Au Venezuela les communard(e)s continuent à créer l’État nouveau.

Lorenzo Santiago, Brasil de Fato | Caracas (Venezuela)

Petit à petit, les Vénézuéliens ont remonté les rues étroites du quartier de Catia pour aller voter dans les bureaux de la commune d’Altos de Lídice, à Caracas (1). L’élection de ce dimanche 21 avril au Venezuela n’a pas pour but de choisir un député, un maire ou un gouverneur. L’objectif de la consultation populaire est de définir les projets prioritaires pour chacun des 4500 auto-gouvernements communards du pays. Dans la rue, on note la forte participation des femmes. Carmen Forjado, coordinatrice de l’équipe électorale de la commune « Golpe de Timón » : « Nous sommes les 70% des électeurs, nous avons laissé le foyer, notre confort, nous nous sommes donné les moyens d’agir sur le plan politique. Nous avons le sentiment d’incarner tout ce processus ».

15.617 bureaux de vote répartis dans 49.000 conseils communaux du Venezuela ont ouvert leurs portes tôt le matin à ces électrices et aux électeurs qui ont pu choisir les priorités de chaque commune parmi sept options. Le projet retenu est transmis au ministère des communes et des mouvements sociaux, pour être financé. Il sera mis en œuvre avec le concours des habitant(e)s eux-mêmes, avec l’aide matérielle du gouvernement révolutionnaire. Les projets sur lesquels les Vénézuéliens votent sont l’eau potable, les services électriques, l’amélioration des services publics, du système de santé, de l’éducation, du sport, des transports publics, la gestion des déchets, l’entretien des rues ou des routes, la protection de l’environnement, des projets productifs, des processus industriels, le système de production agricole, etc… Qu’il s’agisse d’acheter des ambulances, d’améliorer l’approvisionnement en eau potable ou de construire un réseau Wi-Fi public, les Vénézuéliens revendiquent ce vote comme une étape avancée de la démocratie participative.

Le caractère politique de ces élections va au-delà de la politique des partis. Les communes sont un concept de l’État nouveau, proposé par le président Hugo Chávez. Son objectif reste clair : que l’État soit géré de la base au sommet et que les décisions des conseils communaux prennent toute leur place dans la prise de décision commune peuple/gouvernement. Il ne s’agit pas d’une simple consultation citoyenne, comme dans d’autres pays. Ici le résultat du vote oblige l’État à financer le projet retenu par la population.
Les projets élus ce dimanche ont été choisis après un débat approfondi au sein des conseils communaux. Par le biais d’assemblées, les habitants ont été écoutés et ont fait valoir ce qu’ils considéraient comme les principales demandes. A partir de là, ont été choisi les sept projets les plus urgents, et nécessaires.

Pour Dahis Escobar, éducatrice à l’université plurinationale Patria Grande, la participation populaire est fondamentale pour mettre en œuvre des projets qui répondent étroitement à la réalité des communes. « Ce n’est pas une simple démocratie représentative. Je ne choisis pas quelqu’un qui promet de réaliser quelque chose sans que je sache s’il va le faire ou pas, ou parce qu’il nous a dit que selon lui, tel ou tel projet est le meilleur pour la communauté. Non. Ici, la démocratie est participative et directe. Nous participons nous-mêmes au choix des projets que nous allons réaliser. Le débat sert à écouter les demandes réelles de la population ».

« Vaincre le capitalisme »

Pour José Ibarra, porte-parole des infrastructures de la commune socialiste d’Altos de Lídice, « C’est très important pour vaincre l’État capitaliste. Avant, nous étions habitués à une mairie. Mais aujourd’hui, le pouvoir populaire participe à partir de son territoire, des projets à court, moyen et long terme sont élaborés. Les gens eux-mêmes, les porte-parole des conseils communaux et le Comité Local d’Approvisionnement, participent ensemble à ce projet au bénéfice des communes »

Mères, pères, grands-pères et grands-mères accompagnés de leurs enfants, petits-enfants et neveux. Des familles entières se sont rendues aux urnes en ce dimanche qui s’annonçait nuageux à Caracas. Le ministère des communes s’attendait à ce qu’au moins 1,3 million de communard(e)s participent à la consultation. Parce qu’ils sont simples et rapides à mettre en œuvre, le gouvernement calcule que les projets retenus seront finalisés dans un délai maximum de deux mois. Les travaux seront gérés par les communes elles-mêmes par l’intermédiaire de la Banque Communale, une figure créée par l’assemblée nationale au sein du vaste éventail des lois du pouvoir populaire. Chaque commune dispose de sa propre banque, et d’une unité qui concentre l’administration des fonds. La banque recevra l’argent du ministère et l’investira conformément à ce qui a été approuvé dans les assemblées.

Contrairement aux élections traditionnelles (35 en 24 ans de révolution), les personnes âgées de plus de 15 ans peuvent participer à la consultation populaire. Pour Dahis Escobar, la présence des jeunes est un gage de plus grande représentativité dans le choix des projets. « Les plus de 15 ans peuvent choisir les projets qu’ils préfèrent, l’important est que ces projets soient réalisés par les habitants de ces communautés eux-mêmes. C’est un projet pour toute la commune, qui profite à toute la commune, pas à un secteur, pas à un individu, mais à toute la commune ».

Photo : Sur la base du vote, chaque commune dresse la liste des projets qui seront mis en œuvre en priorité par le gouvernement / Monyse Ravena

« Grand jour ! Le pouvoir dans notre pays est enfin dans les mains du peuple », a déclaré le président Maduro, pour qui « la droite déteste le pouvoir populaire, rien que ces mots – pouvoir populaire – génèrent son mépris, sa haine, à l’assemblée elle a toujours voté contre les lois qui le garantissent. » L’idée du gouvernement bolivarien est que le processus de consultation et de choix des projets soit mené plus souvent. Le vote a été suivi par des observateurs du monde entier dans tout le pays, dans les différents points de vote. Le sociologue portoricain Ramón Grosfoguel, célèbre penseur de la décolonialité, en était : « le processus électoral de la consultation populaire devrait être analysé par d’autres gouvernements comme un exemple de réussite. C’est un exemple de démocratie participative qui n’a pas de précédent dans le monde. On ne voit cela nulle part dans le monde, ici on en a déjà fait l’expérience et cela semble normal, mais pour nous qui venons de l’extérieur, c’est tout sauf normal, c’est un exemple ».

Lorenzo Santiago

Source : https://www.brasildefato.com.br/2024/04/22/consulta-popular-envolve-49-mil-comunas-na-venezuela-e-escolhe-projetos-prioritarios-para-territorios

Traduction du portugais : Thierry Deronne

Note :
(1) Les communes sont un type d’organisation sociale et politique basé sur les quartiers urbains et les communautés rurales. Créées dans le cadre de la loi organique des communes, promulguée en 2010 par le président de l’époque, Hugo Chávez, elles expérimentent une nouvelle forme d’autogouvernement populaire basée sur l’autogestion et le dialogue permanent avec l’État. Elles ont la priorité dans le transfert des ressources de l’État et ne doivent pas nécessairement se limiter à un état ou à une municipalité, c’est-à-dire qu’une même commune peut couvrir plus d’une ville. Le rôle de la commune implique également la gestion économique des ressources. Ces organisations s’appuient sur la loi de l’économie communale, qui reconnaît plusieurs types d’organisation au niveau économique : les entreprises communales de propriété sociale directe, les unités familiales de production ou les sociétés communales de propriété sociale indirecte, qui sont des sociétés mixtes, gérées pour moitié par l’État et pour moitié par la commune.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/23/au-venezuela-les-communardes-continuent-a-creer-letat-nouveau/

Le Venezuela donne un coup d’accélérateur aux autogouvernements populaires.

La révolution bolivarienne est une machine à démocratiser en profondeur le champ politique, notamment par la mise en place de différents types d’autogouvernements populaires, la plupart du temps sous la forme de communes mais aussi sous d’autres formes d’organisation. Ce mouvement puise ses racines dans l’histoire populaire de résistance au colonialisme et notamment dans la création de cumbes afro-descendants par des ex-esclavisé(e)s fugitif(ve)s, ancêtres d’une grande partie des communes actuelles. Il faut y ajouter les racines du « bien commun » indigène et, bien sûr, la révolution bolivarienne initiée par Hugo Chávez qui a synthétisé ces racines avec le marxisme et la pensée du « gouvernement territorial » (« toparquia« ) de Simon Rodríguez, le tuteur de Simón Bolívar.

Il y a dans ce mouvement une forte vitalité. Cependant ce n’est encore qu’une minorité de la population qui vit dans ces territoires organisés. Il faut beaucoup travailler pour transformer « l’esprit de la commune » (Hugo Chávez) en « sens commun » dans un pays où l’économie privée et les médias commerciaux occupent encore une place dominante : « Il ne faut pas continuer à ouvrir des usines qui sont comme une île entourée par la mer du capitalisme, car la mer les engloutit. Il faut  » implanter l’esprit socialiste tout au long de la chaîne, depuis le travail de la terre jusqu’au système de distribution et de consommation. » (Hugo Chavez, 2012). C’est pourquoi, ces dernières années, les communes les plus avancées ont envoyé des brigades de l’Union Communarde (« Union Comunera« ) dans tout le pays pour rencontrer d’autres groupes en train de s’organiser, encourager les initiatives naissantes et les sortir de leur isolement. Cette aventure démocratique est racontée dans notre documentaire « Nostalgiques du futur » (1). Un des objectifs est de dépasser le capitalisme en créant des circuits économiques intégraux, du producteur au consommateur, autour de produits tels que le café, le cacao, le poisson, etc… Des « routes communales » pour garantir un commerce équitable et direct, sans intermédiaires.

Photo : réunion de travail dans la commune populaire « Cinco Fortalezas » (Cumanacoa, état de Sucre). « Dans le temps et l’espace communal, la part la plus atomisée de l’être humain se brise et commence le moment de l’unité. Ce passage du moi individuel au moi collectif est atteint à partir de toutes les luttes quotidiennes que nous, communardes et communards, vivons au jour le jour pour satisfaire nos besoins. » dit Nacho, membre de la Commune Che Guevara.

Ce 20 octobre 2023 on commémorait au Venezuela les onze ans du « changement de cap », une réunion télévisée de 2012, passée à la postérité, où le président Hugo Chávez avait sévèrement critiqué ses ministres pour leur mollesse dans l’appui à la construction de cette démocratie directe parallèle à la démocratie représentative, et lancé son célèbre « la commune ou rien !« 

Onze ans plus tard donc, Nicolas Maduro et ses ministres ont rencontré les communes – autogouvernements populaires -, lors d’un vaste meeting à Caracas pour dresser la liste des avancées, des problèmes et des propositions des milliers de communard(e)s venu(e)s de tout le Venezuela.

Le président a d’abord demandé au gouvernement d’acheter la production communarde en priorité : « le Conseil des vice-présidents disposera de 72 heures pour établir un mécanisme efficace permettant d’intégrer la production des communes dans le programme national de marchés publics. Il y a des problèmes à résoudre et nous devons les résoudre sur la base des propositions qui viennent de la base, du peuple organisé » a souligné le chef de l’État, qui a par ailleurs ordonné de reprendre l’autoconstruction comme méthode pour faire avancer la Grande Mission Sociale « Logement Venezuela » (2) : « Cette mission doit être planifiée non pas depuis le ministère, mais depuis le territoire avec le peuple organisé. Le projet du pouvoir populaire est vital si nous voulons avancer dans la construction d’une nouvelle société« .

Autres mesures annoncées par le président bolivarien pour soutenir les autogouvernements populaires :

– Transfert de 15 entreprises industrielles au pouvoir populaire.

– Transfert immédiat de 48 locaux de Mercal et PDVAL (magasins d’aliments subventionnés par l’État), qui seront réactivés dans le cadre de la création de la Corporation nationale labellisée « Produit par les Communes ».

– Approbation de 348 millions 665.020 bolivars pour la promotion de 43 circuits économiques communaux (circuits économiques intégraux, du producteur au consommateur, autour de produits tels que le café, le cacao, le poisson, etc… pour garantir un commerce équitable et direct, sans intermédiaires.).

– 130 projets présentés par les communard(e)s liés à l’électricité, l’eau, la santé, l’environnement, le gaz et le logement seront financés.

« A mesure que nous récupérerons le revenu national avec la levée partielle des sanctions par les États-Unis, toute rentrée d’argent dans les caisses de l’État ira directement aux circuits économiques communaux, à ceux qui existent et à ceux que nous allons créer » a expliqué Maduro, qui a enfin demandé aux ministres qu’ils lient directement leurs agendas de travail aux besoins du pouvoir populaire : « Vos agendas de travail doivent prendre en compte prioritairement les plans des communes« . Et de conclure : « La grande contribution du président Chávez à la théorie mondiale du socialisme en tant que courant de changement pour la justice et l’égalité est le socialisme construit au plan territorial, communal, dans les quartiers populaires, dans les communautés populaires. Difficile à construire ? Oui, mais essentiel et nécessaire. Il faut un maximum de pouvoir au peuple !« 

Thierry Deronne, Caracas, le 20 octobre 2023.

Notes :

(1) on peut voir ce documentaire en ligne : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/06/08/nostalgiques-du-futur-en-ligne-les-mutins-de-pangee/

(2) Ce vaste programme gouvernemental créé par Hugo Chávez en 2012 vise pour 2025 l’objectif de 5 millions de logements bon marché remis au familles populaires.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/10/21/le-venezuela-donne-un-coup-daccelerateur-aux-autogouvernements-populaires/

« Ici, il n’y a pas de patron » : la commune populaire El Panal au Venezuela

Modeste initiative face à l’homogénéité médiatique sur le Venezuela, le blog Venezuelainfos fête dix ans de travail volontaire. 1051 articles ont été mis en ligne depuis 2012, grâce à l’aide de nombreux traducteurs et traductrices bénévoles, pour vous réinformer gratuitement sur la révolution bolivarienne et sur son ressort profond, ignoré par la gauche occidentale : une démocratie participative, multiforme, autonome et critique, en majorité féminine.

En ce mois de mars, le nouveau ministre des communes et des mouvements sociaux Jorge Arreaza parcourt le pays à la demande du président Maduro, pour écouter les propositions, critiques et besoins des communard(e)s (photos). « L’organisation du pouvoir populaire au Venezuela est unique au monde. Le peuple dispose de véritables canaux pour parvenir à l’autonomie communale avec l’accompagnement d’un gouvernement révolutionnaire. Dans cette nouvelle étape de la transition vers le socialisme, nous allons avancer à toute vapeur ». Arreaza rappelle la définition de l’État communal qui doit à terme substituer le vieil État, tel que le définissait Hugo Chávez : « La commune est comme la cellule et les cellules doivent se ramifier, se relier, elles doivent former un système, s’articuler, pour donner forme à un corps ».

Ces dernières années, les grands médias ont relooké les insurrections d’une extrême droite raciste – nostalgique de l’apartheid d’avant Chávez – en « révoltes populaires », tout en occultant la majorité du peuple, pacifique, qui n’a jamais voulu participer à ces violences. L’objectif était de sédimenter l’image d’une « dictature ». Mais la révolution bolivarienne, qui a fait entrer dans le champ politique une majorité sociale jusque-là exclue, ne cesse de renforcer sa démocratie directe. Elle a aussi construit la démocratie représentative la plus dynamique du continent, avec 29 scrutins en 22 ans, reconnus par la grande majorité des observateurs internationaux et qualifiés par Lula d’« excès de liberté ».

Par ailleurs, les médias ont caché huit ans de sanctions occidentales et la perte consécutive de 99% des revenus pétroliers. Que n’a-t-on ri des files à Caracas : « l’échec-du-socialisme-fait-fuir-la-population ! ». Aujourd’hui, les mêmes médias admettent la réussite économique du président Maduro et le retour des migrant(e)s chez eux au Venezuela mais… c’est parce que « Maduro-est-devenu-capitaliste » ! A titre d’exemples, le budget de l’État en 2022, approuvé par les député(e)s, comporte 76% d’investissements sociaux; Nicolas Maduro accélère la Mission du Logement Public destinée aux familles populaires, pour atteindre un total de 5 millions de logements d’ici 2025. La politique publique de santé contre le Covid, qui a permis d’éviter les hécatombes des régimes néo-libéraux voisins, est étudiée comme exemplaire par l’OMS et saluée par l’ONU. Les revenus en hausse du pétrole – que le gouvernement bolivarien a sauvé de la privatisation – vont en priorité à la reconstruction des services publics.

Revenons à la participation citoyenne qui est une des clefs de la résistance au blocus occidental. La vitalité de la révolution bolivarienne, qui étonne souvent ceux qui décident de voyager au Venezuela, est le fruit d’une tension permanente, créatrice entre les organisations populaires et un « État ancien » (qui n’en finit pas de mourir, comme disait Chávez). Après les reportages de Venezuelainfos sur la commune paysanne d’El Maizal, la commune « Che Guevara », la commune socialiste de Altos del Lidice, ainsi qu’une soixantaine d’autres, nous nous attardons aujourd’hui sur une commune située à Caracas : El Panal 2021 qui incarne bien cette volonté d’autonomie dans sa relation avec l’État. Quelques photos de ce reportage proviennent d’une formation audio-visuelle que notre école populaire (EPLACITE/TERRA TV) a offerte aux mouvement sociaux du Venezuela, et au cours de laquelle nous avons réalisé un tournage dans l’entreprise textile autogérée d’El Panal.

Vies et voix de la commune « El Panal 2021 »

Située dans le secteur «  23 de Enero », dans l’ouest populaire où vit 80% de la population de la capitale (et où ne vont jamais les journalistes étrangers), cette commune est née en 2008. Elle regroupe 3.600 familles, environ 13.000 personnes. Sept conseils communaux la composent formellement. « Lorsque Chávez a lancé l’idée des conseils communaux et, plus tard, de la commune, nous avons aussitôt adhéré » se souvient Robert Longa. Ana Caona responsable de planification, rappelle que « la commune est la somme des conseils communaux, et que nous étions une commune dès cette époque ».

Au sein de la commune cohabitent diverses entreprises communales. Salvador Salas : « D’abord, la boulangerie, puis l’usine d’emballage du sucre, puis la briqueterie, la fabrique de pneus, le restaurant et l’entreprise textile. Par la suite, à cause de la guerre économique et du blocus imposé par les États-Unis, l’accès aux denrées alimentaires de base s’est vu gravement affecté. On a misé sur le secteur primaire et noué une alliance avec des groupes de paysans afin d’acheter leur production et de la vendre le week-end sur un marché aux voisins de la commune

Une centaine de personnes travaillent actuellement dans les entreprises communales d’El Panal. La commune dispose également de sa propre station de radio communautaire : « Radio Arsenal ». Parmi toutes les entreprises mentionnées, Robert Longa met en avant l’entreprise textile, « Las Abejitas del Panal », fondée en 2012 dans le quartier de Santa Rosa, dans des locaux abandonnés que la communauté a récupérés, et devenue une référence non seulement au sein de la commune mais aussi dans tout Caracas et même à l’échelle nationale. Actuellement, 12 personnes travaillent dans cette entreprise autogérée, produisant toutes sortes de vêtements et autres articles textiles.

Pour décrire leur vision, les communard(e)s d’El Panal parlent d’un socialisme différent de celui pratiqué au 20ème siècle. Un socialisme qui s’engage dans l’autogestion et la décentralisation, et qui se matérialise par le pouvoir communal. Un socialisme qui implique nécessairement le dépassement du capitalisme : « nous voulons construire un monde différent de la voracité du capitalisme et c’est là que nous défendons le socialisme du XXIe siècle ».

Principaux organes de la commune

La structure créée à El Panal n’est pas une copie exacte de celle proposée dans la loi sur les communes. La loi des communes stipule en effet que « le Parlement communal est la plus haute instance d’autogestion de la commune » (article 21) et se compose de représentants des conseils communaux, des organisations socio-productives et de la Banque Communale » (Assemblée nationale, 2010b : 23-26).

En revanche, El Panal 2021 ne dispose pas d’un parlement, mais d’une « Assemblée Patriotique », à laquelle tou(te)s les résident(e)s de la commune peuvent participer. D’autre part, la loi sur les communes désigne une série de conseils qui effectuent des tâches de gestion et de planification, tels que :

  1. Le Conseil exécutif, qui « exerce la représentation légale de la commune », exécute le plan de développement, convoque le parlement et est composé d’un groupe restreint (deux membres du Parlement communal et un membre des organisations socio-productives).
  2. Le Conseil communal de planification, qui conçoit le plan de développement et est composé de six personnes (trois porte-parole des conseils communaux, deux du parlement et un des organisations socio-productives).
  3. Le Conseil de l’économie communale, qui promeut et accompagne les entreprises communales (Assemblée nationale, 2010b:28-41).

A El Panal 2021, il existe une structure de coordination générale appelée « Instance de Communardes et Communards », qui exerce des tâches de direction et de planification, composée d’un groupe d’environ 60 personnes (porte-parole des conseils communautaires, des organisations sociales, des entreprises communautaires et du collectif Alexis Vive). Une autre différence en termes de structure organisationnelle par rapport à la loi est qu’à El Panal, il existe un organe parallèle aux conseils communaux, appelé « Panalitos por la Patria ». Cet espace de coordination est ouvert à tous ceux qui veulent y participer. La philosophie des « panalitos » est que toutes celles et ceux qui sont prêts à travailler entrent dans la coordination : « Au conseil communal, les élections ont lieu tous les deux ans. Au Panalito il n’y a pas d’élection, celui qui veut travailler y entre ».

Il existe un autre corps très important dans la commune appelé « Brigadistas ». C’est une instance de participation directe, pour ces « personnes qui veulent participer, mais qui ne veulent pas s’impliquer dans le travail de coordination » ; « les personnes qui veulent soutenir la radio, le sport, la culture, l’éducation, entre autres », mais sans prendre de responsabilités de gestion.

Caona signale également deux autres instances de grande importance dans la structure de la commune : la défense et la politique. Dans un contexte où l’agression contre le processus de changement au Venezuela a été constante et extrêmement violente (coups d’État, incursions militaires depuis la Colombie ou les États-Unis, sabotages, attentats d’extrême droite, etc..) , il est essentiel de disposer d’une structure de défense qui garantisse la sécurité, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur afin que la commune puisse être protégée et se développer en toute sérénité.

L’organe principal de la démocratie directe dans la commune El Panal 2021 est donc l’Assemblée patriotique permanente. Elle est ouverte aux 13 000 habitants de la commune, et le niveau de participation est remarquablement élevé, atteignant dans certains cas jusqu’à 1 000 personnes. La fréquence des réunions varie en fonction de la saison, mais l’objectif est de tenir une assemblée mensuelle, qui se déroule toujours sur le terrain de sport, un soir de semaine, afin que chacun puisse venir après le travail. Plusieurs personnes interrogées s’accordent à dire que l’Assemblée décide de tout ce qui est important pour la commune:

« L’assemblée des citoyens décide de tout » (Guerra).

« C’est l’espace où les décisions stratégiques sont prises » (Lugo) ;

« Dans notre commune, tout est décidé en assemblée » (Caona).

« Les gens se sentent à l’aise et parlent sans problème, il y a un échange d’idées ». (Reinosa)

Un autre exemple de démocratie directe est l’assemblée de chaque conseil communautaire. Judith Guerra souligne que dans son quartier, Santa Rosa, l’assemblée rassemble environ 150 personnes et a lieu tous les mois. Elle assure que « personne ne gouverne ici en solitaire, nous faisons tout à travers les assemblées de citoyens […] la décision est toujours collective ; ce que la communauté dicte est la loi ».

Dans le cadre des entreprises communales, l’assemblée des producteurs fonctionne également comme le plus haut organe de décision. L’entreprise textile « Las abejitas del Panal », tient son assemblée tous les mois, à laquelle participent tous les producteurs. « L’important est que les travailleurs eux-mêmes disent se sentir libres de décider de tout ce qui les concerne » explique María Plaza, une jeune femme du quartier qui travaille depuis sept ans à l’entreprise textile. « Oui, nous décidons de tout dans l’assemblage ». Pour sa part, Maribia Jayaro, productrice intégrée dès 2013, explique :  « Il n’y a pas de patron ici. Nous prenons les décisions ensemble. Quand quelqu’un de l’extérieur passe une commande, nous nous asseyons et décidons ensemble si nous la faisons ou pas ». Margarita Márquez, la plus ancienne et qui, comme Maribia, fait partie de la première équipe, assure qu’ « il n’y a personne pour te donner des ordres, car nous n’avons pas de  patron qui donne des ordres, qui met un prix sur le travail [..] ici nous avons le droit de décider de la valeur d’une chemise ..] c’est nous qui décidons ». Grecia Pacheco, une jeune femme ayant cinq ans d’ancienneté dans l’entreprise, indique : « pour décider de faire un produit, nous avons une assemblée et nous décidons du prix entre nous tous [..] Nous ne faisons rien sans écouter l’assemblée ». Maribia Jayaro : « Avant, je travaillais dans le secteur privé. J’avais l’habitude de travailler avec un avocat ; nous faisions ce que le patron disait, il imposait le calendrier, et le salaire… ..] toutes les décisions ont été prises par lui. Ici, c’est différent, ici on nous écoute, mon opinion compte, et la tienne aussi ».

Toute activité de production dans « El Panal 2021 » doit répondre à une priorité : les besoins de la communauté. Pour Ana Caona, actuellement responsable du Centre de Planification et production politique et économique : « Le Che avait l’habitude de dire que « l’économie doit être évaluée en termes de vie, et non de marché ». Nous devons mettre la politique au premier plan, et nous le faisons de manière participative avec les gens, avec le peuple. »

Caona explique qu’il existe deux types d’économie dans la commune : un volet dit socio-politique, pour garantir l’alimentation de la population ; et une autre, dit mixte, pour dégager des excédents qui permettent d’investir dans de nouveaux projets. Exemple du premier type d’économie, la boulangerie, qui vend à des prix populaires afin qu’aucun voisin ne soit privé de pain. Pour Joel, un jeune homme originaire de la communauté qui est actuellement en charge de la boulangerie : « C’est beau de voir les personnes âgées nous remercier chaque matin de leur avoir vendu du pain à un prix… en leur vendant du pain à un prix non spéculatif […] on se sent très fier ».

Caona souligne que « la politique l’emporte toujours sur la question du marché, en garantissant les besoins de la population, même s’il n’y a pas de profit ». Robert Longa confirme que « la commune n’est pas faite pour le business, pour faire des affaires, pour mercantiliser […] ici, les entreprises ont un rôle politique. »

Et puisque la guerre économique des États-Unis a un impact direct sur la capacité d’accès aux aliments de toutes sortes, « nous avons décidé d’aller à la campagne pour planter […] la commune a acheté 11 hectares dans l’état de Cojedes et nous y sommes allés pour semer […] plus tard nous avons acheté 37 hectares de plus près de Caracas, à Caracas, dans l’état de Miranda […] En même temps, nous avons créé le projet « Pueblo a Pueblo », en établissant des liens avec des agriculteurs de l’intérieur du pays, auxquels nous achetions directement leur production. » Tant notre propre production que les produits achetés sont vendus à des prix populaires tous les samedis matin à une foire de la commune. Ainsi, l’accès aux denrées alimentaires de base est garanti pour l’ensemble de la communauté. Salas ajoute qu’ils ont établi un recensement de la demande dans la commune, autour des produits de première nécessité, afin d’essayer de garantir leur approvisionnement tout au long de l’année.

Conditions de travail

La stabilité de l’emploi au sein de l’entreprise textile « Abejitas del panal » est un élément mis en avant par plusieurs des travailleurs, tant par les travailleurs les plus anciens que les plus jeunes. José Lugo affirme que « presque personne n’est parti […] la plupart d’entre eux travaillent depuis des années ». Celle qui est là depuis le plus longtemps, Elisabeth Torrelles, est arrivée il y a plus de trois ans. Le témoignage de Grecia Pacheco est très significatif pour comprendre comment la stabilité est liée à la satisfaction personnelle, contrairement à ses expériences dans le secteur privé : « Ici, je me sens valorisée, dans les entreprises privées, je changeais beaucoup, j’étais dans les entreprises privées, j’ai beaucoup changé, je n’ai été dans chacune d’elles que quelques mois […] ici, je suis là depuis des années, je ne suis pas partie ». Maribia Jayaro souligne que « l’emploi du temps est le meilleur pour moi, nous décidons nous-mêmes […] il est confortable, adapté aux besoins de notre famille […] nous essayons d’éviter le calendrier strict de l’entreprise privée ». En fait, le calendrier est décidé annuellement en assemblée. Si les commandes le nécessitent, on prolonge parfois la journée de travail, bien que leur principe soit de ne pas s’auto-exploiter. « Le climat de travail lui-même est harmonieux, pas stressant […] nous ne nous permettons pas d’exploiter, nous ne nous permettons pas non plus d’être exploités. […] si quelqu’un vient commander 5 000 tee-shirts en deux jours, on ne l’accepte pas, c’est interdit ».

Le salaire est un aspect apprécié très positivement par l’ensemble du personnel. Au cours de ces sept années, ils ont toujours réussi à doubler le salaire minimum du pays. En effet, le salaire est fixé en fonction de la productivité, ce qui est souligné par plusieurs travailleuses. Grecia Pacheco : « Ici, ce n’est pas comme dans le secteur privé, ici je travaille et je suis bien payé. Ici, si je fais cinq chemises, je suis payée pour elles ». Jorgelis Soto évoque son année précédente avec des entreprises privées, où « le salaire est moins bon […] ici, si je travaille plus, je reçois plus, je suis mieux payée ». Margarita Márquez (2019) précise que «  nous créons notre propre salaire […]. si je veux travailler, je gagne ; et si je ne travaille pas, je ne gagne pas. Nous n’avons pas de salaire fixe ».

La bonne ambiance au travail est un élément unanimement apprécié, surtout si on la compare à l’atmosphère endurée dans différentes entreprises privées: « Je me souviens que j’ai visité une entreprise textile privée : 100 machines collées les unes aux autres, avec une chaleur insupportable, un petit ventilateur, un de ces vieux ventilateurs, qui sonnait… et des panneaux interdisant de se parler, d’utiliser le téléphone, tout était interdit […] Je suis entré et une personne est sortie d’un bureau climatisé pour s’occuper de moi. Je lui ai dit que j’étais venu pour en savoir plus sur l’expérience et il m’a répondu que je ne pouvais pas leur parler, seulement avec lui. Nous avons le contraire de cela. Nous avons de l’air conditionné, les producteurs parlent, rient, écoutent de la musique […] c’est un travail digne et libérateur. »

Grecia Pacheco : « Ici, on écoute de la musique, on parle, on fait des blagues, on rit […] dans le secteur privé, cela ne se fait jamais… ici, nous partons à six heures et parfois il est sept heures et on commence à parler et nous ne voulons pas partir ».

Margarita Márquez se souvient : « Dès mon arrivée, j’ai vraiment aimé l’atmosphère. Nous n’avons pas de personne qui nous met la pression, nous pouvons parler, faire des blagues, rire, écouter de la musique, boire du café, s’arrêter un moment. […] c’est une atmosphère très harmonieuse ». Un aspect que plusieurs productrices soulignent est l’autonomie qu’elles ont acquise au sein de l’entreprise grâce au principe selon lequel tous les travailleurs doivent connaître le fonctionnement de toutes les machines : « Dans l’entreprise privée, nous avons une seule personne qui ne fait que les cols de chemise, une autre ne cout que les poches… Pas ici, ici la personne qui apprend, apprend à faire la chemise entière ; nous sommes tous capables de faire un vêtement entier et si demain vous allez ailleurs, vous emportez les connaissances avec vous, vous êtes autonome. » (Jayaro).

L’une des réalisations qu’ils mettent en avant est d’avoir réussi à instaurer un travail d’équipe, coopérer les uns avec les autres, se soutenir mutuellement, au lieu de se faire concurrence pour voir qui peut produire le plus. Margarita Márquez : « ici, il y a une harmonie entre nous tous ». « Nous partageons nos connaissances et notre travail, nous travaillons beaucoup en équipe ; quand quelqu’un ne sait pas, on lui apprend ». María Plaza : « il n’y a pas de jalousie entre collègues. Nous essayons de partager, nous nous entraidons ». « Il y a une formation socio-politique, il ne s’agit pas seulement de faire des chemises, il s’agit de comprendre que nous allons vers un nouveau modèle économique-productif. Comprendre pourquoi dans une entreprise privée, vous allez être exploité, comprendre ces concepts ».

Un autre aspect très significatif est que la grande majorité des femmes disent qu’elles se sentent épanouies et valorisées au travail, contrairement à d’autres expériences dans l’entreprise capitaliste. Maribia Jayaro est claire : «  il y a beaucoup de femmes qui sont dans le secteur privé, exploitées, sous le fouet du secteur privé ; et ici, je me sens reconnue […] quand je vois un petit sac qu’une personne porte dans la rue, je me dis : « Je l’ai fait », et je me sens fière de moi ». « De toutes les expériences, travailler ici a été la meilleure, la plus belle, travailler pour la communauté […] le meilleur, le plus beau, travailler pour la communauté […] c’est une satisfaction que votre travail soit un travail social […] » Grecia assure que « vous assumez votre responsabilité, si quelque chose a été mal fait […] et en même temps, on est fier des choses bien faites, de les avoir faites soi-même ».

Judith Guerra souligne les changements intervenus dans son quartier de Santa Rosa, puisque grâce à l’organisation populaire, de nombreuses personnes sont devenues politiquement actives. Surtout dans le cas des femmes : « Beaucoup de femmes ont cessé d’être enfermées, elles ont cessé d’être les femmes au foyer, elles sont allées faire la Révolution ». Ismael González, membre du groupe de coordination des Panalitos dans la commune, souligne le changement de mentalité suite à son engagement dans le militantisme communautaire : « Il y a trois ans, je pensais que l’État était largement responsable de la situation du pays; la commune m’a montré que nous devons assumer notre part de responsabilité. […] si nous ne le faisons pas, personne ne le fera pour vous ».

Jefferson González souligne l’importance d’empêcher les adolescents et les jeunes d’entrer dans les circuits de la drogue et du crime organisé, en créant un large éventail d’activités sportives et culturelles.

Les entreprises communales répartissent leurs excédents de la manière suivante : 40% restent dans l’entreprise et 60% vont au Fonds de réinvestissement social. C’est l’Assemblée de la commune qui décide comment investir l’argent qui est déposé dans ce Fonds. Si nous revenons à l’exemple concret de l’entreprise communale « Las Abejitas del Panal », c’est l’assemblée communale qui décide comment investir l’argent. D’un côté, une partie de la production est directement destinée à la communauté et est vendue à des prix populaires, faisant ainsi face à la spéculation des entreprises privées. D’autre part, il arrive que des vêtements soient fabriqués gratuitement, pour être donnés à un groupe communautaire : « Pour le groupe de danse des enfants de la communauté, nous faisons les robes pour elles. Nous ne facturons pas pour cela […] c’est un plaisir de voir les enfants de l’école porter les costumes que nous avons confectionnés pour eux. Nous faisons des chemises pour le conseil communautaire, des sacs pour les enfants qui en ont besoin (…) Nous avons fabriqué des sacs pour des enfants à faibles revenus d’autres régions du pays. Nous pensons aux gens, pas à nous-mêmes ».

L’engagement des producteurs envers la communauté va au-delà des quatre murs de l’entreprise. Lugo souligne qu’ils participent régulièrement aux activités bénévoles de la commune : « Quand il y a des foires aux légumes, on peut nous voir. En décembre, l’Etat a apporté des jouets pour les enfants et nous avons distribué des jouets aux enfants […] On distribuait le jambon de Noël ».

Différents comités de travail ont été créés, auxquels participent les habitants du quartier afin de mener à bien des activités éducatives, sanitaires et sportives. 22 personnes, la majorité d’entre eux sont des femmes, constituent le noyau de ces comités, qui ont réussi à impliquer un bon nombre de personnes du quartier. Judith énumère un certain nombre de travaux du « Panalito » qui ont eu un grand impact sur la communauté ces dernières années. D’une part, en raison de la guerre économique, la nourriture et les médicaments pour les groupes le plus nécessiteux du quartier : « L’important est que personne ne manque de nourriture […] et pour ceux qui ne peuvent pas acheter de médicaments, nous les obtenons pour eux ».

Toutefois, le domaine dans lequel Panalito Santa Rosa a le plus investi est celui de « l’amélioration intégrale de l’environnement de travail ». Migdalia Reinosa, l’architecte qui coordonne depuis plus de dix ans les travaux d’amélioration de l’habitabilité du quartier, évoque les deux projets majeurs de ces années, pour remplacer les « ranchos » (logements précaires) par des logements décents. Le premier a été développé entre 2012 et 2016 et impliquait le « remplacement des ranchos par des logements », notamment la « construction de 42 nouveaux logements ». Le modèle était l’un des modèle d’auto-construction communautaire, puisque ce sont les « fils du quartier » qui ont construit les maisons, avec le soutien occasionnel des bénéficiaires.

Le deuxième projet vient de commencer et consiste à construire « 48 maisons supplémentaires, deux bâtiments de 24 maisons chacun ». Les bénéficiaires seront « les producteur(trice)s des entreprises communautaires, les garçons et les filles de la brigade de construction (qui ont déjà participé à la construction du premier projet de 42 maisons) et des membres de la Fondation Alexis Vive ». Ce modèle de l’autoconstruction communautaire s’appuie sur des brigades de travail de la commune elle-même, ainsi que le travail bénévole des bénéficiaires, certains week-ends.

En outre, « Panalito » a réalisé un investissement important dans les domaines suivants : changement d’une partie des canalisations d’eau dans un secteur du quartier. Judith Guerra insiste sur le fait que « Santa Rosa a beaucoup changé au cours des dix dernières années ».

Il faut souligner l’engagement social auprès de l’ensemble de la population de la commune. Dans le domaine de la sécurité alimentaire, nous avons déjà mentionné les « foires aux légumes » hebdomadaires pour garantir la sécurité alimentaire en dehors du marché spéculatif et de la guerre dont souffre le pays. Les programmes de garde d’enfants sont remarquables, principalement pour les enfants les plus vulnérables. La cantine sociale, qui fournit le dîner de plus d’une centaine d’enfants chaque soir, est un projet d’un grand impact, tout comme la livraison de fournitures scolaires, de vêtements et de médicaments.

Une autre fonction très appréciée par toutes les personnes interrogées est le haut niveau de sécurité que la commune a été en mesure de garantir à ses voisins. Elisabeth Torrelles, ouvrière du textile, assure que dans la commune elle se sent « plus en sécurité » que dans d’autres parties de la ville. Migdalia Reinosa, l’architecte, souligne également la tranquillité avec laquelle elle se déplace « librement dans la commune ». « on ne voit pas de barreaux aux fenêtres ici. Cela signifie que vous pouvez être sûr que rien ne va vous arriver ».

Ceci est extrêmement important, étant donné que les quartiers ouest de Caracas et la ville dans son ensemble sont perçus par leurs habitants comme étant très dangereuse. Ana Caona affirme que pour la Fondation Alexis Vive, garantir la sécurité de la commune est un enjeu stratégique. C’est pourquoi ils lui ont toujours accordé une grande importance.

Autre contribution à la communauté dans la sphère financière : la création de la banque de la commune, la « BanPanal ». En raison de la guerre économique, la spéculation et la dépréciation de la monnaie nationale – le bolívar – qui se sont produites jusqu’en 2021, la commune avait créé un fonds commun de placement et a créé une monnaie communale appelée « Panalito » à la fin de l’année 2017. Salvador Salas souligne que la monnaie communautaire a permis de créer un marché intérieur où les produits et les services sont accessibles en dehors des circuits spéculatifs. De cette manière, le pouvoir d’achat de la communauté a été stabilisé. En outre, la « BanPanal » accorde des crédits aux producteurs de la commune (petits magasins) et de la communauté, tant à l’intérieur de la commune (petits commerces) qu’à l’extérieur (agriculteurs de l’intérieur qui approvisionnent la commune).

Articulation avec d’autres expériences

« El Panal 2021″ a une stratégie claire pour sortir des limites de son espace territorial actuel et pour promouvoir la solidarité communautaire et des projets communaux plus vastes, dans la perspective de l' »État communal ».

Tout d’abord, l’articulation avec les paysans de l’intérieur du pays, afin de créer leurs propres circuits de production, distribution et consommation, en dehors du marché spéculatif actuel. Le projet « Pueblo a Pueblo » est une expression concrète de ce projet. Salvador Salas indique que « BanPanal » finance les paysans pour qu’ils puissent produire en fonction de la demande fixée par la commune. Ils sont ainsi assurés de la production et de son transport jusqu’à sa destination. Salas ajoute que cette production est agroécologique.

Deuxièmement, l’intention de la commune de se développer à court terme dans tout l’ouest de la ville (dans les quartiers populaires) à court terme. Pour Robert Longa, « le plan est de s’étendre à tout l’ouest de Caracas » par la création de la « Banque du Sud-Ouest de Caracas » qui pourra accorder « des microcrédits à la population pour s’émanciper, afin qu’il puisse créer des entreprises dans une logique d’autogestion.

Troisièmement, la commune a commencé à construire, dans différentes régions du pays, les « Axes Communards Nationaux », notamment avec des partenaires de Valencia, Lara, Táchira et Sucre. Ce qui a permis l’émergence d’articulations avec d’autres régions du pays et la pose des bases d’une confédération communale. Enfin, bien qu’il n’y ait pas d’articulation formelle avec d’autres communes ou d’autres collectifs, « El Panal » a une bonne relation de coopération avec d’autres communes importantes, comme, par exemple, avec l’emblématique commune « El Maizal » dans l’État de Lara.

Il existe également des liens dans la sphère productive. L’entreprise textile de « Las Abejitas del Panal » a impulsé « le Front Textile au sein de Caracas« , composé de plusieurs entreprises communales de la région qui se sont regroupées pour « réaliser de grandes productions lorsque cela est nécessaire ». Ces derniers temps, afin de faire face au blocus et aux prix spéculatifs, le Front textile a produit un grand volume de vêtements pour les vendre à des prix populaires.

La relation avec l’État

La relation d' »El Panal 2021″ avec les institutions publiques, comme c’est le cas pour le reste des communes, n’est pas idyllique. Mais elle n’est pas non plus aussi conflictuelle que certains le revendiquent. En réalité, il s’agit d’une relation dialectique, d’un « bras de fer » qui dépend pour beaucoup du moment politique et des personnes qui se trouvent derrière chaque institution avec laquelle ils entretiennent des relations. Le soutien économique est un facteur fondamental, et l’on peut affirmer que, de la part de l’État, il y a eu une nette amélioration de la situation.

Si le soutien économique est un facteur fondamental, on peut affirmer que, de la part de l’État, il y a eu un soutien clair à l’économie communale (concrètement, par les crédits accordés) et que cette coopération a repris avec force en 2022. A propos des crédits accordés à « El Panal » pour lancer différentes entreprises communales, Judith Guerra explique que « le capital d’amorçage pour lancer les entreprises communales était fourni par le gouvernement ».

Salvador Salas, un communard-clé dans le domaine économique, se souvient que la première entreprise communale créée fut la boulangerie, grâce à un crédit accordé par le bureau du maire de Caracas. Ana Caona (2019), pour sa part, évoque l’importance du soutien de Chávez dès le début, « un soutien vital. La machine à emballer le sucre a été donnée à la commune afin qu’elle puisse la gérer directement. Chávez nous l’a donnée parce qu’il y avait une volonté politique ». Une partie du soutien économique se traduit par un appui salarial pour certains des cadres travaillant dans la commune. « Il y a un groupe de camarades qui sont payés par des institutions étatiques, mais nous, nous travaillons dans la commune ».

Ainsi l’architecte Migdalia Reinosa (2019) explique qu’elle travaille formellement pour Fundacaracas, entité de la mairie de Caracas, mais qu’en pratique elle effectue son travail quotidien dans la commune, main dans la main avec le « Panalito » du quartier Santa Rosa.

Le soutien de l’État s’exprime également dans les achats publics qu’il effectue aux entreprises de la commune. Le cas de l’entreprise textile est le plus pertinent, car il existe une « alliance avec l’État ». José Lugo, porte-parole de l’entreprise textile, souligne que l’un des deux principaux acheteurs des produits qu’ils fabriquent sont des institutions publiques (ministères, organismes publics, etc…) et l’autre étant la communauté elle-même. Ces derniers temps, un acheteur public très important est la compagnie pétrolière d’État PDVSA (Petróleos de Venezuela S.A.). En effet, pendant notre enquête de terrain, les travailleur(se)s de « Las Abejas del Panal » produisaient un lot de chemises pour PDVSA Gas.

L’État apporte également un soutien sous forme de matières premières. D’une part, plusieurs entreprises communales reçoivent des intrants directement des institutions publiques. L’usine de conditionnement du sucre reçoit les matières premières directement de l’État, et dans le cas de la boulangerie, une entreprise publique l’approvisionne en farine. L’usine textile a obtenu ses premières machines grâce à l’État, bien que les plus récentes aient été achetés avec les surplus de l’entreprise .

En revanche, dans les projets susmentionnés de remplacement de « ranchos » précaires par des maisons, l’État a apporté son soutien avec la livraison de matériaux de construction. Pour le projet actuel de 48 logements, l’architecte Migdalia Reinosa souligne le soutien de la mairie de Caracas. En outre, l’Institut National des Terres a cédé 600 hectares dans l’État de Guárico à la Commune « El Panal « , pour la « production de céréales et de viande ».

Dans le domaine de la formation technique, l’Institut national de formation et d’éducation socialiste (INCES) fournit un soutien avec différents cours. Judith Guerra évoque le soutien que la commune reçoit du vice-ministère de la formation communale. Gabriela Reyes, actuelle vice-ministre de la formation communale, souligne l’effort réalisé dans le domaine de la formation communautaire, en nouant la formation technique avec la formation politique, car les deux sont fondamentales pour que les communes aient un avenir générationnel. Elle assure qu’il y a « plus de 100 communes solides en termes de productivité et de formation politico-idéologique », et que la commune d’El Panal est une des grandes références […] pour de nombreuses communes du pays ».

Le gouvernement bolivarien et le président Hugo Chávez ont commencé à édifier toute une architecture juridique pour promouvoir et légaliser l’idée de la commune. Parmi les instruments juridiques approuvés, les suivants se distinguent : la Loi organique du pouvoir populaire (Assemblée nationale, 2010c :); la Loi organique des communes (Assemblée nationale, 2010b :); la Loi organique des Communes (Assemblée nationale, 2010b) ; et la Loi organique du système économique communal (Assemblée nationale, 2010a).

Le gouvernement Chávez a créé un outil ministériel au service des communes : le ministère des communes et des mouvements sociaux, et a revendiqué politiquement et symboliquement l’utopie de la construction d’un État Communal pour remplacer « l’État bourgeois et représentatif ».

Cependant, l’appareil juridique n’est pas suffisant et, selon certains membres d' »El Panal », la production communale doit avoir la priorité sur l’entreprise privée. Pour Salvador Salas: « Nous voulons que l’État traite les communes différemment des privés en termes d’imposition. Par exemple, nous ne voulons pas payer de droits d’importation sur les matières premières ». Ana Caona considère que « les institutions de l’État continuent de parier sur la commune […] certains organismes d’État nous ont fait confiance, certains organismes d’État […] nous ont fait confiance, mais la relation a été de sujet à sujet ».

Judith Guerra affirme que « le gouvernement révolutionnaire a été très favorable à cette commune, mais nous ne pouvons pas vivre à la mamelle du gouvernement […] maintenant le temps est venu pour la commune de se mettre au travail, qu’elle soit plus autonome, nous avons déjà nos propres moyens de production et nous ne sommes plus aussi dépendants ». Salas : « l’État continue à nous financer, bien sûr, bien qu’aujourd’hui beaucoup moins qu’au début, et nous rêvons à l’avenir de ne pas demander d’argent à l’État […]. nous voulons proposer à l’État de nous laisser exploiter certains puits de pétrole […] une source qui nous permette de développer la production et de ne pas avoir à nous battre chaque année avec l’État pour obtenir un soutien ».

Robert Longa : « avec les secteurs bureaucratisés, il y aura toujours des contradictions, mais je pense que nous sommes dans une guerre économique et que c’est à la commune d’assumer ses responsabilités envers l’État et de faire son autocritique. C’est aux membres de la communauté de rendre compte des choses que nous avons reçues de l’État […]. qu’avons-nous fait ? […] on ne peut pas être un enfant gâté. Nous ne voulons pas être dépendants […] notre horizon est de dépasser l’État ».

Enquête : Luis Uharte

Source : https://observatorio.gob.ve/presentacion-del-panal-comunal/

Traduction : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/03/23/ici-il-ny-a-pas-de-patron-la-commune-populaire-el-panal-au-venezuela/

Entêtée, créatrice, la commune populaire « Che Guevara » au Venezuela.

Louise Michel en rêvait, le Venezuela l’a fait. Pour la communarde Cati Lobo, “au Venezuela, c’est le peuple qui impulse les communes. Les bases citoyennes, s’approprient le projet communal. Si nous ne croyons pas en notre propre pouvoir, si nous n’en faisons pas un précédent, on ne nous reconnaîtra pas. Nous sommes appelé(e)s à chercher les formes et les alternatives, à créer l’autogouvernement.

Dans la Commune Che Guevara vivent 1600 familles, quelques 6000 personnes, organisées en 12 conseils communaux. Tous nos remerciements à l’ami Gil Lahout pour son énorme travail de traduction qui permet aux lecteurs francophones d’accéder à cette passionnante enquête de terrain dont les auteurs(trices) sont Chris Gilbert et Cira Pascual Marquina. Photos : Katrina Kozarek, Gerardo Rojas, César Mosquera, Commune Che Guevara, Sinco/Condiciones, Cira Pascual Marquina, archives. Nous remercions toutes et tous les camarades de la Commune Che Guevara où fleurissent la démocratie populaire et l’autogestion collective. Nous sommes également reconnaissants envers la Chaire Libre Anti-Blocus de l’Université bolivarienne du Venezuela.

Introduction

La Commune Che Guevara se trouve sur les flancs fertiles qui montent du Lac de Maracaibo vers la cordillère des Andes. La culture historique de la région est le cacao, mais récemment, le café y a été introduit, puis la canne à sucre et l’ananas. Proche de la frontière, cette zone est marquée par la migration. De nombreux communards et communardes ont leurs racines en Colombie. Leurs familles ont fui la persécution politique, ou ont simplement cherché une vie meilleure au Venezuela. Les membres de la Commune Che Guevara ont construit un projet sociopolitique qui a surmonté bien des obstacles et tourne autour de deux activités productives : une usine de traitement du cacao sur les terres basses (Entreprise de propriété sociale —EPS— Che Guevara) et une coopérative de café sur les terres hautes (Collines du Mirador, Colimir).

Après un court vol de Caracas à El Vigía (état de Merida) et un voyage de deux heures sur la route Panaméricaine, nous sommes arrivés à cette jolie commune dans le village de Mesa Julia (municipalité de Tucaní). Notre visite a pour objet de comprendre comment cette commune, d’une réputation révolutionnaire digne de ce nom, a su faire face aux sanctions des États-Unis et à la crise générale que traverse le Venezuela. Mais nous nous sommes proposés également de mieux appréhender la perspective des communards et communardes sur la construction communale en général et sur la transition socialiste dans un pays assiégé.

Nous présentons ci-après les témoignages des hommes et des femmes qui construisent une alternative populaire et démocratique dans la Commune Che Guevara. Les thèmes abordés vont de l’impact du blocus impérialiste aux réponses créatrices face aux défis que posent les sanctions, tout en nous arrêtant sur les nouvelles formes de production démocratique et sur la formation socio-politique qui est un des piliers de la Commune Che Guevara.

Chris Gilbert et Cira Pascual Marquina

Histoire de la Commune Che Guevara

Sise sur le piémont andin, la Commune Che Guevara est connue autant pour ses processus démocratiques que pour sa résilience en des temps difficiles. Deux communards racontent l’histoire de la commune et en décrivent les principaux projets productifs.

Ernesto Cruz : C’est vers 2010-2011 que nous avons décidé de fonder une commune. À l’époque, il existait dix conseils communaux dans la région. Nous avons commencé le travail de coordination petit à petit. Mais après le décès du Commandant Chávez en 2013, nous avons accéléré le rythme, et nous avons enregistré la commune auprès de Fundacomunal [institution publique qui administre les communes].

Lorsque nous avons enfin réussi à enregistrer la commune, nous avons impulsé plusieurs projets dont la construction de logements. C’est aussi à cette époque que nous avons commencé à élaborer le projet de construction d’une usine de traitement du cacao, qui deviendrait ensuite l’EPS Che Guevara [une EPS est une entreprise de propriété sociale].

Ma tante Olga Veracruz a été formée politiquement en pleine guerre en Colombie. C’est elle qui a proposé de baptiser la commune ‘Che Guevara’. Elle est maintenant très âgée, mais toutes ces années, elle a été le moteur de l’organisation des conseils communaux dans la région, puis de la commune.

Olga lisait avidement tout ce qui concerne le marxisme. Elle a organisé des groupes d’étude avec les femmes de la région, puis a animé un journal local de tendance à gauche. Elle a laissé sa marque dans cette commune, en proposant que la conception de solidarité de Che Guevara soit un principe recteur pour nous.

Zulay Montilla : La Commune Che Guevara, située sur les hauteurs de la municipalité de Tucaní, au sud du Lac de Maracaibo [état de Mérida], est un projet à vocation agricole. Le café et le cacao sont nos principaux produits, mais nous cultivons aussi des bananes plantains et des ananas.

Dans la commune vivent 1.562 familles, distribuées en 14 conseils communaux. Chaque conseil élit un porte-parole qui participe au parlement de la commune. Le parlement est chargé de veiller au bon fonctionnement des initiatives et projets. Mais au-dessus du parlement se trouve l’Assemblée, instance supérieure d’autogouvernement et espace de prise des décisions les plus importantes. Toute personne habitant le territoire de la commune peut participer à l’Assemblée. Le droit de parole et de vote est le même pour tous.

Sur le territoire de la commune fonctionnent deux unités de production : l’Entreprise de Production Sociale (EPS) Che Guevara, pour le traitement du cacao, et la coopérative Collines du Mirador (Colimir), pour le traitement du café. Chacune de ces unités dispose d’un(e) porte-parole au parlement communal.

Impacts du blocus occidental et de la crise du capitalisme

Les sanctions financières imposées par les États-Unis au Venezuela et l’embargo pétrolier ont eu un impact dévastateur dans la société vénézuélienne. A partir de 2014, l’État vénézuélien a été privé de 99% de ses revenus pétroliers, d’où un exode massif de population. Les médias ont occulté le blocus occidental pour pouvoir marteler « la-faute-au-socialisme ». Les habitants de la Commune Che Guevara expliquent ici les effets du blocus dans leurs vies et leurs projets productifs.

Douglas Mendoza : Le blocus a été très dur pour nous. Ici, sur les hauteurs de Tucaní, le carburant est indispensable. Comment un petit producteur de café pourrait-il livrer sa récolte à l’acheteur s’il n’a pas d’essence, ou si celle-ci coûte 3 dollars le litre? La pénurie de carburant nous a porté un lourd préjudice, à nous producteurs.

Ces dernières années, nombreux sont ceux qui ont émigré en Colombie, puisque cela devenait invivable ici. Certaines familles ont tout vendu et ont quitté le pays. D’autres ont laissé ici leurs membres plus âgés et ont émigré en Colombie ou au Pérou. Il y a aussi des gens qui partent travailler une saison, puis qui reviennent.

Ernesto Cruz : Ces derniers mois, le commerce à Tucaní a quelque peu récupéré, mais il n’y a toujours pas assez de travail. D’ailleurs, en ce moment même, nous observons une nouvelle vague d’émigration vers Caracas, où l’économie des services connaît une reprise.

La situation migratoire ne doit pas nous surprendre : un petit agriculteur de cacao peut gagner quelque 500 dollars par récolte, mais cela ne suffit pas pour vivre. En vérité, il y a très peu d’avantages pour inciter les jeunes à rester dans la région… C’est pourquoi nous voyons la population vieillir petit à petit.

Zulay Montilla : Actuellement, il est très difficile de commercialiser le chocolat à cause de la pandémie et de la pénurie d’essence. Il y a deux ans, nous avions des clients qui venaient des états de Trujillo et de Táchira pour nous acheter notre chocolat, mais maintenant, avec la pénurie de carburant, de tels achats ne sont plus rentables.

Quant aux fournitures pour la production de l’EPS, nous avons heureusement réussi à obtenir ce dont nous avons besoin, à savoir : le cacao, du lait en poudre et du sucre. Par contre, il est très difficile de trouver le matériel pour une bonne présentation de nos produits.

Notre principal problème aujourd’hui vient des coupures de courant. Le chocolat moulu doit être conservé à basse température et donc nous l’entreposons dans une pièce réfrigérée. Si la température augmente, le bonbon ou la barre de chocolat perd sa brillance et sa texture. Il faut alors tout recommencer. Autrement dit, mettre le chocolat au bain-marie, puis l’envoyer au moulin et enfin le remettre au moulage.

Tout cela se répercute sur notre production. Malgré tout, nous n’avons pas arrêté et faisons des miracles pour honorer nos engagements. À l’EPS, nous luttons pour rester debout, dans l’espoir de sortir renforcés de ces temps difficiles.

Ernesto Cruz : Jour après jour, nous affrontons d’innombrables défis, conséquences du blocus et de la crise générale capitaliste. Nos problèmes principaux actuellement sont les coupures de courant et la pénurie de carburant.

Heureusement, le problème du carburant s’estompe peu à peu depuis plusieurs mois. Désormais, nous achetons de l’essence une fois par semaine à 90 cents le litre, alors qu’il y a deux ans, les prix atteignaient 4 dollars le litre.

La pénurie de carburant a durement frappé l’EPS Che Guevara. Les paysans ont du mal à nous livrer leur cacao et les intermédiaires privés en profitent, en se rendant directement dans les parcelles pour proposer aux paysans un prix inférieur à celui du marché. Et bien sûr, entre perdre la récolte et la vendre bon marché, les producteurs préfèrent encore la seconde option.

Par ailleurs, sans essence, pas moyen d’acheminer les commandes. Il n’est pas un seul producteur de la région qui n’ait pas été impacté par la pénurie de carburant. Une situation dont profitent d’ailleurs les mafias.

L’électricité est un autre goulot d’étranglement. Les coupures de courant ici peuvent durer jusqu’à trois jours. Tout le traitement mécanisé du cacao est alors interrompu. Mais en plus, le chocolat déjà moulu perd sa brillance, et il faut tout recommencer.

Néanmoins, si l’on ne peut nier que les sanctions ont eu de graves conséquences pour nous, il est vrai aussi que l’EPS Che Guevara continue de produire et de prouver qu’il est possible de construire une alternative avec le peuple.

Douglas Mendoza : Beaucoup ici ont vendu leur jeep ou leur camionnette qu’ils utilisaient pour descendre leurs 10, 20 ou 50 sacs de café. Certains ont recommencé à travailler avec des mules, ou transportent le café à moto, deux sacs à la fois. D’autres sont obligés de payer le service, ou alors vendent la récolte à des intermédiaires peu scrupuleux. Et il y a ceux qui ont quitté le pays.

Aujourd’hui, par exemple, j’ai dû acheter 5 litres d’essence pour ma débroussailleuse, à un dollar le litre. Ce n’est pas facile pour moi de débourser 5 dollars, mais dans les pires moments, le litre d’essence avait grimpé à 4 dollars.

C’est le problème ici, nous dépendons beaucoup du carburant, surtout pour transporter les récoltes. Cela veut dire que si les prix de l’essence grimpent, un paysan peut facilement se retrouver ruiné.

La guerre des États-Unis contre le Venezuela est terrible. Mais nous voyons aussi des problèmes dans le gouvernement local. Ici, nous sommes de vrais chavistes. Nous sommes très loyaux et nous ne donnerons jamais notre vote à l’opposition. Mais cela ne veut pas dire que nous allons applaudir nos représentants quand ils ne font pas bien les choses.

Malgré la guerre, les contradictions et autres difficultés, nous avons un engagement envers cette magnifique terre. Et nous continuerons de travailler pour la famille et au sein de Colimir, où nous apportons aussi notre pierre à l’édifice de la communauté.

Felipe Vanegaz Quintero : La pénurie d’essence et de gasoil se fait particulièrement sentir ici au sud du Lac. Aux sanctions s’ajoute le problème de la distribution. En fait, le carburant devrait arriver par un oléoduc qui traverse le Lac de Maracaibo. Or, celui-ci est obstrué à cause du manque de maintenance. Donc, le carburant arrive de Puerto Cabello par camions citernes, ou alors par contrebande depuis la Colombie. Bien sûr, les prix augmentent d’autant.

Marta Botello : Un autre problème concerne le manque de fertilisants et d’herbicides. D’où une diminution du rendement de notre production. En cas de rouille du café [champignon du caféier], nous n’avons rien pour le combattre. Il y a quatre ans, nous pouvions encore acheter des intrants à Agropatria [société publique de fournitures agricoles], mais les magasins sont désormais fermés.

Malgré tout cela, nous continuons. Dieu merci, mes enfants n’ont pas quitté le pays. Je n’ai pas à me plaindre.

Créativité et innovation en réponse aux sanctions

La Commune Che Guevara a développé une série de réponses créatives aux difficultés qui surviennent dans le cadre de la crise. Refusant la capitulation capitaliste, les hommes et les femmes de la Mesa Julia démontrent que les communes peuvent constituer une solution populaire et souveraine à la crise.

TRANSFORMATION TECHNOLOGIQUE

Johandri Paredes : Ces derniers mois, nous avons fait un grand pas en avant pour surmonter notre dépendance du gasoil dans l’usine de traitement du café. Notre séchoir utilisait du gasoil comme combustible. Grâce à la transformation technologique, c’est l’exocarpe du café [coque extérieure du grain de café] qui nous sert de combustible. C’est un grand pas en avant, car il nous offre l’autonomie et réduit nos coûts. En plus, il s’agit d’un combustible durable sur le plan environnemental.

Le Conseil fédéral de gouvernement nous a soutenus dans cette transformation technologique et nous avons pu importer les machines de Colombie.

Felipe Vanegaz Quintero : À Colimir, notre dépendance vis-à-vis du carburant a considérablement diminué ces derniers mois. Il y a un an, nous consommions 12 000 litres de gasoil par mois. Évidemment, lorsque le carburant se fait rare et devient très cher, une telle consommation était un vrai problème pour nous. Nous avons donc décidé d’acquérir les composantes industrielles nécessaires pour ne plus dépendre du gasoil. Les coques de grains de café sont notre carburant. Et cela fonctionne aussi bien que le gasoil, voire mieux, malgré l’excédent de fumée.

Pastora Ruiz de Macaneo : À l’heure actuelle, il est difficile de trouver des intrants agricoles. Bien sûr, au début, cela posait quelques problèmes, mais avec le temps, nous avons appris à produire de l’engrais. Nous utilisons la coque du cacao pour faire du compost que nous appliquons ensuite à la terre dans nos serres.

Nous procédons aussi à des essais avec le mucilage, qui est le liquide visqueux qui protège les fèves de cacao, pour fabriquer de l’engrais organique dont nous aspergeons directement les plantes. Et tout en essayant de nouvelles méthodes pour l’entretien des plants de cacao, nous poursuivons la phase de recherche pour mettre au point de nouvelles techniques.

Luis Miguel Guerrero : On a assisté ces dernières années à de nombreuses failles du système électrique. Et notre séchoir, en plus de dépendre du gasoil, a aussi besoin d’électricité.

Le projet de séchoir solaire est né parce qu’il y a quelques mois, nous avons vécu une coupure de courant de trois jours. Tout a cessé de fonctionner. Il fallait faire quelque chose. Et on s’est mis à fabriquer un séchoir solaire. Nous l’avons construit nous-mêmes et nous en sommes très satisfaits. D’ailleurs, nous nous préparons à en fabriquer un deuxième.

Le séchoir sèche le café au soleil sous une épaisse bâche de plastique qui absorbe la lumière, mais isole et protège les grains de café. Cet espace fonctionne aussi comme un tunnel de vent, avec un ventilateur à une extrémité et une ouverture contrôlée de l’autre.

Évidemment, le processus est plus lent qu’avec le séchoir industriel, qui permet de sécher 800 kilos en 12 heures. Avec notre système, nous ne pouvons sécher que quelque 300 kilos en dix jours.

Felipe Vanegaz Quintero : Ces dernières années, nous avons décidé de diversifier notre production. La canne à sucre pousse bien par ici. Nous construisons donc un moulin, qui fonctionnera bientôt. Nous avons également une menuiserie et deux parcelles collectives où nous cultivons de la canne à sucre et du café. Nous voulons avancer de manière durable.

VISITE DE LA BRIGADE PRODUCTIVE OUVRIÈRE (EPO)

Ernesto Cruz : L’EPO est une initiative extraordinaire de femmes et d’hommes d’une grande expérience, qui organisent des brigades de travail volontaire afin de résoudre des problèmes dans des usines d’entreprises publiques et dans les communes. Ils ont séjourné chez nous pendant une semaine en septembre dernier.

Leur première tâche a consisté en un diagnostic de la situation de l’usine. Ensuite, ils ont résolu quelques problèmes de notre système électrique, ils ont réparé une unité de conditionnement d’air, ainsi qu’une machine écabosseuse cacao. Ils ont aussi animé un atelier sur les circuits électriques.

Car l’EPO est aussi une initiative d’éducation. Les travailleurs jouissent d’une grande expérience dans les industries lourdes et ont accumulé beaucoup de savoir-faire. Et cela nous a été très utile. Enfin, la visite de l’EPO a permis un apprentissage à deux voies : les camarades de l’EPO ont ainsi appris les rouages de l’organisation communale, la production de chocolat, etc.

Nous aimerions continuer de travailler avec l’EPO. Les camarades nous ont bien aidés à un moment où il était crucial de résoudre les problèmes techniques. Auparavant, nous pouvions engager un technicien, ou acheter une pièce détachée, mais ce n’est plus possible désormais. Des initiatives telles que l’EPO sont donc très précieuses.

LE CAFÉIER ET L’ÉCONOMIE DU TROC

Felipe Vanegaz Quintero : En 2018, nous avons vécu une spirale d’inflation et le bolívar perdit pratiquement toute sa valeur. Nous avons donc décidé de battre notre propre monnaie, que nous avons appelée ‘caféier’. Un caféier avait la valeur assignée d’un kilo de café [sec et grillé]. Autrement dit, chaque caféier était soutenu par un kilo de café entreposé ici à Colimir.

Notre caféier est né parce que la dévaluation du bolívar nous conduisait droit à la faillite. Si nous avions maintenu nos comptes en bolívars, nos fonds seraient partis en fumée.

Déjà en 2016, lorsque la situation s’est corsée, les gens ont spontanément commencé à mesurer la valeur des choses en kilos de café. Ainsi, la valeur d’une moto ou d’une voiture se calculait en café : 25 kilos, 50 kilos, 200 kilos, etc.

Nous n’avons fait que suivre un mouvement spontané et le café est devenu notre unité de compte. La coopérative a adopté une pratique en la formalisant comme un moyen de payement. Nous avons généré une réserve de 17 mille kilos de café. À l’époque, cela équivalait à 17 000 dollars. Nous avons donc émis 17 000 caféiers.

C’était une bonne idée. Par contre, nous nous sommes trompés sur un point : Colimir a prêté trop d’argent en caféiers, et certaines personnes sont encore endettées envers nous. De fait, la dette accumulée envers la coopérative atteint quelque 13 000 caféiers.

Les gens veulent une monnaie sûre et stable. Si le caféier était beaucoup plus stable que le bolívar, il a toutefois gagné peu à peu en valeur, car le prix du café augmenta d’un dollar le kilo à un dollar et demi. La dette des gens ayant bénéficié d’un crédit en caféiers a donc grimpé en proportion et les remboursements devinrent de plus en plus difficiles.

Quoi qu’il en soit, le caféier était une monnaie beaucoup plus stable que le bolívar. À l’époque, le dollar ne circulait pas librement; le caféier était donc une bonne solution. Maintenant que l’économie est dollarisée dans les faits, le caféier ne circule plus, mais l’unité monétaire de Colimir reste le caféier.

Nous avons beaucoup appris avec notre caféier et tout a bien fonctionné pendant un temps. Le caféier a donné de la stabilité aux salaires des travailleurs et nous a permis de stabiliser notre comptabilité. Et plus important encore : contrairement à d’autres entreprises, nous n’avons pas été victimes de la dévaluation. Certes, nous avons perdu de l’argent, parce que nous avons prêté à des gens qui n’ont pas pu rembourser. Ce fut une mauvaise décision financière, mais nous n’avons pas perdu d’argent à cause de l’inflation.

Yeini Urdaneta : Le caféier circulait de différentes manières. Il y avait 400 comptes numériques, et une application permettait de payer facilement les biens et les services. Il y avait aussi de la monnaie papier.

Quand les gens livraient leur café à Colimir, nous leur versions leur argent sur leur compte numérique en caféier. De plus, les travailleurs étaient aussi payés en caféiers. Il y avait un magasin où les gens pouvaient payer en caféiers.

En général, l’expérience fut positive, parce qu’elle nous a permis de conjurer l’hyperinflation.

Felipe Vanegaz Quintero : Ce n’est pas Colimir qui a inventé le caféier, c’est le peuple. Les agriculteurs de la zone l’ont créé, sans l’appeler caféier. En fait, l’hyperinflation avait rendu impossible de calculer les coûts en bolívars. Donc les gens ont commencé à calculer les valeurs en prenant le café comme référence.

Par ailleurs, le troc fait partie de la culture paysanne, surtout dans les zones les plus éloignées des centres urbains. C’est pourquoi le troc de café pour d’autres produits n’a rien de nouveau. Nous nous sommes contentés de formaliser ce qui avait déjà été improvisé.

Cependant, il faut savoir une chose : le troc n’est pas une mesure socialiste, pas plus que le caféier. Ce sont des solutions à des problèmes réels d’une société capitaliste en crise. Maintenant que le caféier ne circule plus, le troc continue. Par exemple, nous avons à quatre ou cinq reprises acquis de la farine de maïs en échange de café et de chocolat avec la Commune El Maizal. Et nous échangeons aussi du café contre des pommes de terre auprès de Proinpa [coopérative du plateau de Mérida].

LE GAZ

Marta Botello : Pendant presque deux ans, le gaz n’arrivait plus dans la région. Nous avons dû recommencer à cuisiner au feu de bois. Mais ça veut dire qu’il fallait ramasser du bois, entretenir et préparer les foyers, etc. C’était laborieux et fatigant.

Nos mères et grands-mères utilisaient du guamo, un arbuste à croissance rapide qui donne ombrage au café et au cacao, qui sert aussi de combustible. C’est ainsi que, des années après l’arrivée chez nous des cuisinières à gaz, nous sommes revenus aux fourneaux. Cela va mieux maintenant, parce que la Commune gère la distribution du gaz, et celui-ci nous est livré régulièrement.

En plus, ici dans la communauté, nous cherchons des solutions pour résoudre nos problèmes. Par exemple, quand il y a une défaillance dans le réseau électrique d’un secteur, nous demandons à un voisin versé en circuits électriques de nous aider à résoudre le problème. Il est payé en nature : les uns et les autres paient avec une boîte de sardines, un kilo de riz, de haricots noirs ou de café, etc.

Régulo Duarte : En tant que porte-parole de la gestion du gaz communal, je peux vous dire que l’an dernier a été très difficile. PDVSA Gaz ne livrait plus de gaz dans la région et nous avons tous été obligé de cuisiner au feu de bois. À présent, la disponibilité est limitée, mais nous pouvons garantir une bonne distribution dans la commune chaque famille reçoit deux petites bonbonnes de gaz tous les deux ou trois mois. Avec les fourneaux à bois en appoint, les gens peuvent satisfaire leur quotidien.

Ernesto Cruz : Après la ‘coupure de gaz’, on a tenté de privatiser la distribution. Heureusement, nombreux sont ceux qui exprimèrent leur désaccord et dénoncèrent la corruption dans les usines de remplissage de PDVSA Gas. La privatisation a ainsi pu être stoppée.

Désormais, c’est la Commune qui se charge de distribuer le gaz sur son territoire. Nous avons divisé la carte en secteurs et la distribution est assurée selon une rotation pour que les familles reçoivent deux bouteilles tous les trois mois.

SÉCURITÉ

Felipe Vanegaz Quintero : Vers 2017, nous avons rencontré un autre problème : le vol des récoltes de la région. Chez nous à Mesa Julia, il ne s’agissait pas de délinquance organisée à grande échelle, mais plutôt de petits délinquants. Ils volaient les récoltes de café ou de cacao pendant la nuit, ou pendant les averses.

Quand on s’est rendu compte que le problème n’avait rien de ponctuel ou de passager, nous avons mis au point un plan de sécurité. Et maintenant, on peut dire que la délinquance n’est plus un problème dans la région. On voit ici clairement l’importance de s’organiser. Toutefois, dans les zones plus basses, hors du territoire de la commune, le crime organisé est bel et bien présent : les commerçants, les camionneurs sont régulièrement victimes de racket.

Daniel Zambrano : Aux pires moments de la crise, nous avons dû renforcer nos mécanismes de défense. On venait la nuit voler le café ou le cacao, ou même nos poules. Nous avons donc décidé de renforcer la sécurité sur notre territoire : mettre en place des systèmes de communication interne, établir des liens avec la Milice bolivarienne. Nous nous sommes préparés à défendre le territoire.

Le plan de défense fonctionne bien. Il n’y a presque plus de vol dans la Commune. Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus de problèmes. Il y a parfois des disputes entre voisins, ou entre les producteurs. Le Comité de sécurité doit aussi intervenir pour résoudre ces conflits.

Neftalí Vanegaz : Quand la situation a empiré, vers 2018-2019, nous avons subi les vols de nos récoltes, ici dans la région de Mesa Julia. C’est alors que nous avons organisé nos équipes de sécurité.

Désormais, la Commune Che Guevara est une espèce d’oasis. Il y a plusieurs raisons : c’est une communauté organisée, mais la géographie joue aussi en notre faveur. Il n’y a qu’une voie d’accès à la Commune. C’est donc plus facile à contrôler.

L’Entreprise de Production Sociale « Che Guevara »

L’EPS Che Guevara est une usine de production de chocolat, dont la propriété est collective et la gestion démocratique. L’idée est née dans la foulée de la fondation de la Commune Che Guevara. L’EPS a été enregistrée en 2014 après bien des années de travail. elle dispose aujourd’hui d’une grande serre, de structures destinées à la fermentation et au séchage du cacao, ainsi que d’une installation de traitement du cacao et de production de pralines et de barres de chocolat.

Ernesto Cruz : Lorsque nous avons enregistré l’EPS, le pays ne comptait encore que très peu d’entreprises communales de propriété sociale. Notre seule référence était la Loi sur l’Économie communale, de Chávez, qui établit le contrôle démocratique de la production et la distribution. C’est ce qui a guidé nos pas dans l’organisation de l’entreprise, même si des camarades du ministère des Sciences et Technologies nous ont bien aidés au départ.

Dans les grandes lignes, nos objectifs étaient (et sont encore) de promouvoir la culture du cacao au plan local et de fournir une infrastructure industrielle destinée à la production de chocolat. Et ce, tout en progressant dans la démocratisation des processus de production.

La conception du projet a duré presque une année. Dans cette période, nous avons participé à des ateliers, visité des unités de production de chocolat, collecté des échantillons de cacao et de chocolat et établi un réseau avec les producteurs de la région.

En 2016, nous avons bâti une grande serre d’une capacité de 80 000 plantules, dont nous avons commencé la production en 2017. Cette même année, le financement de l’unité de traitement du cacao a été approuvé. Les fonds ne nous ont pas été versés directement, mais ont été transférés à la mairie de Tucaní.

Avec la lenteur de l’administration et la bureaucratie, la mairie a gardé nos fonds pendant presque un an. Et lorsque nous avons pu y accéder, malheureusement l’argent a juste suffi à l’acquisition du terrain où nous avons fini par construire l’usine de traitement. L’inflation avait rongé notre budget.

Le terrain étant désormais aux mains de l’EPS, nous avons commencé à traiter le cacao sur place, de manière artisanale. Entretemps, nous continuions de chercher des soutiens pour construire l’usine… Jusqu’à ce que, enfin, nous trouvions un financement institutionnel en 2018!

Une fois l’usine construite, nous avons commencé à produire du chocolat, du séchage à la torréfaction, du broyage au moulage. Comme nous n’avions pas de moules, nous utilisions des bouteilles d’huile découpées, ou d’autres récipients, pour effectuer les tests. Quand le produit a finalement donné satisfaction, nous avons lancé la commercialisation [en 2019].

Ces années-là ont été dures. L’impact des sanctions se faisait cruellement sentir et entre auto-proclamations présidentielles et tentatives de coup d’État, la situation politique était très instable. Malgré tout, nous avons réussi à mettre en œuvre la production d’un chocolat de qualité.

Zulay Montilla : L’EPS Che Guevara a quinze travailleurs. Nous nous organisons en quatre domaines : administration, audit, gestion de la production et éducation.

Cependant, ce qui est plus important encore que la structure de l’organisation, c’est le fait que dans l’EPS, il n’y a pas ni président, ni directeur, ni chef. Ici, les décisions sont collectives. Tous les travailleurs y participent sur un pied d’égalité. Toutes les décisions importantes, de l’affectation des ressources à la résolution des problèmes, passent par l’assemblée.

En un mot comme en cent, l’EPS est une organisation fondée sur l’assemblée. Parfois, des gens nous demandent : ‘Qui dirige ici?’ Nous leur répondons qu’il n’y a pas de chef, que la voix de tout un chacun compte. Les gens ont du mal à comprendre cette nouvelle forme d’organisation. Nous avons beaucoup travaillé et la vérité est que nous avons surmonté de vieux défauts et bâti une culture démocratique dans l’EPS Che Guevara.

Bien sûr, cela ne veut pas dire que toutes les petites décisions quotidiennes passent pas l’assemblée. En fait, elles passent par les quatre départements que j’ai mentionnés. Chacun connaît ses responsabilités.

Pastora Ruiz de Marcaneo : Construire un tel projet depuis la base est difficile, mais c’est une belle expérience. Je me suis engagée envers le projet de l’EPS Che Guevara dès le départ, j’ai aidé à la construire de mes propres mains. Nous qui sommes ici avons consenti des sacrifices pour que le projet fonctionne, mais nos efforts ont valu la peine. Parce que maintenant, nous avons des moyens de production au service de la communauté, et non pour enrichir les chefs.

En plus, qui travaille avec le chocolat en tombe amoureux. Nous nous chargeons de tous les aspects de la production, de la sélection des fèves à l’entretien des plantules, en passant par la fermentation et le séchage du cacao, le traitement et la préparation finale.

Carlos Eduardo Urbina : Cette usine de traitement du cacao a été construite par les travailleurs de l’EPS, avec beaucoup d’efforts, un grand engagement et de nombreux sacrifices. Nous avons aussi bénéficié du soutien du ministère des Sciences et Technologies.

La serre a été le premier grand pas en avant de l’EPS. Elle a servi à améliorer la production dans la région, tant sur le plan de la qualité qu’en termes de volume produit. Pour ce faire, il faut choisir des variétés bien adaptées aux conditions de la région, sélectionner les meilleures graines et bien soigner les plants pour qu’ils soient forts en poussant. Tout ce processus doit être très précis, afin d’améliorer la qualité des plantes. Par contre, nous ne faisons pas d’expériences pour des modifications génétiques.

Outre les plants de cacao, nous avons aussi des arbres d’ombrage. Le cacaoyer, tout comme le caféier, a besoin d’ombre pour pousser.

Au fil des années, nous avons beaucoup appris, mais nous savons que les travailleurs de l’EPS, tout comme les producteurs de la région, ont bien des choses à apprendre, que ce soit à propos de la sélection des graines et de l’entretien des plants, ou en matière de séchage et de traitement du cacao.

Pastora Ruiz de Macaneo : Après lecture d’une étude des plantations de la région, nous avons conclu que les cacaoyers étaient très vieux, ou n’avaient pas été bien soignés. Aussi fallait-il les remplacer pour accroître la production. D’où la construction de cette grande serre.

Celle-ci permet de produire entre 40 et 50 000 plantules. La première année, les producteurs étaient nombreux à vouloir des plantules, parce que prix du cacao était élevé et ils voulaient renouveler leurs plantations. En 2018, nous en avons produit quelque 40 000. Mais depuis, la moyenne est de 20 000 par an.

Outre les plantules de cacao, nous cultivons désormais des légumes et des plantes médicinales. Cela a commencé avec la pandémie, quand les produits alimentaires sont devenus difficiles d’accès.

Ernesto Cruz : L’EPS fabrique des pralines, du cacao en poudre et une vaste gamme de barres de chocolat. Nous avons une capacité installée pour produire 1 300 kilos par semaine. Mais en ce moment, nous ne produisons pas autant, car la crise et les sanctions nous ont fortement touchés.

Quant à la distribution, la plupart de notre production est livrée à des chocolatiers de Mérida. Cependant, avant que la crise ne s’aggrave avec la pénurie de carburant, nous avions des commandes en provenance d’autres États.

Les commandes actuelles sont relativement modestes : entre 30 et 80 kilos. Pendant l’année scolaire, nous distribuons aussi du chocolat auprès des centres éducatifs de la région. Par ailleurs, nous faisons du troc avec la Commune El Maizal. L’opération la plus récente concernait l’échange de 400 kilos de chocolat contre de la farine de maïs et d’autres produits. Cet échange a été très gratifiant.

À l’avenir, nous espérons exporter. Notre chocolat est de grande qualité et pourrait se vendre à l’étranger. En attendant, nous devons augmenter notre production et obtenir tous les permis sanitaires et d’exportation nécessaires. Pour l’instant, nous avons les permis pour la commercialisation locale. Cela n’a pas été facile de les obtenir, à cause de obstacles de la bureaucratie.

La Coopérative Collines du Mirador (Colimir)

Colinas del Mirador, plus connue sous le nom de Colimir, est une coopérative de producteurs de café sur les hauteurs de Mesa Julia. Ses actifs principaux sont une usine de traitement du café et une pépinière destinée à l’amélioration de la qualité et du rendement du café dans la région. Colimir s’attache aussi à offrir de meilleures conditions de vie à la communauté de Río Bonito Alto, où siège la coopérative.

Neftalí Vanegaz : Je suis arrivé au Venezuela en 2003. J’ai dû fuir la Colombie après avoir été victime d’une tentative de meurtre. Là-bas nous avions un bon travail avec les coopératives de café, mais le paramilitarisme et la guerre de l’État colombien contre le peuple nous ont obligés à fuir.

Bien sûr, nous n’étions pas les seuls. Des milliers de gens ont émigré au Venezuela à l’époque. Moi j’ai dû marcher pendant six jours avec ma compagne et mon fils pour atteindre la frontière. Une fois au Venezuela, nous nous sommes installés à Machique, dans la Guajira [état de Zulia]. Mais la situation était difficile là-bas. Deux ans plus tard, nous sommes venus à Tucaní, où nous avions des amis. Nous sommes tombés amoureux de cette terre, car elle ressemble beaucoup à la terre où nous avons grandi, un haut-plateau propice au café.

Ma compagne et moi avons acquis une parcelle sur les hauteurs et avons commencé à travailler. Mais nous voulions aussi promouvoir l’organisation, une pratique que nous avons dans les veines. Il y avait déjà une coopérative, mais elle était en berne. Aussi avons-nous commencé à la réactiver.

Ça n’a pas été facile. Il y avait notamment un courant très clientéliste. Beaucoup d’associés voyaient en la coopérative un moyen d’obtenir des ressources de l’État. En revanche, notre vision visait de meilleures conditions de production et la création de liens de solidarité au sein de la communauté.

Petit à petit, nous avons surmonté les contradictions et, en 2010, la coopérative a commencé à grandir. C’est alors que le ministère des Sciences et Technologies a transféré des ressources pour planter 10 000 caféiers. Mais avec les ressources transférées, la coopérative a réussi à en planter 30 000. Ce fut un grand pas en avant pour nous.

En 2014, nous avons reçu un financement pour construire une pépinière destinée à améliorer la production de café dans la région. Aussi avons-nous commencé à concevoir les plans d’une usine de traitement du café.

Ça n’a pas été facile, parce que le ministère des Sciences et Technologie voulait gérer le projet directement. Mais pour nous, la construction autogérée était plus efficace. Finalement, nous pûmes gérer nous-mêmes les ressources et, avec un financement approuvé pour l’usine et les bureaux, nous avons même réussi à bâtir un auditoire et deux dortoirs.

Felipe Vanegaz Quintero : La coopérative a précédé le conseil communal et la commune. Elle est fondée sur la production paysanne. Colimir est née dans le but d’améliorer la production de café de la région et d’industrialiser le processus. Et c’est ce que nous faisons de mieux ici, sur les hauteurs de Tucaní.

Colimir a connu des hauts et des bas. Vers 2006, la Corporation vénézuélienne du Café [entreprise publique] est arrivée et a commencé à acheter la production directement auprès des agriculteurs. À l’époque, les producteurs abandonnaient la culture de café parce que le prix réglementé était trop bas pour être rentable. Dans le plan de Chávez, les prix réglementés devaient être compensés par des subsides de la Corporation vénézuélienne du Café, mais ces fonds ne nous sont jamais parvenus. Tout cela a poussé beaucoup d’agriculteurs à remplacer le café par des cultures d’ananas, de plantains ou de cacao.

Un autre élément a influé sur la croissance de Colimir : avec la Loi sur les Conseils communaux, les coopératives ont commencé à être perçues comme ‘l’erreur de Chávez’.

Dans ces années-là, la coopérative est passée de 100 associés à 14. Toutefois, nous n’avons pas baissé les bras. La coopérative a continué de travailler et a participé à la formation du Conseil communal, puis à la création de la Commune Che Guevara, qui a su regrouper plusieurs processus.

Petit à petit, Colimir a repris vie. Nous avons reçu un financement pour terrasser les collines et semer du café. Puis le Conseil fédéral de gouvernement a apporté un soutien à la construction d’une serre pour 80 000 plantules de café. Finalement, en 2016, un autre financement nous a permis d’édifier ce petit complexe industriel. Nous l’avons fait en 14 mois, sans passer par des sous-traitants et en autogestion. C’est ainsi que nous avons construit l’usine, la cuisine et les bureaux, tel que stipulé selon le financement, mais aussi un auditoire et deux dortoirs dans la partie supérieure de l’usine.

Quand l’usine a commencé à fonctionner, la coopérative s’est mise à croître. Même si, ce n’est un secret pour personne, la spirale inflationnaire, la pénurie de gasoil, les coupures de courant et la pandémie ont eu un impact négatif sur notre production.

L’an dernier, après une longue période de ‘sécheresse’ où le carburant était rare, nous nous sommes mis à réfléchir à un changement technologique. Nous voulions arrêter de dépendre du gasoil et le guamo du café semblait être une bonne alternative. Nous avons donc assuré le financement de ce changement technologique et importé les machines de Colombie, avec le soutien du Conseil fédéral de gouvernement. Après la mise en œuvre du changement, la production a vite repris.

Les organisations naissent toujours d’une nécessité commune des associés. S’il n’y a pas d’objectif partagé, alors l’organisation est vouée à l’échec. Colimir reste active parce que nous parvenons à résoudre ici-même certains problèmes des producteurs de café de Mesa Julia.

La question fondamentale que doit se poser toute coopérative est la suivante : vaut-il mieux pour un producteur appartenir à la coopérative ou pas? Avec la crise, certains agriculteurs sont partis en Colombie. D’autres ont renoncé au travail en coopérative. Or, la trajectoire et la résistance de Colimir sont des preuves vivantes, du moins pour ceux qui sont restés et continuent de cultiver du café, que la production en coopérative est la meilleure solution. Elle offre une bonne alternative aux intermédiaires privés, accorde des ristournes aux associés et leur concède des crédits. C’est aussi une importante institution sociale de la communauté.

Cependant, nous devons continuer de travailler et de croître. L’étape suivante sera d’obtenir les autorisations pour commercialiser notre café dans tout le pays. Et les obstacles bureaucratiques sont nombreux. Malheureusement, ne pas disposer de la licence de commercialisation nationale limite notre capacité à grandir.

Neftalí Vanegaz : Les coopératives se forment pour satisfaire des besoins partagés. Le but de Colimir est de résoudre les problèmes des producteurs de café qui n’ont nulle part où traiter et distribuer leurs récoltes.

Mais le projet de Colimir va plus loin : notre coopérative est d’une nature plus populaire, parce notre objectif principal est de construire un nouveau modèle social.

Felipe Vanegaz Quintero : l’assemblée est l’organe suprême de gouvernement de la coopérative. Tous les producteurs associés participent à une réunion hebdomadaire pour prendre ensemble toutes les décisions importantes. Des questions telles que la vente d’un immeuble ou la réorganisation de l’organigramme sont abordées à l’assemblée.

Sous l’assemblée vient le Conseil de direction, qui actuellement compte six départements : éducation, industrie, secrétariat, finances, projets et audit. La direction prend des décisions au niveau intermédiaire, comme par exemple, d’accorder un prêt à un associé. Les prêts sont remboursés à Colimir en nature [café] et sans intérêt.

Ensuite viennent les différentes coordinations qui prennent les décisions du quotidien. Par exemple, le comité d’éducation se charge de toutes les initiatives éducatives et de leur supervision. S’il estime qu’il faut repeindre l’école, le Conseil de direction examine la proposition et assigne les fonds.

Douglas Mendoza : C’est une petite coopérative, mais d’un grand impact sur la communauté : n’importe quel producteur peut traiter son café ici. De plus, Colimir est engagée envers les habitants du territoire et s’occupe de la scolarisation de nos enfants. Elle entretient aussi la voirie et offre une assistance sociale.

Être producteur associé de Colimir présente de nombreux avantages. Tout d’abord, nous sommes une communauté de producteurs qui se soutiennent mutuellement et partagent leur savoir-faire. Ensuite, les associés bénéficient de 30% de ristourne pour faire traiter leur café. Et nous avons accès à des crédits sans intérêt. Cela compte beaucoup quand il faut acheter un outil ou payer des travailleurs pendant la cueillette du café.

Nous disons souvent que l’union fait la force. C’est pour ça que j’ai rejoint Colimir. Nous sommes des gens humbles, de petits caféiculteurs. Mais ensemble, nous sommes plus forts. C’est ce que nous a enseigné Chávez. Et nous suivrons sa voie.

Arianny Tomas : La pépinière de Colimir a été conçue pour produire jusqu’à 80 000 plantules. Mais en ce moment, à cause de la pandémie, nous n’en produisons que 40 000.

Cette pépinière a été construite pour renouveler les caféiers de la région. C’est dans ce but que nous sélectionnons les graines et veillons à ce que les plantules soient bien adaptées à la terre de Mesa Julia.

Ces dernières années, nous avons dû explorer différentes méthodes pour soigner nos plantules. Les mesures coercitives unilatérales [sanctions imposées au pays] empêchent l’acquisition des intrants agricoles tels que les fertilisants et les pesticides. C’est pourquoi, lorsque les problèmes de fourniture ont commencé, nous avons opté pour produire de l’engrais organique. Nous avons découvert que les déchets organiques du café peuvent former un fertilisant très efficace. En outre, un camarade nous enseigne à fabriquer des pesticides organiques.

Felipe Vanegaz Quintero : Nous espérons pouvoir dire un jour que notre production de 8 à 16 quintaux par hectare, qui est la moyenne nationale [un quintal représente 46 kilos de café], est passée à 80 quintaux par hectare, comme en Colombie. Mais cela exige du travail, de l’investissement et de la préparation technique.

Il faut savoir que la région ne compte que huit professionnels, dont six sont enseignantes. Nous avons besoin de gens qualifiés, des agronomes et des ingénieurs en particulier, si nous voulons augmenter notre production. Il y a de la science derrière l’agriculture. La seule attitude romantique ne suffit pas pour produire.

Johandri Paredes : Je suis un des associés les plus récents. Et je suis content. Si tu veux t’associer, tu dois être parrainé par 5 membres, puis passer un an à titre d’essai.

Quant aux avantages, les associés bénéficient d’une ristourne de 30% pour le traitement du café, ont accès aux plantules et ont droit au crédit. Si Colimir me prête 1 000 dollars, je devrai rembourser avec du café de ma prochaine récolte, mais sans intérêt. C’est une bonne solution pour nous, parce que notre récolte est annuelle, et nous avons des frais pendant l’année.

De plus, Colimir achète le café des producteurs associés et non-associés, mais à un prix un peu supérieur à celui d’autres acheteurs. C’est pourquoi de nombreux agriculteurs indépendants vendent leur production ici.

Pour moi, le travail coopératif est ce qui donne un sens à ce que nous faisons. Cela nous pousse à sortir de la parcelle pour entrer dans un processus où nous apprenons les uns des autres. Et aussi, ici, il n’y a pas de chef, et j’aime bien ça.

Felipe Vanegaz Quintero : Les coopératives peuvent tomber dans une logique capitaliste. Mais à Colimir, nous avons une conception plus sociale et nous voulons rendre quelque chose à la communauté. Notre objectif est d’offrir de bonnes conditions aux agriculteurs, mais aussi garantir l’accès à la santé, à l’éducation et à une bonne voirie pour tous.

Mais nous nous voilons pas la face. Nous ne construisons pas le socialisme. Nous sommes plutôt en train de planter une graine. Nous espérons, pour commencer, que les gens diront : ‘Je préfère vivre à Río Bonito Alto, parce que la santé et l’éducation y sont garanties. Et le logement aussi.’

Les lundis de travail collectif

Les lundis de travail collectif constituent une pratique mise en place par Colimir à ses débuts. Ces journées de travail volontaire réunissent les associés de la coopérative pour résoudre des problèmes communs et affirmer l’esprit de corps.

Neftalí Vanegaz : Cette pratique des lundis de travail collectif a commencé dès le début de Colimir. L’idée est que tous les producteurs associés se réunissent, partagent leurs inquiétudes et travaillent ensemble. S’il faut ouvrir un chemin, peindre un immeuble ou couper de la canne à sucre, nous le faisons tous ensemble. L’avantage de ces lundis collectifs est qu’ils génèrent un esprit de corps. Les producteurs rompent leur isolement et construisent une communauté.

Arianny Tomas : Nos premiers lundis de travail collectif ne réunissaient que les producteurs associés de Colimir. Mais petit à petit, d’autres voisins nous ont rejoints, pour nettoyer des chemins ou des espaces communs. Avec le travail collectif, il y a une espèce de déclic : les gens sont plus ouverts à la coopération autour de l’objectif du bien commun. La collectivité est contagieuse.

Les lundis de travail collectif créent de liens de solidarité entre nous. Ils nous aident à comprendre que les problèmes se résolvent plus efficacement si nous travaillons ensemble.

Dioselina Quintero Quintero : Les lundis de travail collectif sont un outil qui nous aide à créer des liens… ou pour le dire autrement : la pratique fait que nous ne sommes pas une simple entreprise de traitement du café. Le lundi, nous nous réunissons, nous travaillons ensemble, nous prenons des nouvelles des autres producteurs et nous réfléchissons aux processus internes de la coopérative.

Pour nous, la coopérative est comme une seconde famille. Bien sûr, le travail collectif est parfois épuisant, mais la coopération fait partie de ce que nous sommes. Et la solidarité est fondamentale pour le nouveau genre d’organisation dont nous rêvons.

Johandri Paredes : Pour moi, le lundi est un jour très spécial, parce que je retrouve mes camarades et, ensemble, nous construisons un avenir meilleur.

Prendre soin de la communauté

Face aux mesures coercitives des États-Unis et leurs effets dévastateurs sur la vie du peuple, de nombreuses organisations de la base ont dû assumer des responsabilités qui incombaient à l’État. La Commune Che Guevara a contribué aux services d’éducation, de transport et de santé dans sa communauté.

Yeini Urdaneta : Les sanctions et la crise ont fait que le gouvernement s’est retrouvé dans l’incapacité de satisfaire les besoins du pays en matière de santé et d’éducation. Et dans ce genre de situation, la responsabilité tend à retomber sur les épaules des organisations.

Autrement dit, il faut souvent chercher des solutions à des problèmes concrets de la communauté, par exemple en cas de décès, ou lorsqu’une femme est sur le point d’accoucher, ou quand un voisin fait une crise d’hypertension. Dans ces cas-là, nous pouvons offrir un prêt, un don, voire le transport vers l’hôpital le plus proche.

Évidemment, ce n’est pas facile pour Colimir. Les médecins facturent entre 100 et 150 dollars pour un accouchement. Et les services funéraires sont beaucoup plus chers. Si nous n’avons pas de ressources pour résoudre un problème, alors il nous faut faire appel aux institutions, et tenter de se frayer un chemin.

C’est une situation sociale très complexe. C’est pourquoi nous mettons sur pied un fonds exclusif pour l’attention sociale. Par ailleurs, une camarade de la coopérative fait des études d’infirmière. Ce sera bien d’avoir une personne qualifiée dans le domaine de la santé.

Felipe Vanegaz Quintero : Ici, les gens savent qu’en cas de problème, ils peuvent compter sur Colimir. Si quelqu’un a une urgence médicale, la coopérative ne le laissera pas tomber.

De plus, notre école est toujours ouverte, ce qui est essentiel pour les familles. C’est pourquoi le prix de la terre est en train d’augmenter. Les gens savent qu’ils peuvent compter sur nous. En fait, nous sommes une espèce d’État dans l’État, un espace de double pouvoir, si l’on veut.

Ernesto Cruz : En tant qu’EPS, nous sommes régis par la Loi sur l’Économie communale, qui stipule qu’une entreprise de propriété sociale doit destiner de 6% à 10% de ses bénéfices à l’attention sociale.

Actuellement, les recettes de l’EPS ne couvrent pas toujours les nécessités de base de l’entreprise elle-même. Mais nous répondons à la communauté de différentes manières, de la distribution de chocolat dans les écoles à l’aide pour transporter quelqu’un à un centre médical. Quand il y a un excédent, il va tout d’abord à un fonds pour des besoins tels que la remise en état du centre médical ou de l’école, ou pour lancer un autre projet productif dans la commune.

Zulay Montilla : L’EPS soutien aussi le comité de santé de la commune. Par exemple, si quelqu’un a besoin de médicaments, nous pouvons l’aider à les trouver. Et en cas de d’urgence médicale, nous donnons à la famille 10, 20 ou 30 litres d’essence pour qu’elle puisse se rendre à l’hôpital. C’est une aide d’autant plus précieuse vu la pénurie de carburant. Nous aidons aussi au transport personnel médical de Mesa Julia.

En ces temps difficiles, les besoins dans la commune sont nombreux. Nous mentirions si nous disions que nous pouvons répondre à toutes les demandes. Toutefois, nous faisons tout ce que nous pouvons.

Ernesto Cruz : Le transport est un autre domaine où apportons beaucoup à la communauté. Pendant les années les plus dures, en 2018 et 2019, le transport public était paralysé à Mesa Julia, ce qui s’est transformé en un problème collectif de taille pour cette région rurale. De nombreux habitants se sont retrouvés sans transport pour faire leurs achats ou aller chez le médecin ou à l’école. C’est alors que nous avons commencé à assurer le transport : Colimir et l’EPS ont mis leurs camions au service de la commune —la priorité allait aux maîtresses et aux écoliers.

Mais nos camions ne sont pas adaptés au transport de personnes. À l’époque, un camarade nous a commenté qu’il y avait un autobus arrêté depuis dix ans sur le parking de la mairie. Nous avons donc demandé que ce véhicule soit transféré à la commune. Nous sommes arrivés à un accord, mais le processus administratif pour permettre le transfert était trop long. Finalement, Felipe [Vanegas] a proposé que nous récupérions collectivement ce bus pour la commune, ce que nous avons fait.

Une fois le problème du bus résolu, nous avons ouvert un service de transport sur toute la commune. L’autobus est maintenant un bien communal, géré depuis le parlement de la commune. Les itinéraires, horaire et tarifs sont définis de manière collective et les recettes alimentent un fonds pour l’entretien du véhicule.

Une école pour la nouvelle société

Les hommes et les femmes de la Commune Che Guevara estiment que l’éducation, politique et technique, est la clé aussi bien du succès du projet local que de la transition vers le socialisme au Venezuela.

Neftalí Vanegaz : L’éducation a beaucoup d’importance pour nous. Un projet ne peut aller de l’avant, en termes politiques, sans une école; et la production ne va pas augmenter sans la formation technique. C’est pourquoi nous estimons que l’éducation est un des piliers fondamentaux de la coopérative.

Avec Chávez, nous avons fait du chemin au niveau de la formation politique, mais ce n’est pas suffisant. Les gens ici sont jeunes. Ils ont besoin d’apprendre sur le monde dans lequel nous vivons. Cet apprentissage ne va pas tomber du ciel. En outre, notre pays a sous-estimé la formation technique pendant des années. Nous en payons le prix aujourd’hui. Aussi encourageons-nous la formation aussi bien politique que technique.

Luis Miguel Guerrero : Quand la situation s’est aggravée, nous nous sommes rendu compte que l’éducation était encore plus importante. Il a fallu comprendre comment nous en étions arrivés là, quelles étaient nos forces et nos faiblesses, et il fallait trouver des solutions aux gaves problèmes que nous affrontions.

Nous avons aussi constaté combien il était urgent de penser à la situation des enfants de la communauté. Déjà avant la pandémie, l’école n’ouvrait pas régulièrement, et beaucoup d’écoliers avaient abandonné la scolarité. Nous avons donc cherché des solutions pour que nos enfants soient instruits en grandissant.

Felipe Vanegaz Quintero : Nous avons besoin de cadres avec une préparation politique et technique, parce que nous ne voulons pas rester coincés dans le passé. Il faut améliorer la production, pour que les gens aient une vie meilleure. Mais cela exige des processus d’industrialisation, et donc des cadres préparés.

Chávez a envoyé des milliers de personnes à Cuba, où ils ont reçu une formation politique. C’était merveilleux, mais maintenant ces gens veulent être maires, députés ou ministres. Ils ont appris la politique, mais pas la production.

C’est une des raisons pour lesquelles de nombreuses entreprises d’État ont échoué. Ce n’est pas que les industries d’État ou la production socialisée soit condamnée à l’échec. Non. Le vrai problème, c’est que ceux qui gèrent ces entreprises ne comprennent rien aux processus industriels, ni aux chaînes d’approvisionnement. Et ils ignorent tout de la comptabilité.

De plus, les petits producteurs comme nous avons aussi besoin de formation. Au fil des ans, nous n’avons appris qu’à gérer la pauvreté pour ne pas mourir de faim. Maintenant, nous devons surmonter la pauvreté et construire une société meilleure.

UNE ÉCOLE COMMUNALE POUR GARÇONS ET FILLES

Yeini Urdaneta : Déjà avant la pandémie, les salaires des instituteurs étaient si bas qu’ils ne pouvaient venir régulièrement à l’école. Après avoir constaté le problème, nous avons conçu un plan pour soutenir les maîtresses de l’école de Río Bonito Alto, où se trouve Colimir.

Le plan était le suivant : Colimir a conclu un accord de 10 ans avec le Conseil communal pour louer un terrain communal. Les loyers alimentent un fonds destiné à l’assistance sociale à la communauté.

Sur le terrain en question, nous produisons du café qui sert de supplément aux salaires des enseignantes. Avant la pandémie, nous leur versions 7 kilos de café par mois, ce qui était beaucoup plus que leur salaire mensuel d’enseignantes. Donc, la coopérative consacrait chaque mois 21 kilos de café pour que l’école reste ouverte. Le système a bien fonctionné jusqu’au début du confinement.

Malheureusement, avec la période d’intense confinement, l’école n’a pas fonctionné pleinement. En plus, nous avons constaté avec inquiétude que les enfants de la région ne savaient ni lire ni écrire. C’est alors que nous avons décidé d’ouvrir une petite école pour offrir un complément à l’enseignement formel.

Nous avons pu compter sur la collaboration du Conseil communal, qui disposait d’un modeste immeuble désaffecté, anciennement un Mercal. Colimir a trouvé des fonds pour réparer le toit et les toilettes, repeindre à l’intérieur et à l’extérieur, fabriquer des chaises et des tables, etc. Nous avons réparé la structure pendant plusieurs périodes de travail volontaire. La petite école fonctionne depuis fin octobre.

Trois productrices associées de Colimir assurent le travail pédagogique. La maîtresse principale est éducatrice de formation, tandis que ses deux camarades —une étudiante en infirmerie et une autre en administration— offrent leur soutien.

C’est un merveilleux projet, mais qui implique de grandes responsabilités pour Colimir.

Luis Miguel Guerrero : La réhabilitation de l’ancien Mercal où fonctionne la petite école exigeait beaucoup de travail, du toit aux toilettes, en passant par la fabrication de chaises et de tables pour les enfants. Maintenant, l’école est un chouette petit espace bien conditionné pour l’apprentissage : l’intérieur est peint de couleurs vives, avec des chiffres et des lettres sur les murs, et nous avons fabriqué un joli mobilier pour les enfants.

Nous sommes en train d’aménager une nouvelle classe pour les plus petits.

Tout ce travail est volontaire et collectif. Certains nettoient, d’autres peignent, tandis que d’autres encore préparent à manger pour que tous puissent continuer de travailler. Même les plus grands enfants nous ont aidés!

Nous préparons aussi un plan éducatif pour joindre l’apprentissage en classe à des activités pratiques. Nous allons en discuter avec le Conseil communal et les maîtresses de l’école formelle, pour plus de cohérence entre les deux projets éducatifs.

Yeini Urdaneta : Nous sommes en train de mettre au point un plan d’étude avec les conseils de camarades du MST [Mouvement des Sans Terre du Brésil]. Le MST a ouvert des écoles dans ses implantations et applique une méthodologie compatible avec la réalité locale. Dans ses écoles, les garçons et les filles apprennent à lire et à écrire, à faire des additions et soustractions, mais ils apprennent aussi sur l’agriculture, l’art, la musique, etc. La mystique [méthode du MST pour renforcer les liens groupaux] y est très importante.

Comme notre communauté est rurale, nos garçons et filles apprennent la biologie en classe et la culture du café dans les champs. Autrement dit, leur enseignement à l’école porte sur leur propre réalité.

Notre objectif vise un processus éducatif intégral. Nous ne voulons pas que les écoliers se forment uniquement en vue du marché du travail. Au contraire, nous aspirons à ce qu’ils deviennent des jeunes capables d’interpréter leur réalité de manière critique. Nous avons besoins de personnes préparées à travailler la terre, avec des capacités techniques, mais aussi une vision d’ensemble.

Arianny Tomas : Avec la pandémie, l’enseignement à distance est devenu la norme, mais cette méthode ne fonctionne pas dans les zones rurales. Les gens ici n’ont ni l’équipement ni la connexion internet pour des cours en ligne.

C’est pour cela qu’à un moment, nous avons tiré le signal d’alarme : certains enfants ne savaient pas lire, ni effectuer la plus simple des additions. Dans les derniers mois, lorsque l’enseignement à distance est devenu semi-présentiel, les maîtresses venaient à l’école au mieux deux ou trois jours sur deux semaines. Ce n’était pas suffisant. Notre petite école est donc là pour renforcer ce que les enfants apprennent dans l’enseignement officiel.

À la petite école, le plan d’études intègre le volet académique à la mystique et aux activités pratiques. Pour développer notre proposition, nous avons le soutien des camarades du MST.

Pour l’instant, la petite école enseigne jusqu’à la sixième année. En toute premier lieu, chaque garçon et chaque fille passe un test diagnostique sur sa capacité de lecture et d’écriture. À partir de là, nous mettons en œuvre un plan adapté au niveau et aux besoins de chaque enfant.

UNE ÉCOLE SOCIO-POLITIQUE ET TECHNIQUE POUR ADULTES

Felipe Vanegaz Quintero : Nous avons conçu l’École José Carlos Mariátegui avec l’aide de camarades de Patria Grande [Argentine]. Ils sont arrivés au Venezuela il y a environ cinq ans pour animer des ateliers dans tout le pays.

Ici, à Mesa Julia, ils ont organisé un atelier de 15 jours pour la commune. L’idée de créer notre propre école de formation est née de cette expérience. Au début, nous organisions trois ou quatre ateliers par an, mais les choses se sont peu à peu accélérées. Maintenant, nous avons des sessions pour producteurs associés tous les 20 jours. Les thèmes abordés vont de la formation politique à la production de café.

L’école organise aussi des ateliers pour la communauté dans son ensemble, ainsi que pour l’Union Communarde.

Ainsi, il y a un mois, nous avons tenu un atelier pour 50 jeunes de la JPSUV. Le parti a fourni la nourriture et nous nous sommes chargés des ateliers. Ces expériences sont positives, parce qu’elles permettent d’approcher des jeunes provenant de différents contextes.

La formation est un des piliers de notre projet.

Luis Miguel Guerrero : Moi j’ai étudié dans une école agro-technique, puis je suis venu à Colimir en tant que stagiaire. Je suis venu ici parce que j’avais une affinité avec l’orientation sociale du projet. C’est ici, entre le travail collectif et les débats dans les assemblées, que j’ai commencé à me former politiquement.

L’École Mariátegui est également importante pour moi. Colimir dispose d’un auditoire et de deux dortoirs pour loger de gens de l’extérieur, des camarades de diverses organisations, de provenances diverses. C’est un bon espace pour l’étude et le débat. Et puis, c’est vrai, les ateliers nous aident à mieux comprendre le monde au-delà de Mesa Julia.

À l’École, des ateliers sont organisés sur l’histoire, l’économie, l’importance de la coopération, etc. Le dernier atelier, c’était avec les jeunes de la JPSUV. En examinant leur profil, nous avons conçu un atelier d’introduction sur l’histoire du Venezuela, sur Bolívar et la lutte pour l’émancipation. Notre objectif était de donner une perspective historique à nos luttes d’aujourd’hui.

Arianny Tomas : L’École Mariátegui impartit aussi une formation technique. Nous organisons des ateliers pour les producteurs associés sur les différents aspects techniques de la production. Il y a par exemple des cours sur le soin à apporter aux plantules de café, ou sur les alternatives aux pesticides industriels, ou sur les circuits électriques.

De plus, la formation politique que nous recevons ici ne se limite pas à l’aspect formel. Les lundis de travail collectif font aussi partie de la formation politique. nous apprenons les uns des autres, tout en menant des débats pour surmonter nos contradictions.

Faire vivre le projet révolutionnaire de Chávez

Engagée envers l’héritage socialiste de Chávez, la Commune Che Guevara œuvre pour la réorganisation de la société vénézuélienne dans son ensemble. C’est pourquoi la commune est une pièce maîtresse dans l’organisation de l’Union Communarde.

Felipe Vanegaz Quintero : Nous faisons partie de l’Union Communarde, un espace où se rejoignent des initiatives communardes de tout le pays, pour former un mouvement national engagé envers le socialisme et la vie communale.

Toutefois, l’Union Communarde est encore en phase de construction et il y a diversité d’interprétations au sein du mouvement. Certains ont une vision romantique et rêvent sous les étoiles à la construction d’une puissante union. D’autres ont une conception plus pragmatique du projet. En résumé, l’Union Communarde englobe aujourd’hui des expériences diverses, des besoins variés et des points de vue différents… mais c’est aussi une de ses forces. Pour nous, l’Union Communarde est un projet très important.

Ernesto Cruz : Chávez disait que la commune était la manière de surmonter le capitalisme. Toutefois, il semble qu’aujourd’hui, l’État a perdu de vue le projet communal. Et c’est un problème réel, mais nous devons aussi faire preuve d’autocritique. Nous qui appartenons au Processus Bolivarien, nous pensions que la révolution aurait toujours les ressources pétrolières à sa disposition. Ce fut un mauvais calcul, et maintenant, nous en subissons les conséquences.

Cela ne veut pas dire que Chávez avait tort avec sa proposition communale. Bien au contraire : nous devons générer les conditions pour nous développer et nous diversifier. Et l’expérience prouve que la commune est vraiment le meilleur moyen d’y parvenir. Bien sûr, tout comme les entreprises capitalistes reçoivent le soutien des banques et des institutions publiques, les initiatives communales ont besoin de soutien pour prospérer. Quant à nous, nous devons nous centrer sur la formation technique et la planification stratégique.

Quand nous pensons au rôle de la commune dans la construction d’une nouvelle hégémonie, il faut être capable de rester debout. L’EPS produit du chocolat et Colimir produit du café. Tout cela aide les gens à ne pas se démoraliser.

D’en bas, nous devons promouvoir notre projet communal avec notre exemple, mais le gouvernement doit lui aussi soutenir les initiatives communales et encourager la voie communale vers le socialisme comme une option viable. Les communes ne sont pas des initiatives marginales, ce sont des initiatives avec le potentiel de transformer la société!

Felipe Vanegaz Quintero : Nous suivons une double stratégie : industrialiser la production de café et promouvoir le projet révolutionnaire de Chávez dans la région de Mesa Julia et au-delà. Autrement dit, nous voulons industrialiser et socialiser la production. Il ne s’agit pas uniquement de distribuer la richesse, mais aussi de la produire. La pauvreté est déjà assez distribuée dans le monde, ce n’est pas elle que nous voulons promouvoir.

Source : https://observatorio.gob.ve/ – article : tercos y creativos, la Comuna Che Guevara

Traduction : Gil Lahout

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/02/21/entetee-creatrice-la-commune-populaire-che-guevara-au-venezuela/

Au Venezuela les communard(e)s d’El Maizal construisent un « nouveau modèle de pouvoir »

Depuis le début du mois d’octobre le réalisateur et formateur Victor Hugo Rivera de Terra TV et de l’école populaire et latino-américaine de cinéma (photos ci-dessus) travaille avec les communard(e)s de El Maizal pour renforcer leurs moyens de communication. Cette commune revêt une importance stratégique car elle couvre la plus grande extension de terres communardes du Venezuela et sert de tremplin d’autres expériences communardes dans tout le pays.

Dans cette école intégrale nourrie de plus de dix ans d’expérience, où se croisent des communard(e)s de tout le pays, notre école audio-visuelle va s’établir en 2022 pour former et produire de manière permanente. C’est dans la lutte de ce mouvement social communard que se trouvent les bases d’une « communication communarde » : fédération participative de voix, de regards, surgissant des multiples territoires de vie et de travail. Ce chantier formatif devient de plus en plus urgent vu le retard pris par une gauche qui a cru naïvement qu’il suffisait d’imiter les techniques du capitalisme pour affronter celui-ci.

Vous pouvez renforcer les activités de cette école permanente d’El Maizal et des autres ateliers ouverts dans des communes au Venezuela, en nous faisant un don :

Compte Crédit Mutuel 00020487902

Titulaire: LABORATOIRE INTERNATIONAL POUR L’HABITAT POPULAIRE DURABLE, 25 RUE JEAN JAURES, 93200 ST DENIS

Code IBAN: FR76 1027 8061 4100 0204 8790 256

Code BIC: CMCIFR2A

SVP ne mentionner que : « Soutien Terra TV »

D’avance nous vous en remercions.

Comprendre la commune d’El Maizal (par Michele de Mello)

« La commune ou rien ! » insistait Hugo Chávez pour qui la révolution bolivarienne passait par l’essor des organisations communardes. Depuis 12 ans, dans l’ouest du pays, entre les États de Lara et de Portuguesa, près de 4500 familles vivent et produisent des aliments sains de manière totalement collective. Cette commune rurale est le résultat d’une occupation des terres par les paysan(ne)s en 2009, qui a permis de les consacrer à la réforme agraire.

« Chávez a jeté les bases d’une nouvelle géométrie d’un pouvoir citoyen que les institutions empêchaient historiquement en le rejetant dans l’illégalité. Pour nous la parole de Chavez avait force de loi, c’est pourquoi ici nous avons mis en place ce modèle de commune. Notre communauté de travail, loin d’être séparée par des visions différentes, se rassemble autour d’un combat, d’un projet » explique le leader communard Angel Prado.

A raison de six heures de travail par jour, 180 communard(e)s sont responsables de l’entretien de 14 entreprises de production sociale. Outre le maïs, le café, les légumineuses et les légumes, les agriculteur(trice)s transforment également la farine de maïs et produisent du lait, du fromage et de la viande avec des bovins et des porcs. « Notre histoire est liée à l’agriculture. Nos premières graines nous ont été données par le président Chávez lors d’une visite. Nous avons planté 150 hectares de haricots, puis il est revenu ici pour voir comment se passait la production. De cette culture est née l’entreprise Ezequiel Zamora, qui vise la mécanisation agricole. C’est cette entreprise qui, depuis 2010, nous a donné le plus gros excédent et nous a permis de nous développer en interne, ainsi que de servir socialement les communautés qui se trouvent dans la commune » se souvient Jennifer Lamus, travailleuse communarde.

Cette année, la commune d’El Maizal a cultivé 300 hectares de maïs, mais dans tout le pays, on compte déjà environ 1100 hectares de maïs cultivé avec des semences autochtones produites par la commune avec le soutien des militant(e)s brésilien(ne)s de la Brigade internationaliste Apolônio de Carvalho du Mouvement des Travailleurs ruraux Sans Terre (MST).

L’objectif principal est de devenir un territoire autosuffisant, tant sur le plan alimentaire qu’économique. La commune d’El Maizal a été le coup d’envoi de l’émergence de 11 autres communes dans la région centrale du Venezuela. La proposition de Chavez était que les domaines communaux unifient l’organisation à partir de la base pour construire une nouvelle « hégémonie territoriale ».

« Tout le travail que nous avons fait les premières années nous a renforcés. Lorsque l’économie a commencé à souffrir des assauts du blocus occidental, la commune d’El Maizal est restée solide. Nos ressources ont contribué à maintenir la volonté de nous battre et surtout à ce que personne ne soit démobilisé ou démoralisé », affirme Ángel Prado. « Ici dans les zones rurales il y a une autre réalité et ici nous savons que les choses ne vont pas bien, mais chaque jour les camarades font de leur mieux pour que la réalité de ceux et celles qui vivent dans la commune soit différente » précise Jennifer Lamus.

En raison de sa capacité de production, Maizal aide également les petits producteurs de la région en distribuant des crédits en échange d’une production alimentaire.  « Nous demandons un financement plus important et nous accordons ce crédit aux producteurs qui, par la voie normale de l’État, ne peuvent pas l’obtenir. Nous faisons également des échanges de produits. Souvent, les producteurs n’ont pas l’argent nécessaire pour acheter 1 kg de fromage. Ils peuvent donc nous apporter 1 kg de grains de café, en échange du fromage » explique Jennifer Lamus. 

Le travail volontaire dans les équipes d’entraide mutuelle est également une alternative pour les habitant(e), pas de manière « assistentialiste » mais comme une forme d’exemple ». « Il arrive qu’une unité de production soit en retard dans son travail, alors nous faisons appel à tout le monde pour mener cette tâche à bien et suivre le rythme des autres unités de production. Et cela ne vaut pas seulement pour la commune. S’il est nécessaire de nettoyer une école, une rue, de peindre un terrain ou d’effectuer toute autre activité dans la communauté, nous nous rendons sur place pour effectuer ce travail » raconte Jennifer.

Le territoire de la commune de El Maizal se soucie de l’aspect productif autant que de l’aspect social. Les communard(e)s ont fondé une école de formation idéologique et technique, où ils proposent des cours avec le soutien de militants d’autres mouvements populaires nationaux et internationaux. Ils ont également inauguré une école d’enseignement primaire pour les enfants des agriculteurs, en adoptant la méthode de Paulo Freire.

« La pratique et la théorie vont de pair. Sans éléments historiques de la lutte, sans théorie, les gens n’auraient pas de clarté sur les objectifs de l’horizon », dit le communard Wildenys Matos.

Comme elle produit environ 2 000 tonnes de maïs par an, la commune El Maizal cherche à établir une relation directe avec l’État pour fournir de la farine de maïs pour les paniers alimentaires distribués par les comités locaux d’approvisionnement et de production (CLAP). « Le travail de  la commune démontre qu’il existe une façon différente de faire les choses. D’abord que nous pouvons être autosuffisants en produisant. Nous pouvons substituer le modèle pétro-rentier par un modèle productif et durable, grâce à l’économie collective communale », affirme Matos.

Selon les données officielles, il y a 3567 communes enregistrées dans tout le pays. Les militant(e)s de El Maizal promeuvent l’Union Communarde comme mouvement national appuyant la construction d’un état communal au Venezuela. « Nous consacrons nos vies à ce projet. La commune est notre mode de vie. Comme la guerre d’indépendance, pour défendre notre Patrie », explique M. Prado.

Pour continuer à progresser dans le contrôle du territoire, les communard(e)s se sont présenté(e)s aux élections régionales du 21 novembre avec la candidature d’Angel Prado au poste de maire de la municipalité de Simón Planas. Il a été élu sous la bannière du chavisme avec d’autres membres de l’organisation, devenu(e)s conseiller(e)s municipales. « Nous, organisations populaires, nous devons nous approprier ces espaces non pas pour renforcer l’État, mais pour commencer à le démanteler de l’intérieur, afin que la commune avance sur le territoire. La commune ou rien. Pas une commune rhétorique mais une commune pour faire avancer les choses, pour que le pouvoir du peuple soit le pouvoir de décider, de planifier, de prendre des décisions et de continuer à lutter, à avancer » dit Wildenys Matos. L’une des propositions du nouveau maire Angel Prado est d’établir des contrats et des appels d’offres de la municipalité avec les communes de la région, ainsi que d’accroître le contrôle communautaire sur les services de base tels que la distribution de gaz et de carburant. « Notre horizon stratégique est le socialisme et nous voulons poursuivre le projet national Simón Bolívar. La commune comme modèle politique a montré qu’elle peut travailler, produire, influencer l’économie du pays, industrialiser son alimentation, peut se battre sur n’importe quel champ de bataille, gouverner et assumer des responsabilités politiques » conclut Ángel Prado.

Source : https://www.brasildefato.com.br/2021/11/10/na-comuna-el-maizal-4-5-mil-familias-constroem-projeto-socialista-para-venezuela

Traduction : Thierry Deronne

Photos : Terra TV

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/12/05/au-venezuela-les-communardes-del-maizal-construisent-un-nouveau-modele-de-pouvoir/

Luis José Marcano : « nous devons faire plus pour montrer l’efficacité des communes populaires »

En 2017 le journaliste Luis José Marcano (photo) fit le meilleur score électoral parmi les candidat(e)s chavistes aux municipales. Il consacra son mandat à faire de la ville de Barcelona (dans la région orientale du Venezuela) une avant-garde de l’État communal, avec pour moteur central le pouvoir citoyen. Il s’est entouré pour cette tâche d’une équipe à majorité féminine, afin que la commune populaire soit aussi un outil de la lutte contre le patriarcat. Élu député en décembre 2020, Marcano a été nommé Protecteur de l’état oriental d’Anzoategui, et Président de la Commission Permanente pour le Développement des Communes au sein de l’Assemblée Nationale. Notre équipe de journalistes (Mercedes Chacín, Gustavo Mérida, Nailet Rojas, Jesús Arteaga, Luis Zárraga, José Roberto Duque, Matías Aberg Cobo) l’a interviewé au moment où la Loi Organique des Cités Communales est soumise à la consultation publique : un débat qui ne se confine pas à l’enceinte de l’Assemblée Nationale mais s’étend aux quartiers urbains, villages, organisations sociales, culturelles et politiques de tout le Venezuela.

Ciudad Caracas – Trop souvent les fonctionnaires qui se font élire, au lieu de transférer le pouvoir au peuple organisé, s’entichent et s’accrochent à leur pouvoir personnel et freinent l’élan d’organisation du peuple. Comment combattre cet obstacle ?

Luis José Marcano – Cela se produit lorsqu’il n’y a pas assez de force idéologique pour comprendre que l’objectif de la révolution bolivarienne est de transformer cette structure, de la dépasser et d’en construire une nouvelle. Dans ce cas, la tendance naturelle est de se replier sur soi, de se désengager. Je pense que cette vulnérabilité nous a empêchés de faire davantage de progrès. Chávez se définissait comme subversif. Il était le chef de l’État mais il se considérait comme le premier subversif, celui qui était appelé à renverser l’ordre établi pour construire le nouveau. Dans des cas comme ceux que vous mentionnez, il y a un manque de formation ou d’engagement envers l’objectif stratégique de surmonter certaines instances, de les démolir pour en établir de nouvelles. Comment surmonter et corriger cette faiblesse ? En principe, en approfondissant la formation des cadres afin qu’ils arrivent dans ces instances avec les qualités nécessaires pour remplir les objectifs stratégiques. Même si l’on considère la question d’un point de vue pragmatique, il est évident que si vous êtes maire ou gouverneur, et que vous avez autour de vous une organisation populaire qui a pour valeur centrale la volonté de faire des choses importantes pour l’intérêt collectif, cela va vous aider à travailler en tant que maire ou gouverneur.

– Pouvez-vous nous parler d’un cas concret où une communauté de la ville de Barcelona a compris et assumé cette tâche, en administrant les pouvoirs qui lui ont été transférés par la mairie ?

– Il y a un secteur, une zone populaire, celle des Tronconales (Tronconal, divisé en secteurs 1, 2, 3, 4, 5 et 6). Ce sont des secteurs populaires, disons comme le vaste quartier populaire du « 23 de Enero » à Caracas. Dans ces secteurs, la collecte des déchets a toujours été un problème crucial. Dans Tronconal 1 et 2, il existe une commune appelée « Luisa Cáceres de Arismendi ». Elle fait partie des neuf communes populaires, participatives, qui ont pris en charge la collecte des déchets, une responsabilité qui incombait auparavant à la mairie. Quand vous entrez dans Los Tronconales, même si vous ne connaissez pas cette communauté, vous vous rendez compte quand vous êtes dans le secteur 2 et que vous passez au secteur 3 : la commune a transformé le territoire en prenant en charge la collecte des déchets, et vous pouvez le voir, c’est très visible. En outre, nous parlons d’une commune dont la population est d’environ 40 000 habitants. Une population plus importante que celle de nombreuses municipalités du pays. C’est un exemple clair de volonté, d’engagement, d’efficacité.

-Et concrètement, en dehors du pouvoir et de l’autorité, quels éléments matériels la mairie a-t-elle transférés à la commune dans ce cas et dans d’autres ?

-Le processus s’est déroulé comme suit. Par mandat constitutionnel, la collecte des déchets correspond au bureau du maire. En 2019, nous avons organisé un référendum (le 28 juillet, jour de l’anniversaire de Chávez, soit dit en passant), afin que la communauté puisse dire si elle approuvait le transfert de ce pouvoir de la mairie à la commune. Il s’agissait d’un processus organisé par l’organisation populaire, les commissions électorales des conseils communaux, accompagnées par les techniciens du Conseil National Électoral (CNE), et le « Oui » l’a emporté. Ensuite, il y a eu le processus juridique du transfert lui-même, et en même temps l’octroi des conditions matérielles, fondamentalement la livraison d’un camion compacteur de déchets. A partir de ce moment-là, la responsabilité de la collecte, de la perception du service, correspond déjà à la commune.

-Nous savons qu’il existe des collectivités qui paient les services publics avec des déchets. En quoi consiste ce mécanisme ?

-Il existe une société appelée Recibar, qui achète du plastique, des déchets plastiques, aux organisations citoyennes, et grâce à ces ressources, plusieurs communautés ont reçu et continuent de recevoir des avantages. Dans cette phase de transition, ces accords sont nécessaires, et ils fonctionnent. Le bureau du maire, par exemple, a réaménagé et meublé plusieurs arrêts de transport public avec un matériau fabriqué à partir de plastique recyclé. « Bois plastique », comme on l’appelle. Cela a rendu la question du recyclage visible. Aujourd’hui, de nombreuses personnes peuvent voir et toucher des objets utiles fabriqués à partir de ce qu’elles appellent des « déchets ».

Comment l’entretien de ces camions et compacteurs est-il résolu ? Combien de communes ont atteint l’autogestion ?

-L’initiative que j’ai mentionnée est l’une des nombreuses. La mission est la communautarisation des politiques publiques, la collecte en fait partie.

Pour nous, ce sont aussi des écoles qui stimulent l’organisation et la participation des gens. Derrière les personnes qui s’organisent pour gérer un camion, recevoir des quantités de plastique et tout cela, il y a l’exercice de la volonté et la capacité d’action de ces personnes, c’est sur cela que nous parions. Dans le simple fait de déplacer des déchets plastiques d’un endroit à un autre, les gens voient la possibilité de réaliser d’autres choses. Je vois donc cela comme un exercice visant à stimuler l’organisation populaire. Cela dit je vais commenter l’aspect concret : le coût opérationnel de tout cela est élevé. Un de ces appareils peut user quatre à cinq pneus par semaine, et lorsque le caoutchouc ne peut plus supporter de réparations, il peut coûter entre 150 et 200 dollars. Ajoutons le pétrole, le paiement des personnes qui travaillent. Notre pari fondamental est que le paiement du service financer tout. Ainsi, en cette période de transition vers une indépendance totale des municipalités, il est important que ces liens avec des entités comme Recibar existent. C’est une entité de soutien, qui est en mesure de soutenir parce qu’elle a des ateliers, elle a des pièces mécaniques qui servent les compacteurs, qui sont déjà la propriété des municipalités et aussi de la municipalité.

– Nous pouvons penser à un parallèle entre le processus communal et ce qui s’est passé avec d’autres expériences de la Révolution, comme l’expropriation des usines, des terres improductives, etc. Bien entendu, le développement ou le succès ne peut être le même partout et dans tous les cas. Mais la propagande ou le manque d’efficacité de la communication donne l’impression prédominante d’un échec. Il n’est pas vrai que toutes les expériences ont échoué, mais comme on ne nous a jamais montré d’expériences réussies, le commentaire le plus répandu est que toute cette politique était une erreur. En ce qui concerne le pari communard, comment communiquer, comment convaincre ou sensibiliser les gens que c’est la voie à suivre ?

– Je partage cette préoccupation, entre autres parce que je suis aussi un communicateur. Et j’ai également pensé que j’aurais pu faire davantage pour communiquer ces choses de manière efficace. Nous avons réfléchi, maintenant que nous commémorons le bicentenaire de la bataille de Carabobo (qui scella l’indépendance du Venezuela face à l’empire espagnol, NdT), et en profitant du scénario actuel de consultation publique de la loi sur les villes communales, à la manière de relier les deux questions, l’actuelle et l’historique : comment relier l’attitude de notre peuple à la lutte de Carabobo. C’est un lien nécessaire qui doit être montré, la volonté et l’attitude militante que l’on remarque chez tant de personnes aujourd’hui, sans intérêts personnels mais avec le pur désir de construire quelque chose pour que nous puissions tous vivre mieux, et leur relation avec les personnes qui ont participé à ces processus d’émancipation d’il y a 200 ans.

Ma pratique politique a consisté à dire aux gens, surtout aux personnes passives ou défavorables, qu’ils doivent aussi s’organiser. Un jour, dans une communauté dont la majorité est défavorable au chavisme, un homme s’est approché de moi pour me dresser un tableau dramatique de la façon dont nous allons mal, que la commune est inutile, que la commune est inutile, ce genre de choses. Je lui ai répondu : « mais comment pouvez-vous dire que la commune ne sert à rien, si c’est la commune qui s’occupe du ramassage des ordures et qui le fait bien, c’est plus propre qu’avant « . Et l’homme m’a répondu : « la commune ? Ah, eh bien, je ne savais pas que la commune faisait ça« . Cette déficience communicationnelle existe, autour de la commune.

Le président a fait quelques réflexions. Lors d’une activité du Congrès du Bicentenaire, il a répondu à une accusation selon laquelle le gouvernement veut maintenant éliminer les postes de gouverneurs et de maires. « C’est absurde, au contraire nous sommes en train d’appeler à des élections« , tout en précisant : « Ce qui est certain, c’est que les bureaux des maires et des gouverneurs doivent être transformés. Ou ils se dépêchent à le faire ou ils resteront au bord du chemin« . Là, Maduro a clairement indiqué la voie à suivre : la volonté politique de transférer le pouvoir au peuple est cruciale, car c’est la possibilité que l’avancée vers la commune se concrétise. J’apprécie beaucoup que le président Maduro ait lancé cette initiative maintenant, dans ce moment difficile, alors qu’il est logique qu’elle soit attaquée. On attaque la commune précisément parce que c’est l’essence même de notre projet. Je crois que cette décennie est celle de la question communale. Au cours de ces années, son succès sera défini ou sera rejeté. Lors d’une réunion avec la Jeunesse du PSUV (Parti socialiste Unifié du Venezuela, principale formation du chavisme, NdT), je leur ai récemment dit : si la jeunesse ne s’engage pas dans la construction des communes, qui parlera de cette question dans 20 ans ? L’âge moyen du militantisme dans les parlements communaux est élevé.

Le combat de Marcia

Marcia Moreno (photo) est bien plus que « l’épouse de Luis José Marcano« . Engagée dans l’exercice des politiques publiques et dans la promotion et la diffusion des questions de genre et des droits des femmes, à Barcelona et dans ses environs, où des centres communautaires de femmes ont été fondés et continuent de l’être (il y en a déjà plus de dix). Et ce modèle se propage : il y a quelques jours, une autre de ces maisons a été fondée dans l’État de Carabobo. En sa qualité de directrice régionale du ministère de la Femme et de l’Égalité des sexes, elle a encouragé la création de ces centres, qui visent « la formation, la croissance et la protection pour une vie sans violence à l’égard des femmes« , une politique qui comprend un soutien juridique et d’autres aspects pratiques, et pas seulement théoriques ou philosophiques.

Il se trouve que la présence des femmes dans toutes les sphères de l’organisation révolutionnaire du peuple de Barcelona et de toute la municipalité est écrasante ; nous avons assisté à des réunions d’organes communaux avec la présence de douze femmes et d’un seul homme. Dans une interview de l’année dernière, nous avons demandé à Marcia Moreno de commenter quelque chose qui nous a étonnés : la commune doit être anti-patriarcale ou elle ne sera pas dans une région où, traditionnellement, la logique du mâle s’est imposée dans tous les aspects de la vie quotidienne, de la politique, etc.

« La région orientale a la réputation d’être une région machiste« , lui avons-nous dit.

Marcia s’est tue quelques secondes, avec un sourire presque invisible et cette sorte de regard oblique par-dessus ses lunettes, en inclinant lentement la tête sur le côté.

Le regard a dit : « C’est précisément pour cela que nous travaillons, idiot« .

Source : http://ciudadccs.info/2021/04/22/entrevista-luis-jose-marcano-atacan-la-ciudad-comunal-porque-es-la-esencia-de-nuestro-proyecto/

Traduction : Thierry Deronne


URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/05/07/luis-jose-marcano-nous-devons-faire-plus-pour-montrer-lefficacite-des-communes-populaires/

Vivre le Venezuela (IV) : le parlement communal met les gaz.

En janvier 2019, j’assistai à quelques réunions dans la nuit de Caracas. Les communard(e)s d’Altos de Lidice retournaient sous toutes les coutures la « problematica » du gaz. Comment s’organiser pour qu’à chaque famille parviennent les bonbonnes vitales, à temps ? J’ai rendu compte de ces premiers pas ici.

Signe des temps, deux ans plus tard, c’est un parlement communal qui a résolu l’affaire. Un saut dans l’organisation populaire, qui témoigne d’une vitalité de la démocratie participative après vingt et un ans de révolution bolivarienne.

Wilmer Villaroel « Raideth » (à droite), responsable du comité de gaz

Le responsable du comité du gaz, Wilmer Villaroel, surnommé »Raideth », me raconte: « Cette lutte m’a permis d’acquérir une connaissance approfondie du quotidien des habitants de la commune, car dans le comité du gaz, ou le comité de l’eau, etc… au final nous sommes les garants de la satisfaction des besoins de chaque famille. Nous sommes ce lien au sein de la commune et nous formons un parlement communal qui est le parlement exécutif des conseils communaux.

« Nous avons cherché le lien avec chaque institution, entre autres avec le directeur du dépôt de PDVSA (NdT: compagnie publique du pétrole), Mr. Lisandro, et en tant que circuit communal de gaz, nous sommes devenus indépendants entre janvier et février 2021. Qu’avons-nous obtenu avec cela ? Une distribution à 90% à ceux qui ont besoin de gaz. Avant, institutionnellement c’était lourd car la livraison des bonbonnes se faisait tous les 90 jours, il n’y avait pas de moment précis. Nous sommes maintenant clairs sur la structure des coûts ainsi que sur la quantité due à chaque conseil communal, c’est-à-dire sur les besoins de chaque famille.

« Le conseil que je donne aux autres organisations est de centrer les efforts sur la planification. Que dans chaque commune l’équipe en charge du service parvienne à analyser les besoins en gaz de la communauté. L’objectif est d’améliorer l’organisation au sein de la communauté.« 

La caméra de notre télévision/école Terra TV a suivi le processus de discussion et de décision au sein du parlement communal, jusqu’à la solution :

Pendant ce temps Luis Ibarra, menuisier, après une formation payée par la même commune, a créé sa propre machine de sérigraphie sur tissu. Sa première création : les vêtements de sport pour les jeunes de l’école de basket de la Commune Socialiste de Altos de Lidice. Reportage de Terra TV :

Au-delà de la politique classique (personnalités, partis…), peu de médias parlent de ce qui fait depuis 20 ans l’or du chavisme: l’organisation communale, le pouvoir de décider collectivement, le vaste tissu féminin et populaire qui soutient la révolution. Sans doute est-ce pour empêcher les citoyens du monde entier de s’identifier avec celles et ceux du Venezuela qu’on cache la plus grande démocratie participative du monde. Les équipes de TERRA TV vivent sur place et vous la montrent.

En Occident, plus que jamais, l’opinion est façonnée par de grands groupes privés de communication, plus puissants aujourd’hui qu’il y a dix ans. Les logiques de ces «médias» interdisent leur transformation de l’intérieur. Le service public de radio/télévision ou les télévisions associatives sont colonisés par une forme désormais homogénéisée, superficielle, émotionnelle, fragmentaire, éphémère.

Terra TV est une chaîne/école différente, produite par les mouvements sociaux du Venezuela et d’Amérique Latine. Elle travaille aujourd’hui à préparer le jour où l’Humanité aura la force de démocratiser la propriété des médias et de générer enfin une information socialement utile, produite directement par les citoyen.ne.s.

Thierry Deronne, Caracas, le 9 avril 2021

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/04/09/vivre-le-venezuela-iii-le-parlement-communal-met-les-gaz/

Pouvoir citoyen et cités communales au Venezuela

« En tant que membres d’une communauté, nous avons la pratique sur notre territoire de semer et produire des connaissances et de construire un auto-gouvernement émancipateur » : l’étudiante en master, María Angélica Corredor résume l’esprit de la transformation en cours au Venezuela. Sur la base des débats et des propositions qui ont émergé lors du Congrès national des Communes, le président Nicolás Maduro a remis au Parlement en février 2021 deux projets de loi qui répondent à une vieille revendication communard(e), la Loi des cités communales et la Loi du parlement communal : « je demande le soutien de l’Assemblée nationale pour transférer le pouvoir économique et le pouvoir des services publics concrets au peuple communard et aux Conseils communaux. J’ai approuvé l’octroi de 26.283 Petros pour 1000 banques communales et 29.663 Petros pour des projets de filière textile des communes. L’objectif est d’impulser la nouvelle architecture financière du pouvoir citoyen. La commune est le nouvel État » a-t-il précisé.

Pour mieux comprendre cette étape de la révolution bolivarienne, nous publions le point de vue du politologue vénézuélien Franco Vielma (« Analyse en profondeur du pari communard du chavisme ») et celui du mouvement social « Corriente Revolucionaria Bolivar et Zamora » ensuite (« Le pouvoir populaire, les cités communales et la dynamisation du PSUV, tâches stratégiques centrales »).

« Analyse en profondeur du pari communard du chavisme »

Loi du parlement communal, loi des cités communales, ces promesses du chavisme faites au cours de la campagne des élections législatives de décembre 2020 ont été suivies de l’élaboration de ces projets par les équipes communales qui ont participé au Congrès national des Communes et ont produit 698 propositions. De ce total, 406 ont été déposées par les délégué.e.s des communes et des conseils communaux, tandis que 292 provenaient des délégué.e.s des mouvements sociaux. Ce congrès a compté avec la participation de 9.680 communes et conseils communaux, et plus de 70 mouvements sociaux.

Le chavisme et l’apparente incongruité du dollar et des communes

Dans le cadre des réponses urgentes à la guerre économique, le gouvernement bolivarien a assoupli les mécanismes bancaires pour permettre des opérations en dollars pendant que le chavisme de la base faisait un saut dans la construction des Communes : ensemble les deux mouvements paraissent se contredire. Mais sortons d’une narration manichéenne et analysons la réalité nationale.

Fondamentalement, le blocus économique contre le pays a considérablement dégradé la capacité de l’État à arbitrer les facteurs économiques internes et à soutenir l’ensemble du système comme cela avait été la tradition pendant cent ans de rentisme pétrolier. Aujourd’hui, ce modèle « pétro-rentier » de soutien de l’économie est démantelé sous les coups de bélier du blocus des USA et de l’UE. Cette singularité de la situation politique et économique vénézuélienne a fait que la gestion de l’État est aujourd’hui marquée par le pragmatisme, notamment dans le domaine économique, comme jamais en vingt ans de chavisme au pouvoir.

Le chavisme a dû mettre en œuvre et tolérer une série de changements de règles, fondés sur des facteurs et des forces qu’il ne peut contrôler, précisément parce que les capacités économiques de l’État ont été très réduites. Sur ce point, il convient de souligner non seulement le blocus extérieur, mais aussi l’avancée dans l’économie internes de phénomènes tels que la dollarisation partielle des activités commerciales (le secteur privé est majoritaire au Venezuela), ainsi que les flexibilités de la politique économique et les mécanismes de revitalisation de l’appareil interne, au-delà de la gestion de l’État, acceptés par le gouvernement lui-même. Ce que certains considèrent comme des actes de « régression »  sont des actions pragmatiques comme produit des conditions imposées. Pour le chavisme, ces conditions imposent un choix entre s’adapter ou se faire emporter par une hémiplégie économique totale imposée par le blocus occidental.

C’est ici que se situe le lancement de deux projets de loi communale réclamés depuis des années par les mouvements qui ont lutté pour la construction des Communes au Venezuela. Le président Maduro a proclamé que les Communes sont des caractéristiques du « nouvel État » qui doit germer en ancrant le champ politique national dans ce contexte de résistance : « Nous devons nous atteler à la construction des forces de l’avenir, la force morale et nouvelle de la patrie. Les forces communales, les forces populaires, les forces de la classe ouvrière. Rectifiez partout où des erreurs ont été commises« .

Nicolas Maduro a prévu que d’en 2021, l’objectif de construire au moins 200 villes communales – conformément aux principes de la loi proposée soit réalisé. Il a parlé des pôles de développement des villes communales tels que l’élaboration de lois simples de service au peuple ; celui des services publics de proximité, contrôlés par le pouvoir populaire, et le rôle des Communes dans l’activité productive.

La Commune Máximo Viscaya, État de Yaracuy, octobre 2013. Photographies : Verónica Canino

Le Loi sur le parlement communal consiste en une autonomisation politique indispensable au développement de la vie locale, et la revitalisation de la participation des acteurs sociaux comme marque incontestable du chavisme. Quant à la Loi sur les cités communales, elle établira des mécanismes de gestion depuis et pour les communes et créera un habitat pour la gestion des services publics, la production sociale et la circulation des biens et des services.

Dans cette optique, Maduro a fait le pari de payer en Petros les ressources allouées aux communes. Autre particularité énorme : le chavisme aspire à construire des espaces d’autonomie locale, en finançant cette grande aspiration par l’utilisation d’une crypto-monnaie souveraine. Du bitcoin et de son prix spéculatif, nous savons qu’au Danemark il sert à acheter des pizzas ou qu’il permettra bientôt d’acquérir un véhicule Tesla. Le bitcoin est parfois considéré comme un « instrument contre-hégémonique » défavorable à la finance mondiale. Mais sa contribution sera énorme pour le capitalisme.

Que dire alors du « Petro » et de la capacité qu’il pourrait avoir de financer et de favoriser la construction du socialisme sur le territoire, l’autogestion et la démocratie profonde du Venezuela, un pays qui, dans tout l’hémisphère occidental, subit le plus haut niveau de pressions impériales de notre époque ? Le pari est qu’à moyen terme, les communes et les cités communales puissent constituer un habitat pour la gestion politique locale, de manière alternative aux modèles d’organisation politique dominante. En outre, grâce à l’utilisation du Petro et à son intégration dans les opérations quotidiennes, la canalisation des échanges de biens et de services permettrait de revitaliser l’espace économique local.

Avec sa phrase « La commune ou rien ! », le président Chávez avait proposé un modèle d’organisation pour la révolution bolivarienne (photo : Terra TV)

Déjà, au cours des dernières années, les Comités Locaux d’Approvisionnement et de Production (CLAP), les équipes politiques des UBCH, les Conseils Communaux et le tissu politique féminin d’avant-garde dans les communautés ont été essentiels pour faire face aux difficultés et aux besoins de la population. Bien que cette année 2021 va se recentrer sur les élections régionales (gouverneurs, maires) – ce qui pourrait mettre au second plan la construction de forces de gestion alternative, Maduro conçoit celle-ci comme un autre front stratégique à consolider.

Dans ce conflit entre l’ancien État et l’État communal naissant il y aura des trébuchements, des obstacles, à n’en pas douter. Le mouvement dépend plus que jamais de l’expérience accumulée et de l’expérience que le chavisme a développée dans l’organisation depuis le plus profond du pays.

2. Le pouvoir citoyen, les cités communales et la dynamisation du Psuv, tâches stratégiques centrales pour le mouvement social « Corriente Revolucionaria Bolivar et Zamora »

Nous accompagnons et soutenons l’ensemble des initiatives politiques du président Nicolás Maduro dans la mesure où elles comportent des aspects essentiels pour la relance et l’approfondissement de la révolution bolivarienne. La lutte contre la corruption, l’approfondissement de la démocratie révolutionnaire avec la promotion des cités communales et la recherche de « nouvelles méthodes pour que le parti assume un rôle plus critique, dynamique et actif« , constituent trois axes-clés pour avancer dans une ligne stratégique revitalisante et dynamisante de la révolution politique. Examinons-les un par un.

Les cités communales sont une étape importante pour avancer dans l’objectif historique de construction d’une société démocratique et dans la transformation de l’État oligarchique en un État fondé sur le pouvoir populaire, avec des formes multiples et diverses de participation et d’exercice direct du pouvoir. Cependant, nous pensons que la construction de ces cités communales doit partir de certaines bases, de réalités concrètes, pas seulement de rapports ou de statistiques qui souvent ne correspondent pas à la réalité.

Les cités communales ne doivent pas être décrétées, ni imposées par des instances bureaucratiques, ce qui ne signifie pas que l’État et le gouvernement ne doivent pas jouer un rôle central dans leur conformation. Ce que nous voulons dire, c’est qu’il est nécessaire de passer par un processus préalable de promotion et de renforcement des conseils communaux et des communes, piliers sur lesquels reposeront les cités communales. Ceux d’entre nous qui sont impliqués dans le travail de terrain savent qu’à l’exception de certaines expériences référentielles, leurs niveaux d’organisation, de participation et d’autonomisation ne sont pas suffisants pour proposer soudainement des niveaux d’agrégation plus élevés. Il ne suffit pas d’atteindre ces niveaux optimaux pour les adapter et réélire les porte-parole, ce qui est une réponse administrative. Il s’agit de construire et d’exécuter un plan de relance intégrale qui solidifie ces deux premiers niveaux d’organisation pour passer à des niveaux plus complexes d’agrégation du pouvoir communal. Sinon, nous risquons de nous retrouver avec 200 villes communales comme le propose l’objectif, mais sur le papier, appropriées par des cénacles de « porte-parole » imposés dans de nombreux cas dans le seul but de contrôler les ressources à allouer à ces cités communales.

Les cités communales doivent partir d’un diagnostic territorial pour évaluer leur viabilité politique, organisationnelle et géographique. Lorsqu’il y a des conditions pour avancer, il faut le faire, mais dans les territoires où il n’y en a pas, il est nécessaire de proposer des plans visant à créer ces conditions. Il vaut mieux construire des expériences modèles ou référentielles qui peuvent montrer la viabilité de cette forme de montée en puissance citoyenne dans une première phase, plutôt que de les décréter de manière plate et automatique.

Aller vers un Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV) plus critique, dynamique et actif, comme le propose le président, est non seulement juste mais une tâche stratégique afin de mener le processus révolutionnaire vers la mise à jour et la revitalisation nécessaires pour construire la société démocratique, éthique et humaniste fixée comme objectif historique par la révolution bolivarienne, c’est-à-dire une société inclusive de bien-être collectif et égalitaire. Il s’agit d’avancer vers le parti de Chávez, un parti comme instrument de transformations, qui comprend le caractère actuel du conflit, non seulement contre l’impérialisme mais aussi le conflit des sens, des émotions, la bataille éthique, la bataille hégémonique.

Il est urgent de dépasser la logique du parti-courroie de transmission, du clientélisme, de l’assistentialisme, afin que la dualité parti/gouvernement devienne une synergie transformatrice, en instruments puissants pour surmonter la crise que nous subissons. Cela ne se produira que s’il y a un processus profond de renouvellement, de formation de leaderships éthiques et démocratiques, et de création et d’application de mécanismes internes à cet effet.

Si nous progressons dans l’approfondissement du pouvoir populaire, dans le rôle actif du peuple dans notre démocratie, si nous renouvelons le parti pour le rendre plus critique, plus actif dans les tâches véritablement transformatrices (sans cesser d’être un instrument électoral efficace, évidemment), pour le transformer en un parti plus dynamique comme proposé, nous pourrons alors être dans de meilleures conditions pour lutter contre la corruption, contre les déviations éthiques qui font tant de mal au pays et, surtout, pour parvenir à la reprise économique, même si nous pouvons convenir que la cause principale est le blocus commercial et financier, criminel et illégal.

Avec le pouvoir populaire, avec un parti éthique et démocratique, nous aurions deux forces puissantes pour vaincre la corruption, l’agression étrangère et pour revitaliser radicalement la révolution bolivarienne dans le cadre des perspectives de Chávez.

Pour ces raisons, nous pensons, à la CRBZ, que ces initiatives proposées par le président Maduro doivent être appuyées avec enthousiasme et détermination par toutes les forces du chavisme. Nous répondons présent et dirigerons tous nos efforts, notre volonté, le temps et l’énergie de notre militance vers la réalisation de ces tâches stratégiques.

Coordination nationale du Courant Révolutionnaire Bolivar et Zamora

Sources :

1. https://www.misionverdad.com/venezuela/analisis-profundo-de-la-apuesta-comunera-del-chavismo

2. http://www.crbz.org/el-poder-de-la-gente-las-ciudades-comunales-y-la-dinamizacion-del-psuv-tareas-estrategicas-centrales-analisis-de-la-corriente/

Traduction : Julie Jaroszewski / Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/02/20/pouvoir-citoyen-et-cites-communales-au-venezuela/

Venezuela : la nouvelle société émergera de la commune

Conversation avec Angel Prado, militant de base qui parle de la commune comme d’un moyen de transformer la société et l’économie à partir de la base.

El Maizal est une commune rurale phare située entre les États vénézuéliens de Lara et Portuguesa, au centre du pays, qui produit du bétail, du maïs et d’autres denrées alimentaires. La production communale à El Maizal est basée sur le contrôle social des moyens de production. Les processus démocratiques au cœur de ses initiatives comprennent la prise de décision collective dans le processus de travail et dans la distribution des surplus, qui sont souvent destinés à résoudre les problèmes médicaux et de logement de la communauté, à soutenir d’autres communes et à encourager les initiatives éducatives.

La commune a été proposée par Chávez comme l’unité embryonnaire du pouvoir populaire sur le territoire pour la construction du socialisme. Regroupant les conseils communaux et autres organisations, l’idée est que la communauté exerce directement le pouvoir par le biais d’assemblées, et qu’elle assume progressivement des facteurs de production et des compétences politiques.

Q. – Puisque le Venezuela est assiégé par l’impérialisme, il devrait y avoir un front unifié dans la lutte pour la souveraineté. Cependant, la commune d’El Maizal, comme la plupart des organisations de base du chavisme, a une attitude critique envers certaines politiques et positions gouvernementales. Quelle est votre opinion sur la dialectique entre soutien et critique ?

Angel Prado – Quand El Maizal a commencé à occuper des terres en friche et à les rendre collectives, c’était au moment où le Commandant Chavez menait une guerre acharnée contre les grands domaines de l’oligarchie du pays… El Maizal est donc né au milieu d’une lutte économique et politique. Dans ce contexte, nous sommes nécessairement entrés en contradiction avec l’ordre des choses existant : la logique qui prévaut dans notre société. Ainsi, notre histoire même a fait de nous une organisation critique, luttant contre les « antivaleurs » de la société capitaliste qui doivent être détruites. C’est pourquoi nous ne pouvons pas fermer les yeux sur la façon dont une logique contraire au chavisme entre dans certaines sphères politiques.

Depuis la mort de Chavez, qui nous a rendus particulièrement vulnérables face à l’impérialisme américain, le gouvernement s’est surtout efforcé d’établir des alliances tactiques avec de nombreux secteurs, en privilégiant parfois même le capital privé. Il l’a fait pour tenter d’éviter, premièrement, une guerre civile ou une intervention militaire et, deuxièmement, pour éviter la chute du gouvernement.

Nos principes, nos objectifs et notre engagement envers Chavez signifient que nous ne pouvons pas être d’accord avec certaines des politiques du gouvernement. De nombreux pactes privilégiant le secteur privé ont mis de côté le potentiel de la commune – c’est pourquoi nous ne soutenons pas le gouvernement lorsqu’il s’agit de ces politiques. Cependant, tant que le gouvernement restera ferme contre l’impérialisme (comme il le fait), nous resterons fermes dans un front uni avec lui.

Nous continuerons à critiquer [le gouvernement] de manière constructive, mais quoi qu’il en soit, nous ne contribuerons jamais à créer les conditions d’une intervention militaire.

Comme vous le savez, nous ne pouvons exclure une intervention directe, et nous avons déjà été témoins d’une action indirecte des États-Unis au Venezuela. De plus, ce ne serait pas la première fois que les États-Unis interviennent au Venezuela [par exemple, le blocus naval de 1902-1903], et le continent a une longue histoire d’interventions, la plus récente étant l’invasion du Panama [1989]. De plus, ce n’est pas pour rien que les États-Unis ont des bases militaires en Colombie et à Aruba.

L’Amérique latine a connu une longue histoire d’interventions américaines, de renversement de gouvernements et de massacres de populations. Cependant, le Venezuela, qui est maintenant dans la ligne de mire de l’impérialisme américain, a pu se relever. Cela est dû en partie à la solidarité internationale développée au fil du temps, au processus d’intégration continentale de Chavez (sur les traces de Bolivar), et à l’organisation interne de la classe ouvrière.

Pour ceux d’entre nous qui font partie du mouvement populaire – avec notre degré d’autonomie et notre disposition à dire ce qui doit être dit – nous sommes de ceux qui ont créé les conditions pour empêcher une intervention américaine, qui serait catastrophique non seulement pour le peuple vénézuélien, mais pour le continent tout entier.

Revenons un peu en arrière : il y a beaucoup de politiques en cours avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord. Face à ces politiques, nous serons critiques et non soumis. Cependant, nous comprenons que notre engagement inébranlable pour la défense de la Patrie est l’une des clés pour empêcher les États-Unis de nous bombarder et de nous massacrer. En fait, contrairement aux gouvernements d’autres pays producteurs de pétrole qui étaient également aux prises avec l’impérialisme américain, le resserrement des rangs du mouvement populaire vénézuélien avec le gouvernement en ce qui concerne les questions de souveraineté est l’une des raisons pour lesquelles Maduro est encore debout aujourd’hui.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, je pense que nous pouvons dire que la République bolivarienne du Venezuela a jusqu’à présent vaincu le projet impérialiste dans notre pays. Cet exemple continue d’inspirer les peuples d’Amérique latine, qui se dressent aujourd’hui contre l’impérialisme. Cet exemple continue d’inspirer les peuples d’Amérique latine, qui se dressent aujourd’hui contre le système néolibéral auquel ils sont soumis depuis tant d’années.

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Dans la commune d’El Maizal, sous un énorme saman [arbre – NDLT], les visiteurs trouveront une sculpture d’Hugo Chavez. Derrière elle, le drapeau vénézuélien et le drapeau de Zamora, sur lequel on peut lire « Terre libre et hommes libres ».

Lorsque vous serrez les rangs du gouvernement pour défendre le Venezuela, défendez-vous seulement la souveraineté ou défendez-vous aussi la révolution ?

Je dirais que nous faisons les deux. Il y a un processus révolutionnaire en cours au Venezuela, mais il y a aussi un secteur réformiste qui est en conflit avec nous. Ces derniers s’enrichissent des opportunités qui se présentent avec la crise. Cependant, le peuple est conscient de ce problème et le mouvement populaire travaille dur pour maintenir le processus révolutionnaire à flot.

Je suis sûr qu’un jour nous serons assez forts pour combattre non seulement l’impérialisme américain, mais aussi les secteurs qui ont nui au projet révolutionnaire de l’intérieur – ceux qui en profitent personnellement dans le contexte de la crise et de la guerre économique.

La défense de la révolution se fait au jour le jour. La défense de la révolution a lieu dans le bâtiment quotidien de la commune. Elle a lieu lorsqu’un paysan produit pour satisfaire les besoins de sa famille, mais aussi lorsqu’il s’engage dans la société dans son ensemble.

C’est une victoire pour le peuple vénézuélien que nous soyons toujours une nation souveraine, ce qui n’est pas rien. Le peuple vénézuélien défend également la révolution au quotidien. C’est aussi une victoire très importante, et elle devrait être connue du monde entier ! Une partie de la gauche internationale ne le comprend peut-être pas. Nous nous faisons l’écho de Chavez en leur disant : « Il y a des gens qui ont passé toute leur vie à poursuivre un rêve, mais en pratique, ils n’ont jamais rien construit ». Nous avons notre méthode, notre travail et notre projet. Nous défendrons notre projet, et notre victoire finale sera le jour où le  » peuple prendra le pouvoir entre ses mains « .

Depuis El Maizal, comment comprenez-vous la proposition de la commune de Chavez ? S’agit-il d’autonomie locale ou cela va-t-il au-delà ?

La commune est le pari politique du Commandant Chavez. Il l’a placée au centre de la scène… Son slogan « Commune ou rien ! » Le concept de « Comuna o nada ! » est très important.

La commune est le système politique que Chavez a planté, taillé et fertilisé. Il a fait cela pour qu’une nouvelle société s’épanouisse. La commune est la réorganisation de la société dans son ensemble, du petit au grand, afin que le peuple puisse prendre le pouvoir.

Dans la pensée de Chavez, la commune est destinée à en finir avec le pouvoir qui, pendant tant d’années, s’est concentré autour de la bourgeoisie, des classes dominantes et de leur état obsolète – un état qui a tenu les gens humbles à l’écart de la participation non seulement dans la sphère politique, mais aussi dans toutes les autres sphères de la vie.

La commune est une proposition intéressante : elle offre une forme d’autonomie populaire, elle nous donne le pouvoir de définir notre propre destin, de décider de nos propres ressources, de définir notre modèle de production et d’imaginer notre modèle de vie. Je pense que la commune est le moyen le plus viable de surmonter le modèle imposé par le capitalisme, qui a construit une machine d’État pour maintenir le contrôle de nos ressources tout en contrôlant le peuple avec certaines formes de domination culturelle, idéologique et religieuse.

J’oserais dire que la commune n’est pas une proposition uniquement destinée au peuple vénézuélien. C’est une proposition d’émancipation pour les peuples du monde. Les classes populaires, les dépossédés, la majorité – nous devons tous nous organiser à partir du niveau local, en construisant des communes socialistes. À partir de là [le peuple organisé en communes] doit devenir le gouvernement du peuple avec un réel contrôle sur nos ressources naturelles et sur nos ressources économiques en général.

C’est un projet populaire qui vise à changer le modèle politique et économique à partir de la base. À partir de là, les gens doivent faire partie du projet, l’assumer comme leur propre projet et commencer à gouverner d’abord au niveau local. De plus, dans la mesure où nous, le peuple, nous nous organisons, nous pourrons défendre nos pays, et même définir l’avenir de chaque pays. En fin de compte, c’est la seule façon de nous libérer du joug de l’impérialisme, qui domine et nous prend nos ressources, même si ce sont les bourgeois locaux qui nous gouvernent.

La commune est un projet de grande envergure. C’est un projet qui intègre les territoires à l’intérieur d’un pays, avec le peuple comme pierre angulaire. Je pense que les communes peuvent être la base à partir de laquelle on peut construire une véritable intégration continentale. Comme le dirait Chavez, la commune est la nouvelle Patrie. C’est la seule alternative politique face au capitalisme.

Ces derniers mois, El Maizal a donné le coup d’envoi d’une importante initiative éducative. Dans tout projet autonome, l’éducation politique devrait être l’un des piliers. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette proposition ?

Pour notre deuxième décennie à la Commune d’El Maizal, nous avons défini plusieurs objectifs stratégiques. L’un d’entre eux est de construire un système d’éducation populaire qui nous éduquera politiquement, nous préparera techniquement et nous donnera des outils pour travailler à la transformation collective. Nous avons construit une commune et ce n’est pas rien, mais le moment est venu de travailler à une transformation culturelle profonde. Nous devons créer une nouvelle conscience. Nous avons besoin que notre peuple voie les choses avec ses propres critères et définisse son avenir par des processus conscients de débats et de réflexions, ainsi que par l’acquisition de mécanismes de construction collective. Pour ce faire, nous développons notre propre système éducatif.

Nous ne voulons pas d’un peuple qui se contente de répéter des slogans, qui suit aveuglément un acronyme ou un drapeau. Cette année, nous voulons faire de l’éducation politique et de la formation technique un objectif transversal. Cet objectif ne doit pas être limité. Nous pensons à un système qui commence avec nos plus jeunes enfants qui vont étudier ici dans la commune, et nous espérons construire notre propre programme scolaire pour eux. Les adolescents, les étudiants universitaires, les travailleurs – tous doivent être intégrés dans un système qui a en son centre la formation politique critique.

Nous devons cultiver la conscience patriotique et construire la conscience politique. Nous devons également créer une conscience communautaire, et cela se fait par l’exemple – par un travail réel sur le territoire, mais aussi par l’éducation et la formation.

Nous faisons cela dans le but de transformer culturellement notre société, qui est pleine de vices. Elle nous façonne comme des êtres soumis, adaptés à un système de domination conçu par le capitalisme et imposé par la violence.

La préparation des cadres militants est essentielle pour notre commune, mais la formation technique est également très importante pour tous nos processus de production. Nous voulons que notre système éducatif soit holistique.

Nous travaillons à l’organisation d’une nouvelle société, ce qui nécessite une énorme transformation culturelle.

L’année 2019 a marqué le 10e anniversaire de la commune d’El Maizal. Pouvez-vous nous donner un bref aperçu de ce qui a été réalisé jusqu’à présent ?

En dix ans de construction communale ici à la Commune d’El Maizal, nous avons accumulé des expériences et nous avons mené des batailles sur les fronts économiques, politiques, idéologiques, électoraux et organisationnels. Au fil des années, nous avons eu l’occasion de nouer des relations avec de nombreuses personnes à l’intérieur et à l’extérieur de la commune qui ont contribué au projet. En d’autres termes, la commune est une construction collective pour l’émancipation collective.

Sur le front productif, nous avons pu concevoir un système économique grâce auquel nous finançons divers projets et initiatives au sein de notre organisation et de notre communauté. Nous avons pu faire face à la situation économique difficile en produisant, et nous avons élargi notre distribution de produits alimentaires et la redistribution des excédents. Nous avons également réussi à mettre en relation les petits et moyens producteurs – individuels et collectifs – avec le système de production d’El Maizal. Cela a renforcé la commune dans son ensemble.

La réussite économique est la clé de la réussite politique. Nous avons travaillé à la souveraineté et à l’autonomie, en consolidant des projets qui étaient initialement précaires. Nous l’avons fait avec l’aide et l’orientation de beaucoup. Maintenant, nous pensons pouvoir lancer de nouveaux projets dans les domaines de l’éducation et de l’agriculture.

Dans le domaine électoral, nous avons remporté quelques victoires dans de dures batailles contre la droite politique, mais aussi contre notre propre gouvernement et notre propre système politique et électoral. Nous sommes maintenant représentés à l’Assemblée nationale constitutive, au Parlement de l’État et dans les communes de notre territoire. Ces batailles et ces espaces de représentation sont symboliquement importants. Cela inclut les postes de représentation qui nous ont été retirés dans le conflit entre l’État, le parti et le gouvernement, d’une part, et le peuple et le mouvement populaire, d’autre part.

Heureusement, dans le domaine électoral, nous avons pu surmonter un problème commun aux hommes politiques de tous types qui se séparent souvent du peuple. C’est-à-dire que nous continuons à être des gens humbles, certains d’entre nous ayant des responsabilités en tant que représentants élus du peuple… mais surtout, nous sommes des communards.

Sur le plan éthique, je pense que nous avons beaucoup progressé. Aujourd’hui, El Maizal dispose d’un vaste réseau de jeunes intégrés dans les processus productifs, politiques, administratifs et économiques, et nous sommes tous dans un débat permanent, qui remet en question nos valeurs et se concentre sur nos principes collectifs. Aujourd’hui, El Maizal se distingue non seulement par sa capacité productive, mais aussi parce qu’elle est un exemple éthique.

L’honnêteté et la solidarité ouvrière au service de l’organisation et sur le chemin de la construction du socialisme – voilà ce que nous sommes. De nombreuses organisations populaires du pays et du monde entier apprécient cela, et elles reconnaissent qu’El Maizal est une petite expérience intéressante dont il vaut la peine de tirer des enseignements. Nous devons être à la hauteur de cela !

Je pense qu’en dix ans de cheminement communal, nous avons beaucoup progressé. La Commune d’El Maizal est composée de plus de 22 conseils communaux. Notre travail s’étend au-delà de notre territoire, et nous avons entamé un processus de connexion avec d’autres communautés, avec d’autres projets d’organisation. En fait, parmi nos objectifs historiques, l’expansion du projet communal est considérée comme stratégique. Jusqu’à présent, nous avons exprimé notre disposition à nous unir et nous avons fait les premiers pas vers la construction d’une société communale.

Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés pour l’avenir ?

Dans les dix prochaines années, nous travaillerons très dur pour consolider un nouveau système de production, en organisant notre travail de façon démocratique, en nous orientant vers l’industrialisation et en éliminant les intermédiaires, dans le but de déplacer la logique du capital et de ses monopoles, qui vise à contrôler les besoins de base de notre population tout en saccageant les plus humbles.

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Pour dépasser la logique du capital, la seule option est d’unifier fortement les nombreuses organisations populaires et communales du pays (et du monde). Depuis les rangs du vrai chavisme, nous sommes appelés à donner des solutions aux besoins fondamentaux de notre société. Cela devra se faire en parallèle avec la construction de nouvelles organisations de masse, avec un militantisme politique qui devra être à la hauteur des défis auxquels nous sommes confrontés. Il ne s’agit pas seulement de la sphère politique et économique. Nous sommes obligés de construire une grande organisation pour faire comprendre qu’il existe une alternative. C’est aussi un combat idéologique.

La commune d’El Maizal a de grands défis à relever. Au fur et à mesure que nous les affronterons, nous nous développerons. Le processus de construction des communes est aussi un processus d’apprentissage et d’enseignement, et nous savons que des gens du monde entier continueront à nous rendre visite et à nous donner des conseils, tout comme nous espérons visiter d’autres projets et en tirer des enseignements. Partout où la vie nous mènera, nous chercherons à renforcer les projets populaires communaux et collectifs.

Ricardo Vaz

Investig’action / traduit par : Venesol

Le féminisme socialiste et l’Etat communal au Venezuela

Du 18 au 20 octobre 2019 se déroule au Venezuela, en présence d’invités internationaux,  le premier Congrès des Communes, Mouvements Sociaux et du Pouvoir Populaire (photo). L’occasion de revenir avec Blanca Eekhout sur une des caractéristiques sui generis du processus bolivarien: le rôle constant, majoritaire, des femmes dans la construction de la démocratie participative.

Actuellement, Blanca est la ministre du Pouvoir populaire pour les Communes et des mouvements sociaux du Venezuela. Elle s’est lancée dans le militantisme révolutionnaire bien avant l’élection du président Hugo Chávez en 1998. Initiatrice de plusieurs médias participatifs (Catia Tve, Vive TV), plusieurs fois ministre, élue députée, membre de la direction du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), elle a également occupé le poste de ministre du Pouvoir populaire pour les femmes et l’égalité des genres, ce qui fait d’elle une interlocutrice privilégiée pour nous expliquer le rôle des femmes dans les construction des communes (au Venezuela, organisations populaires visant l’autogestion) et, au-delà, comment le projet de l’État communal est lié au socialisme féministe.

Blanca Eekhout, Ministre du Pouvoir Populaire pour les Communes et les Mouvements Sociaux du Venezuela

María Fernanda Barreto – La première chose que je voudrais vous demander est si l’État communal proposé par le commandant Chávez est toujours valable dans les plans et dans la volonté politique du gouvernement?

Blanca Eekhout – Non seulement il reste en vigueur, mais il est essentiel pour construire une patrie aujourd’hui, pour construire un nouvel État. Ce nouvel État, tel qu’il est énoncé dans notre Constitution, doit être l’État communal. Sans lui il n’est pas possible de garantir l’égalité, des droits sociaux effectifs qui ne soient pas le privilège d’une minorité mais ceux de tous. La justice et la protection sociale pour notre peuple, passent aussi par la Commune.

Le président Nicolás Maduro l’a rappelé il y a quelques jours, lors d’une réunion que nous avons eue avec lui. Il nous a dit qu’il est conscient de porter une responsabilité historique envers le commandant Chávez, qui lui a dit lors du dernier conseil des ministres qu’il a dirigé, après la victoire du 7 octobre 2012: « Nicolás, je te confie les Communes comme si je te confiais ma propre vie. » Chávez est vivant dans la construction des Communes.

Cette autre façon de construire l’État se heurte-t-elle à la bureaucratie ?

C’est une autre vision que le commandant Chavez a réitérée et qui rappelle la réflexion de Gramsci : la contradiction entre « ce qui ne finit pas de mourir et ce qui ne finit pas de naître ». Cet ancien État qui vient de l’époque coloniale et de ses provinces, et qui est encore et toujours le lieu de la bataille. Ce vieux modèle est toujours là et dans les scénarios de guerre profite de toute lumière noire pour s’imposer.

Cela signifie-t-il que ce vieil État subsiste ?

C’est pourquoi nous luttons.

Au milieu de ces contradictions et de la lutte historique pour la construction du nouvel État, vous avez dû assumer plusieurs responsabilités au sein du gouvernement, dont celle de ministre du Pouvoir populaire pour les femmes et l’égalité entre les sexes, vous prétendez être féministe ?

Oui, je crois que le féminisme au Venezuela est socialiste et a beaucoup à voir avec la construction de l’État communal.

Quel a été le rôle des femmes dans la construction de l’Etat Communal, quel est son rôle de leader ?

Le féminin est un facteur déterminant dans l’État Communal. Mais les femmes, tant en milieu rural qu’en milieu urbain, sont également décisives. En montant dans les espaces de pouvoir, plus de camarades commencent à apparaître, mais dans la base territoriale ce sont toujours les femmes qui sont à la tête et dirigent, celles qui maintiennent l’organisation, celles qui militent avec plus de force.

Il y a quelques années, j’ai fait des recherches sur la participation des femmes dans les domaines thématiques de discussion dans les Communes et j’ai pu constater qu’elles étaient majoritaires dans tous les domaines, sauf l’Économie et la Défense. Cela a-t-il changé ou l’Economie et la Défense Communale sont-elles encore majoritairement assumées par les hommes ?

Je pense que cela a changé. Dans le cas de la sécurité, la composante féminine que la milice a réalisée est très importante. La vérité est que nous avons encore la tâche de voir la question du genre dans tout le cadre organisationnel populaire, mais je crois que cela a changé, parce que les femmes sont de plus en plus impliquées dans la milice bolivarienne depuis leur territoire.

Sur le plan économique, dans les Comités Locaux d’Approvisionnement et de Production (CLAP) – qui n’ont pas encore suffisamment progressé en termes de production – les femmes occupent 90% de la direction. Et il s’avère que les CLAPs sont maintenant l’un des moteurs fondamentaux de notre économie, de sorte que la question économique a cessé d’être éminemment masculine. La guerre économique, le fouet de la contre-révolution, a contraint les femmes à prendre en charge la garantie de la distribution alimentaire, la planification. Par exemple, les maisons d’alimentation ont maintenant des espaces productifs, où la majorité sont des femmes qui procèdent au recensement, coordonnent avec les responsables de rue et évaluent les résultats.

Nous cherchons actuellement à élaborer un système de recensement des besoins sociaux et des organisations populaires par le biais du « Carnet de la Patrie » et d’une application pour effectuer un recensement de la population de son conseil communal, ce qui nous permettra de recueillir des informations plus précises sur le genre et les questions communales.

Le 25 octobre a été proclamé Journée du socialisme féministe, pour célébrer le jour où Chavez a déclaré que les socialistes devraient être féministes et a appelé les femmes en lutte à adopter le féminisme comme stratégie. Selon lui, le socialisme féministe et l’État communal seraient imbriqués dans la réalité, est-ce bien cela ou est-ce que cette relation est encore en construction ?

Au Venezuela, il ne peut y avoir de véritable socialisme sans la construction de l’État communal, qui est la véritable construction du pouvoir populaire de commander en obéissant au peuple ; et pour nous, le communal a certainement à voir avec la construction du socialisme féministe.

Les femmes ont été les premières à adopter radicalement les propositions d’Hugo Chávez pour le Venezuela. Dans ce cas, ce que je vous ai dit au début, je ne parle pas seulement des femmes, mais en général du « féminin », à cause des caractéristiques de notre Révolution. Face au coup d’État du 11 avril 2002, par exemple, les gens se sont mobilisés d’abord par amour, et je ne dis pas qu’il n’y avait pas une grande conscience politique, mais le motif fondamental du sursaut était l’amour, associé au pôle féminin, qui est présent tant chez les hommes que les femmes. N’oublions pas que dans notre processus d’indépendance, les femmes ont joué un rôle déterminant et Bolívar en était clairement conscient. Le rôle des femmes dans l’ensemble du processus de résistance indigène, dans la formation de la société caribéenne et la contribution des femmes marrones dans les cumbes (communautés d’esclaves libres) a été tout aussi important.

Mais si à cette époque, l’historiographie a rendu invisible le rôle de la femme, son protagonisme est-il visible dans ce nouveau processus historique ?

Regardez, les corps des femmes patriotes sont entrés au Panthéon national pour la première fois avec Hugo Chávez, et ce n’étaient pas seulement des femmes, mais aussi des femmes indigènes, des femmes noires. C’est-à-dire, une revendication de la mémoire des femmes dans l’histoire a commencé. Les femmes ont commencé à jouer un rôle important dans la Force armée nationale bolivarienne (FANB) avec Hugo Chávez, ainsi que dans le pouvoir populaire, non pas parce qu’elles ne l’ont jamais été auparavant, mais parce qu’elles sont maintenant réellement reconnues comme des pionnières.

Et cette participation est-elle féministe ou se limite-t-elle au rôle d’aidant naturel que nous impose le patriarcat ?

La Révolution part du principe que les soins sont une affaire d’État. Cette protection sociale, et tout ce rôle que nous, les femmes, avons assumé pendant des siècles, est vraiment la tâche fondamentale de l’État. Ce qui fut longtemps une sorte de condamnation des femmes, a maintenu le tissu social en vie malgré le capitalisme. Le fait que l’État assume aujourd’hui ce rôle de la protection et partage le soin qui, jusqu’alors, était un rôle solitaire des femmes, est une des caractéristiques de notre socialisme féministe.

María Fernanda Barreto

Source : Correo del Alba / traduit par venesol