Venezuela : une armée de femmes construit la révolution du logement

Cette expérience de femmes autodidactes travaillant à construire leurs propres maisons est au cœur du documentaire « Nostalgiques du futur » actuellement en tournée en France, en Suisse et en Belgique. Lors des ciné-débats, vous pourrez rencontrer Ayary Rojas, une des constructrices, et Jenifer Lamus, organisatrice d’une commune rurale. Pour le programme de la tournée : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/03/08/revolution-feministe-dans-la-revolution-bolivarienne-nostalgiques-du-futur-en-tournee-europeenne/


À Caracas, une armée de femmes auto-formées travaille à la construction de leurs propres maisons tout en transformant la réalité qui les entoure.

Le logement marchandisé, les bidonvilles, les expulsions et le sans-abrisme sont des réalités mondiales et, quels que soient les efforts déployés par les médias grand public pour l’ignorer, il s’agit de l’une des horreurs les plus flagrantes du capitalisme.

En revanche, la Grande Mission Logement du Venezuela (GMVV) a construit plus de 4,4 millions de maisons pour les familles de la classe ouvrière depuis 2011, après que le dirigeant révolutionnaire Hugo Chávez a déclaré que l’accès à la terre et à un logement adéquat étaient des droits de l’homme et le fondement d’une vie digne.

L’objectif est d’atteindre 5 millions de logements d’ici à 2024.

En outre, le programme fournit souvent des infrastructures sociales telles que des écoles, des marchés alimentaires subventionnés et des espaces verts et récréatifs, tandis que les maisons sont livrées équipées d’appareils électroménagers de base. En conséquence, l’extrême pauvreté structurelle au Venezuela est passée de 10,8 % en 1998 à 4,3 % en 2018, selon le dernier rapport disponible publié par l’Institut national des statistiques (INE – Instituto Nacional de Estadística).

La portée du GMVV (Gran Misión Vivienda Venezuela) repose sur le pouvoir populaire : plus de 70 % des constructions seraient autogérées par les communautés, avec le soutien financier et logistique des institutions gouvernementales. Cela permet de réduire considérablement les coûts.

Pour comprendre son succès, malgré la crise économique actuelle et les sanctions états-uniennes, nous avons visité un projet de construction dirigé par des femmes, qui est devenu un élément essentiel du programme social et un exemple de féminisme de base.

Photo : La construction de l’AVV Jorge Rodríguez Housing Assembly a débuté en 2017, mais a subi plusieurs revers suite à l’imposition des sanctions américaines. (Andreína Chávez Alava / Venezuelanalysis)

Construire l’avenir

La belle paroisse d’Antímano, dans le sud-ouest de Caracas, compte une armée de femmes autodidactes qui travaillent toute l’année pour construire des maisons pour leurs familles et transformer la réalité qui les entoure. Leur histoire a commencé il y a près de 12 ans, lorsqu’elles se sont réunies pour la première fois pour créer l’Assemblée du logement AVV (« Asociación Viviendo Venezolano ») Jorge Rodríguez Padre.

L’ensemble du projet a pris son envol grâce au leadership des femmes. Ayari Rojas et Ircedia Boada, toutes deux mères et principales porte-parole du projet, ont commencé ce voyage en 2012 et ont été chargées de rassembler les 96 familles qui bénéficieront de cette initiative autogérée.

« Nous sommes ici grâce au président Hugo Chávez. Bien que la Grande Mission Logement ait été créée pour fournir des logements aux familles touchées par les fortes pluies de 2010-2011, M. Chávez a compris qu’il fallait accélérer la révolution du logement et il nous a demandé de nous organiser à cette fin. C’est ce que nous avons fait », nous a expliqué Mme Rojas.

Pour les femmes d’Antímano, la tâche à accomplir était claire. « Nous avons commencé par organiser des réunions pour discuter du caractère participatif de notre projet », poursuit Boada, « et nous avons commencé à nous former à la conception architecturale des bâtiments, aux mesures, aux systèmes ergonomiques et à tout ce qui concerne le travail de préconstruction ».

En 2015, ils ont repéré une belle zone avec une vue imprenable sur les montagnes dans le quartier d’El Algodonal, qui avait été abandonnée par son propriétaire avec des tonnes de déchets métalliques. « Nous ne sommes pas des envahisseurs comme certains l’ont dit, nous avons tout fait légalement », a déclaré Boada, rappelant que les factions de droite se sont toujours opposées à ce que la terre soit utilisée au profit du peuple, et non du capital.

L’obtention du titre foncier collectif a été leur première victoire populaire, mais les travaux de construction se sont avérés beaucoup plus difficiles dans un pays assiégé. Cette phase a débuté en 2017 après avoir nettoyé le terrain, s’être entraîné un peu plus et avoir défini les grandes lignes du projet : deux bâtiments jumeaux de six étages, comprenant chacun 48 appartements de 66 ou 76 mètres carrés (deux ou trois chambres à coucher selon les besoins de chaque famille).

« Ce fut cinq ans d’efforts d’autoconstruction tout en vivant sous des attaques constantes, des pénuries alimentaires induites, qui impliquaient de passer des heures à chercher des produits, aux pannes d’électricité nationales et à une pandémie, mais la pire agression a été les mesures coercitives unilatérales de Washington », se souvient Rojas.

Depuis 2017, le blocus américain a entravé tous les secteurs de l’économie vénézuélienne, en particulier l’industrie pétrolière, ce qui a créé de nombreux obstacles pour le gouvernement afin de financer les programmes sociaux, parmi lesquels la Grande Mission Logement, entraînant des retards et de longues pauses dans la livraison des matériaux de construction.

Mme Rojas est certaine que sans cette agression impériale, qui a frappé les femmes le plus durement, leurs maisons auraient été achevées depuis longtemps. Néanmoins, elles ont continué à avancer en s’appuyant sur la solidarité. « Nous avons contacté d’autres assemblées de logement à proximité et nous avons commencé à échanger des matériaux de construction, comme du ciment contre des tuyaux, en fonction des besoins de chaque organisation. Le pouvoir populaire à son paroxysme ! »

Aujourd’hui, l’un des immeubles devrait être inauguré cette année et faire l’objet d’une célébration nationale. « Il ne s’agit pas seulement de construire des maisons pour nos familles », souligne Claudia Tisoy, mère de famille de 44 ans et plombière autodidacte, « nous construisons aussi l’avenir de notre pays, avec les femmes en tête. C’est cela l’horizon socialiste ».

Photo : Les femmes font une pause déjeuner avant de poursuivre leur travail de construction. Les repas sont préparés par leur propre communauté à partir de produits fournis par chacune des 96 familles. (Andreína Chávez Alava / Venezuelanalysis)

Une révolution féminine

Il est rare de voir des femmes travailler dans la construction, mais il est encore plus rare d’en voir une armée. C’est ce que nous avons trouvé dans le quartier d’El Algodonal. Dès que vous mettez le pied dans le complexe immobilier, les femmes vous saluent tout en effectuant diverses tâches, allant du bétonnage au transport de matériaux, en passant par la menuiserie, la plomberie et bien d’autres encore.

Et ce n’est pas que les hommes manquent à l’appel, mais 80 % des personnes qui ont levé ces murs étaient des femmes, 76 pour être précis, chacune des 96 familles fournissant une personne pour les travaux de construction. En plus de cela, elles se sont formées elles-mêmes à tout.

« Aucun d’entre nous ne connaissait la construction ! Mélanger du ciment et poser des briques ? Pas question ! » nous dit Yusgleidys Ruiz en riant, alors qu’elle se souvient de leurs débuts. « La vérité, poursuit-elle, c’est que la plupart des femmes ici sont des femmes au foyer qui voulaient des maisons dignes pour leurs enfants, alors nous avons appris sur le tas et nous sommes devenues des guerrières par la même occasion.

Mme Ruiz explique que la clé de leur succès réside dans leur éthique et leur engagement. Ils sont divisés en groupes qui se relaient chaque semaine 24 heures sur 24, pour construire le jour et surveiller la zone la nuit, ce qui leur permet de maintenir le projet actif tout au long de l’année.

Pour Ursulina Guaramato, l’expérience a fait d’elle une experte en barres de construction, comme elle l’admet fièrement. « Je suis coupable de tout cela », dit-elle en souriant et en montrant les connexions en acier qui s’étendent à partir de certains piliers inachevés aux étages les plus élevés du bâtiment.

De même, Andreína San Martín est désignée par ses compagnons de travail comme la spécialiste incontestable des machines à treuil, un titre qu’elle a fièrement accepté. « Je suis heureuse parce que j’ai beaucoup appris sur la construction et le plus beau, c’est que je l’ai fait en construisant une maison pour ma famille, pour lui donner une meilleure qualité de vie, une vie digne, comme le disait Chávez.

Pour leur part, les hommes, dont la plupart sont également des constructeurs autodidactes, reconnaissent que c’est un honneur de travailler avec des femmes et d’apprendre à leurs côtés le pouvoir de l’organisation de base.

« Nous prenons toutes nos décisions en tant qu’assemblée, où tout le monde peut s’exprimer. Cette expérience nous a donc permis d’apprendre comment construire le pouvoir populaire et comment il peut conduire à un réel changement. Quand j’aurai des petits-enfants, je leur raconterai l’histoire des femmes qui ont construit tout cela, pas seulement des bâtiments, mais une communauté », a déclaré Carlos Villanoel.

Antonio Rodríguez, charpentier autodidacte, a ajouté que le leadership des femmes a rendu ce projet de logement possible « et c’est pourquoi notre principale devise est : Quand une femme avance, aucun homme ne recule : Quand une femme avance, aucun homme ne recule ! »

Photo : Les décisions sont prises collectivement lors d’assemblées hebdomadaires où chaque représentant de la famille exprime son opinion. (Andreína Chávez Alava / Venezuelanalysis)

Communauté et autosuffisance

Alors que leurs maisons sont sur le point d’être achevées, les hommes et les femmes de l’Assemblée du logement de l’aumônier Jorge Rodríguez veulent devenir les garants de la poursuite de la Grande mission logement du Venezuela en aidant d’autres constructions de logements autogérés à démarrer.

Ils ne vendent pas non plus de la poudre aux yeux. Elles ont été certifiées par des architectes et des ingénieurs qui ont inspecté le site et certaines d’entre elles, dont les dirigeantes Ircedia Boada et Ayari Rojas, ont même obtenu des diplômes dans leurs domaines de spécialisation respectifs.

« Transmettre notre savoir aidera davantage de femmes à s’autonomiser, à construire leur maison et à améliorer leur vie. Avant Chávez, les femmes étaient invisibles, même les héroïnes qui se sont battues pour la liberté de notre pays. Il est temps de libérer les héroïnes que nous portons dans notre sang », a déclaré Boada.

Un autre plan d’avenir est le développement de l’agriculture urbaine, conformément à l’ordre de Chávez selon lequel les organisations du pouvoir populaire doivent être autosuffisantes et posséder les moyens de production. Alors que le Venezuela est soumis à une agression impérialiste constante, ces initiatives de production autogérées ont vu le jour dans tout le pays, mais surtout dans les communes rural.

Source originale: VenezuelaAnalysis

Autrice : Andreína Chávez Alava

Traduit de l’anglais par Bernard Tornare

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/03/10/venezuela-une-armee-de-femmes-construit-la-revolution-du-logement/

« Nostalgiques du futur » par Maurice Lemoine. A propos d’un film sur le Vénézuéla.

Populisme, dictature, chaos… D’un côté, clichés, slogans et anathèmes ont imposé leur image apocalyptique du Venezuela. De l’autre, nul n’est dupe du rôle de la « guerre hybride » menée par les acteurs internes et externes – sous commandement états-unien – dans la difficile situation du pays. Mais pour tous, bien souvent, demeure un grand mystère : comment la Révolution bolivarienne a-t-elle pu résister au milieu de tant d’adversités ?

C’est que le dédain pour les « détails » fait souvent oublier l’essentiel : « el pueblo ». Pas le peuple mythique – le peuple des hommes et des femmes de chair et d’os. Celui au cœur duquel nous entraîne Thierry Deronne, dans ce documentaire passionnant.

« Nous devons rester debout, ce que nous a inculqué Chávez » : nous voici sur les hauteurs de Caracas, au cœur d’un collectif d’autoconstructrices de leurs logements. « Une personne qui fait de la politique doit aussi savoir semer  » : nous voilà avec les « communardes » d’El Maizal et leur vaste organisation productive. Reflet d’une réalité très diverse où le manuel a autant d’importance que l’artiste ou l’« intello », le film mélange et entremêle lenteur du paysan, gracieuseté de la ballerine, concentration des musiciens ; écoles agro-écologiques et lycées en autogestion ; assemblées de la santé, ateliers Internet ; bâtisseuses aux doigts rugueux et fileuses de contes, avec leurs sacs d’histoires à raconter.

Poétique et dynamique, dégageant une énergie communicative, une plongée au cœur d’une identité collective porteuse de son propre système de valeurs, de son idéologie révolutionnaire, de ses utopies. « Le plus important, ici, ce sont les habitants. » Comment ne pas les aimer lorsqu’on découvre ce qu’ils ont vécu et ce qu’ils font ?

MAURICE LEMOINE

Trailer de « Nostalgiques du futur », documentaire réalisé par Thierry Deronne. Coréalisation: Victor Hugo Rivera. Production: Terra TV/EPLACITE, Venezuela 2022. Durée: 48 min. Vidéo HD.
Contact pour la diffusion (UE): blogvenezuelainfos@gmail.com

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Journaliste de terrain, écrivain, ex-rédacteur en chef du Monde diplomatique, Maurice Lemoine couvre l’Amérique Latine et les Caraïbes depuis plus de 40 ans. Après Les enfants cachés du général Pinochet (2015) ou Venezuela, chronique d’une déstabilisation (2019), il prépare un livre sur l’aventurier vénézuélien Juan Guaido (sortie en 2023).

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/11/27/nostalgiques-du-futur-par-maurice-lemoine-a-propos-dun-film-sur-le-venezuela/

Le Venezuela au fond des yeux (6) : «Je pensais que la photographie était réservée aux hommes.»

Photo : participantes de l’atelier-exposition « huit femmes 100% San Agustín : regards qui embrassent », à Caracas. Photo Félix Gerardi

Un groupe de femmes de Caracas qui n’avaient jamais pris de photos auparavant ont redécouvert, grâce à leur téléphone, les lieux quotidiens du quartier où elles vivent, qui leur étaient « cachés ». La vision de ces jeunes femmes, âgées de 15 à 30 ans, a été recueillie lors de l’atelier-exposition « huit femmes 100% San Agustín : regards qui embrassent », dont le résultat a été exposé au Centro Cultural Parque Central, près de leur quartier de San Agustín, à Caracas.

L’expérience valait pour défi. Les participantes n’avaient aucune expérience préalable de la photographie pour créer des compositions, tirer des portraits, jouer avec la lumière ou saisir le paysage de la capitale. L’espace de création fut l’endroit où elles ont grandi et vivent aujourd’hui : le quartier populaire de San Agustín, bastion de la culture afro-vénézuélienne et patrimoine musical et architectural de la ville. Voir, regarder, enregistrer l’image de leur espace de vie, outre la possibilité de le donner à connaître, est une manière de se l’approprier et de dissiper les stéréotypes sociaux, racistes, qui existent sur les quartiers populaires, leurs espaces et leurs habitants.

Photo : participantes de l’atelier-exposition « huit femmes 100% San Agustín : regards qui embrassent », à Caracas. Photo Félix Gerardi

Cette exposition, organisée par la fondation culturelle 100% San Agustín, dans le cadre d’un festival de cinéma qui s’est tenu en mai, a été réalisée par le photographe vénézuélien chevronné Félix Gerardi.

« Je vois des choses auxquelles je ne faisais pas attention ».

Rebeca González, 32 ans, a découvert cet appel à participer à l’atelier, ouvert aux femmes de sa communauté, lorsqu’elle a emmené sa fille à l’un des ateliers culturels organisés au théâtre Alameda, un lieu emblématique de ce secteur de Caracas, inauguré en 1943 et sauvé il y a près de dix ans. « Je n’avais jamais imaginé que je découvrirais autant la photographie. Avant, je prenais des photos de mes enfants, de ma maison, avec mon téléphone portable, mais pas comme maintenant ».

Considère-t-elle qu’il y a une différence entre son ancienne approche de l’appareil photo et sa création actuelle ? « Maintenant, les photos sont plus belles, je me concentre davantage sur les paysages, sur le fond et les formes, sur la lumière. Je le fais avec plus de détails et je vois des choses auxquelles je ne faisais pas attention auparavant ».

Photo : la fille d’Alannys, Rebeca González

La proposition de Félix Gerardi était de localiser un endroit du quartier qui attirait leur attention et de faire appel à leurs propres idées pour raconter une histoire d’un point de vue féminin. « Je pensais que la photographie était réservée aux hommes, mais j’ai réalisé que tout le monde peut prendre une photo s’il a les outils pour le faire. » En ce qui concerne le thème de ces images, elle dit avoir choisi sa fille et « ce que l’on ne voit pas de notre quartier ». Un exemple : le mur de briques, où elle a photographié la petite fille, à l’arrière d’une maison. « Généralement, les gens ne prennent pas de photos là-bas, car on ne voit que les façades des maisons » explique-t-elle.

« Je transmets l’essence de ma grand-mère. »

Photo : Mains de Sara Valera, grand-mère de Nazareth Astudillo

Nazareth Astudillo, 18 ans, est passé de la danse corporelle à la danse de l’image. C’est en pratiquant avec son groupe « La Nueva Dimensión » qu’elle a entendu parler de l’atelier-exposition de photographie.

« Je savais que la proposition concernait des femmes prenant des photos de femmes et j’ai tout de suite pensé à ma grand-mère, Sara Valera, qui souffre de troubles neurocognitifs et qui représente très bien San Agustín car elle y est arrivée à l’âge de 30 ans avec le rêve d’être couturière ».

Les images de Nazareth captent l’attention du spectateur dès qu’on entre dans la pièce. Le visage, les mains et l’empreinte de sa grand-mère créent un lien immédiat. « On m’a souvent dit que je transmettais l’essence de ma grand-mère, qui est très calme et paisible. J’aime que les gens s’identifient à elle ».

Le registre est le résultat de ses promenades avec Sara. « Pendant que nous marchons, je prends des photos d’elle. Ceux qui m’ont approchée m’ont dit que ces images leur rappelaient leurs grands-parents décédés ou qui se trouvent dans la même situation ». Toutes deux se rendent dans les lieux que la vieille dame avait l’habitude de fréquenter régulièrement et dont elle ne se souvient plus en raison de son état neurologique.

Nazareth, qui, en plus de pratiquer la danse, étudie le dessin artistique et envisage de faire carrière dans le graphisme, explique que, malgré la différence d’âge, elle a établi une relation très étroite avec sa grand-mère. « C’est compliqué de s’occuper d’une personne malade, je pense que c’est une façon de la remercier pour ce qu’elle a fait pour moi depuis que je suis petit ».

Un « changement de perspective »

Alannys Garcia, 15 ans, se souvient que Félix Gerardi les a emmenés faire une promenade dans le quartier pour réfléchir au sujet qu’ils devaient choisir. Le premier jour, elle n’arrivait pas à en trouver une, mais après la visite, elle a opté pour les peintures murales, qui sont une présence constante dans le quartier, et pour l’architecture, dont certaines remontent au début du XXe siècle.

« J’étais là tout le temps et je n’avais jamais fait attention aux peintures murales. Je ne les avais jamais vus sous un angle aussi artistique ». Elle explique que, bien qu’elle a été initiée à la photographie par les paysages qu’elle prenait à la plage, elle a constaté qu’elle ne les identifiait pas au sein de son propre quartier.

Photo : fresque murale photographiée par Alannys García

Cette lycéenne de quatrième année explique que pour l’exposition, elle a pris la photo d’une fresque représentant une femme aux cheveux afro parce qu’elle voulait refléter la culture de son quartier, l’art du tambour et la salsa. Cet atelier a « changé sa perspective » sur la photographie. Elle aimerait maintenant se lancer dans la photographie qui la passionne.

Filles et grands-mères

Reinaldo Mijares, coordinateur de la Fondation 100% San Agustín, a déclaré lors de l’inauguration de l’exposition que ce sont les femmes « qui ont le leadership » dans les organisations culturelles du quartier. « Je me réjouis qu’elles aient osé nous donner leur vision du quartier. Quand on regarde autour de soi, on trouve deux thèmes : les filles et les grands-mères. Le quartier se dévoile à travers ces figures ».

Photo : Sara Valera, grand-mère de Nazareth Astudillo

Le photographe Gerardi, évoquant le processus d’apprentissage avec ces participantes, ajoute que l’engagement qu’elles ont pris envers elles-mêmes et envers le quartier est devenu une « source de fierté ». « Je fus un guide qui les a accompagnées dans l’atelier, elles ont atteint leurs objectifs et j’espère qu’elles n’abandonneront pas le projet ».

Natali Gomez

Source : https://actualidad.rt.com/author/387379-nathali-gomez

Traduit de l’espagnol par Thierry Deronne

Photos : Rebeca González / Alannys García / Nazareth Astudillo / Felix Gerardi / photos de l’exposition : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/06/07/le-venezuela-au-fond-des-yeux-6-je-pensais-que-la-photographie-etait-reservee-aux-hommes/

Un auto-gouvernement populaire au Venezuela : la commune Luisa Cáceres.

La nature réelle de la révolution bolivarienne du Venezuela, qui la différencie d’autres processus révolutionnaires, est la vitalité de sa démocratie participative, palpable dans les autogouvernements populaires qui surgissent partout, après vingt-deux ans de processus. Les témoignages que nous publions depuis des années montrent un pouvoir citoyen cherchant à s’autonomiser sans pour autant renoncer à transformer l’État ni se départir de son esprit critique. Nulle « cooptation gouvernementale » mais une force de transformation et une intelligence sociales souvent sous-estimées par les politologues. Cet exemple inédit d’une révolution qui ne cesse d’approfondir sa démocratie s’explique par ses origines. C’est au contact des jacobins noirs de la révolution haïtienne que l’aristocrate Bolivar comprit que la libération latino-américaine ne triompherait qu’à travers l’émancipation politique des esclavisé(e)s. C’est aussi l’equilibrio del mundo de Bolivar qui inspire la politique multipolaire actuelle du Venezuela. Organisation populaire, diplomatie multipolaire : deux faces d’une même Histoire, d’une même capacité de résister à un blocus impérial.

Pourquoi, alors que le zapatisme a connu son heure de gloire dans le monde entier, le « super-zapatisme » vénézuélien aux mille visages est-il systématiquement occulté, ou dénigré, par la presse « progressiste » d’Occident ? On peut en trouver la cause dans le champ médiatique. Celui-ci peut tolérer une rébellion qui ne transforme pas le système mais pas une révolution qui affronte structurellement la globalisation néo-libérale. Qui oserait, à gauche, ruiner sa réputation en allant contre une opinion construite autour de la dictature-au-Venezuela ? Ce rendez-vous manqué, qui va du silence gêné à la « vigilance nécessaire », a contribué au désenchantement de la politique en Occident où les citoyen(nes) auraient eu le plus grand intérêt à découvrir cette passionnante synthèse de démocratie représentative et de révolution citoyenne.

Thierry Deronne, Caracas, 10 avril 2022.

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Un auto-gouvernement en temps de blocus : la commune de Luisa Cáceres (première partie).

L’est du Venezuela abrite de vastes zones d’extraction et de traitement du pétrole centrées sur les villes de Barcelona et Puerto la Cruz, dans l’État d’Anzoátegui. La commune de Luisa Cáceres de Arismendi, l’une des plus avancées du pays, a grandi dans l’ombre de ces entreprise multimilliardaires, dans l’un des quartiers populaires de Barcelona. Il s’agit d’une commune à croissance rapide – remarquable en raison de son succès dans un contexte urbain – qui s’est concentrée au départ sur le recyclage et l’élimination des déchets. Dans la première partie de cette série en deux volets, les communard(e)s de Luisa Cáceres racontent les défis de la construction d’une commune dans un pays assiégé par le blocus impérial.

Histoire, projets productifs, organisation.

La commune Luisa Cáceres a installé son siège dans un terrain vague, nettoyé par les communard(e)s et mis au service de la communauté. Il s’agit d’un espace multi-fonctionnel, devenu l’épicentre du travail de recyclage de la commune, l’espace du potager communautaire et le lieu de réunion et d’assemblée. Devant une splendide fresque murale représentant l’héroïne de l’indépendance Luisa Caceres et le célèbre écrivain du XXe siècle Aquiles Nazoa, les communard(e)s ont accepté de nous rencontrer et de nous raconter l’histoire de leur organisation.

Carlos Herrera est parlementaire communal, membre du comité exécutif de la commune et coordinateur de l’entreprise de recyclage. Ingrid Arcila est la parlementaire de la commune pour les services publics. Arturo Aguache est parlementaire communal. Johann Tovar est parlementaire communal et fait partie de la direction de l’Union Communarde. Rosa Cáceres est la porte-parole des services publics de son conseil communal ; elle est responsable de la crèche Pablo Characo. Manuel Cherema est le coordinateur de la sécurité de la commune et le superviseur en chef de la police bolivarienne à Anzoátegui. Photos: Voces Urgentes.

HISTOIRE

Carlos Herrera : « Nous avons commencé à jeter les bases de la commune il y a environ huit ans, mais le processus s’est vraiment accéléré au cours des quatre dernières années. Nous avançons dans la bonne direction – je pense – celle de l’autonomie populaire.

« Bien sûr, ce n’est pas facile. Comme le dit un proche camarade, « s’il est difficile de se mettre d’accord à la maison, alors ne nous surprenons pas des difficultés de l’organisation communale. » C’est encore plus vrai dans une société capitaliste en crise, où les intérêts individuels ont tendance à entraver les objectifs collectifs. Petit à petit, cependant, nous construisons un espace où le collectif est au centre et où la commune devient la base de la construction de la nouvelle société. Le processus de construction implique beaucoup de travail et de sacrifices. »

Arturo Aguache : « C’est en 2018 que nous avons pleinement enregistré la commune sous sa forme légale. Depuis lors, nous avançons à tâtons, avec des moments plus marqués par la coopération de l’État, et d’autres par des frictions avec les institutions étatiques. Ces dernières années, avec les sanctions occidentales qui pèsent lourdement sur nous, nous avons découvert qu’en tant que commune urbaine, nous devions nous concentrer sur les services : c’est ce que nous avons fait. Mais notre objectif n’est pas seulement de résoudre les problèmes. Notre véritable objectif est l’autonomisation populaire par le biais de l’autogestion, de manière démocratique, et en dehors de la logique du capital. »

Johan Tovar : « La commune a été baptisée  » Luisa Cáceres de Arismendi  » en l’honneur d’une grande patriote. Pendant les guerres d’indépendance, les royalistes ont tué son mari et l’ont emprisonnée. Dans les cachots, on a offert la vie à Cáceres si elle faisait appel à la clémence royale, prêtait allégeance au roi et respectait la loi. Elle refusa, s’empara de l’arme d’un des officiers et l’a abattu. Bien sûr, elle a été enfermée après cela, mais Luisa Cáceres ne s’est jamais inclinée devant eux. Elle était une vraie patriote, qui défendait ses principes. C’est pourquoi notre commune porte son nom. »

PROJETS PRODUCTIFS

Herrera : « Notre commune est située au cœur d’un centre urbain, dans ce que Rubén Blades appelait « la jungle de béton » [selva de cemento]. Cet emplacement a bien sûr entraîné quelques défis, car il n’y a pas de terres communales ici et ce qui « pousse » ici, ce sont les commerces et l’aliénation. A ses débuts, la commune a eu du mal à trouver des moyens de produire.

« Vers 2018 ou 2019, la crise et les sanctions ont commencé à nous frapper durement. Tous ces pouvoirs étaient unis contre le peuple vénézuélien et son gouvernement. Lorenzo Mendoza, le propriétaire du grand conglomérat privé alimentaire Polar, se battait également contre notre peuple : Harina PAN [farine de maïs Polar, d’usage quotidien au Venezuela] était difficile à obtenir et les gens avaient faim. Nous avons donc décidé de construire une petite usine de transformation de farine de maïs. Notre rêve était d’en fournir à notre communauté. L’usine a fonctionné pendant un certain temps, mais le prix du maïs a fini par monter en flèche, le carburant était introuvable et nous n’avons pas été en mesure de maintenir l’usine en activité. Bien que ce projet ait échoué, nous avons appris à maîtriser les chaînes d’approvisionnement et compris la nécessité de planifier notre production. Nous avons continué à rêver… Maintenant, il y a deux entreprises de propriété communale : une pour la collecte des ordures et l’autre pour le recyclage. »

Tovar : « Chávez avait souligné l’importance de la science et de la technologie pour résoudre les problèmes auxquels notre société est confrontée. Notre expérience montre qu’il avait raison : nous avons besoin d’engagement et d’organisation, mais aussi d’acquérir des connaissances et d’organiser efficacement la production. Chávez insistait aussi sur le fait qu’une société communale authentique signifie pratiquer une nouvelle géométrie du pouvoir, une nouvelle organisation, tant dans la sphère économique que dans la sphère politique. L’autogestion est au cœur de cette proposition. Ici, à la commune de Luisa Cáceres, nous avançons dans cette direction. Notre outil principal de gouvernement est l’assemblée, qui est un espace de délibération et de contrôle collectif des comptes : l’assemblée est le germe de l’autogouvernement. »

Réunion avec les communard(e)s de Luisa Caceres. Photo Voces Urgentes.

ORGANISATION

Herrera : « En ce qui concerne l’organisation de la commune de Luisa Cáceres, nous suivons le schéma prévu dans la Loi Organique des Communes. Notre premier organe de délibération est le Parlement communal. Ce parlement est composé d’un porte-parole pour chaque conseil communal [il y en a 24] et de trois parlementaires représentant les entreprises communales, plus le porte-parole de la Banque communale. Le Parlement se réunit le premier samedi de chaque mois pour discuter des questions opérationnelles et organisationnelles, examiner la planification et les ressources, etc.. La commune dispose également d’un Conseil exécutif composé de trois porte-parole ainsi que des Conseils économique, de contrôle, de planification et d’administration. Ce dernier coordonne des questions telles que les services publics, la santé, le logement, la culture et l’éducation, et la défense du territoire, entre autres responsabilités. »

Tovar : « Nous espérons que notre commune donnera naissance à une nouvelle réalité matérielle et à une nouvelle conscience. À l’instar de Chávez, nous considérons la commune comme la clé pour résoudre les contradictions et les problèmes de notre société, et nous pensons que nous avançons dans cette direction. »

Distribution de gaz dans la commune de Luisa Cáceres. Photo Voces Urgentes

Impact du blocus occidental et solutions communardes.

Loin d’être passive pendant la crise, la commune de Luisa Cáceres a développé une série de réponses créatives aux difficultés qui se présentent. De cette manière, elle démontre que les communes peuvent apporter une solution populaire et souveraine à la crise.

Herrera : « L’impact du blocus a été énorme, il a également nui aux organisations de base, en particulier dans les premiers jours. Lorsque les gens doivent lutter pour avoir assez de nourriture sur la table pour leurs familles, il est très difficile de dégager de l’énergie pour maintenir en activité des organisations de base. Au plus fort de la crise, de nombreuses personnes ont dû parcourir des kilomètres à pied pour se rendre au travail parce qu’elles n’avaient pas d’argent pour payer le ticket de bus, tandis que d’autres, en particulier les plus jeunes, ont quitté le pays. D’autres sont tout simplement morts parce qu’ils n’avaient pas les moyens d’acheter les médicaments dont ils avaient besoin. Tout cela était très douloureux. Le blocus touche tout le monde, des plus jeunes aux plus âgés. C’est une politique criminelle. »

Manuel Cherema : « Les premiers jours du blocus ont été très durs pour tout le monde, y compris pour la commune, mais nous ne sommes pas restés inactifs. En fait, notre première entreprise communale était une petite usine de transformation de la farine de maïs, et nous avons pu vendre la farine de maïs à un prix accessible. Cette entreprise n’est plus active aujourd’hui, mais nous avons beaucoup appris avec ce projet. »

Tovar : « Le blocus nous a durement touchés, mais la vérité est que les années les plus dures de la crise ont été celles où nous avons commencé à nous développer en tant que commune. Il est intéressant de noter que cela s’est également produit dans les communes d’El Maizal (dans l’Ouest agricole) et de Che Guevara (dans les Andes). El Maizal a repris des espaces productifs, Che Guevara a construit des installations industrielles et des serres, nous avons pris en charge la collecte des déchets et commencé le travail de recyclage. Dans notre cas, tout cela s’est produit alors que les institutions étaient en sommeil pendant la pandémie. La commune a pu donner une réponse efficace aux besoins de la population face à un problème croissant de santé publique dû à l’accumulation des déchets. »

SANTÉ

Ingrid Arcila : « Nous avons rapidement ressenti l’impact des sanctions et du blocus sur nos corps. Vers 2016, la nourriture est devenue rare : nous devions faire la queue pendant des heures. Puis sont venues les pénuries de médicaments : les médicaments de base comme le diazépam étaient difficiles à obtenir. Aujourd’hui, les médicaments et la nourriture sont disponibles, mais les prix sont exorbitants. Cette situation devient particulièrement complexe lorsqu’un proche doit subir une opération. Les hôpitaux sont à court de fournitures, et les familles doivent tout acheter, de la gaze aux gants en latex en passant par les stérilisateurs et les antibiotiques. C’est là que la commune intervient : nous nous efforçons souvent d’ouvrir des canaux institutionnels afin que les personnes à faibles ressources obtiennent un soutien de la part de la municipalité ou d’un autre organisme public. Cela aide, mais malheureusement, nous avons perdu beaucoup de personnes dans la commune à cause de cette situation. À l’avenir, lorsque les moyens de production de la commune seront consolidés, une partie de nos excédents sera destinée à de telles urgences. »

Tovar : « Ici, dans la commune, les sanctions, le blocus et la crise ont limité notre accès aux soins. Les CDI locaux [centres de diagnostic intégraux – un système médical communautaire mis en place sous Chávez] ont commencé à s’effondrer au pire moment. Lorsque nous avons vu que cela se produisait, la communauté s’est organisée pour mieux gérer le personnel médical et les ressources limitées. Nous avons commencé à organiser des journées de travail volontaire pour peindre et assainir les espaces du CDI local. Cependant, nous nous sommes également organisés pour que les établissements réparent les problèmes tels que les climatiseurs en panne. C’était très important car de nombreuses salles d’opération n’avaient pas de climatisation, ce qui les rendait inutilisables.

« La communauté s’est également organisée avec succès pour mettre fin au vol de médicaments. Cela peut vous surprendre, mais dans les situations de crise, les contradictions deviennent plus visibles. C’est pourquoi la communauté elle-même a travaillé à la supervision, à l’introduction de plaintes et à l’établissement d’un contrôle strict des soins de santé. Le blocus a coûté de nombreuses vies, et c’est très douloureux. Encore plus lorsque la situation est aggravée par des problèmes entre nous. L’individualisme se développe dans une partie de la société lorsque les choses deviennent vraiment difficiles. Lorsque cela se produit, il n’y a qu’un seul moyen d’avancer : plus d’organisation, plus de communes.

Siège de la commune de Luisa Cáceres. Photo Voces Urgentes

CARBURANT ET SERVICES.

Herrera : « Les sanctions contre [la compagnie pétrolière d’État] PDVSA ont eu un impact dévastateur sur l’ensemble de la société : la production et la distribution sont devenues un problème, et les gens ont eu des difficultés à se rendre au travail et même à l’hôpital. Pour la commune, lorsque les pénuries de diesel ont commencé, nous avons été confrontés à un problème supplémentaire : nous n’avons pu respecter le calendrier de collecte des ordures, et celles-ci se sont accumulées dans les rues. »

Tovar : « Lorsque les pénuries de carburant se sont aggravées, une autre contradiction a émergé : les grandes entreprises capitalistes jouissaient d’accords favorables et obtenaient des rations de carburant très copieuses, tandis que la commune recevait une quantité mensuelle très faible, bien inférieure au nécessaire pour effectuer la collecte des déchets sur le territoire. C’est pourquoi nous avons dû lancer une campagne publique : nous avons fait savoir que le camion de la commune ne faisait pas la collecte des ordures parce que nous n’avions pas de carburant. Finalement, les cadres locaux du parti socialiste vénézuélien [PSUV, principal parti chaviste] nous ont entendus, et nous avons conclu un accord. »

Rosa Cáceres : « Il y a environ deux ans, l’obtention de gaz de cuisine est devenue un problème très sérieux également. Comme nous sommes dans une zone urbaine où il n’est pas possible de cuisiner avec du bois de chauffage, nous avions de vrais problèmes. Après quelques mois, nous nous sommes organisés et avons conclu un accord avec PDVSA Gaz. Maintenant, la commune coordonne la distribution du gaz, et cela fonctionne très bien. En fait, ici à la commune, nous cherchons des solutions collectives à nos problèmes collectifs… et nous avons appris que le pouvoir populaire est très efficace pour résoudre les problèmes quotidiens de la communauté. Bien sûr, les institutions ont aussi un rôle à jouer dans la résolution des problèmes que le peuple rencontre au quotidien. »

Arcila : « Le blocus a eu un impact énorme sur les services publics, en particulier l’électricité, l’eau, le gaz et les transports. Le manque d’entretien a entraîné des coupures de courant, un approvisionnement en eau irrégulier et des transports publics en mauvais état. Par exemple, l’usine de traitement de l’eau ici s’arrête souvent parce qu’il n’est pas possible pour l’État d’acquérir des pièces de rechange. Cela signifie que nous avons parfois passé jusqu’à sept jours sans eau courante ici. Le service téléphonique est un autre problème auquel nous sommes confrontés. Les câbles téléphoniques sont très chers et les vols sont fréquents, mais CANTV [la compagnie nationale de téléphone] ne peut pas acheter de pièces de rechange en raison du blocus. À l’heure actuelle, plus de 70 % des habitants de la commune n’ont pas de service téléphonique. Pas facile de trouver des solutions à tous ces problèmes, mais la commune dispose d’un comité des services publics qui travaille avec les institutions publiques pour résoudre les problèmes que nous rencontrons. Nous avons également organisé des « brigades ». L’une d’entre elles, très active, est la brigade de l’eau, qui s’occupe de problèmes tels que les ruptures de tuyaux, afin que l’approvisionnement en eau soit un peu plus régulier. »

Tovar : « Le transfert des services municipaux aux communes est viable. La brigade des eaux résout de nombreux problèmes au niveau local. Auparavant, lorsque nous avions un problème tel qu’une rupture de conduite d’eau, nous devions attendre que la municipalité envoie un professionnel. Cela pouvait durer des jours, des semaines, voire des mois. Maintenant, quand il y a un problème dans la commune, nous activons la brigade. La brigade est une initiative communale, mais elle est financée par le bureau régional du ministère de l’Eau. Cette institution fournit les salaires, mais la commune organise le travail de manière autonome. Nous avons constaté que cette méthode est très efficace. Le projet communal a consisté à donner du pouvoir aux gens, à travers des initiatives comme celle-ci. Le fait que nous puissions résoudre les problèmes stimule l’organisation et donne de l’espoir aux gens. Bien que nous n’ayons pas d’autonomie financière, nous nous dirigeons vers l’autonomie sur le territoire de la commune. »

Aguache : « Comme nous sommes une commune urbaine, la détérioration des services publics due au blocus est devenue un énorme problème. Cependant, cette situation nous a poussés à nous organiser et à chercher des solutions. Ce faisant, la commune est devenue un phare ou un modèle dans la communauté. Il nous est également apparu clairement que l’organisation communale peut – si les responsabilités et les ressources lui sont transférées – résoudre nos propres problèmes. La seule chose que nous devons à ces sanctions inhumaines, c’est d’avoir appris certaines choses : en tant que commune urbaine, lorsque nous reprenons des services initialement attribués à l’État, nous pouvons le faire efficacement et de manière auto-organisée. »

Cáceres : « L’organisation a été la clé de la solution de certains de nos problèmes, mais il y a encore beaucoup à faire. J’ajoute cependant que la structure des CLAP [comités de distribution d’aliments subventionnés, créés par le gouvernement bolivarien], bien vivante dans notre région, a été un outil très utile. Elle nous a permis d’atteindre les membres de la communauté qui ne sont pas nécessairement engagés dans l’auto-organisation.

SÉCURITÉ

Arcila : « Toute crise entraîne des problèmes sociaux. Lorsque la crise a atteint son paroxysme, les vols ont augmenté et d’autres problèmes sociaux se sont intensifiés, alors nous avons commencé à réfléchir à ce qu’il fallait faire. C’est pourquoi nous encourageons la création d’équipes de sécurité dans les conseils communaux. Notre idée n’est pas de faire la police entre nous, mais de renforcer notre commune : construire une société où règnent la paix et la solidarité. »

Cherema : « Nous participons à un plan pilote de sécurité communale que l’ancien maire [et actuel gouverneur d’Anzoátegui] Luis José Marcano a proposé. Quatre communes au total participent à ce plan, qui est un pas vers la construction de la cité communale. L’objectif de cette initiative est de repenser et de mettre en œuvre un plan de sécurité à partir de la base. Il s’agit en fait d’un héritage de Chávez : il parlait de la nécessité d’évoluer vers un système de police communale qui ne viendrait pas de l’extérieur. De nouvelles conceptions de la paix et de la sécurité devraient remplacer les anciennes pratiques policières. Chávez a également déclaré que la police devait être plus proche des gens, qu’elle ne devait pas être une force extérieure. Suivant ses directives, nous mettons en place des équipes communales de terrain pour apprendre la sécurité, écouter l’intelligence populaire et défendre ce qui est commun sur le territoire.

Le plan communal de sécurité coopère avec la Police Nationale Bolivarienne (PNB) mais n’est pas un appendice de cet organisme gouvernemental. Chaque équipe de sécurité aura un porte-parole qui coordonnera son activité et, si nécessaire, pourra travailler avec la PNB. Il y aura également des personnes chargées de recueillir les informations des organisations citoyennes, et nous établirons la figure du médiateur de paix. Notre plan de sécurité communal n’est pas punitif mais plutôt conciliateur. »

Interview : Cira Pascual Marquina et Chris Gilbert – Venezuelanalysis

Photos : Voces Urgentes

Source : https://venezuelanalysis.com/interviews/15498

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/04/10/un-auto-gouvernement-populaire-au-venezuela-la-commune-luisa-caceres/

« Ici, il n’y a pas de patron » : la commune populaire El Panal au Venezuela

Modeste initiative face à l’homogénéité médiatique sur le Venezuela, le blog Venezuelainfos fête dix ans de travail volontaire. 1051 articles ont été mis en ligne depuis 2012, grâce à l’aide de nombreux traducteurs et traductrices bénévoles, pour vous réinformer gratuitement sur la révolution bolivarienne et sur son ressort profond, ignoré par la gauche occidentale : une démocratie participative, multiforme, autonome et critique, en majorité féminine.

En ce mois de mars, le nouveau ministre des communes et des mouvements sociaux Jorge Arreaza parcourt le pays à la demande du président Maduro, pour écouter les propositions, critiques et besoins des communard(e)s (photos). « L’organisation du pouvoir populaire au Venezuela est unique au monde. Le peuple dispose de véritables canaux pour parvenir à l’autonomie communale avec l’accompagnement d’un gouvernement révolutionnaire. Dans cette nouvelle étape de la transition vers le socialisme, nous allons avancer à toute vapeur ». Arreaza rappelle la définition de l’État communal qui doit à terme substituer le vieil État, tel que le définissait Hugo Chávez : « La commune est comme la cellule et les cellules doivent se ramifier, se relier, elles doivent former un système, s’articuler, pour donner forme à un corps ».

Ces dernières années, les grands médias ont relooké les insurrections d’une extrême droite raciste – nostalgique de l’apartheid d’avant Chávez – en « révoltes populaires », tout en occultant la majorité du peuple, pacifique, qui n’a jamais voulu participer à ces violences. L’objectif était de sédimenter l’image d’une « dictature ». Mais la révolution bolivarienne, qui a fait entrer dans le champ politique une majorité sociale jusque-là exclue, ne cesse de renforcer sa démocratie directe. Elle a aussi construit la démocratie représentative la plus dynamique du continent, avec 29 scrutins en 22 ans, reconnus par la grande majorité des observateurs internationaux et qualifiés par Lula d’« excès de liberté ».

Par ailleurs, les médias ont caché huit ans de sanctions occidentales et la perte consécutive de 99% des revenus pétroliers. Que n’a-t-on ri des files à Caracas : « l’échec-du-socialisme-fait-fuir-la-population ! ». Aujourd’hui, les mêmes médias admettent la réussite économique du président Maduro et le retour des migrant(e)s chez eux au Venezuela mais… c’est parce que « Maduro-est-devenu-capitaliste » ! A titre d’exemples, le budget de l’État en 2022, approuvé par les député(e)s, comporte 76% d’investissements sociaux; Nicolas Maduro accélère la Mission du Logement Public destinée aux familles populaires, pour atteindre un total de 5 millions de logements d’ici 2025. La politique publique de santé contre le Covid, qui a permis d’éviter les hécatombes des régimes néo-libéraux voisins, est étudiée comme exemplaire par l’OMS et saluée par l’ONU. Les revenus en hausse du pétrole – que le gouvernement bolivarien a sauvé de la privatisation – vont en priorité à la reconstruction des services publics.

Revenons à la participation citoyenne qui est une des clefs de la résistance au blocus occidental. La vitalité de la révolution bolivarienne, qui étonne souvent ceux qui décident de voyager au Venezuela, est le fruit d’une tension permanente, créatrice entre les organisations populaires et un « État ancien » (qui n’en finit pas de mourir, comme disait Chávez). Après les reportages de Venezuelainfos sur la commune paysanne d’El Maizal, la commune « Che Guevara », la commune socialiste de Altos del Lidice, ainsi qu’une soixantaine d’autres, nous nous attardons aujourd’hui sur une commune située à Caracas : El Panal 2021 qui incarne bien cette volonté d’autonomie dans sa relation avec l’État. Quelques photos de ce reportage proviennent d’une formation audio-visuelle que notre école populaire (EPLACITE/TERRA TV) a offerte aux mouvement sociaux du Venezuela, et au cours de laquelle nous avons réalisé un tournage dans l’entreprise textile autogérée d’El Panal.

Vies et voix de la commune « El Panal 2021 »

Située dans le secteur «  23 de Enero », dans l’ouest populaire où vit 80% de la population de la capitale (et où ne vont jamais les journalistes étrangers), cette commune est née en 2008. Elle regroupe 3.600 familles, environ 13.000 personnes. Sept conseils communaux la composent formellement. « Lorsque Chávez a lancé l’idée des conseils communaux et, plus tard, de la commune, nous avons aussitôt adhéré » se souvient Robert Longa. Ana Caona responsable de planification, rappelle que « la commune est la somme des conseils communaux, et que nous étions une commune dès cette époque ».

Au sein de la commune cohabitent diverses entreprises communales. Salvador Salas : « D’abord, la boulangerie, puis l’usine d’emballage du sucre, puis la briqueterie, la fabrique de pneus, le restaurant et l’entreprise textile. Par la suite, à cause de la guerre économique et du blocus imposé par les États-Unis, l’accès aux denrées alimentaires de base s’est vu gravement affecté. On a misé sur le secteur primaire et noué une alliance avec des groupes de paysans afin d’acheter leur production et de la vendre le week-end sur un marché aux voisins de la commune

Une centaine de personnes travaillent actuellement dans les entreprises communales d’El Panal. La commune dispose également de sa propre station de radio communautaire : « Radio Arsenal ». Parmi toutes les entreprises mentionnées, Robert Longa met en avant l’entreprise textile, « Las Abejitas del Panal », fondée en 2012 dans le quartier de Santa Rosa, dans des locaux abandonnés que la communauté a récupérés, et devenue une référence non seulement au sein de la commune mais aussi dans tout Caracas et même à l’échelle nationale. Actuellement, 12 personnes travaillent dans cette entreprise autogérée, produisant toutes sortes de vêtements et autres articles textiles.

Pour décrire leur vision, les communard(e)s d’El Panal parlent d’un socialisme différent de celui pratiqué au 20ème siècle. Un socialisme qui s’engage dans l’autogestion et la décentralisation, et qui se matérialise par le pouvoir communal. Un socialisme qui implique nécessairement le dépassement du capitalisme : « nous voulons construire un monde différent de la voracité du capitalisme et c’est là que nous défendons le socialisme du XXIe siècle ».

Principaux organes de la commune

La structure créée à El Panal n’est pas une copie exacte de celle proposée dans la loi sur les communes. La loi des communes stipule en effet que « le Parlement communal est la plus haute instance d’autogestion de la commune » (article 21) et se compose de représentants des conseils communaux, des organisations socio-productives et de la Banque Communale » (Assemblée nationale, 2010b : 23-26).

En revanche, El Panal 2021 ne dispose pas d’un parlement, mais d’une « Assemblée Patriotique », à laquelle tou(te)s les résident(e)s de la commune peuvent participer. D’autre part, la loi sur les communes désigne une série de conseils qui effectuent des tâches de gestion et de planification, tels que :

  1. Le Conseil exécutif, qui « exerce la représentation légale de la commune », exécute le plan de développement, convoque le parlement et est composé d’un groupe restreint (deux membres du Parlement communal et un membre des organisations socio-productives).
  2. Le Conseil communal de planification, qui conçoit le plan de développement et est composé de six personnes (trois porte-parole des conseils communaux, deux du parlement et un des organisations socio-productives).
  3. Le Conseil de l’économie communale, qui promeut et accompagne les entreprises communales (Assemblée nationale, 2010b:28-41).

A El Panal 2021, il existe une structure de coordination générale appelée « Instance de Communardes et Communards », qui exerce des tâches de direction et de planification, composée d’un groupe d’environ 60 personnes (porte-parole des conseils communautaires, des organisations sociales, des entreprises communautaires et du collectif Alexis Vive). Une autre différence en termes de structure organisationnelle par rapport à la loi est qu’à El Panal, il existe un organe parallèle aux conseils communaux, appelé « Panalitos por la Patria ». Cet espace de coordination est ouvert à tous ceux qui veulent y participer. La philosophie des « panalitos » est que toutes celles et ceux qui sont prêts à travailler entrent dans la coordination : « Au conseil communal, les élections ont lieu tous les deux ans. Au Panalito il n’y a pas d’élection, celui qui veut travailler y entre ».

Il existe un autre corps très important dans la commune appelé « Brigadistas ». C’est une instance de participation directe, pour ces « personnes qui veulent participer, mais qui ne veulent pas s’impliquer dans le travail de coordination » ; « les personnes qui veulent soutenir la radio, le sport, la culture, l’éducation, entre autres », mais sans prendre de responsabilités de gestion.

Caona signale également deux autres instances de grande importance dans la structure de la commune : la défense et la politique. Dans un contexte où l’agression contre le processus de changement au Venezuela a été constante et extrêmement violente (coups d’État, incursions militaires depuis la Colombie ou les États-Unis, sabotages, attentats d’extrême droite, etc..) , il est essentiel de disposer d’une structure de défense qui garantisse la sécurité, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur afin que la commune puisse être protégée et se développer en toute sérénité.

L’organe principal de la démocratie directe dans la commune El Panal 2021 est donc l’Assemblée patriotique permanente. Elle est ouverte aux 13 000 habitants de la commune, et le niveau de participation est remarquablement élevé, atteignant dans certains cas jusqu’à 1 000 personnes. La fréquence des réunions varie en fonction de la saison, mais l’objectif est de tenir une assemblée mensuelle, qui se déroule toujours sur le terrain de sport, un soir de semaine, afin que chacun puisse venir après le travail. Plusieurs personnes interrogées s’accordent à dire que l’Assemblée décide de tout ce qui est important pour la commune:

« L’assemblée des citoyens décide de tout » (Guerra).

« C’est l’espace où les décisions stratégiques sont prises » (Lugo) ;

« Dans notre commune, tout est décidé en assemblée » (Caona).

« Les gens se sentent à l’aise et parlent sans problème, il y a un échange d’idées ». (Reinosa)

Un autre exemple de démocratie directe est l’assemblée de chaque conseil communautaire. Judith Guerra souligne que dans son quartier, Santa Rosa, l’assemblée rassemble environ 150 personnes et a lieu tous les mois. Elle assure que « personne ne gouverne ici en solitaire, nous faisons tout à travers les assemblées de citoyens […] la décision est toujours collective ; ce que la communauté dicte est la loi ».

Dans le cadre des entreprises communales, l’assemblée des producteurs fonctionne également comme le plus haut organe de décision. L’entreprise textile « Las abejitas del Panal », tient son assemblée tous les mois, à laquelle participent tous les producteurs. « L’important est que les travailleurs eux-mêmes disent se sentir libres de décider de tout ce qui les concerne » explique María Plaza, une jeune femme du quartier qui travaille depuis sept ans à l’entreprise textile. « Oui, nous décidons de tout dans l’assemblage ». Pour sa part, Maribia Jayaro, productrice intégrée dès 2013, explique :  « Il n’y a pas de patron ici. Nous prenons les décisions ensemble. Quand quelqu’un de l’extérieur passe une commande, nous nous asseyons et décidons ensemble si nous la faisons ou pas ». Margarita Márquez, la plus ancienne et qui, comme Maribia, fait partie de la première équipe, assure qu’ « il n’y a personne pour te donner des ordres, car nous n’avons pas de  patron qui donne des ordres, qui met un prix sur le travail [..] ici nous avons le droit de décider de la valeur d’une chemise ..] c’est nous qui décidons ». Grecia Pacheco, une jeune femme ayant cinq ans d’ancienneté dans l’entreprise, indique : « pour décider de faire un produit, nous avons une assemblée et nous décidons du prix entre nous tous [..] Nous ne faisons rien sans écouter l’assemblée ». Maribia Jayaro : « Avant, je travaillais dans le secteur privé. J’avais l’habitude de travailler avec un avocat ; nous faisions ce que le patron disait, il imposait le calendrier, et le salaire… ..] toutes les décisions ont été prises par lui. Ici, c’est différent, ici on nous écoute, mon opinion compte, et la tienne aussi ».

Toute activité de production dans « El Panal 2021 » doit répondre à une priorité : les besoins de la communauté. Pour Ana Caona, actuellement responsable du Centre de Planification et production politique et économique : « Le Che avait l’habitude de dire que « l’économie doit être évaluée en termes de vie, et non de marché ». Nous devons mettre la politique au premier plan, et nous le faisons de manière participative avec les gens, avec le peuple. »

Caona explique qu’il existe deux types d’économie dans la commune : un volet dit socio-politique, pour garantir l’alimentation de la population ; et une autre, dit mixte, pour dégager des excédents qui permettent d’investir dans de nouveaux projets. Exemple du premier type d’économie, la boulangerie, qui vend à des prix populaires afin qu’aucun voisin ne soit privé de pain. Pour Joel, un jeune homme originaire de la communauté qui est actuellement en charge de la boulangerie : « C’est beau de voir les personnes âgées nous remercier chaque matin de leur avoir vendu du pain à un prix… en leur vendant du pain à un prix non spéculatif […] on se sent très fier ».

Caona souligne que « la politique l’emporte toujours sur la question du marché, en garantissant les besoins de la population, même s’il n’y a pas de profit ». Robert Longa confirme que « la commune n’est pas faite pour le business, pour faire des affaires, pour mercantiliser […] ici, les entreprises ont un rôle politique. »

Et puisque la guerre économique des États-Unis a un impact direct sur la capacité d’accès aux aliments de toutes sortes, « nous avons décidé d’aller à la campagne pour planter […] la commune a acheté 11 hectares dans l’état de Cojedes et nous y sommes allés pour semer […] plus tard nous avons acheté 37 hectares de plus près de Caracas, à Caracas, dans l’état de Miranda […] En même temps, nous avons créé le projet « Pueblo a Pueblo », en établissant des liens avec des agriculteurs de l’intérieur du pays, auxquels nous achetions directement leur production. » Tant notre propre production que les produits achetés sont vendus à des prix populaires tous les samedis matin à une foire de la commune. Ainsi, l’accès aux denrées alimentaires de base est garanti pour l’ensemble de la communauté. Salas ajoute qu’ils ont établi un recensement de la demande dans la commune, autour des produits de première nécessité, afin d’essayer de garantir leur approvisionnement tout au long de l’année.

Conditions de travail

La stabilité de l’emploi au sein de l’entreprise textile « Abejitas del panal » est un élément mis en avant par plusieurs des travailleurs, tant par les travailleurs les plus anciens que les plus jeunes. José Lugo affirme que « presque personne n’est parti […] la plupart d’entre eux travaillent depuis des années ». Celle qui est là depuis le plus longtemps, Elisabeth Torrelles, est arrivée il y a plus de trois ans. Le témoignage de Grecia Pacheco est très significatif pour comprendre comment la stabilité est liée à la satisfaction personnelle, contrairement à ses expériences dans le secteur privé : « Ici, je me sens valorisée, dans les entreprises privées, je changeais beaucoup, j’étais dans les entreprises privées, j’ai beaucoup changé, je n’ai été dans chacune d’elles que quelques mois […] ici, je suis là depuis des années, je ne suis pas partie ». Maribia Jayaro souligne que « l’emploi du temps est le meilleur pour moi, nous décidons nous-mêmes […] il est confortable, adapté aux besoins de notre famille […] nous essayons d’éviter le calendrier strict de l’entreprise privée ». En fait, le calendrier est décidé annuellement en assemblée. Si les commandes le nécessitent, on prolonge parfois la journée de travail, bien que leur principe soit de ne pas s’auto-exploiter. « Le climat de travail lui-même est harmonieux, pas stressant […] nous ne nous permettons pas d’exploiter, nous ne nous permettons pas non plus d’être exploités. […] si quelqu’un vient commander 5 000 tee-shirts en deux jours, on ne l’accepte pas, c’est interdit ».

Le salaire est un aspect apprécié très positivement par l’ensemble du personnel. Au cours de ces sept années, ils ont toujours réussi à doubler le salaire minimum du pays. En effet, le salaire est fixé en fonction de la productivité, ce qui est souligné par plusieurs travailleuses. Grecia Pacheco : « Ici, ce n’est pas comme dans le secteur privé, ici je travaille et je suis bien payé. Ici, si je fais cinq chemises, je suis payée pour elles ». Jorgelis Soto évoque son année précédente avec des entreprises privées, où « le salaire est moins bon […] ici, si je travaille plus, je reçois plus, je suis mieux payée ». Margarita Márquez (2019) précise que «  nous créons notre propre salaire […]. si je veux travailler, je gagne ; et si je ne travaille pas, je ne gagne pas. Nous n’avons pas de salaire fixe ».

La bonne ambiance au travail est un élément unanimement apprécié, surtout si on la compare à l’atmosphère endurée dans différentes entreprises privées: « Je me souviens que j’ai visité une entreprise textile privée : 100 machines collées les unes aux autres, avec une chaleur insupportable, un petit ventilateur, un de ces vieux ventilateurs, qui sonnait… et des panneaux interdisant de se parler, d’utiliser le téléphone, tout était interdit […] Je suis entré et une personne est sortie d’un bureau climatisé pour s’occuper de moi. Je lui ai dit que j’étais venu pour en savoir plus sur l’expérience et il m’a répondu que je ne pouvais pas leur parler, seulement avec lui. Nous avons le contraire de cela. Nous avons de l’air conditionné, les producteurs parlent, rient, écoutent de la musique […] c’est un travail digne et libérateur. »

Grecia Pacheco : « Ici, on écoute de la musique, on parle, on fait des blagues, on rit […] dans le secteur privé, cela ne se fait jamais… ici, nous partons à six heures et parfois il est sept heures et on commence à parler et nous ne voulons pas partir ».

Margarita Márquez se souvient : « Dès mon arrivée, j’ai vraiment aimé l’atmosphère. Nous n’avons pas de personne qui nous met la pression, nous pouvons parler, faire des blagues, rire, écouter de la musique, boire du café, s’arrêter un moment. […] c’est une atmosphère très harmonieuse ». Un aspect que plusieurs productrices soulignent est l’autonomie qu’elles ont acquise au sein de l’entreprise grâce au principe selon lequel tous les travailleurs doivent connaître le fonctionnement de toutes les machines : « Dans l’entreprise privée, nous avons une seule personne qui ne fait que les cols de chemise, une autre ne cout que les poches… Pas ici, ici la personne qui apprend, apprend à faire la chemise entière ; nous sommes tous capables de faire un vêtement entier et si demain vous allez ailleurs, vous emportez les connaissances avec vous, vous êtes autonome. » (Jayaro).

L’une des réalisations qu’ils mettent en avant est d’avoir réussi à instaurer un travail d’équipe, coopérer les uns avec les autres, se soutenir mutuellement, au lieu de se faire concurrence pour voir qui peut produire le plus. Margarita Márquez : « ici, il y a une harmonie entre nous tous ». « Nous partageons nos connaissances et notre travail, nous travaillons beaucoup en équipe ; quand quelqu’un ne sait pas, on lui apprend ». María Plaza : « il n’y a pas de jalousie entre collègues. Nous essayons de partager, nous nous entraidons ». « Il y a une formation socio-politique, il ne s’agit pas seulement de faire des chemises, il s’agit de comprendre que nous allons vers un nouveau modèle économique-productif. Comprendre pourquoi dans une entreprise privée, vous allez être exploité, comprendre ces concepts ».

Un autre aspect très significatif est que la grande majorité des femmes disent qu’elles se sentent épanouies et valorisées au travail, contrairement à d’autres expériences dans l’entreprise capitaliste. Maribia Jayaro est claire : «  il y a beaucoup de femmes qui sont dans le secteur privé, exploitées, sous le fouet du secteur privé ; et ici, je me sens reconnue […] quand je vois un petit sac qu’une personne porte dans la rue, je me dis : « Je l’ai fait », et je me sens fière de moi ». « De toutes les expériences, travailler ici a été la meilleure, la plus belle, travailler pour la communauté […] le meilleur, le plus beau, travailler pour la communauté […] c’est une satisfaction que votre travail soit un travail social […] » Grecia assure que « vous assumez votre responsabilité, si quelque chose a été mal fait […] et en même temps, on est fier des choses bien faites, de les avoir faites soi-même ».

Judith Guerra souligne les changements intervenus dans son quartier de Santa Rosa, puisque grâce à l’organisation populaire, de nombreuses personnes sont devenues politiquement actives. Surtout dans le cas des femmes : « Beaucoup de femmes ont cessé d’être enfermées, elles ont cessé d’être les femmes au foyer, elles sont allées faire la Révolution ». Ismael González, membre du groupe de coordination des Panalitos dans la commune, souligne le changement de mentalité suite à son engagement dans le militantisme communautaire : « Il y a trois ans, je pensais que l’État était largement responsable de la situation du pays; la commune m’a montré que nous devons assumer notre part de responsabilité. […] si nous ne le faisons pas, personne ne le fera pour vous ».

Jefferson González souligne l’importance d’empêcher les adolescents et les jeunes d’entrer dans les circuits de la drogue et du crime organisé, en créant un large éventail d’activités sportives et culturelles.

Les entreprises communales répartissent leurs excédents de la manière suivante : 40% restent dans l’entreprise et 60% vont au Fonds de réinvestissement social. C’est l’Assemblée de la commune qui décide comment investir l’argent qui est déposé dans ce Fonds. Si nous revenons à l’exemple concret de l’entreprise communale « Las Abejitas del Panal », c’est l’assemblée communale qui décide comment investir l’argent. D’un côté, une partie de la production est directement destinée à la communauté et est vendue à des prix populaires, faisant ainsi face à la spéculation des entreprises privées. D’autre part, il arrive que des vêtements soient fabriqués gratuitement, pour être donnés à un groupe communautaire : « Pour le groupe de danse des enfants de la communauté, nous faisons les robes pour elles. Nous ne facturons pas pour cela […] c’est un plaisir de voir les enfants de l’école porter les costumes que nous avons confectionnés pour eux. Nous faisons des chemises pour le conseil communautaire, des sacs pour les enfants qui en ont besoin (…) Nous avons fabriqué des sacs pour des enfants à faibles revenus d’autres régions du pays. Nous pensons aux gens, pas à nous-mêmes ».

L’engagement des producteurs envers la communauté va au-delà des quatre murs de l’entreprise. Lugo souligne qu’ils participent régulièrement aux activités bénévoles de la commune : « Quand il y a des foires aux légumes, on peut nous voir. En décembre, l’Etat a apporté des jouets pour les enfants et nous avons distribué des jouets aux enfants […] On distribuait le jambon de Noël ».

Différents comités de travail ont été créés, auxquels participent les habitants du quartier afin de mener à bien des activités éducatives, sanitaires et sportives. 22 personnes, la majorité d’entre eux sont des femmes, constituent le noyau de ces comités, qui ont réussi à impliquer un bon nombre de personnes du quartier. Judith énumère un certain nombre de travaux du « Panalito » qui ont eu un grand impact sur la communauté ces dernières années. D’une part, en raison de la guerre économique, la nourriture et les médicaments pour les groupes le plus nécessiteux du quartier : « L’important est que personne ne manque de nourriture […] et pour ceux qui ne peuvent pas acheter de médicaments, nous les obtenons pour eux ».

Toutefois, le domaine dans lequel Panalito Santa Rosa a le plus investi est celui de « l’amélioration intégrale de l’environnement de travail ». Migdalia Reinosa, l’architecte qui coordonne depuis plus de dix ans les travaux d’amélioration de l’habitabilité du quartier, évoque les deux projets majeurs de ces années, pour remplacer les « ranchos » (logements précaires) par des logements décents. Le premier a été développé entre 2012 et 2016 et impliquait le « remplacement des ranchos par des logements », notamment la « construction de 42 nouveaux logements ». Le modèle était l’un des modèle d’auto-construction communautaire, puisque ce sont les « fils du quartier » qui ont construit les maisons, avec le soutien occasionnel des bénéficiaires.

Le deuxième projet vient de commencer et consiste à construire « 48 maisons supplémentaires, deux bâtiments de 24 maisons chacun ». Les bénéficiaires seront « les producteur(trice)s des entreprises communautaires, les garçons et les filles de la brigade de construction (qui ont déjà participé à la construction du premier projet de 42 maisons) et des membres de la Fondation Alexis Vive ». Ce modèle de l’autoconstruction communautaire s’appuie sur des brigades de travail de la commune elle-même, ainsi que le travail bénévole des bénéficiaires, certains week-ends.

En outre, « Panalito » a réalisé un investissement important dans les domaines suivants : changement d’une partie des canalisations d’eau dans un secteur du quartier. Judith Guerra insiste sur le fait que « Santa Rosa a beaucoup changé au cours des dix dernières années ».

Il faut souligner l’engagement social auprès de l’ensemble de la population de la commune. Dans le domaine de la sécurité alimentaire, nous avons déjà mentionné les « foires aux légumes » hebdomadaires pour garantir la sécurité alimentaire en dehors du marché spéculatif et de la guerre dont souffre le pays. Les programmes de garde d’enfants sont remarquables, principalement pour les enfants les plus vulnérables. La cantine sociale, qui fournit le dîner de plus d’une centaine d’enfants chaque soir, est un projet d’un grand impact, tout comme la livraison de fournitures scolaires, de vêtements et de médicaments.

Une autre fonction très appréciée par toutes les personnes interrogées est le haut niveau de sécurité que la commune a été en mesure de garantir à ses voisins. Elisabeth Torrelles, ouvrière du textile, assure que dans la commune elle se sent « plus en sécurité » que dans d’autres parties de la ville. Migdalia Reinosa, l’architecte, souligne également la tranquillité avec laquelle elle se déplace « librement dans la commune ». « on ne voit pas de barreaux aux fenêtres ici. Cela signifie que vous pouvez être sûr que rien ne va vous arriver ».

Ceci est extrêmement important, étant donné que les quartiers ouest de Caracas et la ville dans son ensemble sont perçus par leurs habitants comme étant très dangereuse. Ana Caona affirme que pour la Fondation Alexis Vive, garantir la sécurité de la commune est un enjeu stratégique. C’est pourquoi ils lui ont toujours accordé une grande importance.

Autre contribution à la communauté dans la sphère financière : la création de la banque de la commune, la « BanPanal ». En raison de la guerre économique, la spéculation et la dépréciation de la monnaie nationale – le bolívar – qui se sont produites jusqu’en 2021, la commune avait créé un fonds commun de placement et a créé une monnaie communale appelée « Panalito » à la fin de l’année 2017. Salvador Salas souligne que la monnaie communautaire a permis de créer un marché intérieur où les produits et les services sont accessibles en dehors des circuits spéculatifs. De cette manière, le pouvoir d’achat de la communauté a été stabilisé. En outre, la « BanPanal » accorde des crédits aux producteurs de la commune (petits magasins) et de la communauté, tant à l’intérieur de la commune (petits commerces) qu’à l’extérieur (agriculteurs de l’intérieur qui approvisionnent la commune).

Articulation avec d’autres expériences

« El Panal 2021″ a une stratégie claire pour sortir des limites de son espace territorial actuel et pour promouvoir la solidarité communautaire et des projets communaux plus vastes, dans la perspective de l' »État communal ».

Tout d’abord, l’articulation avec les paysans de l’intérieur du pays, afin de créer leurs propres circuits de production, distribution et consommation, en dehors du marché spéculatif actuel. Le projet « Pueblo a Pueblo » est une expression concrète de ce projet. Salvador Salas indique que « BanPanal » finance les paysans pour qu’ils puissent produire en fonction de la demande fixée par la commune. Ils sont ainsi assurés de la production et de son transport jusqu’à sa destination. Salas ajoute que cette production est agroécologique.

Deuxièmement, l’intention de la commune de se développer à court terme dans tout l’ouest de la ville (dans les quartiers populaires) à court terme. Pour Robert Longa, « le plan est de s’étendre à tout l’ouest de Caracas » par la création de la « Banque du Sud-Ouest de Caracas » qui pourra accorder « des microcrédits à la population pour s’émanciper, afin qu’il puisse créer des entreprises dans une logique d’autogestion.

Troisièmement, la commune a commencé à construire, dans différentes régions du pays, les « Axes Communards Nationaux », notamment avec des partenaires de Valencia, Lara, Táchira et Sucre. Ce qui a permis l’émergence d’articulations avec d’autres régions du pays et la pose des bases d’une confédération communale. Enfin, bien qu’il n’y ait pas d’articulation formelle avec d’autres communes ou d’autres collectifs, « El Panal » a une bonne relation de coopération avec d’autres communes importantes, comme, par exemple, avec l’emblématique commune « El Maizal » dans l’État de Lara.

Il existe également des liens dans la sphère productive. L’entreprise textile de « Las Abejitas del Panal » a impulsé « le Front Textile au sein de Caracas« , composé de plusieurs entreprises communales de la région qui se sont regroupées pour « réaliser de grandes productions lorsque cela est nécessaire ». Ces derniers temps, afin de faire face au blocus et aux prix spéculatifs, le Front textile a produit un grand volume de vêtements pour les vendre à des prix populaires.

La relation avec l’État

La relation d' »El Panal 2021″ avec les institutions publiques, comme c’est le cas pour le reste des communes, n’est pas idyllique. Mais elle n’est pas non plus aussi conflictuelle que certains le revendiquent. En réalité, il s’agit d’une relation dialectique, d’un « bras de fer » qui dépend pour beaucoup du moment politique et des personnes qui se trouvent derrière chaque institution avec laquelle ils entretiennent des relations. Le soutien économique est un facteur fondamental, et l’on peut affirmer que, de la part de l’État, il y a eu une nette amélioration de la situation.

Si le soutien économique est un facteur fondamental, on peut affirmer que, de la part de l’État, il y a eu un soutien clair à l’économie communale (concrètement, par les crédits accordés) et que cette coopération a repris avec force en 2022. A propos des crédits accordés à « El Panal » pour lancer différentes entreprises communales, Judith Guerra explique que « le capital d’amorçage pour lancer les entreprises communales était fourni par le gouvernement ».

Salvador Salas, un communard-clé dans le domaine économique, se souvient que la première entreprise communale créée fut la boulangerie, grâce à un crédit accordé par le bureau du maire de Caracas. Ana Caona (2019), pour sa part, évoque l’importance du soutien de Chávez dès le début, « un soutien vital. La machine à emballer le sucre a été donnée à la commune afin qu’elle puisse la gérer directement. Chávez nous l’a donnée parce qu’il y avait une volonté politique ». Une partie du soutien économique se traduit par un appui salarial pour certains des cadres travaillant dans la commune. « Il y a un groupe de camarades qui sont payés par des institutions étatiques, mais nous, nous travaillons dans la commune ».

Ainsi l’architecte Migdalia Reinosa (2019) explique qu’elle travaille formellement pour Fundacaracas, entité de la mairie de Caracas, mais qu’en pratique elle effectue son travail quotidien dans la commune, main dans la main avec le « Panalito » du quartier Santa Rosa.

Le soutien de l’État s’exprime également dans les achats publics qu’il effectue aux entreprises de la commune. Le cas de l’entreprise textile est le plus pertinent, car il existe une « alliance avec l’État ». José Lugo, porte-parole de l’entreprise textile, souligne que l’un des deux principaux acheteurs des produits qu’ils fabriquent sont des institutions publiques (ministères, organismes publics, etc…) et l’autre étant la communauté elle-même. Ces derniers temps, un acheteur public très important est la compagnie pétrolière d’État PDVSA (Petróleos de Venezuela S.A.). En effet, pendant notre enquête de terrain, les travailleur(se)s de « Las Abejas del Panal » produisaient un lot de chemises pour PDVSA Gas.

L’État apporte également un soutien sous forme de matières premières. D’une part, plusieurs entreprises communales reçoivent des intrants directement des institutions publiques. L’usine de conditionnement du sucre reçoit les matières premières directement de l’État, et dans le cas de la boulangerie, une entreprise publique l’approvisionne en farine. L’usine textile a obtenu ses premières machines grâce à l’État, bien que les plus récentes aient été achetés avec les surplus de l’entreprise .

En revanche, dans les projets susmentionnés de remplacement de « ranchos » précaires par des maisons, l’État a apporté son soutien avec la livraison de matériaux de construction. Pour le projet actuel de 48 logements, l’architecte Migdalia Reinosa souligne le soutien de la mairie de Caracas. En outre, l’Institut National des Terres a cédé 600 hectares dans l’État de Guárico à la Commune « El Panal « , pour la « production de céréales et de viande ».

Dans le domaine de la formation technique, l’Institut national de formation et d’éducation socialiste (INCES) fournit un soutien avec différents cours. Judith Guerra évoque le soutien que la commune reçoit du vice-ministère de la formation communale. Gabriela Reyes, actuelle vice-ministre de la formation communale, souligne l’effort réalisé dans le domaine de la formation communautaire, en nouant la formation technique avec la formation politique, car les deux sont fondamentales pour que les communes aient un avenir générationnel. Elle assure qu’il y a « plus de 100 communes solides en termes de productivité et de formation politico-idéologique », et que la commune d’El Panal est une des grandes références […] pour de nombreuses communes du pays ».

Le gouvernement bolivarien et le président Hugo Chávez ont commencé à édifier toute une architecture juridique pour promouvoir et légaliser l’idée de la commune. Parmi les instruments juridiques approuvés, les suivants se distinguent : la Loi organique du pouvoir populaire (Assemblée nationale, 2010c :); la Loi organique des communes (Assemblée nationale, 2010b :); la Loi organique des Communes (Assemblée nationale, 2010b) ; et la Loi organique du système économique communal (Assemblée nationale, 2010a).

Le gouvernement Chávez a créé un outil ministériel au service des communes : le ministère des communes et des mouvements sociaux, et a revendiqué politiquement et symboliquement l’utopie de la construction d’un État Communal pour remplacer « l’État bourgeois et représentatif ».

Cependant, l’appareil juridique n’est pas suffisant et, selon certains membres d' »El Panal », la production communale doit avoir la priorité sur l’entreprise privée. Pour Salvador Salas: « Nous voulons que l’État traite les communes différemment des privés en termes d’imposition. Par exemple, nous ne voulons pas payer de droits d’importation sur les matières premières ». Ana Caona considère que « les institutions de l’État continuent de parier sur la commune […] certains organismes d’État nous ont fait confiance, certains organismes d’État […] nous ont fait confiance, mais la relation a été de sujet à sujet ».

Judith Guerra affirme que « le gouvernement révolutionnaire a été très favorable à cette commune, mais nous ne pouvons pas vivre à la mamelle du gouvernement […] maintenant le temps est venu pour la commune de se mettre au travail, qu’elle soit plus autonome, nous avons déjà nos propres moyens de production et nous ne sommes plus aussi dépendants ». Salas : « l’État continue à nous financer, bien sûr, bien qu’aujourd’hui beaucoup moins qu’au début, et nous rêvons à l’avenir de ne pas demander d’argent à l’État […]. nous voulons proposer à l’État de nous laisser exploiter certains puits de pétrole […] une source qui nous permette de développer la production et de ne pas avoir à nous battre chaque année avec l’État pour obtenir un soutien ».

Robert Longa : « avec les secteurs bureaucratisés, il y aura toujours des contradictions, mais je pense que nous sommes dans une guerre économique et que c’est à la commune d’assumer ses responsabilités envers l’État et de faire son autocritique. C’est aux membres de la communauté de rendre compte des choses que nous avons reçues de l’État […]. qu’avons-nous fait ? […] on ne peut pas être un enfant gâté. Nous ne voulons pas être dépendants […] notre horizon est de dépasser l’État ».

Enquête : Luis Uharte

Source : https://observatorio.gob.ve/presentacion-del-panal-comunal/

Traduction : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/03/23/ici-il-ny-a-pas-de-patron-la-commune-populaire-el-panal-au-venezuela/

Entêtée, créatrice, la commune populaire « Che Guevara » au Venezuela.

Louise Michel en rêvait, le Venezuela l’a fait. Pour la communarde Cati Lobo, “au Venezuela, c’est le peuple qui impulse les communes. Les bases citoyennes, s’approprient le projet communal. Si nous ne croyons pas en notre propre pouvoir, si nous n’en faisons pas un précédent, on ne nous reconnaîtra pas. Nous sommes appelé(e)s à chercher les formes et les alternatives, à créer l’autogouvernement.

Dans la Commune Che Guevara vivent 1600 familles, quelques 6000 personnes, organisées en 12 conseils communaux. Tous nos remerciements à l’ami Gil Lahout pour son énorme travail de traduction qui permet aux lecteurs francophones d’accéder à cette passionnante enquête de terrain dont les auteurs(trices) sont Chris Gilbert et Cira Pascual Marquina. Photos : Katrina Kozarek, Gerardo Rojas, César Mosquera, Commune Che Guevara, Sinco/Condiciones, Cira Pascual Marquina, archives. Nous remercions toutes et tous les camarades de la Commune Che Guevara où fleurissent la démocratie populaire et l’autogestion collective. Nous sommes également reconnaissants envers la Chaire Libre Anti-Blocus de l’Université bolivarienne du Venezuela.

Introduction

La Commune Che Guevara se trouve sur les flancs fertiles qui montent du Lac de Maracaibo vers la cordillère des Andes. La culture historique de la région est le cacao, mais récemment, le café y a été introduit, puis la canne à sucre et l’ananas. Proche de la frontière, cette zone est marquée par la migration. De nombreux communards et communardes ont leurs racines en Colombie. Leurs familles ont fui la persécution politique, ou ont simplement cherché une vie meilleure au Venezuela. Les membres de la Commune Che Guevara ont construit un projet sociopolitique qui a surmonté bien des obstacles et tourne autour de deux activités productives : une usine de traitement du cacao sur les terres basses (Entreprise de propriété sociale —EPS— Che Guevara) et une coopérative de café sur les terres hautes (Collines du Mirador, Colimir).

Après un court vol de Caracas à El Vigía (état de Merida) et un voyage de deux heures sur la route Panaméricaine, nous sommes arrivés à cette jolie commune dans le village de Mesa Julia (municipalité de Tucaní). Notre visite a pour objet de comprendre comment cette commune, d’une réputation révolutionnaire digne de ce nom, a su faire face aux sanctions des États-Unis et à la crise générale que traverse le Venezuela. Mais nous nous sommes proposés également de mieux appréhender la perspective des communards et communardes sur la construction communale en général et sur la transition socialiste dans un pays assiégé.

Nous présentons ci-après les témoignages des hommes et des femmes qui construisent une alternative populaire et démocratique dans la Commune Che Guevara. Les thèmes abordés vont de l’impact du blocus impérialiste aux réponses créatrices face aux défis que posent les sanctions, tout en nous arrêtant sur les nouvelles formes de production démocratique et sur la formation socio-politique qui est un des piliers de la Commune Che Guevara.

Chris Gilbert et Cira Pascual Marquina

Histoire de la Commune Che Guevara

Sise sur le piémont andin, la Commune Che Guevara est connue autant pour ses processus démocratiques que pour sa résilience en des temps difficiles. Deux communards racontent l’histoire de la commune et en décrivent les principaux projets productifs.

Ernesto Cruz : C’est vers 2010-2011 que nous avons décidé de fonder une commune. À l’époque, il existait dix conseils communaux dans la région. Nous avons commencé le travail de coordination petit à petit. Mais après le décès du Commandant Chávez en 2013, nous avons accéléré le rythme, et nous avons enregistré la commune auprès de Fundacomunal [institution publique qui administre les communes].

Lorsque nous avons enfin réussi à enregistrer la commune, nous avons impulsé plusieurs projets dont la construction de logements. C’est aussi à cette époque que nous avons commencé à élaborer le projet de construction d’une usine de traitement du cacao, qui deviendrait ensuite l’EPS Che Guevara [une EPS est une entreprise de propriété sociale].

Ma tante Olga Veracruz a été formée politiquement en pleine guerre en Colombie. C’est elle qui a proposé de baptiser la commune ‘Che Guevara’. Elle est maintenant très âgée, mais toutes ces années, elle a été le moteur de l’organisation des conseils communaux dans la région, puis de la commune.

Olga lisait avidement tout ce qui concerne le marxisme. Elle a organisé des groupes d’étude avec les femmes de la région, puis a animé un journal local de tendance à gauche. Elle a laissé sa marque dans cette commune, en proposant que la conception de solidarité de Che Guevara soit un principe recteur pour nous.

Zulay Montilla : La Commune Che Guevara, située sur les hauteurs de la municipalité de Tucaní, au sud du Lac de Maracaibo [état de Mérida], est un projet à vocation agricole. Le café et le cacao sont nos principaux produits, mais nous cultivons aussi des bananes plantains et des ananas.

Dans la commune vivent 1.562 familles, distribuées en 14 conseils communaux. Chaque conseil élit un porte-parole qui participe au parlement de la commune. Le parlement est chargé de veiller au bon fonctionnement des initiatives et projets. Mais au-dessus du parlement se trouve l’Assemblée, instance supérieure d’autogouvernement et espace de prise des décisions les plus importantes. Toute personne habitant le territoire de la commune peut participer à l’Assemblée. Le droit de parole et de vote est le même pour tous.

Sur le territoire de la commune fonctionnent deux unités de production : l’Entreprise de Production Sociale (EPS) Che Guevara, pour le traitement du cacao, et la coopérative Collines du Mirador (Colimir), pour le traitement du café. Chacune de ces unités dispose d’un(e) porte-parole au parlement communal.

Impacts du blocus occidental et de la crise du capitalisme

Les sanctions financières imposées par les États-Unis au Venezuela et l’embargo pétrolier ont eu un impact dévastateur dans la société vénézuélienne. A partir de 2014, l’État vénézuélien a été privé de 99% de ses revenus pétroliers, d’où un exode massif de population. Les médias ont occulté le blocus occidental pour pouvoir marteler « la-faute-au-socialisme ». Les habitants de la Commune Che Guevara expliquent ici les effets du blocus dans leurs vies et leurs projets productifs.

Douglas Mendoza : Le blocus a été très dur pour nous. Ici, sur les hauteurs de Tucaní, le carburant est indispensable. Comment un petit producteur de café pourrait-il livrer sa récolte à l’acheteur s’il n’a pas d’essence, ou si celle-ci coûte 3 dollars le litre? La pénurie de carburant nous a porté un lourd préjudice, à nous producteurs.

Ces dernières années, nombreux sont ceux qui ont émigré en Colombie, puisque cela devenait invivable ici. Certaines familles ont tout vendu et ont quitté le pays. D’autres ont laissé ici leurs membres plus âgés et ont émigré en Colombie ou au Pérou. Il y a aussi des gens qui partent travailler une saison, puis qui reviennent.

Ernesto Cruz : Ces derniers mois, le commerce à Tucaní a quelque peu récupéré, mais il n’y a toujours pas assez de travail. D’ailleurs, en ce moment même, nous observons une nouvelle vague d’émigration vers Caracas, où l’économie des services connaît une reprise.

La situation migratoire ne doit pas nous surprendre : un petit agriculteur de cacao peut gagner quelque 500 dollars par récolte, mais cela ne suffit pas pour vivre. En vérité, il y a très peu d’avantages pour inciter les jeunes à rester dans la région… C’est pourquoi nous voyons la population vieillir petit à petit.

Zulay Montilla : Actuellement, il est très difficile de commercialiser le chocolat à cause de la pandémie et de la pénurie d’essence. Il y a deux ans, nous avions des clients qui venaient des états de Trujillo et de Táchira pour nous acheter notre chocolat, mais maintenant, avec la pénurie de carburant, de tels achats ne sont plus rentables.

Quant aux fournitures pour la production de l’EPS, nous avons heureusement réussi à obtenir ce dont nous avons besoin, à savoir : le cacao, du lait en poudre et du sucre. Par contre, il est très difficile de trouver le matériel pour une bonne présentation de nos produits.

Notre principal problème aujourd’hui vient des coupures de courant. Le chocolat moulu doit être conservé à basse température et donc nous l’entreposons dans une pièce réfrigérée. Si la température augmente, le bonbon ou la barre de chocolat perd sa brillance et sa texture. Il faut alors tout recommencer. Autrement dit, mettre le chocolat au bain-marie, puis l’envoyer au moulin et enfin le remettre au moulage.

Tout cela se répercute sur notre production. Malgré tout, nous n’avons pas arrêté et faisons des miracles pour honorer nos engagements. À l’EPS, nous luttons pour rester debout, dans l’espoir de sortir renforcés de ces temps difficiles.

Ernesto Cruz : Jour après jour, nous affrontons d’innombrables défis, conséquences du blocus et de la crise générale capitaliste. Nos problèmes principaux actuellement sont les coupures de courant et la pénurie de carburant.

Heureusement, le problème du carburant s’estompe peu à peu depuis plusieurs mois. Désormais, nous achetons de l’essence une fois par semaine à 90 cents le litre, alors qu’il y a deux ans, les prix atteignaient 4 dollars le litre.

La pénurie de carburant a durement frappé l’EPS Che Guevara. Les paysans ont du mal à nous livrer leur cacao et les intermédiaires privés en profitent, en se rendant directement dans les parcelles pour proposer aux paysans un prix inférieur à celui du marché. Et bien sûr, entre perdre la récolte et la vendre bon marché, les producteurs préfèrent encore la seconde option.

Par ailleurs, sans essence, pas moyen d’acheminer les commandes. Il n’est pas un seul producteur de la région qui n’ait pas été impacté par la pénurie de carburant. Une situation dont profitent d’ailleurs les mafias.

L’électricité est un autre goulot d’étranglement. Les coupures de courant ici peuvent durer jusqu’à trois jours. Tout le traitement mécanisé du cacao est alors interrompu. Mais en plus, le chocolat déjà moulu perd sa brillance, et il faut tout recommencer.

Néanmoins, si l’on ne peut nier que les sanctions ont eu de graves conséquences pour nous, il est vrai aussi que l’EPS Che Guevara continue de produire et de prouver qu’il est possible de construire une alternative avec le peuple.

Douglas Mendoza : Beaucoup ici ont vendu leur jeep ou leur camionnette qu’ils utilisaient pour descendre leurs 10, 20 ou 50 sacs de café. Certains ont recommencé à travailler avec des mules, ou transportent le café à moto, deux sacs à la fois. D’autres sont obligés de payer le service, ou alors vendent la récolte à des intermédiaires peu scrupuleux. Et il y a ceux qui ont quitté le pays.

Aujourd’hui, par exemple, j’ai dû acheter 5 litres d’essence pour ma débroussailleuse, à un dollar le litre. Ce n’est pas facile pour moi de débourser 5 dollars, mais dans les pires moments, le litre d’essence avait grimpé à 4 dollars.

C’est le problème ici, nous dépendons beaucoup du carburant, surtout pour transporter les récoltes. Cela veut dire que si les prix de l’essence grimpent, un paysan peut facilement se retrouver ruiné.

La guerre des États-Unis contre le Venezuela est terrible. Mais nous voyons aussi des problèmes dans le gouvernement local. Ici, nous sommes de vrais chavistes. Nous sommes très loyaux et nous ne donnerons jamais notre vote à l’opposition. Mais cela ne veut pas dire que nous allons applaudir nos représentants quand ils ne font pas bien les choses.

Malgré la guerre, les contradictions et autres difficultés, nous avons un engagement envers cette magnifique terre. Et nous continuerons de travailler pour la famille et au sein de Colimir, où nous apportons aussi notre pierre à l’édifice de la communauté.

Felipe Vanegaz Quintero : La pénurie d’essence et de gasoil se fait particulièrement sentir ici au sud du Lac. Aux sanctions s’ajoute le problème de la distribution. En fait, le carburant devrait arriver par un oléoduc qui traverse le Lac de Maracaibo. Or, celui-ci est obstrué à cause du manque de maintenance. Donc, le carburant arrive de Puerto Cabello par camions citernes, ou alors par contrebande depuis la Colombie. Bien sûr, les prix augmentent d’autant.

Marta Botello : Un autre problème concerne le manque de fertilisants et d’herbicides. D’où une diminution du rendement de notre production. En cas de rouille du café [champignon du caféier], nous n’avons rien pour le combattre. Il y a quatre ans, nous pouvions encore acheter des intrants à Agropatria [société publique de fournitures agricoles], mais les magasins sont désormais fermés.

Malgré tout cela, nous continuons. Dieu merci, mes enfants n’ont pas quitté le pays. Je n’ai pas à me plaindre.

Créativité et innovation en réponse aux sanctions

La Commune Che Guevara a développé une série de réponses créatives aux difficultés qui surviennent dans le cadre de la crise. Refusant la capitulation capitaliste, les hommes et les femmes de la Mesa Julia démontrent que les communes peuvent constituer une solution populaire et souveraine à la crise.

TRANSFORMATION TECHNOLOGIQUE

Johandri Paredes : Ces derniers mois, nous avons fait un grand pas en avant pour surmonter notre dépendance du gasoil dans l’usine de traitement du café. Notre séchoir utilisait du gasoil comme combustible. Grâce à la transformation technologique, c’est l’exocarpe du café [coque extérieure du grain de café] qui nous sert de combustible. C’est un grand pas en avant, car il nous offre l’autonomie et réduit nos coûts. En plus, il s’agit d’un combustible durable sur le plan environnemental.

Le Conseil fédéral de gouvernement nous a soutenus dans cette transformation technologique et nous avons pu importer les machines de Colombie.

Felipe Vanegaz Quintero : À Colimir, notre dépendance vis-à-vis du carburant a considérablement diminué ces derniers mois. Il y a un an, nous consommions 12 000 litres de gasoil par mois. Évidemment, lorsque le carburant se fait rare et devient très cher, une telle consommation était un vrai problème pour nous. Nous avons donc décidé d’acquérir les composantes industrielles nécessaires pour ne plus dépendre du gasoil. Les coques de grains de café sont notre carburant. Et cela fonctionne aussi bien que le gasoil, voire mieux, malgré l’excédent de fumée.

Pastora Ruiz de Macaneo : À l’heure actuelle, il est difficile de trouver des intrants agricoles. Bien sûr, au début, cela posait quelques problèmes, mais avec le temps, nous avons appris à produire de l’engrais. Nous utilisons la coque du cacao pour faire du compost que nous appliquons ensuite à la terre dans nos serres.

Nous procédons aussi à des essais avec le mucilage, qui est le liquide visqueux qui protège les fèves de cacao, pour fabriquer de l’engrais organique dont nous aspergeons directement les plantes. Et tout en essayant de nouvelles méthodes pour l’entretien des plants de cacao, nous poursuivons la phase de recherche pour mettre au point de nouvelles techniques.

Luis Miguel Guerrero : On a assisté ces dernières années à de nombreuses failles du système électrique. Et notre séchoir, en plus de dépendre du gasoil, a aussi besoin d’électricité.

Le projet de séchoir solaire est né parce qu’il y a quelques mois, nous avons vécu une coupure de courant de trois jours. Tout a cessé de fonctionner. Il fallait faire quelque chose. Et on s’est mis à fabriquer un séchoir solaire. Nous l’avons construit nous-mêmes et nous en sommes très satisfaits. D’ailleurs, nous nous préparons à en fabriquer un deuxième.

Le séchoir sèche le café au soleil sous une épaisse bâche de plastique qui absorbe la lumière, mais isole et protège les grains de café. Cet espace fonctionne aussi comme un tunnel de vent, avec un ventilateur à une extrémité et une ouverture contrôlée de l’autre.

Évidemment, le processus est plus lent qu’avec le séchoir industriel, qui permet de sécher 800 kilos en 12 heures. Avec notre système, nous ne pouvons sécher que quelque 300 kilos en dix jours.

Felipe Vanegaz Quintero : Ces dernières années, nous avons décidé de diversifier notre production. La canne à sucre pousse bien par ici. Nous construisons donc un moulin, qui fonctionnera bientôt. Nous avons également une menuiserie et deux parcelles collectives où nous cultivons de la canne à sucre et du café. Nous voulons avancer de manière durable.

VISITE DE LA BRIGADE PRODUCTIVE OUVRIÈRE (EPO)

Ernesto Cruz : L’EPO est une initiative extraordinaire de femmes et d’hommes d’une grande expérience, qui organisent des brigades de travail volontaire afin de résoudre des problèmes dans des usines d’entreprises publiques et dans les communes. Ils ont séjourné chez nous pendant une semaine en septembre dernier.

Leur première tâche a consisté en un diagnostic de la situation de l’usine. Ensuite, ils ont résolu quelques problèmes de notre système électrique, ils ont réparé une unité de conditionnement d’air, ainsi qu’une machine écabosseuse cacao. Ils ont aussi animé un atelier sur les circuits électriques.

Car l’EPO est aussi une initiative d’éducation. Les travailleurs jouissent d’une grande expérience dans les industries lourdes et ont accumulé beaucoup de savoir-faire. Et cela nous a été très utile. Enfin, la visite de l’EPO a permis un apprentissage à deux voies : les camarades de l’EPO ont ainsi appris les rouages de l’organisation communale, la production de chocolat, etc.

Nous aimerions continuer de travailler avec l’EPO. Les camarades nous ont bien aidés à un moment où il était crucial de résoudre les problèmes techniques. Auparavant, nous pouvions engager un technicien, ou acheter une pièce détachée, mais ce n’est plus possible désormais. Des initiatives telles que l’EPO sont donc très précieuses.

LE CAFÉIER ET L’ÉCONOMIE DU TROC

Felipe Vanegaz Quintero : En 2018, nous avons vécu une spirale d’inflation et le bolívar perdit pratiquement toute sa valeur. Nous avons donc décidé de battre notre propre monnaie, que nous avons appelée ‘caféier’. Un caféier avait la valeur assignée d’un kilo de café [sec et grillé]. Autrement dit, chaque caféier était soutenu par un kilo de café entreposé ici à Colimir.

Notre caféier est né parce que la dévaluation du bolívar nous conduisait droit à la faillite. Si nous avions maintenu nos comptes en bolívars, nos fonds seraient partis en fumée.

Déjà en 2016, lorsque la situation s’est corsée, les gens ont spontanément commencé à mesurer la valeur des choses en kilos de café. Ainsi, la valeur d’une moto ou d’une voiture se calculait en café : 25 kilos, 50 kilos, 200 kilos, etc.

Nous n’avons fait que suivre un mouvement spontané et le café est devenu notre unité de compte. La coopérative a adopté une pratique en la formalisant comme un moyen de payement. Nous avons généré une réserve de 17 mille kilos de café. À l’époque, cela équivalait à 17 000 dollars. Nous avons donc émis 17 000 caféiers.

C’était une bonne idée. Par contre, nous nous sommes trompés sur un point : Colimir a prêté trop d’argent en caféiers, et certaines personnes sont encore endettées envers nous. De fait, la dette accumulée envers la coopérative atteint quelque 13 000 caféiers.

Les gens veulent une monnaie sûre et stable. Si le caféier était beaucoup plus stable que le bolívar, il a toutefois gagné peu à peu en valeur, car le prix du café augmenta d’un dollar le kilo à un dollar et demi. La dette des gens ayant bénéficié d’un crédit en caféiers a donc grimpé en proportion et les remboursements devinrent de plus en plus difficiles.

Quoi qu’il en soit, le caféier était une monnaie beaucoup plus stable que le bolívar. À l’époque, le dollar ne circulait pas librement; le caféier était donc une bonne solution. Maintenant que l’économie est dollarisée dans les faits, le caféier ne circule plus, mais l’unité monétaire de Colimir reste le caféier.

Nous avons beaucoup appris avec notre caféier et tout a bien fonctionné pendant un temps. Le caféier a donné de la stabilité aux salaires des travailleurs et nous a permis de stabiliser notre comptabilité. Et plus important encore : contrairement à d’autres entreprises, nous n’avons pas été victimes de la dévaluation. Certes, nous avons perdu de l’argent, parce que nous avons prêté à des gens qui n’ont pas pu rembourser. Ce fut une mauvaise décision financière, mais nous n’avons pas perdu d’argent à cause de l’inflation.

Yeini Urdaneta : Le caféier circulait de différentes manières. Il y avait 400 comptes numériques, et une application permettait de payer facilement les biens et les services. Il y avait aussi de la monnaie papier.

Quand les gens livraient leur café à Colimir, nous leur versions leur argent sur leur compte numérique en caféier. De plus, les travailleurs étaient aussi payés en caféiers. Il y avait un magasin où les gens pouvaient payer en caféiers.

En général, l’expérience fut positive, parce qu’elle nous a permis de conjurer l’hyperinflation.

Felipe Vanegaz Quintero : Ce n’est pas Colimir qui a inventé le caféier, c’est le peuple. Les agriculteurs de la zone l’ont créé, sans l’appeler caféier. En fait, l’hyperinflation avait rendu impossible de calculer les coûts en bolívars. Donc les gens ont commencé à calculer les valeurs en prenant le café comme référence.

Par ailleurs, le troc fait partie de la culture paysanne, surtout dans les zones les plus éloignées des centres urbains. C’est pourquoi le troc de café pour d’autres produits n’a rien de nouveau. Nous nous sommes contentés de formaliser ce qui avait déjà été improvisé.

Cependant, il faut savoir une chose : le troc n’est pas une mesure socialiste, pas plus que le caféier. Ce sont des solutions à des problèmes réels d’une société capitaliste en crise. Maintenant que le caféier ne circule plus, le troc continue. Par exemple, nous avons à quatre ou cinq reprises acquis de la farine de maïs en échange de café et de chocolat avec la Commune El Maizal. Et nous échangeons aussi du café contre des pommes de terre auprès de Proinpa [coopérative du plateau de Mérida].

LE GAZ

Marta Botello : Pendant presque deux ans, le gaz n’arrivait plus dans la région. Nous avons dû recommencer à cuisiner au feu de bois. Mais ça veut dire qu’il fallait ramasser du bois, entretenir et préparer les foyers, etc. C’était laborieux et fatigant.

Nos mères et grands-mères utilisaient du guamo, un arbuste à croissance rapide qui donne ombrage au café et au cacao, qui sert aussi de combustible. C’est ainsi que, des années après l’arrivée chez nous des cuisinières à gaz, nous sommes revenus aux fourneaux. Cela va mieux maintenant, parce que la Commune gère la distribution du gaz, et celui-ci nous est livré régulièrement.

En plus, ici dans la communauté, nous cherchons des solutions pour résoudre nos problèmes. Par exemple, quand il y a une défaillance dans le réseau électrique d’un secteur, nous demandons à un voisin versé en circuits électriques de nous aider à résoudre le problème. Il est payé en nature : les uns et les autres paient avec une boîte de sardines, un kilo de riz, de haricots noirs ou de café, etc.

Régulo Duarte : En tant que porte-parole de la gestion du gaz communal, je peux vous dire que l’an dernier a été très difficile. PDVSA Gaz ne livrait plus de gaz dans la région et nous avons tous été obligé de cuisiner au feu de bois. À présent, la disponibilité est limitée, mais nous pouvons garantir une bonne distribution dans la commune chaque famille reçoit deux petites bonbonnes de gaz tous les deux ou trois mois. Avec les fourneaux à bois en appoint, les gens peuvent satisfaire leur quotidien.

Ernesto Cruz : Après la ‘coupure de gaz’, on a tenté de privatiser la distribution. Heureusement, nombreux sont ceux qui exprimèrent leur désaccord et dénoncèrent la corruption dans les usines de remplissage de PDVSA Gas. La privatisation a ainsi pu être stoppée.

Désormais, c’est la Commune qui se charge de distribuer le gaz sur son territoire. Nous avons divisé la carte en secteurs et la distribution est assurée selon une rotation pour que les familles reçoivent deux bouteilles tous les trois mois.

SÉCURITÉ

Felipe Vanegaz Quintero : Vers 2017, nous avons rencontré un autre problème : le vol des récoltes de la région. Chez nous à Mesa Julia, il ne s’agissait pas de délinquance organisée à grande échelle, mais plutôt de petits délinquants. Ils volaient les récoltes de café ou de cacao pendant la nuit, ou pendant les averses.

Quand on s’est rendu compte que le problème n’avait rien de ponctuel ou de passager, nous avons mis au point un plan de sécurité. Et maintenant, on peut dire que la délinquance n’est plus un problème dans la région. On voit ici clairement l’importance de s’organiser. Toutefois, dans les zones plus basses, hors du territoire de la commune, le crime organisé est bel et bien présent : les commerçants, les camionneurs sont régulièrement victimes de racket.

Daniel Zambrano : Aux pires moments de la crise, nous avons dû renforcer nos mécanismes de défense. On venait la nuit voler le café ou le cacao, ou même nos poules. Nous avons donc décidé de renforcer la sécurité sur notre territoire : mettre en place des systèmes de communication interne, établir des liens avec la Milice bolivarienne. Nous nous sommes préparés à défendre le territoire.

Le plan de défense fonctionne bien. Il n’y a presque plus de vol dans la Commune. Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus de problèmes. Il y a parfois des disputes entre voisins, ou entre les producteurs. Le Comité de sécurité doit aussi intervenir pour résoudre ces conflits.

Neftalí Vanegaz : Quand la situation a empiré, vers 2018-2019, nous avons subi les vols de nos récoltes, ici dans la région de Mesa Julia. C’est alors que nous avons organisé nos équipes de sécurité.

Désormais, la Commune Che Guevara est une espèce d’oasis. Il y a plusieurs raisons : c’est une communauté organisée, mais la géographie joue aussi en notre faveur. Il n’y a qu’une voie d’accès à la Commune. C’est donc plus facile à contrôler.

L’Entreprise de Production Sociale « Che Guevara »

L’EPS Che Guevara est une usine de production de chocolat, dont la propriété est collective et la gestion démocratique. L’idée est née dans la foulée de la fondation de la Commune Che Guevara. L’EPS a été enregistrée en 2014 après bien des années de travail. elle dispose aujourd’hui d’une grande serre, de structures destinées à la fermentation et au séchage du cacao, ainsi que d’une installation de traitement du cacao et de production de pralines et de barres de chocolat.

Ernesto Cruz : Lorsque nous avons enregistré l’EPS, le pays ne comptait encore que très peu d’entreprises communales de propriété sociale. Notre seule référence était la Loi sur l’Économie communale, de Chávez, qui établit le contrôle démocratique de la production et la distribution. C’est ce qui a guidé nos pas dans l’organisation de l’entreprise, même si des camarades du ministère des Sciences et Technologies nous ont bien aidés au départ.

Dans les grandes lignes, nos objectifs étaient (et sont encore) de promouvoir la culture du cacao au plan local et de fournir une infrastructure industrielle destinée à la production de chocolat. Et ce, tout en progressant dans la démocratisation des processus de production.

La conception du projet a duré presque une année. Dans cette période, nous avons participé à des ateliers, visité des unités de production de chocolat, collecté des échantillons de cacao et de chocolat et établi un réseau avec les producteurs de la région.

En 2016, nous avons bâti une grande serre d’une capacité de 80 000 plantules, dont nous avons commencé la production en 2017. Cette même année, le financement de l’unité de traitement du cacao a été approuvé. Les fonds ne nous ont pas été versés directement, mais ont été transférés à la mairie de Tucaní.

Avec la lenteur de l’administration et la bureaucratie, la mairie a gardé nos fonds pendant presque un an. Et lorsque nous avons pu y accéder, malheureusement l’argent a juste suffi à l’acquisition du terrain où nous avons fini par construire l’usine de traitement. L’inflation avait rongé notre budget.

Le terrain étant désormais aux mains de l’EPS, nous avons commencé à traiter le cacao sur place, de manière artisanale. Entretemps, nous continuions de chercher des soutiens pour construire l’usine… Jusqu’à ce que, enfin, nous trouvions un financement institutionnel en 2018!

Une fois l’usine construite, nous avons commencé à produire du chocolat, du séchage à la torréfaction, du broyage au moulage. Comme nous n’avions pas de moules, nous utilisions des bouteilles d’huile découpées, ou d’autres récipients, pour effectuer les tests. Quand le produit a finalement donné satisfaction, nous avons lancé la commercialisation [en 2019].

Ces années-là ont été dures. L’impact des sanctions se faisait cruellement sentir et entre auto-proclamations présidentielles et tentatives de coup d’État, la situation politique était très instable. Malgré tout, nous avons réussi à mettre en œuvre la production d’un chocolat de qualité.

Zulay Montilla : L’EPS Che Guevara a quinze travailleurs. Nous nous organisons en quatre domaines : administration, audit, gestion de la production et éducation.

Cependant, ce qui est plus important encore que la structure de l’organisation, c’est le fait que dans l’EPS, il n’y a pas ni président, ni directeur, ni chef. Ici, les décisions sont collectives. Tous les travailleurs y participent sur un pied d’égalité. Toutes les décisions importantes, de l’affectation des ressources à la résolution des problèmes, passent par l’assemblée.

En un mot comme en cent, l’EPS est une organisation fondée sur l’assemblée. Parfois, des gens nous demandent : ‘Qui dirige ici?’ Nous leur répondons qu’il n’y a pas de chef, que la voix de tout un chacun compte. Les gens ont du mal à comprendre cette nouvelle forme d’organisation. Nous avons beaucoup travaillé et la vérité est que nous avons surmonté de vieux défauts et bâti une culture démocratique dans l’EPS Che Guevara.

Bien sûr, cela ne veut pas dire que toutes les petites décisions quotidiennes passent pas l’assemblée. En fait, elles passent par les quatre départements que j’ai mentionnés. Chacun connaît ses responsabilités.

Pastora Ruiz de Marcaneo : Construire un tel projet depuis la base est difficile, mais c’est une belle expérience. Je me suis engagée envers le projet de l’EPS Che Guevara dès le départ, j’ai aidé à la construire de mes propres mains. Nous qui sommes ici avons consenti des sacrifices pour que le projet fonctionne, mais nos efforts ont valu la peine. Parce que maintenant, nous avons des moyens de production au service de la communauté, et non pour enrichir les chefs.

En plus, qui travaille avec le chocolat en tombe amoureux. Nous nous chargeons de tous les aspects de la production, de la sélection des fèves à l’entretien des plantules, en passant par la fermentation et le séchage du cacao, le traitement et la préparation finale.

Carlos Eduardo Urbina : Cette usine de traitement du cacao a été construite par les travailleurs de l’EPS, avec beaucoup d’efforts, un grand engagement et de nombreux sacrifices. Nous avons aussi bénéficié du soutien du ministère des Sciences et Technologies.

La serre a été le premier grand pas en avant de l’EPS. Elle a servi à améliorer la production dans la région, tant sur le plan de la qualité qu’en termes de volume produit. Pour ce faire, il faut choisir des variétés bien adaptées aux conditions de la région, sélectionner les meilleures graines et bien soigner les plants pour qu’ils soient forts en poussant. Tout ce processus doit être très précis, afin d’améliorer la qualité des plantes. Par contre, nous ne faisons pas d’expériences pour des modifications génétiques.

Outre les plants de cacao, nous avons aussi des arbres d’ombrage. Le cacaoyer, tout comme le caféier, a besoin d’ombre pour pousser.

Au fil des années, nous avons beaucoup appris, mais nous savons que les travailleurs de l’EPS, tout comme les producteurs de la région, ont bien des choses à apprendre, que ce soit à propos de la sélection des graines et de l’entretien des plants, ou en matière de séchage et de traitement du cacao.

Pastora Ruiz de Macaneo : Après lecture d’une étude des plantations de la région, nous avons conclu que les cacaoyers étaient très vieux, ou n’avaient pas été bien soignés. Aussi fallait-il les remplacer pour accroître la production. D’où la construction de cette grande serre.

Celle-ci permet de produire entre 40 et 50 000 plantules. La première année, les producteurs étaient nombreux à vouloir des plantules, parce que prix du cacao était élevé et ils voulaient renouveler leurs plantations. En 2018, nous en avons produit quelque 40 000. Mais depuis, la moyenne est de 20 000 par an.

Outre les plantules de cacao, nous cultivons désormais des légumes et des plantes médicinales. Cela a commencé avec la pandémie, quand les produits alimentaires sont devenus difficiles d’accès.

Ernesto Cruz : L’EPS fabrique des pralines, du cacao en poudre et une vaste gamme de barres de chocolat. Nous avons une capacité installée pour produire 1 300 kilos par semaine. Mais en ce moment, nous ne produisons pas autant, car la crise et les sanctions nous ont fortement touchés.

Quant à la distribution, la plupart de notre production est livrée à des chocolatiers de Mérida. Cependant, avant que la crise ne s’aggrave avec la pénurie de carburant, nous avions des commandes en provenance d’autres États.

Les commandes actuelles sont relativement modestes : entre 30 et 80 kilos. Pendant l’année scolaire, nous distribuons aussi du chocolat auprès des centres éducatifs de la région. Par ailleurs, nous faisons du troc avec la Commune El Maizal. L’opération la plus récente concernait l’échange de 400 kilos de chocolat contre de la farine de maïs et d’autres produits. Cet échange a été très gratifiant.

À l’avenir, nous espérons exporter. Notre chocolat est de grande qualité et pourrait se vendre à l’étranger. En attendant, nous devons augmenter notre production et obtenir tous les permis sanitaires et d’exportation nécessaires. Pour l’instant, nous avons les permis pour la commercialisation locale. Cela n’a pas été facile de les obtenir, à cause de obstacles de la bureaucratie.

La Coopérative Collines du Mirador (Colimir)

Colinas del Mirador, plus connue sous le nom de Colimir, est une coopérative de producteurs de café sur les hauteurs de Mesa Julia. Ses actifs principaux sont une usine de traitement du café et une pépinière destinée à l’amélioration de la qualité et du rendement du café dans la région. Colimir s’attache aussi à offrir de meilleures conditions de vie à la communauté de Río Bonito Alto, où siège la coopérative.

Neftalí Vanegaz : Je suis arrivé au Venezuela en 2003. J’ai dû fuir la Colombie après avoir été victime d’une tentative de meurtre. Là-bas nous avions un bon travail avec les coopératives de café, mais le paramilitarisme et la guerre de l’État colombien contre le peuple nous ont obligés à fuir.

Bien sûr, nous n’étions pas les seuls. Des milliers de gens ont émigré au Venezuela à l’époque. Moi j’ai dû marcher pendant six jours avec ma compagne et mon fils pour atteindre la frontière. Une fois au Venezuela, nous nous sommes installés à Machique, dans la Guajira [état de Zulia]. Mais la situation était difficile là-bas. Deux ans plus tard, nous sommes venus à Tucaní, où nous avions des amis. Nous sommes tombés amoureux de cette terre, car elle ressemble beaucoup à la terre où nous avons grandi, un haut-plateau propice au café.

Ma compagne et moi avons acquis une parcelle sur les hauteurs et avons commencé à travailler. Mais nous voulions aussi promouvoir l’organisation, une pratique que nous avons dans les veines. Il y avait déjà une coopérative, mais elle était en berne. Aussi avons-nous commencé à la réactiver.

Ça n’a pas été facile. Il y avait notamment un courant très clientéliste. Beaucoup d’associés voyaient en la coopérative un moyen d’obtenir des ressources de l’État. En revanche, notre vision visait de meilleures conditions de production et la création de liens de solidarité au sein de la communauté.

Petit à petit, nous avons surmonté les contradictions et, en 2010, la coopérative a commencé à grandir. C’est alors que le ministère des Sciences et Technologies a transféré des ressources pour planter 10 000 caféiers. Mais avec les ressources transférées, la coopérative a réussi à en planter 30 000. Ce fut un grand pas en avant pour nous.

En 2014, nous avons reçu un financement pour construire une pépinière destinée à améliorer la production de café dans la région. Aussi avons-nous commencé à concevoir les plans d’une usine de traitement du café.

Ça n’a pas été facile, parce que le ministère des Sciences et Technologie voulait gérer le projet directement. Mais pour nous, la construction autogérée était plus efficace. Finalement, nous pûmes gérer nous-mêmes les ressources et, avec un financement approuvé pour l’usine et les bureaux, nous avons même réussi à bâtir un auditoire et deux dortoirs.

Felipe Vanegaz Quintero : La coopérative a précédé le conseil communal et la commune. Elle est fondée sur la production paysanne. Colimir est née dans le but d’améliorer la production de café de la région et d’industrialiser le processus. Et c’est ce que nous faisons de mieux ici, sur les hauteurs de Tucaní.

Colimir a connu des hauts et des bas. Vers 2006, la Corporation vénézuélienne du Café [entreprise publique] est arrivée et a commencé à acheter la production directement auprès des agriculteurs. À l’époque, les producteurs abandonnaient la culture de café parce que le prix réglementé était trop bas pour être rentable. Dans le plan de Chávez, les prix réglementés devaient être compensés par des subsides de la Corporation vénézuélienne du Café, mais ces fonds ne nous sont jamais parvenus. Tout cela a poussé beaucoup d’agriculteurs à remplacer le café par des cultures d’ananas, de plantains ou de cacao.

Un autre élément a influé sur la croissance de Colimir : avec la Loi sur les Conseils communaux, les coopératives ont commencé à être perçues comme ‘l’erreur de Chávez’.

Dans ces années-là, la coopérative est passée de 100 associés à 14. Toutefois, nous n’avons pas baissé les bras. La coopérative a continué de travailler et a participé à la formation du Conseil communal, puis à la création de la Commune Che Guevara, qui a su regrouper plusieurs processus.

Petit à petit, Colimir a repris vie. Nous avons reçu un financement pour terrasser les collines et semer du café. Puis le Conseil fédéral de gouvernement a apporté un soutien à la construction d’une serre pour 80 000 plantules de café. Finalement, en 2016, un autre financement nous a permis d’édifier ce petit complexe industriel. Nous l’avons fait en 14 mois, sans passer par des sous-traitants et en autogestion. C’est ainsi que nous avons construit l’usine, la cuisine et les bureaux, tel que stipulé selon le financement, mais aussi un auditoire et deux dortoirs dans la partie supérieure de l’usine.

Quand l’usine a commencé à fonctionner, la coopérative s’est mise à croître. Même si, ce n’est un secret pour personne, la spirale inflationnaire, la pénurie de gasoil, les coupures de courant et la pandémie ont eu un impact négatif sur notre production.

L’an dernier, après une longue période de ‘sécheresse’ où le carburant était rare, nous nous sommes mis à réfléchir à un changement technologique. Nous voulions arrêter de dépendre du gasoil et le guamo du café semblait être une bonne alternative. Nous avons donc assuré le financement de ce changement technologique et importé les machines de Colombie, avec le soutien du Conseil fédéral de gouvernement. Après la mise en œuvre du changement, la production a vite repris.

Les organisations naissent toujours d’une nécessité commune des associés. S’il n’y a pas d’objectif partagé, alors l’organisation est vouée à l’échec. Colimir reste active parce que nous parvenons à résoudre ici-même certains problèmes des producteurs de café de Mesa Julia.

La question fondamentale que doit se poser toute coopérative est la suivante : vaut-il mieux pour un producteur appartenir à la coopérative ou pas? Avec la crise, certains agriculteurs sont partis en Colombie. D’autres ont renoncé au travail en coopérative. Or, la trajectoire et la résistance de Colimir sont des preuves vivantes, du moins pour ceux qui sont restés et continuent de cultiver du café, que la production en coopérative est la meilleure solution. Elle offre une bonne alternative aux intermédiaires privés, accorde des ristournes aux associés et leur concède des crédits. C’est aussi une importante institution sociale de la communauté.

Cependant, nous devons continuer de travailler et de croître. L’étape suivante sera d’obtenir les autorisations pour commercialiser notre café dans tout le pays. Et les obstacles bureaucratiques sont nombreux. Malheureusement, ne pas disposer de la licence de commercialisation nationale limite notre capacité à grandir.

Neftalí Vanegaz : Les coopératives se forment pour satisfaire des besoins partagés. Le but de Colimir est de résoudre les problèmes des producteurs de café qui n’ont nulle part où traiter et distribuer leurs récoltes.

Mais le projet de Colimir va plus loin : notre coopérative est d’une nature plus populaire, parce notre objectif principal est de construire un nouveau modèle social.

Felipe Vanegaz Quintero : l’assemblée est l’organe suprême de gouvernement de la coopérative. Tous les producteurs associés participent à une réunion hebdomadaire pour prendre ensemble toutes les décisions importantes. Des questions telles que la vente d’un immeuble ou la réorganisation de l’organigramme sont abordées à l’assemblée.

Sous l’assemblée vient le Conseil de direction, qui actuellement compte six départements : éducation, industrie, secrétariat, finances, projets et audit. La direction prend des décisions au niveau intermédiaire, comme par exemple, d’accorder un prêt à un associé. Les prêts sont remboursés à Colimir en nature [café] et sans intérêt.

Ensuite viennent les différentes coordinations qui prennent les décisions du quotidien. Par exemple, le comité d’éducation se charge de toutes les initiatives éducatives et de leur supervision. S’il estime qu’il faut repeindre l’école, le Conseil de direction examine la proposition et assigne les fonds.

Douglas Mendoza : C’est une petite coopérative, mais d’un grand impact sur la communauté : n’importe quel producteur peut traiter son café ici. De plus, Colimir est engagée envers les habitants du territoire et s’occupe de la scolarisation de nos enfants. Elle entretient aussi la voirie et offre une assistance sociale.

Être producteur associé de Colimir présente de nombreux avantages. Tout d’abord, nous sommes une communauté de producteurs qui se soutiennent mutuellement et partagent leur savoir-faire. Ensuite, les associés bénéficient de 30% de ristourne pour faire traiter leur café. Et nous avons accès à des crédits sans intérêt. Cela compte beaucoup quand il faut acheter un outil ou payer des travailleurs pendant la cueillette du café.

Nous disons souvent que l’union fait la force. C’est pour ça que j’ai rejoint Colimir. Nous sommes des gens humbles, de petits caféiculteurs. Mais ensemble, nous sommes plus forts. C’est ce que nous a enseigné Chávez. Et nous suivrons sa voie.

Arianny Tomas : La pépinière de Colimir a été conçue pour produire jusqu’à 80 000 plantules. Mais en ce moment, à cause de la pandémie, nous n’en produisons que 40 000.

Cette pépinière a été construite pour renouveler les caféiers de la région. C’est dans ce but que nous sélectionnons les graines et veillons à ce que les plantules soient bien adaptées à la terre de Mesa Julia.

Ces dernières années, nous avons dû explorer différentes méthodes pour soigner nos plantules. Les mesures coercitives unilatérales [sanctions imposées au pays] empêchent l’acquisition des intrants agricoles tels que les fertilisants et les pesticides. C’est pourquoi, lorsque les problèmes de fourniture ont commencé, nous avons opté pour produire de l’engrais organique. Nous avons découvert que les déchets organiques du café peuvent former un fertilisant très efficace. En outre, un camarade nous enseigne à fabriquer des pesticides organiques.

Felipe Vanegaz Quintero : Nous espérons pouvoir dire un jour que notre production de 8 à 16 quintaux par hectare, qui est la moyenne nationale [un quintal représente 46 kilos de café], est passée à 80 quintaux par hectare, comme en Colombie. Mais cela exige du travail, de l’investissement et de la préparation technique.

Il faut savoir que la région ne compte que huit professionnels, dont six sont enseignantes. Nous avons besoin de gens qualifiés, des agronomes et des ingénieurs en particulier, si nous voulons augmenter notre production. Il y a de la science derrière l’agriculture. La seule attitude romantique ne suffit pas pour produire.

Johandri Paredes : Je suis un des associés les plus récents. Et je suis content. Si tu veux t’associer, tu dois être parrainé par 5 membres, puis passer un an à titre d’essai.

Quant aux avantages, les associés bénéficient d’une ristourne de 30% pour le traitement du café, ont accès aux plantules et ont droit au crédit. Si Colimir me prête 1 000 dollars, je devrai rembourser avec du café de ma prochaine récolte, mais sans intérêt. C’est une bonne solution pour nous, parce que notre récolte est annuelle, et nous avons des frais pendant l’année.

De plus, Colimir achète le café des producteurs associés et non-associés, mais à un prix un peu supérieur à celui d’autres acheteurs. C’est pourquoi de nombreux agriculteurs indépendants vendent leur production ici.

Pour moi, le travail coopératif est ce qui donne un sens à ce que nous faisons. Cela nous pousse à sortir de la parcelle pour entrer dans un processus où nous apprenons les uns des autres. Et aussi, ici, il n’y a pas de chef, et j’aime bien ça.

Felipe Vanegaz Quintero : Les coopératives peuvent tomber dans une logique capitaliste. Mais à Colimir, nous avons une conception plus sociale et nous voulons rendre quelque chose à la communauté. Notre objectif est d’offrir de bonnes conditions aux agriculteurs, mais aussi garantir l’accès à la santé, à l’éducation et à une bonne voirie pour tous.

Mais nous nous voilons pas la face. Nous ne construisons pas le socialisme. Nous sommes plutôt en train de planter une graine. Nous espérons, pour commencer, que les gens diront : ‘Je préfère vivre à Río Bonito Alto, parce que la santé et l’éducation y sont garanties. Et le logement aussi.’

Les lundis de travail collectif

Les lundis de travail collectif constituent une pratique mise en place par Colimir à ses débuts. Ces journées de travail volontaire réunissent les associés de la coopérative pour résoudre des problèmes communs et affirmer l’esprit de corps.

Neftalí Vanegaz : Cette pratique des lundis de travail collectif a commencé dès le début de Colimir. L’idée est que tous les producteurs associés se réunissent, partagent leurs inquiétudes et travaillent ensemble. S’il faut ouvrir un chemin, peindre un immeuble ou couper de la canne à sucre, nous le faisons tous ensemble. L’avantage de ces lundis collectifs est qu’ils génèrent un esprit de corps. Les producteurs rompent leur isolement et construisent une communauté.

Arianny Tomas : Nos premiers lundis de travail collectif ne réunissaient que les producteurs associés de Colimir. Mais petit à petit, d’autres voisins nous ont rejoints, pour nettoyer des chemins ou des espaces communs. Avec le travail collectif, il y a une espèce de déclic : les gens sont plus ouverts à la coopération autour de l’objectif du bien commun. La collectivité est contagieuse.

Les lundis de travail collectif créent de liens de solidarité entre nous. Ils nous aident à comprendre que les problèmes se résolvent plus efficacement si nous travaillons ensemble.

Dioselina Quintero Quintero : Les lundis de travail collectif sont un outil qui nous aide à créer des liens… ou pour le dire autrement : la pratique fait que nous ne sommes pas une simple entreprise de traitement du café. Le lundi, nous nous réunissons, nous travaillons ensemble, nous prenons des nouvelles des autres producteurs et nous réfléchissons aux processus internes de la coopérative.

Pour nous, la coopérative est comme une seconde famille. Bien sûr, le travail collectif est parfois épuisant, mais la coopération fait partie de ce que nous sommes. Et la solidarité est fondamentale pour le nouveau genre d’organisation dont nous rêvons.

Johandri Paredes : Pour moi, le lundi est un jour très spécial, parce que je retrouve mes camarades et, ensemble, nous construisons un avenir meilleur.

Prendre soin de la communauté

Face aux mesures coercitives des États-Unis et leurs effets dévastateurs sur la vie du peuple, de nombreuses organisations de la base ont dû assumer des responsabilités qui incombaient à l’État. La Commune Che Guevara a contribué aux services d’éducation, de transport et de santé dans sa communauté.

Yeini Urdaneta : Les sanctions et la crise ont fait que le gouvernement s’est retrouvé dans l’incapacité de satisfaire les besoins du pays en matière de santé et d’éducation. Et dans ce genre de situation, la responsabilité tend à retomber sur les épaules des organisations.

Autrement dit, il faut souvent chercher des solutions à des problèmes concrets de la communauté, par exemple en cas de décès, ou lorsqu’une femme est sur le point d’accoucher, ou quand un voisin fait une crise d’hypertension. Dans ces cas-là, nous pouvons offrir un prêt, un don, voire le transport vers l’hôpital le plus proche.

Évidemment, ce n’est pas facile pour Colimir. Les médecins facturent entre 100 et 150 dollars pour un accouchement. Et les services funéraires sont beaucoup plus chers. Si nous n’avons pas de ressources pour résoudre un problème, alors il nous faut faire appel aux institutions, et tenter de se frayer un chemin.

C’est une situation sociale très complexe. C’est pourquoi nous mettons sur pied un fonds exclusif pour l’attention sociale. Par ailleurs, une camarade de la coopérative fait des études d’infirmière. Ce sera bien d’avoir une personne qualifiée dans le domaine de la santé.

Felipe Vanegaz Quintero : Ici, les gens savent qu’en cas de problème, ils peuvent compter sur Colimir. Si quelqu’un a une urgence médicale, la coopérative ne le laissera pas tomber.

De plus, notre école est toujours ouverte, ce qui est essentiel pour les familles. C’est pourquoi le prix de la terre est en train d’augmenter. Les gens savent qu’ils peuvent compter sur nous. En fait, nous sommes une espèce d’État dans l’État, un espace de double pouvoir, si l’on veut.

Ernesto Cruz : En tant qu’EPS, nous sommes régis par la Loi sur l’Économie communale, qui stipule qu’une entreprise de propriété sociale doit destiner de 6% à 10% de ses bénéfices à l’attention sociale.

Actuellement, les recettes de l’EPS ne couvrent pas toujours les nécessités de base de l’entreprise elle-même. Mais nous répondons à la communauté de différentes manières, de la distribution de chocolat dans les écoles à l’aide pour transporter quelqu’un à un centre médical. Quand il y a un excédent, il va tout d’abord à un fonds pour des besoins tels que la remise en état du centre médical ou de l’école, ou pour lancer un autre projet productif dans la commune.

Zulay Montilla : L’EPS soutien aussi le comité de santé de la commune. Par exemple, si quelqu’un a besoin de médicaments, nous pouvons l’aider à les trouver. Et en cas de d’urgence médicale, nous donnons à la famille 10, 20 ou 30 litres d’essence pour qu’elle puisse se rendre à l’hôpital. C’est une aide d’autant plus précieuse vu la pénurie de carburant. Nous aidons aussi au transport personnel médical de Mesa Julia.

En ces temps difficiles, les besoins dans la commune sont nombreux. Nous mentirions si nous disions que nous pouvons répondre à toutes les demandes. Toutefois, nous faisons tout ce que nous pouvons.

Ernesto Cruz : Le transport est un autre domaine où apportons beaucoup à la communauté. Pendant les années les plus dures, en 2018 et 2019, le transport public était paralysé à Mesa Julia, ce qui s’est transformé en un problème collectif de taille pour cette région rurale. De nombreux habitants se sont retrouvés sans transport pour faire leurs achats ou aller chez le médecin ou à l’école. C’est alors que nous avons commencé à assurer le transport : Colimir et l’EPS ont mis leurs camions au service de la commune —la priorité allait aux maîtresses et aux écoliers.

Mais nos camions ne sont pas adaptés au transport de personnes. À l’époque, un camarade nous a commenté qu’il y avait un autobus arrêté depuis dix ans sur le parking de la mairie. Nous avons donc demandé que ce véhicule soit transféré à la commune. Nous sommes arrivés à un accord, mais le processus administratif pour permettre le transfert était trop long. Finalement, Felipe [Vanegas] a proposé que nous récupérions collectivement ce bus pour la commune, ce que nous avons fait.

Une fois le problème du bus résolu, nous avons ouvert un service de transport sur toute la commune. L’autobus est maintenant un bien communal, géré depuis le parlement de la commune. Les itinéraires, horaire et tarifs sont définis de manière collective et les recettes alimentent un fonds pour l’entretien du véhicule.

Une école pour la nouvelle société

Les hommes et les femmes de la Commune Che Guevara estiment que l’éducation, politique et technique, est la clé aussi bien du succès du projet local que de la transition vers le socialisme au Venezuela.

Neftalí Vanegaz : L’éducation a beaucoup d’importance pour nous. Un projet ne peut aller de l’avant, en termes politiques, sans une école; et la production ne va pas augmenter sans la formation technique. C’est pourquoi nous estimons que l’éducation est un des piliers fondamentaux de la coopérative.

Avec Chávez, nous avons fait du chemin au niveau de la formation politique, mais ce n’est pas suffisant. Les gens ici sont jeunes. Ils ont besoin d’apprendre sur le monde dans lequel nous vivons. Cet apprentissage ne va pas tomber du ciel. En outre, notre pays a sous-estimé la formation technique pendant des années. Nous en payons le prix aujourd’hui. Aussi encourageons-nous la formation aussi bien politique que technique.

Luis Miguel Guerrero : Quand la situation s’est aggravée, nous nous sommes rendu compte que l’éducation était encore plus importante. Il a fallu comprendre comment nous en étions arrivés là, quelles étaient nos forces et nos faiblesses, et il fallait trouver des solutions aux gaves problèmes que nous affrontions.

Nous avons aussi constaté combien il était urgent de penser à la situation des enfants de la communauté. Déjà avant la pandémie, l’école n’ouvrait pas régulièrement, et beaucoup d’écoliers avaient abandonné la scolarité. Nous avons donc cherché des solutions pour que nos enfants soient instruits en grandissant.

Felipe Vanegaz Quintero : Nous avons besoin de cadres avec une préparation politique et technique, parce que nous ne voulons pas rester coincés dans le passé. Il faut améliorer la production, pour que les gens aient une vie meilleure. Mais cela exige des processus d’industrialisation, et donc des cadres préparés.

Chávez a envoyé des milliers de personnes à Cuba, où ils ont reçu une formation politique. C’était merveilleux, mais maintenant ces gens veulent être maires, députés ou ministres. Ils ont appris la politique, mais pas la production.

C’est une des raisons pour lesquelles de nombreuses entreprises d’État ont échoué. Ce n’est pas que les industries d’État ou la production socialisée soit condamnée à l’échec. Non. Le vrai problème, c’est que ceux qui gèrent ces entreprises ne comprennent rien aux processus industriels, ni aux chaînes d’approvisionnement. Et ils ignorent tout de la comptabilité.

De plus, les petits producteurs comme nous avons aussi besoin de formation. Au fil des ans, nous n’avons appris qu’à gérer la pauvreté pour ne pas mourir de faim. Maintenant, nous devons surmonter la pauvreté et construire une société meilleure.

UNE ÉCOLE COMMUNALE POUR GARÇONS ET FILLES

Yeini Urdaneta : Déjà avant la pandémie, les salaires des instituteurs étaient si bas qu’ils ne pouvaient venir régulièrement à l’école. Après avoir constaté le problème, nous avons conçu un plan pour soutenir les maîtresses de l’école de Río Bonito Alto, où se trouve Colimir.

Le plan était le suivant : Colimir a conclu un accord de 10 ans avec le Conseil communal pour louer un terrain communal. Les loyers alimentent un fonds destiné à l’assistance sociale à la communauté.

Sur le terrain en question, nous produisons du café qui sert de supplément aux salaires des enseignantes. Avant la pandémie, nous leur versions 7 kilos de café par mois, ce qui était beaucoup plus que leur salaire mensuel d’enseignantes. Donc, la coopérative consacrait chaque mois 21 kilos de café pour que l’école reste ouverte. Le système a bien fonctionné jusqu’au début du confinement.

Malheureusement, avec la période d’intense confinement, l’école n’a pas fonctionné pleinement. En plus, nous avons constaté avec inquiétude que les enfants de la région ne savaient ni lire ni écrire. C’est alors que nous avons décidé d’ouvrir une petite école pour offrir un complément à l’enseignement formel.

Nous avons pu compter sur la collaboration du Conseil communal, qui disposait d’un modeste immeuble désaffecté, anciennement un Mercal. Colimir a trouvé des fonds pour réparer le toit et les toilettes, repeindre à l’intérieur et à l’extérieur, fabriquer des chaises et des tables, etc. Nous avons réparé la structure pendant plusieurs périodes de travail volontaire. La petite école fonctionne depuis fin octobre.

Trois productrices associées de Colimir assurent le travail pédagogique. La maîtresse principale est éducatrice de formation, tandis que ses deux camarades —une étudiante en infirmerie et une autre en administration— offrent leur soutien.

C’est un merveilleux projet, mais qui implique de grandes responsabilités pour Colimir.

Luis Miguel Guerrero : La réhabilitation de l’ancien Mercal où fonctionne la petite école exigeait beaucoup de travail, du toit aux toilettes, en passant par la fabrication de chaises et de tables pour les enfants. Maintenant, l’école est un chouette petit espace bien conditionné pour l’apprentissage : l’intérieur est peint de couleurs vives, avec des chiffres et des lettres sur les murs, et nous avons fabriqué un joli mobilier pour les enfants.

Nous sommes en train d’aménager une nouvelle classe pour les plus petits.

Tout ce travail est volontaire et collectif. Certains nettoient, d’autres peignent, tandis que d’autres encore préparent à manger pour que tous puissent continuer de travailler. Même les plus grands enfants nous ont aidés!

Nous préparons aussi un plan éducatif pour joindre l’apprentissage en classe à des activités pratiques. Nous allons en discuter avec le Conseil communal et les maîtresses de l’école formelle, pour plus de cohérence entre les deux projets éducatifs.

Yeini Urdaneta : Nous sommes en train de mettre au point un plan d’étude avec les conseils de camarades du MST [Mouvement des Sans Terre du Brésil]. Le MST a ouvert des écoles dans ses implantations et applique une méthodologie compatible avec la réalité locale. Dans ses écoles, les garçons et les filles apprennent à lire et à écrire, à faire des additions et soustractions, mais ils apprennent aussi sur l’agriculture, l’art, la musique, etc. La mystique [méthode du MST pour renforcer les liens groupaux] y est très importante.

Comme notre communauté est rurale, nos garçons et filles apprennent la biologie en classe et la culture du café dans les champs. Autrement dit, leur enseignement à l’école porte sur leur propre réalité.

Notre objectif vise un processus éducatif intégral. Nous ne voulons pas que les écoliers se forment uniquement en vue du marché du travail. Au contraire, nous aspirons à ce qu’ils deviennent des jeunes capables d’interpréter leur réalité de manière critique. Nous avons besoins de personnes préparées à travailler la terre, avec des capacités techniques, mais aussi une vision d’ensemble.

Arianny Tomas : Avec la pandémie, l’enseignement à distance est devenu la norme, mais cette méthode ne fonctionne pas dans les zones rurales. Les gens ici n’ont ni l’équipement ni la connexion internet pour des cours en ligne.

C’est pour cela qu’à un moment, nous avons tiré le signal d’alarme : certains enfants ne savaient pas lire, ni effectuer la plus simple des additions. Dans les derniers mois, lorsque l’enseignement à distance est devenu semi-présentiel, les maîtresses venaient à l’école au mieux deux ou trois jours sur deux semaines. Ce n’était pas suffisant. Notre petite école est donc là pour renforcer ce que les enfants apprennent dans l’enseignement officiel.

À la petite école, le plan d’études intègre le volet académique à la mystique et aux activités pratiques. Pour développer notre proposition, nous avons le soutien des camarades du MST.

Pour l’instant, la petite école enseigne jusqu’à la sixième année. En toute premier lieu, chaque garçon et chaque fille passe un test diagnostique sur sa capacité de lecture et d’écriture. À partir de là, nous mettons en œuvre un plan adapté au niveau et aux besoins de chaque enfant.

UNE ÉCOLE SOCIO-POLITIQUE ET TECHNIQUE POUR ADULTES

Felipe Vanegaz Quintero : Nous avons conçu l’École José Carlos Mariátegui avec l’aide de camarades de Patria Grande [Argentine]. Ils sont arrivés au Venezuela il y a environ cinq ans pour animer des ateliers dans tout le pays.

Ici, à Mesa Julia, ils ont organisé un atelier de 15 jours pour la commune. L’idée de créer notre propre école de formation est née de cette expérience. Au début, nous organisions trois ou quatre ateliers par an, mais les choses se sont peu à peu accélérées. Maintenant, nous avons des sessions pour producteurs associés tous les 20 jours. Les thèmes abordés vont de la formation politique à la production de café.

L’école organise aussi des ateliers pour la communauté dans son ensemble, ainsi que pour l’Union Communarde.

Ainsi, il y a un mois, nous avons tenu un atelier pour 50 jeunes de la JPSUV. Le parti a fourni la nourriture et nous nous sommes chargés des ateliers. Ces expériences sont positives, parce qu’elles permettent d’approcher des jeunes provenant de différents contextes.

La formation est un des piliers de notre projet.

Luis Miguel Guerrero : Moi j’ai étudié dans une école agro-technique, puis je suis venu à Colimir en tant que stagiaire. Je suis venu ici parce que j’avais une affinité avec l’orientation sociale du projet. C’est ici, entre le travail collectif et les débats dans les assemblées, que j’ai commencé à me former politiquement.

L’École Mariátegui est également importante pour moi. Colimir dispose d’un auditoire et de deux dortoirs pour loger de gens de l’extérieur, des camarades de diverses organisations, de provenances diverses. C’est un bon espace pour l’étude et le débat. Et puis, c’est vrai, les ateliers nous aident à mieux comprendre le monde au-delà de Mesa Julia.

À l’École, des ateliers sont organisés sur l’histoire, l’économie, l’importance de la coopération, etc. Le dernier atelier, c’était avec les jeunes de la JPSUV. En examinant leur profil, nous avons conçu un atelier d’introduction sur l’histoire du Venezuela, sur Bolívar et la lutte pour l’émancipation. Notre objectif était de donner une perspective historique à nos luttes d’aujourd’hui.

Arianny Tomas : L’École Mariátegui impartit aussi une formation technique. Nous organisons des ateliers pour les producteurs associés sur les différents aspects techniques de la production. Il y a par exemple des cours sur le soin à apporter aux plantules de café, ou sur les alternatives aux pesticides industriels, ou sur les circuits électriques.

De plus, la formation politique que nous recevons ici ne se limite pas à l’aspect formel. Les lundis de travail collectif font aussi partie de la formation politique. nous apprenons les uns des autres, tout en menant des débats pour surmonter nos contradictions.

Faire vivre le projet révolutionnaire de Chávez

Engagée envers l’héritage socialiste de Chávez, la Commune Che Guevara œuvre pour la réorganisation de la société vénézuélienne dans son ensemble. C’est pourquoi la commune est une pièce maîtresse dans l’organisation de l’Union Communarde.

Felipe Vanegaz Quintero : Nous faisons partie de l’Union Communarde, un espace où se rejoignent des initiatives communardes de tout le pays, pour former un mouvement national engagé envers le socialisme et la vie communale.

Toutefois, l’Union Communarde est encore en phase de construction et il y a diversité d’interprétations au sein du mouvement. Certains ont une vision romantique et rêvent sous les étoiles à la construction d’une puissante union. D’autres ont une conception plus pragmatique du projet. En résumé, l’Union Communarde englobe aujourd’hui des expériences diverses, des besoins variés et des points de vue différents… mais c’est aussi une de ses forces. Pour nous, l’Union Communarde est un projet très important.

Ernesto Cruz : Chávez disait que la commune était la manière de surmonter le capitalisme. Toutefois, il semble qu’aujourd’hui, l’État a perdu de vue le projet communal. Et c’est un problème réel, mais nous devons aussi faire preuve d’autocritique. Nous qui appartenons au Processus Bolivarien, nous pensions que la révolution aurait toujours les ressources pétrolières à sa disposition. Ce fut un mauvais calcul, et maintenant, nous en subissons les conséquences.

Cela ne veut pas dire que Chávez avait tort avec sa proposition communale. Bien au contraire : nous devons générer les conditions pour nous développer et nous diversifier. Et l’expérience prouve que la commune est vraiment le meilleur moyen d’y parvenir. Bien sûr, tout comme les entreprises capitalistes reçoivent le soutien des banques et des institutions publiques, les initiatives communales ont besoin de soutien pour prospérer. Quant à nous, nous devons nous centrer sur la formation technique et la planification stratégique.

Quand nous pensons au rôle de la commune dans la construction d’une nouvelle hégémonie, il faut être capable de rester debout. L’EPS produit du chocolat et Colimir produit du café. Tout cela aide les gens à ne pas se démoraliser.

D’en bas, nous devons promouvoir notre projet communal avec notre exemple, mais le gouvernement doit lui aussi soutenir les initiatives communales et encourager la voie communale vers le socialisme comme une option viable. Les communes ne sont pas des initiatives marginales, ce sont des initiatives avec le potentiel de transformer la société!

Felipe Vanegaz Quintero : Nous suivons une double stratégie : industrialiser la production de café et promouvoir le projet révolutionnaire de Chávez dans la région de Mesa Julia et au-delà. Autrement dit, nous voulons industrialiser et socialiser la production. Il ne s’agit pas uniquement de distribuer la richesse, mais aussi de la produire. La pauvreté est déjà assez distribuée dans le monde, ce n’est pas elle que nous voulons promouvoir.

Source : https://observatorio.gob.ve/ – article : tercos y creativos, la Comuna Che Guevara

Traduction : Gil Lahout

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/02/21/entetee-creatrice-la-commune-populaire-che-guevara-au-venezuela/

Paysages vénézuéliens avant la victoire (chaviste !)

vendredi 10 décembre 2021   |   Maurice Lemoine, pour Mémoire des Luttes

Même sans connaître les résultats des « méga-élections » de la veille, il n’était guère difficile de les deviner en ce matin du 12 novembre : dans les journaux de 6 heures, 6h30, 7h, 7h30 de France Culture, ou à 8h et 12h sur France Inter ou France Info (pour ne citer qu’eux), aucune mention du Venezuela. La pilule, il est vrai, était dure à avaler : devoir annoncer à l’antenne une victoire de Nicolás Maduro ! En effet, et sans contestation possible (comme le précisait l’Agence France Presse), le chavisme venait de remporter une éclatante victoire lors des élections régionales en s’adjugeant vingt (ramenés ultérieurement à dix-neuf) des vingt-trois Etats du pays ainsi que la mairie de Caracas. Après avoir boycotté la présidentielle de 2018 et les législatives de 2020, l’opposition radicale et pour partie « putschiste » participait cette fois au scrutin.
Comment comprendre un tel succès dans un pays systématiquement présenté par les « chiens de garde » comme un mélange d’Etat failli et d’Etat voyou à l’origine d’une catastrophe humanitaire ? Pour pallier aux carences prévisibles du « service public » (tant son hostilité au chavisme est devenue caricaturale), nous nous sommes rendus au Venezuela avant cette « méga-élection » (23 gouverneurs, 335 maires, 253 législateurs d’Etat et 2 471 conseillers municipaux). Au terme d’un séjour passé essentiellement à Caracas et sur la frontière colombienne, dans l’Etat du Táchira, deux zones aussi emblématiques que stratégiques, il était relativement aisé de prévoir la future victoire du Grand pôle patriotique (GPP) et la forte abstention qui, de toute évidence, caractériseraient le scrutin [1].

Autant le préciser d’emblée : l’arrivée au Venezuela provoque une sorte de soulagement. La logique voudrait que l’on débarque dans un pays de zombies et de « morts-vivants ». Il n’en est rien. Pourtant, d’après une Enquête nationale sur les conditions de vie (Encovi) publiée le 30 septembre à Caracas par l’Université catholique Andrés Bello (UCAB) et reprise avec délectation par l’internationale médiatique [2], plus de neuf Vénézuéliens sur dix (94,5 % !) ont sombré dans la pauvreté ; plus de trois sur quatre (76,6 %) vivent même en-dessous du seuil de l’extrême pauvreté (moins de l’équivalent de 1,25 dollar par jour, d’après l’ONU). « Nous avons définitivement atteint ce qui pourrait être le plafond de la pauvreté totale. C’est le maximum possible », a doctement expliqué le sociologue Luis Pedro España, chercheur à l’Institut de recherche économique et sociale (IIES) de l’UCAB.

Saisissant. Mais, tout de même… Avec de tels chiffres, on devrait croiser des foules aux pieds nus, en haillons, le visage mangé par une barbe de huit jours, dans un état de délabrement physique avancé. Rien de tel à Caracas, sur Sabana Grande, ce boulevard piétonnier de quelque 3 kilomètres, bordé de boutiques, ponctué d’amateurs de jeux d’échec et de vendeurs ambulants, où circule tranquillement, masques sur le visage, un monde d’hommes et de femmes, sans parler des enfants, ni trop petits ni trop grands, ni trop maigres ni trop gras. Normaux, osera-t-on avancer. Même constat dans le vieux centre, autour de la place Bolivar, du Congrès et de la cathédrale, ou, plus significatif encore, dans les « barrios » populaires – Petare (le plus grand faubourg de la ville), Catia, Lidice, etc.

A 9 heures, sur la place de La Pastora, quartier pentu, lui aussi populaire, où s’alignent des demeures de style colonial joyeusement peintes ou décrépies, un groupe de femmes du troisième âge pratique avec assiduité une gymnastique douce tandis que des grappes éparses échangent les derniers potins – on appelle ça « Radio Bemba » – en buvant du café dans des gobelets en plastique et en prenant le soleil du matin. Le soir, dans la tiédeur retrouvée, les promeneurs musardent sur une autre place, celle de La Candelaría, où des athlètes musculeux martyrisent leurs biceps, dorsaux et pectoraux sur des installations sportives mises à disposition par la municipalité. Même sensation de normalité dans les bastions de l’est de Caracas – classes moyenne et supérieure, locaux commerciaux et restaurants – où la circulation bat son plein ; dans les grouillants terminaux d’autocars et de bus ; dans les campagnes ; dans les petites et grandes agglomérations. Partout, l’approvisionnement des marchés, des magasins, des pharmacies et de tous les établissements de services saute aux yeux.

Lorsque, à Rubio (Táchira), nous rapportons l’information qui circule, véhiculée par les journalistes et les « universitaires de plateaux télé », à savoir que, « complété par une prime alimentaire de l’Etat, le salaire minimum mensuel dépasse à peine l’équivalent de 2 dollars par mois » (trois pour les employés et retraités, un peu plus de 10 pour les professeurs d’université, accordera généreusement Le Monde du 21 novembre) [3], l’enseignante Ixiareny Godoy ne peut masquer son ironie : « Quels crétins ! Un paquet d’un kilo de Harina Pan [farine de maïs précuite, omniprésente dans les foyers vénézuéliens] vaut un dollar. Avec mon époux, un kilo nous fait trois jours. Un salaire de deux dollars permettrait donc de faire… un repas par mois. Et le reste ? Les vêtements, les transports, les fournitures diverses, la parfumerie ? »
D’après le président de la Confédération nationale des industriels (Conindustria), Luigi Pisella, un ouvrier ou un opérateur industriel gagne actuellement, en moyenne, 124,95 dollars par mois, un professionnel ou un technicien 253,68 dollars [4]. Pas de quoi s’extasier, et tout le monde – travailleurs de l’informel, paysans, petits commerçants, retraités, etc. – n’est pas logé à la même enseigne, mais on est loin de la situation infrahumaine décrite quasiment à l’unisson.

Au risque de troubler la quiétude des « observateurs » aux yeux quelque peu bouchés, on précisera, pour expliquer la distorsion, que l’UCAB, une université privée, prête fréquemment ses locaux pour les réunions du « gouvernement » fantoche du président autoproclamé Juan Guaidó. Tout comme son prédécesseur, le jésuite Luis Ugalde, le recteur de l’UCAB, le père Francisco José Virtuoso, n’a jamais caché son hostilité au pouvoir légitime de Nicolás Maduro.

Caracas : Sabana Grande.

Non qu’il s’agisse ici de nier l’existence de la pauvreté. Elle a augmenté de façon considérable. Elle rampe sournoisement. D’après un récent rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 27,4 % de la population vénézuélienne serait « sous-alimentée » (contre seulement 5 % entre 2013 et 2015). C’est que la « crise » est là, présente, et bien présente, depuis plusieurs années, aggravée par la pandémie.
Tout un chacun doit composer avec les nouvelles réalités économiques et sociales. A cet égard, l’exemple des fonctionnaires se révèle édifiant. « Je suis universitaire, confie José Pérez, candidat du Parti communiste vénézuélien (PCV) à la mairie de Rubio. Comme professeur, je vivais modestement, mais bien, jusqu’en 2012. En 2013 ont commencé les restrictions, nos salaires ont été pulvérisés par l’inflation. Le pire a été en 2019. On n’avait plus de combustibles, ni pour les véhicules ni pour cuisiner. Il fallait chercher du bois… » Même son de cloche à San Antonio de Táchira, ville frontière face à la colombienne Cúcuta : « Du temps de Chávez, on partait en vacances, on allait à la plage, on avait assez d’argent pour voyager, raconte Antonio Ovalles, comptable public à la mairie gérée par le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV). Les fins de semaine, on faisait la fête, on allait acheter des illuminations. Tout ça est terminé. » Assise à ses côtés, sa collègue avocate Joselyne Gouverneur, mère célibataire ayant à charge sa mère et ses deux enfants, renchérit : «  Bien qu’on soit professionnels, universitaires ou hauts fonctionnaires, notre salaire ne suffit pas pour vivre correctement. On est le seul pays au monde qui ne se réjouit pas quand les salaires augmentent, parce que tout augmente en même temps. C’est dur de survivre – la scolarité des “muchachos”, les uniformes, les souliers… » Conséquence : « On n’a pas assez pour manger correctement, constate Ixiareny Godoy. Notre diète comporte beaucoup de farine, de riz, de pâtes, mais compte peu de protéines fournies par la viande, le poisson et le poulet. Les légumes et les fruits ? Trop chers. Et tout le monde n’a pas un jardin. Avec un salaire d’enseignante, je n’y arrive pas. »

Aucun de ces interlocuteurs n’appartient à l’opposition de droite. Tous se revendiquent « chavistes », révolutionnaires, s’impliquent dans les conseils communaux ou la milice bolivarienne – 3 400 000 civils, hommes et femmes, dont 700 000 combattants opérationnels, qui s’entraînent régulièrement, dans le cadre d’exercices militaires, pour « défendre la patrie » au cas où. « Le moral des militants est élevé », nous précise même Antonio Ovalles. Mais nul n’élude les difficultés, personne ne mâche ses mots. Dans le hameau de Baritalia, perché en hauteur, au bout d’une route infâme bordée de pins, toujours dans le Táchira, l’enseignant Mariano Rangel grimace, en plein travail manuel, une pelle à la main. « D’ici, il me faut 1 500 pesos [la monnaie colombienne, nous y reviendrons] pour aller en ville, à Rubio. Trois mille pesos aller et retour. C’est 20 % de mon salaire quotidien. Je mange, j’ai besoin de chaussures… Pour survivre, tout le monde a un second boulot, et ça a des conséquences sur la qualité de l’administration publique. La fréquence avec laquelle les gens vont travailler n’est pas la même, ça s’est ajouté à la pandémie. » Elle ne le chante pas sur les toits, mais, pour compléter son salaire, l’une de nos interlocutrices fait du commerce de contrebande avec la proche Colombie.

S’ajoutent à ce marasme les défaillances des services publics. Entre autres les « apagones » – les fréquentes coupures d’électricité. Dans sa maison de Rubio, José Pérez reçoit bien Internet par satellite, mais depuis la Colombie. « CANTV [fournisseur public de services téléphoniques et Internet au Venezuela] a des problèmes de largeur de bandes, n’a pas de matériel de rechange, explique-t-il, désabusé – non sans conclure par un tranchant « et ses équipements ont été sabotés. »
Pour revenir à Caracas, les canalisations de gaz domestique ne dépassent pas les limites de la paroisse [5] d’Altagracia, donc n’arrivent pas à La Pastora. Pratiquement tout le quartier doit recourir aux bouteilles de gaz domestique. Quand elles ne manquent pas. Toutefois, le cauchemar des habitants porte un autre nom : l’eau. Dans chaque logis, qu’il soit aisé ou modeste, fûts, bassines, bouteilles et récipients encombrent les pièces et les couloirs, emplis du précieux liquide. Il s’agit de n’en pas manquer lorsque l’inévitable coupure surviendra. Et, une fois de plus, en ce mois de novembre, elle est survenue. Quatre jours déjà que faire la cuisine ou la vaisselle, se laver les dents, prendre une douche ou aller aux toilettes sont devenus un parcours du combattant. Alors que sans cesse, pour lutter contre la pandémie, les responsables politiques et sanitaires houspillent les imprudents et les distraits : « Coño, lavez-vous les mains ! »

Une salle de classe dans une école primaire (très bien entretenue) de La Pastora. Vingt-cinq personnes appartenant à autant de conseils communaux – institution créée en 2006 pour organiser les citoyens au niveau communautaire, sur la base d’une démocratie directe. Jésus García, animateur et formateur de la Commune populaire d’Altos de Lidice (un quartier voisin), candidat du Grand Pôle Patriotique (GPP), la coalition chaviste, à un poste de conseiller communal du « municipio » Libertador (le cœur de Caracas) lors de l’élection du 21-N (21 novembre, en abrégé). Objet de la réunion : la création d’une Table technique de l’eau. L’organisme gestionnaire, Hidrocapital, a envoyé trois de ses fonctionnaires, dont un ingénieur. Sans agressivité excessive, sans ménagements non plus, les habitants lui font part de leur mécontentement. Attentif, l’ingénieur a l’air habitué à ce type d’interpellations. Les habitants lui posent beaucoup de questions. Ses réponses n’ont rien d’un laïus rédigé en langage administratif. Il fait le tour de la question.
« A Caracas, on ne produit pas un litre d’eau. » L’alimentation de la capitale dépend de trois lacs artificiels. Situé à 160 kilomètres de distance et à 200 mètres d’altitude, à Camatagua, le plus important d’entre eux lui fournit 80 % de sa consommation. Entre vallées et « cerros » – les collines –, Caracas s’étale, elle, entre 800 et 1 000 mètres au-dessus du niveau de la mer. Il faut donc y faire monter l’eau de Camatagua. Cinq gigantesques pompes installées dans les années 1980 par Siemens y contribuent. Deux de ces équipements sont en panne. La firme allemande est la seule à maîtriser leur technologie, assez ancienne, et à pouvoir les remettre en état. « Quand on les a construit, on n’avait de problèmes avec aucun pays du monde. Ce n’est plus le cas. Nous demandons à Siemens d’intervenir. La firme nous répond : “Nous aimerions vous aider mais, si nous le faisons, nous tomberons sous le coup des sanctions des Etats-Unis”. » Malgré ses difficultés, le Venezuela a de l’argent pour payer une réparation ou acheter du matériel. « Ils ne nous vendent même pas un tournevis ! »

De Camatagua devraient fuser 23 000 litres par seconde. Fruit de la panne et des « sanctions », 12 000 litres par seconde seulement parviennent à Caracas. « On ne prive personne d’eau, résume l’ingénieur, on la passe d’un secteur à l’autre, à chacun son tour, pour que tout le monde en ait. Le samedi, c’est vrai, c’est une loterie. » Loterie dont s’emparent les candidats de l’opposition pour dénoncer « l’incurie du pouvoir ». Un commentaire fuse dans la salle de classe : « Leur campagne est particulièrement hypocrite. C’est eux qui réclament les sanctions ! »
Direct, tranchant, sans fioritures, suit un vigoureux : « Coño de madre ! Exaaaaaacto ! »

Caracas, Altos de Lidice : livraison d’eau par le gouvernement.

Mille fois lu, dix mille fois entendu : « Les sanctions américaines aggravent la crise, mais celle-ci existait avant les sanctions [6] » Particulièrement fallacieux. La chute brutale des cours du pétrole, passés de 103,46 dollars le baril en 2012 à 34,02 dollars en 2016, a incontestablement provoqué de sérieuses difficultés au gouvernement bolivarien et aux programmes sociaux menés à travers les « missions » – programmes qu’applaudissait la FAO. Mais des « difficultés » n’impliquent pas un « effondrement total », comme celui auquel on a assisté. A partir de 2017, les prix des hydrocarbures n’ont-ils pas commencé à remonter pour se situer autour de 80 dollars actuellement ?
Assèchement des revenus pétroliers, mort d’Hugo Chávez (2013), violence insurrectionnelle des « guarimbas » (2014) : pour les Etats-Unis, le moment paraît opportun. Le Congrès américain prend ses premières mesures contre le pouvoir bolivarien. Il n’y a alors pas de crise alimentaire – même si, au milieu des « guarimbas », dans les quartiers bourgeois, se glissent d’exquises « marches des ventres vides », comme au Chili sous Salvador Allende. En mars 2015, Barack Obama signe le fameux décret qui invente de toutes pièces un Venezuela « menace extraordinaire pour la sécurité nationale des Etats-Unis ». « Commence alors un blocus économique, mais aussi politique, diplomatique et militaire, accompagné d’une opération médiatique sans précédent, affirme la chercheuse Clara Sánchez, auteure d’un ouvrage sur les ravages des mesures coercitives unilatérales imposées par Washington à son pays [7].

Caracas : à Lidice, bouteilles de gaz domestique à recharger.

Le chemin ayant été ouvert par le démocrate Obama, Donald Trump et ses « boys » s’engouffrent et fignolent une opération de « changement de régime ». Sanctions financières (août 2017) ; mesures destinées à rendre impossible l’achat d’aliments par le gouvernement vénézuélien (novembre 2017) ; blocus de PDVSA, de ses filiales, et de toute l’industrie pétrolière (janvier 2019) ; poursuite des entreprises étrangères collaborant avec Caracas (février 2020) ; saisies illégales des avoirs vénézuéliens à l’étranger – CITGO, filiale de PDVSA aux Etats-Unis (valeur : 7 milliards de dollars ; revenus annuels : 11 milliards de dollars) [8] ; Monómeros Colombo Venezolanos S.A., entreprise pétrochimique située en Colombie (valeur opérationnelle : 295 millions de dollars en 2018) ; 31 tonnes d’or appartenant à la Banque centrale vénézuélienne et séquestrées par la Banque d’Angleterre (1,2 milliard de dollars)… Au total, plus ou moins 25 milliards de dollars séquestrés.
Pas moins de deux lois du Congrès des Etats-Unis, sept ordres exécutifs et 352 mesures de sanctions directes contre des personnes, des entreprises, des navires et des avions, servent de base à ce cocktail assassin !
Tous les secteurs du pays s’en trouvent affectés. Très souvent défaillant, le système électrique a été installé avec des technologies américaines et européennes. « Dès 2014, ces entreprises ont refusé de venir au Venezuela pour faire la maintenance ou vendre des pièces de rechange, nous confie le 10 novembre le ministre de l’Industrie (et ex-ministre des Affaires étrangères) Jorge Arreaza. Alors, il peut y avoir un manque d’investissement de l’Etat à un moment donné, on doit admettre qu’on fait des erreurs, mais, fondamentalement, l’état du réseau est dû aux sanctions. [Comme pour Siemens avec l’eau], importer une pièce de General Electric est devenu impossible. On a pu en substituer quelques-unes, avec l’aide d’une entreprise chinoise, mais ce n’est jamais vraiment équivalent. »

Pour les mêmes raisons, l’industrie pétrolière, assise depuis plus d’un siècle sur des technologies, des équipements et des outillages importés des Etats-Unis, s’effondre progressivement. Plus de matériel, plus de pièces de rechange, plus de maintenance efficace au quotidien. Ses ressources diminuant, le Venezuela commence à avoir des difficultés pour importer des aliments. « Ce n’est pas que le pays ne produisait pas, précise Clara Sánchez. Depuis l’arrivée au pouvoir de Chávez, la production a considérablement progressé. Mais la population a aussi augmenté, de même que son niveau de vie et donc sa consommation. De sorte qu’il fallait importer [9]. » A partir de 2015, pénuries organisées, interminables files d’attente et « bachaqueo » (vente d’aliments au marché noir) pourrissent la vie des Vénézuéliens. Pour desserrer l’étau et protéger la partie de la population la plus vulnérable, le pouvoir crée les Comités locaux d’approvisionnement et de production (CLAP), un programme fournissant des aliments subventionnés à six millions de familles. « A peine ce programme a-t-il été lancé qu’il est devenu, sans aucune logique, le programme le plus attaqué du monde ! En Argentine, il y a 11 millions de personnes dans les cantines populaires : s’en prendre à ces “comedores” ne viendrait à l’idée d’aucune personne sensée ! »

De l’alimentation utilisée comme arme de guerre : pour que les Vénézuéliens se retournent contre Maduro, il faut les faire mourir de faim. Dès 2016, l’Assemblée nationale (AN) 2016-2020, dominée par l’opposition et d’où sortira l’ « autoproclamé » Juan Guaidó, dénonce les CLAP ; à la tête de la Commission permanente de contrôle de l’AN, le plus ardent à la manœuvre s’appelle Freddy Superlano. De leur côté, Washington et ses comparses du Groupe de Lima popularisent le thème de « la crise alimentaire la plus grave du monde » tout en traquant les entrepreneurs nationaux et internationaux qui fournissent de la nourriture à la République bolivarienne. Le 25 juin 2018, l’Union européenne sanctionne des membres de l’administration vénézuélienne, dont ceux opérant dans le secteur de l’alimentation. Un exemple parmi cent : poursuivies cette même année 2018 sous la pression des Etats-Unis, les entreprises mexicaines El Sardinero, Delmar Logística, Almacenes Vaca et Rice & Beans devront payer chacune une amende de 750 000 dollars et s’engager à ne plus fournir d’aliments aux CLAP.
Cible de la même stratégie mortifère, un entrepreneur colombo-vénézuélien, Alex Saab, se retrouve au cœur de la tourmente. Aliments, médicaments, combustibles, il contribue à fournir au Venezuela des biens essentiels achetés à l’étranger. Financé à hauteur de 200 000 dollars annuels par l’Open Society Foundation du banquier George Soros et par la National Endowment for Democracy (NED) étatsunienne [10], le site d’opposition Armando.info, dont les journalistes vivent à Miami et Bogotá,publie une série d’ « enquêtes » faisant du « corrompu » Saab l’homme de paille de Maduro. Ça éclabousse, ça mitraille sec ! Reprise par les sites RunRun.es, El Pitazo et Efecto Cocuyo, très populaires au sein de l’opposition vénézuélienne, amplifiée par les médias internationaux, la campagne « Maduro-Saab-corruption-CLAP » est lancée. Arrêté illégalement au Cap-Vert le 12 juin 2020, alors qu’il se rendait en Iran pour y passer des accord commerciaux, Saab sera extradé aux Etats-Unis le 17 octobre 2021, accusé d’être à la tête d’un vaste réseau ayant permis au président vénézuélien et à son gouvernement de détourner l’aide humanitaire destinée aux habitants [11] !

Guerre sale, non conventionnelle, mais totale. Non seulement l’embargo a bloqué les exportations de pétrole, mais il a également interrompu les importations de diluants, nécessaires au raffinage du brut lourd en essence raffinée pour la consommation intérieure. Les pénuries d’essence et de gas-oil qui en résultent obligent les autorités à mettre en place des plans de rationnement et à chercher de nouvelles sources d’approvisionnement. « En 2020, les Etats-Unis ont tenté d’empêcher la fourniture de combustible venu d’Iran, rappelle Clara Sánchez. Faute de carburant, tracteurs et transports intérieurs étaient censés s’immobiliser ! Ils espéraient que l’agriculture et la production nationale d’aliments allaient s’effondrer et affecter encore plus la population… »

Rubio : dans le quartier La Palmita.

Une bouteille d’eau minérale (un litre et demi) : « Un dollar ! », annonce cette commerçante de l’avenue Baralt, dans le cœur battant et populeux de Caracas. Tout est à « un dollar » ou à l’un de ses multiples. Un compte rond, parfois assez exorbitant. Mortel pour le pouvoir d’achat. Il n’empêche : c’est la guerre pour posséder des petites coupures. En ce qui concerne les « cents », inutile d’en chercher : il n’y en a pas. Ici, si nécessaire, pour l’achat d’une « empanada [12] », après un rapide cliquetis de la calculette, on vous rend la monnaie en bolivars (la devise nationale). Là, faute d’en disposer, on vous propose l’équivalent de la somme due en bonbons.
Le bolivar ? Le pays souffre depuis des années d’une pénurie de monnaie locale en liquide. Celle-ci ne croît pas au même rythme que les prix. Voici peu, les Vénézuéliens se sont réveillés avec six zéros en moins sur leurs billets. L’hyperinflation a fait perdre toute valeur au bolivar. L’achat du plus simple des produits donnait lieu à des transactions en millions.

Ce 19 novembre, la Banque centrale du Venezuela (BCV) annonce une parité de 4,58 bolivars pour un dollar. Dépourvu de toute légitimité, le site @Monitor Dólar Vzla, pour le même billet vert, indique, lui, 5 bolivars. Curieux ? Non, pas particulièrement. Le procédé ne date pas d’hier. Il rappelle la période au cours de laquelle, à partir de 2015, le «  Dolar Cúcuta », du nom de la ville colombienne posée sur la frontière, a imposé sa loi. Depuis le 5 mai 2000, sous la présidence d’un Andrés Pastrana hostile à Chávez, la Banque Centrale de Colombie (BCC) a institutionnalisé une double législation pour l’échange peso/bolivar : l’une officielle, établie par et pour la BCC, l’autre permettant aux maisons de change des zones frontalières, très liées au narco-paramilitarisme, d’établir elles-mêmes, de façon aussi indépendante qu’arbitraire, la valeur des devises. De mèche avec le site internet d’opposition vénézuélienne Dolar Today – https://dolartoday.com/ –, hébergé aux Etats-Unis, ces bureaux de change ont créé de toutes pièces et officialisé les taux exorbitants du marché noir, générant des distorsions et engendrant un cycle inflationniste incontrôlable dans l’économie vénézuélienne. Phénomène aggravé à l’époque par un écoulement massif de billets vénézuéliens en dehors des frontières du pays – les faisant disparaître de fait [13].
Après seize ans d’un régime sévère de contrôle des changes, la libre convertibilité du bolivar a été rétablie le 29 août 2019, dollarisant de fait une bonne partie de la vie quotidienne. « Libérer l’usage du billet vert a permis de stabiliser un peu l’économie et, d’une certaine manière, d’atténuer les déséquilibre provoqués par la guerre économique et l’attaque sur le bolivar, explique Carlos Ron, vice-ministre des Affaires étrangères pour l’Amérique du Nord. Evidemment, ce n’est pas l’idéal ; ce sont des mesures prises au milieu d’une situation qui n’a de comparaison avec aucune autre période historique. »
 
De San Cristobal, la capitale du Táchira, un toboggan farci de nids-de-poule de 42 kilomètres s’engouffre entre les montagnes pour rejoindre Rubio. Un car « full », les bagages entassés à l’arrière, pas de place pour les jambes – en résumé, rien à signaler. En revanche, impossible de payer dans le bus qui nous mène de la gare routière au centre de Rubio. Le chauffeur n’accepte ni les bolivars ni les dollars et nous n’avons pas de… pesos.
« Nos enfants ne connaissent pas le bolivar, rit Yosaida Izarra, fondatrice et animatrice de la radio communautaire Kanya FM. Ici, toutes les transactions sont soit digitales soit en monnaie étrangère. Il y a un an que je n’ai pas vu un billet vénézuélien. »
Rubio : petite ville possédant un quartier colonial et andin, des générateurs électriques posés devant certains magasins (pour pallier aux coupures d’électricité), un marché couvert aux venelles très animées, des fruits et des légumes à profusion, un énorme (et très laid) gymnase de plusieurs étages construit par Chávez (personne n’est parfait), des loteries permettant de gagner qui une auto, qui une bicyclette, qui un jouet, la place Bolivar et sa cathédrale d’où sortent des fidèles plus passionnés par la prise de selfies que par leur récente rencontre avec Notre-Seigneur Jésus-Christ, un simulacre électoral organisé face à la caserne de la police par le Conseil national électoral (CNE), de la publicité à la radio pour le parti d’opposition Action démocratique et un médecin spécialiste établi à Cúcuta (Colombie), des taxis collectifs qui, en quarante minutes, mènent à San Antonio – précisément en face de Cúcuta, située de l’autre côté du río Táchira.

Sortie de la messe à Rubio.

Cette zone frontalière a toujours été aussi active que perméable. Depuis longtemps, côté vénézuélien, on y utilisait les deux monnaies. « Tu allais à Cúcuta et tu payais avec des bolivars sans problème ; les colombiens venaient ici et réglaient en pesos, il n’y a jamais eu aucune difficulté. » Celles-ci commencent avec la guerre contre le bolivar – « une guerre par laquelle on cherche la disparition de notre monnaie ». Lorsque celle-ci s’est effondrée, sous les coups de boutoir de Dolar Today, les commerçants, pour se protéger, ont tout converti en pesos. On peut le comprendre : ils vendaient en monnaie nationale et, quand ils allaient se réapprovisionner, leurs bolivars étaient déjà complètement dévalués. « A Ureña [également sur la frontière], la plupart des commerces – Supercosmo et tout ça – ont péri, commente Mariano Rangel. Alors est apparu le thème de la substitution de la monnaie. Dans le pays, ça a été le dollar. Ici, le peso, depuis deux ans… »
On rajoutera que cette « colombianisation de fait » a été favorisée par la double nationalité dont peuvent se prévaloir de très nombreux habitants de la région. Celle-ci leur permet d’ouvrir des comptes bancaires et de participer au système financier colombien. On estime que, dans le Táchira, entre 20 % et 30 % des transactions numériques sont effectuées via des plateformes du pays voisin – Nique ou Bancolombia.
Pour autant, Ixiareny Godoy « résiste », comme elle dit. « Je suis payée en bolivars. Beaucoup de gens courent dans les commerces de Rubio, qui possèdent des comptes en Colombie, car ils y ont des affaires, et changent leurs bolivars en pesos à un taux qui leur fait perdre énormément. Alors, je préfère payer tout ce que je peux en “bolos”, par carte ou par le système biométrique. »
Dollar, peso… Le bolivar « souverain » serait-il condamné ? « On a impulsé une politique de digitalisation des paiements », commente Carlos Ron, à l’évocation de la situation. Cartes bancaires ; système biométrique avec prise d’empreinte digitale ; application de paiement mobile par téléphone portable ; Petro (crypto-monnaie lancée en février 2018) : « L’objectif est de faciliter au citoyen le paiement au quotidien pour contrecarrer la guerre contre le bolivar papier. » Un sourire confiant, puis : « Rien n’est perdu. La population vénézuélienne est très jeune, domine l’utilisation des réseaux sociaux et des téléphones intelligents. Ça facilite la transition à ce type de monnaie. »

Porte-parole du conseil communal de Baritalia, Rosario Rangel laisse fuser un léger rire : « La frontière n’existe pas. C’est nous qui l’avons inventée. » Mariano, son époux, esquisse un imperceptible signe de tête : « Je suis un descendant de Colombiens. On s’est installés ici, on n’est jamais repartis. » D’où la remarque de Yosaida Izarra, à Rubio : « Les Colombiens cohabitent avec nous. Qui n’a pas de sang colombien, ici ? On en a tous. Ça nous unit. Le problème c’est les mercenaires. »
Vallées profondes entourées de vertes montagnes, le Táchira fait face au Nord Santander, un département colombien particulièrement sulfureux. A deux heures trente de sa capitale Cúcuta, et donc de la vénézuélienne San Antonio, s’étend une zone de culture de la coca contrôlée par des groupes structurés de la délinquance organisée. Les narco-paramilitaires – Autodéfenses gaitanistes de Colombie (AGC) et Rastrojos. Ceux-là même, Los Rastrojos, qui ont aidé « le sauveur du Venezuela » Guaidó à traverser clandestinement la frontière, le 22 février 2019, lors du fameux épisode de l’ « aide humanitaire » censée entrer au Venezuela depuis la Colombie [14].
Ces groupes criminels ont eu un rôle de premier plan dans le pillage du Venezuela à travers ce qu’on a appelé la « contrebande d’extraction », un fléau endémique des années allant de 2015 à 2018. Compte tenu de leur prix subventionné (de 30 % à 80 %), la valeur du lait, du sucre, du riz, des produits de toutes sortes, des médicaments, mais aussi des combustibles, pouvait être multipliés par dix en arrivant dans le pays voisin. Grâce à ce trafic et à une effervescence phénoménale, de grands centres commerciaux se sont développés à Cúcuta, où il n’y avait jamais eu un supermarché. Le Venezuela, lui, s’enfonçait dans les pénuries.

Radio communautaire, Kanya FM est née à Rubio le jour du coup d’Etat contre Chávez, le 11 avril 2002. « Les médias faisaient silence et disaient qu’il s’agissait d’un vide de pouvoir, relate Yosaida Izarra. Quelqu’un nous a appelé depuis Caracas et nous a raconté ce qui se passait. On a utilisé un ordinateur, un micro et une antenne montée sur le toit d’une boulangerie. Ça appartenait à un journaliste. On a dénoncé le “golpe”. On n’avait pas la puissance suffisante pour couvrir tout le “municipio”, mais on a été entendus. » Dix-neuf ans plus tard, la radio est toujours aussi engagée. Ce 31 octobre, dans un petit « patio », on y fait la fête. On commémore Ali Primera, le « chanteur du peuple », qui, s’il n’était mort dans un accident de la route en février 1985, aurait eu ce jour 80 ans. Les intervenants se succèdent au micro, un chanteur à guitare reprend des mélodies connues de tous, un gros gâteau se présente à la découpe, chacun tend son verre pour qu’on le lui remplisse, l’espace s’emplit de rires et d’applaudissements.
L’ambiance n’est pas toujours aussi sereine dans ce Táchira considéré comme « guarimbero ». Gouverné par l’opposition en la personne de Laidy Gómez (Action démocratique), il a de fait été secoué en 2014 et 2017 par les fameuses « guarimbas » insurrectionnelles. Depuis le début des années 1990, le COPEI (social-chrétien) et la Table d’unité démocratique (MUD ; droite) alternent à la mairie de sa capitale San Cristobal.
Par ailleurs, nous confie le directeur de Kanya FM, Sergio Bonillas, « cette zone est affectée par les groupes irréguliers. Il y en a des deux côtés. » Exact. Quelques jours plus tard, à une quinzaine de kilomètres de Rubio, on nous signalera soudainement : « Ici, c’est zone de guérilla. » Et comme nous levons un sourcil : « L’ELN [Armée de libération nationale] traîne dans le coin. » Guêpier militaire inextricable, le conflit colombien s’invite à l’occasion en territoire vénézuélien [15]. Ses combattants se mêlent aux populations civiles.
Toutefois, et en tout état de cause, pour les chavistes, le plus grand danger se nomme « paramilitarisme ». L’extrême droite du pays voisin, en parfaite supplétive du président Iván Duque. « Ces groupes sèment la peur de s’exprimer et on perd notre liberté, continue Bonillas. J’ai le programme “Opinion” de la radio et les amis me disent : “Fais attention”. » Dans le hameau d’El Bojal, « c’est dangereux d’être un leader social et de défendre le drapeau de Chávez », considère Hendry Suazo. Mais… « Les miliciens veillent sur l’entrée et la sortie de la commune », précise-t-il aussitôt.
Pour ne rien arranger, des individus se font passer pour membres de ces groupes et, par téléphone ou internet, jouent avec la peur pour exiger le versement d’une rançon – la célèbre « vacuna » (vaccination).

Dans les locaux de la radio communautaire Kanya FM, à Rubio, pour le 80e anniversaire de la naissance d’Ali Primera.

« Avant, les Colombiens venaient ici, maintenant c’est l’inverse », nous fait-on remarquer.Bien que Baritalia soit une communauté rurale et que les gens y possèdent des cultures, la crise les a poussés à émigrer. Une part notable de la main d’œuvre de la zone se trouve dans le pays voisin. Combien de personnes ? Nul ne le sait. Et encore moins à l’échelle du pays. Les estimations les plus fantaisistes circulent. La surenchère bat son plein. En avril 2019, des chiffres supposément « officiels » évoquaient environ 3,7 millions de personnes ; en mai, la plateforme régionale de coordination inter-agences du Haut-commissariat pour les réfugiés de l’ONU (HCR) tabla sur 4 001 917 ; deux mois plus tard, pas un de plus, l’Organisation des Etats américains (OEA) lançait une opération de basse propagande permettant de passer – Hop ! Hop ! Hop ! – à un intéressant… 6 millions ; vexée de se faire déborder, l’ONU renchérit : ce serait 6,6 millions en 2020 et 7 millions en 2022. Informations bien entendu reprises sans distance critique ni investigation – mais n’est-ce pas ainsi que le monde médiatique procède aujourd’hui ?

Double avantage. Les intérêts politiques et financiers sont colossaux. D’une part, l’amplification à l’extrême du nombre des migrants vénézuéliens permet de dénoncer devant les opinions publiques « les politiques dévastatrices de Maduro ». D’autre part, l’argent coule à flots. Dans un rapport de février 2020, sous l’administration Trump, le Département d’Etat a divulgué le montant de ses contributions versées depuis 2016 à « l’aide humanitaire aux Vénézuéliens » : plus de 656 millions de dollars. Avant que Trump ne quitte le Bureau ovale, en janvier dernier, la même administration annonçait que le montant de la contribution étatsunienne « en aide aux Vénézuéliens vulnérables » était de 1,2 milliard de dollars. A titre indicatif, les fonds de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) se sont élevés à 507 millions de dollars pour les années fiscales 2017-2019, dont 260 millions de dollars pour l’aide censée être gérée par les gouvernements des pays (de droite) environnants, et 247 millions de dollars pour l’« aide au développement », directement tombée dans les poches de l’équipe de Guaidó.

En juin 2021, organisée par le Canada, la Conférence internationale des donateurs en solidarité avec les réfugiés et migrants vénézuéliens a promis plus de 1,5 milliard de dollars de subventions et de prêts, 954 millions étant destinés aux pays d’accueil d’Amérique latine et des Caraïbes. Lesquels, pour toucher un pactole maximum, ont tout intérêt à gonfler les chiffres. Le filon intéresse également une pléthore d’organisations non gouvernementales (ONG), « solidaires », certes, mais pas forcément toujours désintéressées.
Le 30 mars 2020, Uniminuto, une radio universitaire colombienne, a effectué un décompte des ressources reçues par la seule Colombie : 950 millions de dollars depuis 2017, sans compter les sommes octroyées par le HCR, l’Eglise catholique et autres organismes. En septembre 2019, l’Union européenne transférait 30 millions d’euros à Bogotá, suivie, un mois plus tard, par l’Espagne (50 millions d’euros). Seulement, note Clara Sánchez, « dans ce pays qui prétend recevoir le plus de migrants vénézuéliens, avec presque 2 millions de personnes, seules 500 d’entre elles ont réussi à achever les démarches permettant d’avoir accès au récent Statut de protection temporaire (SPT) sur les 15 000 qui les ont commencées. C’est loin de l’objectif annoncé pour cette année 2021, qui était de 800 000 régularisations [16] ! » De là à dire que la réalité n’est guère conforme aux assertions du gouvernement colombien et qu’on peut légitimement s’interroger sur le nombre réel des « réfugiés » vénézuéliens, il n’y a qu’un pas…
« Le départ de familles entières n’a pas fonctionné, nous explique ainsi Mariano Rangel, connaisseur, pour le moins, de son environnement immédiat. Partir est bon pour l’homme qui s’en va et laisse les siens sur place, ce qui est le plus fréquent. Il est là-bas, dans le secteur agricole, mais il a sa famille ici, à qui il envoie de l’argent… »

Rubio.

Il n’y a pas si longtemps, des combustibles à la nourriture, la contrebande fonctionnait dans le sens Venezuela – Colombie. Le flux s’est inversé. Huile, lait, viande, shampooing : n’importe quel magasin du Táchira regorge aujourd’hui de produits colombiens. « C’est une question de prix. Il existe une production vénézuélienne, mais, du fait de l’hyperinflation, elle est désormais plus chère que celle du pays voisin. »
Outre les mafias paramilitaires, trafiquant à très grande échelle, des milliers de personnes, des deux côtés de la frontière, dépendaient d’une source de revenus informelle : la contrebande d’essence vénézuélienne. Installés avec leurs bidons de 25 litres, côté Colombie, des cohortes de vendeurs improvisés – les «  pimpineros » – se succédaient le long des principales voies du Nord Santander, chacun s’en souvient.
Pour mettre un terme à ce juteux trafic de l’essence « la moins chère du monde », car subventionnée, le gouvernement bolivarien a mis en place un double système de distribution : l’un, au prix « international », inabordable pour la plupart des Vénézuéliens ; l’autre subventionné, pour toute la population qui dispose du Carnet de la patrie (une carte d’identité biométrique destinée à gérer les programmes sociaux). Problème réglé ? Pas vraiment…
 « On vit maintenant de l’essence colombienne et on la revend », grogne la chaviste qui nous accompagne en stoppant son auto mal entretenue – faute de pièces de rechange, devenues introuvables ou hors de prix – devant une demeure d’où sort une jeune fille portant un gros récipient en plastique plein de carburant. Sur ce sujet, notre interlocutrice peut se montrer intarissable : « D’abord, l’essence subventionnée n’arrive pas régulièrement. Elle est rationnée. Quand il y en a, les autorités décident qui y a accès, en fonction de sa plaque d’immatriculation. Aujourd’hui, à 5 heures du matin, est sortie l’annonce : pour le “municipio” Junín [chef-lieu : Rubio], seront servies les voitures dont le numéro se termine par 6. Moi, j’ai 2. Je ne sais pas quand je pourrai faire le plein. D’autre part, notre essence, pour des raisons que j’ignore [mais qui sont liées aux sanctions imposées à PDVSA], est de mauvaise qualité. Elle abîme les moteurs des véhicules. Donc, on la mélange avec de l’essence colombienne. »
La démerde, la débrouille, la bidouille permanentes. Alors, la population fatigue. Toute « chaviste » qu’elle soit, notre conductrice « en a marre », vomit sur le protecteur du Táchira [17], Freddy Bernal – « Il a surtout protégé ses amis, regardez les routes, elles sont dans un état déplorable ! » –, sur le maire – « un corrompu ! » –, sur « les mauvaises décisions prises par les politiques », sur les CLAP – « qui n’arrivent pas régulièrement » –, sur les programmes sociaux – « qui fonctionnent de moins en moins bien » – et ne sait même pas si elle ira voter.

Mission médicale « Barrio Adentro » (« Au cœur des quartiers ») à Rubio.

Tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. La guerre non conventionnelle menée par Washington et ses alliés atteint son but. Epuiser la population. Y compris celle qui hier, massivement, portait la révolution.
Au cœur du processus, se trouvent les conseils communaux – quarante-sept mille dans tout le pays – chargés de gérer, planifier et gouverner au niveau des communautés. Le peuple organisé de la fameuse démocratie « participative et protagonique ». « En 2006, quand a été promulguée la loi, il y a eu un enthousiasme pour le pouvoir populaire et la participation, se souvient Mariano Rangel. Dans le cas de Baritalia, on a formé notre conseil, avec des gens d’ici et on a présenté des projets pour résoudre les problèmes qui affectaient la population. A partir de programmes gratuits pour les familles, on a obtenu des logements en bonne condition. On a changé les toitures, on a asphalté les rues, on a arrangé l’école, la maison communale. » Ont accompagné, dans cette première phase, des améliorationsen matière d’accès à l’eau potable et à l’électricité. « Avec la mort de Chávez est survenu un premier recul et, ces dernières années, le niveau de participation a baissé de manière significative. Les citoyens sont plus préoccupés par leurs problèmes quotidiens et la situation alimentaire… Les droits de participation politique passent au second plan. » Ce pour les résultats de l’agression. S’y ajoutent les contradictions inhérentes à tout projet, quand bien même il serait révolutionnaire…

« Nous, au niveau des conseils communaux, on est en autogestion, vous confie-t-on à El Bojal. Mais il y a un choc de pouvoirs avec la bureaucratie. Elle ne veut pas reconnaître qu’il y a un peuple organisé, une transformation, un Etat dans l’Etat. »
Une institution est un organisme vivant. Son premier instinct est de survivre. « Indifféremment de qui gouverne, confirme Mariano Rangel, révolutionnaire ou opposant, il y a une tendance à ne pas permettre la participation citoyenne. En théorie, au sein du “municipio”, doivent être impliqués le maire, les conseillers municipaux et les représentants communautaires. Les maires font leur possible pour coopter ces représentants et il n’y a ni planification participative ni discussion du budget. »
Même critique adressée au système éducatif. A travers les conseils scolaires, il prévoit des espaces de participation. Il a fait peu en la matière. « Il y a une tendance qui persiste, tant au niveau des ministères que des directeurs et des enseignants, de maintenir une certaine verticalité. » Par ailleurs, même à la base, nul n’est parfait.Loin du vide absolu des principes, des abstractions et de la course à la pureté idéologique, la « démocratie participative » doit composer avec ce qu’on nommera le facteur humain. « D’une certaine manière, il y a une forme de paternalisme au niveau communautaire : tandis qu’une majorité se comporte en simple réceptrice des bénéfices, seules deux ou trois personnes gèrent les problèmes face aux instances du gouvernement. »

Caracas : « barrio » Altos de Lidice.

« Faisons confiance au peuple » a rappelé le président Maduro : en deux temps, le PSUV organise des primaires ouvertes pour que ses militants choisissent qui les représentera le 21-N. A travers tout le pays, le 27 juin, 14 381 assemblées départagent les membres qui soumettent leur candidature : 60 % sont des femmes, 83 % ont moins de 50 ans et la moitié entre 21 et 30 ans ; 10 % seulement des maires en place se représentent, plus de 90 % des aspirants à cette fonction postulent pour la première fois. Difficile de faire mieux en matière de participation de la base et de renouvellement [18]. Seulement, il y a toujours quelques exceptions à n’importe quelle règle. Si la différence séparant deux candidats est trop mince, le parti intervient : « Nous voulons (…) qu’il n’y ait pas de positions irréconciliables provoquant qu’un groupe parte dans un sens et un autre dans l’autre, a clairement indiqué le vice-président du PSUV, Diosdado Cabello ; dans ces cas-là, la révision intervient. » Et, de fait, en certaines circonstances, le parti impose son choix, souvent en la personne d’un troisième larron.
Ces quelques exceptions n’obèrent en rien l’exemplarité de l’ensemble du processus. Mais elles provoquent des crispations – par exemple dans les « municipios » de Maracaibo, San Francisco, Cabimas et Santa Rita (Etat de Zulia) ; ou à San Antonio del Táchira, où le jeune maire William Gómez, très populaire chez les militants, a été écarté au profit de l’aspirante Sandra Sánchez ; ou à… Rubio. « Au final, le parti décide ce qu’il considère comme satisfaisant ses intérêts, s’emporte Ixiareny Godoy. Pas les nôtres. Les nôtres étaient représentés par ceux pour qui nous avons voté. A primé l’intérêt de quelques-uns sur l’intérêt collectif et ça a généré de la désillusion. Notre parti, car ici on est tous PSUViste – elle montre du doigt Mariano et Rosario Rangel, qui participent à la discussion – nous a tourné le dos. Et il y a une fracture. Quelques-uns résistent et restent, par discipline, mais d’autres s’en vont. Comment tu les reconquiers ? »

Pour de multiples raisons, la fatigue, la déception voire une sourde colère érodent le chavisme. Aux causes précédemment évoquées, on ajoutera la corruption ou l’inefficacité de certains élus. La gestion des pourparlers avec la droite honnie, celle de Guaidó : « L’Etat recule. On veut la paix, c’est bien, mais on cède sur des points clés. Si on négocie, il faut le faire dans le cadre de la légalité et de l’état de droit, sans céder sur les principes. Ceux-là, on ne peut pas les toucher. » Le doute aussi devant certaines initiatives prises par le pouvoir pour desserrer l’étau du blocus, à l’image du projet des Zones économiques spéciales (ZES) destinées à augmenter la production nationale et les exportations en attirant les investisseurs locaux et étrangers – « Une néo-privatisation ! » – ou les marques de rapprochement avec le patronatLe Parti communiste vénézuélien PCV) va plus loin encore, qui a rompu avec le pouvoir (sans rallier la droite, cela va de soi). D’après son secrétaire général Oscar Figuera, la gestion de l’administration de Maduro « n’a plus rien à voir avec le projet politique proposé par Chávez ».
A Caracas, dans le quartier Altos de Lidice, une militante pure et dure, chaviste jusqu’au bout des doigts, lève les bras au ciel avec amusement : « La vie est difficile, jusqu’à nos enfants basculent dans l’opposition ! »
A l’évidence, désaffection ou abstention n’épargneront pas cette famille politique le 21-N.

Caracas.

Guaidó : le naufrage. Il allait tout casser, diviser l’armée, provoquer l’intervention des « marines », pulvériser le chavisme, mettre fin à l’ « usurpation » de Maduro. Trump l’avait fait roi, l’Union européenne l’adorait, les médias du « premier monde » le couvaient tendrement. Echec total. Sa seule réussite est d’avoir affamé ses compatriotes en réclamant chaque jour davantage à Washington et à ses supplétifs de la « communauté internationale » des sanctions cruelles contre son pays. Depuis le 5 janvier 2021, il n’est même plus député [19]. Des secteurs de l’opposition lui ont tourné le dos et entretiennent des relations institutionnelles normales avec le pouvoir. Malgré les appels au boycott des dernières élections,certains d’entre eux siègent au Parlement et sont présents dans les gouvernements locaux et régionaux.
 Guaidó est assez à cran ces temps-ci. Il continue toutefois à jouer les présidents imaginaires. En mai 2021, il a présenté sa nouvelle trouvaille : « Oui, j’appelle à la protestation organisée et civique pour réclamer nos droits, oui, j’appelle à manifester pour sauver le Venezuela et exiger un Accord de salut national. Cet accord ne viendra pas tout seul, il viendra en exerçant la majorité, en faisant descendre le plan « Sauvez le Venezuela » dans la rue ! » La rue… Elle reste vide. Il y a belle lurette que les opposants, déçus, frustrés, écœurés, désabusés, ont cessé de prendre ses appels au sérieux.

Cette fois, la cavalerie ne vient pas au secours de Guaidó. Prenant acte du fiasco de sa stratégie, Washington, depuis Bogotá, par la voix de l’ambassadeur James Story, annonce au G-4, la coalition des quatre principaux partis d’opposition – Volonté populaire (VP), Primero Justicia (Justice d’abord ; PJ), Action démocratique (AD), Un Nouveau Temps (UNT) – qu’elle soutiendra le « président intérimaire » jusqu’au 1er décembre 2021. « Au-delà de cette limite, votre billet n’est plus valable », semblent dire les maîtres à leur commis en autorisant ou en ordonnant à la droite radicale vénézuélienne d’accepter le « dialogue » proposé en permanence par le gouvernement de Maduro.
Qu’on n’y voie pas un relâchement de la « pression maximum ». Il s’agit de poursuivre le même objectif, mais par d’autres moyens. Alors que, désireux de voir lever les mesures coercitives, Maduro a libéré Freddy Guevara (VP), condamné pour incitation à la violence, Story, depuis le programme « Aló Embajador », qu’il diffuse sur Facebook, YouTube et Twitter, assène un explicite : « Lever les sanctions serait une erreur, tant qu’il n’y aura pas des changements irréversibles, fort importants pour la restauration de la démocratie au Venezuela ».

Les conversations n’en débutent pas moins le 13 août à Mexico, facilitées par leRoyaume de Norvège, accompagnées par la Fédération de Russie et les Pays-Bas. A contrecœur, mais le dos au mur, Guaidó nomme l’équipe des négociateurs de la Plateforme unitaire, que dirigera Gerardo Blyde, ex-député de Primero justicia passé à Un Nouveau Temps. L’accompagnent entre autres Freddy Guevara, Tomás Guanipa (secrétaire général de Primero Justicia), Stalin González (membre de la direction d’UNT), Luis Aquiles Moreno (sous-secrétaire général d’Action démocratique), Roberto Enríquez (membre de Copei, vieille formation historique de la IVe République).
Président de l’Assemblée nationale, Jorge Rodríguez emmène la délégation du gouvernement qui, elle, ne parle que d’une seule voix.
De ces premières conversations sortent les accords qui vont permettre l’organisation de la « méga-élection ». En effet, au sein de la délégation de droite, cohabitent des « durs » (VP), mais aussi des représentants des partis moins fondamentalistes (PJ, AD). En geste d’ouverture, le pouvoir accorde à l’opposition deux des cinq postes exécutifs du Conseil national électoral (CNE) et invite une mission de l’Union européenne pour observer la prochaine consultation.

Rubio ; simulacre électoral permettant de se familiariser avec la machine électronique.

Indépendamment de ces avancées, un ou deux points sautent immédiatement aux yeux : le 13 mai, à Mexico, le Mémorandum d’Entente sur le processus de dialogue a été signé entre la Plateforme unitaire et… « le gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela ». Une opposition qui, il y a peu encore, dénonçait « l’usurpation  » et proclamait le pouvoir « illégitime », rend à César ce qui appartient à César et met fin à la fiction du « gouvernement Guaidó ». Qui plus est, le 6 septembre, l’Accord partiel pour la protection de l’économie vénézuélienne et la protection sociale du peuple remet implicitement et explicitement en cause les sanctions.
Le segment le plus lié aux intérêts de Washington se rend compte qu’il perd du terrain. A l’extrême extrême droite, l’ultra-radicale María Corina Machado multiplie les diatribes contre les discussions : « Il n’y aura pas de fin à la faim, à la violence, à la misère, pas une pièce de monnaie ou un revenu qui vaille quelque chose. Pas tant que la mafia ne sera pas hors du pouvoir. Tout le reste n’est que de l’eau chaude et des miettes pour les collabos ! » Vice-présidente et ministre des Affaires étrangères colombienne, Marta Lucía Ramírez s’en mêle, bien que personne ne lui ait rien demandé (sauf peut-être ses amis Leopoldo López, le leader de VP installé dans le quartier le plus chic de Madrid, et Guaidó) : « Le dialogue au Mexique est une tentative timide contre laquelle nous ne voulons pas poser une charge de dynamite, mais nous devons être très clairs sur le fait que si l’objectif de la négociation est un dialogue, il ne conduira pas vraiment à un changement profond [20]. »
Le 17 octobre, semblant répondre à ces appels, l’extradition de Saab du Cap-Vert vers les Etats-Unis porte un rude coup aux pourparlers. « Sabotage, s’interroge Carlos Ron ? Je pense que oui. D’une certaine manière, à travers la table de négociation, ils voulaient obtenir ce qu’ils n’ont pas pu gagner dans la rue. Quand ils ont vu que, dans le cadre de ce dialogue, on avançait positivement et que leur espace se réduisait, ils ont prétendu siffler la fin de la partie. »

Semi-satisfaction pour les faucons : si le président Maduro suspend immédiatement les négociations, les élections du 21-N ne sont pas remises en question. Que faire ? Le 9 octobre, Freddy Guevara (membre de la délégation de la Table unitaire), Carlos Vecchio (pseudo-ambassadeur de Guaidó aux USA) et Leopoldo López (le chef d’orchestre) se réunissent avec les influents sénateurs démocrates Bob Menéndez, président de la Commission des relations extérieures des Etats-Unis, Dick Durbin, numéro deux («  Whip ») de la majorité démocrate au Sénat, et Tim Kaine, colistier à la vice-présidence d’Hillary Clinton lors de l’élection présidentielle de 2016. Ce qui, à court terme, ne résout en aucun cas une sacrée difficulté…

Dans l’antichambre des élections à venir, il n’y a pas une droite mais dix droites. Le 6 avril 2021, un simple « communiqué » a annoncé la naissance de la Plateforme unitaire « utile, complète, inclusive, assurée, efficace et opérationnelle », réunissant quarante partis autour du G-4 et incluant la « société civile ». Le 11 mai, néanmoins, Guaidó semblait ignorer cette annonce lorsqu’il a lancé un appel à un Accord de salut national. Seulement, l’unique « base sociale » de Guaido se trouve à l’étranger : gouvernement américain et supplétifs de l’Union européenne, « exilés » installés en Colombie, en Espagne ou aux Etats-Unis (Julio Borges, Antonio Ledezma, Leopoldo López, Carlos Vecchio). Que l’ex-président du gouvernement espagnol José María Aznar octroie au président imaginaire le Xe prix FAES de la Liberté [21] ne change strictement rien à l’affaire. Le 23 juin, Capriles, ex-gouverneur de Miranda et deux fois candidat de la droite contre Chávez, affirme lors d’un entretien à Bloomberg, qu’il n’a plus aucune relation avec Guaidó : « Ce soi-disant gouvernement provisoire est terminé ». Capriles a quitté le parti qu’il a contribué à créer il y a vingt-deux ans, Primero Justicia, pour fonder une nouvelle formation, La Fuerza del Cambio (le force du changement). Ignorant ostensiblement son ex-comparse Leopoldo López, qui l’attaque furieusement, Capriles appelle à participer « sans complexes » aux élections du 21 novembre.
 
C’est que, entre-temps, composée de partis fermement opposés au chavisme, mais tout autant en désaccord avec la stratégie de la droite extrémiste, l’Alliance démocratique trace son chemin [22] . Avec des résultats modestes, elle a déjà participé aux élections législatives de 2020. Dès lors, pour le G-4, se pose un dilemme face à la prochaine consultation démocratique. Y aller ou pas ? Continuer à boycotter ? Laisser le champ libre aux modérés ? Le G-4 se déchire. Eux-mêmes divisés en différentes tendances, ses partis s’épient les uns les autres, se balancent des coups bas. Tous veulent récupérer le pouvoir. Leur lutte n’a rien d’idéologique. Chaque faction veut sa part d’accès à l’Etat, à l’argent de l’Etat. Ce qui les intéresse c’est le contrôle de PDVSA. Ils se battent pour ça. Et, au-delà de la lutte contre le chavisme, ne partagent guère qu’un objectif, à peine dissimulé : se débarrasser de Guaidó.
La confusion devient telle que, le 24 août, les dirigeants de la Table d’unité démocratique (MUD) – coalition des mêmes protagonistes, fondée en 2010, et dont tout le monde avait oublié l’existence – annoncent leur démission !

Caracas : Altos de Lidice.

Au bout du compte, le pragmatisme l’emporte. Le 31 août, par la voix d’Henry Ramos Allup, le vieux renard d’Action démocratique, la Plateforme unitaire, « poussée par un sentiment d’urgence et afin de trouver des solutions permanentes pour la population », annonce sa participation aux élections. Lorsque Ramos Allup précise « avec l’approbation des Etats-Unis, du Canada et de l’Union européenne », tout un chacun devine qui en réalité a pris la décision (d’avantage Washington que Toronto ou Bruxelles au demeurant). Plus étonnant, en revanche : lors de cette conférence de presse, Guaidó est aux abonnés absents. Questionné, Ramos Allup précise que ce dernier « n’est pas un parti », mais que Volonté populaire, sa formation, participera bel et bien aux différents scrutins. Au grand dam de… Leopoldo López, le véritable « boss » de VP et de Guaido ! López fait immédiatement savoir qu’il est « contre cette participation », mais que la base du parti a fait pression sur lui. Tout fout le camp dans la chefferie ! Pour signifier qu’il existe, Guaido dénonce l’absence de « conditions et de garanties pour des élections libres et justes ». Déclaration en partie occultée par une nouvelle déflagration : douze petits partis de la Plateforme unitaire dénoncent le G-4, qui prend ses décisions sans les consulter. Sachant que, pour avoir refusé les primaires comme moyen de sélection des candidats d’une opposition unie, le G-4 a déjà été fortement critiqué lors du lancement d’une nouvelle formation composée de maires ancrés dans la vie locale, Fuerza Vecinal (Force du voisinage), le 11 juillet.

Sur les 70 000 candidats en lice pour le 21-N, 3 082 seulement appartiennent au chavisme, qui ne présente qu’un candidat pour chaque fonction (avec au mieux un suppléant). Les autres postulants – près de 63 000 ! – appartiennent aux partis, formations et micro-formations de l’opposition. « Plus divisés, tu meurs », s’amuse un observateur ! « Il y a ici des situations qui échappent à la logique politique, ou plutôt à sa narration, observe de son côté Carlos Ron. Un Etat qui, par tradition, ne serait pas difficile à remporter, sera perdu par l’opposition. Et ça peut se passer dans bien des cas. Alors, il ne faudra pas être surpris et, au vu des résultats, penser à des manœuvres irrégulières du pouvoir. »
Aucun message clair, aucun programme, aucune offre politique en direction des opposants de droite qui, ayant mis leurs espoirs dans la supposée présidence intérimaire, se sentent floués. Et plutôt deux fois qu’une. Car, et qui plus est, un parfum permanent de scandale flotte dans le sillage de la « Team Guaidó ». Ces « beaux messieurs » se sont emparés de la porcelaine, de l’argenterie et des bijoux de famille, tout le monde le sait désormais. Censés gérer les fonds des entreprises publiques vénézuéliennes confisquées à l’étranger – CITGO, Monómeros, etc. –, ils ne rendent de comptes à personne sur l’utilisation de ces ressources. Mais de préoccupantes informations remontent à la surface, de plus en plus régulièrement.
Non défendue par ses administrateurs « bidons », occupés à la piller, CITGO risque le démantèlement au profit de deux multinationales qui, expropriées sous la présidence de Chávez, ont porté l’affaire devant les tribunaux étatsuniens – Crystallex International Corp (pour un milliard de dollars) et ConocoPhillips (pour 1,3 milliard). En janvier 2021, un juge fédéral du Delaware, Leonard Stark, a déjà autorisé la vente d’actions de CITGO pour indemniser ces créanciers.
En Colombie, dévastée et menée à la ruine, Monómeros a été placée sous contrôle de la Superintendance des entreprises, c’est-à-dire du gouvernement d’Iván Duque, pour la « protéger » de la faillite. « C’est la vérité, c’est la réalité, cette droite trahit, a férocement commenté le président Maduro. C’est pourquoi nous les appelons le G4RP, le Groupe-des-4-rats-pelés dirigés par le super-grand-rat-pelé Juan Guaidó, je demande pardon à ces innocents petits animaux. »
Même au sein du G-4, la consternation règne. Fin septembre, « horrifié », Primero Justicia a annoncé se retirer des organes de gestion et d’administration des actifs du Venezuela à l’étranger. Devant le désastre, tout le monde proteste de son innocence. Tout le monde se lave les mains. Chacun prend une attitude offensée. Personne n’est responsable de rien – sauf, clament tous leurs complices, Volonté populaire et Guaidó !

Dans la mouvance de ce gouvernement fantoche, la « défense de la démocratie » débouche de fait sur d’épaisses liasses de billets verts. Chavistes en rage et opposants effarés découvrent jour après jour, l’ampleur de la razzia.
 Créé sous les auspices des Etats-Unis, le « gouvernement intérimaire » est financé par l’Office of Foreign Assets Control (Office des actifs étrangers ; OFAC), qui a pris le contrôle des avoirs confisqués à la République bolivarienne. Pour qui l’ignorerait, l’OFAC, division du Département du trésor américain, « administre et fait appliquer des sanctions commerciales et des restrictions économiques basées sur la politique étrangère américaine et les objectifs de sécurité nationale à l’encontre de régimes et pays étrangers, terroristes, trafiquants de drogue internationaux, individus impliqués dans des activités de prolifération d’armes de destruction massive et autres agents pouvant menacer la sécurité nationale, la politique étrangère ou l’économie des Etats-Unis » – tout le monde aura reconnu le Venezuela ! C’est donc auprès de cet organisme que le pseudo-gouvernement, qui ne contrôle strictement rien, mendie son argent de poche. Car il lui en faut…
Sur le territoire national, opèrent de grandes entreprises publiques – PDVSA, Corporación Venezolana del Petróleo, Pequiven, Banque de développement économique et social (Bandes), Corporación Venezolana de Guayana (CVG), etc… Bien que n’ayant aucune prise sur ces entreprises gérées par l’Etat, Guaidó a nommé pour chacune d’elles un conseil d’administration parallèle. Sans exercer aucune activité en quoi que ce soit productive, ces « présidents » et « directeurs » perçoivent un salaire de 2 500 à 3 000 dollars par mois.
Treize « magistrats » titulaires et leurs vingt suppléants inoccupés flânent au sein de la Cour suprême de justice parallèle ; pour se réunir de temps en temps dans une salle du Congrès colombien, à Bogotá, ils empochent mensuellement 4 000 dollars sonnants et trébuchants [23]. Bonne affaire également pour les buffets d’avocats chargés de protéger les actifs extérieurs du Venezuela (avec les résultats que l‘on connaît s’agissant de CITGO et Monómeros) : 6 552 512 dollars depuis le début de la plaisanterie [24].

D’après le président de l’Assemblée nationale légitime, Jorge Rodríguez, et sur la base d’une conversation téléphonique interceptée de Sergio Vergara, ex-député du Táchira et conseiller de Guaidó, le gouvernement intérimaire a prévu, lors d’une réunion virtuelle tenue le 12 avril 2021, de demander près de 53 millions de dollars de budget à l’OFAC. Parmi les dépenses, sont prévus 7,28 millions de dollars pour les députés élus en décembre 2015 – et qui ne siègent évidemment plus depuis l’élection de la nouvelle Assemblée, le 6 décembre 2020. Si l’on en croit les « documents officiels » du gouvernement autoproclamé, le « bureau de la présidence » – lire Guaidó – a reçu la modeste somme de 2,6 millions de dollars en 2021, dont un dernier versement de 1,9 millions de dollars le 29 septembre. Si l’intéressé gère ce pactole en bon père de famille – lui et son épouse Fabiana Rosales viennent d’avoir une deuxième fille –, il devrait sortir de l’aventure avec de substantielles économies. On pourrait même suggérer que, comme les politicards de son entourage, il n’a pas intérêt à ce que l’imposture de sa « présidence intérimaire » se termine trop rapidement.
Seulement…
Si la masse des opposants ne croit pas au socialisme et abhorre Maduro, elle rejette désormais ce groupe de parvenus qui, tout en demandant des sanctions porteuses de préjudices pour toute la population, « se goinfre » aussi outrageusement. Qu’on y rajoute l’éparpillement « façon puzzle » des partis et le discours incohérent – hier « boycott car l’élection ne sera ni juste ni crédible », aujourd’hui « participation bien que les élections ne soient ni justes ni crédibles » –, une abstention massive et une défaite mémorable sont hautement prévisibles. D’autant que…

Caracas. « Il y a 200 ans, nous avons vaincu l’Empire espagnol… Aujourd’hui, en 2021, nous résistons et nous vaincrons le criminel impérialisme yankee et ses vend-la-patrie ».

La situation s’améliore. Le peuple ne s’est pas rendu. Le gouvernement a réagi. « Quand les Etats-Unis nous ont attaqué, analyse Jorge Arreaza, ils ont frappé directement l’industrie pétrolière, le cœur de notre économie. Cela a affecté les revenus nationaux, mais a également eu un aspect positif. Aussi bien la classe travailleuse que les propriétaires des moyens de production, qu’ils soient étatiques ou privés, ont dû faire preuve de créativité pour affronter l’adversité. »
En tant que ministre de l’Industrie, Arreaza multiplie les « inspections surprise »dans les entreprises d’Etat. « L’appareil productif, en ce moment, fonctionne à 30 % de ses capacités installées. Mais cette capacité demeure importante. On va la rendre indépendante et la relancer. »
Voici peu encore, du fait des sanctions et des « apagones », l’industrie de base, la sidérurgie, l’acier, l’aluminium se trouvaient pratiquement à zéro. Grâce à l’ingéniosité des travailleurs organisés dans les comités de productivité et à de longues journées de réflexion – « Cette ligne de production n’est pas nécessaire, on va se concentrer sur celle-ci » –, des miracles ont eu lieu. S’appuyant sur leurs années d’expérience, ces travailleurs ont recyclé, dessiné et réalisé des pièces de rechange impossibles à obtenir à cause du blocus, remis en marche des industries paralysées. A l’heure où nous terminons ce texte, des ouvriers d’Hidrocapital s’activent, semble-t-il avec succès, sur l’une des installations en panne – E/B 32-Systema TuyIII – qui, de Camatagua, approvisionne Caracas en eau. Petit à petit, production et distribution d’électricité se stabilisent. Malgré le blocus, PDVSA reprend ses exportations de pétrole, par des chemins et des réseaux détournés.

« L’entrepreneur vénézuélien, qui a lui aussi souffert et affronté l’adversité, qui a envie de travailler, s’est rendu compte que ce gouvernement peut lui tendre la main, sans affrontement, pour stabiliser le pays », poursuit Arreaza. Je crois qu’on a passé le moment le plus critique du conflit. » L’Etat se réservaitcertains secteurs – fournitures industrielles, alimentation. Lui accordant autorisations et exonérations, il s’appuie davantage sur le secteur privé. Celui-ci innove : là où, voici peu encore, le géant alimentaire et hégémonique Polar avait l’exclusivité de la fameuse « Harina Pan », et en coupait à l’occasion le robinet pour provoquer des pénuries (2002, 2016 et 2017), deux ou trois marques nouvelles se disputent à présent le marché. « On passe une alliance. On ne sait pas si elle est circonstancielle ou définitive, mais ce sont des changements indispensables, compte tenu de la situation. »
Dans un autre domaine, le Venezuela commence à substituer certaines importations. Les « paquets CLAP », en 2016, étaient constitués à 90 % de produits importés. Les aliments « made in Venezuela » y atteignaient 40 % en 2019 et, nous précisera Clara Sánchez, « cette année, ça va augmenter ». Entretemps, 2020 a permis de constater une progression historique dans la production de semences de maïs.
Le début de la fin pour la fameuse « économie de rente » ? « Le pétrole restera important, demeurera un levier, conclue Arreaza, mais il n’est plus, ni ne doit être l’essence de notre économie. »
En tout cas, un vent léger, chargé d’optimisme, souffle sur le Venezuela.

Teatro Nacional de Venezuela.

Même le Táchira semble respirer mieux. Depuis 2015, la frontière avec la Colombie était presque totalement fermée, en raison des tensions politiques entre Caracas et Bogotá. En temps normal, quelque quarante mille personnes transitent quotidiennement, dans les deux sens, sur le pont Simón Bolivar, qui relie San Antonio et Cúcuta. La collaboration d’Iván Duque avec Guaidó en février 2019, provoqua la coupure de tout lien terrestre, interrompant les importants flux commerciaux. Au détriment des secteurs économiques situés des deux côtés de la démarcation. « Les gens venaient de l’intérieur et s’arrêtaient dans cette “posada”, nous confie la propriétaire de l’Hôtel El Marques, à Rubio, dont nous sommes le seul client. Depuis la fermeture de la frontière, on survit. »
Même pour le petit commerce informel auquel s’adonnent les frontaliers, l’impossibilité de passer légalement constitue un gros mal de tête. Des milliers de personnes n’ont d’autre choix que les « trochas », ces sentiers illégaux tenus par toute une faune qui les rançonne au passage en exigeant une « taxe » ou une « collaboration ».
En juin 2021, Bogota a entendu rouvrir la frontière de manière unilatérale, mais le gouvernement vénézuélien a alors qualifié cette mesure d’ « intempestive » et réclamé un processus « contrôlé ». Il s’agissait, pour Caracas, de contrôler la pandémie de Covid-19, contenue au Venezuela, débordante en Colombie. Aucune communication raisonnable n’étant possible du fait de l’attitude hostile de Duque, c’est le protecteur du Táchira, Freddy Bernal, qui a pris les choses en main et négocié directement avec les premiers intéressés : les commerçants et la Chambre de commerce du Nord Santander, installée à Cúcuta. C’est ainsi que le 4 octobre, Maduro a pu annoncer la réouverture de la frontière aux piétons. Dès le 5, des monte-charges évacuaient les conteneurs qui bloquaient le pont Simón Bolivar depuis 2019. Avec un premier résultat : la reconnaissance des habitants à l’égard du protagoniste de cette avancée. « Le protecteur, le compañero Freddy Bernal, a fait un travail extraordinaire ces derniers mois pour obtenir une réouverture piétonnière. A moyen terme, l’ouverture totale est prévue. » Un pas de géant pour San Antonio, qui ne l’oubliera pas le jour de l’élection.

Ouverture aux piétons de la frontière avec la Colombie à San Antonio

« Seul le peuple sauve le peuple ! » Là se trouve le secret de la future victoire. Le mouvement populaire et social se mobilise. On pourrait évoquer la Comuna El Maizal – vingt-deux conseils communaux, 4 500 familles – née en 2009 de l’expropriation d’un grand domaine du même nom. Sur 1 500 hectares, entre les municipalités de Simón Planas (Lara) et d’Araure (Portuguesa), ces « communards » autogérés produisent maïs, café, légumineuses, légumes, semences indigènes, lait, fromage, viande bovine et porcine. Ils gèrent également quatorze entreprises de production sociale, transforment le maïs en farine précuite, ont fondé une école de formation idéologique et technique, le tout avec le soutien de militants du Mouvement des Sans Terre (MST) brésiliens. Si l’on ne s’étend ici pas sur cette expérience exemplaire, c’est que des réseaux sociaux dignes de ce nom s’y sont déjà intéressés [25].
Moins connus, très souvent complètement ignorés, y compris d’une aire militante ou intellectuelle européenne se gargarisant en permanence d’un narcissique « depuis en bas et à gauche », 47 000 conseils communaux, 3 567 communes officiellement enregistrées ont poussé comme des champignons dans tout le Venezuela. Si tous ne fonctionnent pas à la perfection, on l’a vu, s’ils ne sont pas exempts de contradictions, ils n’en constituent pas moins le cœur et l’âme de la démocratie participative voulue par Chávez en son temps. Et le noyau dur d’une révolution bolivarienne qui ne se rend pas.

Dans le hameau d’El Bojal, étiré le long d’une route étroite du Táchira, le jeune Hendry Suazo pourrait parler pendant des heures des dix conseils communaux réunis au sein de la Commune socialiste paysanne et productive des Trois frontières. Des divers membres du collectif – le professeur, le militaire, l’ingénieur, le cultivateur, l’artisan. « Face au blocus impérialiste, la population s’est vue dans l’obligation d’inventer de nouveaux mécanismes pour subsister. Nous, les leaders communautaires, qui avons cette passion pour la révolution, nous animons le processus, pour ne pas laisser péricliter ce projet de pays que voulait notre “comandante”.  » Inévitable, un grand portrait de Chávez occupe un mur, à proximité d’une étagère emplie de bibelots. Un soupir : « Les gens de l’opposition pourraient participer, mais ça ne les intéresse pas. »
Du café circule dans les verres, l’écran de la télé éclaire la pénombre d’un rectangle flamboyant. «  En tant que commune, on s’est organisés pour produire, semer, récolter et participer au marché afin de réduire les pénuries. On a développé la Banque des semences grâce à l’aide de l’Etat. » Suit un récit circonstancié des « actions d’envergure » entreprises dans tous les registres, du logement à la culture et au sport en passant par… la religion. Enseignante et mère d’Hendry, Irène Suazo échange avec son fils un regard complice avant de rire joyeusement : « En tant que femme, je me sens orgueilleuse. L’amour de mon fils pour la révolution a commencé dans mon ventre. J’étais enceinte et, en pleine caravane de Chávez, en visite dans la région, il criait “Chávez, Chávez, Chávez ! ” en me donnant des coups de pieds ! »
Ils parlent, ils pensent, ils agissent. A l’extérieur, trois membres du conseil communal entretiennent les accotements de la chaussée qu’envahissent d’épineuses broussailles et une hirsute végétation.

El Bojal (Táchira) : Hendry Suazo et son épouse.
El Bojal : membres du conseil communal entretenant le bord de la route.

Retour à Caracas, sur une colline si raide que certaines rues ne sont rien d’autre que d’interminables volées de marches en béton. La ligne d’autobus n’y monte pas. Dans le temps, un quartier « normal ». A présent, la Commune socialiste Alto de Lidice, composée de huit conseils communaux. Un jour, vingt-deux femmes se sont réunies (il en reste seize aujourd’hui). Avec l’aide d’un médecin, elles ont créé un Bureau de la santé. La Mission « Barrio adentro » (« Dans le quartier ») fonctionnait déjà, avec ses toubibs cubains et vénézuéliens. Plus bas, se trouve un Centre de diagnostic intégral (CDI). Elles se sont ajoutées à l’offre de soins. Elles s’occupent entre autres des femmes enceintes et des handicapés. Elles visitent maison par maison. « On a enregistré toutes les personnes qui vivent dans ce conseil communal, avec leurs pathologies et les médicaments qu’elles utilisent, raconte Roselita Patero… » S’ils veulent consulter, les habitants s’adressent au Bureau de la santé, qui organise les rendez-vous. Deux médecins viennent deux fois par semaine – mardi et jeudi matin. Les communardes retirent les médicaments de la Pharmacie communale et les apportent chez les patients. « Voilà, c’est ça la force de notre commune… » Et, soit dit en passant, l’explication des résultats exceptionnels obtenus par le Venezuela dans la lutte contre la pandémie [26].
En contrebas, sur un terrain aménagé, des adolescents jouent au basket, perçant l’air tiède de leurs cris stridents. Des femmes bavardent et enguirlandent leurs gamins. Notre interlocutrice hausse légèrement le ton. « A partir de 2016, on a dû s’organiser encore plus. L’apprentissage a été dur. Depuis, tout fonctionne parfaitement. Ce qui a changé c’est qu’on solutionne nous-mêmes nos problèmes. On n’a pas besoin que viennent des gens du gouvernement. Par exemple, on a appris qu’on doit produire des aliments pour notre consommation. » Des jardins urbain ont vu le jour, essentiellement pour les cantines des écoles, un peu pour les familles. La commune a aussi sa Maison de l’alimentation. « Oui, on a eu nos moments difficiles, mais peu à peu les gens ont compris que pour résoudre les problèmes, il faut s’organiser. »

Commune Altos de Lidice.

Lidice, fin de journée. Candidat conseiller communal, Jésus García arpente les flancs urbanisés de hauteurs escarpées. Rien d’un politicien : T-shirt, boucle d’oreille, visière de la casquette reposant sur sa nuque. Jésus retrouve des camarades plantés devant un ordinateur et une liasse de papiers. Ils organisent le « 1 pour 10 » – chaque militant doit persuader dix voisins, collègues ou personnes de son entourage de voter « rojo-rojito » (rouge bien rouge) « Il y en a qui sont découragés, mais on travaille pour qu’ils se remobilisent. » Une discussion s’engage. Au mur, trois affiches : Bolivar, Chávez et Maduro. Les amis évoquent les difficultés du moment, la démotivation perceptible. « Les gens doivent comprendre que c’est une guerre, s’emporte l’un, une guerre asymétrique, qui utilise de nouvelles méthodes, de nouvelles technologies, plus pour asservir les peuples que pour leur libération. » Une pause. Ils examinent la liste qui emplit l’écran de l’ordi. Ils respirent une seconde en évoquant l’amirale et ex-ministre de l’Intérieur Carmen Meléndez. « Elle fait une campagne d’enfer pour la mairie de Caracas. Elle est super-populaire. Elle va l’emporter les doigts dans le nez ! »
Jésus García prend congé. Il a beaucoup à faire. Masque sur le nez, il parcourt le « barrio ». En passant devant les habitants que, manifestement, il connaît, il lève le bras dans le geste classique du meneur d’hommes. Il interpelle joyeusement tout le monde. Et tout le monde lui rend son salut. Explication : « Humblement et à pied, il a beaucoup œuvré à monter le conseil communal et la Commune Bataille victorieuse de Lidice, okay ? »

Le soleil glisse lentement derrière la crête. García parvient au lieu dit Polvorín – un carrefour, surmonté de bâtiments de deux ou trois étages ; réverbères chauds sur ciel violet. Une petite foule le suit. Assemblée de rue ! Pas besoin de local ni de matériel. Certains s’assoient sur le trottoir, d’autres restent debout. García s’appuie sur le capot d’une vieille bagnole stationnée dans la rue en pente, une pierre sous la roue arrière pour suppléer le frein à main.
Sans s’attarder sur les banalités d’usage, le jeune homme entre dans le vif du sujet. « Les gens votent pour un type ou “una typa”… Alors l’idée est de vérifier si vous savez ce qu’est un conseiller et à quoi il sert, et que vous me disiez quel type de conseiller vous souhaitez. C’est clé, pour moi, de le savoir. Parce que, pour être porte-parole d’une communauté, il faut l’écouter. C’est ce que j’ai fait au cours de toute ma vie politique et c’est ce que je vais continuer à faire. Je suis là pour que mes voisins de toute la vie me disent ce qu’ils veulent de Jésus García quand il sera conseiller. Voilà. N’espérez aucune solennité de ma part, je suis comme ça, désolé. »
Des voix s’élèvent. Aucune timidité. On s’exprime d’égal à égal. Des interventions qui suivent, il ressort que le conseil municipal « est une très vieille institution datant de la colonie et des “cabildos”  » et que « malheureusement les derniers conseillers qu’on a eu sont des gens qui parcourent les “barrios” quand il y a une campagne pour soi-disant écouter les habitants, puis, une fois au conseil municipal, les oublient complètement », sachant que « de tout le système législatif, celui qui a le moins d’impact est le conseil municipal », d’où la question, « que va-t-on faire de ce fourbi ? », car il est évident que « le Parlement communal doit être l’institution, moderne, du siècle à venir, remplaçant cette bureaucratie qui ne sert à rien. » Une exécution en règle, sans fioritures ni ornements.

Jésus García fait signe qu’il a compris le message. Il reprend la parole après avoir laissé passer les pétarades d’une moto. « Il y a un élément clé : les conseillers ne parlent jamais des services publics. Rien sur l’électricité, sur le gaz ou sur CANTV. » Il fait part de sa préoccupation : « On connaît tous le problème qu’on avec l’eau. On a fait une assemblée avec les “voceros” des conseils communaux, à La Pastora. On aurait dû avoir cent neuf porte-paroles. Vous savez combien on était ? Vingt-cinq à tout casser. Alors, “conchale”, comment résout-on les problèmes si les gens ne s’impliquent pas ? »
De ce cas particulier, García tire une réflexion générale. « La politique s’est transformée en “politiquería” [27], les gens ne croient plus ni dans les hommes politiques ni en rien ; ils veulent des solutions. Mais pour ça, il n’y a pas de formule magique, on doit travailler collectivement. »
García se tait pour attendre les commentaires. Ils arrivent en rafale. On allègue finalement que « la commune est la solution. Il faut transformer le conseil municipal. Au nom de la Commune Bataille victorieuse de Lidice, j’aimerais que notre conseiller pousse le développement du Parlement communal, plutôt que de préserver ce putain de conseil municipal où on va l’envoyer. »
Car en effet… « Ce “muchacho”, on le connaît, il a la foi, s’enflamme une charmante dame à la chevelure prématurément grisonnante. Il va être accessible. Il y a des années qu’il nous écoute, on l’a sous la main. Je voterai pour lui ! » Un souffle d’assentiment parcourt le rassemblement. « Je ressens beaucoup de joie », s’exclame un homme à l’âge avancé. Du doigt, il désigne deux voisins appartenant à sa génération : « Alors que nous allons prendre congé, qu’on est sur la sortie, on est heureux que des jeunes comme toi continuent sur le chemin de la révolution. »
Un bon quart d’heure encore de discussion animée. Très sobrement, Jésus García clôture la réunion  : « Vous pourrez toujours compter sur moi. Je considère Polvorín comme ma maison natale. C’est ici que j’ai grandi, ici que, il y a déjà longtemps, j’ai fait ma première assemblée de rue… Je voulais simplement me présenter. »
Des chapelets de lumières brillent dans les collines. Le clair de lune baigne les murs d’une blancheur bleutée.
C’est ça le Venezuela de Maduro.

Lidice : Jésus Garcia lors d’une assemblée de rue.

Prévisible, prévu, le résultat du scrutin n’a rien pour surprendre. Nombre d’observateurs ont mis l’accent sur la faible participation : 42 % des inscrits. « Un chiffre extrêmement bas, même pour une élection locale », a-t-on pu lire ici ou là. C’est faire abstraction de la situation très particulière dans laquelle se trouve le pays. Des raisons de l’abstention, aussi bien à droite qu’à gauche. C’est également regarder la République bolivarienne avec des œillères. Sans aller jusqu’à éplucher les résultats électoraux du monde entier, on se contentera de remarquer que le Venezuela fait mieux que le Chili – participation aux régionales du 13 juin 2021 : 20 % ! – ou même que… la France (régionales des 20 et 27 juin 2021 : 33,28 % de participation au premier tour ; 34,69 % au second !). Aucun de ces deux pays n’est pourtant victime d’un blocus doublé d’une déstabilisation.

Les élections sont finies, elles se sont déroulées sans grabuge, c’est merveilleux. Patatras ! Un incident notable bouleverse le dépouillement après que, le 28 novembre, le Conseil national électoral (CNE) ait annoncé la création d’une commission ad hoc chargée de compter les votes de l’Etat de Barinas. Une telle commission est prévue par la loi lorsqu’un conseil électoral régional ne parvient pas à achever le décompte des voix dans les délais impartis. Or une semaine s’était écoulée depuis le jour du vote et les résultats définitifs de cet Etat n’étaient toujours pas connus. A ce moment, les projections enregistrées par le CNE donnaient le candidat d’opposition Freddy Superlano très légèrement en tête, avec 37,60 % des suffrages, devant Argenis Chávez (PSUV), frère de feu le président (37,21 %).
Coup de théâtre le lendemain : la Chambre électorale du Tribunal suprême de justice (TSJ) ordonne au CNE de suspendre le recomptage et d’annuler l’élection. Un recours constitutionnel a été déposé le 26 novembre pour un motif particulièrement nébuleux – « violation des droits constitutionnels de participation et de suffrage » lié au « climat de tension entre les militants politiques » dans le Barinas – et le fait que, « suite à l’existence présumée de procédures et d’enquêtes administratives et pénales », Freddy Superlano avait antérieurement été « disqualifié pour exercer toute fonction publique » par le contrôleur général de la République – fermez le ban.

Le Barinas été gouverné par Hugo de Los Reyes Chávez, le père de feu le président (1998 – 2008), puis par Adán Chávez, frère d’Hugo, jusqu’en 2017, année de l’élection d’Argenis, un autre frère du défunt. De là à présenter l’Etat comme un bastion que le chavisme ne veut perdre en aucun cas, quelques soient les moyens employés, il n’y a qu’un pas. L’opposition hurle donc au « sale coup » de Maduro. Pourtant, et curieusement, le recours n’a pas été déposé par un proche du pouvoir, mais par… un politicien de l’opposition, Adolfo Superlano (aucun lien de parenté avec Freddy), candidat du Mouvement d’intégrité nationale-Unité (MIN-Unidad) ! Originaire de Barinas, ce Superlano, après être passé par Action démocratique, a été élu député de la MUD en 2015, avant de s’en écarter en participant au vote qui a installé tout à fait légalement Luis Parra, un autre dissident contestant l’opposition radicale, à la tête de l’Assemblée nationale, en substitution de Guaido, le 13 janvier 2020. Ce qui lui a valu d’être qualifié de « traître » et de « scorpion » par le secteur des ultras, puis d’être sanctionné par les Etats-Unis. Une mise au ban qu’à l’évidence il a décidé de faire payer… Mais qui provoque un hourvari contre le chavisme.
« C’est l’action d’un membre de l’opposition qui a été membre de la MUD, s’emporte Iris Varela, responsable de la campagne du PSUV dans le Barinas… Ils s’attaquent entre eux et ils veulent nous en faire porter la responsabilité ! »

Victime de la manœuvre, Freddy Superlano, il faut le préciser, est ce qu’on appelle un rescapé. Le matin du 23 janvier 2019, jour où le « Guaido Circus » entendait faire entrer de l’ « aide humanitaire » au Venezuela depuis la Colombie, ce député VP, président de la Commission permanente de l’Assemblée nationale (et à ce titre particulièrement déchaîné contre les CLAP), s’est réveillé dans un hôpital de la ville frontalière de Cúcuta, à sa grande surprise et particulièrement mal en point. Après le grand « concert caritatif » de la veille au soir et une virée en discothèque en hommage aux « Vénézuéliens mourant de faim », il avait été drogué par une prostituée dans une chambre du motel Pénelope avant de se faire délester de 250 000 dollars en liquide (destinés sans doute aux bonnes œuvres de Guaido). Moins chanceux que Superlano, son cousin et assistant Carlos Salinas, qui avait partagé avec lui la chambre et une deuxième fille de joie, ne put être sauvé de l’empoisonnement.
Le 8 mai suivant, on reparla de Superlano lorsque le TSJ leva son immunité parlementaire et ordonna de l’inculper, comme neuf autres dirigeants d’opposition, pour sa participation à la tentative de coup d’Etat organisée par Guaido le 1er mai, à Caracas, aux alentours de la base militaire de La Carlota. Si le « golpe » échoua, il permit la libération de Leopoldo López, alors en détention à domicile, et sa cavale vers Madrid avec l’aide de l’ambassade d’Espagne. Superlano, pour échapper aux poursuites, se réfugia en ce qui le concerne en Colombie. L’homme a donc eu effectivement affaire à la justice. Mais…

Le 31 mai 2020, à cent jours des élections législatives, et avecl’intention « d’approfondir le processus de réconciliation nationale », le président Maduro a signé un «  décret d’amnistie  » pour cent-dix prisonniers à caractère politique, dont vingt-six députés de l’AN. Parmi eux, Freddy Guevara, réfugié à l’ambassade du Chili, Roberto Marrero, le bras droit de Guaido, et… Superlano [28]. Qui aurait donc, de ce fait, retrouvé ses droits civiques. Mais (bis repetita)… Le 17 août 2021, une résolution du Bureau du contrôleur général de la République lui aurait à nouveau interdit l’accès à une quelconque fonction publique. Possible. Il n’en demeure pas moins que Superlano s’est inscrit dans le système automatisé du CNE, sans que cet organisme n’annule son inscription pour vice de forme ou de données, comme il l’a fait pour d’autres candidats. Alors que la victoire du candidat de la MUD paraissait possible ou probable, son élimination fait à juste titre scandale. Reste à l’interpréter. Turpitude, omissions, imprudence, dysfonctionnement ?
Ancien procureur général et ex-vice-président de la République, Isaías Rodríguez s’inquiète publiquement : ce pataquès risque de conduire à la perte de la crédibilité que le pays a réussi à reconstruire tant au niveau national qu’international. « Je parle fondamentalement en tant que juriste et en tant que personne absolument engagée dans le processus politique [le chavisme] auquel je crois, dont je ne me suis pas séparé et dont je ne me séparerai pas (…) Si la personne [Freddy Superlano] était disqualifiée, cela aurait dû être décidé au préalable par le CNE. Celui-ci ne peut pas décider a posteriori, après que la personne invalidée ait apparemment gagné. Le résultat n’est pas connu, mais je m’en tiens à ce que dit la Chambre électorale elle-même. Je pense qu’il est grave (…) qu’il n’y ait pas, dans ces institutions [le TSJ et le CNE], toute la sagesse et la réflexion sur la portée de leurs décisions [29]. »

Dans la nuit du 29 novembre, la Chambre électorale du TSJ a ordonné au CNE de convoquer, pour le 9 janvier 2022, un nouveau scrutin. Ex-candidat du PSUV, Argenis Chávez a jeté l’éponge et notifié qu’il n’y participerait pas et que, « pour accélérer le processus de transition d’ici les élections », il démissionnait du poste de gouverneur que, jusque-là, il occupait. Le 4 décembre, lors d’un rassemblement organisé par l’opposition, Aurora Silva de Superlano, militante de Volonté populaire et épouse de Freddy Superlano, a repris le flambeau de la MUD et annoncé qu’elle le porterait lors de la nouvelle élection. Alors qu’il n’a soutenu aucun candidat et a poussé à l’abstention avant le 21-N, Guaidó, par pur opportunisme, était cette fois présent à ses côtés. Toutefois, et comme dans un mauvais feuilleton, la candidature d’Aurora Silva n’a pas été acceptée par le CNE, qui l’a déclarée à son tour « inhabilitée » (sans en préciser le motif).
Par la voix de Nicolás Maduro, président du parti, le PSUV a lancé la candidature d’un de ses poids lourds et ex-gendre d’Hugo Chávez, Jorge Arreaza. Celui-ci affrontera finalement trois adversaires : Sergio Garrido (Action démocratique-MUD), en remplacement de Freddy Superlano ; Claudio Fermín (Alliance démocratique) ; Adolfo Superlano (MIN-Unidad), l’individu par qui le scandale est arrivé.
Le dénouement de ce scrutin du 9 janvier demeure particulièrement incertain. Le chavisme, après avoir frôlé ou subi une défaite, appelle à la mobilisation générale, au nom de la mémoire du « comandante ». Mais, s’estimant flouée, l’opposition peut tout aussi bien faire revenir vers elle des abstentionnistes se remobilisant par solidarité.
Représentant cette opposition, au sein du CNE, le recteur Roberto Picón, dès le 30 novembre, a publié un communiqué. « Il va sans dire que si le CNE avait été informé [de l’invalidation de Freddy Superlano], il aurait été impossible de traiter sa candidature », y a-t-il déclaré. S’il a dénoncé « une omission préoccupante », il n’en a pas moins précisé que la péripétie ne perturbait pas « la validité du processus électoral dans son ensemble ».
En effet, forcément monté en épingle dans les jours et les semaines à venir par le cluster de l’information, l’arbre du Barinas, pour épineux qu’il soit, ne doit pas cacher la forêt du Venezuela.

Lidice : militants du PSUV préparant le « 1 pour 10 ».

Le chavisme remporte une incontestable victoire. Dix-neuf Etats sur vingt-trois (en attendant le résultat du Barinas). Dont les emblématiques Miranda, deuxième du pays en terme de poids démographique, avec la réélection d’Héctor Rodriguez (qui y avait succédé à Capriles) et Táchira (en la personne de Freddy Bernal, le coordinateur des CLAP). Caracas, conquise de haute main par Carmen Mélendez. Deux tiers des municipalités du pays [30] – dont San Cristobal, fief de l’opposition au chavisme depuis vingt-deux ans. Sur un plan hautement symbolique, comment ne pas noter le triomphe d’Ángel Prado, animateur de la commune socialiste d’El Maizal, à la mairie de Simón Planas ? Pas plus anecdotique, le succès, à Caracas, du militant surgi des « barrios » Jésus García, non seulement élu conseiller municipal, mais qui plus est nommé président de la Commission des infrastructures, de l’habitat et de l‘urbanisme, et vice-président de la Commission services publics et transport, par la nouvelle femme forte de la capitale Carmen Mélendez…

Que le chavisme, année après année, scrutin après scrutin, perde des voix par rapport à ses niveaux historiques n’a rien d’étonnant (même si, en l’occurrence, la participation à ces régionales est supérieure à celle des législatives de décembre 2020). La mise à genoux de l’économie du pays et les souffrances imposées aux Vénézuéliens par le blocus et l’agression ont précisément pour objectif d’obtenir cette désaffection. On devrait au contraire s’étonner de ce que, dans ces conditions extrêmes, le chavisme est encore debout. Consciente de ce fait pour elle insupportable, la droite s’efforce de minorer les résultats du camp adverse en jetant quelques approximations que les alliés formels et informels s’empressent de diffuser. Genre : « Dans les vingt Etats gagnés par Nicolas Maduro, seulement quatre ont été gagnés avec la majorité absolue ; dans les autres, c’est seulement la division de l’opposition qui lui permet de remporter ces scrutins [31]. » 
Aux quatre Etats évoqués,– Aragua (51,60 %), Carabobo (54,85 %), Delta Amacuro (61,28 %) et La Guaira (50,21 %) – on se permettra de rajouter Caracas (58,93 %). Dans les quinze autres, si l’on excepte le score d’Amazonas (39,71 %), très en deçà de la moyenne, les victoires du Grand pôle patriotique s’étagent entre 40,77 % (Merida) et 48,44 % (Miranda). Rien ne permet de prétendre que l’opposition unie aurait emporté ces Etats. On récusera ici l’argument de l’effet multiplicateur qui veut que le tout puisse être supérieur à la somme des parti(e)s. Compte tenu de l’ampleur de leurs divergences, l’improbable fusion des droites modérées et radicale vénézuéliennes aurait autant de chance de créer une dynamique que, en France, une alliance rassemblant à droite Eric Zemmour et François Bayrou ! Chacun, dans une telle configuration contre-nature et dénuée de sens, perdrait des pans entiers de ses partisans plutôt que de les voir se multiplier.

Campagne électorale de Jésus Garcia, « casa por casa » (maison par maison).

Derrière le retour de certains des membres du G-4 dans le cadre démocratique, se cachait un objectif : au terme du 21-N, celui des partis qui pourrait se prévaloir du meilleur résultat se trouverait en position favorable dans la perspective de l’élection présidentielle de 2024. En ce sens, les résultats prennent tout leur sens. Les trois opposants élus gouverneurs appartiennent à la vieille garde plutôt qu’aux jeunes « ultras » : Morel Rodríguez, vainqueur dans l’Etat Nueva Esparta, pour le compte de l’Alliance démocratique et de Force du voisinage (42,56 %), a 81 ans ; dans le Cojedes, Alberto Galíndez (Primero Justicia-MUD), 66 ans, a déjà été aux commandes de 1995 à 2000 ; à 68 ans, Manuel Rosales (Un Nouveau Temps-MUD, 54,82 %), demeure à l’évidence le plus en pointe, après avoir été deux fois maire de Maracaibo, deux fois gouverneur du Zulia et candidat à la présidence contre Chávez en 2006.
Si, toutes élections confondues, le PSUV l’emporte (42 % des suffrages) devant la MUD (22 %) et l’Alliance démocratique (15 %), cette dernière, avec les autres modérés de Force du voisinage et de Lápiz (première force d’opposition dans l’Etat de Miranda et Caracas), s’installent dans le panorama.
Comme il fallait s’y attendre, chacun, dès lors, a joué sa partition. La présence de l’Union européenne et de ses observateurs avait fait l’objet d’un feu vert après une conversation entre le haut représentant de l’UE pour la politique extérieure, Josep Borrell, et le secrétaire d’Etat étatsunien Antony Blinken. Le choix de Borrell, désignant cheffe de la Mission d’observation (MOE) l’eurodéputée du Parti socialiste portugais Isabel Santos offrit un premier signal. Lors d’un débat au Parlement européen, le 14 janvier 2020, Santos s’est déclarée favorable à l’imposition de « sanctions » au Venezuela. Borrell fit ensuite monter la tension en déclarant que la MOE se trouvait au Venezuela pour « accompagner l’opposition » et que le rapport des observateurs « légitimerait ou délégitimerait » et le processus électoral et le gouvernement vénézuélien. Fortement critiqué par Caracas, Borrell dût baisser le ton. Très momentanément. Le 18 novembre, trois jours avant les élections, l’Union européenne se livra à une véritable provocation en stipulant qu’elle prolongeait jusqu’à novembre 2022 les « sanctions » imposées depuis 2017 à cinquante-cinq fonctionnaires vénézuéliens. Le lendemain, pour enfoncer le clou, Isabel Santos rencontrait Guaidó (partisan du boycott électoral) et María Corina Machado (plus que jamais adepte d’une intervention militaire internationale).
 Cette attitude ne surprit pas. « L’Europe a deux problèmes, nous déclara Arreaza, fort de son expérience d’ex-ministre des Affaires étrangères. Le premier c’est de s’être maintenue très soumise aux Etats-Unis, y compris pendant le mandat de Trump, avec qui elle avait pourtant quelques différences. Elle a toujours fini par faire ce que lui ordonnait Washington. L’autre problème, c’est qu’elle conserve une mentalité coloniale. Elle sous-estime les pays du sud. Il est impossible d’avancer dans une relation vertueuse si l’on ne s’entend pas entre égaux. Et ça, elle ne le comprend pas. »
Rendu public avant que ne survienne la polémique sur le résultat du scrutin dans l’Etat de Barinas, le rapport préliminaire de la MOE est la copie conforme de ce qu’on pouvait en espérer (ou en désespérer). S’il démarre par un singulier « Nous avons pu constater des progrès dans le processus électoral vénézuélien » – amusant constat dans la mesure où l’UE n’a pas observé une élection dans ce pays depuis quinze ans ! –, il poursuit par une série de critiques et d’appréciations négatives dont la plupart ignorent délibérément le contexte dans lequel est plongé le pays. Il est par exemple tout à fait inapproprié de dénoncer le retrait arbitraire « à des dirigeants et à des membres les plus connus de certains partis le contrôle de leurs symboles et de leurs cartes électorales », en omettant de mentionner ce qu’on a appelé « la révolte des suppléants ». Favorables à l’option électorale, outrés d’être soumis aux diktats de leaders vivant à l’étranger tout en séquestrant les partis – privés d’élections internes et de renouvellement des directions depuis parfois plus de dix ans –, des militants, députés et députés suppléants « de l’intérieur » ont fait sécession et, en représentation d’Action démocratique ou de Primero Justicia, ont obtenu gain de cause auprès du TSJ [32].
Le rapport final de l’UE devant être révélé fin janvier ou début février 2022, on peut s’attendre à ce qu’il épouse définitivement le sens du vent – c’est-à-dire la direction qu’aura indiquée Washington.

En autorisant certains de ses protégés à participer aux élections, le Département d’Etat américain entendait faire de celles-ci un thermomètre permettant d’évaluer les rapports de force sur la scène politique vénézuélienne. Il sait désormais à quoi s’en tenir : le chavisme l’a emporté. Dès 22 novembre, Antony Blinken a donc considéré que le gouvernement de Maduro a « une fois de plus privé les Vénézuéliens de participer à un processus électoral libre et juste ». Reste pour lui à remettre de l’ordre dans la maison (qui ne lui appartient pas). Et la tâche devient particulièrement ardue.
D’un côté, face à la presse et à une poignée de partisans, Guaido a appelé au rassemblement : «  Ce n’est pas le moment pour les disputes entre partis, a-t-il lancé, ce n’est pas le moment pour les disputes d’ego ou les guéguerres de pouvoir, c’est le moment de la réflexion et de l’unité.  » D’un autre côté, et au même moment, les gouverneurs d’opposition élus, Manuel Rosales, Alberto Galíndez et Morel Rodríguez, étaient reçus par le président Maduro avec qui ils devisaient très courtoisement. Constatant la montée en puissance de l’opposition modérée, le chavisme a d’ailleurs fait savoir qu’il entend voir l’Alliance démocratique intégrer la table de négociations de Mexico.
Pendant ce temps, au sein du fondamentalisme, le torchon brûle sérieusement : « ministre des Affaires étrangères » de Guaidó, Julio Borges vient d’annoncer sa démission. « Nous devons réformer le gouvernement intérimaire, qui avait un sens pour sortir de la dictature, mais qui a été déformé et qui (…) est devenu une fin en soi », a-t-il déclaré. Mettant en cause « une bureaucratie de près de 1600 personnes », Borges va même plus loin en prônant la disparition du gouvernement provisoire – « une caste qui s’est bureaucratisée ».

Les 9 et 10 décembre, les « leaders » de la « société civile », du secteur privé et des gouvernements de cent-dix pays – dont vingt-huit des trente membres de l’OTAN – ont été convoqués à une réunion virtuelle mondiale, le « Sommet pour la démocratie », par le « Guide suprême » Joe Biden. Pour l’Amérique latine, Cuba, le Nicaragua, la Bolivie, le Salvador et le Venezuela en ont été exclus. En revanche, Washington n’ayant pour le moment pas de réelle solution de rechange, Guaidó, invité, pourra s’y exprimer. Il aurait tort de pavoiser. Dans les prochaines semaines, le Département d’Etat va beaucoup consulter au sein du spectre large de la droite dure vénézuélienne. Par ailleurs, le 6 décembre, à New York, l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies a reconnu une nouvelle fois le gouvernement de Nicolás Maduro comme le représentant légitime du Venezuela. Seuls 16 pays sur 193 s’y sont opposés.

Caracas.

Texte et photos : Maurice Lemoine


[1] Sur cette analyse préalable et non démentie par les faits, écouter : Radio France Internationale (RFI), « Elections au Venezuela : vers un déblocage de la situation politique et économique du pays ? », 19 novembre 2021 – https://www.rfi.fr/fr/podcasts/g%C3%A9opolitique-le-d%C3%A9bat/20211119-%C3%A9lections-au-venezuela-vers-un-d%C3%A9blocage-de-la-situation-politique-et-%C3%A9conomique-du-pays

[2] Entre autres, en France : RFI, Le Figaro, Libération, Le Monde, 20 Minutes, L’Obs, France 24 – https://www.france24.com/es/video/20210930-francisco-virtuoso-la-pobreza-en-venezuela-ya-toc%C3%B3-fondo

[3] L’hebdomadaire Le Point établira de son côté un record absolu en annonçant « un salaire minimum d’un dollar par mois » (15 août 2018) !

[4https://www.costadelsolfm.org/2021/11/18/la-industria-venezolana-opera-a-casi-1-4-de-su-capacidad-instalada/

[5« Parroquia »  : plus petite division administrative du Venezuela.

[6] Thomas Posado, RFI, 8 octobre 2021.

[7] Clara Sánchez Guevara, Operación Bloqueo de Alimentos a Venezuela, Trinchera, Caracas, 2021.

[8] Trois raffineries, quelque 4 000 stations-service et 3 500 employés sur le sol des Etats-Unis.

[9] A titre d’exemple, la production de céréales est passée d’un peu plus de 2 millions de tonnes en 1998 à plus de 3,6 millions de tonnes en 2014.

[10] Créée en 1983 par Ronald Reagan pour se substituer à la trop sulfureuse CIA, la NED finance chaque année, sous forme de subventions directes, des centaines d’organisations non-gouvernementales et de médias qui, à travers le monde, œuvrent à renforcer la stratégie de Washington et à affaiblir, voire à déstabiliser, les gouvernements progressistes.

[11] Lire « Trump en a rêvé, Biden l’a fait ».

[12] Chausson à base de farine de maïs – « Harina Pan, claro ! » – fourrée de viandes hachées.

[13] D’après les calculs du gouvernement, près de 300 milliards de bolivars se trouvaient à l’étranger – Colombie, Paraguay, etc. – fin 2016, principalement en coupures de billets de 100 bolivars. Voir sur Mémoire des Luttes (août 2017), le feuilleton en quatre parties « La guerre économique pour les nuls (et les journalistes) » – https://www.medelu.org/La-guerre-economique-pour-les-Nuls

[14https://www.medelu.org/Venezuela-aux-sources-de-la-desinformation

[15] Des affrontements extrêmement violents ont eu lieu fin avril 2021 entre les Forces armées nationales bolivariennes (FANB) et des dissidences des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) dans l’Etat d’Apure. Seize militaires vénézuéliens ont été tués, selon le bilan de Caracas.

[16] Ce SPT doit ou devrait permettre aux sans-papiers vénézuéliens d’obtenir des documents temporaires, le droit de travailler légalement pendant 10 ans et d’avoir accès au système de santé publique ainsi qu’à la campagne de vaccination contre la Covid-19.

[17] Sorte de gouverneur parallèle, nommé par Maduro, dans les Etats sensibles – par exemple, dans ce cas, sur la frontière colombienne – dirigés par l’opposition. Il est prévu que cette fonction disparaisse après les élections du 21-N.

[18https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/06/04/pourquoi-et-comment-le-chavisme-renforce-la-democratie-electorale-au-venezuela/

[19] L’opposition radicale ayant appelé à « rester à la maison », le Grand Pôle patriotique a obtenu 68,43 % des suffrages et 256 députés sur 277 lors des législatives du 6 décembre 2020 (abstention : 69,5 %).

[20https://efectococuyo.com/politica/colombia-dialogo-venezolano-eleccion-presidencial-libre/

[21] FAES : Fondation pour l’analyse et les études sociales.

[22] Avanzada Progresista, Unidad Visión Venezuela, Prociudadanos, El Cambio, Cambiemos, Bandera Roja, Movimiento al Socialismo (MAS), Venezuela Unida, Nuvipa, Redes, Soluciones, ainsi que les dissidences du Copei, de Primero Justicia (Primero Venezuela), de Voluntad Popular et d’Acción Democrática.

[23] Le 16 août 2018, cette institution parasite a justifié son existence en « condamnant » le président Maduro à 18 ans de prison et à 25 millions de dollars « pour corruption », plus 35 milliards de dollars ! pour « blanchiment ».

[24https://misionverdad.com/venezuela/guaido-roba-millones-de-dolares-para-despojar-venezuela-de-sus-activos

[25] Voir le documentaire « El Maizal, la bataille pour produire », Terra TV, mars 2019 – https://youtu.be/II9djXHrCws – ainsi que : https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/12/05/au-venezuela-les-communardes-del-maizal-construisent-un-nouveau-modele-de-pouvoir/

[26] 5 186 morts au 5 décembre 2021 d’après le Center for Systems Science and Engineering (CSSE) de la Johns Hopkins University.

[27] Terme péjoratif qu’on pourrait traduire par « politicaillerie ».

[28http://historico.tsj.gob.ve/gaceta_ext/agosto/3182020/E-3182020-5959.pdf#page=1

[29https://www.aporrea.org/ideologia/n369694.html

[30] PSUV, 212 ; MUD, 63 : Alliance démocratique, 38 : autres partis, 22,

[31] Thomas Posado, RFI, 22 novembre 2021.

[32https://www.medelu.org/Venezuela-mode-d-emploi#nb10

Source de cet article : https://www.medelu.org/Paysages-venezueliens-avant-la-victoire-chaviste

(Teaser:) « Nostalgiques du futur » : devenez coproducteur(trice) !

Il était une fois un pays en révolution. Un exemple si dangereux de démocratie participative que le champ médiatique la transformait depuis vingt ans en « dictature ». Sans contradicteurs. Jour après jour. Mais « Nostalgiques du futur » ne tombe pas dans le piège de répondre symétriquement à tous les mensonges. Ici, on écoute, on apprend des acteurs et actrices d’une révolution vivante pour transmettre leurs expériences à d’autres révolutions citoyennes, actives ou en gestation, dans le reste du monde. « Comment transformer l’espace de vie ? » La réponse vient de toutes celles et ceux qui se retroussent les manches et que nous avons suivi(e)s des mois durant, en parcourant des milliers de kilomètres dans tout le Venezuela, là où les médias ne vont jamais : parmi les communard(e)s, les femmes des équipes de quartier de santé, les architectes en herbe, les paysan(ne)s, les étudiant(e)s en agroécologie, les artistes de cirque populaire, les fonctionnaires publics…

Pour réaliser cette chronique d’une révolution sans image, pour qu’elle serve à d’autres citoyen(ne)s du monde entier, il n’y a que vous !  Vous pouvez coproduire « Nostalgiques du futur » en faisant un don :

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D’avance nous vous en remercions.

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« Construire sa maison sans dépendre d’une entreprise privée » : l’École du Constructeur Populaire au Venezuela

« Le plus beau, pour ces jeunes qui viennent des milieux populaires, c’est de pouvoir réaliser leur rêve, construire leur propre maison sans dépendre d’une entreprise privée. Les projets collectifs de nos apprenti(e)s naissent de la collaboration avec les habitant(e)s, ils ou elles vont dans la communauté, cherchent le problème et proposent des solutions, grâce à leur formation technique, à partir d’une vision sociale« , raconte fièrement l’ingénieur Eskell Romero, directeur de l’école du Constructeur Populaire « Aristobulo Isturiz ». » « Dans chaque lotissement de la Grande Mission Logement Venezuela se trouve un noyau de notre école« .

Soutenez-nous !

Terra Tve est une expérience unique : une télévision/école qui travaille au Venezuela, sur le terrain, pour vous montrer une révolution participative occultée depuis vingt ans par les médias. Elle a formé des milliers de communicateurs(trices) populaires, réalise des reportages, des documentaires sous-titrés en français, pour les diffuser dans le monde entier. Vous pouvez suivre sa chaîne YouTube en cliquant ici.

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Nos chantiers au Venezuela et comment nous aider

Beaucoup d’entre vous déplorent la désinformation « impressionnante » (Rafael Correa) sur le Venezuela, nous remercient pour nos 21 ans de travail et nous demandent comment nous aider. Pour accélérer nos formations des mouvements sociaux au langage audio-visuel et pour multiplier la production d’articles, de reportages, de documentaires qui montrent une révolution occultée par les grands médias, vous pouvez faire un don à ce compte :

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Votre solidarité aidera à couvrir les frais de nos formations, productions et diffusions – nourriture, déplacements (vaste territoire que le Venezuela !), hébergements des équipes de formateurs(trices), matériels audiovisuels de prises de vues, de son, de montage et informatiques. Toute somme est la bienvenue pour continuer à réaliser ces trois objectifs et au nom de toute l’équipe de formation et de production des militant(e)s sociaux, nous vous en remercions d’avance.

  • 1. Formation des mouvements sociaux. Située à Caracas, au carrefour des Amériques et des Caraïbes, notre école de communication offre des ateliers permanents aux citoyen(ne)s de tout le continent qui refusent de baisser les bras face à la concentration capitaliste et à la fonction destructrice des médias. Depuis la création de l’école en 1995 nous avons formé plusieurs milliers de communicatrices(eur)s populaires et de jeunes cinéastes pour préparer la création de nouveaux médias participatifs et contribuer à décoloniser l’imaginaire. En août 2021 nous avons formé 17 compagnes et compagnons de la République d’Haïti, arrivé(e)s au Venezuela pour étudier l’agroécologie et en avril, 12 jeunes membres de la Commune rurale El Maizal.

  • 2. Réalisation de reportages. Depuis 1999 nous visibilisons la participation populaire au sein de la révolution bolivarienne, avec toutes ses difficultés mais aussi sa force de résistance et de création. Chaque semaine nous alimentons notre chaîne YouTube Terra TV de reportages de terrain sous-titrés en français – vous pouvez vous y abonner. Ces reportages sont également relayés par le site Web de Terra TV (photo ci-dessous), nos réseaux sociaux et le Blog Venezuelainfos créé en 2012 et qui a publié à ce jour 1021 articles.
  • 3. Réalisation de documentaires. En août 2021 plusieurs chaînes de télévision vénézuéliennes ont invité nos formateurs/réalisateurs à exposer leur travail et la Cinémathèque Nationale du Venezuela nous a rendu hommage en projetant un cycle de nos documentaires récents. Parmi eux, le documentaire « Temps de Lutte », chronique d’une année de construction d’un autogouvernement citoyen et majoritairement féminin dans les quartiers populaires de Caracas, a fait le tour du monde (Sénégal, Corée du Sud, France, Brésil, Tunisie, Chili…).

Notre documentaire « Marcha » (2019), qui se faisait le porte-parole des revendications paysannes pour approfondir la réforme agraire, n’a pas été inutile puisque 95% des demandes de ce mouvement social ont aujourd’hui été résolues par le gouvernement bolivarien. A la fin de novembre 2021, notre nouveau documentaire de 70 minutes sur la révolution bolivarienne sera sous-titré en français, en anglais, et diffusé internationalement. Comment transformer l’espace/temps pour que la révolution soit durable ? La réponse appartient à celles et ceux que nous avons rencontré(e)s dans tout le Venezuela : communard(e)s, milicien(ne)s, architectes, conseils communaux, paysan(ne)s, artistes de cirque, fonctionnaires d’État… engagées dans la réforme agraire, dans la transformation de la culture et de l’éducation, dans l’organisation de la santé dans les quartiers populaires, dans la construction d’un nouvel espace de vie. L’objectif du film est de transmettre les expériences concrètes des organisations populaires, où participent majoritairement des femmes, ainsi que leurs idées, pour aller encore plus loin dans la révolution. Photos de tournage :

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/09/02/nos-chantiers-au-venezuela-et-comment-nous-aider/