« Construire sa maison sans dépendre d’une entreprise privée » : l’École du Constructeur Populaire au Venezuela

« Le plus beau, pour ces jeunes qui viennent des milieux populaires, c’est de pouvoir réaliser leur rêve, construire leur propre maison sans dépendre d’une entreprise privée. Les projets collectifs de nos apprenti(e)s naissent de la collaboration avec les habitant(e)s, ils ou elles vont dans la communauté, cherchent le problème et proposent des solutions, grâce à leur formation technique, à partir d’une vision sociale« , raconte fièrement l’ingénieur Eskell Romero, directeur de l’école du Constructeur Populaire « Aristobulo Isturiz ». » « Dans chaque lotissement de la Grande Mission Logement Venezuela se trouve un noyau de notre école« .

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Liz Guaramato: doula, sociologue, féministe et marrone

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Doula Liz, depuis quand pratiques-tu ce métier ?

– Quand j’ai entendu parler de l’existence des doulas, j’ai ressenti l’appel profond d’accompagner et de soutenir la femme dans ce moment de son cycle de vie. En 2015, j’ai commencé ma formation et depuis lors, j’ai incorporé d’autres traditions de la médecine naturelle dans ce processus. Le service que j’offre a été l’une des façons de pratiquer le « bien vivre », un paradigme de santé différent et basé sur d’autres méthodes de guérison du corps, de l’esprit et de l’âme. La réalisation de ce processus de guérison, au-delà du modèle imposé par le mode de vie capitaliste et patriarcal, est essentielle, d’autant plus que le peuple vénézuélien a tant de besoins. Je suis convaincu qu’un peuple sain est un peuple indomptable.

– Peux-tu nous raconter l’histoire de la santé sexuelle et reproductive des femmes, Liz ?

– Actuellement, les femmes se heurtent à une série d’obstacles pour accéder aux services reproductifs les plus élémentaires. Cela s’ajoute à la réglementation de leurs capacités reproductives par des entités extérieures à elles. Cela a conduit à une méconnaissance du corps féminin dans un contexte où, par exemple, on ignore que la contraception et l’accouchement étaient des arts féminins et que les femmes vivaient la procréation ou l’avortement avec l’aide de guérisseuses, de sages-femmes ou de femmes dites « sages ». Avec l’avènement de la modernité, nous avons commencé à perdre notre autonomie et notre pouvoir de décision dans ces domaines. La révolution scientifique et médicale a impliqué l’exclusion des femmes du champ de la médecine, avec le soutien de l’Église qui, dans un décrets pontifical, affirma : « Si une femme ose guérir sans avoir étudié, c’est une sorcière et elle doit mourir. » Ainsi, les sages-femmes ont cessé d’apprendre et de prescrire. La chasse aux sorcières a été efficace et a réussi à briser une chaîne de connaissances qui s’étaient enrichies au cours d’un parcours millénaire.

– Comment le Venezuela a-t-il vécu ce processus de « modernisation » de la vie ?

– Il existe plusieurs documents décrivant le processus de modernisation qui a impliqué la médicalisation et l’institutionnalisation de l’accouchement, et avec lui la prohibition et la stigmatisation des sages-femmes à partir du milieu des années 1950. Leur condition de femmes pauvres a entraîné que les sages-femmes soient identifiées comme sales, ignorantes, avorteuses, dangereuses, etc… ce qui a permis à la corporation des obstétriciens de construire son pouvoir économique et symbolique sur nos corps et nos connaissances. Certaines voix se sont élevées pour remettant en cause ce paradigme. Mais c’est avec la Révolution bolivarienne que les sages-femmes ont été légitimées d’un point de vue décolonial, et ont cessé d’être criminalisées.

– Qu’est-ce qui est arrivé à tes cheveux, ils ont toujours été comme ça ?

– Pour moi le chavisme a été un séisme décolonial, qui a secoué mes idées mais aussi mon corps. Et ça s’exprime sous toute sorte d’aspects. Cela peut sembler frivole, mais celles d’entre nous qui ont les cheveux frisés savent qu’il ne s’agit pas seulement de cheveux, c’est un acte de résistance. Se réconcilier avec ce volume, avec nos racines noires, est une façon de guérir tant de pression et de violence exercée sur notre corps.

– Six ans ont passé depuis le départ de Chávez, qui est Liz Guaramato aujourd’hui ?

– Plus chaviste que jamais et plus engagée dans la vie. Centrée sur la micro-politique, construisant des espaces d’autonomie. Re-politisant le quotidien et révolutionnant des espaces politiques à partir de nos affects. En plus de l’organisation Mamiferas, où j’écris des articles avec des sages-femmes, des doulas, des « conuqueras » (cultivatrices de lopins de terre), des thérapeutes de différents types, unis autour du « bien vivre », j’habite aussi un espace collectif appelé Ateneo Popular, où le bien commun est au « coeur » de l’espace. C’est là que nous créons en permanence et collectivement notre modèle de gestion horizontale et de coexistence à partir d’accords construits lors de nos réunions hebdomadaires.

BIOGRAPHIE MINIMALE

Doula, sociologue, féministe et marrone, c’est ainsi que Liz se définit, à partir d’une individualité qui se construit à partir du tissu d’affects, de solidarité, d’expériences, de connaissances partagées et l’accompagnement d’autres femmes engagées dans l’autogestion des soins, de la santé, du bien-être et de la vie. Auteure du livre Mujeres y hombres libres : relaciones de género en el Frente Nacional Campesino Ezequiel Zamora (Femmes et hommes libres : relations de genre dans le Front national Paysan Ezequiel Zamora).

Interview réalisée par Ketsy Medina / CIUDAD CCS.

Photos: Javier Campos / Ciudad CCS et Milángela Galea / Alba Ciudad

Source : http://ciudadccs.info/liz-guaramato-doula-sociologa-feminista-cimarrona/

Traduction : Julie Jaroszewski

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Le Président Maduro annonce la création de l’Institut National pour la Décolonisation

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A l’occasion d’une rencontre avec des intellectuels de différents pays qui participaient à la IIIème Ecole de Pensée Critique Décoloniale ouverte au public vénézuélien, le Président vénézuélien Maduro a approuvé la proposition présentée par Enrique Dussel et Ramon Grosfoguel de créer un Institut pour la Décolonisation, qui combattra la formation européo-centrée qui prévaut toujours à l’intérieur de nombreux programmes éducatifs. Le Ministre du Pouvoir Populaire pour la Culture, Ernesto Villegas, a été désigné pour parachever sa création avec le collectif des intellectuels.

La rencontre entre le Chef de l’État et les intellectuels a eu lieu au palais présidentiel de Miraflores à Caracas, et a été retransmise par la chaîne publique de télévision. Les penseurs visitaient le Vénézuela à l’occasion de  la Troisième Ecole de Pensée Critique Décoloniale : Etat et Processus Constituants, qui se déroulait à la Bibliothèque Nationale du Vénézuela entre le 22 et le 26 octobre.

« Ce furent des journées de débat et de réflexion extrêmement intéressantes, pertinentes, profondes et absolument libres » a expliqué le Ministre de la Culture Ernesto Villegas.  « Le gouvernement bolivarien, à travers ses distinctes institutions, leur a donné tout son soutien, mais cela ne s’est nullement traduit en restriction ou limitation, de manière à ce que l’évènement soit un plan pour le débat critique et autocritique des grandes affaires de l’humanité, particulièrement depuis la perspective de la décolonisation ».

Parmi les participants à l’évènement, on dénombre Enrique Dussel (Mexique), Ramón Grosfoguel (Porto Rico), Juan José Bautista (Bolivie, gagnant du Premier pris du Libérateur de la Pensée Critique en 2014), Sabelo J. Ndlovu-Gatsheni (Afrique du Sud), Houria Bouteldja (France), Karina Ochoa (Mexique) et José Romero-Losacco (Venezuela). S’est également joint au rendez-vous à Miraflores, le Directeur général de la Bibliothèque Nationale Ignacio Barreto ; le président du Centre National des Etudes Historiques, Pedro Calzadilla; Adán Chávez, Saúl Ortega, Jacobo Borges, Cilia Flores, Tania Díaz, Nicolás Maduro Guerra et Aurora Paredes, entre autres.

« Ce n’est pas dû au hasard que cet évènement ait lieu ici au Vénézuéla, au milieu du bourgeonnement fasciste qui s’est implanté sur notre continent et dans le monde » a exprimé Villegas. « Le Vénézuela  confirme être le bastion de la lutte pour la décolonisation, l’émancipation, la construction d’une nouvelle société distincte et supérieure au capitalisme sauvage et à celle de la modernité et du colonialisme ».

Les propositions.

Le professeur Ramón Grosfoguel a souligné l’importance de défendre l’anti-impérialisme : «  tout anti-impérialisme n’est pas décolonial, mais on ne peut pas être décolonial sans être d’abord anti-impérialiste ».

A l’intérieur des débats en Amérique Latine, beaucoup de gens se présentent comme anticolonialistes, mais à l’heure d’opiner sur le processus bolivarien au Vénézuela « lamentablement, ceux-ci prennent partit pour la droite pro-impérialiste et néolibérale de ce pays ». C’est pour nous, une contradiction énorme ». Cela indique que le décolonial doit tenir un engagement politique et éthique avec les peuples en lutte pour leur libération.

Il a également suggéré qu’« il faut avoir l’idée de penser conjointement un institut de production de en connaissance décoloniale, qui soit transversal » et qui puisse contribuer « pas seulement une fois l’an, mais chaque jours au Vénézuela ». Il a indiqué qu’il y a une génération de de vénézuéliens « formés pour nous, qui peuvent assumer le projet eux-mêmes et l’emmener ».

Enrique Dussel, académicien reconnu, philosophe, historien, théologien d’origine argentine, naturalisé au Mexique, a signalé que, « par malheur, même dans les processus révolutionnaires avancés comme ceux de Cuba ou de la Bolivie, l’éducation primaire, secondaire et universitaire continuent d’être dispensées depuis une vision européo-centrée de la culture et de la science. «C’est difficile, mais nous devons une fois pour toutes changer le contenu du cursus d’enseignement, afin de changer aussi la mentalité de la jeunesse et de tous les citoyens, et ne pas attendre un siècle mais 4 ou 5 ans ». Il a également soutenu l’idée de former un institut qui pourra fournir un équipement « au niveau économique, politique et agricole » touchant ainsi toutes les activités d’un Etat.

« Nous continuons d’éduquer à la manière d’un français ou d’un nord-américain notre jeunesse et le citoyen, nous pouvons changer cela en peu de temps, avec des équipes qui écrivent des textes d’étude pour tous les collèges du pays, gratuits et qui permettront le changement. A cette fin, l’idée de suggérer la constitution d’un institut d’étude décoloniale, mais qui ne sera pas partie de différents ministères ou secrétariats, mais qui dépendra directement de la Présidence, pour que depuis cet endroit, il puisse irradier toutes les activités de l’État. Et cela signifie que « même la stratégie militaire doit être pensée de manière décoloniale ».

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Approbation de la création de l’Institut National de Décolonisation du Vénézuela.

A ce propos, le Président Maduro a signifié son accord pour la création de l’Institut National de Décolonisation du Vénézuela, à cette fin , il a désigné pour responsable le ministre Ernesto Villegas. Il a indiqué que cela était absolument nécessaire afin de donner cohérence, articulation et pouvoir avancer dans l’ensemble de ce processus pour consolider une indépendance absolue du pays. «  Pour la consolidation de l’indépendance véritable, il faut approfondir la décolonisation de notre pays, de notre continent et de nos peuples » a insisté Maduro.

« Je donne mon accord pour que l’Institut de Décolonisation soit connecté à la Présidence de la République, mais je désigne de manière publique le compagnon Ernesto Villegas (ministre de la Culture), comme cadre révolutionnaire du Vénézuela, comme grand essayiste politique, institutionnel et culturel pour un plan intégral de décolonisation. Mais avec un sens éminemment pratique ! » Il a manifesté sa pleine confiance en Villegas, et a appelé à installer ces initiatives « qu’elles aient une grande portée et tout le soutien dans tous les sens du terme ».

Regarder la vidéo sur Youtube.

A ce propos, il a insisté sur le fait que le nouveau devait être enraciné dans les bases de la pensée révolutionnaire, défavorable à la période coloniale, ce qu’a toujours proclamé le Commandant Chavez. “Hugo Chávez était un homme qui changeait les structures et questionnait les paradigmes établit et il construisait de nouveau paradigme depuis la racine populaire vénézuélienne (…) Nous devons aller à un processus de décolonisation intégral du pays, (…) et l’intégrer au Plan de la Patrie 2025 pour consolider les valeurs de la nouvelle culture et l’indépendance du Vénézuela (…) Nous devons identifier comment créer des processus autonomes, pour aller conquérir les espaces qui consolident le 21ème siècle de la résurrection de l’Amérique Latine et des Caraïbes », a-t-il exprimé.

« Je suis convaincu que cet Institut, depuis l’Alba (Alternative Bolivarienne des Peuples de Notre Amérique) fera l’Histoire, pour doter de lumières, d’idées, de projets, les processus inévitables que nous allons vivre en Amérique Latine et dans les Caraïbes » a indiqué le Chef de l’État vénézuélien.

Il a également indiqué que la décolonisation devra s’inclure comme une ligne additionnelle du Plan de la Patrie qui est en quelque sorte le programme fondamental du gouvernement.

En Réponse à Mike Pence.

Maduro a également répondu aux accusations du vice-président des Etats Unis, Mike Pence, qui avait déclaré récemment, que selon les informations reçues par le président du Honduras,  Juan Orlando Hernández, c’était… le Gouvernement vénézuélien qui aurait organisé et financé la déferlante de migrants fuyant la misère de ce pays jusqu’au territoire états-unien.

« J’alerte le monde sur la paranoïa de Mike Pence et des secteurs extrémistes du Gouvernement des Etats Unis contre le Vénézuela. Ils ont une obsession car ils n’ont pas pu nous mettre en déroute, et ne pourront jamais le faire car la Révolution Bolivarienne est décidée à avancer » a souligné le mandataire.

Regarder la vidéo sur Youtube.

A ce propos, il a commenté le danger que représentent de telles déclarations pour sa sécurité et celle du Vénézuela, il a affirmé que les Etats Unis cherchent à démolir la Révolution, formant part d’une campagne de discrédit sans précédent contre la nation.

Maduro a rappelé les différents obstacles qu’a eu à affronter le chavisme depuis son arrivée en 1999, et particulièrement le coup d’État contre le président Chavez en avril 2002.

« Nous avons du affronter l’assaut durant le premier Gouvernement de George Bush, quand ils vinrent donner un coup d’État, et ils l’ont donné. Ce Palais fût pris entre le 11 et le 12 avril 2002 (…) mais la mobilisation du peuple dans la rue, et l’union civique et militaire, ont fait échouer le coup d’Etat de l’Empire » a-t-il insisté.

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Traduction : Julie Jaroszewski

Source :  http://albaciudad.org/2018/10/presidente-maduro-anuncio-la-creacion-del-instituto-nacional-para-la-descolonizacion-videos/

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Comment dire l’École Florestan Fernandes ?

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Trois heures du matin. Des essaims de mains d’étudiant(e)s qui ont vécu ensemble trois mois intenses tracent des cœurs sur les vitres embuées d’une camionnette. Le compagnon de l’unité de transport du Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans terre, habitué à vivre les adieux de ceux qui ne peuvent plus se séparer, assume avec philosophie sa tâche de ramener à l’aéroport de Sao Paulo des groupes successifs de la Xème Promotion de Théorie Politique Latino-américaine “Libertadoras de Nuestra América”, créatrice collective d’un clip chanté tous les matins.

Tous ceux qui ont eu le privilège de vivre une révolution en Afrique ou en Amérique Latine savent ce dont je parle : ici tout se reconnecte. Dans la « Florestan Fernandes », l’école construite par les Sans Terre, les bambous te mènent par des sentiers de terre humide. Leur grincement est le rythme de l’Histoire, parfois lente, qui ne s’arrête jamais. Une photographie troue la nuit : le front pensif d’Ernesto “Che” Guevara. Les arbres oublient les mains solidaires de stars de cinéma, d’intellectuels, d’ex-présidents et de paysans centenaires qui les ont mariés à la terre : ils cherchent le soleil. La pluie fait plus sombre, plus brillante la peau des briques montées l’une après l’autre par les volontaires du MST.

Le matin des centaines d’yeux regardent par les portes entrouvertes de salles grandes et petites. Ces voix d’un cours de matérialisme historique pourraient être celles d’une assemblée du Comité de Salut Public en 1789 ou d’une assemblée au Burkina Faso en 1984. Tant de concentration dans l’étude a fait que les étudiants ne se sont pas rendu compte tout de suite de l’irruption des zombis sortis d’une série de télévision nord-américaine pour expulser la violence inhibée sous Lula et Dilma. Ce ne fut qu’au bout de deux heures – me raconte Ana Cha de la coordination pédagogique – que la communauté étudiante a mesuré la gravité de l’intrusion des policiers tirant à balles réelles, agression rejetée en quelques heures par le monde entier et par la rapide arrivée à l’école d’un réseau spontané d’amis, de militants, d’artistes parmi lesquels Lula. Aujourd’hui, après le réveil en poésie et chants (“la mistica” comme on dit au MST), le compagnon bibliothécaire qui souffre de Parkinson et à qui les policiers ont cassé le bras, tente de lever un poing plâtré pour remercier une délégation de jeunes vénézuéliens qui lui offrent le “livre bleu” d’Hugo Chávez.

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Ici Marx et Marighella ne sont pas des figures de cire ou des pieds de page mais des concepts vivants de l’action politique, l’héritage vivant qui nous incombe à tous – dixit le capitaine Thomas Sankara. Le choc salutaire entre points de vue, expériences et savoirs fait de “La Florestan” une université d’avant le capitalisme, de cette époque où la science naissait au bord des fleuves, où les ponts entre « haut » et « bas » n’étaient pas rompus, comme l’explique l’historien Carlos Ginzburg.

On m’avait invité quelques semaines auparavant comme membre de l’Ecole Populaire et Latino-Américaine de Cinéma, Télévision et Théâtre à donner un cours en anglais sur « Communication Populaire et résistances » : les concepts généraux, m’avait écrit Ana Cha, intéresseront les pratiques particulières. Nous intéressent votre expérience au Venezuela, la relation entre communication populaire et processus participatifs, votre manuel de production intégrale. Et ce matin, après plusieurs nuits d’insomnie pour réveiller mon anglais et une escale à Lima, je vois enfin mes compères d’Afrique, des États-Unis, du Canada, d’Amérique Latine. Ce dialogue total avec l’Afrique, leur dis-je en guise d’introduction, Chávez l’a voulu depuis le début. Son ultime lettre disait que nous n’avons plus rien à attendre de l’Occident et que nous devons espérer beaucoup du Temps pour assumer, enfin, notre destin commun.

Les lutteurs d’Afrique du Sud inaugurent les cours debout : le rythme lent de leur chant finit par nous unir tous en un chœur de paumes, de pieds, de gorges. Il y a beaucoup de syndicats, de réseaux de travailleurs de Californie ou du Minnesota, les militants patients de Zambie. Le compagnon du Québec avec qui nous découvrons un respect commun pour le documentariste Pierre Perrault (La Bête Lumineuse)La compagne d’Égypte qui avec son clairsemé mais passionné anglais réussit à répondre à toutes mes questions sur son pays. Le compagnon des États-Unis préoccupé par le fait que Telesur reste confiné aux réseaux de convaincus de gauche. La travailleuse syndicale venue de Palestine qui veut monter un atelier avec nous pour former les créateurs d’une réalité que les formes politiques connues ne permettent plus de médier. La compagne transgenre d’Inde qui me parle du documentaire qu’on prépare sur son récit de vie. La jeune fille qui étudie la philosophie à l’Université Centrale du Venezuela et qui ne sait pas encore comment elle usera de toutes ces connaissances au retour dans la Patrie. Ou la compagne de l’Île Maurice, qui sait tout de l’histoire morale et économique de Port-Louis et peut en trois mots dessiner la forêt précise des nègres marrons. Je t’écoute et je vois Haïti, lui dis-je. En effet notre créole est celui qui ressemble le plus à celui de Louverture, me répond-elleLes frères portoricains me montrent leurs reportages: La Gente de Abajo Habla: ¿quiénes somos ¨todos¨?, fruit d’une réflexion sur des années de militantisme de gauche (1). Ils sont venus du Ghana. Du Maroc. Du Népal. Du Pays Basque. Du Kenya. Du Sénégal. De Tanzanie. De Tunisie. Du Zimbabwe…

Dans les jours précédents, la roborative professeure des Etats-Unis Rebecca Tarlau a déployé les fondations de la philosophie marxiste. Elle a comparé les concepts économiques d’Adam Smith avec ceux de Karl Marx. Elle a expliqué la guerre de mouvement de Gramsci avec l’exemple d’éducateurs permamboucains du MST qui ont réussi á éloigner la peur insufflée par les médias pour se rapprocher des enseignantes traditionnelles et, sur la base du respect et de l’amitié, proposer de nouvelles pratiques éducatives. Non « bancaires ».

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Cours de Communication Populaire, 9-10 novembre 2016

J’introduis mon cours avec la projection du court-métrage “La Terre est à tous” réalisé en août 2016 au Venezuela au terme d’un atelier commun des Sans Terre et de notre École populaire de Cinéma (2).

Je poursuis avec quelques questions génératrices comme : “Qu’est-ce que l’information ?”, “Quelles sont les différences entre communication révolutionnaire et dominante ?”, “¿Comment fait le capitalisme pour effacer le travail ?”, en récupérant un petit peu de l’abondante philosophie sur l’art et la presse (Mao, Brecht, Boal, Benjamín, Mattelart…). Tout procède d’une idée : “ce n’est que d’une technique qu’on peut déduire une idéologie” (Althusser) ou, pour le dire avec Marcuse : “Une œuvre d’art n’est pas révolutionnaire parce que son contenu est révolutionnaire mais parce que sa forme est révolutionnaire”. Que signifie cela pour nous ? C’est simple : un média (ou une usine, un État, une université, une commune, etc…) n’est pas révolutionnaire parce que son discours l’est mais parce que son mode de production l’est (à savoir sa façon d’organiser le travail et la formation interne, de se lier à la population, de génèrer sa programmation, etc…).

Je dis aux compagnons qui fabriquent l’extraordinaire journal sans publicité commerciale Brasil de Fato (3) avec qui je me réunis deux heures à Sao Paulo : comme c’est étrange, nous assumons que tout travail politique, toute compréhension de l’Histoire suppose de mettre les cartes sur la table, d’ouvrir et de traiter les contradictions à partir du cerveau collectif, mais au moment de « communiquer » nous revenons à la forme commerciale, verticale, de vendre un message à un consommateur.

Dans la classe nous déconstruisons la monoforme planétaire du journal télévisé : un(e) présentateur(trice)–star dont la voix préétablie, en off ou in, modèle la plasticine d’une « réalité » réduite aux ultra-brefs plans de coupe.

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Inventer des techniques pour nous organiser, dixit Walter Benjamín, est la caractéristique majeure de l’art révolutionnaire (4). Nous projetons une actualité de Dziga Vertov qui dans l’Union Soviétique des années vingt montait le film à l’envers pour remonter le temps, de la viande du Marché Rouge à l’animal en train de paître (ou de la farine au champ de blé), pour démontrer au peuple analphabète que le prix révolutionnaire venait de l’absence d’intermédiaires. Objectif d’une information révolutionnaire : reconnecter les choses avec leur origine, leurs causes.

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Nous projetons le journal humoristico-dialectique de Santiago Álvarez qui aida tant la révolution cubaine avec ses spirales explicative de chaque problème subi par le peuple.  Spirale : mouvement de la conscience qui va s’élargissant. “Un cinéma au service la révolution exige surtout de montrer le processus des problèmes. C’est-à-dire exactement le contraire d’un cinéma qui se consacre fondamentalement à célébrer les résultats. Montrer le processus d’un problème est comme montrer le développement même de l’information, c’est  montrer le développement pluraliste de l’information.”  (Julio García Espinoza).

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Contrairement aux médias commerciaux, la communication révolutionnaire ne résout pas la réalité sur l’écran ou sur la scène mais reste une « oeuvre ouverte » pour que le peuple participe à la construction du sens et se mette en mouvement. C’est aussi pourquoi elle est toujours originale. Elle part toujours de quelque chose de nouveau parce que la réalité bouge à chaque instant, génère une forme nouvelle à tout moment. Elle a aussi un intérêt tout particulier à faire ce que ne font jamais les médias dominants : le suivi à lui seul permet d’extraire les leçons qui nourriront la construction d’autres organisations. Si la télévision dominante désorganise les clases dominées en les divisant, notre rôle est de les (ré)organiser.

Le jour suivant je parle du bilan de quinze ans de télévision communautaire au Venezuela, sorties de la répression et de la clandestinité grâce á la révolution bolivarienne (5). Nous ne sommes pas nés pour “concurrencer” les médias privés mais pour les dépasser qualitativement et contribuer á la naissance d’une autre société. Notre télévision communautaire n’est pas un studio fermé où on parle du quartier sur fond d’image du quartier… C’est la communauté qui se forme à chaque moment pour produire 70 % de la programmation. Le travail de l’équipe de la fondation communautaire est de veiller au bon état des systèmes de transmission et de former la population à tout moment pour que celle-ci soit la véritable actrice et productrice du média.

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Les 35 télévisions visitées durant une année par notre équipe de chercheur(ses) nous ont fait part de plusieurs autocritiques : privatisation du média par un groupe ou par une famille, manque de coordination, excès de jalousie territoriale, manque de volonté dans la formation d’équipes de production communautaire, manque de respect pour le matériel donné par l’État. L’empreinte du quasi-monopole du mode de production commercial de la télévision, de la radio ou de la presse (au Venezuela 85% des habitants regardent la télévision commerciale) a pour effet que de nombreux nouveaux médias imitent les dominants, éliminent la formation intégrale et oublient de créer leur agenda propre, original. Cependant et même si de nombreuses télévisions ne transmettent pas et restent invisibles par manque de ressources, ces années ont servi à valoriser la télévision communautaire comme la maison qui est la “nôtre”, comme un espace d’amitié et de collaboration libéré des normes commerciales, comme retrouvailles de mondes séparés par le capitalisme (vie et temps, ville et campagne, homme et femme, enfant et adulte…) et comme porte-parole des mouvements sociaux.

Aujourd’hui les collectifs proposent de résoudre la faible quantité de programmes produits en revenant aux dynamiques existant dans les communautés populaires : sport, musique, fiction populaire. Pour cesser de former un personnel qui finit par aller travailler dans le secteur privé, ils insistent sur la nécessité de présélectionner des participants qui ont déjà une trajectoire d’engagement dans un mouvement  social. Le rôle de l’État comme garant d’un équilibre dans le champ médiatique est réaffirmé au sens où on lui demande de salarier un groupe de trente permanents par télévision et davantage de suivi technique. Ce qui aiderait à éviter la commercialisation dans laquelle sont tombées tant de radios communautaires, et de gagner du temps pour rendre le média soutenable avec l’appui de formes économiques émergentes, communales entre autres…

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“El Tigre y el Venado” de Sergio Sibrián (El Salvador 2013)

Nous achevons la classe en étudiant quelques techniques : la manière d’interviewer – avec des fragments de « Harlan County »  (6) de Bárbara Kopple et du  « Tigre et le Cerf » de Sergio Sibrián (El Salvador), fruit du travail audiovisuel communautaire d’ACISAM et d’un atelier offert par notre École Populaire et Latino-Américaine de Cinéma, Théâtre et Télévision, couronné par le Prix du Meilleur Documentaire Latino-Américain au Sunscreen Festival, en Floride (7). “La Bataille du Chili” sert d’exemple de cohérence entre l’analyse marxiste et la méthodologie d’enquête et de tournage. Charlie Chaplin (“A dog’s life”) et Humberto Solas (“Lucía”) nous aident à subvertir la dramaturgie en faisant voir la différence entre « objectif » et « ·besoin profond » du personnage.

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Synopsis rédigés par les étudiants de la promotion Faris Odeh, du nom de l’enfant palestinien assassiné par l’armée israélienne.

Le jour suivant, Joao Pedro Stedile, un des coordinateurs nationaux du MST, économiste marxiste et humoriste professionnel, captive l’amphithéâtre en racontant le film de l’agriculture versus capitalisme. L’origine du mot humain, rappelle-t-il, est humus, le mot latin qui parle de la terre d’où nous venons avant d’être l’engrais de ceux qui viendront. Pendant la pause je raconte à Joao Pedro que dans les premières usines les travailleurs se rebellaient contre la grande horloge murale, détruisant à coups de marteau l’instrument de torture qui avait déplacé le soleil et la cloche de l’église féodale et qui les mesurait à présent en heures et en minutes.

L’information comme engrais

Humus = Humain ? N’est-ce pas l’heure pour les journalistes de briser les horloges murales de l’information-marchandise ? Pour faire la révolution dans l’information, ne devrions-nous pas redevenir “agriculteurs en politique” ? Quand je leur ai demandé “qu’est-ce que l’information ?”, les étudiants m’ont répondu « quelque chose qui s’envoie », « quelque chose qu’on reçoit », « quelque chose qu’on fabrique ». Je leur ai proposé d’oublier cette flèche unidimensionnelle qu’on nous enseigne encore dans les écoles de journalisme. Pour bien comprendre “l’information” voyons-la plutôt comme un besoin biologique, vital de notre cellule-nation : créer ses propres canaux d’information pour s’orienter dans le chaos de la globalisation. C’est pour esquiver les menaces, survivre, croître, se reproduire et trouver des alliés que la cellule-nation a tant besoin d’une information riche, intégrale, donc plurielle et différenciée – alors que la commerciale est trop peu nourricière, de plus en plus homogène, courte, superficielle, socialement inutile et destructrice. Si le socialisme a un futur, il se trouve dans la production d’un tissu dense, différencié de médias populaires et participatifs. Pourquoi ne pas inventer nos propres « nouvelles technologies » sans attendre que la globalisation nous les offre ? Beaucoup de mouvements sociaux ont déjà remis leurs départements de communication à ceux qui sortent de l’université hégémonique ? Bien, inventons une université de la communication sociale qui efface le paradigme de l’information-marchandise pour revenir à l’information comme engrais de la conscience et croissance de la cellule !

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L’espace local – communauté, commune, république – peut être la mesure idéale pour nous lier à l’universel. Le temps nouveau sera celui qui se sera libéré de la “concurrence” : le temps multiple de nous former comme communicateurs intégraux, de mener l’enquête participative, de la réalisation collective, du montage réflexif, le temps de rendre à la communauté l’image de son propre processus, le temps du feed-back pour critiquer et avancer… et le temps de relier tous ces espaces locaux – par exemple sous la forme d’un véritable télévision publique.

L’Histoire n’aurait-elle pas raison de nous effacer si nous n’étions capables que de répéter chaque jour  que « toute la presse est contre nous » et que « nous devons occuper davantage les réseaux sociaux » ? Comment ne pas voir que lorsque le mode de produire l’information parviendra à la raréfaction finale des grands monopoles privés, notre grande cellule – appelons-la république, nation ou peuple – cherchera tout canal qui lui tombe sous la main pour s’alimenter ? Qu’attendons-nous donc pour préparer le futur ? Combien de coups d’Etat médiatiques de plus attendrons-nous pour décider de faire ce qui ne peut plus attendre : rédiger une loi latino-américaine, puis mondiale, de démocratisation de la propriété des moyens de communication (8), remettre la totalité des ondes, concessions, fréquences et ressources aux organisations populaires, mettre en activité les écoles de la nouvelle communication sociale et monter un réseau de Centres Populaires de Culture dans tous les coins du territoire ?

« La Florestan » est notre université parce qu’elle génère des questions nécessaires alors que les autres continuent à donner des réponses à des questions que les gens ne se posent même pas.

Thierry Deronne, Venezuela, novembre 2016

thierryderonne6@gmail.com

Notes

(1)  Voir http://www.cdpecpr.org/desde-abajo

(2) “La Terre est à tous”, https://www.youtube.com/watch?v=NtxqSBOqFaI&t=84s . Blog de l’École Populaire et Latino-américaine de Cinéma : www.escuelapopularcineytv.wordpress.com

(3) Brasil de Fato / C P Mídias https://www.brasildefato.com.br/

(4) Exemple : les Sans Terre ont réalisé leur propre synthèse de Brecht y Boal 

(5) Voir l’enquête complète ici : https://escuelapopularcineytv.wordpress.com/2016/07/17/propuestas-al-cabo-de-un-ano-de-investigacion-sobre-la-televisora-comunitaria-en-venezuela/

(6) Harlan County de Barbara Kopple (Oscar du Meilleur Documentaire, USA 1976),  https://www.youtube.com/watch?v=5jtIwoGWdms

(7) “Le Tigre et le Cerf” de Sergio Sibrián, https://escuelapopularcineytv.wordpress.com/2013/02/20/fotos-el-tigre-y-el-venado-documental-de-sergio-sibrian-participante-de-la-escuela-popular-de-cine-es-estrenado-en-el-salvador/

(8) Comme le suggérait déjà Mac Bride dans son rapport à l’UNESCO en 1980, et comme les gouvernements progressistes d’Argentine, de Bolivie ou d’Équateur ont tenté de le faire à travers des textes de loi même si ceux-ci ne sont pas encore passés dans la réalité.

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« Le noir manqué » : diplômée à  85 ans et future archéologue

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Le noir manqué” nous attend à l’ombre d’un arbre de l’arrière-cour, dans sa maison du village de Caujarao, État de Falcón. La première chose qu’elle me dit c’est qu’en m’asseyant en position de papillon j’accoucherai sans douleur. Puis l’envie de se répandre en histoires illumine son visage. C’est là, au milieu des vibrations des couleuvres, des iguanes et des grands perroquets qui nous entourent, qu’elle commence. « J’étais très coureuse de garçons. Tout le temps dans la rivière à jouer avec eux. C’est pour ça qu’on m’appelle « le noir manqué ». Un de ces gars est tombé amoureux de moi, c’est le vieux avec qui je vis. J’avais quinze ans. A dix-sept ans je suis tombée enceinte pour la première fois, et à partir de là j’ai fait un enfant tous les deux ans. Quand nous sommes arrivés au onzième, j’ai décidé de me marier parce que je m’étais dit « tant que je ne le connais pas suffisamment je ne me marie pas avec lui », et c’est après notre petit onzième que je l’ai connu », lance-t-elle avec un rire épais et savoureux.

Amelia et son époux, qu’elle a “connu” après avoir eu 11 enfants de lui.

Amelia et son époux, qu’elle a “connu” après avoir eu 11 enfants de lui.

Un des fils d’Amelia, avec son père.

Un des fils d’Amelia, avec son père.

Amelia Agüero a quatre-vingt-cinq ans. L’écouter c’est monter sur un trapèze pour sauter d’histoire en histoire, elle vous parle d’Histoire, de psychologie, de théologie et même des murmures du vent de Coro. Ce n’est qu’à onze ans qu’elle s’est mise à étudier “formellement”.

Fillette, elle réussit à achever la sixième primaire. Mais il lui fallut travailler aussitôt. Chez sa mère elle achetait du fil pour coudre les pièces des sandales de cuir, avec quoi elle achetait du tissu pour faire des vêtements. Elle a fait des confiseries, des conserves, des gâteaux de maïs de toutes sortes – du pan de horno aux pipiritos, des meringues. Et quand elle a eu ses enfants les travaux sont devenus plus épineux : casser des pierres dans la rivière, couper du bois, laver à la main, porter l’eau sur la tête, moudre à force de poignet, tout ce qui lui fut possible pour que les enfants aient les mêmes chances. Il en fut ainsi pendant plusieurs années : « élever les enfants, couvrir les labeurs domestiques, travailler. Jusqu’au jour où, il y a dix ans, je me suis dit “maintenant mon heure est venue, et j’ai dit à mon vieux, je vais à l’école, je vais apprendre. »

Ma motivation

« Tu sais d’où vient le nom Caujarao? C’était le nom du père du cacique  indigène Manaure, grand-père de Jadacaquiva. Comment je le sais ? Mes parents me l’ont raconté, ils le savaient par mes aïeux. C’est pour toutes ces histoires que j’ai eu envie d’étudier mais à ce moment-là c’était impossible. Qu’est-ce qui m’a motivée à le faire après tant d’années ? Chávez. C’est lui qui m’a donné l’inspiration quand j’ai vu que naissait un Venezuela nouveau. Il nous dévoilait la vraie histoire du pays dans ses discours. De mes quelques et lointaine années d’école primaire, je me souviens qu’on nous disait que Christophe Colomb était venu nous découvrir. Quoi ? Nous nous étions déjà découverts, par nous-mêmes, mais cela on ne nous le disait pas. C’est adulte, en écoutant Chávez, que je me suis rendu compte de tout ça. C’est à présent que j’ai découvert l’Histoire, la vraie. »

Elle avait plus de soixante-dix ans quand elle a commencé à étudier dans la Mission  Robinson, le programme social d’alphabétisation mis en place sous le gouvernement du président Chávez. Bien qu’elle eût déjà réussi sa sixième primaire elle décida de commencer à zéro. D’abord par le niveau 1, appelé “Moi oui je peux”, ensuite la “Bataille pour la sixième”, et finalement, les “Cercles de lecture”. « Je ne pouvais pas m’arrêter. Je me suis inscrite immédiatement dans la Mission Ribas, j’ai passé mon bac. Puis j’ai continué avec la Mission Sucre, pour obtenir mon diplôme de Technicien Supérieur Universitaire en audiovisuel. Et ce titre, le premier de ma vie, je l’ai obtenu seule, j’ai fait ma thèse toute seule parce que mes compagnons d’étude pensaient que comme j’étais vieille je serais un poids pour eux, mais non, pas du tout. Une de mes petites filles m’aidait à faire les diapositives et m’interrogeait : « Vous savez faire tout ça ?’ Moi je lui répondais “bien sûr que je sais le faire parce que tout cela je l’ai étudié. »

Pour sa licence elle a entrepris une thèse collective. « Je suis entrée dans un groupe de jeunes. Ma fille m‘a conseillée. Au début nous étions trente, à la fin nous étions trois. »

Elle est tellement appliquée que cela fait quarante-huit ans qu’elle donne des cours de catéchisme dans l’école de son village. Au point d’être la seule personne autorisée à dire la messe : le peu de temps qui lui restait, elle le consacrait à l’église et dans les années quatre-vingt, en voyant sa détermination, le curé l’a poussée vers des études religieuses. « Je n’avais même pas mon bac mais comme ce qui m’intéressait était de bien faire les choses, je fus constante et on m’a même donné une bourse. »

Elle respire. Elle regarde la cour comme si elle reconnaissait une autre époque: « Nous avons toujours eu la conscience claire. Je vais te raconter. Je nourrissais les guérilleros. Un chemin passait par cette maison, qu’ils empruntaient pour aller dans la montagne. A cette époque il y avait un garçon dot nous avons fait un neveu adoptif, on l’appelait Gallinazo, il passait par ici et me demandait de l’eau, et on lui gardait les galettes de maïs. Je lui préparais des caisses de nourriture, des boîtes de conserve, tout ce que je pouvais, pour les aider. Même le chien qu’on avait chez nous, ils l’ont pris. Je les ai récriminés et ils m’ont dit que ce chien les a sauvés : « il se battait avec nous ». C’est pour cela que je me sens une guérilléra de plus, parce que je les ai aidés et que j’ai gardé le secret. Je ne sais pas, je dois avoir ça dans le sang parce que mon arrière-grand-père, le père de ma grand-mère, Sandalio Navas, était lui aussi guérillero, il s’est battu à l’époque de Maisanta ». Ce qui semblait une digression se mue en conférence sur l’Histoire du Venezuela.

Pourquoi une licence à quatre-vingt-cinq ans ?

« Je n’ai pas acquis ces diplômes pour travailler ou pour entrer dans la concurrence du marché du travail. Je les ai voulus parce que j‘ai voulu sortir de l’ignorance. Je suis sûre qu’avec ces connaissances je peux aider à celui qui en a besoin. » Et il en est ainsi. Elle a filmé sa montagne pendant plus de cent heures jusqu’au tournant qui borne le village, des plans d’ensemble qui racontent l’histoire de sa communauté et qui dénoncent, il faut le dire, la destruction des collines aux mains de ceux qui improvisent des maisons sans le moindre contrôle. « Alors, pourquoi étudier ? Pour ne pas oublier l’origine, parce qu’un peuple sans Histoire n’est rien. Et pour avoir plus d’outils au moment de nous organiser, pour dénoncer ce genre de choses car l’étude confinée à une salle de cours ne garantit rien, nous devons aussi assumer note rôle comme membres de la commune, et qu’est-ce qu’être communard ? Tout simplement s’unir, se rassembler pour défendre et lutter et protéger sa communauté. Si nous croyons et avons confiance dans cette forme d’unité, tout s’arrange. »

Elle n’avait pas de lieu pour faire les travaux pour l’université. Un jour le président Chávez est allé à Coro, Amelia s’est préparée et a quitté sa maison un papier à la main qu’au milieu d’un fleuve de gens elle lui a tendu. “Il m’a vue et il a dit “dites-lui de venir”. Il a emporté le feuillet. En un mois le vœu a été exaucé. Amelia et son époux sont entrés dans la Mission En Amor Mayor, le programme social destiné aux personnes du troisième âge qui n’ont pas de pension. « Avec cet argent je me suis acheté un ordinateur pour faire mes travaux. Personne ne m‘a appris à l’utiliser, j’ai appris toute seule. »

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Montrant avec fierté quelques photos de son processus.

Montrant avec fierté quelques photos de son processus.

Ce ne fut pas son seul contact avec Chavez. Quand il a été emprisonné à Yare, après sa rébellion civico-militaire de 1992, un fils d’Amelia et d’autres compagnons de classe lui ont envoyé une lettre demandant qu’il soit le parrain de leur promotion. « Nous n‘espérions rien, ce n‘était que notre manière de lui dire notre admiration et l’envie qu’il nous accompagne, mais Chávez a répondu, il a dit que oui. Imaginez l’émotion ! Nous avons pris la lettre, nous l’avons reproduite et distribuée dans toute l’université » racontent les filles d’Amelia. Personne n’osait croire qu’il irait les voir mais après sa libération et peu avant de lancer la campagne présidentielle, Chávez est apparu à Coro. « Nous avons dîné avec lui à la fin du meeting, nous avons parlé, ri. Il est parti à trois heures du matin. En sortant il a vu quelques jeunes voyous debout pas loin d’où nous étions, il les a appelés, il s’est assis par terre avec eux, pour converser un moment. »

Deuxième diplôme, “nom de …” !

« Vous saviez que le premier cri de liberté sur ces terres c’est le noir José Leonardo Chirino qui l’a poussé ? Et pourquoi je vous dis cela ? Ceci était une maison de terre. Un jour est tombée une averse et mon mari s’est mis à creuser le sol pour que l’eau n’envahisse pas la chambre des enfants et soudain sous la terre il a trouvé un mort et une dague. C’étaient les restes de quelqu’un qui avait lutté pendant la Guerre Fédérale ». Elle fait chercher la dague, la range comme un trésor qui n’a pas de prix, comme si ce fragment de métal contenait toutes les chroniques de combats enterrés des années durant dans le silence d’argile.

« C’est pour tout cela, que je veux continuer à étudier les étapes de l’histoire du Venezuela, je veux commencer à étudier l’archéologie pour découvrir l’histoire cachée sous le sol. Et tout ce que je trouve je voudrais que cela fasse partie d’un futur musée archéologique. Pourquoi continuer à écrire ? Pour découvrir plus de vérité. Et en second lieu parce que nous devons être le témoignage de ceux qui viendront après nous, je me considère ainsi, témoignage vivant de cette communauté qui va entamer un chemin pour les nouvelles générations. Ce musée ne doit pas être un espace pour ranger des objets, il doit se déplacer, enquêter, générer des changements sociaux, communiquer une vision cultuelle. Si nous avons initié ce processus au Venezuela, pourquoi le laisser se perdre, merde ! Pardon pour le mot. »

Au début de ses études elle a dû essuyer les critiques faites aux missions éducatives : « Beaucoup disaient que nous n‘étudions pas, que nous n’étions pas vraiment formés, que nous étions des « étiquettes jaunes » – terme méprisant associé aux produits de mauvaise qualité. Je vous dis une chose, « étiquette jaune » c’est toute personne qui indépendamment de son lieu d’études, n’enquête pas, n’a pas d’éthique. Je vous recommande d’avoir une éthique, d’être authentique, de ne pas laisser dévier votre route par des intérêts égoïstes et surtout, enquêter, faire des recherches, si vous n’enquêtez pas à fond, vous êtes fichu. »

Elle a reçu l’Ordre Santa Ana de Coro en première classe pour son destin  exemplaire. Quand on lui a passé la bandoulière elle a crié « Vive Chávez, nom de.. ! »

« Mon mot d’ordre c’est insister, résister et ne jamais désister. Dans la persévérance réside le triomphe. Vous voyez, on se moquait de moi parce que j’étais vieille, “un vieux perroquet n‘apprend pas à parler » me disait-on. Ma réponse est : si, on peut apprendre, regardez-moi. »

Elle a trente petit-fils et trois arrière-petits-fils et affirme que tant qu’elle vivra elle sera plongée dans les livres, parce qu’elle adore lire, qu’elle se sent heureuse avec un livre dans les mains, renouvelant, apprenant des choses nouvelles : « je me sens comme une adolescente ».

Pour étudier il n‘y a pas d’âge. C’est une de ses filles qui le dit, et qui a eu l’occasion de lui donner des cours à l’université. « Un jour elle m’a cherché querelle parce que je ne lui avais pas mis vingt sur vingt. Je l’ai traitée comme une autre étudiante, je lui ai expliqué en quoi elle avait commis une erreur, elle a compris et m’a remerciée. » Amelia répond « Ma fille a eu une éthique. Je suis fière: je l’ai bien éduquée. »

A son âge,  Amelia, celle qui a élevé le technicien en chimie, le topographe et le dessinateur, le technicien en électricité, l’enseignante de français et d’anglais, le technicien agricole, le technicien mécanicien, le mécanicien industriel et celui de machines lourdes, la licenciée en prévention de désastres naturels et deux bacheliers de plus, a reçu son diplôme de communication sociale.

« Qu’il n‘y ait pas de doute, toute cette expérience de vie n‘aurait pas été possible sans le pari du président Chávez de nous alphabétiser, lui-même a toujours étudié, y compris quand il était prisonnier à Yare, cet homme avait une bibliothèque dans la tête. Et à celui qui par peur ou par préjugés n’a pas voulu continuer à se former, je dis qu’étudier est une source très puissante pour nous défendre, pour défendre nos pensées, notre souveraineté, pour découvrir des vérités cachées, pour discerner les supposées vérités qui en fait ont toujours été des mensonges. »

Amelia avec une petite partie de sa famille.

Amelia avec une petite partie de sa famille.

 

Texte : Katherine Castrillo / Contact : @ktikok

Photographies : Sahili Franco / Contact : @slashysah

Source : La Cultura Nuestra, http://laculturanuestra.com/loro-viejo-no-aprende-a-hablar-el-negro-chato-licenciada-a-los-85-anos/

Traduction : Thierry Deronne

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« La technologie ne peut se concevoir isolée de la politique » : entretien avec Carlos Parra, du projet Canaima GNU/Linux

Carlos Parra (troisiéme à partir de la gauche) et son équipe de développeurs du software libre au Veezuela

Carlos Parra (troisième à partir de la gauche) et son équipe de concepteurs et développeurs du software libre au Venezuela

Carlos Eduardo Parra Falcón est chef des opérations du projet Canaima au Centre national des technologies de l’information (CNTI), entité dépendant du ministère du pouvoir populaire pour la science, la technologie et l’innovation de la République bolivarienne du Venezuela.

Mais, en plus de remplir cette charge publique conjoncturelle, Carlos Parra est actif au sein de la communauté du logiciel libre. Pour Carlos, dans toute activité professionnelle existe une orientation politique qui donne sens à tout ce que l’on fait. Il est de ceux qui pensent que la technologie comporte une puissante charge politique que beaucoup s’emploient à « neutraliser ». Actuellement, il a pour responsabilité de gérer le projet Canaima, le système d’exploitation GNU/Linux de l’État vénézuélien, et il essaie d’appliquer sa vision politique à ce projet technique. Il sait que beaucoup d’hommes et femmes politiques ont du mal à prendre conscience de l’importance prise des logiciels libres, dans une société où tous les processus sont de plus en plus commandés par des logiciels. Mais, du moins dans son champ d’action, il s’efforce par son modèle de gestion de rendre les techniciens conscients des implications politiques de la technologie dans la dénommée société de la connaissance. Il n’est en rien facile de rompre avec la domination des monopoles technologiques mais le contexte révolutionnaire qui est celui du Venezuela, une communauté du logiciel libre très active et critique, et des dirigeants qui sont à l’écoute de ces communautés ont permis certaines réussites comme le projet Canaima lui-même ou le taux de pénétration élevé du logiciel libre dans toute l’administration publique vénézuélienne. Carlos, avec sa perspective caribéenne, son esprit rebelle et sa vision communiste, adore chanter Bella Ciao, parler de technologie et, surtout, de politique. Dans cet entretien, il nous explique en quoi le projet Canaima va bien au-delà d’un projet technologique. Il nous fait part de ses réflexions sur le libre savoir, le logiciel libre et le socialisme, ainsi que sur le rapport entre création de logiciel et propriété des moyens de production. Entretien par Rafael Rico Ríos

Pour mieux nous situer, qu’est-ce que Canaima et quel est son objectif ?

À l’origine, Canaima était un produit technologique, une distribution [4] de logiciels libres développée à partir de standards ouverts, conformément au Décret présidentiel n°3390 signé par le Président Hugo Chávez le 23 décembre 2004. Son objectif premier était de faciliter la migration vers les logiciels libres des postes de travail des institutions, organes et entités de l’administration publique vénézuélienne. Avec le temps, et de par sa dynamique, Canaima est devenu beaucoup plus qu’un produit technologique. Actuellement, nous le concevons comme un projet socio-technologique visant à produire des instruments, mécanismes, outils et processus, tant technologiques que sociaux et politiques, qui mettent la technologie au service de la société — d’où le qualificatif de socio-technologique. Cette conception a donné naissance à des projets aussi importants que Canaima Educativo, également mis au point par le gouvernement bolivarien, et à d’autres pas moins importants comme Canaima Comunal, Canaima Universitario, Canaima Colibrí et Canaima Forense, qui ont été mis au point par des communautés organisées.ABN-22-02-2011-222114571717feriaproductiva7HT-canaima-educativo Un des principes les plus largement diffusés du projet Canaima comporte entre autres objectifs la production de compétences nationales, le développement endogène, l’appropriation et la promotion du libre savoir, pour la construction d’une nation vénézuélienne technologiquement préparée. Le projet Canaima est, de fait, une politique publique du gouvernement bolivarien.

Il existe actuellement une infinité de systèmes d’exploitation basées sur les logiciels libres. Pourquoi développer et maintenir Canaima ? Pourquoi ne pas utiliser les distributions libres qui existent déjà ?

Pourquoi Canaima ? Pour beaucoup de raisons. Par exemple, la possibilité qu’il offre à nos talents nationaux de s’approprier un projet national et de lui donner un sens social et politique adapté à notre réalité. Parce qu’adapter un logiciel libre passe nécessairement par faire des recherches, étudier, acquérir des connaissances, les multiplier, les socialiser. Et ce processus génère beaucoup de projets, d’idées, de curiosité qu’il faudra assouvir, beaucoup d’initiatives qui surgissent presque automatiquement lorsque plusieurs personnes s’unissent pour atteindre un objectif et que cette union est solidaire fondée sur le désir de partager et de s’associer, de soutenir et d’aider.

De nombreux projets peuvent être considérés comme étant très urgents dans un société avec de fortes inégalités. Tu considères qu’un système d’exploitation libre est un projet pertinent pour l’État ?

Pour toutes les raisons que l’on vient de voir, et beaucoup d’autres, le projet Canaima est, à n’en pas douter, pertinent ; cela ne veut pas dire que soit la seule politique pertinente pour l’État. La population a des besoins plus concrets, palpables, auxquels les gens sont plus sensibles parce qu’ils laissent des traces perceptibles, chaque jour, dès que l’on sort de chez soi. Par exemple, un voisin qui sort de chez lui et qui remarque que le camion des poubelles n’est pas passé depuis trois jours, a là un besoin bien réel, et un système d’exploitation libre ne va pas lui régler ce problème le quatrième jour et faire que le service d’assainissement de la ville vienne ramasser les ordures dans le quartier. Des problèmes se posent quotidiennement, mais bon nombre d’entre eux ne sont pas conjoncturels mais structurels, systémiques, et les problèmes structurels ne se règlent pas avec des mesures conjoncturelles. Les mesures conjoncturelles peuvent palier la situation, elles peuvent servir à atténuer les effets du problème, mais la solution réelle passe par la recherche des causes du problème et par leur solution à l’endroit où elles apparaissent.abn-21-09-2011-219111094410_mg_345628129 C’est là que l’on voit l’intérêt que présente un système d’exploitation libre, un projet de l’État capable de stimuler l’usage et l’appropriation de la technologie pour la mettre au service de la société conduit, peut-être pas à court terme mais certainement à moyen terme, une nation à un niveau de développement scientifique et technique autonome en mesure de proposer, avec l’aide de la technologie, des solutions aux problèmes quotidiens des gens.

Au Venezuela, on observe beaucoup d’activité et d’engagement politiques de la part des communautés du logiciel libre. Pourquoi pensent-elles que le logiciel libre revêt autant d’importance dans la société actuelle ?

Le logiciel libre ouvre les portes du développement à la société, aux populations, aux pays, et cela parce qu’il respecte le principe de la liberté de la connaissance. Une société sans savoir est une société qui vit dans les ténèbres, un peuple sans avenir, une nation dépendante incapable d’avancer par elle-même et de se tracer son propre destin. Socialiser le savoir revient à irriguer beaucoup de graines semées sur tout le territoire national, ces graines que sont hommes et femmes, étudiants, filles et garçons, l’avenir de la société. Une société qui cherche à se développer d’une manière autonome, durable et tenable doit produire ses propres outils technologiques et se les approprier ; au contraire, une société qui se contente d’importer de la technologie qui sera utilisée par ses citoyens ne fera que consommer des produits technologiques, des objets du marché mondial de la technologie.

Tu dis que le projet Canaima est un projet socio-technologique. Tu considères donc que la technologie a un caractère politique ?

Au sens large, tout ce que nous faisons dans la société présente un caractère politique ; la technologie a un caractère politique, sans aucun doute. Plus concrètement, dans la vie quotidienne de la nation vénézuélienne qui s’attache à être libre, indépendante, souveraine et socialiste, la technologie ne peut se concevoir isolée de la politique : au-delà des activités sociales, l’action de la politique va de pair avec l’action de la technologie, avec la manière de nous l’approprier, la manière de l’utiliser. La technologie naît pour remplir un objectif, depuis le moment où l’on songe à la produire jusqu’au moment où elle se matérialise ; par conséquent, la technologie que nous utilisons est fabriquée en vue d’une fin, que nous accomplissons en l’utilisant. Mais, au-delà, lorsque nous avons le pouvoir de produire nous-mêmes la technologie, ce peut être pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés, des objectifs sociaux, politiques, humanistes, par exemple. La production de technologies libres remplit une fin, principale ou sous-jacente, qui est de libérer les connaissances, de les socialiser, de les mettre entre les mains de tous et toutes. C’est une fin humaniste, sociale, politique, philosophique.Canaimitas-476x256 La technologie est tellement liée à la politique que, par exemple, quand tu utilises un logiciel privatif, tu participes, que tu le veuilles ou pas, à l’accumulation de capital au profit de quelques-uns ; cela répond à une conception politique de la vie en société. Et quand tu utilises un logiciel libre, tu participes, que tu le veuilles ou non, à la diffusion des connaissances, à la socialisation de la technologie, tu pratiques le socialisme.

Quand on en vient à des notions comme la souveraineté et l’indépendance technologiques, est-ce qu’un pays peut se développer sur le plan scientifique et technique en utilisant des technologies importées ?

Ça dépend. Si l’importation de cette technologie s’accompagne d’un transfert technologique, bien sûr qu’il peut, parce que, grâce à ce transfert, il parviendra à un développement endogène, à une appropriation de la technologie et des processus nécessaires pour la produire. Le point clé pour parvenir à son propre développement scientifique et technique, de manière durable, avec des technologies importées, c’est qu’elles n’engendrent pas de dépendance. Il faut être très prudent avec ça. Imaginons que j’importe une technologie moyennant un contrat de transfert technologique ; si ce transfert a uniquement pour but d’apporter une aide, je resterai les mains liées parce que la technologie va devenir obsolète et que le transfert n’aura pas prévu son actualisation ni la production de technologies nouvelles. Même en cas de transfert complet, le pays peut aussi commettre l’erreur de ne pas s’employer à multiplier les talents et à développer massivement les processus de production et de socialisation, de ne pas retransférer les technologies, de ne pas former les gens. Dans ce cas, efforts et investissements consentis l’auront été en pure perte. Enfin, un développement scientifique et technique durable dans le pays peut commencer par l’importation de technologies, mais il passe obligatoirement par des processus de transfert technologique, de formation en aval, de recherche et de prospective, d’articulation, d’investissement dans l’infrastructure, d’inclusion des établissements d’enseignement public dans le processus, et sûrement encore d’autres choses auxquelles je ne pense pas maintenant.

Et le logiciel libre suffit à obtenir l’indépendance technologique ?

Non. C’est très important mais cela ne suffit pas. Il faut installer les logiciels libres que nous produisons sur des machines, et si ces machines sont fermées, qu’elles ne sont pas libres ni documentées, l’autre moitié du chemin reste accidentée. Nous devons redoubler d’efforts pour stimuler la production et la recherche sur le hardware libre, nous devrons documenter lehardware que nous produisons dans le pays. Si nous nous contentons d’assembler, il est nécessaire de documenter l’assemblage des machines pour nous approprier peu à peu les processus ; quand nous fabriquerons des cartes, des circuits intégrés, des puces, des mémoires, des disques, alors nous documenterons tout, le savoir est libre.

Le nouveau cycle de développement de Canaima GNU-Linux a été défini dans cette rencontre tenue à Barinas, Universidad Nacional Experimental

Le nouveau cycle de développement de Canaima GNU-Linux a été défini dans cette rencontre tenue à Barinas, Universidad Nacional Experimental

Pour comprendre le Venezuela, il est toujours bon de se rappeler que, comme il possède la plus grande réserve de pétrole du monde, le pays intéresse les grandes multinationales et les pays dominants. En conséquence, l’industrie pétrolière vénézuélienne a subi de multiples sabotages technologiques, de la part de la droite nationale et internationale, et les politiques vénézuéliens savent combien la souveraineté technologique est importante. Qu’en est-il des développeurs [de logiciels] ?

Les notions de souveraineté et d’indépendance technologiques sont des concepts politiques. Pour cette raison, les responsables politiques les appréhendent plus facilement. De façon générale, un développeur connaît très bien les avantages techniques que procurent les langages de programmation libres, des environnements de développement, de la stabilité, des bibliothèques et même du modèle de production collectif du logiciel libre, où tous les développeurs s’unissent dans des scénarios déterminés pour s’entraider. Tout développeur ou développeuse de logiciel libre n’a pas forcément une idée claire des notions d’indépendance et de souveraineté, alors que ce devrait être le cas de tout politique. L’idéal serait que les développeurs en aient aussi une idée claire. Sans chercher bien loin, on en trouvera une bonne illustration au Bureau des opérations du projet Canaima au CNTI, qui dispose d’une équipe de développeurs et développeuses et où les questions politiques sont présentes dans presque toutes nos discussions, parce que le projet Canaima est un projet politique, né en révolution, sous la plume et suivant les idées du Président Hugo Chávez, avec une conception clairement socialiste. Ne pas comprendre ce qui fait notre essence même, ce serait nous perdre, car nos objectifs ne sont pas technologiques mais politiques, notre activité s’inscrit dans le Plan de développement économique et social de la nation, mieux connu sous le nom de Plan de la Patrie ou IIe Plan socialiste de la nation. Le projet Canaima fait partie des nombreuses graines semées par le commandant Hugo Chávez dans cette patrie de Bolívar ; cette graine a poussé, a produit des millions de fruits et poursuit aujourd’hui sa maturation.

Vous essayez d’intégrer la politique à votre modèle de gestion bien qu’il s’agisse d’un projet technologique. Comment travaille-t-on, avec les développeurs, au sein d’un projet technologique s’appuyant sur une vision politique ?

Nous, les développeurs, ne sommes pas des automates, nous sommes des acteurs sociaux, des acteurs politiques comme tout le monde, nous prenons les transports publics ou notre voiture le matin et nous voyons en chemin les inégalités sociales, nous voyons untel au volant de son Audi, untel à la fenêtre d’un immeuble de la Grande Mission habitat Venezuela, nous voyons les inégalités et nous voyons les changements politiques actuellement en cours dans notre pays. Le projet Canaima est plus qu’un projet technologique, la technologie est un outil, pas une fin ; la fin, c’est la souveraineté nationale, la liberté, l’indépendance, la fin la plus précieuse, comme l’indique le premier grand objectif historique du Plan de la patrie. Telle est la vision poursuivie et nous l’avons bien en tête, de sorte qu’au-delà de notre rôle dans le projet, nous savons tous que nous avons aussi pour rôle d’atteindre des fins politiques, chose que nous assumons jour après jour dans nos activités et nos discussions au cours du processus permanent de révision, de rectification et de relance du projet.edición Bailadores-Mérida, activistas del Software Libre y estudiantes de informática establecieron una metodología de trabajo ...

On parle souvent de la neutralité technologique. Vous êtes d’accord ?

D’abord, je veux préciser que ce que certains spécialistes appellent neutralité technologique en se référant à la garantie d’accès et d’échange de données entre systèmes et citoyens n’est pas ce à quoi je pense quand j’utilise cette expression. En ce sens, je préfère le terme « interopérable » à « neutre ». Je ne crois pas que la technologie soit neutre ; la technologie répond toujours aux intérêts de celui qui la fabrique, elle ne naît pas à partir de rien, elle est produite par les hommes et les femmes que nous sommes, qui vivons en société et qui avons des intérêts collectifs ou individuels mais, enfin, des intérêts.

Si la technologie n’est pas politiquement neutre, on peut parler alors d’une technologie capitaliste et d’une technologie socialiste ?

Comme je viens de le dire, la technologie répondra toujours à des intérêts, aux intérêts de celui qui la produit, la construit, la fabrique ou la développe ; cependant, quand les intérêts collectifs prévalent sur les intérêts individuels, on est alors en présence de fins qui favorisent le bien collectif. Politiquement parlant, l’individualisme cède le pas à la solidarité, on ne parle plus d’accumulation mais de socialisation. Il y a là au moins deux modèles politiques clairement identifiables, je reprends les termes de ta question, on parle de capitalisme et on parle de socialisme.

Mais ces deux modèles politiques de la technologie font référence au point de vue des usagers ou à la fin pour laquelle ils l’utilisent ?

Ils ne renvoient ni aux usagers ni à la fin pour laquelle ils l’utilisent, mais à la fin pour laquelle la technologie est produite. Cela apparaît plus clairement quand on va à l’essence du modèle, je veux dire au modèle productif : le modèle employé pour produire des logiciels libres n’est pas le même que celui qu’on emploie pour produire du logiciel privatif. Par exemple, si tu fabriques un système administratif fermé, selon le modèle privatif, et un système administratif en logiciel libre, un examen superficiel peut conduire à affirmer que les deux systèmes, bien que faits avec des modèles de production distincts, visent à la même fin : automatiser l’administration d’une organisation. Mais non. Celui a produit le système administratif privatif l’a fait pour accumuler du capital, pas pour administrer les biens et les ressources d’une organisation. Tu vois ce que je veux dire ? Et, dans le modèle de construction qu’il a utilisé pour le système privatif, il a engagé des travailleurs et des travailleuses, à qui il a payé un salaire, il est interdit de s’approprier la moindre partie du système administratif ; avec ce travail, il a produit une plus-value que s’est approprié le propriétaire d’une entreprise, et le produit résultant n’est rien d’autre qu’une marchandise objet du travail d’une classe qui ne possède pas les moyens de production et qui n’a pas eu d’influence directe sur le choix du mode de production. Pour le système administratif en logiciel libre, on a utilisé un autre modèle, dans lequel la construction est collective, la plus-value, du moins pendant la phase de production, est de la connaissance, et cette connaissance est socialisée. Autrement dit, personne ne s’approprie la plus-value, elle est socialisée et elle bénéficie au collectif, qui à son tour la replace dans le produit et les multiplie au sein du même modèle de production. Tu vois la différence ? Enfin, les deux systèmes, le libre et le privatif, peuvent s’utiliser comme systèmes administratifs dans une organisation, mais le modèle de production utilisé dans chacun est totalement différent et produit des effets distincts dans la société et chez les êtres humains impliqués. Par conséquent, ce qui détermine si une technologie est socialiste ou capitaliste, c’est son modèle de production, et celui-ci est immédiatement reconnaissable, il est unique.

Carlos Parra

Carlos Parra

D’après ce que tu dis, on pourrait affirmer que le logiciel libre est socialiste ?

Sans aucun doute, le logiciel libre est socialiste. Pourquoi ? À cause de son modèle de production, principalement ; il est probable que d’autres variables interviennent, mais sa différenciation par le modèle de production lève toute équivoque. Le modèle de production dans le socialisme se caractérise entre autres par deux choses : – le moyen de production est un bien collectif ; – la planification et l’organisation sont collectives. C’est de cette manière que nous produisons des logiciels libres, que ce soit pour un État ou non, pour un gouvernement ou non ; le moyen de production appartient à tous ceux qui interviennent dans la production, et la planification comme l’organisation et la prise de décision sont collectives.

Mais il peut y avoir de l’exploitation dans une entreprise qui développe du logiciel libre.

C’est possible et cela dépend du modèle de production adopté par l’entreprise. Le modèle de production déterminera si l’entreprise se comporte en exploiteur ou non. Toute la question, j’insiste, réside dans le modèle. Si l’entreprise s’emploie à produire du logiciel libre en socialisant les moyens de production, en générant des biens collectifs, en redistribuant la plus-value, il n’existera pas d’exploitation capitaliste. Mais une entreprise peut créer des logiciels en engageant des travailleurs ou des sous-traitants, en leur versant une rémunération, en s’appropriant la plus-value puis en libérant le produit final, un logiciel sous licence libre. C’est un modèle capitaliste de production de logiciel libre, le résultat est ensuite libéré mais le modèle de production utilisé au départ n’est pas un modèle socialiste.

La licence CopyFarLeft exige que le logiciel, en plus de satisfaire aux quatre libertés du logiciel libre, soit développé dans des organisations disposant de moyens de production collectifs. On a vu apparaître des initiatives intéressantes comme le Manifeste télécommuniste, qui réfléchit sur la propriété des moyens de production dans le développement des logiciels. Que penses-tu de ces propositions ?

Ces propositions viennent combler les lacunes que existe dans le modèle de production du logiciel libre. Je les trouve très révolutionnaires. La création d’une licence qui garantisse que les travailleurs (développeurs et développeuses) soient propriétaires des moyens de production des œuvres (des systèmes, en l’occurrence) constitue un bouclier contre l’exploitation. Grâce à ces propositions, il deviendra possible pour les travailleurs de partager librement, en conservant la valeur du produit de leur travail (la plus-value). Je crois que c’est vers cela que nous devons nous diriger.

Équipe de concepteurs du système Canaima - Linux

Équipe de concepteurs du système Canaima – Linux

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Notes

[2Pour un exemple français de mobilisation en cours, voir par exemple la campagne de Framasoft, Dégooglisons Internet.
[3GNU/Linux est un système d’exploitation informatique, comme le sont aussi Microsoft Windows et Mac OS, mais qui, à la différence de ces derniers, est basé sur le principe du logiciel libre, ce qui suppose d’avoir accès au code source, à des fins de contrôle, notamment. Pour la Free Software Foundation un logiciel est libre — libre n’est pas nécessairement un équivalent de gratuit — s’il confère à son utilisateur quatre libertés : la liberté d’exécuter le programme, pour tous les usages ; la liberté d’étudier le fonctionnement du programme et de l’adapter à ses besoins ; la liberté de redistribuer des copies du programme (ce qui implique la possibilité aussi bien de donner que de vendre des copies) ; la liberté d’améliorer le programme et de distribuer ces améliorations au public, pour en faire profiter toute la communauté. L’accès au code source est une condition d’exercice des libertés 1 et 3.
[4Système d’exploitation — note DIAL. URL de cet article : http://wp.me/p2ahp2-1XA

Le dernier sursaut de Santander

Ainsi fonctionne la mondialisation médiatique. Ce n’est que plusieurs semaines après coup que la vérité apparaît… aux happy few. La récente ¨opération¨ au Venezuela montre le succès de la fabrication d’une opinion soutenant des ¨mouvements de libération¨ dont on occulte les années de préparation, les financements, les stratégies impériales relayées localement par des paramilitaires. Si elle ne s’attelle pas à la démocratisation de la propriété des médias, la gauche occidentale se coupera du monde avant de disparaître elle-même, laminée idéologiquement. La critique des médias, dès les années 70, avait prédit ce qui arrive aujourd’hui. En 1980 le rapport remis à l’UNESCO par la commission du prix Nobel irlandais Sean MacBride (y participèrent Gabriel Garcia Marquez, Marshall Mc Luhan et Hubert Beuve-Méry, fondateur du Monde) mit en cause la circulation unilatérale de l’information – victime du pouvoir économique – et le déséquilibre nord-sud des flux médiatiques. Il prôna de développer dans le Tiers Monde des politiques nationales en vue de créer ¨un nouvel ordre mondial de l’information¨. Le rapport fut rejeté par le gouvernement Reagan. N’est-il pas temps de passer aux actes ?

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Francisco de Paula Santander (1792-1840)

L’Amérique Latine, elle, ne retournera pas en arrière. Ce que nous vivons au Venezuela n’est que la nervosité impériale, la fébrilité des dernières cartes, le dernier sursaut du colonialisme. Un Alvaro Uribe n’est que l’avatar de son ancêtre et homologue Francisco de Paula Santander  qui signa avec les États-Unis un Traité de Libre Commerce et fit tout pour torpiller les efforts de Bolivar en vue de construire ¨l’équilibre du monde¨. Le rêve d’Uribe est cruel mais vain : exporter au Venezuela le chaos qu’il a expérimenté pendant des années en Colombie – narcotrafic, destruction des services publics, contrôle social par la terreur paramilitaire (1). Selon le journaliste José Vicente Rangel 400 paramilitaires colombiens attendent le signal de l’extrême-droite vénézuélienne pour traverser la frontière et renforcer leur armée dormante en vue d’une nouvelle phase d’attentats et d’assassinats sélectifs. Mais Uribe et Washington peuvent-il encore arrêter l’Histoire alors que leur base colombienne elle-même se dérobe sous leurs pieds ? Tôt ou tard la guérilla s’y muera en force politique pour, avec le reste de la gauche, oxygéner le champ politique, comme ailleurs en Amérique Latine. D’où l’empressement de détruire le futur avant qu’il n’advienne, de revenir aux fosses communes creusées sous la lune.

Qui peut croire que le Venezuela reviendra un jour à l’apartheid d’avant Chavez ? Pourquoi 95 % des universités ont-elles poursuivi normalement leurs activités ? Pourquoi sur les 2.620.000 étudiants universitaires, seuls 3% ont-ils participé aux manifestations ? Pourquoi, comme l’a indiqué la procureure générale Luisa Ortega Diaz, sur les 197 personnes arrêtées pour meurtres ou destructions, ne compte-t-on que 14 étudiants ? Tout simplement parce que l’ensemble de la jeunesse jouit pour la première fois de la démocratisation et de la gratuité de l’université. Tous les mois, de nouvelles facultés s’ouvrent, de nouvelles carrières, de nouveaux débouchés sur fond de baisse du chômage. A ces étudiants de peau brune ou noire, hier encore exclus, rien de plus étranger que la violence ou la mort comme pratique politique. Tôt ou tard la Colombie suivra la même voie : les exclusions et les inégalités seront surmontées grâce aux urnes. Le futur n’a pas envie de se suicider.

Des écoliers manient leur ¨Canaimita¨, ordinateurs- encyclopédies distribués gratuitement par le gouvernement (il en existe un modèle universitaire). Le Wifi est en cours d’installation dans les places publiques des principales villes, les lycées et les universités.

Des écoliers manient leur ¨Canaimita¨, ordinateurs-encyclopédies distribués gratuitement par le gouvernement (il en existe un modèle universitaire). Le WiFi est en cours d’installation dans les places publiques des principales villes, les lycées et les universités.

Où vivent en grande majorité les étudiants vénézuéliens ? Dans les zones populaires. Là où vivent les 85 % de la population. Ces citoyens hier invisibles participent à la politique, obtiennent des services publics gratuits. Les constantes augmentations protègent leurs salaires et leurs pensions de l’inflation. L’opposition n’a pu entraîner cette majorité dans ses rêves de coup d’État. Même les alliés supposés de la droite comme les habitants du quartier riche de Chacao désapprouvent à 73 % les destructions des ¨guarimberos¨, préfèrent à 68 % le dialogue entre gouvernement et opposition, estimant à 69 % que la droite devrait se démarquer de la violence de l’extrême-droite (2).

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Après avoir attaqué d’autres universités et s’être livrés dans certains cas à des autodafés, des brigades d’extrême-droite ont incendié l’Université Fermín Toro, à Barquisimeto (État de Lara) le lundi 5 mai 2014.

L’UNESCO a situé en 2013 le Venezuela comme le deuxième pays d’Amérique Latine et le cinquième au monde en nombre d’étudiants universitaires. En 2013 les inscriptions ont bondi de 289%, ce qui donne deux millions 620 mille étudiants inclus dans l’enseignement supérieur (3). Le Venezuela est devenu le troisième pays du continent pour le nombre de lecteurs (4). La révolution bolivarienne a également démocratisé l’octroi des bourses d’études à l’étranger, jusqu’ici confisquées par la bourgeoisie. Voir débarquer des jeunes de milieu populaire jouissant du même droit d’étudier enrage la colonie vénézuélienne installée en Europe, à Madrid ou à Paris, celle-là même qui inonde Twitter de photos de la-répression-au-Venezuela… prises dans d’autres pays.

Bref, c’est pour faire durer le plus longtemps possible le mensonge de la ¨rébellion étudiante contre la vie chère¨ que Paulo Paranagua (lui aussi fils de la bourgeoisie latino-américaine) du ¨Monde¨ et les autres adhérents du Parti de la Presse et de l’Argent sont obligés d’occulter les marches pacifiques de la majorité des étudiants pour défendre la voie électorale. (6)

Thierry Deronne, Caracas le 8 mai 2014.

12 mars, à Caracas. Marche des étudiants du milieu populaire pour défendre les institutions démocratiques face aux violences de l'extrême droite.

12 mars, à Caracas. Marche des étudiants du milieu populaire pour défendre les institutions démocratiques face aux violences de l’extrême droite.

71-540x367Notes 

(1)    Des 41 victimes fatales, la majorité appartiennent au camp bolivarien, assassinées le plus souvent par des mercenaires étrangers (dont 48 ont été arrêtés), notamment colombiens. 275 fonctionnaires publics ainsi que 510 civils ont été blessés, 8 gardes nationaux et un policier assassinés. Les 15 agents des forces de l’ordre qui ont enfreint les instructions du gouvernement de ne pas user d’armes et coupables d’homicides (cas de Geraldine Moreno) ont été livrés sans délai à la justice par souci de mettre fin à toute impunité.

On mesure l’ampleur du financement de cette enième tentative de coup d’État dans la saisie de plus de deux mille armes dont des lance-roquettes, des fusils de haute précision, des grenades, du matériel de télécommunications etc.. Sa préparation remonte à plusieurs années avec les attentats à l’explosif contre des ambassades à Caracas, des réunions-formations au Mexique sous la férule de coach serbes ou l’infiltration de bases paramilitaires comme la ¨finca Daktari¨dont l’objectif était l’assassinat de Hugo Chavez (5).

Elle fut relancée en 2013 par le candidat de la droite Henrique Capriles Radonski dès l’annonce de sa défaite aux présidentielles du 14 avril. Suivant sa consigne de descendre dans la rue pour libérer la rage, des commandos mêlant paramilitaires infiltrés et militants de son parti Primero Justicia avaient déjà assassiné une dizaine de militants bolivariens, attaqué ou incendié des permanences du Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV), 25 centres de diagnostic intégral (centres de santé populaire gratuits), des médias communautaires, des centres d’approvisionnement populaire (réseau Mercal), des sièges régionaux du Conseil National Électoral, ainsi que des domiciles de fonctionnaires publics. Les leaders d’extrême-droite Leopoldo Lopez et Maria Corina Machado ont emboîté le pas à la fin de 2013 appelant, selon les mots de cette dernière à reprendre les ¨confrontations non-dialogantes¨ pour forcer la ¨sortie de Maduro¨.

(2)    Sondage de la firme privée Hinterlaces, http://www.redpres.com/t10030-hinterlaces-73-de-los-vecinos-de-chacao-rechazan-las-guarimbas

(3)    http://www.avn.info.ve/contenido/unesco-reconoce-venezuela-como-quinto-país-mayor-matrícula-universitaria-del-mundo

(4)     https://venezuelainfos.wordpress.com/2012/05/07/le-venezuela-est-devenu-le-troisieme-pays-damerique-latine-pour-le-nombre-de-lecteurs-de-livres-par-jesse-chacon-gis-xxi/

(5)    Lire ¨Déjà 2,5 millions de dollars investis pour assassiner le président Maduro¨, https://venezuelainfos.wordpress.com/2013/08/01/deja-25-millions-de-dollars-investis-pour-assassiner-le-president-maduro/

(6)    Lire ¨Venezuela, la jeunesse d’un changement d’époque¨, https://venezuelainfos.wordpress.com/2014/02/16/venezuela-la-jeunesse-dun-changement-depoque/

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2014/05/08/le-dernier-sursaut-de-santander/  

Venezuela : la jeunesse d’un changement d’époque

Au Venezuela, lorsqu’une minorité de casseurs nostalgiques de l’apartheid réagit violemment à l’accession d’une majorité de jeunes d’origine populaire, de peau brune ou noire, aux études universitaires, les grands médias occidentaux annoncent la  “révolte de la jeunesse(1). Des photos de la répression brutale contre des étudiants chiliens sont affublées de la légende “Venezuela” pour faire croire à un régime répressif. Mais si le lendemain la majorité de la jeunesse vénézuélienne descend pacifiquement dans la rue pour refuser la violence des commandos d’extrême-droite et si la majorité des gouvernements latino-américains (UNASUR, MERCOSUR, ALBA, etc..) défend le gouvernement bolivarien face aux tentatives de déstabilisation, les agences (AFP, AP, Reuters) ne voient rien, n’entendent rien. C’est ainsi que depuis quatorze ans, des millions de lecteurs, auditeurs, téléspectateurs restent enchaînés au fond de la Caverne de Platon, à quelques années-lumières des dynamiques politiques de l’Amérique Latine.

La Fédération des Étudiants Universitaires du Chili (FECH), célèbre pour sa longue lutte face à la répression du gouvernement Piñera et sa politique de privatisation radicale du système éducatif, a émis un communiqué officiel le dimanche 16 février pour “rejeter les tentatives de déstabilisation et de coup d’État au Venezuela, patentes dans les violences organisées ces derniers jours” ainsi que “toute tentative d’accaparement d’aliments et de putschisme qui cherchent à passer par-dessus les décisions souveraines du peuple vénézuélien” et a dénoncé “la manipulation médiatique d’images et d’informations destinée à créer un climat favorable à l’intervention”. (2)

T.D., Caracas, février 2014.

Caracas, le 15 février 2014. Mobilisation pacifique de la jeunesse face à la violence de l'extrême-droite. Image invisible dans les grands médias.

Caracas, le 15 février 2014. Mobilisation pacifique de la jeunesse contre la violence de l’extrême-droite. Image invisible dans les grands médias.

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Vénézuela : la jeunesse d’un changement d’époque, par Íñigo Errejón

La deuxième Enquête Nationale sur la Jeunesse Vénézuélienne, réalisée par la Fondation GIS XXI, repose sur un échantillon de 10.000 personnes de toute origine sociale et couvre l’ensemble du pays. Ses résultats ont été publiés à Caracas le jeudi 28 novembre 2013. La précédente étude remontait à 1993, il y a exactement vingt ans.

Cette étude constitue un précieux outil pour ceux qui souhaitent comprendre la période actuelle et prendre la mesure des défis futurs. C’est également une référence pour la définition des politiques publiques qu’il s’agira d’élaborer en faveur des jeunes générations de vénézuéliens. Par ailleurs, les résultats de cette enquête adviennent à un moment crucial sur le plan démographique, qui voit la part de la population active vénézuelienne prendre le pas sur sa part non active.

Cette seconde Enquête Nationale sur la Jeunesse Vénézuelienne se révèle être un outil de référence pour les spécialistes des sciences sociales, les citoyens engagés dans la vie publique, les militants, les cadres politiques et les « décideurs » dans leur ensemble.

Une première confrontation des résultats des deux enquêtes  (1993-2013) débouche sur un constat : entre ces deux dates, une rupture qualitative s’est opérée en termes culturel, social et politique. Les termes constitutifs de cette deuxième Enquête Nationale sur la Jeunesse s’avèrent être autant d’indices d’un changement d’époque dont le Vénézuela a été le théâtre. Pour le dire en termes plus directs : les jeunes générations de vénézuélien(ne)s sont le reflet de l’accélération d’un processus qui a opéré des changementsstructurels sur le plan de l’imaginaire, des attitudes et de consensus qui traversent les strates de la société vénézuélienne.

Dans le Métro de Caracas, novembre 2013.

Dans le Métro de Caracas, novembre 2013.

Les jeunes vénézuéliens n’abandonnent pas leur esprit critique et aspirent à plus et à mieux.

L’Enquête Nationale restitue le principal acquis émanant des temps historiques que traverse le Venezuela  : la diversification des possibles, l’accroissement des attentes et des demandes sont des manifestations qui touchent d’une manière relativement transversale l’ensemble des couches sociales du pays.

Les jeunes vénézuéliens partagent une conviction : celle de vivre un moment décisif qui leur permet d’aspirer à une vie meilleure, du fait de l’accroissement des opportunités. (98% d’entre eux envisagent de poursuivre leur scolarité; 96% pensent qu’ils pourront mener à leur terme les études de leur préférence). Un fort contraste avec les pays du Nord où les études sont une marchandise d’accès difficile pour une grande partie des jeunes. Dans le même temps, 64% des jeunes vénézuéliens interrogés envisagent de changer de travail, convaincus pour 93% d’entre eux, de pouvoir accéder avec succès à un emploi meilleur.

Ces données contrastent elles aussi avec la crise des débouchés qui affecte une grande part de la jeunesse européenne; elles attestent de l’existence d’un processus de démocratisation qui facilite grandement l’accès aux principaux biens sociaux: l’éducation, le logement, l’emploi, la santé, le sport, la culture.

Les chiffres permettent également d’établir un lien entre l’extension de la souveraineté populaire et l’accroissement du bien-être pour la majorité de la population; Appliqués au Venezuela, des indicateurs internationaux et régionaux relatifs au développement humain et social (PNUD, CEPAL, etc…) confirment cet état de fait qui résulte de 14 ans de révolution bolivarienne.

Bien qu’ils reconnaissent que le processus politique actuel et l’intervention publique qui en découle, éliminent peu à peu les barrières, faisant surgir des opportunités dont tous peuvent profiter, et bien qu’ils se sentent partie prenante indispensable des avancées dont le pays bénéficie, les jeunes vénézuéliens n’abandonnent pas leur esprit critique et aspirent à plus et à mieux.

Groupe de rock "Los Piraos", Caracas février 2014.

Groupe de rock « Los Piraos », Caracas février 2014.

L’imaginaire des jeunes vénézuéliens n’est pas homogène, ni unique.

En même temps qu’il exprime l’existence d’une profonde diversité, cet imaginaire est le symptôme d’une période de transition, qui voit la lutte, le chevauchement et l’hybridation de différentes instances narratives. Cette approche de l’imaginaire des jeunes vénézuéliens permet d’analyser la bataille culturelle qui accompagne tout changement historique réel, et qui porte sur une période mouvementée et d’une grande fertilité.

Trois grands axes discursifs structurent l’imaginaire des jeunes générations de vénézuéliens.

Premièrement, la démocratisation de l’accès à la consommation de par l’application de politiques sociales d’intégration et de démercantilisation des produits de première nécessité portent ses fruits. Il en résulte que la grande majorité des jeunes vénézuéliens accède à un niveau de vie totalement inconnu de leurs parents. D’où une modification des comportements, des règles de vie et de la nature des attentes formulées. La majeure partie de ces jeunes (74%) se considère comme membres de la « classe moyenne ». Dans leurs divers horizons de vie, ils accordent un rôle central à la formation/éducation comme moyen de réaliser l’ascension individuelle (en tête des motivations les incitant à étudier, 89% des jeunes interrogés citent le désir de se surpasser ou d’obtenir d’un emploi). L’accès à la consommation apparaît comme l’une des principales aspirations et l’un des désirs les plus grands. Être à la tête de sa propre affaire est un des projets les plus récurrents, le secteur des services étant particulièrement prisé. Cette option s’articule de manière complexe avec la mise en application au plan national de la stratégie de souveraineté économique, de développement industriel et agroalimentaire. Dans le même temps, les jeunes vénézuéliens naturalisent les droits sociaux conquis et visent – une fois ces derniers acquis- à accéder à un deuxième niveau de bien-être caractérisé par le temps libre, la culture, le sport et l’épanouissement personnel. Une politique publique d’orientation socialiste doit prendre conscience de ce type d’aspiration pour les articuler avec le projet national.

Deuxièmement, si on prend en considération les questions relatives aux droits civils et moraux, les jeunes vénézuéliens maintiennent une tendance conservatrice. Hors du temps de travail, les différentes églises chrétiennes s’avèrent être des espaces privilégiés de socialisation, et en matière d’attitudes et de valeurs, l’un des principaux référents.

Troisièmement, les nouvelles générations de vénézuéliennes et vénézuéliens  adhèrent à un surprenant consensus autour des concepts fondamentaux du modèle de pays bolivarien. Ce qui jusqu’ici était le projet d’un acteur politique s’est généralisé sous forme d’un substrat culturel commun à une large majorité de la jeunesse. Cette profonde mutation du sens commun d’une époque, engagée sous l’hégémonie relative du chavisme, s’affirme désormais comme identité politique à part entière, traversant et modifiant les contours de la communauté politique dans son ensemble.

Parmi les systèmes politiques, les jeunes vénézuéliens disent préférer le socialisme, à hauteur de 60%. Le capitalisme ne recueillant que 21% des suffrages. Dans le même temps, 73% optent pour la « démocratie participative » comme système politique préféré. Et ce, loin devant d’autres options, telles que la « démocratie représentative » (6%) ou la « dictature » (6%).

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Jeunes protestant contre l’image de la femme dans les médias privés, hégémoniques au Venezuela.

Les deux institutions préférées sont, après les universités (18%), deux organismes de pouvoir citoyen, instances de la participation populaire au sein de l’appareil d’Etat : les conseils communaux (17%) et les missions sociales (13%), suivis à distance respectable par les partis politiques (6%). Au Venezuela, cette forte  valorisation et cette conception « dense » de la démocratie, liées au rôle central de la population ainsi qu’à l’extension de la capacité de décider et à l’amélioration de la vie quotidienne ressortait déjà, à l’étonnement de ses auteurs, du dernier rapport de l’ONG chilienne Latinobarometro (novembre 2013) dont nous avons récemment analysé les termes (3).

Comment est-il possible que ces trois instances narratives coexistent dans  l’imaginaire de la jeunesse vénézuélienne ? Pourquoi ces formes inédites de consensus politique, ne se traduisent-elles pas directement sur le plan électoral ?

A la première de ces questions, il convient de répondre que durant les périodes de transition, le « sens commun d’une époque » est le reflet de tensions, de conflits et de contradictions entre la dynamique de l’ère nouvelle et la résistance concomitante de l’ancien. La jeunesse vénézuélienne a adopté et naturalisé l’ensemble des nouveaux droits relatifs au modèle d’inclusion et les bénéfices de la souveraineté recouvrée et de la démocratie participative. Sans pour autant se départir des valeurs de type consumériste, immédiatiste ou individualiste. Il reste du chemin à parcourir avant de voir émerger un habitus civico-républicain, un engagement vis-à-vis de la sphère publique.

Cette étape ne sera pas une pure négation mais l’intégration d’une grande partie de ce qui existe déjà dans un ensemble et dans un projet de signe différent.

À la seconde question on pourrait répondre que le paradoxe d’une hégémonie réside dans le fait que ses idées se transmettent à l’ensemble de la société. Ainsi, la principale victoire du chavisme, à savoir le renforcement du pouvoir citoyen et la diffusion du “droit d’avoir des droits”, signifie plus qu’une récompense, un défi :  celui d’être à la hauteur d’une nouvelle génération de demandes et les insérer dans la construction d’un ordre institutionnel et culturel au sein du modèle de pays voulu par la grande majorité des jeunes vénézuéliens.

Auteur : Íñigo Errejón, Docteur en Sciences Politiques, Directeur de la ligne de recherches “Identités politiques” à la Fondation GIS XXI

Source : http://www.gisxxi.org/articulos/la-juventud-del-cambio-de-epoca-en-venezuela-gis-xxi/

Traduction de l’espagnol : Jean-Marc del Percio

Notes:

(1) Une violence telle que, pour la première fois, un maire de droite d’un arrondissement de Caracas, Ramon Muchacho, a critiqué les dirigeants de son propre camp pour ces destructions d’infrastructures, d’immeubles, de commerces et de transports en commun. Par ailleurs, pour certains analystes, cette stratégie de la violence reflète la guerre de pouvoir entre “électoralistes” et “pustchistes”, au sein d’une droite en déclin.

(2) http://www.avn.info.ve/contenido/federaci%C3%B3n-estudiantes-chile-rechazan-intento-desestabilizaci%C3%B3n-venezuela

(3) VoirConfiance des citoyens latino-américains dans la démocratie : record au Vénézuéla, agonie au Mexique” (Latinobarometro / John L. Ackerman), https://venezuelainfos.wordpress.com/2013/11/13/confiance-des-citoyens-latino-americains-dans-la-democratie-record-au-venezuela-agonie-au-mexique-latinobarometro-john-l-ackerman/

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Éducation bolivarienne au Venezuela, par Ken Jones

clasesLors de mon voyage au Venezuela au sein d’une délégation d’enseignants (1), je n’ai pas entendu une seule fois les mots “prise de responsabilité”ou “tests à haut risque” (2). En tant que professeur formant des enseignants aux États-Unis, je discute rarement des politiques éducatives et des réalités de mon pays sans devoir affronter ces concepts stressants. Mais dans les écoles et dans les systèmes éducatifs du Venezuela ? Cela n’entre pas dans la discussion.

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Ken Jones, professeur associé d’éducation à l’Université du Maine du Sud, États-Unis (1)

Là-bas, le dialogue porte davantage sur l’éducation comme droit humain et comme responsabilité de l’État. Il ne s’agit pas des “produits” comme nous disons aux États-Unis mais davantage “d’accès” et de “possibilités”. Ce que notre petit groupe venu des États-Unis a découvert fut une foule de témoignages, pas un “test”.

Nous avons aussi appris certaines choses quant aux résultats très concrets et positifs obtenus depuis que le Président Chavez a commencé à s’occuper de l’analphabétisme et de l’absence d’accès à l’éducation en général, à la suite de son élection en 1998.

Par exemple en 2005, l’UNESCO a déclaré le Venezuela territoire libre d’analphabétisme, avec plus d’un 1,5 millions de personnes initiées à la lecto-écriture, principalement à travers un curriculum et une approche pédagogique développés par les cubains. Le taux d’inscription de l’école secondaire a augmenté de 53.6% en 2000 à 73.3% en 2011. Récemment l’UNESCO a placé le Venezuela à la cinquième place mondiale pour le pourcentage de personnes inscrites dans l’enseignement supérieur – la deuxième place en Amérique Latine après Cuba. L’éducation publique au Venezuela est gratuite pour tou(te)s, de l’école maternelle à l’université. L’État assure également la gratuité des repas et du transport.

Chavez a mis en mouvement un système scolaire novateur – les écoles bolivariennes s’inspirent de l’émancipateur de l’Amérique Latine Simón Bolivar, qui a aussi donné son nom à la République Bolivarienne du Venezuela. Le volet éducatif de la Révolution Bolivarienne, lancé par Chavez, fait partie du nouveau tissu socialiste qui émerge dans la société, articulé avec d’autres initiatives gouvernementales visant à encourager le pouvoir communal, le coopérativisme, la santé gratuite (là aussi en coopération avec Cuba) et l’alimentation subventionnée. Ensemble, ces initiatives et d’autres mesures cherchent à transférer le pouvoir à la majorité de citoyens pauvres jusqu’ici exclus du droit de vote, et s’inscrivent dans une perspective socialiste plutôt que capitaliste.

Notre délégation a visité une école maternelle bolivarienne, un école primaire, un lycée, une école professionnelle, un centre de formation d’adultes, une université, un conservatoire de musique et une académie de la police. Nous avons également visité une coopérative de femmes dans une communauté agricole, un centre culturel dans un quartier populaire, et une agence gouvernementale de droits humains. Le point commun qui relie ces différents lieux et initiatives est l’objectif de construire une société nouvelle par la construction de connaissances et de compétences nouvelles, d’une citoyenneté responsable, de coopérativisme, de collaboration et d’apprentissage avec la communauté locale. Nous avons observé le plaisir et la réussite dans l’expression artistique, un enseignement axé sur le concept de projet, et une attention particulière portée au bien-être des personnes et à la santé des différents éco-systèmes.

“Quelque chose de plus grand que soi”

On pouvait presque palper un sentiment d’espoir et d’énergie connecté à ces écoles, au sens de ne pas travailler seulement à produire une amélioration personnelle, mais aussi pour quelque chose de plus grand que soi. Il existe aussi une conscience politique incisive, informée sur le pays et sur le monde. Les personnes ont très envie de s’exprimer sur les changements en cours dans leur pays. Ils ont parlé de leur vision démocratique de l’avenir d’un pays libéré de l’exploitation des transnationales et de notre propre nation impérialiste. Ils ont parlé consciemment d’une histoire nationale faite de dictatures et de capitalisme extrême et ont versé des larmes sincères sur la mort de leur cher enseignant et dirigeant Hugo Chavez. Ils savaient que Chavez et la révolution qu’ils continuent à mener ont été diabolisés par leurs propres médias privés comme par ceux des États-Unis et du monde occidental. Ils voulaient que nous connaissions leur réalité, sur place.

Nous avons également rencontré un couple d’étudiants universitaires qui s’identifiaient comme opposants à Chavez. Ils n’étaient pas aussi positifs au sujet des changements, bien sûr, et mettaient en cause la qualité des nouvelles écoles et des missions éducatives, exprimant des réserves sur la viabilité de ces nouveaux programmes largement financés par les revenus pétroliers. Ils ont également exprimé leurs préoccupations au sujet de la réussite individuelle et des avantages compétitifs, ainsi que sur les effets dissuasifs et les inéquités générées par ce qu’ils voient comme un système éducatif  “d’aumônes”. Pour notre délégation venue des États-Unis, ceci avait une résonance familière : nous avons pu percevoir le fort contraste entre ces valeurs issues d’une vision globale du capitalisme et celles du socialisme. Simplification excessive peut-être, mais néanmoins évidente.

Les écoles bolivariennes prennent au sérieux l’idée d’éduquer tout le monde et offrent aux éducateurs états-uniens une vision de ce qui peut être fait d’une manière tout à fait différente de la réforme éducative de notre pays. C’est perceptible dans une foule de détails, dans les approches observées, dans les points de vue recueillis tout au long de notre séjour, de lieu en lieu.

Les écoles maternelles sont appelées Simoncitos (3), en référence à Simón Bolivar. Selon les statistiques gouvernementales, près de 70% des enfants du Venezuela sont accueillis par ces écoles gratuites, où le gouvernement paie les salaires des enseignants, et où les conseils communaux (fondés par les habitants et appuyés par le gouvernement) fournissent les immeubles et les matériels scolaires. Souvent, les parents viennent aussi en tant que bénévoles, s’ils le peuvent. Lors de notre visite à une école maternelle, nous avons vu un groupe de 14 petits avec 3 adultes. Ils nous ont dit leurs noms, âges, couleurs et animaux préférés, et ont dansé le hokey-pokey avec nous.simoncitos Les écoles primaires sont aujourd’hui des écoles à temps plein (dans le passé la plupart fonctionnaient avec deux horaires de demi-journées pour deux populations étudiantes séparées) qui offrent des repas et des soins de santé gratuits, ainsi que des activités extra-curriculaires. Les édifices scolaires sont remeublés et de nouveaux bâtiments sont rapidement construits. Tous les étudiants reçoivent un ordinateur portable (bien que comme nous l’avons appris il existe encore un grand besoin de formation professionnelle des enseignants sur comment les utiliser efficacement).

A travers les projets des étudiants et les services d’éducation d’adultes, ces écoles sont connectées à la vie des communautés avoisinantes. Notre groupe de dix a obtenu d’être invité d’honneur le jour d’une remise de diplômes dans une école primaire qui a présenté des performances très réussies et maîtrisées des élèves : danses, chants, costumes traditionnels et expositions d’art original. Les étudiants diplômés sont venus vers nous pour nous demander d’ajouter notre signature sur les t-shirts qu’ils portaient – une coutume semblable à la signature des albums de promotion aux États-Unis.

“Nous devons faire évoluer notre langage”

L’école secondaire que nous avons visitée se trouve dans une communauté rurale, Monte Carmelo. Elle vient d’emménager dans un bâtiment achevé en 2010 – un cadeau du président Chavez, personnellement convaincu de le faire par sa directrice charismatique, Gaudy Garcia. Le curriculum de l’école est centré sur les vies des habitants à travers des récits oraux, les manières naturelles de cultiver les aliments, les artisanats et traditions locales, les confiseries, les guérisseurs. Cette année les projets des étudiants tournent autour de l’histoire de leur propre communauté, dont l’histoire de l’éducation. Les projets sont réalisés en sous-groupes et doivent posséder un impact social, au-delà d’une simple enquête. Les thèmes choisis par les étudiants incluent l’agro-écologie, la coopérative locale féminine, les plantes qui protègent les cultures des insectes prédateurs, la lombriculture et les serres.

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Gaudy Garcia, directrice de l'école de Monte Carmelo.

Gaudy Garcia, directrice de l’école de Monte Carmelo.

Dans ce lycée l’accent est mis sur la collecte des semences et la fabrication de plats à partir des cultures produites par ces graines. Gaudy nous a parlé en connaissance de cause du problèmes des organismes génétiquement modifiés (OGM). En 2005, lorsqu’elle a mené un inventaire des semences locales, elle a réalisé qu’il y avait encore beaucoup de semences indigènes dans sa propre communauté et qu’on devrait collecter et protéger ces semences. « Monsanto a sa main partout« , dit-elle. «Nous devons veiller à ce qu’ils ne volent plus nos semences, notamment le maïs. Nous ne voulons pas qu’il se passe chez nous ce qui s’est passé au Mexique.” L’école a créé sa «réserve» ou son «réservoir» de graines. Gaudy ne veut pas l’appeler «banque» de graines. “Nous devons faire évoluer notre langage du capitalisme au socialisme”, dit-elle.

La “Mission Robinson” est le programme d’alphabétisation d’adultes. Irlanda Espinoza, directrice régionale de ce programme dans la ville de Sanare, s’est entretenue avec nous. Elle nous a parlé avec émotion de ce programme comme une réponse à la dette sociale envers les pauvres, accumulée pendant de nombreuses années avant Chavez, lorsque la croyance dominante était que tous n’ont pas droit à l’éducation. Elle a expliqué qu’avant la révolution on avait cessé d’offrir une éducation aux jeunes filles enceintes, d’où la dette actuelle envers leurs enfants.

Irlanda nous a décrit les efforts intensifs menés pour tenter d’inclure tout le monde dans ce programme d’alphabétisation. Par exemple, le gouvernement a envoyé les statistiques de l’administration éducative réunies lors du recensement des habitants inscrits dans la nouvelle Mission « En Amor Mayor » qui offre des pensions à toutes les personnes âgées, même celles qui n’ont jamais cotisé.

Irlanda va de maison en maison pour visiter celles qui ont signalé dans ce recensement qu’elles ne savent pas lire ni écrire, et leur demande si elles souhaitent apprendre. Si non, elles signent qu’elles ne désirent pas ce service. Le programme vise une participation de 100%, qu’elle considère comme essentielle. «C’est une façon de faire de chacun un citoyen actif», dit-elle. « Si vous ne pouvez pas lire ni écrire, vous ne connaissez pas vos droits et vos responsabilités, vous ne pouvez vraiment pas faire partie d’un conseil communal. » Elle sait tout de la philosophie éducative émancipatice de Paulo Freire.

"Lire le monde avant de lire le mot" : Paulo Freire (Recife 1921-São Paulo, 1997)

« Lire le monde avant de lire le mot » : Paulo Freire (Recife 1921-São Paulo, 1997)

“La musique, une manière naturelle d’être solidaire de l’autre”

Dans la ville de Barquisimeto, nous avons visité une branche locale du Conservatoire national de musique pour la jeunesse, “El Sistema”. Il s’agit d’un programme d’éducation à la musique classique financé par le gouvernement et qui concerne 350.000 jeunes dans 125 orchestres. Selon les rapports de l’institution, près de 70% des participants proviennent de secteurs de faible revenu. Le programme a démarré en 1975 et s’est transformé en un système reconnu mondialement au point d’être adopté partout en Amérique Latine et en Europe. Le célèbre directeur Gustavo Dudamel, qui travaille actuellement comme chef d’orchestre de l’Orchestre Symphonique Simón Bolívar et du Philharmonique de Los Angeles, s’est formé dans la branche de Barquisimeto. Le “Sistema” possède des programmes spéciaux pour les enfants handicapés et un choeur White Hands de sourds-muets. Le mois dernier, le fondateur du “Sistema” (4) José Antonio Abreu a rencontré le nouveau président Nicolas Maduro et a convenu avec lui d’étendre le programme pour intégrer un million d’enfants à l’apprentissage des instruments de musique.

Gustavo Dudamel, directeur de « El sistema »

Dante_happy-band-kidsNUCLEO-articleLargesistemaAvec 2000 étudiants inscrits dans ses programmes, l’école de Barquisimeto était une vraie ruche le samedi où nous l’avons visitée. Un groupe de vingt enfants de quatre ans se familiarisait avec des violons et des violoncelles dans une cour ouverte, les couloirs étaient pleins de personnes jouant toutes sortes d’instruments. Dans de petites salles travaillaient les sections de pratique. Deux orchestres de jeunes au complet se trouvaient en pleine répétition, ainsi qu’un ensemble avec chef d’orchestre et un orchestre de musique de chambre sans chef : “cela les aide à s’écouter l’un l’autre” a dit notre guide.

Il nous a expliqué que le système suivi au conservatoire dépend du coopérativisme. “Si vous savez un peu, vous pouvez enseigner un peu” est la maxime. Notre guide a expliqué que l’instruction musicale offre un équilibre parfait d’excellence individuelle et de coopération de groupe – des étudiants de tous les âges jouent dans un orchestre. “La musique est une manière naturelle d’être solidaire de l’autre” a-t-il dit.

A Barquisimeto, nous avons aussi visité une école professionnelle pour des étudiants de 14 à 25 ans qui avaient quitté l’enseignement formel. En tant qu’états-uniens nous fûmes surpris d’apprendre que cette école fait partie du réseau d’écoles catholiques mais est financée par l’État. Des cycles courts et longs sont offerts dans des matières telles que l’électricité, la plomberie, la coiffure, la cuisine, la céramique. On compte 222 de ces programmes à travers tout le pays, situés dans les secteurs les plus pauvres, selon le gouvernement. Il est encore plus surprenant d’apprendre que bien que ces écoles sont subventionnées par le gouvernement, l’Église catholique a adopté une position fortement anti-Chavez, voyant le gouvernement comme “castro-communiste.” L’enseignant qui nous a rencontrés nous a dit “c’est quelque chose qui est dans leur tête mais pas dans la réalité. Ils voient comme un droit le fait de recevoir de l’argent du gouvernement fédéral.” 

“Articuler les savoirs populaire et universitaire”

Un des aspects les plus intéressants du système scolaire bolivarien est la “territorialisation” de l’université. Les nouvelles universités ont été initiées par Chavez comme une alternative aux universités dites autonomes, traditionnelles, qui ont principalement servi les élites et qui conservent la part du lion dans le financement de l’enseignement supérieur par l’État. Les facultés des communautés locales sont converties en universités territoriales dans le but de former chacun mais aussi de contribuer aux projets stratégiques nationaux. L’université que nous avons visitée à Barquisimeto compte 12.500 étudiants en science et technologie, ergonomie, bibliothécologie, systèmes intégraux, administration publique, sciences informatiques appliquées, souveraineté alimentaire, sécurité, protection de l’environnement, entre autres domaines. Comme dans les écoles bolivariennes de niveaux inférieurs, les curriculums cherchent à contribuer à la solution de problématiques des communautés locales. Et contrairement aux universités traditionnelles, les études ne sont pas enfermées dans les départements de chacune des disciplines mais générés par la faculté et les étudiants à travers une approche intégrée, multidisciplinaire. Les professeurs et les instructeurs ne possèdent pas toujours de diplômes formels. “Il est important d’articuler les connaissances populaires avec le savoir académique”, nous a-t-on expliqué.

Une section unique de cette université est appelée Chaires Libres et offre des études sur la culture populaire, la transformation sociale, l’égalité de genre et le “bien vivre”. Ce dernier point est développé en collaboration avec les élèves pour dégager ce que « le socialisme peut nous apporter en termes de relations mutuelles » et s’inspire largement de la pensée indigène sur la vie en harmonie avec la nature.

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Université Indigène du Venezuela, conçue par les peuples originaires

Université Indigène du Venezuela, conçue par les peuples originaires

D’autres universités sont encore en cours de création – parmi lesquelles une Université des Travailleurs (où les connaissances sont acquises au travail et construites sur base des savoirs des travailleurs), une Université Expérimentale des Arts (5) et l’Université Indigène du Venezuela (6) située dans l’État d’Amazonas et conçue par les peuples indigènes.

Peut-être le plus grand défi posé au système éducatif vénézuélien est-il le problème de la corruption policière et de la violence. Dans ce pays les forces armées sont considérées comme un appui solide du gouvernement et appuyées par la population en général. Chavez était un militaire et les membres des forces armées sont venus historiquement des secteurs pauvres et du monde du travail, aussi défendent-elles la révolution bolivarienne. La police, en revanche, ne bénéficie pas de la même confiance, vu son rôle dans la violence et dans la corruption tout au long des dernières années, et sa collusion dans les fréquents enlèvements et homicides à Caracas.

Afin de transformer la police, Chavez a créé une Police Nationale Bolivarienne (7) et a nommé Soraya El Achkar, ex-laïque de l’ordre Maryknoll et militante des droits humains, à la tête de la nouvelle académie de la police, l’Université Nationale Expérimentale de la Sécurité (UNES) (8). Nous avons rencontré Soraya à l’université de Caracas, dont les bâtiments sont encore en cours de construction. Sur ces lieux, avant Chavez, se dressait une prison haïe par la population. Soraya a persuadé Chavez de transformer ce site en académie, en lieu d’espérance sur les cendres du désespoir.

Fondée en 2009 pour transformer les méthodes policières, pour rendre les officiers plus attentifs aux droits humains et pour qu’ils travaillent en lien étroit avec les communautés, l’UNES dispose de neuf sièges à travers le pays et en prévoit sept de plus. Pour l’heure, selon le rapport de Soraya, elle accueille 25.000 étudiants et dispose d’un personnel de 4.000 professeurs, administrateurs et travailleurs. On y forme tous les niveaux de la police ainsi que des inspecteurs et du personnel pénitentiaire

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L’approche éducative passe par une prise de décision collective des policiers, enseignants et groupements de droits humains sur ce qui doit figurer dans les curriculums. Trois axes fondent ce curriculum, selon Soraya : éco-socialisme, droits humains et égalité de genre.

Le curriculum s’articule autour de quatre aspects du travail communautaire : la jeunesse; le désarmement (ce que nous appellerions aux États-Unis le contrôle des armes); la culture, les sports, la musique et l’art; et la vie en commun (à savoir la médiation des difficultés). Les partenariats et les accords communautaires sont encouragés et des efforts sont menés pour aider les jeunes à trouver du travail et s’insérer dans des activités productives.

Il y a deux thèmes transversaux dans l’ensemble du cursus policier :

1.      L’usage progressif et différencié de la force, pour adapter la réponse policière aux personnes impliquées et au contexte. La violence est interdite. On enseigne l’usage judicieux et approprié de la force.

2.      La police communautaire. La police apprend à développer des relations de travail et de collaboration avec la communauté et la recherche de solutions communautaires à la criminalité.

Soraya nous a dit que Chavez était “grand sur l’éducation” et qu’il disait “nous avons besoin de plus d’intelligence et de moins de force”. “La réforme de la police”, a-t-elle dit, “incarne l’esprit de Chavez sur la révolution et les droits humains.”

Sa vision de l’académie est qu’elle évoluera de l’UNES (université nationale) à l’ULES (académie latino-américaine) pour devenir un équivalent de l’École Latino-Américaine de Médecine (ELAM) de Cuba. Soraya voit aussi ce travail comme un contrepoids aux états-uniennes École des Amériques (SOA) et International Law Enforcement Academy (ILEA), toutes deux connues pour avoir formé des militaires et des policiers aux méthodes de répression et dont les diplômés sont réputés pour leurs tortures, assassinats et coups d’État. Le Venezuela vient d’assumer la présidence du MERCOSUR et la formation de la police sera peut-être un des axes de travail au sein de ce groupe de nations.

Conclusion

Après ce bref parcours à travers le système éducatif vénézuélien il est apparu à notre délégation que ce qu’on entend par “réforme éducative” dans ce pays est virtuellement à l’opposé de ce que nous appelons réforme éducative aux États-Unis. Ici, ce terme a fini par désigner une approche centralisée et standardisée dont les prémisses blâment et dévalorisent les enseignants des écoles publiques. Il fonctionne à travers l’individualisme et un régime de contrôle externe, une réduction du financement public, et une politique de privatisation appuyée par le gouvernement. Sa raison d’être est de générer une plus grande compétitivité sur la scène mondiale. L’effet est d’exclusion. C’est un modèle capitaliste, modelé sur des paramètres de domination du monde.

Au Venezuela, par contraste, la réforme éducative implique des aproches locales et diversifiées, inspirantes, dont les prémisses sont la valorisation et l’autonomisation de l’ensemble du personnel travaillant dans les écoles. Il fonctionne grâce à une éthique de responsabilisation interne et de travail collectif, l’augmentation du financement public, et l’appui par le gouvernement de la prise de décision au niveau local. Sa raison d’être est de construire une coopération accrue au niveau de la communauté. L’effet est d’inclusion. Il s’agit d’un modèle socialiste, formulé en termes de «bien vivre».

Un soir au Venezuela, alors que nous discutions à  quelques uns sur ce que nous considérons comme les agressions tragiques contre l’éducation publique aux États-Unis, une personne a demandé où nous pouvions voir un espoir. J’ai répondu: «Au Venezuela».

 Ken Jones

bachilleresSource : ZNet, 26 juillet 2013, http://www.zcommunications.org/bolivarian-education-in-venezuela-by-ken-jones

Traduit de l’anglais par Thierry Deronne

Notes :

(1)  Ken Jones, auteur de cet article, est professeur associé d’éducation à l’Université du Maine du Sud. Membre de l’American Educational Research Association (AERA) et du National Network for Educational Renewal (NNER). Éditeur de “Democratic School Accountability: A Model for School Improvement”. Du même auteur, on peut lire “la guerre contre les écoles publiques”, http://www.zcommunications.org/the-war-on-public-schools-by-ken-jones. Il peut être contacté à jonesk@maine.edu

(2)    Remis en vogue sous l’administration Obama, critiquées pour leur social-darwinisne, les “high stake tests” sont des épreuves du type “quitte ou double” qui fixent en une seule fois le sort d’un élève.

(3)   Sur les Simoncitos, voir http://www.slideshare.net/edelinbravo29/05-simoncito-comunitario

(4)   Site de “El sistema” : http://www.fesnojiv.gob.ve/

(5)   Site de l’Université Expérimentale des Arts : http://www.unearte.edu.ve/

(6)   Sur l’Université Indigène, voir “Nous sommes comme des herbes qui repoussent quand on les arrache”, https://venezuelainfos.wordpress.com/2013/07/27/nous-sommes-comme-les-herbes-des-haut-plateaux-qui-repoussent-quand-on-les-arrache/

(7)    Voir “La sécurité au Venezuela : la solution depuis l’État et non comme offre électorale”, par Jesse Chacón, https://venezuelainfos.wordpress.com/2012/07/14/la-securite-au-venezuela-la-solution-depuis-letat-et-non-comme-offre-electorale-par-jesse-chacon-fondation-gisxxi/

(8)   Site de l’Université Expérimentale de la Sécurité : http://www.unes.edu.ve/

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2013/07/30/education-bolivarienne-au-venezuela-par-ken-jones/

Le Venezuela et le Mali renforcent leur coopération universitaire

« Formons un seul peuple, un seul continent, nous ne pouvons rien attendre sinon de nous-mêmes » : c’est pour continuer à faire vivre la “Lettre à l’Afrique” de Hugo Chavez  (1) que les gouvernements de Nicolas Maduro et de la République du Mali ont renforcé ce jeudi 9 mai 2013 leur coopération en matière universitaire.

Lors de sa réunion avec son homologue malien Messa Ould Mohamed Lady, Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, le Ministre bolivarien de l’enseignement universitaire Pedro Calzadilla a rappelé que près de 400 étudiants africains ont bénéficié d’une bourse pour étudier au Venezuela, parmi lesquels vingt étudiant(e)s du Mali. “Le gouvernement bolivarien, dans sa politique de solidarité et d’amitié avec les peuples de l’Afrique, a mis en place une politique spéciale pour partager avec les étudiants et les universités africaines l’expérience que nous vivons au Venezuela. Il s’agit de pratiquer notre volonté d’ouverture, d’alliance avec ce continent qui est aussi notre mère, que Chavez nous a enseigné à comprendre et à reconnaître comme une de nos références. Calzadilla Mohammed Mali Venezuela 2013Les deux ministres ont évalué les accords passés et préparé de futures actions en commun. Le représentant officiel du Mali a notamment marqué son intérêt pour l’expérience développée par la “Mission Sucre” qui déploie l’accès à l’université à travers la “municipalisation”, la rendant ainsi plus accessible à l’ensemble de la population. Mr. Mohammed Lady a annoncé la prochaine visite au Mali d’un représentant vénézuélien pour connaître de plus près la situation de la nation africaine, signer les accords qui doivent encore l’être, offrir un séminaire sur l’expérience de la municipalisation et diagnostiquer ensemble de nouveaux domaines de coopération : “Tout ce que j’ai vu au Venezuela est plein d’exemples et de bonnes pratiques que le Mali doit s’approprier pour qu’ils contribuent au développement de notre peuple” a déclaré le Ministre malien qui s’est également réuni avec Prudencio Chacón, recteur de l’Université Bolivarienne du Venezuela (UBV) et Sandra Moreno, Directrice de l’École Latino-américaine de Médecine “Salvador Allende” (ELAM). (2)

En mars dernier le legs du président Chavez était déjà évoqué par l’ex-Ministre de la Culture du Mali, l’écrivaine Aminata Traoré (3). Nous publions l’entretien qu’elle a accordé au site Jeune Afrique. Rappelons que Madame Traoré vient d’être interdite de séjour par la France pour avoir dénoncé les raisons de son intervention militaire au Mali (notamment protéger le pillage de l’uranium par Areva) – et exigé le respect de la souveraineté de son pays. Traoré cite à ce sujet Wolfgang Sachs : « Toute société impérialiste voit dans l’Autre la négation de l’idéal qu’elle s’efforce, elle-même, d’atteindre. Elle cherche à le domestiquer en l’attirant dans le champ d’application de son idéal et en l’y situant au degré le plus bas. » (4).

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Jeune Afrique : Quelle est la réaction de l’Africaine altermondialiste que vous êtes à la mort d’Hugo Chavez ?

Aminata Traoré : Plus qu’en Africaine altermondialiste, je réagis d’abord en amie. C’est un homme courageux, qui est resté proche de son peuple et que certains considèrent à tort comme un simple populiste. J’ai eu le privilège de le côtoyer, d’aller au Venezuela me rendre compte de la parfaite gestion des ressources naturelles dans un pays du Sud. Hugo Chávez a démontré qu’un autre modèle est possible : les ressources naturelles, qui sont la richesse des pays du Sud, peuvent être utilisées au profit des populations.

Nul ne peut lui contester cet aspect de son bilan, très important à mes yeux. Car, dans nos pays, c’est là que le bât blesse. Sa gestion des ressources naturelles fait de lui un modèle pour les pays africains aux ressources abondantes, pris en otages par les pays occidentaux qui se les disputent sans que les populations y trouvent leur compte.

Pourtant il était aussi très critiqué…

Il est tellement facile de parler au nom des peuples et d’agir ensuite autrement. Elles sont légion, les fausses promesses de développement qui leur sont faites, au Nord comme au Sud. Je note actuellement l’extrême difficulté des démocraties occidentales à relever certains défis. Chávez, lui, aura marqué son temps, son continent, son pays, ainsi que la plupart des citoyens du monde qui ont pu noter sur le terrain les avancées de sa politique. Je n’ai pas l’impression d’avoir eu affaire à un dirigeant politique qui sert d’abord ses intérêts et ceux des siens. Pour l’Africaine que je suis, c’est extrêmement important. Cette particularité mérite d’être soulignée au moment où il disparaît.

Iriez-vous jusqu’à dire qu’il fut une sorte de Nasser latino ?

Il était lui-même. Il a puisé dans l’histoire de l’Amérique latine l’inspiration de ce qu’il nomme « révolution bolivarienne ». C’est vrai qu’il rendait hommage aux grandes figures de l’Histoire qui avaient privilégié l’intérêt de leurs peuples, c’est-à-dire qui avaient voulu consacrer les ressources naturelles à leur bien-être. Il est clair que certaines orientations économiques peuvent desservir les intérêts de quelques-uns : on ne peut pas plaire à tout le monde. Pour son type de leadership, que personnellement je respecte, il compte parmi les grandes figures des luttes de libération de nos pays. C’est un homme de courage, de conviction. Ça peut coûter cher, mais il a assumé jusqu’au bout.

Des hommes politiques africains se réclament-ils ouvertement d’Hugo Chávez ?

Ils ne le peuvent pas. Il n’y a qu’à voir l’unanimisme qui prévaut aujourd’hui dans la lecture de la situation du Mali, où l’on réduit tout à la lutte contre le terrorisme. Or celui-ci est alimenté par la misère morale et matérielle des populations, qui n’en peuvent plus. À cause de fanatiques, de nombreux innocents sont tués, tout simplement parce que le problème est mal posé. La question fondamentale est économique. Peut-on prétendre avoir mis en œuvre dans les pays africains des politiques économiques et sociales qui profitent d’abord aux populations, notamment aux plus vulnérables ? C’est ce qu’Hugo Chávez, lui, a essayé de faire. En Afrique, les politiques économiques mises en place visent à ouvrir les portes aux investisseurs qui rapatrient systématiquement leurs profits. Je ne vois pas, dans nos régions, d’hommes d’État qui osent dénoncer ce type d’orientation. Ils n’en ont pas le courage ; ceux qui essaient sont sacrifiés.

C’est pour tenter de changer ces orientations qu’Hugo Chávez a contribué à la création de l’América del Sur – Africa (ASA) ?

Il a tendu une perche à l’Afrique. Je me souviens du passage d’ATT [l’ancien président malien Amadou Toumani Touré, NDLR] au Venezuela. À ma grande surprise, j’avais entendu le président malien affirmer qu’un autre monde était possible. La plupart des chefs d’État africains qui ont été au contact d’Hugo Chávez ont admis que son orientation était la bonne. Sauf que, dans la pratique, nos politiques ont tendance à céder au clientélisme. Par ailleurs, ils regardent encore trop peu du côté de l’Amérique latine. Ils se tournent vers l’Asie, rêvant d’émergence, mais oubliant que l’Asie qui gagne ne se laisse pas dicter des solutions. L’Afrique ne fait que ça : céder. Hugo Chávez, lui, était un résistant.

Par Clarisse Juompan-Yakam

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Notes :

(1) Lire https://venezuelainfos.wordpress.com/2013/02/24/lettre-dhugo-chavez-a-lafrique-21-fevrier-2013-formons-un-seul-peuple-un-seul-continent-nous-ne-pouvons-rien-attendre-sinon-de-nous-memes/

(2) Source : http://www.mppeu.gob.ve/web/index.php/noticias/show/id/5321

(3) Aminata Traoré, « Hugo Chavez était un résistant », « Jeune Afrique », 7 mars 2013, http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20130307083907/

(4) Acceptée par une grande partie de la gauche française comme une “croisade laïque contre des terroristes islamiques”, cette guerre fait l’objet d’une forte manipulation médiatique et n’est pas étrangère à la destruction de l’État libyen (et de nombreuses vies civiles) par l’OTAN qui inclut la France. Pour Aminata Traoré, “les enjeux de l’intervention militaire en cours sont : économiques (l’uranium, donc le nucléaire et l’indépendance énergétique), sécuritaire (les menaces d’attentats terroristes contre les intérêts des multinationales notamment AREVA, les prises d’otages, le grand banditisme, notamment le narcotrafic et les ventes d’armes), géopolitique (notamment la concurrence chinoise) et migratoires.”

Lire son exposé intégral dans Le Grand Soir : http://www.legrandsoir.info/le-naufrage-et-l-offense-le-mali-a-rendre-aux-maliens.html

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