Venezuela: Révolution bolivarienne de B à M #3

Le jeu des sept différences

Il faut savoir un gré infini à @Filip__FI, ce lycéen de la France Insoumise, pour la leçon de journalisme qu’il nous donne depuis peu sur son Blog http://bit.ly/2wcvsiZ. Jean Lacouture définissait le journaliste comme « l’historien du présent » et c’est bien ce qui fait défaut à nos zombies des médias : aider le citoyen lecteur, auditeur ou téléspectateur à comprendre le présent à travers l’examen vivant du passé.

Pour bien comprendre l’univocité scandaleuse des médias actuels contre un processus démocratique qui a vu une énorme participation populaire répondre pacifiquement à trois mois d’insurrection armée de la droite, et où des militants de tous bords veulent élargir les droits citoyens en portant leurs propositions à la discussion de la constituante, on doit prendre en compte la disparition du pluralisme suite au rachat généralisé par les milliardaires, l’inculture crasse des écoles de journalisme réduites à l’enseignement du formatage, l’alliance du carriérisme et du conformisme chez d’ex-pigistes, la peur de se retrouver seul et de perdre des lecteurs, la droitisation des sociétés européennes, etc… mais il y aussi l’histoire profonde d’une Europe encore prisonnière de son histoire de domination. Se rappeler par exemple qu’il y a 200 ans des gazettes et agents nord-américains traitaient déjà Bolivar de « César assoiffé de pouvoir ». Ou comprendre que la politique Sud-Sud du président Chavez, visant à unifier l’Amérique Latine et à la rapprocher de l’Afrique, souvent décriée à cause de rapports avec l’Iran ou la Libye, s’inspirait en réalité de la vision de Bolivar del « Equilibrio del mundo » et de la célèbre conférence de Bandoeng de 1955 où pour le dire avec Lacouture, « les damnés de la terre réinventèrent le monde« . Cette conférence réunissait pas mal de tyrans aux côtés de chefs d’État plus démocrates du Tiers Monde mais nul historien ne conteste qu’elle marqua une étape décisive dans l’émancipation post-coloniale des peuples du Sud.

Thierry Deronne, Caracas, juillet 2017

Episode 3: La révolution bolivarienne sous Chavez, par @Filip__FI

Nous voici à présent lancés dans le cœur du sujet. Rebondissements après rebondissements, la révolution bolivarienne prend enfin forme. Afin de rester dans le cadre d’un article de blog, il est évident que je ne peux étudier avec vous tous les aspects de la Révolution sous Chavez (même s’il se peut que je déborde un peu après Chavez par moment). En revanche, ce qui va suivre tente de faire une synthèse à la fois détaillée, mais aussi simple et accessible de tous. Certains aspects ne seront peut-être pas approfondis, mais l’espace commentaire est évidemment ouvert aux questions si vous le souhaiter.
Mais je vous rassure, on va déjà aller beaucoup plus en profondeur qu’un article de l’Express ou de Libération…
 © Filip FI © Filip FI

I. Une nouvelle constitution

Comme promis, après avoir prêté serment sans conviction sur la constitution de la IVème république, Chavez entame la rédaction d’une nouvelle constitution par le biais d’une Assemblée Nationale Constituante. La République du Venezuela devient République bolivarienne. Changement de nom, changement de ton. Voyons ce que définie cette assemblée pour le pays.

Dans la nouvelle constitution, quatre axes fondamentaux de la société vénézuélienne sont redéfinis:

  • Sur le plan institutionnel, l’accent est mis sur la démocratie participative. La nouvelle organisation politique de la société permet au peuple de s’impliquer davantage dans la gestion des affaires publiques. Les assemblées de citoyens et citoyennes voient le jour, et le recours au référendum devient beaucoup plus fréquent1. Les référendums peuvent être consultatifs, sur des questions d’intérêt général, abrogatoires, pour adopter une loi que le parlement refuse, ou encore révocatoire, pour destituer un élu allant du maire au président de la République. La constitution en elle-même est née de la consultation du peuple, par l’intermédiaire de l’ANC.
  • La nouvelle constitution marque aussi l’apparition de nouveaux droits fondamentaux pour les vénézuéliens. Ainsi, tout vénézuélien a désormais le droit à des soins médicaux gratuits et de qualité2, une éducation gratuite y compris dans l’enseignement supérieur3, et un environnement sur, sain et écologiquement équilibré4. Un chapitre entier est également consacré aux droits des peuples et communautés indigènes5. Leur existence et leurs us et coutumes sont désormais reconnus et protégés par la constitution.
  • La séparation des pouvoirs est elle aussi redéfinie. On compte désormais cinq branches parmi lesquelles le législatif, l’exécutif et le judiciaire, mais aussi le pouvoir électoral chargé de la bonne tenue des élections (sous contrôle du Conseil National Électoral), et le pouvoir citoyen, regroupant au sein du Conseil moral républicain, le défenseur du peuple, le procureur général de la République (fiscal general en espagnol) et l’inspecteur général de la République6.
  • Enfin, en matière économique, on note que la constitution garantit la totale souveraineté de l’Etat sur l’industrie pétrolière et son entreprise PDVSA7. Quand on sait que l’or noir représente 96% des exportations du pays, le monopole de l’Etat sur sa production n’est pas anodin, il vise à garantir la « souveraineté économique et politique » du pays.

Après validation populaire par référendum le 15 décembre 1999, le 20 décembre la nouvelle constitution est adoptée.

Un homme brandit la constitution de 1999 lors d'une mobilisation chaviste (photo non datée)Un homme brandit la constitution de 1999 lors d’une mobilisation chaviste (photo non datée)

 

En 2007, Chavez a annoncé vouloir modifier 33 articles de la constitution. Cette décision provoque un tollé médiatique international.
Le projet de réforme constitutionnel prévoit notamment de limiter la durée quotidienne de travail à six heures (36 heures hebdomadaires), d’interdire aux employeurs le fait d’obliger leurs salariés à effectuer des heures supplémentaires, de multiplier le nombre de conseils communaux, de supprimer l’autonomie de la banque centrale pour allouer plus de fonds aux programmes sociaux ou encore de distribuer les terres non productives aux paysans. Vous vous doutez bien que ce n’est pas ce genre de réformes sur lesquelles les médias vont s’attarder.

Chavez tenant la constitution de 1999 (droite) et la nouvelle (gauche) si la réforme constitutionnelle est approuvée © AFPChavez tenant la constitution de 1999 (droite) et la nouvelle (gauche) si la réforme constitutionnelle est approuvée © AFP

 

La réforme prévoit également d’abolir la limitation du nombre de mandats dans le temps et d’élargir à sept ans la durée d’un mandat présidentiel. Diantre! Il y a là la preuve évidente du caractère dictatorial de cet homme! Une campagne médiatique de grande ampleur est engagée pour dénoncer « l’autoritarisme » présumé de Chavez. Une hypocrisie d’une ampleur risible.
Le projet en lui-même n’est pas imposé au pays. Il est d’abord soumis au vote de l’assemblée nationale puis à celui du peuple par référendum. L’opposition avait boycotté les législatives de 2005 et se plaint de ne pas pouvoir agir sur cette réforme. Drôle de situation non?
Deuxième hypocrisie, encore plus risible celle-ci. On ne parle évidemment pas de l’ensemble de la réforme dans les médias, mais seulement de l’abolition de la limite du nombre de mandats8. On y voit la volonté d’un homme de s’accrocher au pouvoir. Risible encore une fois, quand on sait que l’on peut rester éternellement au pouvoir à condition d’être élu dans bon nombre de pays européens comme le Royaume-Uni, le Portugal, l’Italie, l’Allemagne ou encore…la France.

Vous voulez la fin de l’histoire? Le projet de réforme de la constitution est refusé par référendum le 2 décembre 2007 à 51% de « non ». Chavez reconnait le résultat et s’y soumet, tel un vrai dictateur pas vrai?

II. Des débuts difficiles | Coup d’état de 2002

La révolution met du temps à s’impulser et connait des débuts difficiles. Le prix du baril avait chuté et avait entraîné une forte récession durant l’année 1999. Chavez a réagi en s’accordant avec les pays de l’OPEP pour faire remonter le prix du baril, signant ainsi le grand retour du Venezuela au sein de l’OPEP.

A la crise économique due au pétrole s’ajoute également des déstabilisations politiques venant de l’opposition et des Etats-Unis. Après avoir re-nationalisé PDVSA en accord avec la constitution, Chavez s’attire évidemment les foudres de Washington qui profitait jusqu’alors d’un pétrole bon marché. L’opposition et la Maison Blanche peinent à reconnaître le caractère légitime de la présidence de Chavez et de la nouvelle constitution.
Chavez est également freiné dans sa volonté de réformes sociales par une corruption et un système capitaliste bien encré dans toutes les sphères de la société. C’est ainsi que le 11 avril 2002, un coup d’état ouvertement soutenu par Washington, une bonne partie de l’opposition et par les médias privés, est fomenté contre lui. Le récit de ce coup pourrait être le scénario d’un film hollywoodien par son déroulement aussi tragique qu’extraordinaire. Je vous en fait une petite chronologie ici:

  • 7 avril 2002: Chavez licencie des cadres dirigeants de PDVSA. Malgré la nationalisation, l’Etat peine à contrôler totalement l’entreprise pétrolière et Chavez tente d’y remédier.
  • 9 avril: Le syndicat CTV et le syndicat patronal Fedecamaras organisent une grève générale de 24h.
  • 11 avril: L’opposition organise une manifestation (200 000 personnes) à Caracas exigeant le départ du président Chavez élu démocratiquement. La manifestation ne suit pas le parcours prévu et se dirige vers le palais présidentiel de Miraflores. L’opposition, soutenue par les médias privés cherche la confrontation avec la contre-manifestation chaviste rassemblée autour du palais. Des heurts éclatent, des snipers inconnus tirent sur la foule tuant chavistes comme anti-chavistes (sept d’entre eux seront arrêtés, on les soupçonne d’être directement envoyé par la CIA qui n’en est pas à son premier coup d’essai en Amérique latine), un détachement de l’armée menace de faire « sauter le palais » si Chavez ne renonce pas. Chavez est emmené et séquestré sur une base militaire. Pedro Carmona, président du syndicat patronal Fedecamaras et fervent opposant à Chavez, est auto-proclamé président de la République et fait abolir la constitution de 1999.
  • 13 avril: les vénézuéliens issus des quartiers populaires majoritairement, descendent dans les rues par milliers exigeant la libération de Chavez et son retour à la présidence du pays. Aidé par certains militaires et la garde présidentielle, le palais de Miraflores est repris, Chavez est libéré et revient en héros.
Le peuple devant le palais présidentiel exige la libération de ChavezLe peuple devant le palais présidentiel exige la libération de Chavez

Ce coup d’état qui aura destitué Chavez durant 48 heures va renforcer considérablement sa réputation.
Avant de passer à la suite, je voudrais vous donner une liste de noms que je vous sommes de retenir: Julio Borges, Leopoldo Lopez, Henrique Capriles ou encore Globovision, Venevision, RCTV, Televen, El Nacional, Ultimas Noticias, El Universal, TalCual. Ce sont là des noms de personnalités politiques ou de médias qui ont soutenu le putsch contre un président démocratiquement élu et qui pour la plupart sont encore actifs aujourd’hui. Tachez de vous en souvenir. On reparlera de certains d’ailleurs dans le prochain article.
Je lance d’ailleurs ici un appel à ce que l’on élargisse cette liste de noms le plus possible (en commentaire de cet article ou sur les réseaux sociaux avec des sources, je rajouterais les noms à la liste ci-dessus ou j’en ferais un article à part s’il y en a assez).

Reprenons. Malheureusement, le coup d’état ne suffit pas à l’opposition. Une grève générale de PDVSA est organisée pendant pratiquement deux mois entre 2002 et 2003. Il y a là une volonté de sabotage de l’industrie pétrolière qui en restera affectée sur sa productivité notamment.

III. D’importantes et impressionnantes avancées sociales

Malgré des débuts difficiles, une fois la révolution réellement lancée, les progrès sociaux vont être impressionnants. Faire l’impasse dessus lorsque l’on parle de la révolution relève clairement de la malhonnêteté intellectuelle.

Les missions bolivariennes (misiones en espagnol) sont une série de programmes sociaux développés au Venezuela depuis 2003 et qui continuent encore de nos jours pour la plupart d’entre-elles (certaines ayant atteint leur but, elles ont pris fin). Les volontés de changements étaient jusque là compromises par, non seulement une opposition néolibérale antidémocratique, mais également par un appareil d’Etat gangrené par une corruption structurelle. Les missions répondent directement à cela par l’implication directe des citoyens dans la gestion public, en continuité avec la démocratie participative prônée par la constitution.

Chaque année, les missions sont rééditées pour répondre à des exigences différentes. Elles traitent chacune d’un ou plusieurs problèmes spécifiques, comme la lutte contre la pauvreté et l’extrême pauvreté, l’éducation, la santé ou encore l’analphabétisme. Elles sont réalisées grâce à des citoyens bénévoles accompagnés de certaines institutions comme les universités ou bien les entreprises publics. Leur financement est en grande partie lié aux excédents de PDVSA, elles sont donc grandement dépendantes de la prospérité de l’industrie pétrolière vénézuélienne, ce qui pose d’autres problèmes que l’on verra plus tard.

Voyons deux exemples de missions très populaires :

  • La mission Robinson a pour objectif d’éradiquer l’analphabétisme. Créée en 2003, il aura fallu seulement deux ans pour qu’en 2005, l’UNESCO proclame le Venezuela, territoire libre d’analphabétisme9.
Hugo Chavez en 2003 lors d'une cérémonie de remise de diplômes dans le cadre de la mission d'alphabétisation Robinson © Maiquel Torcatt NVENPRESHugo Chavez en 2003 lors d’une cérémonie de remise de diplômes dans le cadre de la mission d’alphabétisation Robinson © Maiquel Torcatt NVENPRES

 

D’autres missions concernant l’éducation ont vu le jour avec chacune leur spécificités et particularités comme la mission Sucre ou la mission Ribas.

  • La Gran Mision Vivienda (Grande Mission Logement) consiste elle à charger l’Etat de la construction de logements dans le pays. Créée en 2011, elle est probablement la plus impressionnante en terme d’efficacité. L’année même de son lancement, 146 718 maisons ou appartements ont été construits, 200 080 en 2012, 200 370 en 2013, 126 503 en 2014 et 326 329 en 2015, pour un total de un million de logements en cinq ans10. Pas mal non? Et ce ne sont pas des logements dans un environnement désertique, ils sont accompagnés d’espaces verts, d’aires de jeux et d’espaces prévus pour les activités sociales, culturelles ou sportives.
Inauguration de logements dans le cadre de la Gran Mision Vivienda en 2016Inauguration de logements dans le cadre de la Gran Mision Vivienda en 2016

 

Il existe plus d’une vingtaine de misions actives au Venezuela. Je vous donne quelques chiffres significatifs qui illustrent bien leur impact sur la situation sociale du pays:

  • L’espérance de vie est passée de 72 ans en 1998 à 75 ans en 201411.
  • L’indice de développement humain est passé de 0,699 en 2000 à 0,764 en 201312.
  • Entre 1998 et 2013, l’accès à l’eau potable a augmenté de 15%13.
  • Entre 1999 et 2014, le chômage est passé de 11% à 5,6%14.
  • Le nombre d’établissements de santé est passé de 4 957 en 1998 à 13 372 en 2014. Autrement dit, 8 415 établissements de santé ont été construits en 16 ans15.
  • L’accès à l’éducation secondaire a augmenté de 27,1%16.

IV. Intégration américaine

L’exemple de la révolution bolivarienne a poussé d’autres peuples d’Amérique du sud à se révolter démocratiquement, et différents gouvernements de gauche ont vu le jour après l’arrivée de Chavez. Parmi eux, dans leurs diversités politiques, on peut citer ceux de Lula da Silva au Brésil et Nestor Kirchner en Argentine en 2003, de Tabare Vazquez en Uruguay en 2005, de Evo Morales en Bolivie en 2006, de Rafael Correa en Equateur en 2007, ou encore de Michelle Bachelet au Chili en 2014. Chaque gouvernements possèdent leurs propres caractéristiques et ne se revendiquent pas forcément du « socialisme ».

Lorsque Chavez arrive au pouvoir, l’Amérique latine est loin d’être le continent unifié dont rêvait Bolivar. La seule organisation à vocation réellement continentale est l’OEA (Organisation des Etats Américains), mais l’emprise de Washington sur celle-ci est conséquente. Cuba y était encore exclu jusqu’à il y a peu. Les Etats-Unis rêvaient également d’étendre leur libre-échange à échelle continentale à travers l’ALCA principalement.

C’est ainsi que vont voir le jour différentes organisations, dont le Venezuela de Chavez va participer activement à leur création. On peut notamment citer l’UNASUR (2004) comme alternative à l’ALCA (et l’OEA dans une certaine mesure), la CELAC (2010) comme alternative à l’OEA, ou encore la fameuse ALBA (2004).

Logo de l'ALBALogo de l’ALBA

 

 

Parlons un peu de cette ALBA. Cette organisation de coopération voit le jour en avril 2005 avec un accord entre Cuba et le Venezuela selon lequel le pays envoie du pétrole à Cuba en échange de médecins (Cuba étant le pays avec le plus de médecins au km²). Progressivement, d’autres pays vont rejoindre l’organisation parmi lesquels notamment l’Equateur, la Bolivie, et huit autres pays. L’ALBA met l’accent sur la solidarité, la complémentarité, la justice, et la coopération latino-américaine, selon ses propres mots17. Contrairement à ce qui a pu être dit par certains, l’ALBA n’est en aucun cas une alliance militaire, mais avant tout une coopération économique. Il est cependant vrai de dire qu’elle a un caractère politique plus prononcé que d’autres organisations comme l’UNASUR ou la CELAC. L’organisation s’oppose explicitement à l’impérialisme nord-américain et refuse les logiques d’accaparement des richesses au détriment d’autres peuples. A vous de juger si ces intentions sont louables.

V. Naissance du PSUV

Je rajoute cette petite partie pour préciser que, jusque ici, le parti politique dirigeant cette révolution est toujours le Mouvement Cinquième République créé en 1997. Seulement, il vieillit et rien que son nom n’est plus d’actualité. C’est ainsi que le 14 mars 2008 est créé le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV). Il se fonde par une fusion du Mouvement Cinquième République et de cinq autres partis. Notons que le Parti communiste (PCV) a cependant décidé de rester à l’écart bien qu’il soutienne le président Chavez.

Logo du PSUVLogo du PSUV

 

En 2012 voit le jour un Grand Pôle Patriotique, coalition politique autour du PSUV, qui regroupe plusieurs partis politiques soutenant la révolution bolivarienne, dont le PCV.

VI. Censure des médias au Venezuela? Ça dépend de quel point de vue…

Alors là, c’est une question sensible. Chavez a-t’il muselé la liberté d’expression au Venezuela? A en croire nos médias, c’est irréfutable. A en croire les faits, absolument pas.
Le « problème » de la liberté d’expression au Venezuela n’en est pas un, il ne faut pas avoir peur de le dire, c’est une fable, destinée à détourner le regard des avancées sociales de la révolution. Jamais Chavez n’a empêché la critique de s’exprimer. En réalité, c’est tout l’inverse qui s’est produit. Pour vous donner une idée, je vous invite à lire l’excellent article de Thierry Deronne de 2015 qui explique très bien cette farce (à voir en bas de page). Je vais vous donner quelques éléments mais j’insiste pour que vous alliez le lire si vous n’êtes pas convaincus par ce qui va suivre.

La grande majorité des médias vénézuéliens sont critiques à l’égard du chavisme, et pour cause, en 2014, sur 2896 médias, 80% d’entre-eux étaient des entreprises privées. La vérité, c’est que un des problèmes du chavisme est de ne pas arriver à diffuser de façon massive ses informations auprès de la population. Les chaînes de télévision et les journaux en majorité privés donc, ne cessent de diffuser des informations contre le gouvernement, et très rarement l’inverse. En 2014, 85% des audiences radios et TV étaient réalisées par les médias privés, contre 12% seulement par ceux du public, et 3% par les médias communautaires.
En 2005 a été lancée la chaîne Telesur à l’initiative de Chavez, en coopération avec d’autres pays latino-américains, dans le but justement de contrer l’hégémonie du privé sur l’information, mais c’est loin d’être gagné.
Pire encore, lors du coup d’Etat de 2002, c’est bien l’opposition qui a pris possession de la seule chaîne TV relaie du point de vue chaviste à cette époque, à savoir VTV sur le Canal 8, et qui en a coupé le signal. Cette même chaîne TV a encore récemment été attaquée par des groupes violent d’opposition qui y ont mis le feu, et combien d’autres exemples d’attaques contre la liberté de la presse venant de l’opposition peut-on citer. Tiens donc, les rôles de l’oppresseur et de l’oppressé seraient-ils en réalité inversés?

Scène de la vie quotidienne sous la dictature bolivarienne: la dirigeante d’extrême-droite Maria Corina Machado, impliquée dans plusieurs tentatives de coup d’État depuis 2002, explique aux médias « bâillonnés » qu’il n’y a pas de liberté au Venezuela. © Photo tirée de l'article de Thierry DeronneScène de la vie quotidienne sous la dictature bolivarienne: la dirigeante d’extrême-droite Maria Corina Machado, impliquée dans plusieurs tentatives de coup d’État depuis 2002, explique aux médias « bâillonnés » qu’il n’y a pas de liberté au Venezuela. © Photo tirée de l’article de Thierry Deronne

 

Donc oui, c’est bien une question de point de vue. D’un côté, celui de ces médias privés (vénézuéliens mais aussi la presse internationale qui reprend en chœur) qui inventent leur propre répression, et de l’autre, celui des chavistes qui tentent tant bien que mal de dénoncer la supercherie et de mettre en avant les réussites de la révolution. Oui, il y a bien une censure de l’information au Venezuela, celle de ces groupes privés qui censurent la réalité des programmes sociaux et s’acharnent à dénoncer la révolution plutôt que de faire un vrai travail journalistique.

Enfin, avant de clore cette partie il faut absolument que je vous parle d’une dernière chose. Une fois toutes les supercheries sur la prétendue censure démasquées, il reste un ultime argument des anti-chavistes: Alo Presidente. Il s’avère que tous les dimanches à 11 heures, était diffusé sur les médias publics radio et tv (15 % d’audience) un programme dans lequel le président de la République, pour ne citer que lui, prend la parole et dialogue avec les citoyens sur des sujets divers et variés. Il y rend également compte des politiques menées par le gouvernement, des choses qui vont, qui ne vont pas etc. Alors effectivement ça peut en effrayer certains, il est préférable d’avoir un gouvernement qui mène sa politique dans son coin, à l’abri des regards, et qui ne rend pas compte de ces actes devant le peuple qu’il est censé représenter. Est-ce une censure des chaines TV? Si ça peut vous rassurer, le programme ne dure que quelques heures le dimanche, le reste du temps, tout fonctionne normalement. (Aujourd’hui l’émission existe toujours sous le nom de Domingo con Maduro)

VII. Les élections: dictature déguisée ou processus démocratiques?

Après la liberté d’expression vient la démocratie. Je vais être concis, mais sachez que l’on n’a vraiment pas de leçons à donner sur ce sujet. Depuis l’accession au pouvoir de Chavez le 6 décembre 1998, dix-sept élections ont eu lieu au Venezuela18. Toutes ont été remportée par le chavisme à l’exception des législatives de 2015. A ces dix-sept élections s’ajoutent sept référendums nationaux, dont six remportés par le chavisme. La fiabilité de l’ensemble des scrutins a toujours été validée par l’ensemble des observateurs internationaux, et le Venezuela est reconnu dans la région comme ayant un excellent système électoral. En 2012, lors de la réélection de Chavez à la présidence, Jimmy Carter, 39ème président des Etats-Unis, a même affirmé que le processus électoral vénézuélien était le « meilleur du monde »19. Un vrai marxiste-léniniste celui-là.

Vote lors de l'élection présidentielle de 2013Vote lors de l’élection présidentielle de 2013

 

Et quand un scrutin est perdu par le chavisme, le résultat est reconnu et respecté. Quand en 2007, le référendum sur la constitution fut perdu par Chavez, il a immédiatement reconnu le résultat et s’est soumis à la démocratie. Quand en 2013, le chavisme gagne les élections, l’opposition ne reconnait pas le résultat20, et quand en 2015, cette même opposition gagne les législatives, le résultat est devenu bon. Démocratie à géométrie variable pour certains donc.
Enfin, tandis que sept référendums ont eu lieu au Venezuela depuis le début de la révolution, sur la même période, seulement deux ont eu lieu en France. Et encore, sur les deux, un n’a pas été respecté (référendum sur le traité constitutionnel européen de 2005).
Conclusion: vaut mieux balayer devant sa porte avant de chercher à balayer dans le vide chez les autres.

VIII. Prises de position contestées

Si les grands médias de communication font pratiquement abstraction des conquêtes sociales de la révolution bolivarienne, ils insistent cependant beaucoup sur les relations qu’a pu avoir Chavez avec certains dirigeants politiques sur la scène internationale et qui sont évidemment contestables. Parmi ces relations, on peut relever celles avec Kadhafi, Al-Assad ou encore Ahmadinejad.

Je ne fais pas partie de ceux qui soutiennent ces prises de positions et je pense que ce fut une grave erreur. Mais je pense cependant les expliquer (pas justifier) par la volonté de créer (selon moi) une grande coalition à échelle internationale contre la politique impériale des Etats-Unis.

Malgré cette erreur de Chavez, il n’est cependant pas vrai de dire que l’essentiel du chavisme repose sur sa politique extérieur. Réduire le chavisme à cela est une fois de plus ridicule et malhonnête.

IX. Mort de Chavez

En juin 2011, Chavez annonce un cancer. Il est soigné à Cuba où les médecins sont parmi les plus compétents du monde. Il se bat et lutte contre son cancer mais celui-ci l’emportera le 5 mars 2013. D’énormes rassemblements ont lieux dans tout le pays et un deuil national de sept jours est décrété. Avant son décès, Chavez émit l’hypothèse selon laquelle son cancer lui aurait été volontairement inoculé, soulignant l’étrangeté du fait que plusieurs dirigeants d’Amérique latine avait vu eux aussi un cancer se développé21. Il comparait même son cas à celui de Yasser Arafat dont les circonstances de la mort sont également étranges et non élucidées.

Avant sa mort, Chavez a également organisé une allocution télévisée dans laquelle il désigne comme successeur, dans le cadre de la constitution, son vice-président Nicolas Maduro. De nouvelles élections doivent avoir lieu le 14 avril pour élire un nouveau président.

Hugo Chavez à gauche et Nicolas Maduro à droite durant l’allocution télévisée dans laquelle Chavez appelle à voter Maduro aux éventuelles futures élections, 8 décembre 2012Hugo Chavez à gauche et Nicolas Maduro à droite durant l’allocution télévisée dans laquelle Chavez appelle à voter Maduro aux éventuelles futures élections, 8 décembre 2012

 

Hugo Rafael Chavez Frias, président du Venezuela du 6 décembre 1998 au 5 mars 2013, aura soufflé un vent nouveau sur l’Amérique latine et sur le monde. Promoteur du « socialisme du XXIème siècle », porteur d’un charisme irremplaçable et d’un courage exemplaire, cet homme a selon moi déjà sa place au panthéon des géants de ce XXIème siècle.

Sa succession parait difficile. Que va-t’il advenir du chavisme sans Chavez? La suite dans le prochain et avant-dernier épisode.

Si vous voulez aller plus loin…

  • …à propos du coup d’Etat de 2002, il est indispensable que vous regardiez ce documentaire qui est vraiment excellent: La révolution ne sera pas télévisée
  • …dans la compréhension du système médiatique vénézuélien, voici l’article de Thierry Deronne que je mentionnais plus haut: Thomas Cluzel ou l’interdiction d’informer sur France Culture
  • …dans la révolution bolivarienne en elle-même, je vous conseille l’excellent bouquin de Andrés Bansart qui va vraiment en profondeur sur le Venezuela et qui aide vraiment à la compréhension de ce qui s’y passe, y compris aujourd’hui: Comprendre le Venezuela, Andrés Bansart, Le Temps des Cerises, 2016

 

ARTICLE PRÉCÉDENT: Episode 2: Avant le 6 décembre 1998 et l’arrivée de Chavez

ARTICLE SUIVANT: Episode 4: Maduro, ou la difficile succession à Chavez

Notes:

1: Article 70 de la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela
2: Article 83 de la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela
3: Articles 102 et 103 de la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela
4: Article 127 de la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela
5: Titre III,Chapitre VIII de la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela
6: Article 273 de la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela
7: Articles 302 et 303 de la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela
8: Hugo Chavez veut modifier la Constitution pour rester au pouvoir, Libération, 16 août 2007
9: Venezuela: La mission Robinson, 13 ans d’alphabétisation du peuple, bolivarinfos.over-blog.com
10: Comprendre le Venezuela, Andrés Bansart, Le Temps des Cerises, 2016
11;13;15: Données de l’INE sur la santé
12: Données de l’INE sur l’IDH
14: Données de l’INE sur la main-d’oeuvre
16: Données de l’INE sur l’éducation
17: Site officiel de l’ALBA-TCP
18: Voir la liste sur le site du Conseil National Électoral
19: Carter affirme que le processus électoral du Venezuela est le « meilleur du monde », Business Wire, 21 septembre 2012
20: Au Venezuela, l’opposition refuse l’élection de Nicolas Maduro, Le Monde, 15 avril 2013
21: Chavez: « Les Etats-Unis pourraient inoculer le cancer grâce à leur technologie »

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Une réponse

  1. Merci de bien vouloir nous tenir informés des résultats du vote du 30 juillet ainsi que du taux de participation de la population.

    Cordialement Henri Marteau

    • Bonjour, le nombre de votants (plus de 8 millions sur 19 millions d’électeurs potentiels soit environ 42% du corps électoral) est un succès : pas seulement à cause du fait que des bureaux de vote avaient été fermés suite aux violences, menaces, attentats ou barrages routiers de la droite mais aussi parce que ce chiffre dépasse de 583 mille 982 votes le score de Maduro aux élections présidentielles de 2013. Il dépasse aussi le chiffre du précédent référendum constitutionnel, celui de 1998, qui avait attiré 37,5%. Source officielle : CNE (www.cne.gob.ve )

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