Du Plan Condor au « plan perroquet » : la droite a son candidat pour affronter Nicolas Maduro.

Photo : L’extrême droitière María Corina lève le bras de l’inconnu Edmundo González Urrutia (au centre) qui a pour mission de vaincre Maduro dans le cœur de la population.

Edmundo González Urrutia parle peu, très peu pour un candidat en pleine campagne électorale. Il n’a pas l’habitude d’être sous les feux de la rampe, mais il est devenu en quinze jours le candidat de la droite dans la course électorale vénézuélienne. Ses réponses sont courtes et, jusqu’à présent, il n’a guère fait beaucoup de propositions. Sauf une : le « rapprochement » avec les États-Unis.

Urrutia n’a pas de carrière politique. Il a travaillé au Ministère vénézuélien des Affaires Étrangères, bien avant l’élection d’Hugo Chávez, et fut ambassadeur en Algérie et en Argentine. Sa candidature est portée par la coalition de droite et d’extrême droite « Plataforma Unitaria », comme une solution au forceps du conflit entre l’ancienne députée d’extrême droite María Corina Machado et le gouverneur de droite de l’état du Zulia, Manuel Rosales.

À un peu plus de deux mois des élections prévues pour le 28 juillet, Edmundo Urrutia – qui réside à Miami – est retourné un temps au Venezuela pour participer à son premier événement de campagne, le 18 mai. Le lieu choisi était La Victoria, une ville symbolique puisqu’il y est né.

Mais la campagne du candidat de la Plate-forme de l’Unité peine à démarrer. Urrutia refuse de participer aux rassemblements et la personne chargée de populariser le nom d’Edmundo est sa mentor d’extrême droite, María Corina Machado qui, en l’absence de « son » candidat, brandit une photo de lui dans les marches organisées dans des bastions de la droite.

Les chavistes le qualifient de « candidat-poster » et de fait, jusqu’à présent, Edmundo ne semble pas vouloir se défaire de cette condition. Lors de l’événement à La Victoria, alors que l’ex-députée ultra-libérale María Corina prononçait son discours, il se tenait à l’arrière de la scène, derrière les membres de la « Plate-forme Unitaire ». L’ultra-libérale a dû le tirer par le bras pour que le public puisse le voir.

María Corina avait d’abord tenté de se positionner comme la principale candidate de la droite. Déclarée inéligible par la Justice pour corruption et pour sa participation constante aux violences et aux coups d’État de l’extrême droite depuis 2002, elle n’a jamais voulu inscrire son ONG-parti au registre électoral (1). Non sans se victimiser devant les caméras du monde entier (« la dictature m’empêche d’être candidate ! »). Avant de se faire remplacer in extremis par une professeure universitaire de 80 ans, Corina Yoris, une inconnue en politique qui n’a reçu aucun soutien de la part des autres groupes d’opposition. Le gouverneur de Zulia et candidat du parti Un Nuevo Tiempo, Manuel Rosales, avait critiqué ce choix autoritaire, opéré par Machado sans consulter les autres partis de la coalition, et s’est lancé dans un bras de fer avec l’oligarque. Après deux semaines de négociations, Machado a réussi à obtenir le retrait de Rosales. Tous deux ont signé un accord à l’arraché pour lancer le candidat inconnu du grand public, Edmundo Urrutia. Mais pour María Corina le grand défi à relever à présent est… de le faire connaître.

Un perroquet au balcon

Non content d’être un inconnu, Edmundo est resté longtemps absent des médias sociaux. Avant que le « candidat » ne soit enregistré en mars, sa dernière publication sur son compte X remontait à janvier 2017. Il lui a fallu publier deux fois un communiqué expliquant qu’il s’agissait bien de son profil original car, selon lui, « quelqu’un a pris la liberté d’ouvrir un compte non autorisé ». La stratégie initiale de l’extrême droite consiste à booster sa présence sur les plateformes, à coups de bots, comme pour Milei, Trump ou Bolsonaro. De plus en plus de publications, de photos et de textes décrivant le candidat ont donc commencé à apparaître. Dans l’un d’entre eux, Edmundo apparaît en train de nourrir des perroquets sur le balcon de son appartement, un hobby courant dans les appartements solitaires de la bourgeoisie de l’Est de Caracas.

Pour Fernando Medina, professeur d’économie politique à l’Université Bolivarienne du Venezuela, cette façon de faire connaître Edmundo est peu efficace. « Personne ne connaît Edmundo et il est ridicule de le faire connaître via des perroquets, ou de la façon dont María Corina promeut ce candidat. Dans les endroits où elle fait des discours, elle porte une photo de lui en disant « voici le candidat ». Mais Edmundo n’est pas présent dans la rue, n’organise pas de débats et ne parle pas au cœur des électeurs, de la majorité du peuple vénézuélien ».

La deuxième étape a consisté à construire une image opposée à celle de María Corina Machado. Pour l’avocat et expert en économie politique Juan Carlos Valdez, l’ex-députée d’extrême droite Machado et l’actuel candidat Urrutia obéissent à un jeu de rôles bien connu : « le bon flic et le mauvais flic ». « Edmundo doit incarner médiatiquement l’antithèse de María Corina Machado. L’extrémisme « à la Milei » de cette dernière génère la crainte que le chavisme se renforce par crainte de la voir s’emparer du pouvoir. Son rôle est donc d’adoucir cette image de María Corina. Mais elle reste importante pour lui car elle attire le vote de la droite la plus dure. Bref, à lui d’être le bon flic, d’être mesuré, de parler simplement, de ne pas être trop expressif dans les interviews ».

Selon Valdez, un autre outil important utilisé par la campagne de l’ex-diplomate des régimes d’avant Chávez est l’appel du pied à des experts et à des analystes politiques pour « renforcer » les qualités d’Edmundo. « Son équipe s’appuie désormais sur d’autres acteurs. Il y a plusieurs analystes politiques connus au Venezuela qui parlent très bien d’Edmundo Gonzalez, louant son image et même ses qualités intellectuelles, que l’on ne peut pas mesurer dans les interviews parce qu’il ne dit pas grand-chose. »

Photo : Edmundo Urrutia a déclaré qu’il se sentait « pas assez fort physiquement » pour faire campagne dans les rues et qu’il laissait cette tâche à María Corina Machado…

Projet vide… et spectre du « Plan Condor »

Jusqu’à présent, Edmundo Gonzalez a présenté peu de propositions concrètes. Mais cela ne relève pas de la seule responsabilité du candidat. Les interviews avec les médias vénézuéliens (en majorité d’opposition) et la presse étrangère (également opposée au gouvernement de gauche), se concentrent sur la confrontation avec le chavisme et la possibilité d’un retour à « l’efficacité du capitalisme ». Mais en général, lorsqu’on lui pose des questions, Urrutia répond brièvement ou change de sujet. Le journal d’opposition en ligne TalCual a publié une interview de près de 30 minutes avec l’ex-ambassadeur. Interrogé sur les premières mesures qu’il prendrait à la tête du gouvernement, Edmundo reste dans le flou : « La première chose que je ferais ? La reconstruction du pays, la réinstitutionnalisation de la démocratie vénézuélienne ».

Pour Fernando Medina, le vide de projets et de propositions montre qu’il existe un agenda caché parce qu’impopulaire. « Quelle est la proposition pour l’éducation ? Quelle est la proposition pour la santé ? Quelle est la proposition pour l’intégration de l’Amérique latine et des Caraïbes ? Quelle est la proposition en matière de droits sociaux ? Edmundo et María Corina se concentrent plus sur la confrontation et la radicalisation que sur le débat entre programmes ».

Le seul domaine qu’Edmundo aborde avec plus de clarté est précisément celui dans lequel il a fait carrière. En matière d’affaires étrangères, il promet de se rapprocher des États-Unis et d’abandonner les relations avec les pays dont le Venezuela s’est rapproché ces dernières années. La Russie et l’Iran sont quelques-uns des pays avec lesquels Edmundo entend rompre s’il devient président, une re-satellisation impériale semblable à celle de Milei en Argentine, pour contrer l’influence des BRICS qui inquiète tant Washington. « Ces dernières années, nous avons établi des alliances avec des pays qui sont étrangers à notre tradition de pays pacifique et démocratique, avec l’Iran, la Russie, la Biélorussie… Ce ne sont pas des alliés traditionnels de la politique étrangère que le Venezuela a menée ces dernières années, totalement étrangère au comportement du Venezuela démocratique », explique-t-il au journaliste de droite Luis Olavarrieta.

La relation d’Edmundo avec les États-Unis a été critiquée par le vice-président du Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV, principal parti chaviste), Diosdado Cabello. Dans son émission hebdomadaire « Con el Mazo Dado », celui-ci a révélé que l’ancien ambassadeur a entretenu des liens avec l’US Intelligence Agency alors qu’il était fonctionnaire diplomatique vénézuélien à Washington en 1976. Urrutia aurait également collaboré avec les « escadrons de la mort » qui ont opéré au Salvador dans les années 1980. L’actuel candidat était en effet conseiller de l’ambassadeur vénézuélien démocrate-chrétien dans ce pays, Leopoldo Castillo, et aurait servi d’intermédiaire dans les relations de la CIA avec les groupes paramilitaires d’extrême droite dans le pays.

Photo : Urrutia à l’époque du « Plan Condor » salvadorien, dans les années 80.

Pour le professeur Medina, cette volonté de rapprochement du « candidat » avec les États-Unis exprime sa trajectoire, sa vision du monde, l’idéologie de María Corina Machado et de l’ensemble de l’extrême droite. « Edmundo a toujours été étroitement lié à la politique du département d’État. L’idée principale d’Edmundo, lorsqu’il dit vouloir se rapprocher des États-Unis, est la même que celle de Maria Corina. Ils représentent l’opposition putschiste. Pas la droite démocratique qui siège à l’Assemblée Nationale ».

Battre Maduro permettrait d’appliquer au Venezuela « le choc Milei » : privatiser et remettre l’économie sur orbite états-unienne. Pour Machado, le but est de faire du Venezuela «un pays de propriétaires et d’entrepreneurs» en privatisant tout ce qui peut l’être – comme l’entreprise publique pétrolière ou les cinq millions de logements que le «régime» a construit gratuitement pour les secteurs populaires. Le 16 mai, le site Venezuela News a révélé, preuves à l’appui, que María Corina Machado a reçu un pot-de-vin de 3,2 millions de dollars d’un lobby américain pour céder la compagnie publique du pétrole (PDVSA) à Chevron en cas de victoire de son poulain aux présidentielles.

Tout ce projet impliquerait rapidement le recours à la répression vu le mécontentement social que génèreraient la perte des ressources publiques, la privatisation des services publics, la suppression des programmes sociaux, et l’explosion de la pauvreté, comme c’est le cas aujourd’hui en Argentine. Maria Corina Machado comme Edmundo Urrutia incarnent l’école contre-insurrectionnelle des États-Unis. La première a d’ailleurs signé avec le Likoud israélien un « accord de coopération stratégique » incluant « la géopolitique et la sécurité » (photo ci-dessous). Le 28 mai, le journal d’opposition « El Universal » a révélé que Marica Corina Machado a écrit dès 2018 à Netanyahu pour l’implorer de l’aider à « changer le régime », y compris via une intervention militaire. (2)

Partie prenante de tous les coups d’État et des violences de rue contre le gouvernement de gauche du Venezuela (relookées par les médias en « révoltes-populaires-contre-Maduro »), Maria Corina Machado est la fille d’un magnat de l’acier vénézuélien, Henrique Machado Zuloaga, dirigeant d’une des plus grandes entreprises sidérurgiques du Venezuela. Celle-ci fut nationalisée en 2008 par le président Chávez lorsqu’il commença sa politique de redistribution en faveur des plus pauvres. Machado en a gardé une soif de vengeance et incarne parfaitement l’oligarchie raciste du Venezuela pressée d’effacer la révolution bolivarienne et son inclusion de la majorité « non blanche ».

Texte : Lorenzo Santiago, avec Thierry Deronne
Rédaction : Rodrigo Durão Coelho

Notes:

(1) Lire « Douze points sur les « i » d’élections présidentielles au Venezuela« , T. Deronne

(2) https://www.eluniversal.com/politica/182834/revelan-documento-donde-maria-corina-machado-pidio-a-netanyahu-intervencion-militar-a-venezuela

Source : https://www.brasildefato.com.br/2024/05/21/desconhecido-sem-proposta-ou-carisma-conheca-o-candidato-fantoche-da-oposicao-na-venezuela

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/05/25/du-plan-condor-au-plan-perroquet-la-droite-a-son-candidat-pour-affronter-nicolas-maduro/