accusations fabriquées avec l’aide des États-Unis dans le but de faire gagner l’extrême droite, le candidat Lula est redevenu le favori des présidentielles. S’il est élu en octobre 2022, il envisage de créer une monnaie commune sud-américaine, baptisée SUR, qui réduirait le rôle du dollar dans le commerce régional tout en garantissant la souveraineté des monnaies nationales.

Hugo Chávez le premier avait préparé le terrain en lançant le SUCRE, destiné à renforcer la souveraineté, le commerce et et la coopération latino-américaines face au dollar. Cette nouvelle proposition de créer une monnaie unique pour l’Amérique du Sud vise à anticiper une « grande discussion » sur « le monde inauguré par les sanctions contre la Russie », a déclaré à Télam un membre de l’équipe économique de Lula. « Nous ne voulons pas que l’Amérique du Sud soit à nouveau un acteur secondaire dans la conception d’une nouvelle ingénierie monétaire internationale. Nous devons être prêts à disposer d’une force propre« . L’idée est différente de celle de l’euro, la monnaie commune de 19 pays de l’Union européenne (UE) qui a éliminé les monnaies nationales et qui dépend d’une seule Banque centrale européenne : dans le cas du SUR, la proposition est que chaque pays conserve sa monnaie nationale.

Le projet s’inspire de la proposition d’une monnaie internationale, le BANCOR, que l’économiste britannique John Maynard Keynes avait présentée aux puissances sur le point de gagner la Seconde Guerre mondiale lors de la conférence de Bretton Woods aux États-Unis en 1944, afin de surmonter les crises du précédent système d’étalon-or. Cette proposition avait été rejetée par la conférence qui a conçu les politiques économiques mondiales d’après-guerre : le dollar états-unien est devenu l’étalon monétaire international de référence, remplaçant la livre sterling et l’or.

À l’avant-garde de cette ingénierie financière que Lula proposera à ses voisins s’il remporte l’élection présidentielle du 2 octobre, on trouve Gabriel Galípolo, professeur à l’université fédérale de Rio de Janeiro et président entre 2017 et 2021 de la banque d’investissement FATOR, et l’ancien ministre de l’éducation Fernando Haddad, possible candidat au poste de gouverneur de São Paulo pour le Parti des Travailleurs. L’ancien ministre des affaires étrangères et ancien ministre de la défense, Celso Amorim, principale figure de proue de la politique étrangère de la campagne Lula 2022, soutient également cette idée.

Lula lui-même, lors de deux événements récents, a déclaré que la réduction de la dépendance au dollar et la création d’une monnaie sud-américaine faisaient partie de son programme, a fortiori depuis le scénario ouvert par la décision des États-Unis et de l’Union européenne (UE) de sanctionner la Russie pour avoir envahi l’Ukraine, en la retirant du système de paiement international (Swift).

En 2009, alors que Lula vivait son deuxième mandat avec une croissance et une popularité élevées, il avait tièdement proposé la création d’une monnaie pour les pays émergents BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), en même temps qu’il inaugurait avec l’Argentine, en 2008, le système de paiements en monnaies locales, qui se poursuit à ce jour mais avec une influence inférieure à 5% sur le commerce bilatéral.

Sur le projet

L’idée de SUR s’inspire davantage du projet de Keynes de créer un système international de compensation monétaire que du traité de Maastricht qui a forgé l’UE, où tous les pays ont renoncé à leur monnaie, dépendent d’une seule banque centrale et subissent des asymétries insurmontables, comme le cas de la puissante Allemagne qui exige des réformes économiques de la Grèce affaiblie, alors qu’ils sont pairs au sein du bloc.

Notre intention, a déclaré l’interlocuteur de Lula, est d’avoir une monnaie qui garantisse la souveraineté nationale de tous les pays. Il s’agit d’une proposition liée à celle de Keynes pour les relations entre les pays lorsqu’il a proposé une méthode de paiements internationaux appelée BANCOR. Pourquoi l’Argentine et le Brésil sont-ils conditionnés par la monnaie d’un pays tiers, sur laquelle nous n’avons aucun contrôle ?

À l’instar de la proposition de Keynes, l’émission de SUR s’accompagnerait de la création d’une autorité ou d’une institution monétaire supranationale où chaque pays du système ouvrirait un compte et apporterait un capital initial provenant de ses réserves internationales et de la balance commerciale des pays d’Amérique du Sud, afin que l’institution puisse simultanément financer des projets d’infrastructure, fonctionnant comme une banque de développement régional sans dépendre de prêts extérieurs ancrés au dollar.

Le taux de change entre les monnaies nationales et le SUR serait flottant et une chambre de compensation sud-américaine devrait être créée pour réduire les asymétries et empêcher le Brésil, première économie d’Amérique latine, d’entraîner ses pairs dans la dépendance.

Ce qui se prépare maintenant, a déclaré la source à TELAM, c’est une grande discussion sur la fragmentation possible de nouvelles monnaies qui pourraient émerger dans le monde inauguré par les sanctions contre la Russie. Nous ne voulons pas que d’autres construisent pendant que nous attendions ou que nous continuions à prendre des mesures telles que la modification des taux d’intérêt, en restant condamnés à réagir aux mouvements du dollar.

Pour les conseillers de Lula, l’idée du SUR est de créer un moyen de construire des institutions démocratiques internationales. « L’économie s’est mondialisée, mais les démocraties sont nationales, et c’est pourquoi nous devons créer des instances de consensus et de dialogue afin que la volonté démocratique puisse s’étendre à la sphère internationale« , a-t-il ajouté.

Ce que disent les spécialistes

Consulté par Télam, Marcio Pochmann, professeur à l’Université de Campinas (Unicamp), ancien directeur de l’Institut gouvernemental de recherche économique appliquée (IPEA) et actuel président de l’Institut Lula, a déclaré que « la monnaie telle que nous la connaissons disparaîtra probablement dans la décennie 2022« .

M. Pochmann, qui a précisé qu’il n’avait aucun lien avec le projet de monnaie régionale, a souligné que, grâce aux progrès technologiques, trois pour cent de la monnaie mondiale est actuellement constituée de papier. « Nous sommes dans un processus de numérisation des monnaies, des monnaies privées comme les crypto-monnaies, des expériences étatiques de crypto-monnaies qui sont alternatives dans des pays comme le Salvador, le Venezuela et l’Iran, qui fonctionnent de manière alternative parce qu’elles sont exclues du système Swift« , a expliqué Pochmann. Les sanctions contre la Russie ont provoqué, selon M. Pochmann, une « innovation critique à l’égard du dollar en montrant le rouble comme une monnaie à effet de levier sur les matières premières« .

M. Pochmann a souligné que la création d’une monnaie régionale telle que le SUR devrait s’inscrire dans un processus d’intégration plus large, citant par exemple l’Unasur, une organisation que Lula a déclaré vouloir relancer s’il remportait les élections du 2 octobre. « Défendre notre souveraineté latino-américaine, c’est défendre notre intégration, c’est renforcer à nouveau le MERCOSUR, l’UNASUR, la CELAC et les BRICS » a déclaré le candidat qui est entré officiellement en campagne le 7 mai pour battre l’extrême droitier Bolsonaro. Pour l’expert Pochmann, cette décennie doit être celle de la construction d’un nouvel étalon monétaire accéléré par l' »incertitude » de la situation russe.

« Le continent américain s’est constitué dans la perspective de l’eurocentrisme et il est clair que nous vivons un moment de dislocation du centre dynamique de l’Ouest vers l’Est, de l’Atlantique vers le Pacifique. À cela s’ajoute le grave problème du modèle de mondialisation piloté par les grandes sociétés multinationales« , a déclaré M. Pochmann, qui a souligné que la réindustrialisation doit être l’objectif à atteindre afin d’accroître le commerce de produits à valeur ajoutée.

Source : https://www.telam.com.ar/notas/202205/591902-moneda-unica-guerra-ucrania.html

Traduction : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/05/09/sur-la-monnaie-souveraine-imaginee-par-lula-un-anti-euro-dans-les-pas-de-chavez-et-de-keynes/

« S’éloigner de l’Occident, se concentrer sur l’Asie » : l’Amérique Latine et la nouvelle économie mondiale.

Interview par Kawsachun News de l’économiste équatorien Juan Fernando Terán* à propos des sanctions occidentales et de la manière dont l’Amérique latine peut protéger son économie.

Kawsachun News L’industrie bananière équatorienne s’est effondrée quand lui a été fermé le marché russe. Qui paie le prix des sanctions occidentales contre la Russie ?

Juan F. Terán : Les pays qui exportent des denrées alimentaires et des produits agricoles sont aujourd’hui dans une position très difficile. L’Équateur, la Colombie, le Brésil et l’Argentine sont parmi les plus touchés. Ces pays importent presque toutes les fournitures dont ils ont besoin pour la production agricole : engrais, produits agrochimiques et même semences dans certains cas. Les sanctions ont interrompu ces approvisionnements. Nous aurions pu éviter cette situation.

L’Amérique Latine a connu un âge d’or de développement et d’intégration à l’époque de dirigeants tels que Hugo Chavez, Rafael Correa, Evo Morales, Ignacio Lula da Silva et d’autres. Au cours de ces années, de nombreux travaux ont été consacrés à la question de savoir comment la région pouvait commencer à produire ses propres approvisionnements agricoles. Il s’agissait même d’un projet phare de l’UNASUR. L’objectif était de garantir la sécurité alimentaire face aux fluctuations des marchés internationaux. Il y avait également la proposition d’une banque à l’échelle de l’Amérique latine et d’une monnaie commune. Cela aurait pu aider l’économie de la région à survivre à la crise monétaire actuelle.

Or que se passe-t-il aujourd’hui ? Prenons le cas de l’Équateur : nous avons deux sources principales de revenus dans les exportations. La première est le pétrole, et logiquement, les conséquences de la guerre en Ukraine auraient dû être, à travers l’augmentation de son prix, une croissance des revenus pour l’Équateur. Cependant, le président conservateur Guillermo Lasso a promis au FMI de le payer au moyen des futures ventes de pétrole. Donc même si le prix du pétrole passe à 300 dollars, cela ne profitera aux citoyens ordinaires.

Et qu’en est-il de l’agriculture ?

Le pays gagne aussi beaucoup en exportant des produits comme les bananes, le café, les crevettes et les fleurs. Le principal marché pour la production de fleurs équatoriennes est la Russie. Aujourd’hui, ces producteurs sont confrontés à une crise dramatique car les sanctions les ont coupés de leurs clients. C’est une industrie énorme pour l’Équateur, dans les provinces de Pichincha et Cotopaxi, il y a des régions entières consacrées presque entièrement à la production de fleurs. Ils ont même des aéroports là-bas car ces fleurs sont exportées dans le monde entier par avion. Une petite partie de leur production va aux États-Unis et en Europe, mais la grande majorité va en Russie. La Russie est l’un des rares pays où les gens achètent des fleurs toute l’année et pas seulement pour certaines dates comme la Saint-Valentin. Hé bien, qu’en est-il de nos exportations de crevettes, de café ou de cacao ? Elles nécessitent des engrais et d’autres fournitures agricoles importés. Il y a maintenant une pénurie mondiale, la Russie était le premier producteur mondial et la voilà sanctionnée.

Quelle a été la réponse du gouvernement ?

Les pays peuvent survivre à cette tempête s’ils ont un parapluie d’État, mais l’Équateur est soumis à un gouvernement néolibéral. Notre économie n’a plus de parapluie maintenant. Quelle a été la réponse néolibérale à cette crise actuelle ? Les producteurs de fleurs ont été les premiers à demander de l’aide. Ils ont demandé des prêts afin de pouvoir subvenir temporairement à leurs besoins. Le président Lasso a répondu en disant que prendre ce genre de mesures suppose d’assumer un risque et que l’État n’a aucune obligation de renflouer qui que ce soit. Cette idée de ne renflouer personne est une excellente idée…. si elle est appliquée uniformément. Nous ne devrions pas avoir à renflouer les banquiers quand ils ont une « crise », mais bien sûr, le banquier Guillermo Lasso n’abandonnera jamais « son » peuple… Il abandonne seulement les petits agriculteurs. L’élection de gouvernements progressistes en Amérique latine n’est pas seulement une question d’idéologie ; il s’agit aussi pour les citoyens de défendre leur économie et leur niveau de vie. Si un banquier gagne une élection, ne soyons pas surpris du résultat.

De nombreux pays considèrent désormais Washington comme un allié peu fiable et cherchent à commercer dans d’autres monnaies. Pensez-vous que le dollar états-unien va perdre son hégémonie internationale ? Et qu’est-ce que cela signifierait pour l’Amérique latine ?

Lorsque les pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) commenceront à commercer entièrement en Yuan, ou dans toute autre monnaie autre que le dollar, le monde changera vraiment. Je pense que nous pouvons nous attendre à voir cette transformation dans les cinq prochaines années. Cela représentera la défaite définitive de l’empire états-unien. L’histoire nous montre que la puissance militaire d’un pays est liée à la puissance de sa monnaie.

Lorsque la Grande-Bretagne régnait sur le monde, la livre sterling dominait le commerce international. Même la dette extérieure de l’Équateur était calculée en livres sterling. Les réserves de notre banque centrale s’exprimaient en livres sterling. Cette situation a changé après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, car les États-Unis sont devenus la nouvelle puissance dominante et ont créé les institutions financières et monétaires du monde à leurs propres fins, puis ont supprimé l’étalon-or du dollar. La guerre actuelle en Ukraine est également une question de monnaie. Les États-Unis participent à ce conflit contre la Russie parce qu’ils ont besoin de défendre à tout prix la puissance du dollar-papier alors que la Russie ou l’Inde amarrent leurs monnaies à la valeur de matières premières.

Que peut faire la région ?

L’Amérique latine doit lentement se désolidariser du dollar états-unien. Nous devons diversifier nos réserves monétaires internationales. Rafael Correa avait commencé à le faire en Équateur en investissant dans des réserves d’or, ce qui avait été critiqué par la droite. Cependant, cette diversification ne peut se faire que si nous apportons les changements nécessaires à nos relations commerciales. Si nous devons commencer à constituer des réserves en yuan chinois, nous devons approfondir nos relations commerciales avec la Chine pour y parvenir.

Carte 1 : bien qu’ils totalisent 14% de la population mondiale, les pays qui sanctionnent la Russie incarnent encore la « communauté internationale » pour la plupart des journalistes occidentaux.
Carte 2 : la vraie taille de l’Amérique Latine. Merci à Ollie Vargas.

Je pense que nous devrions revenir à la proposition de l’UNASUR de créer une monnaie commune latino-américaine avec sa propre banque centrale. Nous avons également besoin d’un système de paiement latino-américain. Regardez comment les États-Unis utilisent SWIFT pour exclure de l’économie mondiale tout pays qui ne leur plaît pas. La Russie et la Chine créent leurs propres systèmes de paiement. Il y a des années que le Venezuela est sorti du SWIFT. Nous devrions également avoir notre propre système.

Il ne sert à rien de se plaindre de l’agression états-unienne. C’est dans leur nature d’envahir et d’attaquer des pays dans le monde entier. Le vrai problème est que l’Amérique latine est exposée et incapable de faire face à ce type de guerre économique. En réponse, nous devons nous tourner vers l’Asie de manière sérieuse. Pourquoi le gouvernement équatorien n’assure-t-il pas de nouveaux marchés, par exemple pour nos crevettes et nos bananes, en Chine ? Il y a une énorme demande là-bas. La Bolivie et l’Équateur possèdent tous deux de vastes richesses minérales. Nous devons contourner l’Occident et nous concentrer sur l’Asie en matière de commerce et d’investissement dans les produits de base.

Les médias états-uniens ont attaqué des pays comme le Mexique, le Brésil ou l’Argentine pour ne pas avoir imposé de sanctions économiques à la Russie. Pensez-vous que cette demande des États-Unis va, à terme, briser leur sphère d’influence ici et dans le monde non-occidental ?

Ces sanctions provoquent une crise d’inflation pour les gens partout dans le monde. Les Européens paient déjà 8-9 euros pour un gallon d’essence. Aux États-Unis, il est à 4,75 dollars, voire 6 dollars dans des endroits comme la Californie et Miami. C’est choquant. Les sanctions ont un effet boomerang sur les États-Unis et leurs citoyens. Bien que tout le monde ne souffre pas : les fabricants d’armes ne souffrent pas. Des gens comme le fils de Biden, qui a des relations douteuses dans le secteur du gaz, ne vont pas souffrir. Des rapports d’analyse financière ont été publiés cette semaine, indiquant que si le prix de l’essence reste à 4,75 dollars en moyenne nationale aux États-Unis, l’économie entrera en récession à la fin de l’année. Rien de ce qu’ils font n’est lié aux intérêts des citoyens ordinaires.

  • * Économiste, coordinateur de recherches à l’Instituto de la Ciudad del Distrito de Quito (Équateur), Juan Fernando Terán enseigne actuellement les « Politiques économiques appliquées en Amérique latine » et les « Économie et politique des ressources naturelles et de l’énergie » à l’Université Andine Simón Bolívar. Parmi ses publications : « Las quimeras y sus caminos : la gobernanza del agua y sus dispositivos para la producción de pobreza rural en los Andes Ecuatorianos » (Buenos Aires : CLACSO), « La sequedad del ajuste : implicaciones de la gobernanza global del agua para la seguridad humana en Ecuador » (Quito : CEN) et « La ecología del agua : una introducción a sus temas y problemas en Ecuador » (Quito : Camaren).

Source : https://kawsachunnews.com/interview-latin-america-in-the-new-global-economy

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/04/04/seloigner-de-loccident-se-concentrer-sur-lasie-lamerique-latine-et-la-nouvelle-economie-mondiale/

OTAN, suspends ton vol ! (nouvelles d’Amérique Latine, par Maurice Lemoine)

Illustration : Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN et Ivan Duque, président de la Colombie, le 14 février 2022 / Photo : NATO Flickr CC

C’est l’histoire d’un type qui passe devant un chien et qui lui donne un grand coup de pied. L’animal jappe. Impassible, l’homme lui décoche un nouvel horion. Le chien aboie furieusement. Sans s’en préoccuper, l’homme le shoote à nouveau. Cette fois, le chien bondit et lui mord furieusement le mollet. Le type se tourne alors vers les amis qui l’accompagnent et fait : « Ah ! Vous voyez bien qu’il est méchant ! »

L’auteur: Maurice Lemoine, ex-rédacteur en chef du Monde Diplomatique, couvre l’Amérique Latine depuis 35 ans.

Le 24 février, arguant de ce que les territoires séparatistes du Donbass – les Républiques populaires de Donetsk et Louhansk –avaient sollicité l’aide de la Russie et que cette dernière était d’autre part progressivement encerclée par l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), le président Vladimir Poutine a déclenché ce qu’il a appelé une « opération militaire spéciale » contre l’Ukraine – en réalité, une invasion du pays voisin. En recourant à l’usage de la force en violation des principes juridiques du droit international et de la Charte des Nations unies, Poutine a pris l’énorme responsabilité d’un déchaînement de violence entraînant, pour Ukrainiens et Russes, son cortège de souffrances, de morts et de destruction. Provoquant l’effroi, resurgit du passé de la vieille Europe une maxime qu’on croyait oubliée : celle de Jacques Prévert – « Quelle connerie la guerre ! » – dans son poème « Rappelle-toi Barbara ». 
 
Comme d’habitude en pareille circonstance, le champ des réactions ne donne lieu à aucune surprise. Bottée, casquée, harnachée, l’union sacrée médiatique « publique-privée » sort la grosse artillerie dans une version où, sur l’air de « Johnny s’en-va-t-en guerre », tout est par définition noir ou blanc. A la marge, et tout en condamnant sans équivoque l’action de la Fédération de Russie, quelques voix de sensibilités politiques diverses contextualisent le conflit, en analysent la complexité et suggèrent que, si avaient été prises en compte les demandes légitimes depuis longtemps exprimées par Moscou, une telle catastrophe aurait pu ou dû être évitée – à l’instar (entre autres) de Dominique de Villepin, Hubert Védrine ou Jean-Luc Mélenchon. Lequel, de ce fait rebaptisé « poutiniste » (populiste étant devenu éculé), est haineusement vilipendé par le club européo-atlantiste « en état de mort cérébrale » des Daniel Cohn-Bendit, Yannick Jadot, Alain Lipietz, Raphael Glucksmann ou Anne Hidalgo (Madame « entre 1,5 % et 3 % » dans les sondages d’opinion).

Bien que située de l’autre côté de l’Atlantique, l’Amérique latine se sent – et est de fait – concernée par ce conflit en apparence européen. D’où un premier constat : malgré une relative réactivation de la Communauté des Etats latino-américains et caraïbes (Celac) sous la récente présidence pro tempore du Mexique d’Andrés Manuel López Obrador (AMLO), la région aborde la crise en ordre dispersé. Diverses, les prises de position s’y expliquent par les enjeux politiques et économiques propres à chacun des pays.

En inaugurant le Conseil permanent de l’Organisation des Etats américains (OEA) convoqué de façon virtuelle le 25 février, le secrétaire général de l’OEA Luis Almagro a joué son habituel rôle d’employé zélé du Département d’Etat américain en estimant qu’« aucune des raisons invoquées par le président russe ne peut être une excuse pour les actes qui sont commis sous ses ordres en Ukraine ». Vingt-et-un pays l’ont suivi – en réalité vingt, le Venezuela étant représenté par le pseudo gouvernement du président imaginaire Juan Guaido – en condamnant « énergiquement l’invasion illégale, injustifiée et non provoquée de l’Ukraine par la Fédération de Russie ». Parmi ces nations figurent la Colombie, principale alliée de Washington sur le sous-continent, mais aussi le Chili, l’Equateur, le Mexique, le Paraguay et le Pérou [1].

On a pu remarquer, au sein de ce bloc, certaines incongruités. Au Chili, un président récemment élu, l’ancien dirigeant étudiant Gabriel Boric (centre-gauche), aligné sur le chef de l’Etat sortant, néolibéral pro-américain et bourreau du mouvement social de 2019, Sebastián Piñera (droite). Après une première et sèche condamnation de Moscou, Boric, qui a pris ses fonctions le 11 mars, a partagé sur Twitter un message de 9 minutes du président ukrainien Volodimir Zelenski. Moins partisane, la Convergence sociale, dont est issu Boric, a rejeté « les solutions de guerre », exprimé sa « solidarité au peuple ukrainien » tout en prônant la fin des alliances militaires « dirigées par des grandes puissances ». A son échelon et fort de sa longue expérience politique, le Parti communiste chilien (PCC), dont trois membres participeront comme ministres au premier gouvernement Boric, introduit une nuance plus affirmée en estimant que « chaque pays doit assumer sa responsabilité ; en premier lieu la Russie ; mais aussi les Etats-Unis et l’OTAN ».

Le même cas de figure peut être observé au Pérou. Passablement erratique dans ses décisions, mais aussi déstabilisé par le « coup d’Etat lent » qu’a déclenchée la droite contre lui [2], le président Pedro Castillo s’aligne sans nuances sur l’arc de forces pro-Washington. En revanche, et même si Pérou libre, qui l’a porté au pouvoir, n’a pas émis de position officielle, le fondateur et secrétaire général de ce parti, Vladimir Cerrón, a publié une série de messages explicites sur son compte Twitter. Il y dénonce « le maintien de la structure militaire de l’OTAN », qui, pour lui, « n’est rien d’autre que la machine de guerre de l’Amérique du Nord et de l’Europe ».
Dernier représentant d’une « nouvelle gauche » annoncée ou souhaitée par beaucoup : le colombien Gustavo Petro. Donné potentiel vainqueur de l’élection présidentielle du 29 mai prochain, à la tête d’une large coalition, le Pacte historique, ce dernier a pour l’instant évité de se prononcer sur le fond. Les positions extrêmes du président Iván Duque ayant entraîné la circulation de rumeurs prétendant que la Colombie allait envoyer des troupes en Europe [3], Petro, lors d’un meeting de campagne (24 février), s’est impatienté : « Nous n’allons pas pouvoir aider la Russie ou l’Ukraine ou les Etats-Unis, nous devons nous aider nous-mêmes ; nous sommes trop impliqués dans une autre guerre et dans la lutte contre la faim, pour aller maintenant tuer de jeunes Colombiens sur les champs de bataille d’Ukraine… » En d’autres termes : en pleine campagne électorale, Petro choisit de ne braquer ni ses alliés « anti-impérialistes » ni les éventuels ralliés centristes d’un second tour, moins enclins à mettre en cause les Etats-Unis.

D’autres pays, et non des moindres, condamnent l’usage de la force par Moscou, mais prônent la diplomatie, à l’image de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil ou du Mexique. Et pour cause. Aucun d’entre eux, et depuis longtemps, ne considère la Russie comme une ennemie. On rappellera que, en juillet 2014, une tournée de Vladimir Poutine en Amérique latine l’a amené à Cuba, au Nicaragua, mais aussi en Argentine, avant de se terminer à Fortaleza, au Brésil, à l’occasion du sommet des BRICS – au sein desquels, outre le Brésil et la Russie, figurent la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud. Une rencontre à Brasilia entre Poutine et la présidente Dilma Rousseff donna lieu à la signature d’accords économiques concernant les infrastructures, la santé, la technologie, l’éducation, la culture et des secteurs aussi stratégiques que l’aéronautique et la défense. S’agissant de cette dernière, fut envisagée « à court terme » la vente par Moscou aux forces armées brésiliennes d’un système de défense anti-aérien. Rebaptisé « empeachment », le coup d’Etat juridico-parlementaire du 31 août 2016 contre Rousseff mit un terme à ces relations jusqu’à une période toute récente puisque, lors d’une visite à Moscou, le président Jair Bolsonaro a rencontré son homologue Vladimir Poutine, en pleine crise ukrainienne, le 16 février dernier.

Explication : depuis le départ du républicain Donald Trump de la Maison-Blanche, les relations entre Brasilia et Washington se sont sérieusement refroidies. En conséquence, le Brésil a redécouvert le traitement réservé aux néo-colonies. Ce qui signifie qu’en 2021 Joe Biden lui a envoyé son chef de la CIA William Burns, puis le conseiller à la Sécurité nationale Jake Sullivan, pour faire passer un message impérieux : ne laissez pas la chinoise Huawei participer à la vente aux enchères de la 5G prévue pour cette année, « sinon » … Le Brésil possède le plus grand marché des télécommunications d’Amérique latine – ceci expliquant cela. Même pour un satrape, pour peu qu’il soit un minimum nationaliste, ce genre de pression finit par agacer. D’où la même résistance lorsque les Etats-Unis ont lourdement insisté pour que Bolsonaro annule son déplacement à Moscou. Lequel, centré officiellement sur la promotion des relations commerciales bilatérales et l’éventuelle construction d’une centrale nucléaire en territoire brésilien, a finalement eu lieu – « sans rien à voir avec la situation géopolitique dans l’est de l’Europe », précisa le ministre des Affaires étrangères Carlos Franca à son homologue étatsunien Antony Blinken, qui l’interpellait.

Lorsque le général Hamilton Mourao, vice-président du Brésil, s’est exprimé en faveur d’un « soutien à l’Ukraine », il a été sèchement recadré par Bolsonaro. Depuis, ce dernier a précisé que le Brésil entendait rester « neutre » et Itamaraty (le ministère des Affaires étrangères) a rejeté « l’intervention dans les affaires intérieures et les menaces d’agression contre toute nation, mais aussi les sanctions unilatérales telles celles que les Américains et leurs alliés ont annoncé qu’ils adopteraient contre la Russie ».
Susceptible de revenir au pouvoir en cas de victoire de Luiz Inácio Lula da Silva en octobre 2022, le Parti des travailleurs (PT) s’est prononcé pour sa part le 24 février : « La résolution des conflits en politique internationale doit toujours être recherchée par le dialogue et non par la force, qu’elle soit militaire, économique ou autre. » En conséquence, le PT appelle à une résolution pacifique de la crise par la médiation, dans les enceintes multilatérales.

Le 22 octobre 2021, le ministre bolivien des Affaires étrangères Rogelio Mayta découvrait lui aussi la Place Rouge. Quatre mois plus tard, le 22 février 2022, là encore en pleine crise Kiev-Moscou, les ministres russe de l’Energie Nikolay Shulguinov et bolivien des Hydrocarbures Franklin Molina signaient d’importants accords énergétiques, en marge du sixième sommet du Forum des pays exportateurs de gaz à Doha (Qatar).
Le chef de l’Etat argentin Alberto Fernández est lui arrivé le 2 février en Russie pour y rencontrer « le maître du Kremlin » (selon l’inévitable formule des radoteurs de la « journalie »). La visite à Moscou de la présidente Cristina Kirchner, en avril 2015, après la tournée sud-américaine de Poutine en juillet 2014, avait été considérée comme un affront à Washington. Le déplacement de Fernández a donné lieu aux mêmes réactions. « Je ne sais pas pourquoi cela a soulevé tant de poussière et pourquoi voyager en Russie et en Chine [où il rencontra Xi Jinping, les jours suivants] signifie que nous voulons avoir une mauvaise relation, par exemple, avec les Etats-Unis », a réagi Fernández en soulignant que le monde est « multilatéral » et oblige à avoir « des relations mûres et respectueuses avec tous les pays ».
Au programme de la rencontre se trouvaient la participation d’entreprises russes dans la modernisation du réseau ferroviaire argentin, ainsi que des projets d’investissement dans les secteurs clés de l’électricité, du gaz, du pétrole et de l’industrie chimique. Toutefois, si Fernández fit sensation, c’est parce qu’il déclara que son pays devait « cesser d’être si fortement dépendant du Fonds monétaire international et des Etats-Unis » et annonça qu’il souhaitait faire de Buenos Aires « la porte d’entrée de la Russie en Amérique latine ».

On ajoutera à cette formule très remarquée une autre déclaration d’autant plus frappante qu’elle explique pourquoi, dans certains pays d’Amérique latine, la Russie est particulièrement appréciée  : « Vous étiez là, a déclaré Fernández à Poutine, quand le reste du monde ne nous aidait pas avec les vaccins. » Au plus fort de la pandémie, alors que les nations riches monopolisaient scandaleusement les armes anti-Covid et refusaient d’en lever les brevets, c’est effectivement la Russie qui, avec 90 millions de doses de son Sputnik V, s’est portée au secours de l’Argentine, du Venezuela, du Nicaragua, du Mexique, de la Bolivie et du Paraguay (puis du Honduras et du Guatemala). Lui même vacciné avec Sputnik V, Fernández a fait de l’Argentine le premier pays d’Amérique latine à le produire dans ses propres laboratoires. D’aucuns ont dénoncé Moscou (de même que Pékin et La Havane) pour une opportuniste « diplomatie du vaccin ». Peut-être. Mais on ne voit pas en quoi celle-ci serait plus condamnable que la posture « occidentale » du « vous pouvez tous crever ».

Ce n’est donc pas du fait d’une « connivence écœurante » qu’un certain nombre de pays observent, à l’égard de Moscou, une attitude mesurée. Que ce soit à l’OEA où à l’Assemblée générale de l’ONU, les uns et les autres ont tenu peu ou prou le même langage. Ainsi, si l’ambassadeur de Bolivie à l’OEA, Héctor Enrique Arce, affirme que « rien, absolument rien, ne justifie une quelconque forme de violence ou d’agression lorsque la perte regrettable de vies humaines est en jeu », c’est sans condamner formellement la Russie. Sur Twitter, le 22 février, le ministre des Affaires étrangères mexicain Marcelo Ebrard se prononce « en faveur d’une solution pacifique au conflit, du respect de l’intégrité de l’Ukraine et des résolutions des Nations unies ». Un peu plus tard, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador (AMLO) « condamne énergiquement » l’offensive russe, mais précise immédiatement : « Nous n’allons décider d’aucune sanction économique parce que nous devons maintenir de bonnes relations avec tous les gouvernements du monde. Et nous voulons être en mesure de pouvoir parler avec les parties en conflit. » AMLO se prononce également contre l’interdiction de médias russes : « Cela s’apparente à de la censure. On ne peut pas d’un côté vouloir promouvoir la liberté et de l’autre la limiter. » 
Reçu à Mexico le 2 mars par son ami AMLO, le brésilien Lula se prononce également contre la guerre, non sans la contextualiser : « Il est inacceptable qu’un pays se sente autorisé à installer des bases militaires autour d’un pays ; il est inacceptable qu’un pays réagisse en envahissant un autre pays. »

AMLO et Lula, à Mexico, le 2 mars 2022.

Même en Amérique latine, la déclaration du ministre italien de la Défense Mario Mauro à l’occasion de la Conférence de Munich sur la sécurité, en février 2007, n’est pas passée inaperçue : « L’usage de la force ne peut être légitime que si cette décision a été prise par l’OTAN, l’Union européenne ou l’ONU. » Nul n’ignore que cette prépotence, cet exercice abusif d’un pouvoir absolu (on ne parle pas là de l’ONU), ont déjà été mis en œuvre, et depuis longtemps. Au début des années 1990, par exemple, en reconnaissant les Républiques sécessionnistes qui ne s’appelaient ni Crimée ni Donbass, mais Slovénie, Croatie, puis Bosnie-Herzégovine (OTAN : Deliberate Force, 1995) issues du démantèlement de la Yougoslavie. En 1999, lorsque l’OTAN, comme toujours sous commandement des Etats-Unis, bombarda la Serbie pendant soixante-dix-huit jours pour imposer l’indépendance du Kosovo en ignorant la Charte des Nations unies. En 2001, 2004 et 2011 lors de l’attaque, de l’invasion ou de l’occupation de l’Afghanistan (Force internationale d’assistance à la sécurité ; FIAS), de l’Irak (NTM-I) [4] et de la Libye (Unified Protector ; OUP), avec les conséquences « hautement positives » que tout un chacun connaît. De tels précédents n’excusent en rien l’expédition guerrière déclenchée par Moscou, mais disqualifient la crème des commentateurs qui, aujourd’hui en pointe dans la dénonciation de « la guerre criminelle de Poutine », se sont tus à l’époque, quand ils n’ont pas chaudement soutenu ces opérations.

Gorbatchev, Hekmut Kohl, Hans-Dietrich Genscher évoquant la réunification de l’Allemagne, 15 juillet 1990.

Neuf novembre 1989 : le Mur de Berlin tombe. Le 9 février 1990, dans la salle Catherine II, haut lieu historique du Kremlin, le secrétaire d’Etat américain James Baker rencontre le dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev. Dans le cadre d’une discussion sur la sécurité soviétique, alors que les négociations sur la réunification de l’Allemagne battent leur plein, Baker prononce la fameuse phrase : « La juridiction militaire actuelle de l’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce vers l’est [5]. » Le lendemain, 10 février, toujours au Kremlin, le chancelier allemand Helmut Kohl tient le même langage [6]. En mars 1991, à Bonn, devant Boris Eltsine (président de la Fédération de Russie) et Edouard Chevardnadze (ex-ministre des Affaires étrangères de l’Union soviétique), les représentants des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne s’engagent à nouveau à ce que l’OTAN ne s’étende pas au delà de l’Elbe (frontière entre les deux Allemagnes jusqu’en 1990) et à ce qu’elle n’accepte pas de nouveaux membres. Tant les archives britanniques qu’une récente enquête du magazine allemand Der Spiegel confirment l’existence de cet engagement [7].

Aucune de ces promesses n’a été tenue. En trente ans, avec l’incorporation de pays ex-membres du Pacte de Varsovie, de l’URSS et de la Yougoslavie, l’OTAN est passée de seize à trente membres [8]. En mars 2007, il y a quinze ans, Vladimir Poutine soulevait déjà le problème lors de la conférence annuelle sur la sécurité de Munich : « L’OTAN a placé ses forces de première ligne à nos frontières ! (…) Contre qui cette expansion est-elle tournée ? Et qu’est-il advenu des assurances données par nos partenaires occidentaux après la dissolution du Pacte de Varsovie ? » Aucune réaction. Total mépris. La patience de Moscou s’épuise quand les yeux de Washington, Bruxelles et Mons (siège de l’OTAN) se tournent de plus en plus ostensiblement vers l’Ukraine. Le 8 juin 2017, le parlement de Kiev n’a-t-il pas voté (276 voix contre 25) un amendement législatif rendant prioritaire l’objectif d’entrer dans l’OTAN ? Les missiles stockés en Pologne ou en Roumanie sont susceptibles d’atteindre Moscou en quinze minutes (ce qui est déjà très peu) ; les mêmes déployés en Ukraine le feraient trois fois plus rapidement. Qu’en la personne de Poutine la Fédération de Russie sente menacés ses intérêts vitaux stratégiques n’a rien d’absurde, de paranoïaque ou d’étonnant. Un péril d’autant plus vécu comme une provocation que de sérieux contentieux opposent déjà les deux nations.

En 2010, quand Viktor Ianoukovitch arrive au pouvoir, c’est au terme d’élections reconnues comme légitimes. Depuis 1997, une Charte de partenariat spécifique a été signée entre l’Ukraine et l’OTAN. Tout en souhaitant maintenir le niveau de coopération existant, Ianoukovitch indique que, pour l’instant, il ne poursuivra pas l’objectif d’une adhésion à l’Alliance. En novembre 2013, il aggrave son cas en annonçant reporter la signature imminente d’un Accord d’association avec l’Union européenne « pour mieux en évaluer les conséquences ». Un président ne devrait pas dire ça ! Durant trois mois (21 novembre 2013 – 22 février 2014) des dizaines et parfois des centaines de milliers de personnes descendent dans la rue et se rassemblent au centre de Kiev, sur la place Maïdan (place de l’Indépendance). En théorie, il s’agit d’un mouvement pacifique. Il l’est en partie – gens ordinaires ; pro-européens ; opposants à Ianoukovitch, aux oligarques et à la corruption ; dirigeants libéraux ; nationalistes. Mais, en partie insurrectionnelle, la révolte ne s’arrêtera pas « sans démission du président ». La violence se déchaîne. Menée par les Berkut (forces de polices anti-émeutes), la répression ne fait pas dans la dentelle. La presse internationale prend fait et cause pour cette « insurrection spontanée ». Spontanée, peut-être, mais qui ne manque pas d’appuis intéressés.

Le 5 décembre 2013, à Kiev, au cours d’un sommet de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), la sous-secrétaire d’Etat américaine pour l’Europe et l’Eurasie Victoria Nuland a apporté son soutien aux manifestants : « Nous sommes avec le peuple ukrainien, qui voit son avenir dans l’Europe. » Elle appelle le gouvernement à écouter la voix de son peuple et, lisant à l’évidence l’avenir dans une boule de cristal, met en garde contre les risques de « chaos et de violences » s’il ne s’incline pas. Le 11 décembre, accompagnée de l’ambassadeur américain en Ukraine Jaffrey Pyatt, Nuland se rend place Maïdan et se mêle aux protestataires à qui elle distribue des gâteaux.
Comme auraient pu le faire – nul n’en doute une seconde ! – des dignitaires russes, iraniens, nord-coréens, vénézuéliens ou chinois pour encourager à New York les activistes d’Occupy Wall Street (2011) [9], ou les manifestations et émeutes du mouvement Black Lives Matter (2020) [10], ou même les violentes démonstrations des Gilets jaunes français (2018), ambassadeurs, politiciens et ministres en provenance de l’UE et des Etats-Unis défilent à la tribune de Maïdan.


Début décembre 2013, le chef de la diplomatie allemande Guido Westerwelle prend un bain de foule au milieu des manifestants. Le ministre des affaires étrangères canadien John Baird l’imite et, comme lui, s’affiche avec les dirigeants de l’opposition. Suivent, le 14 décembre, le sénateur républicain John McCain (candidat défait de la présidentielle américaine de 2008, président de l’International Republican Institute) accompagné du jeune sénateur démocrate Chris Murphy. « Nous sommes ici pour soutenir votre juste cause, le droit souverain de l’Ukraine à choisir son propre destin librement et en toute indépendance », lance McCain aux révoltés. Au cas où ceux qui l’écoutent, mais aussi les autres, n’auraient pas compris qu’ils peuvent choisir « en toute indépendance », il précise : « Et le destin que vous souhaitez se trouve en Europe ! » Avant d’oser cet avertissement d’un cynisme (ou d’un comique) absolu : « Nous voulons indiquer clairement à la Russie et à Vladimir Poutine que l’ingérence dans les affaires de l’Ukraine n’est pas acceptable pour les Etats-Unis. » Thèse que reprendra un peu plus tard (sans rire davantage) le conseiller adjoint à la Sécurité nationale de Barack Obama, un certain… Antony Blinken (aujourd’hui secrétaire d’Etat) : « Tant que la Russie suivra la voie des provocations plutôt que d’essayer de résoudre cette question par des moyens pacifiques et de favoriser une désescalade, il y aura des conséquences et ces conséquences iront crescendo. » Vice-président des Etats-Unis, Joseph Robinette Biden, dit Joe Biden, appelle Ianoukovitch à retirer les forces de l’ordre de la rue. Et de laisser prendre « le Capitole » ? Il ne le précise pas.

John McCain, Euromaïdan, 14 décembre 2013.

Lorsqu’ils ont effectué leur pèlerinage sur la place Maïdan, tous les admirables démocrates qui s’y sont succédés avaient manifestement oublié leurs lunettes. Idem pour Bernard-Henri Lévy quand, à peine reposé du chaos qu’il a contribué à provoquer en Libye, il hurle à ses nouveaux « combattants de la liberté », le 9 février : « Les vrais Européens, c’est ici, sur le Maïdan, qu’ils se trouvent réunis ! » Pas plus que les autres, BHL ne remarque la présence, pourtant particulièrement visible, au milieu de la foule, d’oriflammes pas vraiment anodins. Les drapeaux horizontaux rouge et noir appartiennent aux militants de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA), branche militaire de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) qui, en d’autres temps, collabora avec le IIIe Reich. Le trident jaune sur fond bleu orne les bannières du parti d’extrême droite Svoboda (Liberté). Ex-Parti social-nationaliste d’Ukraine, qui arborait un symbole proche de la swastika, Svoboda a renoncé à ce dernier en 2004, pour se forger un minimum de respectabilité [11]. Ce qui ne l’empêche pas de conserver son discours antisémite et russophobe et d’afficher sa priorité des priorités : la « dé-soviétisation » du pays ! Comme le fait le C14 (ancienne aile jeunesse de Svoboda). Coalition de groupuscules fascisants qui considèrent Svoboda « trop libéral », Praviy Sektor (« Secteur droite »), se définit avant tout comme « nationaliste, défendant les valeurs de l’Europe blanche et chrétienne ». Organisés, entraînés, en tenues paramilitaires, ses militants jouent un rôle essentiel dans le déchaînement de violence. Devenue force organisatrice, l’ensemble de cette mouvance crée les premières « sotins » (« centaines » : groupes de combat de 60 à 100 personnes), introduit explosifs artisanaux et armes à feu dans les manifestations.

Une telle présence de forces fascisantes sur le Maïdan ne fait pas de tous les Ukrainiens des néo-nazis – comme le suggère sans nuances Vladimir Poutine quand il prétend « dénazifier » le pays. Elle ne peut toutefois être occultée car exerçant sur la sphère militaire et politique ukrainienne une influence très supérieure à sa représentation électorale. Le 13 janvier 2014, dans un article intitulé « La triste progression du mouvement de protestation ukrainien, de la démocratie et de l’Etat de droit vers l’ultranationalisme et l’antisémitisme », Oleksandr Feldman, président du Comité juif ukrainien et membre du Parlement, appelait les dirigeants de l’opposition Arseni Iatseniouk et Vitali Klitschko à dénoncer « la dérive néo-fasciste [constatée] au cours des dernières semaines et à rompre leur alliance avec Svoboda [12] ».

Ianoukovitch fut renversé. Non par un mouvement présenté de manière idyllique comme « citoyen et populaire », mais par une « révolution de couleur » soutenue depuis l’étranger. Le déroulé de l’opération passe d’autant moins inaperçu en Amérique latine que des pratiques similaires ou approchantes ont été mises en œuvre au Venezuela en avril 2002 (tentative de coup d’Etat contre Hugo Chávez), puis en 2014 et en 2017 à travers ce qu’on a appelé les « guarimbas »  ; au Nicaragua en 2018 ; en Bolivie en 2019. De quoi rapprocher les gauches continentales des thèses, pas toujours hors-sol, défendues par Moscou.
Pour en revenir à l’Ukraine, le nouveau gouvernement pro-occidental du milliardaire Petro Porochenko est rejeté par l’est du pays, qui compte une forte population russophones. Qui plus est, le pouvoir jette de l’huile sur le feu : promulgation de « lois de « dé-communisation », abolition du statut du russe comme seconde langue officielle dans les régions de l’Est, promotion des groupes d’extrême droite… Une telle offensive provoque d’inévitables réactions. Dont la sécession (assistée en sous-main par Moscou), puis l’annexion de la Crimée le 18 mars 2014 par Vladimir Poutine, après un référendum que conteste la « communauté internationale ». « On nous répète sans cesse que le Kosovo, c’était un cas à part, car des milliers de personnes y ont péri, réagira Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie. Faut-il en conclure que, pour que les habitants de la Crimée obtiennent la reconnaissance de leur droit imprescriptible, il faut que coule autant de sang en Crimée qu’au Kosovo ? Pardonnez-moi, ce sont des parallèles et des analogies parfaitement impropres [13]. »

Emblème du Bataillon d’Azov.

Mouvements autonomistes dans l’est de l’Ukraine : frontalier de la Russie, le Donbass est le théâtre d’affrontements entre séparatistes pro-russes et armée ukrainienne. Pour mettre fin aux hostilités, deux accords sont signés à Minsk, capitale de la Biélorussie. Le premier (5 septembre 2014), par les représentants du Groupe de contact trilatéral sur l’Ukraine – Russie, Ukraine et Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Le second (12 février 2015), par les présidents François Hollande, Angela Merkel, Petro Porochenko et Vladimir Poutine. Ce dernier n’appuie pas la revendication d’indépendance des séparatistes. De fait, les protocoles signés prévoient que le gouvernement ukrainien reprendra le contrôle de ses frontières orientales, mais procédera à une réforme constitutionnelle permettant que les régions de Donetsk et de Lougansk bénéficient d’un statut spécial, une forte autonomie respectant leur spécificité linguistique [14].
Jamais les gouvernements ukrainiens pro-occidentaux successifs ne respecteront ces accords pourtant garantis par Bonn et Paris. Pis… Au vu et au su de tous, le Donbass va être livré aux bombardements et à la soldatesque des milices ultranationalistes et néonazies [15]. Formé le 5 mai 2014, composé majoritairement d’Ukrainiens mais aussi de volontaires étrangers, le Bataillon Azov, dont les « hommes en noir » professent l’idéologie du IIIe Reich et la suprématie de la race blanche, est rapidement incorporé à la Garde nationale. L’emblème du bataillon reprend les couleurs bleu et jaune de l’Ukraine ainsi que la « Wolfsangel » inversée [16]. Avec le soutien logistique de l’armée ukrainienne, les exactions de cette unité chargée de terroriser les populations russophones et de faire la sale besogne sont innombrables (et documentées). Depuis 2014, la « guerre sale » menée dans le Donbass a fait de l’ordre de 14 000 morts.

Trois pays latinos se retrouvent dans l’œil du cyclone pour leur « appui à la Russie » : Cuba, le Nicaragua et le Venezuela. Réflexes ataviques d’un anti-impérialisme coincé dans les coordonnées des années 1960-1970 ? Ces pays pointent surtout l’hypocrisie des prédicateurs revendiquant pour Kiev les principes wilsoniens du droit à la souveraineté nationale et à l’autodétermination [17]. Droits aussi légitimes qu’intangibles, nul ne le contestera ici. Mais entend-on ces voix exiger la même chose pour Managua, La Havane ou Caracas ? Cuba, victime depuis 1962 d’un embargo dévastateur et illégal au regard du droit international parce que son « régime » ne convient pas à l’Hégémon. Le Venezuela, dont l’économie a été détruite par les mesures coercitives unilatérales imposées par Washington depuis un décret absurde signé en mars 2015 par Barack Obama.
Il est plaisant d’entendre ces jours-ci les rois du commentaire décrire avec force détails (et une certaine délectation) comment les sanctions prises par les Etats-Unis et l’Union européenne – une « guerre totale » ! – vont mettre la Russie à genoux et affecter durement sa population. Ces dernières années, les mêmes « spécialistes de tout » ont passé leur temps à prétendre que le châtiment imposé au Venezuela par les Etats-Unis n’était nullement responsable de l’effondrement du pays – imputable à la seule gestion du « dictateur Nicolás Maduro ». Ce sont les mêmes mesures, effectivement dévastatrices ! Elles ont interdit toute transaction avec la Banque centrale vénézuélienne (BCV), elles ont étouffé l’industrie pétrolière et ses exportations (96 % des revenus du pays), elles ont paralysé les importations, elles ont cruellement frappé la population. Et pourtant, le Venezuela bolivarien n’a jamais envahi personne pour être ainsi châtié… Simplement, son indépendance et sa politique n’ont pas l’heur de plaire à « Yankilandia » [18].

L’OTAN, donc… L’Ukraine aurait un droit inaliénable à rallier le pacte militaire de son choix. Qu’on imagine un seul instant la Russie (ou la Corée du Nord ou l’Iran ou n’importe quelle puissance possiblement hostile) installer des bases militaires dotées d’armes stratégiques au Mexique, à Cuba, au Nicaragua, dans les îles de Saint-Vincent et les Grenadines, au Venezuela… S’agissant de la réponse de la Maison-Blanche et du Pentagone, le champ des hypothèses n’est pas très étendu. Car il existe un précédent. Celui-ci a commencé le 14 octobre 1962 lorsque, après avoir repéré des cargos soviétiques chargés de missiles en route vers Cuba, des avions espions américains ont pris, en survolant l’île, des clichés de rampes de lancement de fusées à moyenne portée. A 140 kilomètres de la Floride ! Le président John F. Kennedy imposa un blocus maritime et ferma les voies d’accès vers Cuba. Bras de fer. La moindre tentative des bateaux soviétiques de forcer la quarantaine pouvait provoquer un conflit ouvert entre Washington et Moscou. C’est-à-dire une possible confrontation nucléaire. La quintessence de la démence meurtrière. Qui prendrait un tel risque ? Au terme d’un compromis, Nikita Khrouchtchev donna l’ordre à ses navires de rebrousser chemin tandis que Kennedy s’engageait à ne pas envahir Cuba (et à retirer les fusées américaines de Turquie). C’est là la seule fois dans l’Histoire où les Etats-Unis ont pu légitimement se sentir menacés par Cuba (à la décharge de l’île, on rappellera qu’un débarquement d’exilés anticastristes dans la baie des Cochons avait tenté en avril 1961 de renverser Fidel Castro – d’où le besoin de protection). En tout état de cause, ce rappel historique souligne tout simplement qu’en matière d’extension d’une force potentiellement hostile, le maximalisme n’est ni souhaitable ni permis. Pas plus sur les frontières de la Russie que sur celle des États-Unis.

Agressés ces dernières années par Washington, tant Cuba que le Nicaragua et le Venezuela ont trouvé en la Russie un allié précieux. Depuis le retour de Daniel Ortega au pouvoir en 2007, Managua et Moscou ont ainsi renforcé leurs relations dans tous les domaines – à tel point que le Nicaragua a ouvert un consulat en Crimée après son annexion. Pour diverses raisons, Managua se trouve dans le collimateur de Washington [19]. Le 24 février dernier, après un passage par Cuba, le président de la Douma (Chambre basse du Parlement russe) Viacheslav Volodin s’est réuni dans la capitale nicaraguayenne avec le président Ortega. La semaine précédente, le vice-premier ministre Yuri Borisov avait fait le même déplacement. Ces rencontres ont donné lieu à la signature d’accords économiques et militaires tandis que, pour expliquer cette « solide alliance » avec un Nicaragua menacé de « sanctions » par Washington, Volodin soutenait que Moscou « se base sur le principe de la non-intervention dans les Etats souverains » – ce qui ferait évidemment sursauter plus d’un Ukrainien !

Le Venezuela n’ignore pas que l’agression dont il est victime a une origine : ses réserves de pétrole, les plus importantes du monde (sans parler de l’or, du coltan et d’un certain nombre de métaux précieux). C’est donc avec un œil particulièrement aiguisé qu’il a suivi les pressions de toutes sortes exercées par Washington sur Moscou, Bonn et Bruxelles, pour empêcher l’achèvement et la mise en service du gazoduc Nord Stream 2. Washington n’a pas d’amis (même pas l’Allemagne !), uniquement des intérêts. Lesquels ne sont pas neutres dans l’agressivité affichée, depuis plusieurs années, à l’égard de Moscou. Le gaz russe constitue un obstacle à la conquête de l’Europe par le gaz naturel liquéfié (GNL) étatsunien. Lequel, depuis la balle dans le pied que vient de se tirer Poutine, voit augmenter ses possibilités de pénétration. Amis de l’environnement, bonjour ! Un gaz « non conventionnel » tiré du sous-sol par la technique très polluante de la fracturation hydraulique et acheminé dans des navires méthaniers…

Plus encore que le Nicaragua, le Venezuela est hautement redevable à la Russie, dont l’aide économique a contribué à atténuer l’effet des « sanctions » étatsuniennes. Entamée à l’époque du président Chávez, l’assistance militaire de Moscou a été tout aussi déterminante à l’époque où, Donald Trump ayant mis « toutes les options sur la table », les tambours de guerre résonnaient sur les frontières. Totalement aligné sur la Maison-Blanche, le président Colombien Iván Duque ne demandait qu’à agir et une enquête récente du journaliste Horacio Verbitsky a révélé que, sous Mauricio Macri, l’armée argentine s’est spécifiquement préparée, entre avril et juillet 2019, pour une intervention au Venezuela en tant que membre d’une force « multinationale » [20]. La présence en République bolivarienne, non de bases russes, mais d’un armement défensif conséquent – chars T-72, avions de chasse Sukhoi Su-30A, batteries anti-missiles et radars de dernière génération installés tant à Caracas (Fort Tiuna) qu’à proximité de la frontière colombienne – n’a pas été neutre dans le non-recours à cette option.

Chacun à sa manière, ces trois pays ont manifesté leur non alignement sur la « norme commune ». Néanmoins, leurs réactions recoupent nombre des déclarations de pays non catalogués « pro-Poutine ». « Défenseur du droit international et attaché à la Charte des Nations unies, Cuba défendra toujours la paix et s’opposera à l’usage ou à la menace de la force contre tout Etat, proclame La Havane. Nous regrettons profondément la perte de vies civiles innocentes en Ukraine. Le peuple cubain a eu et continue d’avoir une relation attachante avec le peuple ukrainien. » Mais, « il n’est pas possible d’examiner avec rigueur et honnêteté la situation actuelle en Ukraine sans évaluer soigneusement les justes revendications de la Fédération de Russie à l’encontre des Etats-Unis et de l’OTAN (…) ».
Même tonalité chez le représentant de Managua devant l’Assemblée générale des Nations unies : « Le Nicaragua réitère son engagement à respecter la souveraineté, l’intégrité territoriale et la sécurité de tous les pays. Les Etats membres doivent impérativement respecter les buts et principes de la Charte des Nations unies. Cela s’applique à tous les Etats membres des Nations unies. » Toutefois… « Le Nicaragua considère que les négociations entre la Russie et l’Ukraine sont essentielles (…) pour garantir la sécurité et la paix, là où l’OTAN a insisté pour ignorer les accords qui, à différents moments, ont été assumés avec la Fédération de Russie après la dissolution de l’Union soviétique. »

Le 2 mars, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté (141 voix) une résolution déplorant dans les termes les plus énergiques « l’agression » commise par la Russie contre l’Ukraine et exigeant qu’elle retire immédiatement ses forces militaires du territoire ukrainien. Aucun pays d’Amérique latine n’a voté « contre ». Ni le Salvador, la Bolivie, Cuba et le Nicaragua, qui font partie des abstentionnistes (35 pays) [21], ni le Venezuela, qui n’a pas participé à la session – en raison de ses difficultés économiques, il a accumulé trop d’arriérés dans sa contribution financière obligatoires au budget de l’ONU et s’y voit donc privé du droit de vote, même s’il peut s’y exprimer. Ce qu’il fit donc ultérieurement : « Le Venezuela joint sa voix à la paix, au dialogue, aux résolutions [des conflits] par des mécanismes pacifiques, a déclaré le 7 mars la vice-présidente vénézuélienne Delcy Rodríguez durant son intervention au Congrès du Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV). On ne nous verra jamais dans les rangs de la guerre, ou pour la guerre. On nous verra toujours pour les droits des êtres humains, pour les droits de l’environnement et de la planète. »
L’OTAN et ses « puissances » peuvent-elles en dire autant ?

Depuis sa ratification par Cuba en octobre 2002, le Traité de Tlatelolco, initialement signé par quinze Etats le 14 février 1967, regroupe l’ensemble des pays d’Amérique latine et des Caraïbes auxquels il interdit de fabriquer ou d’acquérir des armes nucléaires et de les déployer sur leur territoire [22]. Cinq puissances nucléaires reconnues par le Traité de non-prolifération (TNP), soit la Chine, les Etats-Unis, la France, la Fédération de Russie et le Royaume-Uni ont signé et ratifié un protocole additionnel à ce Traité dans lequel elles s’engagent à ne pas mettre en péril ce statut de zone dénucléarisée.
 Les îles Malouines (Falkland Islands en anglais, Islas Malvinas en espagnol) appartiennent à un archipel de l’Atlantique Sud situé à 480 km des côtes de l’Argentine et à 14 600 kilomètres de celles de l’Angleterre. Elles comptent une population d’environ 3 000 habitants, dont les deux tiers résident dans la capitale Port Stanley. Depuis 1820, l’Argentine conteste la souveraineté du Royaume-Uni sur ces îles, à tel point que, en 1982, elles ont été l’enjeu d’un conflit militaire entre les deux pays – la Guerre des Malouines.
Les 10 et 11 mars 2013, lors d’un référendum sans aucune base légale organisé par Londres, les habitants de l’archipel ont voté massivement en faveur du maintien dans le giron britannique – renvoyant dans les limbes de l’ignorance ou de la mauvaise foi le quotidien Libération (16 mars 2014) quand il vit dans le référendum en… Crimée un « putsch politique et militaire orchestré de main de maître depuis Moscou, [qui] crée un précédent dangereux, sans équivalent depuis la seconde guerre mondiale ».
Réaction de la « communauté internationale » devant le référendum austral orchestré par Londres : « Nada ! »

Lors de la Conférence générale de l’Organisme pour l’interdiction des armes nucléaires en Amérique latine (OPANAL) tenue à Buenos Aires en 2013, la présidente argentine Cristina Fernández de Kirchner a dénoncé la présence croissante de « sous-marins nucléaires » du Royaume-Uni dans les eaux de l’archipel des Malouines, en violation flagrante du Traité de Tlatelolco. Une décennie plus tard ou presque, le Royaume-Uni, membre de l’OTAN, maintient à travers les îles six sites distincts qu’occupent entre 1000 et 2000 soldats. La caserne et la base aérienne géante et inter-armée de Mount Pleasant sont les plus importantes. La construction d’un port en eau profonde (Mare Harbour) à Port Stanley en amplifie la capacité militaire et sert les intérêts stratégiques britanniques et américains dans l’Atlantique sud. Appareillant des Malouines, d’imposants navires de la Navy patrouillent en permanence dans la région. Narguant une Amérique latine qui a banni l’arme atomique de ses contrées, des sous-marins nucléaires y naviguent toujours aussi ostensiblement.
En présence du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, le président cubain Raúl Castro ouvre le 28 janvier 2014, à La Havane, le second Sommet de la Communauté des Etats latino-américains et Caraïbes (CELAC). Tout un symbole : Castro a troqué pour l’occasion son uniforme de général pour un sobre costume bleu nuit. Le lendemain, c’est lui qui informe solennellement : qu’ils soient gouvernés par la gauche ou par la droite, les trente-trois membres du bloc [23] se sont mis d’accord pour déclarer la région « Zone de paix ». L’acte signé fait état de l’engagement envers la solution pacifique des différends dans la région et dans le monde pour bannir à jamais le recours à la force ; exprime la décision de respecter le droit inaliénable de chaque Etat de choisir son système économique, politique, social et culturel. Le président Castro demande aux représentants de la CELAC de « se guider sur cette déclaration lorsqu’ils devront prendre des décisions à l’échelle internationale ».
Une Zone de paix ! Qui pourrait y trouver à redire ? Personne. Sauf que…
Voici qu’arrive l’OTAN, la succursale des Etats-Unis. Signé le 24 août 1949, son traité fondateur invite à rejoindre l’organisation « tout Etat européen susceptible (…) de contribuer à la sécurité de la région de l’Atlantique Nord » (article 10). Vous avez dit européen ? Le 25 juin 2013, à Bruxelles, c’est un ministre de la Défense… colombien, Juan Carlos Pinzón, qui annonce les prémices d’un « accord » entre son pays et l’OTAN. Des militaires colombiens commencent à recevoir un entraînement à Rome (Collège de défense de l’OTAN) et à Oberammergau (Allemagne), où fonctionne une école de cadres de l’Organisation. Un an plus tard, le président Juan Manuel Santos réalise le rêve affiché de son prédécesseur Álvaro Uribe en présentant un projet de loi faisant de la Colombie un « observateur » de l’Organisation atlantique. De partout fusent les protestations. « Il y a un tournant négatif vers un agenda de déstabilisation régionale, de division régionale, d’attaque contre la révolution bolivarienne et d’adhésion aux plans hégémoniques impériaux », s’insurge Nicolás Maduro. « Je veux que vous sachiez que c’est une agression, une provocation, une conspiration contre les gouvernements anti-impérialistes, contre le Venezuela, le Nicaragua, l’Équateur, la Bolivie, et nous ne le permettrons pas », s’enflamme Evo Morales, le président bolivien. Ministre de la Défense du Brésil, Celso Amorim déclare : « Nous respectons la souveraineté des pays, mais nous sommes préoccupés par le rapprochement d’un pays membre de l’Union des nations sud-américaines [Unasur] et du Conseil sud-américain de défense avec une alliance militaire de défense extrarégionale [24]. »

En raison de vices de procédure dans son approbation par le Congrès, la Cour constitutionnelle déclarera cet accord inconstitutionnel en 2015, jusqu’à ce que, en mai 2017, le législatif approuve l’entrée de la Colombie comme « partenaire global » dans cette alliance militaire « qui défend la démocratie ». Une entrée annoncée « effective » le 31 mai 2018 et définitivement ratifiée par le président Iván Duque, à Bruxelles, le 14 février dernier.
Avec sept bases utilisées en permanence par les militaires « yankees », la Colombie est déjà un vaste camp US surarmé. Depuis juin 2020, plusieurs dizaines de membres de la Brigade d’assistance des forces de sécurité (Security Forces Assistance Brigade ou SFAB) sont arrivés en complément pour « conseiller », « assister », « activer » et « accompagner » l’armée colombienne. Il s’agit, a-t-on mille fois expliqué tant au sein du Commandement sud de l’armée des Etats-Unis (US Southern Command) qu’à Bogotá, de lutter contre le narcotrafic. Avec un bilan pour le moins mitigé si l’on en croit Pierre Lapaque, représentant de l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC), le 9 juin 2021 : « Le pays comptait 143 000 hectares de cultures illicites en 2020, ce qui représente une diminution de 7 % par rapport aux 154 000 de 2019 », mais « la production de cocaïne continue à augmenter », Que viendrait faire de plus l’OTAN dans ce bourbier ?

Objectifs officiellement annoncés : « Parvenir à des approches communes face aux défis mondiaux en matière de sécurité, tels que la cyber-sécurité, la sécurité maritime, le terrorisme et ses liens avec le crime organisé ; soutenir les efforts de paix et de sécurité, y compris la sécurité humaine, en mettant particulièrement l’accent sur la protection des civils et des enfants ; promouvoir le rôle des femmes dans la paix et la sécurité, ainsi que renforcer les capacités des forces armées colombiennes. ». On croit rêver. Les femmes et les enfants défendus en Colombie par un partenariat avec l’OTAN… Ne manquent que les parterres de fleurs, les petits oiseaux et les gentils lapins…
En adhérant à l’Alliance, Bogotá lui ouvre la porte aux frontières du Brésil, de l’Equateur, du Pérou, du Panamá et surtout du Venezuela. Quelques jours avant que Duque ne se rende à Bruxelles pour ratifier l’accord avec l’OTAN, la secrétaire d’Etat étatsunienne pour les affaires politiques, Victoria Nuland – ex-actrice remarquée de la place Maïdan, le monde est vraiment petit ! –, rencontrait à Bogotá des fonctionnaires colombiens dans le cadre d’un dialogue stratégique « de haut niveau » sur la sécurité. A une station de radio, elle a confié : « Les Russes sont chaque jour plus actifs sur la frontière entre la Colombie et le Venezuela. »

A Bruxelles, le 14 février, en présence du secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg, le président Duque en fit des kilos sur le même thème. « Nous avons échangé des points de vue sur l’approfondissement de la coopération entre la Russie et la Chine, et notamment sur leur soutien au régime répressif du Venezuela », déclarera Stoltenberg en conférence de presse. Avant de remercier le colombien « pour la contribution de son pays à la consolidation de la paix et de la stabilité à l’échelle internationale » et de conclure : « Donc, notre coopération est bonne pour l’OTAN et bonne pour la Colombie. L’OTAN soutient le développement des forces armées et des institutions colombiennes, faisant d’elles un exemple pour le reste de l’Amérique latine. »
Merci, Stoltenberg, voici l’opinion rassurée ! Le 18 février 2021, en effet, la juridiction spéciale pour la paix (JEP) avait semé le trouble en révélant que, entre 2002 et 2008, l’armée colombienne a assassiné plus de 6 400 civils, présentés ensuite comme des guérilleros. L’épisode peut paraître lointain. Sans entrer dans une description exhaustive des multiples exploits des nouveaux petits soldats de l’OTAN, on mentionnera le dernier des mille scandales qui commotionnent quotidiennement l’opinion publique colombienne : la destitution, le 13 février 2022, du général Jorge Hernando Herrera Díaz, et le transfert de son cas au Bureau du procureur général de la Nation. Lors d’une réunion des commandants de la 29e Brigade de l’armée, Díaz a imprudemment révélé ses relations avec le gang de narco-paramilitaires « Los Pocillos », qui gère un couloir par lequel transitent 150 tonnes de cocaïne chaque année [25]. Malheureusement pour lui, l’enregistrement de la conversation a fuité.
Bienvenue au sein de l’OTAN, donc, pour ce pays où un « Alexeï Navalny » anonyme est assassiné tous les deux jours (36 depuis début 2022, 1320 depuis 2016).

Conflit Russie-Ukraine. Tensions avec le Venezuela. Fin février, dans la mer Caraïbe, à 70 miles nautiques (130 kilomètres) de Cartagena, la marine colombienne et l’US Navy ont effectué un exercice commun. Pour la première fois, un sous-marin nucléaire, l’ « USS Minnesota », participait aux manœuvres. « Il s’agit d’un exercice de l’OTAN, précisa fièrement le ministre colombien de la Défense Diego Molano. L’apparition d’un sous-marin nucléaire dans la Caraïbe colombienne est un signe de confiance. » Il s’agit, ajouta-t-il, de « protéger les intérêts communs, tels que la lutte contre le trafic de drogue, à laquelle participent quarante pays qui unissent leurs forces pour saisir la cocaïne et d’autres drogues illicites. » Des missiles de croisière BGM-109 Tomahawk (équipés d’ogives conventionnelles ou nucléaires), des torpilles Mark 40 (destinées à l’attaque des sous-marine nucléaires en eau profonde), des missiles « antinavire » (longue portée) AGM-84 Harpoon pour… intercepter des narcos ! A Caracas, on est en droit d’en douter.

Sous des aspects plus policés, Biden n’est en rien différent de Trump. S’agissant du Venezuela, « toutes les options » sont toujours « sur la table ». Certaines peuvent apparaître, de façon tout à fait inattendue. Qu’on en juge…
Conseiller spécial de Joe Biden pour l’Amérique latine, Juan González se réjouit le 27 février (Voz de América) : les sanctions appliquées « à l’agresseur de l’Ukraine sont si fortes qu’elles auront un impact sur les gouvernements qui ont des liens économiques avec la Russie. Et c’est à dessein. Le Venezuela va donc commencer à ressentir cette pression, le Nicaragua aussi, tout comme Cuba. »
Le 8 mars, Biden renforce spectaculairement les mesures coercitives en décidant d’interdire les importations énergétiques russes aux Etats-Unis. Ce sera selon lui « un coup dur pour la machine de guerre de Vladimir Poutine ». Cet embargo va avoir d’énormes répercussions dans le monde entier, soulignent les experts, qui annoncent « un choc énergétique  ». De fait. Les marchés paniquent. Même les Etats-Unis sont touchés, dont 8 % des importations de pétrole proviennent de Russie. Biden le savait. Il faut à Washington de nouveaux partenaires. Dès le 5 mars, il a donc envoyé une délégation au… Venezuela. Ce pays n’a plus le droit de vendre son pétrole brut sur le marché américain. La guerre en Ukraine change la donne. Parmi les trois membres qui composent, la délégation figure Juan González. Celui qui se réjouissait de l’impact à venir des « sanctions » ravale précipitamment son hostilité et rencontre le président… – non, pas l’ « employé modèle » Juan Guaido, qui n’a même pas été prévenu – et rencontre, donc, le vrai chef de l’Etat, snobé depuis 2018, Nicolás Maduro. Confirmé par ce dernier, le premier tour de table permet de comprendre que les Etats-Unis souhaitent savoir si – en échange de tout ou partie des mesures coercitives ? – ils ne pourraient pas remplacer une partie de leurs importations de pétrole russe par du pétrole vénézuélien.
Quitte à ressortir le bâton si la négociation, qui ne fait que débuter, échoue.

Entre ses Main Operating Bases (MOB : base militaire comportant d’importante infrastructure), ses Foreign Operating Locations (FOL : site opérationnel pré-positionné), ses Cooperative Security Locations (CSL : site de sécurité en coopération, équipé des technologies les plus avancées en matière d’espionnage et de détection), ses Regional Emergency Operations Center (REOC : centre d’opérations d’urgence régionale), le Southcom dispose de 76 bases militaires autour de l’Amérique latine et sur son territoire. Réactivée par le Pentagone en avril 2008 pour faire ostensiblement face à la montée en puissance des gouvernements de gauche dans la région, la IVe Flotte opère de la Caraïbe à l’Atlantique sud [26].
Pour les « élites » du monde, qui voient en l’Amérique latine un formidable réservoir de matières premières, cela n’est pas suffisant. En février 2019, le secrétaire général Jens Stoltenberg déclarait publiquement qu’ « il est possible d’envisager l’option selon laquelle d’autres pays d’Amérique latine deviennent également des partenaires de l’OTAN » [27]. Cette même année 2019, Lors d’une rencontre entre Bolsonaro et Donald Trump, ce dernier se proposa comme intermédiaire pour faire entrer le Brésil au sein de l’Organisation. Proposition réitérée en 2021 à Bolsonaro par le conseiller à la Sécurité nationale Jake Sullivan, en échange d’une prise de distances à l’égard de Pékin et Moscou.

Deux objectifs sont recherchés par ce type d’intégration. En premier lieu, l’ « interopérabilité ». Ce terme barbare recouvre l’aptitude d’organisations militaires différentes à mener des opérations conjointes en quelque lieu que ce soit. Elle exige d’eux qu’ils partagent une doctrine et des procédures communes, leurs infrastructures et leurs bases respectives, leurs ressources, et qu’ils soient en mesure de communiquer les uns avec les autres [28]. Elle crée en second lieu des synergies entre les pays membres et, en particulier, au sein de leurs forces armées. En ce sens, elle renouvelle en l’élargissant la technique mise en œuvre au sein de la ténébreuse Ecole des Amériques (SOA ; School of Americas) qui, installée au Panamá de 1946 à 1984, forma aux doctrines de contre-insurrection des dizaines de milliers d’officiers latino-américains (devenus pour certains dictateurs ou tortionnaires) [29]. Outre la formation militaire avec des instructeurs du « premier monde », les relations entre officiers des différents pays créent une sorte de franc-maçonnerie possédant ses réseaux, ses moyens financiers autonomes, son vocabulaire commun. Quel que soit la nation d’origine, le militaire est gagné subtilement au « way of life » occidental par des contacts répétés. Un bain idéologique et une franche camaraderie auxquels – indépendamment des éventuelles alternances politiques – il aura du mal à renoncer.

En violant le droit international et en envahissant illégalement l’Ukraine, la Fédération de Russie est directement responsable de la tragédie qui commotionne le monde entier. Toutefois, au-delà de l’émotion immédiate, de la compassion et de la solidarité éprouvées, sans retenue aucune, pour le peuple ukrainien, on ne peut juger « la partie » sans analyser « le tout ». On ne peut pas plus personnaliser et psychiatriser de façon absurde – « la folie de Poutine ! » – sans questionner l’irrationalité ou le cynisme des décisions du « camp du bien ». Sans sécurité pour tous, il n’y a et il n’y aura de sécurité pour personne. L’élargissement de l’OTAN ne répond nullement à la nécessité de garantir la paix et la stabilité de ses membres, mais à la volonté de domination d’un club sélect et belliciste dirigé et dominé par les Etats-Unis. Quiconque en douterait n’a qu’à observer l’Amérique latine. Hors zone, hors sol, hors temps, l’OTAN et les siens y bafouent de façon obscène la dénucléarisation imposée par le Traité de Tlatelolco et, grâce à un cheval de Troie (peut-être deux ou trois demain), la volonté clairement exprimée de vivre dans une Zone de paix.


[1] Liste complète : Antigua et Barbuda, Bahamas, La Barbade, Belize, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica, Equateur, Etats-Unis, La Grenade, Guatemala, Guyana, Mexique, Panama, Paraguay, Pérou, République dominicaine, Surinam, Trinidad et Tobago.

[2] Après moult péripéties plus ubuesques les unes que les autres, la sous-commission des accusations constitutionnelles du Congrès péruvien a approuvé le 28 février une motion visant à destituer le président pour de supposées « violation de la Constitution » et « trahison de la patrie ».

[3] Si l’envoi d’un contingent militaire colombien n’est nullement à l’ordre du jour, plusieurs dizaines d’ex-militaires de ce pays, d’après le quotidien El Espectador, se prépareraient à rejoindre Kiev après que le président Zelenski ait appelé les volontaires du monde entier à rejoindre la Légion de défense territoriale de l’Ukraine.

[4] La campagne de mars 2003 contre l’Iraq a été menée par une coalition de forces de différents pays, dont certains appartenaient à l’OTAN et d’autres non. Du fait de ses divisions internes (opposition de la France et de l’Allemagne), l’OTAN, en tant qu’organisation, n’a joué aucun rôle ni dans la décision de lancer la campagne, ni dans sa conduite. Toutefois, en 2004, au sommet d’Istanbul, les « Alliés » ont dépassé leurs divergences et ont décidé d’aider l’Iraq à mettre en place « des forces de sécurité efficaces et responsables ». C’est ainsi qu’a été créée la Mission OTAN de formation en Iraq (NTM-I).

[5https://nsarchive.gwu.edu/briefing-book/russia-programs/2017-12-12/nato-expansion-what-gorbachev-heard-western-leaders-early

[6] Philippe Descamps, « L’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce vers l’est », Le Monde diplomatique, Paris, septembre 2018.

[7https://www.spiegel.de/ausland/nato-osterweiterung-aktenfund-stuetzt-russische-version-a-1613d467-bd72-4f02-8e16-2cd6d3285295

[8] L’OTAN s’est élargie à la Hongrie, la Pologne et la République tchèque en 1999 ; à la Bulgarie, l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie, la Roumanie, la Slovénie et la Slovaquie en 2004 ; à l’Albanie et la Croatie en 2009 ; au Monténégro en 2017 ; à la Macédoine du Nord en 2020. Trois pays ont exprimé le souhait de rejoindre l’organisation : la Géorgie, la Bosnie-Herzégovine et… l’Ukraine.

[9] Mouvement de contestation autogéré dénonçant les abus du capitalisme financier né le 17 septembre 2011.

[10] Suite à la mort de George Floyd, Afro-américain de 46 ans assassiné par un policier le 25 mai 2020 à Minneapolis.

[11] Le 13 décembre 2012, dans une résolution sur la situation en Ukraine, le Parlement européen lui-même condamnera toute alliance avec le parti Svoboda.

[12https://www.huffpost.com/entry/ukraine-protests-nationalism-anti-semitism_b_4588507

[13Le Courrier de Russie, Moscou, 16 avril 2014.

[14] Les accords prévoyaient également : suppression de toutes les armes lourdes dans une zone de 15 kilomètres derrière la ligne de contact, par chaque partie du conflit, afin de créer une zone démilitarisée de 30 kilomètres de large en tout ; interdiction d’opérations offensives ; interdiction du survol de la zone de sécurité par des avions de combat ; retrait de tous les mercenaires étrangers de la zone de conflit ; mise en place d’une mission de l’OSCE pour surveiller la mise en œuvre du protocole.

[15https://consortiumnews.com/2015/06/12/u-s-house-admits-nazi-role-in-ukraine/

[16] La « Wolfsangel » (« crochet à loups ») fut l’emblème, entre autres, de la 2e division SS « Das Reich ».

[17] Dans un discours tenu le 8 janvier 1918 devant le Congrès, le président des Etats-Unis Woodrow Wilson (1913-1921) introduit en « quatorze points » le concept du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

[18] La terre des Yankees.

[19] Lire « L’âge d’or et la fin de cycles ne sont plus ce qu’ils étaient » (31 janvier 2022) – https://www.medelu.org/L-Age-d-or-et-la-Fin-de-cycle-ne-sont-plus-ce-qu-ils-etaient

[20https://www.resumenlatinoamericano.org/2022/02/13/argentina-un-general-paleolitico-y-la-planificacion-de-la-invasion-a-venezuela/

[21] Dont la Chine, l’Inde, l’Iran, le Pakistan et de nombreux pays africains (Algérie, Afrique du Sud, Centrafrique, Mali, Burkina Faso, Sénégal, etc.). N’ont voté « contre » que cinq pays : Russie, Bélarus, Erythrée, Corée du Nord et Syrie.

[22http://www.obsarm.org/obsnuc/traites-et-conventions/francais/tlatelolco.htm

[23] Tous les Etats du continent et des Caraïbes, sauf les Etats-Unis et le Canada.

[24] Le Conseil de défense sud-américain (CDS) est une initiative militaire promue sous la direction du Brésil qui vise à « construire une identité de défense sud-américaine ».

[25https://cambiocolombia.com/articulo/conflicto/esta-es-la-puta-guerra-general-reconoce-alianza-con-narcotraficantes-para

[26] Créée pendant la Seconde Guerre mondiale pour protéger le trafic dans l’Atlantique Sud, la IVe Flotte avait été dissoute en 1950.

[27https://www.pagina12.com.ar/406149-la-sombra-de-la-otan-en-bolivia

[28https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/pdf_publications/20120116_interoperability-fr.pdf

[29] Transférée en 1984 à Fort Benning (Géorgie), la SOA a été dissoute en 2001, pour renaître immédiatement de ses cendres sous le nom d’Institut de l’hémisphère occidental pour la sécurité et la coopération (WHISC).

Source : https://www.medelu.org/OTAN-suspends-ton-vol


Venezuela : échec du siège par l’Empire, les groupes financiers et médiatiques

Par Silvina M. Romano, Arantxa Tirado, Aníbal García Fernández

Note de Venezuelainfos. Dicton populaire vénézuélien: « la politique bouge tellement qu’il est ennuyeux d’aller au cinéma ». Depuis que l’ex-procureure générale Luisa Ortega a fui la justice de son pays, il n’est de semaine sans qu’on découvre de nouveaux réseaux de corruption sur le point de pousser l’industrie publique du pétrole (PDVSA) à une faillite généralisée comme point d’orgue de la déstabilisation. Alors que les cours pétroliers remontent fortement, le président Nicolas Maduro a décidé de stopper une fois pour toutes la saignée quotidienne de millions de dollars – hypothèque de la filiale CITGO à des fonds vautours, surfacturations ou contrats-fantômes, vols d’infrastructures, bateaux bourrés de pétrole vendus en secret par des tiers. L’enquête menée par le nouveau procureur général Tarek William Saab frappe fort, jusqu’aux plus hautes sphères de l’« État dans l’Etat ». Ce 30 novembre l’ex-ministre du pétrole et l’ex-président de PDVSA ont été arrêtés à Caracas, imputés pour divers délits de corruption, comme avant eux une soixantaine de hauts fonctionnaires. L’enquête s’étend à d’autres dossiers explosifs comme le CADIVI-CENCOEX (octroi de devises d’État au secteur privé), Odebrecht (méga-contrats avec le géant brésilien de la construction) ou la compagnie de l’électricité : on peut s’attendre à d’autres surprises dans les semaines qui viennent. 

Pendant ce temps, une droite très divisée, socialement affaiblie depuis l’échec de son insurrection violente d’il y a quelques mois, a fini par s’asseoir à la table des négociations avec le gouvernement bolivarien, sous l’œil de médiateurs internationaux comme l’ex-président espagnol Rodríguez Zapatero. Dans quelques jours auront lieu les élections municipales et en 2018, les présidentielles. L’Amérique Latine, loin d’une « fin de cycle », compte sur un important potentiel électoral important pour poursuivre la transformation sociale et politique.

Thierry Deronne, Caracas, le 30 novembre 2017

Venezuela : l’échec du siège par l’Empire, les groupes financiers et médiatiques

Haitian President Jovenel Moise visits Venezuela

Caracas, le 27 novembre 2017. Le Président de Haïti Jovenel Moise et le Président du Venezuela Nicolas Maduro approfondissent la coopération agricole, commerciale et infrastructurelle dans le cadre du programme PetroCaribe.

Au cours de ces dernières années, depuis Février 2014 et avec une particulière virulence en cette année 2017, l’opposition vénézuélienne et la communauté internationale (avec à sa tête les Etats Unis) ont mis en œuvre diverses mesures économiques, politiques et militaires destinées à parvenir au « rétablissement de la démocratie » au Venezuela (lire : changement de régime). Pour ce faire, il leur faut montrer (voire monter) une réalité d’un Venezuela plongé dans une crise totale (humanitaire) et surtout, d’un Venezuela complètement isolé et affaibli face aux gouvernements « occidentaux ». Dans les faits cependant, le peuple et le gouvernement vénézuéliens poursuivent le processus de changement et le supposé « isolement » contraste avec les fructifères alliances passées avec la Chine ou la Russie dans un schéma de changement géopolitique mondial, dans lequel ces puissances ont retrouvé un rôle prépondérant.

Le siège militaire pour garantir « la démocratie »

Coïncidant avec l’escalade de la pression internationale contre le processus de changement au Venezuela, le Commando Sud des Etats-Unis s’est livré à diverses « activités » dans des zones voisines du Venezuela, en particulier les Tradewinds 2017 (manœuvres militaires en face des côtes du Venezuela), la récente tenue de l’exercice militaire commun dénommé « Opération Amérique Unie » à la triple frontière entre le Pérou, le Brésil et la Colombie et, même, une intervention préparée en février 2016 pour envahir le Venezuela depuis la base de  Palmerola au Honduras, dénommée Opération Liberté II.[1] En comparaison, notons que les manœuvres militaires de l’armée russe au Belarus en septembre dernier, ont été considérées comme une menace et une démonstration de pouvoir de la part des membres de l’Union Européenne et membres de l’OTAN.[2] Toutefois, la présence militaire des Etats-Unis en Amérique Latine et dans la Caraïbe (sous ses diverses modalités) [3] est “naturelle” pour la communauté internationale. Justifiée par la guerre contre les drogues et le crime transnational, cette présence se montre de plus en plus impliquée dans la défense de la « démocratie » dans la région.

L’Amiral Kurt Tidd, Commandant du Commando Sud, il y a un mois, l’a clairement exprimé : “après dix années de défis, les régimes hostiles aux Etats-Unis sont en déclin. L’offensive continue contre la démocratie au Venezuela a fait l’unité des nations sur la défense de nos valeurs communes”.[4] Il est clair que le problème du Venezuela est sa posture « anti-étasunienne », comprenez : un processus qui pose comme principe un ordre social, économique et politique qui n’est pas conforme à la démocratie de libre échange promue par les Etats-Unis et la « communauté occidentale » – dans un pays doté des plus fortes réserves de pétrole du monde.

Il semble alors que les militaires ont un rôle primordial dans la conduite du Venezuela vers la démocratie qu’ils jugent « correcte ». La semaine dernière, le vice-président colombien, Oscar Naranjo – ex Général de la Police Nationale Colombienne et l’un des principaux responsables de l’exportation du Plan Colombie au Mexique, en particulier pour ce qui touche à l’expansion du para-militarisme [5], s’est rendu aux Etats-Unis. Comme « résultat positif » de sa visite (d’après les porte-parole officiels des deux gouvernements) figurent « les premiers pas de la création d’une force d’intervention navale dans le Pacifique entre les Etats-Unis, le Mexique et la Colombie pour la guerre contre la drogue ».[6] Dans le même compte rendu il est dit que le vice-président des Etats-Unis, Michael Pence, a félicité le gouvernement colombien pour avoir joué un rôle de premier plan face à la situation vénézuélienne.[7]

Mais la présence militaire et la surveillance permanente exercée par les Etats-Unis dans des territoires voisins du Venezuela ne suffit pas. Voilà pourquoi, le 13 Novembre dernier, les ministres des Affaires Etrangères de l’Union Européenne ont approuvé un embargo sur les armes contre le Venezuela , comme élément de ce qu’ils ont qualifié de « mesures restrictives » destinées à faire pression sur le gouvernement du président Nicolas Maduro afin qu’il renforce « l’Etat de droit et la démocratie ».[8] Ils ont à leur tour souligné que « La principale responsabilité de mettre fin à la crise au Venezuela réside dans le pays lui-même », [9] créant ainsi de la confusion : s’il en est ainsi, pourquoi et dans quel but faire pression de l’extérieur avec un embargo sur les armes ? Ce qui est certain c’est que, cet embargo, en termes matériels et symboliques, s’ajoute à une série de mesures de la communauté internationale qui essaient de montrer que le Venezuela est « isolé » et « assiégé », que le processus de changement « a été un échec ». Des exemples concrets sont la longue croisade de l’OEA contre le gouvernement vénézuélien [10], ou la pression depuis l’ONU pour contribuer à installer l’idée d’une « crise humanitaire » dans le pays [11]. Ces « mesures » font partie de la guerre économique comme composante indispensable du siège.

Pétrole et paiement de la dette, quel default ?

Ces derniers mois, le prix mondial du pétrole a monté, suite à l’accord obtenu par les membres de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP): en octobre le prix du baril a dépassé les 45 dollars –il convient d’ajouter que le 30 Novembre prochain les membres de l’OPEP se réuniront de nouveau à Vienne pour décider s’ils prolongent l’accord sur les réductions de production au-delà du premier trimestre 2018 –.[12] Dans un tel contexte, depuis septembre, le gouvernement vénézuélien a décidé de présenter le prix de son pétrole en yuans et non en dollars. Comme conséquence de cette mesure, le prix du baril est monté à 46.7 dollars. Ces deux initiatives ont contribué au rétablissement du prix du baril, ce qui permettra au Venezuela d’avoir une rentrée de devises supérieure à celle enregistrée ces dernières années. Au cours de la première semaine de novembre, le prix du baril a dépassé les 60 dollars, prix équivalent à celui de Juin 2015, lorsque les prix du marché international commencèrent à baisser.

Le pétrole au Venezuela représente 95% des devises qui entrent dans l’économie nationale et toute variation dans les prix du pétrole a un impact substantiel sur l’économie vénézuélienne. En  même temps que l’augmentation du prix du pétrole, le Venezuela a annoncé que les réserves de pétrole attestées et certifiées avaient atteint le chiffre de 300,878, 033 millions de barils car avaient été intégrés 1.9 millions de barils provenant de la Ceinture Pétrolifère de l’Orénoque.[13]

Dans quelques media hégémoniques on a spéculé sur la chute en  default – défaut de paiement- du Venezuela, affirmation appuyée par les déclarations des agences de classement mondiales comme Standard & Poor’s .[14] Cependant le gouvernement vénézuélien a payé toutes ses obligations financières à ses créanciers et a couvert les obligations à échéance de 2027 et 2020 ;, ce qui implique que sont payées toutes ses obligations pour ce qui reste de 2017. [15] Il faut ajouter à cela que le gouvernement vénézuélien cherchera à restructurer sa dette, car pour 2018 il aura à payer d’autres obligations pour environ 9 milliards de dollars.[16] Les dernières sanctions économiques imposées par les Etats-Unis depuis le début de l’année indiquent qu’il est probable que depuis les organismes internationaux, sous la pression des Etats-Unis, l’on tente d’empêcher ou au moins d’entraver une telle restructuration, considérant que c’est l’année des élections présidentielles au Venezuela.

Un aspect important est le risque latent que les fonds agressifs dénommés « vautours » achètent une partie des obligations vénézuéliennes de PDVSA et en exigent le paiement au gouvernement. Un tel scénario est probable. Cette alerte n’est pas minime, si l’on considère que le comité directeur de CITGO, la filiale étasunienne de PDVSA, fait l’objet d’un mandat d’arrêt car ils ont signé un accord international avec deux entreprises financières pour refinancer des programmes de dettes sur  2014/2015. Ces dits contrats ont été réalisés sous des conditions qui étaient désavantageuses pour PDVSA. L’accord pourrait mettre en danger la stabilité financière de  CITGO car il apparaissait comme garantie du financement.[17]

Etendre le siège : les Etats-Unis dans la Caraïbe en guerre contre le pétrole du Venezuela.

La guerre économique inclut également la pression dans le domaine énergétique. Comme on le sait, le Venezuela  a impulsé la création en 2005 de Petrocaribe, une initiative qui englobe plus d’une quinzaine de pays de la Caraïbe qui bénéficient d’une coopération énergétique de la République Bolivarienne du Venezuela grâce à la vente de pétrole à des prix subventionnés et avec des facilités de paiement. Il s’agit, dans la perspective vénézuélienne, de garantir la sécurité énergétique de ses alliés, en facilitant leur développement et en posant les bases d’une coopération géopolitique alternative.

Conscients du caractère stratégique que représente pour ces petites et fragiles économies, traditionnellement soumises à l’influence étasunienne, de pouvoir diversifier leurs relations et accéder à des accords commerciaux leur donnant une plus grande liberté d’action, depuis la Présidence de Barack Obama, les Etats-Unis  font pression sur les pays de la Caraïbe pour qu’ils mettent de côté leur approvisionnement en pétrole à travers Petrocaribe, le remplaçant par de nouvelles alliances avec les Etats-Unis. Il s’agit de saper l’un des pivots de la projection extérieure vénézuélienne. C’est ainsi qu’en janvier 2015, les Etats-Unis ont invité les pays de la Caraïbe à une réunion, coïncidant avec le 3ème sommet de la CELAC, réunion qui fut l’antichambre du lancement en Avril, de l’Initiative de Sécurité Energétique de la Caraïbe [18] (CESI selon son sigle en anglais). Se retranchant derrière la crise économique que traversait le Venezuela suite à la chute des prix du baril de pétrole et des impacts que cela pourrait avoir dans sa coopération, les Etats-Unis essayèrent d’attirer les Etats insulaires caribéens. L’idée de l’instabilité de Petrocaribe fut au préalable travaillée par les think tanks – laboratoires d’idées- de l’establishment étasunien comme Atlantic Council qui, en 2014, publia un rapport intitulé “Uncertain Energy: The Caribbean’s Gamble with Venezuela[19] (« Energie Incertaine: le pari de la Caraïbe sur le Venezuela » )

Une autre des stratégies étasuniennes est d’en appeler au remplacement des énergies. Sous un discours d’apparente défense de l’environnement se cache le conflit géopolitique visant à  miner l’influence du Venezuela dans une zone aussi géo-stratégiquement importante pour les Etats-Unis que ne l’est la Caraïbe. Dans cette même ligne l’on comprend que, le 15 Novembre dernier, le Département d’Etat des Etats-Unis ait annoncé que 4.3 millions de dollars seront destinés à « appuyer la diversification énergétique de la Caraïbe ».[20] Il est important de souligner que cette annonce s’est faite dans le cadre de la Table Ronde sur la Prospérité des Etats-Unis et de la Caraïbe, et que les fonds serviront à promouvoir la CESI et la Stratégie 2020 pour la Caraïbe.[21] Participent à ce projet le Bureau des Ressources Energétiques du Département d’Etat, l’USAID (Agence américaine pour le développement international) – déjà porteuse de projets semblables ces dernières années- et l’OPIC Overseas Private Investment Corporation. Leur mission, selon les propres mots du Département d’Etat, est d’offrir « assistance technique en matière énergétique, subventions pour la préparation de projets et de nouvelles opportunités pour des entreprises et des exportations énergétiques étasuniennes mondialement compétitives ».[22]

Les alliances du Venezuela: franchir le siège

Amener l’idée de l’isolement international du Venezuela  fait fondamentalement partie de la propagande des moyens de communication liés aux grands pouvoirs économiques. Il semblerait que pour ces media, le système international se réduise à l’existence des puissances centrales occidentales, laissant de côté tout le monde émergent représenté par la République Populaire de Chine, la Fédération de Russie, l’Inde, le Brésil, etc. Mais il ne s’agit pas que des seuls BRICS. Grâce à l’impulsion qu’Hugo Chávez a donnée à la politique extérieure vénézuélienne, tant sur le plan bilatéral que multilatéral, et grâce aussi à la diversification de ses zones d’influence, étendant sa projection extérieure à des territoires jusqu’alors non explorés par la diplomatie vénézuélienne, l’Etat vénézuélien s’est positionné, ces dernières années comme un actif et dynamique acteur international de premier ordre. Son rôle prépondérant dans les négociations de l’OPEP, en sa qualité de pays détenteur des principales réserves de pétrole avérées dans le monde, autant que son profil de référent pour l’anti-impérialisme international, sont le signe de la tromperie du concept de son isolement international.

De fait, depuis Septembre 2017, le Venezuela occupe la Présidence du Mouvement des Pays Non Alignés (MNOAL), qu’elle gardera jusqu’en 2019.[23] C’est la première fois que le Venezuela assume cette responsabilité internationale, à fort impact symbolique, à un moment où le pays est fortement mis en question à l’extérieur.

Cependant, ces critiques, de même que l’instabilité politique intérieure induite, n’ont pas empêché que le Venezuela, ces derniers mois, ait continué de signer des accords commerciaux décisifs, avec des puissances comme la Chine ou la Russie,  en plus de pouvoir compter sur leur appui politique dans les moments difficiles.[25] Les entreprises russes ont aussi apporté leur aide en avançant des paiements à PDVSA au milieu des sanctions des Etats-Unis. [26]

Le siège militaire, politique, économique et médiatique qui se construit chaque jour contre le processus de changement au Venezuela, a comme objectif immédiat d’installer l’idée que le Venezuela est isolé, qu’il manque d’alliances fortes et « qu’il n’a pas d’issue ». Cependant, le peuple vénézuélien montre une grande force et une dignité, qui s’est manifestement révélée dans sa participation au vote pour l’Assemblée Nationale Constituante en Juillet dernier et lors des élections régionales d’octobre 2017. De son côté, le gouvernement vénézuélien continue de consolider ses alliances internationales. Le siège est réel, mais il a échoué. Malgré les pronostics de la presse néo-libérale, la réalité qui s’impose contre toute attente est celle du peuple vénézuélien qui cherche à consolider le processus de changement. Le Venezuela continuera de déjouer les assiégeants.

Silvina M. Romano, @silvinamceleste

Arantxa Tirado, @aran_tirado

Aníbal García Fernández, @Anibal_garcia89

Notes: 

[1] http://misionverdad.com/la-guerra-en-venezuela/operacion-venezuela-freedom-2-el-documento

[2]http://www.lavanguardia.com/internacional/20170914/431275707337/rusia-inicia-maniobras-militares-frontera-ue.html

[3] http://www.celag.org/operacion-america-unida-presencia-militar-permanente-eeuu-america-latina/

[4]http://www.southcom.mil/Media/Speeches-Transcripts/Article/1347999/adm-tidd-prepared-remarks-olmsted-foundation/

[5] https://www.elespectador.com/noticias/elmundo/acusan-al-general-r-oscar-naranjo-de-promover-grupos-pa-articulo-469652

[6] https://www.americaeconomia.com/politica-sociedad/politica/colombia-estados-unidos-y-mexico-crearian-fuerza-de-tarea-naval-en-el

[7] https://www.americaeconomia.com/politica-sociedad/politica/colombia-estados-unidos-y-mexico-crearian-fuerza-de-tarea-naval-en-el

[8] https://www.nytimes.com/es/2017/11/14/venezuela-embargo-armas-union-europea/

[9] https://www.nytimes.com/es/2017/11/14/venezuela-embargo-armas-union-europea/

[10] http://www.celag.org/almagro-invoca-carta-democratica-a-favor-o-en-contra-de-la-democracia-por-silvina-m-romano/

[11] http://www.noticiasrcn.com/internacional-crisis-venezuela/pedido-eeuu-consejo-seguridad-onu-discute-crisis-venezuela

[12] http://www.contrapunto.com/noticia/podria-extenderse-recorte-de-petroleo-de-paises-opep-y-no-opep-149589/

[13] https://actualidad.rt.com/actualidad/254973-sube-precio-petroleo-causas-consecuencias-venezuela

[14] https://www.forbes.com.mx/sp-declara-a-venezuela-en-default-selectivo/

[15] https://www.telesurtv.net/news/Venezuela-paga-intereses-de-bono-PDVSA-2027-20171115-0037.html

[16] https://www.cronista.com/internacionales/En-medio-de-rumores-de-default-Venezuela-enfrenta-dia-clave-con-acreedores-20171113-0064.html

[17]http://www.resumenlatinoamericano.org/2017/11/21/venezuela-duro-golpe-a-corruptos-y-traidores-a-la-patria-detenidos-seis-altos-directivos-de-citgo-por-irregularidades-en-contrataciones-opinan-delcy-rodriguez-diosdado-cabello-y-jorge-rodriguez/

[18] https://www.state.gov/e/enr/c66945.htm

[19]http://www.atlanticcouncil.org/publications/reports/uncertain-energy-the-caribbean-s-gamble-with-venezuela

[20]https://translations.state.gov/2017/11/16/el-departamento-de-estado-de-ee-uu-apoya-la-diversificacion-energetica-en-el-caribe-2/

[21] https://www.state.gov/p/wha/rt/caribbeanstrategy/index.htm

[22]https://translations.state.gov/2017/11/16/el-departamento-de-estado-de-ee-uu-apoya-la-diversificacion-energetica-en-el-caribe-2/

[23]https://www.telesurtv.net/news/Venezuela-asume-presidencia-del-Movimiento-de-Paises-no-Alineados-20160917-0021.html

[24]https://www.telesurtv.net/news/Venezuela-y-China-fortalecen-acuerdos-petroleros-y-comerciales-20170831-0040.html

[25] http://www.hispantv.com/noticias/china/350436/venezuela-eeuu-trump-opcion-militar-injerencia

[26]https://www.bloomberg.com/news/articles/2017-08-04/rosneft-aids-venezuela-s-state-oil-producer-with-prepayment

Source : http://www.celag.org/cerco-fallido-venezuela-presion-militar-guerra-economica/

Traduction: Michele ELICHIRIGOITY

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La Russie et la Chine mettent un frein à l’option militaire de Trump au Venezuela

Face à l’intention des Etats-Unis d’intervenir au Venezuela et de contrôler le pays, se place le facteur des alliances avec la Chine et la Russie, puissances qui remettent en cause l’hégémonie étasunienne au niveau mondial.

Une investigation de Mision Verdad,  23 Octobre  2017.

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La Chine: une ceinture, une route

La Chine s’est  proposé de réactiver la Route de la Soie, cette ancienne route commerciale  qui s’étendit autrefois de la Chine à l’Occident sous l’Empire romain et par laquelle la soie orientale arriva pour la première fois en Europe. C’est par ce double couloir de commerce et de distribution de ressources énergétiques et de matières premières,  que le président Xi Jinping cherche à rouvrir les canaux entre la Chine et l’Asie Centrale, le Moyen Orient et l’Europe.

L’Initiative «  la Ceinture et la Route » (ICR) a été lancée en 2013. Elle englobera des routes terrestres (la Ceinture) et des routes maritimes (la Route) afin que le pays devienne moins dépendant du marché étasunien pour ses exportations et améliore ses relations commerciales dans la région, principalement à travers des investissements en infrastructure qui visent à renforcer le leadership économique chinois. La Chine prêtera à hauteur de 8000 milliards de dollars pour de l’infrastructure dans 68 pays, pour une population totale de 4400 millions d’habitants (65% de la population mondiale  et un tiers du PIB mondial) et une part de 30% de l’économie mondiale. Cela représente 7 fois plus que le Plan Marshall des Etats-Unis pour reconstruire  l’Europe après la Deuxième Guerre Mondiale.

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La Ceinture couvre  six couloirs  économiques: le Nouveau Pont Continental Euro-asiatique, le couloir Chine-Mongolie-Russie, le couloir Chine-Asie Centrale-Asie Occidentale, le couloir Chine-Péninsule Indochinoise, le couloir Chine-Pakistan  et le couloir Bangladesh-Chine-Inde-Myanmar. Elle s’étendra également vers l’Amérique Latine par voie maritime.

Au-delà d’évacuer le surplus de produits, avec l’ICR, le gouvernement chinois envisage de déplacer les excédents manufacturiers moyennant la délocalisation industrielle vers les pays périphériques, le long des divers couloirs de l’Initiative. Par la fabrication de produits industriels de haut de gamme il parviendrait à commercialiser des trains à grande vitesse, des générateurs d’énergie et des équipements de télécommunications.

La Russie en réajustement géostratégique

De son côté, la Russie maintient une politique extérieure qui a été considérée comme « intelligente » par différents  analystes  et lui a permis de contourner une crise provoquée par le ralentissement économique, les sanctions de l’Occident et la chute des prix du pétrole.  Sa stratégie  est dirigée par la création de l’Union Economique Euro-asiatique qui réunit le Belarus, le Kazakhstan, le Kirghizistan  et l’Arménie, dans l’intention de constituer un marché commun unique avec la libre circulation des marchandises, des services, du capital et des personnes, et, en outre, un espace doté d’une politique migratoire, éducative,  englobant même l’information.

Après l’adhésion de la Crimée, la guerre à l’est de l’Ukraine et son engagement en Syrie,  le Kremlin poursuit de multiples objectifs de stabilité interne et de présence internationale qui sont passés par la stabilisation de sa relation avec la Turquie, ce qui lui a aussi permis de consolider son influence dans la victoire contre les groupes terroristes en Syrie.

La Russie a réorienté ses alliances géopolitiques après que les Etats-Unis ont conçu et soutenu le renversement du gouvernement ukrainien de Viktor Ianoukovitch et installé un régime d’extrême droite dans le but de resserrer l’encerclement.  Washington et ses agences ont pour cela dépensé 5 milliards de dollars dans le financement de « programmes de diffusion de valeurs et de formation politique » en Ukraine, ont fomenté une révolution orange avec la prise de la place de Maïdan et tout le processus de tensions bien connu qui déboucha sur les sanctions imposées à Moscou, aux côtés de l’Europe.

Un des objectifs de sa conception de la politique extérieure énoncée en Novembre  2016, est de renforcer la position de la Russie comme un pays prédominant dans le monde moderne et de retrouver son influence dans la stabilité et la sécurité du système démocratique mondial. Voici, parmi d’autres,  quelques directions spécifiques:

  • Lutter  contre la pression politique et économique des Etats-Unis et de leurs alliés, qui conduisent à la déstabilisation mondiale.
  • Poursuivre le travail conjoint avec l’Union Européenne (UE) qui reste pour la Russie un important partenaire politique et économique.
  • Maintenir l’objectif de stabilisation de la situation au Moyen  Orient et en Afrique du
  • Nord.
  • S’opposer aux tentatives d’ingérence dans les affaires intérieures de la Russie afin d’obtenir des changements de pouvoir  non constitutionnels.
  • Utiliser les nouvelles technologies pour renforcer la position des moyens de communication de la Russie à l’extérieur et accroître la sécurité informatique du pays.
  • Considérer le projet de construction d’un système de défense antiaérien des Etats-Unis comme une menace pour la sécurité nationale, ce qui donne à la Russie le droit de prendre les mesures de réponse nécessaires.
  • Considérer comme intolérable toute tentative de pression des Etats-Unis et réagir avec force à toute action hostile.
  • Construire des relations mutuellement bénéfiques avec les Etats-Unis.
  • Renforcer les liens de la Russie avec l’Amérique Latine et la Caraïbe.

A cause des sanctions occidentales, qui ont réduit l’accès des compagnies russes à la technologie, aux investissements et au crédit de l’Occident, ainsi qu’en raison de  la chute du prix du pétrole, s’est  développé un processus d’intégration économique et d’alignement politique qui servirait de contrepoids à l’UE , avec un espace économique qui ira de Saint-Pétersbourg à Shanghai.

Le bloc Chine-Russie gagne des  espaces par une vision multipolaire

Les deux nations partagent de plus en plus les éléments d’une vision du monde pluri-polaire,  elles privilégient l’importance de maintenir des Etats-nations forts qui jouissent d’une pleine liberté d’action au niveau international.

Elles partagent des critiques envers les gouvernements occidentaux et dénoncent ce qu’elles considèrent comme une couverture médiatique occidentale biaisée. Elles dénoncent aussi le financement étranger d’organisations non gouvernementales (ONG) et l’utilisation de techniques de mobilisation sur les réseaux sociaux pour fomenter l’instabilité. En 2011-2012, Poutine a rejeté sur les ONG parrainées par les Etats-Unis la responsabilité des manifestations de rue tenues à Moscou ; en 2014 Pékin a vu une main étrangère derrière le mouvement de protestation à Hong Kong.

Récemment le secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin, a menacé la Chine de l’exclure du système international du dollar américain si elle n’appuie pas les nouvelles sanctions contre la Corée du Nord, ce qui a suscité chez l’analyste Paul Craig Roberts la réflexion suivante : « le Gouvernement des Etats-Unis, Etat en faillite, dont la dette dépasse les 20000 milliards  de dollars, qui se voit obligé de créer de la monnaie pour acheter ses propres titres de créance, menace la deuxième plus forte économie mondiale, dont le pouvoir d’achat est supérieur à celui de l’économie des Etats-Unis « , et cela à partir du scénario prévu selon lequel une énorme quantité de transactions économiques sortiraient du système du dollar provoquant la réduction de son volume et de son importance.

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La Russie et la Chine achètent de plus en plus d’or pour soutenir leurs économies et faire face à la valeur artificielle du dollar pendant que les pays de l’axe asiatique commencent à réaliser des échanges commerciaux dans leurs propres monnaies, y compris pour le pétrole, coup sévère porté au pétrodollar.

L’Amérique latine à l’horizon

Des analystes affirment que l’existence même du groupement des Brics (Brésil, Russie, Chine, Inde et Afrique du Sud) favorise l’autonomie des Etats latino-américains au niveau international et élargit leur marge de manœuvre en politique extérieure. Il s’agit d’un groupe qui occupe 29% de la terre ferme de la planète (sans compter l’Antarctique), concentre 43% de la population mondiale et près de 27% du PIB mondial en termes de parité du pouvoir d’achat.

Au cours du sommet qui s’est tenu en septembre dernier, le bloc est convenu de créer la Nouvelle  Banque de Développement, qui prévoit d’accorder des prêts à hauteur de 4 000 millions de dollars en 2018 tout en finançant des projets à moyen terme du secteur privé. Il a aussi été convenu de créer un fond d’obligations en devises nationales  pour « contribuer à assurer la stabilité des investissements dans les pays du Brics, stimuler le développement de marchés obligataires nationaux et régionaux des pays du Brics,  y compris l’augmentation de la participation du capital privé étranger et l’amélioration de la stabilité financière des pays du Brics « .

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De nombreux analystes affirment que si la Chine parvient à redessiner la carte du commerce mondial, elle créera des opportunités pour que les exportations latino-américaines trouvent de nouveaux débouchés en Asie. On parle également d’un câble de fibre optique Trans-Pacifique pour unir les deux régions, tandis que la Chine s’intéresse au financement de tunnels, routes et chemins de fer qui aideront à acheminer les produits des pays de la côte atlantique de l’Amérique Latine vers la Chine et vice-versa.

Le commerce et les investissements de la Chine en Amérique latine ont connu une croissance exponentielle depuis l’an 2000, les exportations de l’Amérique latine vers la Chine, après l’escalade des sanctions de 2014, ont augmenté de 5000 millions de dollars en 2000 à 120000 millions de dollars en 2012, de même qu’ont augmenté les importations depuis la Chine, générant une balance commerciale totale d’environ 230 000 millions de dollars par an. Pour plusieurs des principales économies de l’Amérique latine, comme le Brésil, l’Argentine, le Chili et le Pérou, la Chine a remplacé les Etats-Unis en tant que principal partenaire économique, mais non en tant qu’investisseur. Voilà un défi crucial pour l’hégémonie économique dont ont joui les Etats-Unis dans la région,  depuis le déclin de l’empire britannique, fruit de la Seconde Guerre Mondiale.

La collaboration stratégique de la Russie avec le Brésil, en particulier dans le cadre des Brics, ainsi que la coopération avec l’Argentine, le Venezuela, Cuba, le Nicaragua et d’autres Etats de l’Amérique latine et de la Caraïbe, recherche des réponses aux nouveaux défis et menaces. L’incorporation d’entreprises russes dans les secteurs dynamiques de l’industrie, l’énergie, les communications et le transport dans les pays de la zone s’est vue accompagnée de la consolidation des liens à travers la Communauté des Etats Latino-américains et Caribéens (Celac).

La relation de la Russie avec  les partenaires latino-américains (en particulier l’Argentine, le Brésil, le Chili, l’Uruguay et l’Equateur)  a franchi un nouveau pas après l’escalade des sanctions de 2014, qui limitaient l’importation de produits alimentaires en provenance de l’UE, des Etats-Unis, du Canada, de l’Australie et de la Norvège. La Russie les a remplacés par des livraisons venues de l’Amérique latine  et a mis en route  la mission de rendre leur économie plus compétitive et plus diversifiée en accordant un plus fort appui  au développement de leur  économie agricole.

Le commerce estimé de la Russie avec l’Amérique latine et la Caraïbe s’est élevé à 24000 millions de dollars en 2013  tandis que la Chine continue à détrôner d’autres concurrents étrangers,  par le biais de fusions et rachats qui ont atteint 102200 millions de dollars investis par la Banque de développement de Chine  (CDB) et la Banque Chinoise d’import-export (Chexim) entre 2005 et 2013.

Il faut souligner qu’aucun des pays de la dite Alliance du Pacifique, bloc commercial latino-américain qui inclut actuellement le Chili, la Colombie, le Mexique et le Pérou, n’a pris la décision, en son temps, de rompre les relations avec la Chine, alors même que ce bloc apparaissait comme un partenaire proche des Etats-Unis et du Canada. Ses membres (moins la Colombie) figuraient parmi les pays désireux d’établir le Partenariat Trans-Pacifique (TPP) annulé par Trump en janvier dernier.

Comme elle compte peu de positions dans le Pacifique en raison de la barrière de contention géographique que représentent le Japon, Taiwan, l’Indonésie et d’autres lieux contrôlés par les USA, la logique d’expansion chinoise est orientée vers le Pacifique sud.

La dissuasion au Venezuela

Le Venezuela est la première destination latino-américaine des investissements chinois. Depuis 2001, se sont développés quelques 800 projets de coopération qui ont permis le développement de secteurs aussi stratégiques que l’énergie, le pétrole, l’éducation, la santé, la technologie, le commerce, l’agro-industrie, l’agriculture, l’infrastructure, l’industrie, la culture et le sport. En 2013, le commerce bilatéral avait été multiplié  par 13714, passant de 1,4 million de dollars en 1974 à 19 200 millions de dollars.

La Russie dispose d’importants investissements dans la Ceinture Pétrolifère de l’Orénoque au travers de l’entreprise Rosneft qui ont été consolidés et seront augmentés après la rencontre à Moscou des présidents Poutine et Maduro début octobre.  La coopération agricole également devrait augmenter, au moyen de la mise en route d’usines de transformation de denrées alimentaires de haute technologie.

La coopération militaire engage plus de 11000 millions de dollars dans divers systèmes de missiles, de défense, sol-sol, sol-air, des systèmes d’artillerie,  défense antiaérienne,  fusils, hélicoptères, avions de combat et équipement logistique. L’échange commercial entre les deux pays a connu son apogée en 2013, lorsqu’il atteignit 2 450 millions de dollars.

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En mai 2013 un accord de confidentialité  permit à Rosneft d’obtenir des données géologiques sur les blocs pétrolifères en mer du Venezuela pour leur possible future exploitation, dans la claire intention de protéger les intérêts commerciaux chinois et d’assurer l’accès russe aux futurs gisements de pétrole et de gaz au Venezuela.

La Chine et la Russie déjouent l’intérêt qu’ont les Etats-Unis à intervenir d’une manière plus décisive dans la politique vénézuélienne car les alliances passées par le pays caribéen sont vitales pour leurs objectifs géostratégiques. Les déclarations depuis Moscou et Pékin à chaque agression réalisée par les Etats-Unis ces dernières années, ont été claires. Les deux gouvernements ont appelé à la résolution souveraine des conflits et à la non-ingérence, car les sanctions imposées par l’Administration Trump représentent une attaque directe aux alliances passées avec le pays sud-américain. D’où précisément leur appui à une résolution des conflits au Venezuela par la voie des élections, sous l’autorité de l’Etat vénézuélien et de son institution électorale, objet des attaques, le CNE.

Une partie du conflit global se déroule sur un territoire local, ce qui permet au Venezuela, dans les reconfigurations des dynamiques géopolitiques, de jouer un rôle décisif en faveur du multipolaire comme recherche d’un équilibre politique global qui lui permette d’exercer son droit à exister de manière souveraine.

Source : http://misionverdad.com/trama-global/china-y-rusia-apoyan-a-venezuela-contra-la-intervencion

Traduction : Michele ELICHIRIGOITY

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Comment le Sommet des Amériques a écrit l’Histoire (tout ce que ne vous a pas dit « Courrier International »)

Démontez la désinformation de Courrier International (1) et la “chargée de l’Amérique Latine” Sabine Grandadam vous répondra qu’il n’y a pas de désinformation puisque ses sources sont “pluralistes”. Tout comme Thomas Cluzel (France-Culture), auteur d’un record de mensonges en cinq minutes (2) : “Je ne fais qu’une revue de presse internationale”. Tout le monde sait pourtant que l’information est passée sous le contrôle de grands groupes privés et que sous l’apparente “diversité” il y a peu de chances de trouver une dissonance avec la doxa. Ainsi, l’internationale médiatique fait campagne contre des États souverains comme l’Équateur, le Venezuela ou l’Argentine parce qu’ils font ce que toute démocratie doit faire : équilibrer la propriété des médias, desserrer l’étau du monopole privé en permettant aux secteurs public et associatif d’exister à parts égales (3). Une évidence difficile à comprendre pour Cluzel ou Grandadam puisque leur survie dépend sans doute du fait qu’ils ne la “comprennent” pas.

Pour nous parler du récent Sommet des Amériques en tout “pluralisme” (5), Courrier International a choisi cinq sources :

1 – El Nuevo Herald (États-Unis, droite souvent extrême, en pointe contre la gauche latino, propriété de la McClatchy Company, groupe propriétaire de 31 autres publications)

2 – El Universal (Venezuela, droite, propriété de l’entreprise privée espagnole Torreangulo Arte Gráfico et de Industrias Gráficas Bohe).

3 – El País (Espagne, autre fer de lance des campagnes contre la gauche latino, propriété du groupe PRISA. Impliqué dans le coup d’État d’avril 2002 contre le président Chavez (4), ce groupe est actionnaire à 12% du Monde et propriétaire de dizaines de télévisions, radios, revues, journaux dans 22 pays d’Amérique Latine et d’Europe).

4 – Daniel Lansberg-Rodriguez, politologue étasunien connu pour sa critique du “totalitarisme constitutionnel” de la gauche latino-américaine.

5 – Foreign Policy (États-Unis, droite, propriété de Graham Holdings Company, conglomérat propriétaire de The Washington Post, Newsweek., Slate, Graham Media Group, chaînes de télévisions, entreprises privées de santé, etc..)

Aucun média de gauche. Aucun média public. Aucun média associatif. Aucun gouvernement progressiste. Aucun des mouvements sociaux organisateurs du Sommet des Peuples qui ont travaillé parallèlement au Sommet des chefs d’État, sur des thèmes aussi anodins que la lutte pour l’emploi, le travail et un salaire digne, la sécurité sociale, les retraites, les négociations collectives, la syndicalisation, le droit de grève, la santé au travail, les droits économiques et sociaux, le respect des migrants et des afro-descendants, l’éradication du travail des enfants et de l’esclavage, l’égalité de genre, et dont les porte-paroles étaient pourtant accessibles à tout instant. Cumbre de Los Pueblos. Foto: Ismael Francisco/Cubadebate. Cumbre de los Pueblos. Foto: Ismael Francisco/Cubadebate.

Le “pluralisme” de Courrier International sur ce Sommet des Amériques, ce sont les médias conservateurs, privés, de préférence étasuniens.

L’article qui en résulte (5), c’est un peu le “plan média” de Washington : il fallait tout miser sur la photo de la poignée de main Obama-Castro pour redonner un look actif à la fin de mandat plutôt frustrante de l’occupant de la Maison Blanche. En réalité, ce n‘est pas grâce à Barack Obama que Cuba était présent pour la première fois depuis 1962 à un sommet de l’OEA mais à la pression constante, unitaire, des gouvernements latino-américains. Dans son intervention, Cristina Fernández a rappelé : « Cuba est aujourd’hui parmi nous parce qu’il a lutté pendant 60 ans avec une dignité sans précédents ». Obama, lui, n’avait rien apporté de neuf : dans les “mois qui viennent” il devrait en principe étudier la levée de l’embargo toujours en vigueur et fermer Guantanamo, base militaire et centre de tortures installée sur le territoire cubain.

CCVEyu9W4AAucu3Face au rejet unitaire par la CELAC, l’UNASUR, l’ALBA, PetroCaribe, le Groupe des 77 + la Chine et le Mouvement des Non-Alignés du décret traitant le Venezuela de “menace pour la sécurité des États-Unis”, Obama avait tenté in extremis de limiter les dégâts en divisant les latino-américains. La veille du Sommet, il découvrait que tout compte fait, “le Venezuela n’est pas une menace”. Mais les latino-américains pensent aussi. Pendant le Sommet, Barack Obama a dû écouter la dénonciation unanime de la violation du droit international que représente son décret. Il finira par abandonner l’assemblée plénière avant que Cristina Fernández n’intervienne : « La première chose que j’ai faite en apprenant l’existence de ce décret, ce fut de rire. Une menace ? C’est incroyable. C’est ridicule. Le général Perón disait qu’on revient de partout, sauf du ridicule ».

Dès l’extinction des feux médiatiques, la sous-secrétaire d’État Roberta Jacobson a rappelé que Washington ne reviendra pas sur le décret contre le Venezuela. Démentant les propos d’Obama sur la fin des ingérences, le Pentagone renforce sa présence en Colombie, au Honduras et au Pérou, déploie la IVème flotte, multiplie les opérations secrètes et l’espionnage des télécommunications.

Mais puisqu’il faut à tout prix “sauver le soldat Obama”, Courrier International martèle la vulgate : les militaires et civils arrêtés au Venezuela parce qu’ils préparaient un coup d’État l’ont été pour leurs “opinions”. Nul doute que si Salvador Allende et d’autres président élus démocratiquement avaient réussi à empêcher les coups d’État planifiés par Washington en faisant arrêter les Pinochet et consorts, Courrier International aurait lancé une campagne pour la libération de ces “prisonniers politiques”. (6)

Bref, oublions cet hebdomadaire qui n’a de valeur que comme témoin d’une nord-américanisation médiatique en France, et revenons au réel latino-américain, plus que copieux.

Un mouvement irréversible

Le véritable événement du Sommet des Amériques 2015, ce n’est bien sûr pas une photo, fût-elle celle d’Obama-et-Castro. C’est l’irréversibilité du mouvement de fond entamé en 2001 sous l’impulsion de Chavez, Kirchner et Lula, lorsque fut enterré le Traité de Libre Commerce que voulaient imposer les États-Unis, le Mexique et le Canada. »Qu’il est loin ce décembre 1994, note la journaliste argentine Telma Luzzani, quand Bill Clinton annonçait que les pays du continent américain devraient tous faire partie de l’ALCA, un seul marché sans barrières ! » (7).

21 ans plus tard, une CELAC indépendante remplace une OEA sous influence de Washington; l’UNASUR demande aux États-Unis de retirer leurs bases militaires (8); l’Amérique Latine signe d’importants accords de coopération avec la Chine et les BRICS; la Banque du Sud est sur le point d’être inaugurée. Pour le politologue argentin Juan Manuel Karg, le fait que les États-Unis et le Canada refusent de signer le document approuvé à l’unanimité par les 33 chanceliers d’Amérique Latine et des Caraïbes souligne cette distance croissante entre Nord isolé et Sud unifié de l’Amérique (9).CCVbrl0WIAAHOHn.jpglarge-632x356

Même la tentative d’Obama d’affaiblir PetroCaribe en profitant de la baisse des cours du pétrole n’a pas fonctionné : c’est d’une voix pratiquement unanime que les États des Caraïbes ont salué les bienfaits économiques et sociaux du programme de solidarité énergétique lancé en 2005 par Hugo Chavez.

La propagande peut-elle arrêter l’Histoire ? C’est ce que que croit encore Paulo Paranagua qui avait promis aux lecteurs du “Monde” qu’”Obama arrivait en position de force face à une Amérique Latine divisée” (sic). La même obsession du contrepied lui avait fait écrire à la mort de Hugo Chavez que “celui-ci avait nui à l’unité latino-américaine” au moment précis où l’ensemble des gouvernements, y compris de droite, ainsi que des organismes d’intégration et des mouvements sociaux du continent saluaient “l’œuvre du principal artisan de l’unité latino-américaine”…(10)

Une dimension populaire invisible pour les médias

Il y a eu, aussi, cet immense contraste dont aucun média occidental n’a rendu compte : d’un côté la dialectique entre peuples et leaders progressistes d’Amérique Latine; de l’autre, la solitude des pouvoirs du Nord. Pendant qu’Eduardo Galeano accomplissait son dernier geste public en signant l’appel à abroger le décret d’Obama, à Caracas Evo Morales le signait aux côtés de Nicolas Maduro, face à des milliers de vénézuéliens.ag_8678142862650311-632x752pueblo en Caracas para apoyar la entrega de 10 millones de firmas contra el decreto Obama

Dès son arrivée à Panama, le président bolivarien est allé à la rencontre d’autres invisibles des médias: les familles des milliers de victimes massacrées par les soldats étasuniens lors de l’invasion de Panama le 20 décembre 1989. Dans le quartier martyr de El Chorrillo, Maduro a reçu du « même peuple » qu’à Caracas 2000 signatures de plus contre le décret Obama et une lettre des familles des victimes de l’invasion, qu’il a remise au président Obama.

Invasion de Panama en décembre 1989. Bilan : près de 5000 morts.

Invasion de Panama en décembre 1989. Bilan : près de 5000 morts.

Nicolas Maduro

CCPoaroUkAAeItEAu Sommet des Peuples organisé en parallèle à l’officiel, Maduro, Morales et Correa ont poursuivi leur dialogue avec les mouvements sociaux. “L’important n’est pas de voter tous les cinq ans, mais d’être tous les acteurs actifs des décisions politiques” a rappelé le président vénézuélien. Pendant ce temps, dans un couloir du Sommet des États, le président mexicain, qui mène dans son pays – avec l’appui en armement des États-Unis – une destruction systématique des mouvements sociaux (dont le massacre de Ayotzinapa n’est que la pointe émergée) s’offrait un selfie avec l’empereur de la transnationale Facebook.

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L’Équateur.

Le président de l’Équateur, Rafael Correa, a été le premier à s’exprimer avec force, exigeant l’abrogation du décret Obama : « le décret pris par le président Obama contre le Venezuela, viole de manière flagrante le droit international, et plus précisément, la teneur de l’article 3 de la Charte de l’OEA. En réponse, les pays de la région ont massivement rejeté ce décret et ont également demandé son abrogation. Désormais, nos peuples n’acceptent plus les mises sous tutelle, les ingérences et les interventions dans leurs affaires intérieures ». Rappelant les morts du quartier El Chorrillo (1989) lors de l’intervention des USA destinée à chasser du pouvoir le dictateur Manuel Noriega – qu’ils avaient dans un premier temps imposé – Rafael Correa a relevé que « la mémoire collective des peuples de ce continent est saturée des abus et des ingérences».

Le Brésil.

La présidente en exercice Dilma Roussef a signalé  : « la dynamique en cours, des relations au sein de l’hémisphère, n’admet plus les mesures unilatérales et les décisions politiques qui sont prises sous le sceau du secret. Parce qu’en général, elles s’avèrent être contre-productives et inefficaces. Par conséquent, nous rejetons l’adoption de sanctions contre le Venezuela. Le contexte dans lequel ce pays frère évolue, requiert la modération, mais aussi le rapprochement des positions de toutes les parties concernées. C’est dans ce but, que l’Unasur travaille, afin d’appuyer le dialogue politique entre le gouvernement et l’opposition vénézuelienne. Nous nous employons également à faire en sorte que toutes les parties respectent les règles démocratiques inhérentes à l’État de droit. »

 

Cuba.

Raul Castro, président de Cuba a dit sous les applaudissements que « le Venezuela n’est pas et ne peut représenter une menace pour la sécurité nationale d’une super-puissance comme les USA. Il est bon que le président nord-américain l’ait reconnu. Je réaffirme notre soutien résolu et loyal à la République Bolivarienne sœur, du Venezuela, à son gouvernement légitime, à l’union civico-militaire dirigée par Nicolas Maduro. Mais aussi au peuple bolivarien et chaviste qui lutte, tout en suivant sa propre voie ; qui fait face aux tentatives de déstabilisations, aux sanctions unilatérales dont nous réclamons la levée. »

Raul Castro a conclu en demandant «l’abrogation du décret – même si c’est difficile légalement – que notre communauté interprèterait comme une contribution au dialogue et à la compréhension mutuelle au sein de notre hémisphère. Nous savons ce qui se passe…il est également probable que de tous les pays réunis ici, c’est nous qui comprenions le mieux le processus en cours au Venezuela. Il en est ainsi, non pas parce que nous cherchons à nous immiscer, non pas parce que nous nous efforçons d’exercer notre influence, sur le cours des choses. Il en est ainsi non pas parce qu’on nous rapporte tout ce qui se déroule là-bas. Nous savons tout cela, car nous sommes passés par les mêmes épreuves que le Venezuela en ce moment. Et il est en train de subir des agressions identiques à celles dont nous avons eu à souffrir ! En tout cas une bonne part d’entre elles.»

 

L’Argentine.

Pour sa part, la présidente de l’Argentine, Cristina Fernandez de Kirchner, s’est prononcée d’une manière forte contre les sanctions prononcées par Obama : « Il est honteux que le déroulement de ce Sommet soit entaché par cette décision. Nous demandons de conserve avec les autres pays frères, que ce décret soit écarté. Toutefois, je n’en appellerai pas à la souveraineté, et ne verserai pas non plus de larmes. Je m’appuierai sur le bon sens. Le général Perón disait que l’on peut revenir de tout, sauf du ridicule. Et il est absolument ridicule de considérer que l’un d’entre nous, constituerait une menace. Je suis par ailleurs satisfaite de participer en ma qualité de présidente à la dernière réunion de ce sommet, car il s’agit d’un événement historique. Pour la première fois en effet, le Sommet des Amériques reçoit Cuba »

Il faut préciser que lors de cette intervention, Obama avait déjà quitté la séance plénière.

« Nous en étions là, quand survint soudainement la nouvelle de la signature de ce décret, déclarant que la République Bolivarienne sœur du Venezuela, représentait une menace pour la sécurité des USA. Je dois vous avouer qu’à l’écoute de cette annonce, je me suis dit : il y a une erreur. Ils doivent vouloir dire qu’ils ne sont pas d’accord avec la politique menée ; qu’ils condamnent cette politique. Mais non. On m’a remis le document. Une menace pour la sécurité des États-Unis. La première réponse qui me soit venue à l’esprit, n’a pas été une flamboyante répartie anti-impérialiste. J’ai éclaté de rire. Il est hautement improbable -cela frise le ridicule- que le Venezuela ou l’un des pays de notre continent puisse représenter une menace pour la première puissance du monde ».

« Au-delà de l’idée que nous nous faisons des USA, on ne peut manquer de reconnaître que ce pays est la plus grande puissance sur les plans militaire, économique, financier et scientifique. Il est pourvu d’un budget militaire s’élevant à 640 milliards de dollars. Dans ces conditions, les États-Unis devraient combattre d’une manière effective le narcotrafic et l’immigration illégale ». La présidente a comparé ce budget militaire à celui du Venezuela qui y consacre quant à lui, « 1 ou 2 milliards de dollars, voire un peu plus ». Cristina Fernandez de Kirchner a questionné : « comment concevoir que le Venezuela représente une menace pour la plus grande puissance du monde ? ».

Elle a également rappelé, qu’Obama lui-même se vantait devant ses compatriotes que son pays était le plus puissant de la planète ; que son budget militaire dépasse de 20 fois celui de l’Iran.

« Personne ne peut croire à cette menace du Venezuela. Tout comme personne ne peut envisager que l’Argentine représenterait une menace pour le Royaume-Uni ». Elle se référait ici à cette revendication historique de l’Argentine qui réclame la souveraineté sur les Iles Malouines (enjeu d’un affrontement militaire entre les deux pays en 1982). « J’ai été frappé par la similitude et la simultanéité de ces deux prises de position », a-t-elle conclu.

 

Trinidad et Tobago.

De même, Madame Kamla Persad-Bissessar, le premier ministre de Trinidad y Tobago a fait observer que la célébration de l’accueil de Cuba à ce Sommet des Amériques, coïncide avec la signature du décret visant le Venezuela.

« Président Maduro, je demande qu’une fois encore, nous élevions collectivement et individuellement notre voix. En tant que nations de la région, nous nous devons d’élever notre voix contre ce décret, dont vous nous avez rappelé qu’il existe un précédent, qui a été suivi d’une invasion. Bien que ce décret n’a pas été accompagné d’une déclaration de guerre, ou de tout acte du même genre, cette initiative nous inquiète au plus haut point ».

« Je souhaite ajouter que lorsque les  »éléphants » se mettent à jouer et à danser, c’est l’herbe qu’ils foulent qui en pâtit. Nous autres au Caricom, sommes nous cette « herbe menue ?» Nous sommes de petits pays, très soucieux de leur indépendance, et très en faveur de la démocratie et de la primauté du droit. Il en résulte que nous croyons à la souveraineté des nations, c’est pourquoi nous sommes avec vous, Président Maduro. En défense de votre souveraineté, de votre droit à l’autodétermination. Mais aussi pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Par ailleurs, je demande que tout le monde autour de cette table, en parle et croit en cela. Il faut faire ce que nous avons à faire, dès maintenant, et agir de notre mieux, afin d’aboutir à l’élimination de ce décret ».

Kamla Persad-Bissessar a également souligné que tous les pays membres de la Celac (Communauté d’États latino-américains et caraïbes) ont signé la demande d’abrogation de ce décret ; que la Caricom (Communauté caribéenne) est constituée de 14 des 33 nations faisant partie de cette organisation. Le Sommet des Amériques réunit quant à lui, 35 nations, à quoi il convient d’ajouter les USA et le Canada : « 33 d’entre elles ont déclaré que le décret était inutile et qu’il devait être retiré. Nous travaillons dans ce sens. Caricom a du poids: presque la moitié des pays constituant la Celac et le Sommet des Amériques. Ainsi donc, bien qu’étant de petits pays, nous nous faisons entendre parce qu’en la matière, nous sommes unis ».

 

La Bolivie.

Le président bolivien, Evo Morales a prononcé un discours fortement anti-impérialiste. A trois reprises, il a soulevé la question du décret de Barack Obama visant le Venezuela. « Aujourd’hui, ce sont nos peuples qui écrivent l’histoire. Sur le plan politique, économique et militaire, notre Amérique latine et les Caraïbes, ont longtemps été prises en otage par l’Empire, en vertu de la doctrine Monroe nord-américaine :  »L’Amérique aux Nord-américains ». Nous ne voulons plus de Monroe sur notre continent. Nous ne voulons plus de doctrine Truman, plus de doctrine Reagan, plus de doctrine Bush. Nous ne voulons plus de décrets présidentiels, plus d’ordres de l’exécutif, qui déclarent que nos pays représentent une menace. Nous ne souhaitons plus être mis sous surveillance, que nos téléphones soient piratés, que l’on séquestre des avions présidentiels. Nous voulons vivre en paix. Laissez-nous vivre en paix ! »

« De quelle démocratie parle-t-on, lorsque l’on transforme un peuple révolutionnaire tel que celui du Venezuela, en une menace pour la sécurité nationale ? Le peuple vénézuelien, tout comme ceux de l’Amérique latine et des Caraïbes, ne représentent une menace pour quiconque. La solidarité, la justice, l’égalité, les idées, sont nos seules armes. Nous luttons pour que nos concitoyens puissent jouir d’une vie décente, digne d’un être humain. Selon cette logique, tous les gouvernements d’Amérique latine représentent une menace évidente pour la sécurité des USA ! La menace qui pèse sur les USA, ne provient d’aucun des peuples de l’Amérique latine. Elle est le résultat de leurs propres erreurs, de leur condition d’empire et de leur capacité à déclencher partout des guerres, là où la paix devrait régner ».

Evo Morales a également dénoncé le fait « qu’il n’est pas possible pour eux (les USA) d’expulser du Sommet, l’ensemble de nos mouvements sociaux. 33 pays appuient le Venezuela, et qu’un ou deux pays appuient le décret qui menace non seulement le Venezuela, mais aussi toute l’Amérique latine et les Caraïbes. Sœurs et frères : puisque les USA sont l’une des plus grandes puissances du monde, alors je prie le Président Obama de faire en sorte que l’Amérique soit un continent de paix et de justice sociale. Président Obama, si vous considérez être le dirigeant d’une puissance planétaire, je vous demande de protéger la Terre Mère, pour que l’Humanité puisse être sauvée ».

 

L’Uruguay.

Le président uruguayen Tabaré Vasquez a condamné la menace latente que les USA font planer sur le droit à l’auto-détermination des peuples de l’Amérique latine et des Caraïbes. Il a également prôné le respect des principes garantissant la pleine expression du droit international, tout en exigeant la non ingérence dans les affaires intérieures des pays. Il a aussi émis le vœu que l’on travaille au règlement pacifique des différends.

Tabaré Vasquez a par ailleurs précisé qu’il était impossible de ne pas inclure à l’ordre du jour de cette assemblée plénière, l’agression commise contre la souveraineté du Venezuela, faisant suite à la signature du décret pris par le président des USA, Barack Obama, le 9 mars dernier. « Pour le dire brièvement et clairement : comme nous l’avons d’ores et déjà exprimé à l’occasion de rencontres bilatérales ou multilatérales -UNASUR et OEA- nous rejetons le décret du Gouvernement des États-Unis, ce qui illustre bien notre engagement en faveur du plein respect du droit international, du règlement pacifique des différends, mais aussi du principe de non ingérence dans les affaires intérieures d’autres pays ».

Tout en soulignant qu’en absence de discussion, il n’y aura pas d’issue possible, le président Vasquez a précisé : « Pour le Venezuela, nous appelons au dialogue, toutes les parties en présence ». Le président uruguayen a réitéré son appel à ce que les gouvernements s’abstiennent d’appliquer des mesures coercitives et unilatérales, qui contreviennent au droit international. Il a aussi rendu hommage au rétablissement des relations entre Cuba et les USA, la participation de l’île à ce Sommet en étant l’une des manifestations : « Il convient également de le garder à l’esprit. Nous saluons la présence de Cuba à ce Sommet, dont elle n’aurait jamais dû être absente ». Vasquez s’est également félicité de l’ouverture d’un dialogue de paix entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Des conversations qui se déroulent depuis 2012, à la Havane.

Le Salvador.

Le président salvadorien, Salvador Sanchez Ceren, a réclamé l’abrogation du décret signé par le président Obama, le 9 mars dernier. « Je ne peux manquer de noter » a-t-il dit, « que les récentes mesures récemment prises par les USA contre le Venezuela, ont aggravé les tensions entre les deux nations. Ces mesures ont également un impact sur le climat de paix et de concorde, que nous promouvons en Amérique latine. Il est important de se rappeler que tout au long de notre histoire, aucune des mesures unilatérales prises par un État contre un autre n’a résolu quoi que ce soit. Bien au contraire, les problèmes se sont approfondis. Par conséquent, en vertu de ce constat, et invoquant le principe de l’auto-détermination des peuples, nous considérons que le décret récemment pris contre le Venezuela devrait être annulé ». Le président a par ailleurs fait ressortir la participation de Cuba à ce Sommet, pour la première fois depuis son exclusion de l’OEA en 1962.

« Pour la première fois, tous les pays de l’Hémisphère sont réunis, pour atteindre un objectif commun, et travailler conjointement pour le bien-être de nos peuples ». Le président a également salué les progrès accomplis par l’île et le Gouvernement des États-Unis, en vue du rétablissement des relations diplomatiques entre les 2 pays. Et ce, après 50 années d’hostilités entretenues par les USA contre Cuba.

Antigua y Barbuda.

Le premier ministre d’Antigua y Barbudo, Gaston Browne, a condamné samedi le décret pris par le président des États-Unis Barack Obama, par lequel il déclare que le Venezuela représente « une menace » pour la sécurité nationale, et la politique étrangère de son pays. Une action qui a été condamnée par nombre de gouvernements et d’organisations d’intégration dans le monde. Il s’est également félicité du rétablissement des relations entre les USA et Cuba, et de la participation à ce Sommet, de cette île des Caraïbes. G Browne a appelé les pays de l’hémisphère à travailler de manière conjointe, pour lutter contre la pauvreté et offrir des emplois décents à tous ceux qui font partie de ce continent. « Continuons à travailler ensemble, solidairement, pour le progrès des peuples de cet hémisphère » a-t-il conclu.

Le Nicaragua.

Le président du Nicaragua, Daniel Ortega a observé que le décret pris par le président des États-Unis, Barack Obama contre le Venezuela, a mis à mal le consensus qui aurait pu conduire à la déclaration finale de ce VIIème Sommet des Amériques (Panama), rassemblant 35 nations du continent.

« Qui est le provocateur ? Les USA. Qui a fait du mal à ce Sommet ? Les USA. Pourquoi ce Sommet ne se termine-t-il pas, par une déclaration finale ? A cause des USA. Qui a fait du mal à ce Sommet en focalisant sur lui, les préoccupations politiques de ce Sommet ? C’est le décret. Par conséquent, ce dernier a empêché d’aboutir à tout accord sur une résolution commune. »

Le président a dédié une grande partie de son discours à l’énumération des nombreuses interventions et invasions visant les pays de l’Amérique centrale, dont les USA ont été les auteurs. Il a par ailleurs écarté l’hypothèse selon laquelle ces dernières se justifiaient du fait de la Guerre Froide, parce que la plupart ont été perpétrées, bien avant la création de l’Union soviétique. Il a précisé que le décret d’Obama est alarmant parce qu’il se situe dans le droit fil de ces ingérences et interventions.

Daniel Ortega a aussi rappelé les propos du président du Panama, Juan Carlos Valera : 97% du document final résultent d’un consensus sur les aspects économiques, sociaux et autres thèmes abordés. Toutefois, les 3% restant, relatif au volet politique ont été rejetés par les USA. Le président du Nicaragua a également insisté sur le fait que le décret Obama remettant en cause la souveraineté du Venezuela, est un coup porté à l’Amérique tout entière.

Il a en outre observé que le rétablissement des relations entre Cuba et les USA, peut être interprété comme un geste d’Obama. « Indubitablement, toute l’Amérique latine se sent concernée par ce geste. (…) Cependant, les USA se retournent maintenant contre le Venezuela, au prétexte que ce ne serait pas un pays  »démocratique ». Un pays dans lequel se sont déroulées 20 consultations électorales, ne serait pas une démocratie ? Le Venezuela incarne désormais le mal. On tend la main à droite, et l’on porte un coup à gauche ».

 

San Vicente et las Granadinas

Ralph Gonsalves, premier ministre, a exprimé sa préoccupation “face aux actions exécutives qui traitent la République du Venezuela comme une menace, et face aux sanctions, qui marquent un continuel manque de respect pour l’autonomie de ce pays. La situation qui menace le Venezuela nous menace tous. Le Venezuela a été et reste un partenaire, un ami, un pays qui a travaillé pour la paix et l’intégration entre toutes les nations d’Amérique. Caractériser le Venezuela comme une menace ou Cuba comme pays pro-terrroriste, sont des mensonges”.

Les blocus et les décrets sur des menaces attentent contre notre idéal de prospérité, de développement conjoint et de collaboration que nous appuyions ici , où nous avons besoin de respect et de dialogue”.

Jamaïque

Portia Simpson-Miller, premier ministre : “Les accords offerts par le gouvernement du Venezuela à travers Petrocaribe sont un des meilleurs exemples de coopération nord-sud et résument bien l’esprit de ce sommet : prospérité avec équité. Nous voudrions profiter de cette occasion pour remercier une fois de plus le président Maduro pour cet appui continuel apporté par le Venezuela à notre pays”.

Haïti

Michel Martelly, président : “Je voudrais profiter de cette tribune pour rendre un grand hommage au peuple et au gouvernement du Venezuela, en particulier au président Maduro, et lui donner nos remerciements pour l’alliance et la solidarité exprimées concrètement travers des programmes comme PetroCaribe initié par feu le Président Hugo Chávez Frías. Ce programme dont bénéficient une grande majorité de peuples des Caraïbes et de l’Amérique centrale, constitue une aide inestimable pour le peuple d’Haïti, sans lui nous n’aurions pas été en mesure de faire face à des besoins fondamentaux”.

Thierry Deronne, Caracas, 15 avril 2015

Traduction des interventions des chefs d’État : Jean-Marc del Percio

Notes :

(1) « Courrier International », le produit offshore du « Monde », 18 février 2015, https://venezuelainfos.wordpress.com/2015/02/18/courrier-international-le-produit-offshore-du-monde/

(2) Thomas Cluzel ou l’interdiction d’informer sur France Culture, 12 mars 2015, https://venezuelainfos.wordpress.com/2015/03/12/thomas-cluzel-ou-linterdiction-dinformer-sur-france-culture/

(3) C’est selon la loi ce que devrait faire le CSA en France. Il est vrai que malgré quarante ans de théorie critique des médias, la gauche occidentale n’a pas eu le courage de passer à la pratique et de démocratiser la propriété des médias.. hâtant ainsi sa propre disparition.

(4) Voir à ce sujet l’étude du conseiller parlementaire espagnol José Manuel Fernández (Izquierda Unida) : “Prisa por el Golpe”, http://www.ehu.eus/mediaberri/00tik10arte/08%20Astea/Investigaci%F3n%20realizada%20IU%20venezuela.htm

(5) “Diplomatie : une poignée de main historique entre Obama et Castro”, http://www.courrierinternational.com/article/diplomatie-une-poignee-de-main-historique-entre-obama-et-castro

(6) Sur ce coup d’État, lire le récit d’Ignacio Ramonet, La tentative de coup d’Etat contre le Venezuela, 7 mars 2015, https://venezuelainfos.wordpress.com/2015/03/07/la-tentative-de-coup-detat-contre-le-venezuela-par-ignacio-ramonet/

(7)  “EE.UU ya no marca la agenda”, http://www.pagina12.com.ar/diario/elpais/1-270363-2015-04-12.htmlTelma Luzzani

(8) L’UNASUR exige des États-Unis qu’ils retirent leurs bases militaires d’Amérique Latine 5 avril 2015, https://venezuelainfos.wordpress.com/2015/04/05/lunasur-exige-des-etats-unis-quils-retirent-leurs-bases-militaires-damerique-latine/

(9) Les États-Unis ont motivé leur refus par leur désaccord avec six points : le transfert de technologies sans conditions, le combat contre le changement climatique, la reconnaissance de la santé comme droit humain, l’accès sûr et fiable aux technologies de l’information et le respect de la privacité, et l’annulation du décret Obama contre le Vénézuela. Lire aussi de Juan Manuel Karg, América Latina después de Panamá, http://alainet.org/es/articulo/168918

(10) Lire « L’Amérique Latine et les Caraïbes saluent le principal artisan de l’unité continentale », par Maurice Lemoine, https://venezuelainfos.wordpress.com/2013/03/12/lamerique-latine-et-les-caraibes-saluent-le-principal-acteur-de-lunite-continentale-par-maurice-lemoine/

Interventions des chefs d’État collectées par Luigino Bracci :  http://albaciudad.org/wp/index.php/2015/04/cumbre-americas-rafael-correa-dilma-rousseff-evo-morales-cristina-fernandez-rechazan-orden-ejecutiva-obama/

 

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