L’Amérique latine face au génocide du peuple palestinien

Photo: affiche appelant à une mobilisation au Mexique le 5 novembre avec la liste des organisateurs. Ce meeting a réuni environ 10 mille personnes.

Par contraste avec le silence relatif des gouvernements arabes de la région (sauf la Jordanie et l’Algérie) et en rupture totale avec la plupart des gouvernements occidentaux, l’Amérique latine – ses gouvernements et ses peuples -, font preuve d’une solidarité croissante avec le peuple palestinien face au génocide commencé par Israël en 1948 et soutenu par les États-Unis et l’Union Européenne.

Tandis que les (extrêmes) droites latino-américaines – soutenues par les groupes médiatiques liés à la vente d’armes, s’alignent sur l’extrême droite de Netanyahu et gomment 75 ans d’occupation, de colonisation et de nettoyage ethnique, les présidents du Venezuela, de Cuba, du Nicaragua, du Honduras, de Colombie ou du Brésil, entre autres, rejoignent l’avis de la Chine exprimé par l’ambassadeur Zhang Jun au Conseil de Sécurité : « Nous nous opposons au projet de créer un nouveau récit sur la question israélo-palestinienne qui occulte l’occupation du territoire palestinien depuis si longtemps ». Le 25 octobre, le président Lula a résumé l’opinion générale : « Ce n’est pas une guerre, c’est un génocide ». Une position qui lui a valu la vengeance et la pression de Tel Aviv qui, pendant plus d’un mois, a refusé d’autoriser 32 Brésilien(ne)s-Palestinien(ne)s et leurs familles à quitter Gaza. Ce n’est que le 13 novembre que le président Lula a enfin pu les accueillir à Brasilia. Revenant sur le massacre de plus de 4.600 enfants palestiniens par Israël, il a déclaré à cette occasion : « je n’aurais jamais pensé que les enfants puissent devenir les victimes privilégiées d’une guerre« . Ajoutant : « si le Hamas a commis un acte terroriste, alors Israël est un État multi-terroriste.« 

De Sao Paulo à Mexico Ciudad, les mouvements sociaux se mobilisent et font pression pour que les gouvernements rompent avec Israël et prennent des mesures pour stopper le génocide. Non sans succès. Le 31 octobre, le gouvernement bolivien de Lucho Arce a rompu ses relations diplomatiques avec Israël après que l’ex-président bolivien Evo Morales et les militant(e)s de base du MAS le lui ont demandé, ainsi que de déclarer Israël État terroriste. C’est le premier pays d’Amérique latine à rompre ses liens avec Tel Aviv depuis le 7 octobre. Le Venezuela l’avait déjà fait en 2009, lors d’un énième génocide du peuple palestinien. « Quel terrible massacre vient encore de commettre Israël ! Où est l’ONU ? Où est la Cour pénale internationale ? Où est le monde ? » s’était exclamé Hugo Chávez qui déclarait un an plus tard : « Si le monde avait un peu de dignité, les présidents d’Israël ainsi que des USA seraient depuis longtemps traduits devant la Cour pénale internationale. »

Photo : Mars 2013. Des citoyens palestiniens déploient un portrait de Hugo Chávez face à l’occupant israélien.

Autre mouvement social d’envergure, et qui ne se contente pas de mots, le Mouvement des Sans Terre du Brésil (MST) a envoyé le 30 octobre deux tonnes de nourriture de sa production aux habitant(e)s de Gaza. La cargaison de riz, de farine de maïs et de lait en poudre a été transportée par un avion de l’armée de l’air brésilienne. Le Mouvement a envoyé au total 100 tonnes de nourriture, avec le soutien du gouvernement Lula. La dirigeante nationale des Sans Terre Cassia Bechara souligne l’importance de la solidarité avec le peuple palestinien : « Les personnes qui ne meurent pas des bombardements risquent fort de mourir de faim, de manque d’eau potable, de manque de nourriture, ce qui explique l’urgence de cette action. Depuis le 21 octobre, l’aide humanitaire arrive par la frontière égyptienne, mais l’ONU et les organisations travaillant à Gaza font savoir que le volume est devenu nettement insuffisant, ne passe plus qu’au compte-goutte. C’est pourquoi nous devons exiger un cessez-le-feu et garantir les moyens de la solidarité avec le peuple de Gaza. ». Le 3 novembre un autre mouvement social, le Mouvement de Travailleurs de l’économie informelle de Buenos Aires, a collecté 10 tonnes de nourriture pour les envoyer au peuple de Gaza avec l’appui du Ministère des Affaires Étrangères argentin et du Croissant Rouge Égyptien.

Photos : le Mouvement des sans Terre organise la solidarité avec la Palestine, où il a envoyé plusieurs brigades de coopération ces dernières années.

Depuis le Venezuela bolivarien, le président Nicolas Maduro (1) a très vite fait expédier 30 tonnes d’aide d’urgence alimentaire après avoir conversé avec l’Autorité Palestinienne. « Nous montrons une fois de plus au monde que le Venezuela et la Palestine sont des peuples frères, qu’ils cherchent l’inspiration d’un monde nouveau, sans domination et sans empire » a déclaré l’ambassadeur de Palestine au Venezuela, Fadi Alzaben, lors de la mobilisation populaire organisée le 26 octobre dans les rues de Caracas par le #PSUV, principal parti chaviste, pour dénoncer le génocide commis par l’État d’Israël avec la complicité directe de l’Occident. Le 31 octobre, le Venezuela a dénoncé catégoriquement « le génocide perpétré par l’État d’Israël contre le peuple palestinien et le bombardement du camp de réfugiés de Jabalya » et a réitéré son exigence de l’application des résolutions de l’ONU et du Droit International constamment ignorés par Israël. Le 6 novembre, aux côtés de Fadi Alzaben, le président Maduro a dénoncé « 75 ans de racisme, de déshumanisation par les suprémacistes d’Israël. Le monde doit se lever pour mettre fin à temps au génocide du peuple palestinien« .

De son côté, dans son communiqué, le gouvernement nicaraguayen a ajouté sa voix à la dénonciation du génocide. « Nous condamnons fermement, comme toujours, la tragédie qui ne cesse de s’aggraver, face à l’arrogance, à l’aveuglement, à l’incompréhension et à l’inaction de la communauté internationale et en particulier de l’ONU« .

Bien que proche de Washington en politique étrangère, Gabriel Boric, président du Chili – où vit une communauté palestinienne nombreuse-, a rappelé le 31 octobre son ambassadeur à Tel Aviv, sans rompre toutefois les relations diplomatiques. Dans son communiqué, Boric dénonce « les plus de 8000 palestinien(ne)s tués lors d’un châtiment collectif qui viole de manière flagrante le droit international ». Le président colombien Gustavo Petro (qui n’avait pas rompu ses relations avec Israël comme certains l’ont cru) a rappelé, lui aussi, son ambassadrice à Tel Aviv : « si Israël ne cesse pas de massacrer les Palestiniens, nous ne pouvons rester là-bas. » Le mandataire colombien a publié sur son compte Twitter la photo d’un des massacres commis par l’État d’Israël : « C’est ce qu’on appelle un génocide. Ils le font pour faire sortir le peuple palestinien de Gaza et s’en emparer. Le chef d’État qui commet ce génocide est un criminel contre l’humanité. Ses alliés ne peuvent pas parler de démocratie. »

Israël l’a aussitôt accusé « d’appuyer le Hamas » (sic), à quoi Petro a répondu : « La Colombie n’appuie pas les génocides. » Le lendemain, lorsque Israël a bombardé un autre camp de réfugié(e)s, celui d’Al-Bureij, il a réagi: « La bombe que vous voyez dans la vidéo est composée de phosphore blanc. Ce produit chimique colle à la peau et pénètre jusqu’à l’os. Elle tue en provoquant une douleur intense. Elle a été larguée par l’État d’Israël. Le lieu où la bombe est larguée appartient aux Nations Unies, là où ces enfants sont en train de jouer. Le droit international qualifie cela comme crime de guerre. Le droit international ne doit pas être utilisé contre des rivaux, par commodité ; il lie toutes les nations de la terre, tous les peuples du monde. Le criminel de guerre, quelle que soit sa religion, son idéologie ou sa nation, doit être jugé et emprisonné. » (2)

Le 2 novembre 2023, alors que le Ministère de la Santé de Palestine informait que plus de 9000 personnes ont été tuées et 32000 blessées, Cuba a pris la parole à l’Assemblée Générale de l’ONU – où il venait de recevoir pour la 31ème fois un appui quasi unanime pour exiger la levée du blocus cruel des États-Unis. Le délégué cubain a dénoncé la complicité de Washington « avec le crime massif contre l’Humanité commis par Israël à Gaza« .

Le 3 novembre à Caracas, le Ministère des Affaires Étrangères du Venezuela, l’Ambassade de Palestine et l’Institut Simon Bolivar pour la Paix et la Solidarité entre les Peuples ont organisé la conférence pour le droit d’exister de la Palestine, pour le cessez-le-feu, et dénoncé le génocide commis par Israël (photos ci-dessous). Le même jour, le Honduras présidé par Xiomara Castro est devenu le troisième pays d’Amérique latine à rappeler son ambassadeur en Israël pour protester contre le nettoyage ethnique à Gaza. Le 14 novembre le Belize a suivi en rappelant ses diplomates à Tel Aviv et en supprimant l’accord de recevoir un ambassadeur israélien dans son pays (voir déclaration officielle ci-dessous).

Photo: 29 novembre 2023. L’Amérique Latine se mobilise contre le génocide.

Thierry Deronne, Caracas, le 1 novembre 2023.

Notes :

(1) Lire « le premier acte de politique étrangère du gouvernement Maduro : défendre les droits du peuple palestinien » (2013) https://venezuelainfos.wordpress.com/2013/04/18/premier-acte-de-politique-etrangere-du-gouvernement-maduro-defendre-les-droits-du-peuple-palestinien/

(2) Tweet du président Gustavo Petro avec la vidéo du bombardement au phosphore d’un camp de réfugié(e)s par Israël le 2 novembre 2023 : https://twitter.com/petrogustavo/status/1720060619032809874

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Photos :

Photo 1 et 2. La #Nakba ou l’exode forcé des Palestiniens en 1948, lors de la création de l’État d’Israël. Comprendre comment la Nakba de 1948 a été planifiée en détail et exécutée, et comment le monde n’a pas réagi, permet de comprendre la Nakba actuelle. A l’époque déjà, Israël disait que le nettoyage ethnique de la Palestine compensait l’Holocauste et des siècles d’antisémitisme en Europe.
Le «oui-mais-condamnez-vous-le-Hamas?» est une injonction médiatique qui vise à culpabiliser, sidérer l’interlocuteur pour l’empêcher de s’exprimer et d’agir. Comme l’explique l’historien israélien Ilan Pappe dans son nouveau texte : « La déhistoricisation aide Israël à poursuivre ses politiques génocidaires à Gaza. »
Photo 3 : la dernière photo de Gaza prise par Roshdi Sarraj, un des journalistes palestiniens assassinés par dizaines lors de ce septième génocide commis par l’État d’Israël depuis 2008.
Photo 4 : Fadia, sa femme Nour et leur bébé Fayrouz, trois rires que l’État d’Israël a fait taire à jamais.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/11/01/lamerique-latine-face-au-genocide-du-peuple-palestinien/