Après le « pouvoir-sur », le « pouvoir-pour » des femmes dans la révolution vénézuélienne

Lorsque nous sommes retournés sur le chantier le 27 avril, tout s’accélérait vertigineusement. Les camions et les pelleteuses dépêchées par le gouvernement pour le dernier coup de pouce soulevaient des trombes de poussière. Tout autour, comme depuis des années, le concert des marteaux, des foreuses, des appels au loin, des rires de femmes.

Ici, en 2011, des habitantes de l’immense quartier populaire d’Antimano, lasses de vivre dans des logements précaires, ont occupé un terrain sous-utilisé – une décharge privée de ferraille -, et ont fait valoir leur droit au logement, légalisé par la révolution. Treize ans de lutte. Elles se sont formées elles-mêmes comme militantes, architectes, gestionnaires, ingénieures, travailleuses intégrales de la construction, formatrices en droits des femmes. Rien n’a pu les arrêter : ni les moqueries, ni les préjugés machistes, ni les divisions internes, ni les départs, ni le blocus occidental qui a interrompu les livraisons de ciment, de fer ou de sable, ni la stagnation du Covid, ni la bureaucratie, ni la fatigue, ni les plaies aux mains, ni les épreuves de santé, ni les cheveux blancs. Au bout, il y a leur victoire : 48 appartements spacieux et confortables pour leurs familles. En plus des matériaux de construction, le gouvernement révolutionnaire a fourni le mobilier, des cuisinières, des lits, le parc de jeux pour les enfants, un potager hydroponique et bien d’autres choses. Les femmes d’Antimano ont veillé à tout : à l’entrée du terrain, un poste de surveillance où elles se relaient munies de transistors, et l’épicerie à bas prix, au pied de l’immeuble : « Le but est que nous contribuions toutes à l’approvisionnement. » La victoire va au-delà. Tout au long de leur lutte, les femmes se sont émancipées. Au « pouvoir sur », elles ont substitué avec patience un « pouvoir pour ».

Depuis quelques années, l’équipe de notre télévision populaire – Terra TV – suit ce processus du féminisme populaire, l’image la plus exacte de la révolution bolivarienne, invisibilisée par les grands médias (1). Faire une image révolutionnaire, c’est transmettre des expériences de peuple à peuple, susciter la discussion et l’action, tirer et partager les leçons d’un processus, plutôt que de célébrer un produit.

« Nous avons laissé notre maquillage et pris les outils pour construire nos propres logements. J’ai tout essayé : la maçonnerie, la pose des briques, la finition des murs, mais finalement, je me suis concentrée sur le revêtement de céramique » commence Yusgleidys Ruiz. « Au début, j’ignorais tout, ce métier semblait réservé aux hommes. Aujourd’hui, nous sommes toutes poseuses de barres de fer, plombières, cheffes d’entrepôts. La plupart des céramiques posées dans l’immeuble sont de ma main. Il n’y avait pas de temps pour le repos. Nous nous couchions fatiguées, le corps endolori, mais nous nous levions pleines d’énergie, avec la volonté d’aller jusqu’au bout. Je suis satisfaite à 1000% parce que nous avons prouvé qu’avec l’organisation populaire, on peut construire une société socialiste ».

« Être vendeuse de rue ou femme au foyer, ce n’est pas la même chose que d’être vendeuse de rue, femme au foyer et constructrice d’un rêve » explique Andreina San Martin: « nous avons travaillé et créé chaque appartement comme si c’était le nôtre ». « Nous avons encore beaucoup à apprendre », dit Zanet. « Une expérience inoubliable » dit Claudia Tisoy, « parce que liée à un processus de formation permanente et d’auto-formation. Nous sommes des bâtisseuses intégrales. Nous avons tout appris ici : la maçonnerie, la plomberie et l’électricité. »

Ircedia Boada : « quand nous avons occupé ce terrain, nous étions près de 750, puis le nombre s’est réduit. Certain(e)s sont parti(e)s pour des raisons de santé, d’autres pour des raisons économiques, d’autres à cause des effets du blocus occidental, beaucoup ont renoncé par manque de confiance dans le projet, par manque de confiance en eux-mêmes, on cherchait à nous faire croire que le Venezuela était fini, que nous rendre au rêve américain était la seule issue. Mais nous avons continué la lutte. Parmi les quarante-huit chefs de familles qui composent cette communauté, 34 sont des femmes, pour la plupart restées célibataires, mères de familles. Plus d’une s’est coupé un doigt, s’est abîmé la main ou une autre partie du corps, mais nous avons tenu bon, nous sommes fières de notre victoire. »

Pour Ayary Rojas, «nous étions comme une chenille méprisée par beaucoup, mais nous avons réussi à devenir papillon, à déployer nos ailes. Sans les femmes, il n’y aurait pas eu d’indépendance au Venezuela. Nous avons joué un rôle fondamental. Nous sommes à la mesure du défi qui s’offre à nous, Chávez nous a donné cette énergie en s’autoproclamant « féministe parce que socialiste ». Notre immeuble a ce visage de femme. Nous avons pris soin de tout : chaque brique, chaque clou, chaque espace, et nous sommes reconnaissantes pour l’appui donné par le gouvernement. »

Ursulina Guaramato n’avait jamais pensé travailler sur ce chantier jusqu’au jour où son mari est décédé. Elle a ouvert sa boîte à outils. Elle en a sorti une tenaille, en a fait son outil principal pour ajuster les barres de fer qui ont servi de squelette à tout l’immeuble. « Les hommes nous voyaient comme le sexe faible, nous sommes montées à leur niveau, nous les avons dépassés. Les femmes au pouvoir ! »

Le jour venu, le 30 avril 2024, la mairesse de Caracas, Carmen Melendez, et la vice-présidente de la république, Delcy Rodriguez, entourées des créatrices, inaugurent l’immeuble qui porte le nom du père de Delcy : Jorge Rodriguez, opposant politique torturé et assassiné sous la « démocratie » d’avant la révolution bolivarienne. Lorsque la télévision publique les met en lien avec Nicolas Maduro qui, à quelques kilomètres de là, remet à une famille populaire les clefs de l’appartement numéro 4.900.000 de la « Grande Mission Logement Venezuela», le président dit son admiration : « Je sais tout ce que vous avez enduré, tous les efforts que vous avez déployés, les problèmes que vous avez vécus avec le matériel qui parfois n’arrivait pas, avec la bureaucratie, comment vous avez construit cet immeuble, colonne par colonne, étage par étage, je sais tout cela. Comme Claudia l’a demandé en votre nom, je vous exonère de tout paiement, et nous allons vous remettre immédiatement les documents de propriété, à chacune des familles, vous le méritez. Bientôt nous nous rencontrerons là-bas, chez vous, je voudrais que vous m’invitiez à une soupe collective, Delcy, vois avec elles pour trouver un moment dans l’agenda ». Et de se tourner vers son Ministre du Logement « tu vois, un des avantages de donner du pouvoir aux organisations populaires pour qu’elles construisent elles-mêmes leurs logements ? la gestion est meilleure, le matériel économisé permet de construire plus de logements. »

Les femmes d’Antimano n’ont dormi que quelques heures. Elles vont, sur le même terrain, commencer la construction d’une deuxième tour pour 48 autres familles, qu’elles comptent achever en un an.

Thierry Deronne, Caracas, le 8 mai 2024

Le reportage de Terra TV :

Note :

(1) Le documentaire « Nostalgiques du futur » raconte cette longue marche du féminisme populaire au Venezuela : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/11/27/nostalgiques-du-futur-par-maurice-lemoine-a-propos-dun-film-sur-le-venezuela/

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/05/09/apres-le-pouvoir-sur-le-pouvoir-pour-des-femmes-dans-la-revolution-venezuelienne/

Au Venezuela les communard(e)s continuent à créer l’État nouveau.

Lorenzo Santiago, Brasil de Fato | Caracas (Venezuela)

Petit à petit, les Vénézuéliens ont remonté les rues étroites du quartier de Catia pour aller voter dans les bureaux de la commune d’Altos de Lídice, à Caracas (1). L’élection de ce dimanche 21 avril au Venezuela n’a pas pour but de choisir un député, un maire ou un gouverneur. L’objectif de la consultation populaire est de définir les projets prioritaires pour chacun des 4500 auto-gouvernements communards du pays. Dans la rue, on note la forte participation des femmes. Carmen Forjado, coordinatrice de l’équipe électorale de la commune « Golpe de Timón » : « Nous sommes les 70% des électeurs, nous avons laissé le foyer, notre confort, nous nous sommes donné les moyens d’agir sur le plan politique. Nous avons le sentiment d’incarner tout ce processus ».

15.617 bureaux de vote répartis dans 49.000 conseils communaux du Venezuela ont ouvert leurs portes tôt le matin à ces électrices et aux électeurs qui ont pu choisir les priorités de chaque commune parmi sept options. Le projet retenu est transmis au ministère des communes et des mouvements sociaux, pour être financé. Il sera mis en œuvre avec le concours des habitant(e)s eux-mêmes, avec l’aide matérielle du gouvernement révolutionnaire. Les projets sur lesquels les Vénézuéliens votent sont l’eau potable, les services électriques, l’amélioration des services publics, du système de santé, de l’éducation, du sport, des transports publics, la gestion des déchets, l’entretien des rues ou des routes, la protection de l’environnement, des projets productifs, des processus industriels, le système de production agricole, etc… Qu’il s’agisse d’acheter des ambulances, d’améliorer l’approvisionnement en eau potable ou de construire un réseau Wi-Fi public, les Vénézuéliens revendiquent ce vote comme une étape avancée de la démocratie participative.

Le caractère politique de ces élections va au-delà de la politique des partis. Les communes sont un concept de l’État nouveau, proposé par le président Hugo Chávez. Son objectif reste clair : que l’État soit géré de la base au sommet et que les décisions des conseils communaux prennent toute leur place dans la prise de décision commune peuple/gouvernement. Il ne s’agit pas d’une simple consultation citoyenne, comme dans d’autres pays. Ici le résultat du vote oblige l’État à financer le projet retenu par la population.
Les projets élus ce dimanche ont été choisis après un débat approfondi au sein des conseils communaux. Par le biais d’assemblées, les habitants ont été écoutés et ont fait valoir ce qu’ils considéraient comme les principales demandes. A partir de là, ont été choisi les sept projets les plus urgents, et nécessaires.

Pour Dahis Escobar, éducatrice à l’université plurinationale Patria Grande, la participation populaire est fondamentale pour mettre en œuvre des projets qui répondent étroitement à la réalité des communes. « Ce n’est pas une simple démocratie représentative. Je ne choisis pas quelqu’un qui promet de réaliser quelque chose sans que je sache s’il va le faire ou pas, ou parce qu’il nous a dit que selon lui, tel ou tel projet est le meilleur pour la communauté. Non. Ici, la démocratie est participative et directe. Nous participons nous-mêmes au choix des projets que nous allons réaliser. Le débat sert à écouter les demandes réelles de la population ».

« Vaincre le capitalisme »

Pour José Ibarra, porte-parole des infrastructures de la commune socialiste d’Altos de Lídice, « C’est très important pour vaincre l’État capitaliste. Avant, nous étions habitués à une mairie. Mais aujourd’hui, le pouvoir populaire participe à partir de son territoire, des projets à court, moyen et long terme sont élaborés. Les gens eux-mêmes, les porte-parole des conseils communaux et le Comité Local d’Approvisionnement, participent ensemble à ce projet au bénéfice des communes »

Mères, pères, grands-pères et grands-mères accompagnés de leurs enfants, petits-enfants et neveux. Des familles entières se sont rendues aux urnes en ce dimanche qui s’annonçait nuageux à Caracas. Le ministère des communes s’attendait à ce qu’au moins 1,3 million de communard(e)s participent à la consultation. Parce qu’ils sont simples et rapides à mettre en œuvre, le gouvernement calcule que les projets retenus seront finalisés dans un délai maximum de deux mois. Les travaux seront gérés par les communes elles-mêmes par l’intermédiaire de la Banque Communale, une figure créée par l’assemblée nationale au sein du vaste éventail des lois du pouvoir populaire. Chaque commune dispose de sa propre banque, et d’une unité qui concentre l’administration des fonds. La banque recevra l’argent du ministère et l’investira conformément à ce qui a été approuvé dans les assemblées.

Contrairement aux élections traditionnelles (35 en 24 ans de révolution), les personnes âgées de plus de 15 ans peuvent participer à la consultation populaire. Pour Dahis Escobar, la présence des jeunes est un gage de plus grande représentativité dans le choix des projets. « Les plus de 15 ans peuvent choisir les projets qu’ils préfèrent, l’important est que ces projets soient réalisés par les habitants de ces communautés eux-mêmes. C’est un projet pour toute la commune, qui profite à toute la commune, pas à un secteur, pas à un individu, mais à toute la commune ».

Photo : Sur la base du vote, chaque commune dresse la liste des projets qui seront mis en œuvre en priorité par le gouvernement / Monyse Ravena

« Grand jour ! Le pouvoir dans notre pays est enfin dans les mains du peuple », a déclaré le président Maduro, pour qui « la droite déteste le pouvoir populaire, rien que ces mots – pouvoir populaire – génèrent son mépris, sa haine, à l’assemblée elle a toujours voté contre les lois qui le garantissent. » L’idée du gouvernement bolivarien est que le processus de consultation et de choix des projets soit mené plus souvent. Le vote a été suivi par des observateurs du monde entier dans tout le pays, dans les différents points de vote. Le sociologue portoricain Ramón Grosfoguel, célèbre penseur de la décolonialité, en était : « le processus électoral de la consultation populaire devrait être analysé par d’autres gouvernements comme un exemple de réussite. C’est un exemple de démocratie participative qui n’a pas de précédent dans le monde. On ne voit cela nulle part dans le monde, ici on en a déjà fait l’expérience et cela semble normal, mais pour nous qui venons de l’extérieur, c’est tout sauf normal, c’est un exemple ».

Lorenzo Santiago

Source : https://www.brasildefato.com.br/2024/04/22/consulta-popular-envolve-49-mil-comunas-na-venezuela-e-escolhe-projetos-prioritarios-para-territorios

Traduction du portugais : Thierry Deronne

Note :
(1) Les communes sont un type d’organisation sociale et politique basé sur les quartiers urbains et les communautés rurales. Créées dans le cadre de la loi organique des communes, promulguée en 2010 par le président de l’époque, Hugo Chávez, elles expérimentent une nouvelle forme d’autogouvernement populaire basée sur l’autogestion et le dialogue permanent avec l’État. Elles ont la priorité dans le transfert des ressources de l’État et ne doivent pas nécessairement se limiter à un état ou à une municipalité, c’est-à-dire qu’une même commune peut couvrir plus d’une ville. Le rôle de la commune implique également la gestion économique des ressources. Ces organisations s’appuient sur la loi de l’économie communale, qui reconnaît plusieurs types d’organisation au niveau économique : les entreprises communales de propriété sociale directe, les unités familiales de production ou les sociétés communales de propriété sociale indirecte, qui sont des sociétés mixtes, gérées pour moitié par l’État et pour moitié par la commune.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/23/au-venezuela-les-communardes-continuent-a-creer-letat-nouveau/

Médecins du peuple et du monde. Conversation avec Vanessa Almeida et John Chikuike Ogbu, étudiants au Venezuela.

Cira Pascual Marquina, Caracas, 1 mars 2024

Photo : Vanessa Almeida est la porte-parole principale des étudiants de l’ELAM. John Chikuike Ogbu est le porte-parole adjoint. (Venezuelanalysis)

À la fin des années 1990, deux puissants ouragans ont balayé les Caraïbes, faisant des dizaines de morts et de blessés. La catastrophe humanitaire a mis en évidence la nécessité d’augmenter le nombre de médecins dans la région. C’est à ce moment que Fidel Castro a fondé l’École latino-américaine de médecine (ELAM) à La Havane. Inspiré par l’internationalisme de la révolution cubaine, le Venezuela a fondé sa propre ELAM en 2007. L’école a diplômé des milliers de médecins du monde entier. En parcourant son siège, dans le centre de Caracas, on peut surprendre dans les couloirs des conversations allant de l’arabe au créole haïtien, en passant par le portugais et l’anglais.

Nous nous sommes entretenus avec deux jeunes étudiants de l’ELAM sur leurs expériences à l’ELAM. Vanessa Almeida est une étudiante de cinquième année, membre du Mouvement des sans terre du Brésil, originaire d’Itamaraju, une petite ville rurale. John Chikuike Ogbu est un étudiant de deuxième année issu d’une famille de la classe ouvrière de la ville d’Enugu, au Nigeria.


Vanessa, en tant que porte-parole des étudiants, peux-tu nous expliquer le projet de l’ELAM ?

Vanessa Almeida : L’École latino-américaine de médecine fut la prunelle des yeux de Chávez, et un héritage de la révolution cubaine, c’est une communauté de futurs médecins du monde entier, en particulier du Sud, qui s’engagent à retourner dans leur pays d’origine et à travailler avec des populations mal desservies. L’ELAM date de 1999, elle a été fondée à Cuba alors que la situation était très difficile. Qu’a fait Fidel face à l’adversité ? A-t-il renoncé à l’internationalisme de la révolution ? Non, il a dit : « d’autres envoient des armes et des armées pour occuper des pays, nous, nous enverrons une armée de médecins pour sauver des vies. Cela faisait partie de la « bataille des idées ». Puis, en 2007, Chávez a introduit le projet ELAM au Venezuela.

Aujourd’hui, on trouve des médecins ELAM dans les « barrios » et les « favelas » (quartiers populaires), ainsi que dans les zones rurales les plus reculées du monde. Chávez estimait que les soins de santé étaient un droit universel. La solidarité internationale était au cœur de sa politique. C’est pourquoi l’école fondée à Cuba correspondait parfaitement à la révolution bolivarienne. L’ELAM est peut-être le projet qui exprime le mieux l’engagement du Venezuela à promouvoir la justice sociale et l’égalité dans le monde entier… même aux heures les plus difficiles !

Photos : Fidel Castro a inauguré l’ELAM de Cuba en 1999. (ELAM)

Le Venezuela a connu de graves difficultés ces dernières années en raison du blocus et des sanctions des États-Unis. Bien que l’ELAM n’a jamais fermé ses portes, il est certain qu’elle a dû affronter de grandes difficultés.

Vanessa : Les choses n’ont pas été faciles : le blocus, la pandémie, les attaques politiques contre la révolution. Pourtant, le Venezuela nous a ouvert ses portes et est devenu notre « maison loin de chez nous ». Lorsque le blocus a rendu la vie vraiment difficile, Nicolás Maduro aurait pu dire : « concentrons-nous d’abord sur notre peuple ». Au lieu de cela, il a décidé de maintenir en vie le projet de Chávez. Même lorsque la situation était très difficile, l’école nous a nourris et logés. Elle a pris en charge les frais liés aux études. Je lui en suis reconnaissante : la plupart d’entre nous n’auraient jamais pu étudier la médecine dans leur pays, ou si nous en avions eu la possibilité, cela nous aurait coûté les yeux de la tête.

Comment l’exercice de la médecine est-il conçu à l’ELAM ?

John Chikuike Ogbu : La conception de la médecine à l’ELAM est radicalement différente de la conception conventionnelle. Notre cursus est axé sur la « médecine communautaire intégrale », ce qui implique une perspective humaniste qui associe la science et l’engagement envers la société. L »amour et l’humilité sont les clés pour devenir des médecins de proximité. Nous apprenons tout cela en étudiant l’anatomie, la biochimie et l’éthique médicale. Les médecins de l’ELAM vont dans le monde, se consacrant au bien-être des communautés ; ils ne s’assoient pas dans un cabinet médical sophistiqué en attendant que les malades viennent à eux pour être « guéris » par un médecin qui ressemble à Dieu. En outre, le type de soins de santé promu par l’ELAM est avant tout préventif.

Le capitalisme marchandise tout, même la santé. L’ELAM, quant à lui, la dé-commercialise. Vanessa, peux-tu nous en parler ?

Vanessa : C’est vrai, le capitalisme marchandise tout, même la santé ! Les médecins conventionnels sont formés pour « soigner » un patient, lui passer la facture et le renvoyer sur le marché du travail capitaliste. Ils ne sont pas formés pour comprendre la douleur psychologique des patients, leurs soucis, leurs contextes socio-économiques, en amont. En revanche, un médecin formé dans notre ELAM comprend la communauté dans laquelle il exerce parce qu’il y vit, parce qu’il parcourt la ville pour se rendre au cabinet, parce qu’il parle aux habitant(e)s et qu’il rend visite aux malades chez eux si nécessaire. Un médecin de l’ELAM n’est pas formé pour s’enrichir, mais pour servir la population. Dans mon cas, lorsque j’obtiendrai mon diplôme, soyez sûrs que je ne participerai pas à la marchandisation de la santé. La médecine promue par l’ELAM est « intégrale », surmontant la conception selon laquelle les patients ne sont que la somme de leurs organes. Nous considérons les patients de manière holistique, les diagnostics tenant également compte du contexte culturel, des facteurs socio-économiques et du contexte familial.

Cette approche nous permet de nous attaquer aux causes profondes d’un mal de tête récurrent ou d’un terrible mal de ventre, et d’offrir potentiellement des solutions qui ne reposent pas uniquement sur des médicaments. Bien entendu, cela ne signifie pas que les connaissances scientifiques ne sont pas importantes pour nous, mais elles ne constituent qu’une partie de la solution.

Photo : École latino-américaine de médecine « Salvador Allende » (ELAM) au Venezuela

Quel est le rôle de l’internationalisme à l’ELAM ?

John : L’ELAM accueille actuellement des étudiants de plus de 20 pays, principalement des pays du Sud. L’institution a une solide perspective Sud-Sud et un engagement véritable pour les peuples opprimés. Chávez rêvait que l’ELAM devienne une communauté internationale, et c’est précisément ce qui s’est réalisé. Nos camarades de classe et d’études viennent d’Amérique latine, des Caraïbes et d’Afrique, et un important groupe d’étudiants de frères et sœurs palestiniens étudient ici.

Vanessa, tu es une militante du MST [Mouvement des Travailleurs Sans Terre] brésilien, une organisation liée de longue date au processus bolivarien. Quelle importance revêt pour toi l’héritage de Chávez ?

Vanessa : Au sein du Mouvement des Sans Terre, nous aimons beaucoup Chávez, parce qu’il a modifié le cours de l’histoire de l’Amérique latine, parce qu’il était un véritable internationaliste et parce qu’il se souciait des travailleur(se)s du monde entier. Il a également établi un lien particulier avec les paysans. Dans notre école, Chávez est vivant ! Il y a une histoire sur lui que j’ai trouvée très émouvante. Lorsqu’il était soigné pour un cancer à Cuba, il demandait constamment des nouvelles de son peuple : « Comment va mon peuple ? C’était sa première question en se réveillant de l’opération, et il interrogeait toutes les personnes qui lui rendaient visite. En tant que médecins de l’ELAM, nous devons imiter cette attitude : le peuple, le peuple, est notre première, deuxième et troisième priorité.
Les études sont intenses. Je me lève tous les jours à 5 heures du matin et me couche tard. Je dois profiter au maximum de cette opportunité. Lorsque j’aurai obtenu mon diplôme, je rentrerai chez moi et j’offrirai à la communauté ce que la révolution bolivarienne m’a donné.

John, en tant que Nigérian, vous êtes assez loin de chez vous et vous avez dû apprendre une nouvelle langue. Pourriez-vous partager cette partie de votre histoire ?

John : En effet, tout n’a pas été facile. Tout d’abord, lorsque je suis arrivé, j’ai dû passer par une longue période d’isolement. Ensuite, il y a le défi de la langue. Je ne parlais pas espagnol à mon arrivée, et j’ai encore du mal avec cette langue. Je me souviens qu’en tant que pré-médecin, j’ai dû étudier la biochimie, ce qui est déjà un défi en soi. Essayer de naviguer dans le contenu tout en apprenant la langue était stressant, mais j’étais déterminé à réussir. Je me tournais vers Youtube, j’empruntais des livres et, si nécessaire, mes camarades de classe venaient à ma rescousse. Petit à petit, mes compétences linguistiques se sont améliorées, et bien que le régime universitaire reste intense, la plupart du temps, je n’ai pas de difficultés avec la langue.

Il y a eu d’autres obstacles : nous sommes tous loin de chez nous et nos journées sont très longues, si bien qu’il m’arrive de ne pas pouvoir appeler ma famille, ce qui est difficile. Heureusement, mes camarades de classe et mes professeurs sont en train de devenir ma deuxième famille, et même si ma famille dans mon pays me manque, je ne me sens plus aussi seul.

Vanessa, peux-tu nous parler du travail universitaire à l’ELAM et de son programme ?

Vanessa : à l’ELAM, nous avons un programme d’études et de pratique très exigeant. En tant qu’étudiante en cinquième année, j’ai de longues heures de rotation dans les hôpitaux, et 24 heures de cours par semaine. Nos professeurs, originaires de Cuba et du Venezuela, sont très engagés dans la révolution mais ils ne nous imposent aucune politique : notre cœur est tourné vers le processus bolivarien, non par obligation, mais parce que nous ressentons tout cet amour au Venezuela. Nos professeurs nous enseignent à devenir des scientifiques humanistes, des professionnels de la santé engagés.

Vous êtes tous deux activement impliqués dans la pratique médicale. Penchons-nous sur cet aspect de votre formation.

John : Je fais un stage au Centre de diagnostic intégral Amelia Blanco [CDI], où nous apprenons la médecine préventive et curative. Nous effectuons également des visites de maison en maison pour cartographier la communauté et comprendre le profil socio-économique du « barrio » (quartier populaire). C’est la clé pour devenir un docteur « intégral ». Apprendre à travailler et à s’occuper des gens dès le début est très important à l’ELAM. Sans ces bons rapports avec les gens, comment les aider à guérir ?

Vanessa : Actuellement, je suis en rotation à l’hôpital Victorino Santaella dans les « Altos Mirandinos ». L’expérience a été extraordinaire. J’ai beaucoup appris des résidents, des médecins et des spécialistes, ainsi que de la directrice de l’hôpital, vraiment engagée. On la voit souvent dans les couloirs de l’hôpital en train de résoudre des problèmes, de s’assurer qu’il y a du matériel médical, etc. C’est ainsi que tout fonctionnaire médical devrait être : sur le terrain. Lors de mes stages en médecine, j’ai appris à traiter et à soigner une femme âgée ou un nourrisson, ainsi qu’à pratiquer certaines interventions chirurgicales. Parallèlement, j’ai acquis les compétences nécessaires pour accompagner des personnes dans des moments très difficiles.

Pour en revenir à l’impact du blocus auquel le Venezuela est confronté, avez-vous observé ses effets sur le système médical ?

Vanessa : Oui. Le blocus a un impact évident sur les hôpitaux et les installations médicales. Malgré ces difficultés, des médecins et du personnel médical dévoués se sont montrés à la hauteur de la situation, réalisant des miracles pour sauver des vies.

Le gouvernement veille également à ce que les hôpitaux soient correctement approvisionnés. J’ai personnellement constaté que certaines alliances Sud-Sud donnent des résultats. Les installations médicales sont désormais mieux approvisionnées. Si certains emballages et instructions peuvent être rédigés en chinois ou en arabe – ce qui présente son lot de difficultés -, nous avons désormais les compétences nécessaires pour identifier les fournitures. Nous tirons le meilleur parti de ce que nous avons. Le blocus états-unien est criminel et son impact sur la santé du peuple vénézuélien est bien réel, mais nous sommes en mesure de soigner nos patients.

Entretien réalisé par Cira Pascual Marquina pour Venezuelanalysis.

Source : https://venezuelanalysis.com/interviews/internationalist-doctors-a-conversation-with-vanessa-almeida-and-john-chikuike-ogbu/

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/14/medecins-du-peuple-et-du-monde-conversation-avec-vanessa-almeida-et-john-chikuike-ogbu-etudiants-au-venezuela/

Semences de souveraineté

« La semence est comme une bénédiction, on ne peut la refuser à personne« .
Bernabé Torres (Vallée de Gavidia, État de Mérida).

À 3500 mètres au-dessus du niveau de la mer, au-dessus de la vallée silencieuse de Mucuchíes, dans l’État de Mérida, se trouve un endroit très réel, qui semble imaginé. Un lieu aussi extraordinaire que les montagnes, la terre, la végétation et les paysages andins. Dans ce lieu, discrètement et minutieusement, on réinvente la souveraineté alimentaire du Venezuela. Il s’agit du Centre biotechnologique pour la formation à la production de semences Agamiques (Cebisa), dirigé par des paysan(ne)s dans le cadre de la coopération scientifique/paysanne du Ministère de la science, de la technologie et de l’innovation.

Le centre est géré par Proimpa, Productores Integrales del Páramo, une association libre de paysan(ne)s, de producteur(trice)s locaux et de travailleur(se)s de Mérida. Cette association a été fondée en 1999, motivée par l’idée d’Hugo Chávez de travailler à la souveraineté alimentaire. Elle travaille aujourd’hui en étroite collaboration avec des scientifiques de différentes institutions, telles que l’Institut vénézuélien de recherche scientifique (IVIC), l’Institut d’études avancées (IDEA) et l’Institut national de recherche agricole (INIA).

Dans ce petit bâtiment de trois étages, au bord d’une colline, auquel on accède par une route très escarpée, la recherche en laboratoire s’allie à la production sur le terrain, pour créer et reproduire des variétés de semences. Dans un laboratoire soigné, dans des conditions techniques strictes, la biotechnologie permet de produire des plantes conservant leur identité génétique. Des clones, dont naîtront des semences asexuées (agamiques) pour la pomme de terre, l’ail, la fraise, l’igname, la patate douce et d’autres cultures. C’est ici qu’a été initiée, par exemple, la production des semences de pommes de terre autochtones, qui a permis de substituer l’importation. Elle sont aujourd’hui distribuées à des producteurs dans tout le Venezuela.

Ces procédés, dont on pensait jusqu’à récemment qu’ils n’étaient réalisables que dans des laboratoires extérieurs ou dans de grandes entreprises transnationales, sont aujourd’hui pratiqués dans ce petit espace géré principalement par des paysannes, par de jeunes travailleurs et des scientifiques qui ont étudié dans les lycées des montagnes de Mucuchíes et qui sont aujourd’hui des spécialistes des techniques de reproduction génétique, au plus haut niveau. Une science appliquée au droit à l’alimentation. « Une science pour la vie et non pour le marché » comme la définit la vice-présidente des sciences, Gabriela Jiménez.

À Cebisa, nous sommes accueillis par Edith, Moralva, Ingrid, Lalo et Jesús. Une activité intense se déroule dans les laboratoires dont le produit – les plantes génétiquement produites de 80 variétés de pommes de terre et d’autres cultures – ira à un réseau de 12 pépinières pour générer la production de semences qui, à leur tour, iront dans les champs et les cultures de diverses régions du pays.

La plupart des personnes travaillant au Cebisa sont des femmes. Elles parlent avec passion. « Nous unissons les connaissances ancestrales et les connaissances scientifiques pour produire une souveraineté technologique et alimentaire. » Ce sont elles qui dirigent le laboratoire et veillent à la rigueur des procédures scientifiques. Dans les pépinières, les tâches sont réparties pour assurer l’achèvement du cycle, l’évaluation du rendement, des caractéristiques et de la production finale des semences.

Dans la plus moderne de leurs installations, la pépinière aéroponique, les semences sont produites « dans l’air ». Les plants produits en laboratoire ne sont pas enterrés, mais poussent suspendus tout en étant alimentés par le haut grâce à un ingénieux système de micro-tubulures.

Mais l’organisation paysanne va bien au-delà de la production de semences. Plus haut, à Apartaderos, l’Entreprise socialiste de production et de stockage « Hugo Chávez », une entité sociale gérée par les communes (autogouvernements populaires), permet de collecter des pommes de terre et des semences à travers un circuit qui relie les producteurs locaux aux institutions publiques et au marché, en éliminant les coûts des intermédiaires et en faisant baisser les prix. De là, par exemple, plus de 100.000 kilos de pommes de terre sont distribués mensuellement – avec paiement immédiat au producteur et à un prix équitable – par les programmes du ministère de l’alimentation, dans les foires agricoles souveraines et les cantines scolaires. L’alliance entre les connaissances scientifiques et les savoirs ancestraux a permis de remettre la science entre les mains des paysans. Aujourd’hui, les pommes de terre sont produites à basse altitude, ce qui ne serait jamais arrivé si les semences indigènes, paysannes et souveraines n’avaient pas été sauvées.

Dans différentes régions du pays, plus de cinq mille familles utilisent la biotechnologie et s’intègrent à cette innovation qui ouvre peu à peu la voie à une nouvelle économie. Avant la révolution bolivarienne, l’agrobusiness s’était développé au Venezuela à travers l’appropriation de la rente pétrolière et des biens publics par une oligarchie liée aux États-Unis. Le président Chávez a commencé par interdire l’importation de semences OGM. Quelques années plus tard le mouvement social et les députés chavistes ont promulgué la Loi des Semences (2015). En 2024, cette politique d’État se renforce, comme à Mérida, avec la participation directe des organisations populaires, sur le territoire lui-même.

William Castillo Bollé

Photo : la vice-présidente des sciences, de la technologie, de l’éducation et de la santé, Gabriela Jiménez Ramírez, lors d’une livraison de semences de sept variétés de maïs, pour la culture de 30.000 hectares au cours du cycle de plantation 2024.

Source : https://medium.com/@planwac/semillas-de-soberan%C3%ADa-0e6bece6fd12

Traduction de l’espagnol : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/12/semences-de-souverainete/

Sans Terre, féministes, communistes, syndicalistes, afrodescendant(e)s : les mouvements populaires brésiliens dénoncent la désinformation sur les élections au Venezuela et appellent à la solidarité de la gauche mondiale

Les mouvements populaires brésiliens lancent un manifeste de solidarité avec le peuple vénézuélien :

« Compte tenu de la polémique autour du processus électoral vénézuélien, nous souhaitons exprimer notre opinion.

  1. Depuis la victoire d’Hugo Chávez aux élections de 1998, jusqu’à aujourd’hui, les États-Unis et ses lobbies pétroliers ont mené une guerre sans fin contre le peuple vénézuélien.
  2. Ils ont décrété le blocus de la vente de son pétrole, gelé ses comptes à l’étranger, volé ses fonds déposés dans plusieurs banques et, le mois dernier, ont même détourné un avion-cargo de la compagnie d’État vénézuélienne, voué aux missions humanitaires anti-blocus, lorsqu’il a fait escale à Buenos Aires. Bien qu’il avait été légalement vendu à une entreprise vénézuélienne, ils l’ont emmené à Miami avec l’aide du gouvernement Milei et l’y ont détruit, craignant qu’un tribunal international n’ordonne sa restitution.
  3. Ils ont imposé un président fantoche, M. Guaidó, qui a commis une série de crimes, en plus de s’approprier plus de 50 millions de dollars. Dénoncé par ses proches alliés d’extrême droite. Il vit aujourd’hui aux États-Unis, protégé par les autorités.
  4. Le Venezuela dispose d’un système électoral démocratique, qui utilise des machines à voter électroniques et des votes imprimés pour vérification. Il a organisé plus de 30 élections au cours de cette période. Le tout audité par les autorités judiciaires électorales internationales, y compris celles du Brésil.
  5. Lors de ces élections, des gouverneurs, des maires et des députés opposés au chavisme ont été élus, sans que personne ne proteste. La campagne contre les machines à voter électroniques est une pratique d’extrême droite dans plusieurs pays, dont le Brésil.
  6. Le pouvoir électoral est indépendant et se situe au même niveau que les pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif. Ses membres sont proposés par la société, les universités et les partis politiques et nommés par l’Assemblée Nationale. Dans le conseil actuel, deux des cinq membres ont été nommés par les partis d’opposition.
  7. María Corina Machado, représentante de l’extrême droite « bolsonariste », a tenté de se présenter aux élections toute en sachant qu’elle avait déjà été déclarée inéligible par la justice, il y a six mois, pour délits de corruption, trahison et tentatives de coup d’État, parrainés par elle et par son mouvement « Vente Venezuela » qu’elle a toujours refusé d’enregistrer comme parti politique. La Cour suprême a examiné son cas et a réaffirmé qu’elle n’était pas éligible, tout comme elle l’a fait ici pour Bolsonaro.
  8. Par pur effet de propagande, sachant qu’elle n’était pas éligible, elle a nommé au dernier moment Mme Corina Yoris qui n’avait le soutien d’aucun parti politique ET n’a même pas présenté les exigences légales de signatures de 5% des électeurs – norme électorale pour s’inscrire conformément aux lois. Le conseil électoral l’a rejetée à l’unanimité. Comme cela est déjà arrivé au Brésil.
  9. 13 candidats sont inscrits, dont 12 de l’opposition, parmi lesquels un gouverneur de l’État du Zulia qui s’était déjà présenté à la présidence contre Hugo Chávez en 2006. Au total, 37 partis politiques ont participé, dont 70 % sont des partis politiques d’opposition au gouvernement.
  10. La liberté de la presse est totale dans le pays, avec plusieurs chaînes de télévision et journaux ouvertement opposés au gouvernement, où les opposants disent ce qu’ils veulent. Contrairement au Brésil où n’ont accès qu’à la télévision que ceux qui défendent les thèses du Capital, même sur les questions internationales.
  11. Le blocus économique des ÉTATS-UNIS, l’impossibilité de disposer de pièces de rechange pour l’industrie pétrolière et la baisse des exportations ont entraîné d’énormes difficultés économiques pour la population et nombre d’entre eux ont décidé d’émigrer pour des raisons économiques. Comme cela est arrivé aux habitant(e)s de tous les pays d’Amérique latine, il suffit de regarder la frontière avec le Mexique. Et comme ici au Brésil avec les milliers de Brésiliens qui ont émigré aux États-Unis et au Portugal.
  12. Ces dernières années, le Venezuela a subi des tentatives d’invasion militaire, par voie maritime et depuis la Colombie, déjouées par les forces publiques avec le soutien de la population.
  13. Le président Maduro a été victime de plusieurs tentatives d’assassinat, notamment par des drones, qui ont également été déjouées et leurs auteurs arrêtés.
  14. Le peuple vénézuélien a besoin de justice internationale pour restituer ses avoirs à l’étranger, tels que ses réserves d’or, volées par l’Angleterre.
  15. Le peuple vénézuélien a besoin de mettre fin au blocus économique et de pouvoir utiliser ses principaux actifs pétroliers pour relancer le développement du pays.
  16. Il est clair qu’une campagne de diffamation organisée par les États-Unis et ses grands groupes économiques à travers les médias privés de tout le continent est en cours pour diffamer le processus électoral vénézuélien et in fine ne pas en reconnaître les résultats. Aucun gouvernement n’a le droit de s’immiscer dans les affaires intérieures des autres peuples. Et notre constitution défend le droit des peuples à l’autodétermination.
  17. Nous appelons tous les mouvements populaires, syndicats, partis politiques et associations de juges et procureurs brésiliens à se rendre au Venezuela et à suivre le processus électoral sur place.
  18. Nous appelons tous les mouvements populaires et la gauche brésilienne à être solidaires du peuple vénézuélien et dénonçons les actions du gouvernement états-unien et de ses satellites, menées dans le cadre de la guerre hybrides en cours depuis tant d’années.
  19. Nous appelons chacun à être également solidaire avec les pauvres des États-Unis, avec les peuples d’Haïti, de Palestine, de Cuba, de Porto Rico et des pays africains du SAHEL, qui affrontent les mêmes intérêts de l’empire états-unien et de ses alliés européens. L’empire français est chassé d’Afrique après avoir volé tant de richesses naturelles.
  20. Depuis 25 ans, le peuple vénézuélien subit les conséquences de la guerre hybride imposée par le gouvernement des États-Unis et ses compagnies pétrolières. Malgré les défaites et les difficultés, il a toujours gagné et gagnera encore.

Brésil, 2 avril 2024.”

Traduction : Thierry Deronne

Premiers signataires :

  1. Mouvements populaires et partis politiques :
    • Confederación Nacional de los Trabajadores y Trabajadoras de la
      Agricultura Familiar de Brasil – CONTRAF – Brasil
      Central de los Trabajadores y Trabajadoras de Brasil – CTB
      Centro brasileno por la paz – CEBRAPAZ
      Central de Movimientos Populares-CMP
      Centro de estudios de religiones de matriz africana – CENARAB
      Coordinacion nacional de comunidades Quilombolas – CONAQ
      Consejo Pastoral de los/las Pescadores/as – CPP
      Frente Evangélica por el Estado de Derecho
      Levante Popular de la Juventud – LPJ
      Marcha Mundial de Mujeres – MMM
      Movimiento de los Trabajadores Rurales Sin Tierra – MST
      Movimiento de Pescadores y Pescadoras Artesanales – MPP
      Movimiento Brasil Popular – MBP
      Movimiento de Mujeres Campesinas – MMC
      Movimiento de los Afectados por Barragem – MAB
      Movimeinto de los Pequenos Agricultores – MPA
      Movimiento de los Trabajadores Desempleados – MTD
      Movimiento por la Soberania Popular en la Minerania – MAM
      Movimiento de los Trabajadores y Trabajadoras del Campo – MTC
      Partido comunista de Brasil – Pcdob
      Rede de Médicos y Medicas Populares – RMMP
      Union de la juventud socialista – UJS

2. Personnalités et porte-parole de la société brésilienne:

Acilino Ribeiro – dirigente do PSB
Ariovaldo santos, Pastor evangélico
Beto Almeida, Periodista
Breno Altman, Periodista

Celia Gonçalves, makota de los pueblos de terreiro
Cesar Silva Fonseca, Periodista
David Stival, ex-presidente del PT-RS, professor universitário
Eduardo Moreira, empresario y comunicador
Frei Sérgio Gorgen, frade franciscano
Georgina de Queiroz, profesora
Guilherme Estrela, geólogo de la Petrobras
Joao Pedro Stedile, activista de la lucha por la Reforma Agraria.
José Reinaldo Carvalho, Periodista, presidente de Cebrapaz
Júlio Flávio Gameiro Miragaya, economista
Leila Jinkings, Periodista
Luis Sabanay, Pastor presbiterano
Marcelo Barros, Monge Beneditino
Maria luiza Busse, Periodista de ABI
Mario Vitor santos, Periodista
Monica Buckmann, professora universitária
Ney Stronzake – Abogado
Nilza Valeria, Periodista
Oswaldo Maneschy, Periodista
Paulo Miranda, Director de la TV Comunitária de Brasília
Pedro Augusto Pinho, ex-presidente de la AEPET y del Corpo Permanente de la
Escuela Superior de Guerra
Roberto Requião, ex-gobernador , y ex-senador del Estado de Paraná
Rosana Fernandes, Coordinadora General de la Escola Nacional Florestan Fernandes
Sandra de Barreto, socióloga
Socorro Gomes, ex-diputada Federal por el PcdoB y directora de relaciones
internacionales de Cebrapaz
Valter Pomar, miembro del Diretório Nacional del PT
Lucinha Barbosa, Secretaria de Movimientos Populares del PT
Airton Faleiro, Diputado Federal-Para
Dilson Marcom, Diputado Federal – PT-Rio Grande del Sur
Joao daniel, Diputado Federal- PT Sergipe
Marina del MST, Diputada Estadual – PT-Rio de Janeiro
Messias, Diputado Estadual – PT Ceara
Orlando Silva, Diputado Federal- Pcdob São Paulo
Rosa amorim, Diputada Estadual – PE-Pernambuco
Valmir assunção, Diputado Federal- PT-Bahia
Romenio Pereira, Secretario de las Relaciones Internacionales de PT (parti de Lula)

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Venezuela : douze points sur les « i » d’élections présidentielles.

Par Thierry Deronne, Caracas.

1. Depuis la victoire électorale de Hugo Chávez en décembre 1999, le Venezuela a organisé 35 élections en 24 ans, dont un référendum sur la nouvelle Constitution. Le chavisme a perdu deux élections nationales. La droite a fait élire des gouverneurs, des députés, des maires et des conseillers municipaux. La transparence du système électoral vénézuélien, à double vérification, électronique et imprimée, a fait dire dès 2012 à Jimmy Carter qu’«en le comparant aux 92 processus électoraux que j’ai observés dans le monde entier, le système électoral vénézuélien est le meilleur du monde» (1). Dans l’isoloir, l’écran numérique permet à l’électeur/trice de voter sur écran puis de lancer l’impression de son vote, qu’il ou elle vérifie et plie avant de le déposer dans l’urne à proximité. Tous les partis et observateurs peuvent ainsi comparer les votes électroniques avec les votes imprimés, dans n’importe quel bureau, partout où ils le souhaitent. Les élections les plus récentes (2021) ont été validées par l’ensemble des observateurs internationaux. (2)

2. A la suite de l’«Accord des Barbades» (3), cosigné par le gouvernement du Venezuela et l’opposition de droite en octobre 2023, 40 partis d’opposition ou pro-chavistes – soit 97% des partis politiques -, et 155 délégué(e)s des principaux secteurs économiques, culturels, religieux et sociaux du Venezuela, se sont réunis pendant plusieurs jours à Caracas pour définir une feuille de route électorale (photos). Cet accord, relu et signé par toutes les parties le 4 mars 2024, a permis au Centre National Électoral (CNE) de fixer la date des présidentielles au 28 juillet.

Seule à refuser de prendre part à ces réunions : l’oligarque d’extrême droite Maria Corina Machado, admiratrice du Likoud, qui a participé à tous les coups d’État contre Chávez et Maduro, avant d’être déclarée inéligible par la justice, comme la justice brésilienne l’a fait pour le putschiste Bolsonaro. En cause : son implication dans le réseau de corruption de Juan Guaido, sa participation à l’organisation des violences, ses appels à l’invasion armée du Venezuela par les États-Unis, et avoir représenté un pays étranger (le Panama) pour appuyer cette intervention (alors qu’elle était députée vénézuélienne) ce qui est interdit par la Constitution (4). Cette décision a été confirmée en appel par la Cour suprême du Venezuela. Ces dernières semaines, son parti «Vente Venezuela», qu’elle a toujours refusé d’inscrire au Conseil National Électoral, a renoué avec les méthodes insurrectionnelles pratiquées en 2014 et en 2017 (attentats contre le président Maduro, violences de rue, destructions de services publics). Plusieurs militants du premier cercle de la dirigeante ont été arrêtés alors qu’ils préparaient des violences et un attentat contre le président (5). Ils ont aussitôt été présentés par Machado, Washington et les grands médias comme des «prisonniers politiques». Comme l’explique Ignacio Ramonet, «depuis des années, les dénonciations du gouvernement bolivarien sur les déstabilisations et les attentats terroristes sont occultées ou traitées avec les guillemets de l’ironie par les grands médias».

3. Les élections présidentielles de 2024 auront le deuxième plus grand nombre de candidats depuis 31 ans (6). Sur les treize candidats en lice pour la présidentielle, douze appartiennent à l’opposition (en majorité de droite, mais aussi de l’évangélisme ou de la social-démocratie). Ces partis vont d’«Acción Democrática» et «Copei», venus de l’ancien régime bipartisan qui a gouverné le pays pendant 40 ans, à «Fuerza Vecinal», récemment issu d’une dissidence de l’extrême droite. Le président sortant, Nicolás Maduro, a été choisi comme candidat par les onze organisations politiques du «Gran Polo Patriótico Simón Bolívar». Dans cette coalition de la gauche, le principal parti chaviste – le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) -, est le seul à avoir organisé des primaires avec plus de quatre millions et demi de sympathisant(e)s, militant(e)s et dirigeant(e)s de base qui ont tenu des assemblées dans près de 50.000 communautés populaires de tout le pays.

4. Actuellement, les sondages de la firme privée Hinterlaces donnent une majorité à Nicolas Maduro (7). Son directeur Oscar Schémel explique: «A peine 9 % des Vénézuéliens sympathisent avec un parti d’opposition. C’est le niveau le plus bas jamais atteint. La plupart de ses dirigeants sont rejetés par l’opinion publique à plus de 80 % – Juan Guaidó, Capriles, Henry Ramos et d’autres, à cause de leurs conflits internes mais aussi des sanctions occidentales qu’ils ont promues et des souffrances sociales générées (…) Pendant 25 ans, nous n’avons vu de la part de l’opposition aucun programme structurel (à part renverser le gouvernement bolivarien), aucune présence massive dans les rues. L’opposition a perdu la capacité de diriger une meeting dans un quartier populaire, elle «a perdu la rue». Une bonne partie de ses victoires est due au vote des mécontents des mauvaises gestions gouvernementales. (…) Par contre, le chavisme est la seule force politique qui, en 25 ans, a proposé un plan à long terme. Une sorte de «culture chaviste» s’est installée, mettant au cœur de la politique les thèmes de l’égalité, de l’inclusion de celles et ceux qu’une sorte d’apartheid avait écarté de la participation politique.» Les agences de renseignement des États-Unis sont arrivées à la même conclusion qu’Hinterlaces: le dirigeant vénézuélien Nicolás Maduro remporterait les prochaines élections présidentielles de la nation sud-américaine en juillet. (8)

5. Après les années les plus dures d’un blocus occidental dénoncé par les rapporteurs de l’ONU (9), et qui a entraîné la mort de 100.000 personnes, Hinterlaces note aussi que « 81% des électeurs vénézuéliens retrouvent l’espoir. » L’ex-Président et économiste Rafael Correa a expliqué récemment que malgré le blocus et les 926 sanctions renouvelées en mars 2024 par l’administration de Joe Biden, les chiffres de la CEPAL (ONU) indiquent que les politiques du gouvernement révolutionnaire (stimulation de la production nationale, alliances multipolaires..) permettront d’atteindre de nouveau cette année la croissance la plus élevée d’Amérique du Sud. L’hyper-inflation a été freinée: l’inflation du troisième trimestre 2023 fut la plus basse depuis 2012. Ce qui explique le retour progressif des migrant(e)s qui avait fui le pays massivement à partir du blocus occidental.

6. Pour s’inscrire aux présidentielles, toutes les organisations politiques qui le voulaient se sont enregistrées auprès du Centre National Électoral (sans le moindre obstacle, en respectant la législation électorale). Mais «Vente Venezuela», le «parti» d’extrême droite de Maria Corina Machado, n’a jamais demandé à être inscrit, et n’a jamais participé à une élection. Plus que d’un parti, il s’agit d’une ONG (financée par les États-Unis) qui s’est fait connaître en 2023 par le biais d’une «primaire de l’opposition» controversée, menée avec un énorme battage médiatique international mais sans inscription sur les listes électorales et avec pour seul arbitre l’ONG «Súmate», dont María Machado est membre fondatrice. Les cahiers de vote ont été détruits après le scrutin. Dès juin 2004, l’économiste états-unien Mark Weisbrot du CEPR a dénoncé devant la sous-commission des affaires de l’hémisphère occidental du Sénat états-unien, le financement de Súmate par la NED (une des façades de la CIA). (10)

7. Comme dans de nombreux pays, en Espagne par exemple, la loi électorale vénézuélienne prévoit que chaque parti qui souhaite inscrire une candidature nomme un représentant légal auprès du Conseil Électoral. Seul ce représentant légal dispose du mot de passe pour introduire les données dans le système. Ne s’étant jamais inscrite et n’ayant aucun représentant légal, Maria Corina Machado n’a pas pu entrer dans le système, tout en affirmant devant les caméras que la page était «bloquée pour elle par la dictature». En réalité, la dirigeante savait dès le départ qu’elle ne pourrait pas participer aux élections. Pourquoi, dès lors, cette mise en scène ? Explications.

8. L’an passé, Washington avait accepté de lever temporairement plusieurs des 926 sanctions contre le Venezuela, tout en menaçant de les reconduire en 2024 si Maria Corina Machado ne figurait pas parmi les candidats. En clair, les États-Unis veulent imposer la raison du plus fort contre la loi électorale du Venezuela. C’est ce sentiment de puissance que lui donne l’appui de Washington et de l’internationale médiatique, qui permet à Machado d’affirmer, devant les médias, que la «dictature l’empêche de se présenter».

9. Les médias occultent que la majorité de la gauche et des mouvements sociaux latino-américains, comme les Mouvements de l’ALBA ou le Réseau des Intellectuels en Défense de l’Humanité, appuient la démocratie vénézuélienne face à cette manœuvre. Sans Terre, féministes, communistes, syndicalistes, afrodescendant(e)s, responsables du PT (parti de Lula) : un manifeste signé par de nombreux partis de gauche et mouvements populaires brésiliens dénonce la désinformation sur les élections au Venezuela et appelle la gauche mondiale à exprimer sa solidarité (11). La Présidente du Honduras (également présidente de la CELAC) Xiomara Castro demande que cessent les «ingérences extérieures dans les élections vénézuéliennes» et, répondant favorablement à l’invitation du gouvernement bolivarien, enverra sur place une équipe d’observateurs électoraux (12). Comme le Honduras, le Nicaragua ou Cuba, la Bolivie de Lucho Arce exprime dans un communiqué officiel sa solidarité avec «la République bolivarienne du Venezuela, son peuple et notre frère le président Nicolas Maduro face aux menaces et aux actions de certaines organisations d’extrême droite qui, au lieu de se joindre à la compétition électorale comme l’ont décidé d’autres organisations d’opposition, s’emploient à déstabiliser les élections et le système politique vénézuélien. (…) Les États-Unis doivent respecter l’autodétermination du Venezuela et abandonner leurs plans d’ingérence et d’intervention.» (13)

Position semblable du célèbre «Groupe de Puebla» qui regroupe des (ex-) présidents et leaders latino-américains progressistes : «Nous sommes témoins que le gouvernement et l’opposition se sont engagés dans un dialogue intensif ces derniers temps (…) Cette étape doit garantir que la voie électorale pacifique est le moyen de régler les différends, de légitimer pleinement le processus électoral et de mettre fin aux voies déstabilisatrices, aux interventions, aux actions militaires, aux sanctions économiques ou à d’autres actions de force, toutes incompatibles avec la voie démocratique.» (14)

Pour sa part l’ex-président Evo Morales lance « un appel fraternel à tous les gouvernements et à toutes les organisations politiques et sociales de gauche, progressistes et humanistes pour qu’ils ne se laissent pas entraîner par la désinformation sur ce qui se passe au Venezuela. Comme aujourd’hui, d’autres attaques préparées par l’impérialisme ne manqueront pas de se produire plus tard. Il est de notre devoir de défendre le processus révolutionnaire initié par le Président Chávez et poursuivi par notre frère le Président Nicolás Maduro. »

Le 5 avril, le président du Mexique Lopez Obrador dénonce : « le Venezuela est attaqué par la droite du monde entier, tout comme Cuba. Nous connaissons ce type de guerre sale » et exige de laisser le Venezuela mener ses présidentielles « sans ingérence, et que le peuple choisisse librement, et en paix ». (15)

Le monde multipolaire manifeste également son appui. Le porte-parole des Affaires Étrangères de la Chine a déclaré: «Nous soutenons le Venezuela dans l’organisation des élections conformément à sa constitution et à ses lois, lui souhaitons plein succès dans ce scrutin et nous nous opposons à toute ingérence extérieure dans ses affaires intérieures. La Chine appelle la communauté internationale à jouer un rôle positif et constructif à cette fin.» (16) Comme pour les élections de 2021, l’ONU a accepté l’invitation du gouvernement bolivarien à envoyer son équipe d’observateurs (17), arrivée le 23 avril. Dans les prochaines semaines arriveront au Venezuela les équipes du Centre Carter et de l’Union Européenne (18).

10. Lorsque des fonctionnaires des affaires étrangères de Colombie et du Brésil, dont les présidents sont des alliés du Venezuela, ont émis des communiqués en phase avec les médias dominants et critiqué la non-inscription de Maria Corina Machado (écartée depuis lors par la droite elle-même), les grands médias ont aussitôt annoncé «la rupture de Lula et de Petro avec Maduro». C’est faux. Les relations bilatérales se poursuivent sans obstacles (19). Quelques jours plus tard, le 9 avril, s’est tenue à Caracas la cinquième réunion de travail entre les présidents Maduro et Petro pour renforcer les relations bilatérales en économie et en politique. Le mandataire colombien a rencontré également des partis d’opposition, et la Colombie a accepté l’invitation du Venezuela d’envoyer une équipe d’observateurs électoraux aux élections du 28 juillet. En outre la guérilla de l’ELN et le gouvernement colombien vont se retrouver à Caracas pour avancer dans le processus de paix. Pour le président Petro, « le Venezuela peut beaucoup nous aider, comme il l’a souvent fait, à surmonter le problème des conflits armés. » (20)

Photo : Caracas, le 9 avril, cinquième réunion de travail entre les présidents Maduro et Petro pour renforcer les relations bilatérales.

Quant au Président Lula, il a expliqué à la presse, le 23 avril 2024, que la droite a enfin nommé un candidat unique aux présidentielles de juillet (écartant la putschiste Machado, inéligible), qu’il y aura des observateurs internationaux, que le Brésil en sera volontiers, et redemande aux USA – comme l’ont fait ses homologues colombien et mexicain -, de lever les 936 « sanctions » pour favoriser le retour des migrants économiques.

Le Coordinateur National du Mouvement des Sans Terre du Brésil Joao Pedro Stedile, les analystes Walter Smolarek de Liberation News, Zoe Alexandra de People’s Dispatch (21), les journalistes brésiliens Breno Altman d’Opera Mundi et Lorenzo Santiago de Brasil de Fato (22), l’historien Vijay Prashad du Tricontinental Institute, ont démonté la fake news de la « candidate exclue » diffusée par l’extrême droite vénézuélienne.

Une réponse particulièrement intéressante est venue du politologue espagnol Juan Carlos Monedero, ex-dirigeant de Podemos (23): «Je crains que Lula et Petro n’aient pas été informés par ces fonctionnaires sur ce qui s’est passé au Venezuela. Ne soyons pas dupes. Les États-Unis ne veulent pas que Nicolas Maduro gagne les élections et recommencent à les saboter. Le problème de l’opposition vénézuélienne, ce sont ses divisions. L’inégibilité de Maria Corina Machado n’a constitué une surprise pour personne au Venezuela. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elle n’a tenu aucun compte de la législation vénézuélienne ni de ce que dit l’«Accord des Barbades» signé par le gouvernement et l’opposition. Les milieux d’affaires vénézuéliens ne veulent pas de Machado au pouvoir car ils savent qu’elle déclencherait une guerre civile. La population déteste l’alter ego de Machado, Juan Guaido, pour les milliards de dollars qu’il a volés et pour les sanctions qui ont causé tant de souffrances. Machado a été jugée et condamnée pour exiger une intervention militaire des États-Unis. C’est comme si les juges espagnols déclaraient inéligible un politicien qui demande par exemple qu’on bombarde l’Espagne ou qui promeut la violence ou la désobéissance à la Constitution espagnole. Pour beaucoup moins que ça, en Espagne, nous avons jugé inéligibles beaucoup de personnes.

Monedero conclut : «Restons humbles: ce qu’on ne veut pas pour son pays, on ne peut le vouloir pour un autre pays. Comme l’avait d’ailleurs dit Lula, la droite vénézuélienne devrait cesser de pleurer et se chercher un autre candidat. Machado a préférer jouer à la victimisation. Le reste de la droite le sait, et a refusé d’inscrire sous sa bannière Machado ou la candidate de substitution qu’elle voulait imposer au dernier moment. La droite a fait savoir à Machado qu’elle n’acceptait pas qu’elle prenne des décisions sans les consulter, puis lui a joué un bon tour en nommant par surprise, in extremis, son propre candidat: Manuel Rosales,le gouverneur du Zulia, qui s’était déjà présenté contre Chávez. Bref, quand Machado crie à la «dictature», ou quand elle dit que la page électronique du Centre national Électoral est «bloquée pour elle», etc… la réalité est tout simplement qu’elle n’a pas de base légale pour présenter sa candidature et que les partis de droite lui ont préféré un autre candidat.» (24)

La droite vénézuélienne elle-même a reconnu, le 16 avril, que Maria Corina Machado « ne croit pas aux élections et veut toujours jouer la carte de la violence » (25).

11. Maria Corina Machado est la fille d’un magnat de l’acier vénézuélien, Henrique Machado Zuloaga, dirigeant de Sivensa, une des plus grandes entreprises sidérurgiques du Venezuela (26), nationalisée en 2008 par Hugo Chávez lorsqu’il commença une politique de redistribution en faveur des plus pauvres. Machado en a gardé une soif de vengeance et incarne parfaitement l’oligarchie raciste du Venezuela pressée d’effacer la révolution bolivarienne et l’inclusion de la population métisse. Son projet est de replacer le Venezuela sur orbite états-unienne, et d’en faire «un pays de propriétaires et d’entrepreneurs» en privatisant tout ce qui peut l’être – un programme ultra-libéral proche de celui de Milei en Argentine. Privatiser l’entreprise pétrolière mais aussi les millions de logements sociaux que le «régime» comme elle dit, construit gratuitement pour les secteurs populaires.

À l’extrême-droite de l’échiquier politique, elle a longtemps occupé une position marginale. En 2010, elle est élue députée. En 2012, elle se présente aux primaires de la droite mais n’obtient que 3% des voix. Sa «base» sont des ONGs comme «Sumate» ou «Vente Venezuela», financées par les États-Unis. Son admiration pour le Likoud est la sublimation de ce qu’elle ferait au pouvoir, après avoir appuyé en vain les coups d’État contre Chávez puis contre Maduro. Elle a signé un accord «stratégique» de coopération avec ce parti pour, en cas de victoire, compter sur le savoir-faire contre-insurrectionnel dont les israéliens sont spécialistes (voir les massacres commis par leurs « élèves » en Colombie, au Guatemala, etc…). Cette répression de la rébellion populaire a déjà eu lieu pendant les 48 heures du coup d’État contre Chávez en 2002 (27). Maria Corina était des signataires du décret putschiste qui supprima toutes les autorités démocratiques du pays et intronisa le chef du patronat Pedro Carmona comme président. En 2005, elle a rencontré George W. Bush à la Maison-Blanche pour discuter du « retour à la démocratie », c’est-à-dire du renversement du gouvernement bolivarien.

Ci-dessus: Maria Corina était des signataires du décret du coup d’État contre Chavez qui supprima toutes les autorités démocratiques du pays et intronisa le chef du patronat Pedro Carmona comme président du Venezuela en 2002.
Ci-dessus : Accord de « partenariat opérationnel » sur des thèmes comme « géopolitique et sécurité » entre deux partis d’extrême droite, le « Vente Venezuela» de Maria Corina Machado, et le Likoud.
Photo : il y a cinq ans, María Corina Machado appelait au coup d’État, demandant aux militaires d’obéir au fake-président (non-élu, nommé par Trump), Juan Guaido (aujourd’hui en fuite aux États-Unis, après avoir été dénoncé par ses alliés d’extrême droite pour sa corruption).

En 2014, on la retrouve à l’origine de l’opération «La Salida» (la sortie) qui consistait à déchaîner la violence pour renverser par la force le président Maduro. Le bilan s’élève à plusieurs dizaines de morts parmi policiers et manifestants. En 2017, lors d’autres émeutes d’extrême droite, un jeune homme noir de 22 ans est lynché, poignardé puis brûlé vif parce que «noir donc chaviste» (28). La même année, des bombes sont utilisées pour attaquer des policiers et des câbles de fer sont tendus dans les rues pour décapiter les motards de la police. En 2019, elle participe activement à l’instauration du président fantoche, non élu mais nommé par Donald Trump, Juan Guaido. Les 31 tonnes d’or du Venezuela au Royaume-Uni, la filiale pétrolière états-unienne CITGO et beaucoup d’autres actifs de l’État vénézuélien sont volés par un fake-président adoubé avec empressement par des présidents comme Emmanuel Macron. Machado fait partie de son clan. Elle applaudit le blocus occidental des aliments et des médicaments : exigeant aux États-Unis de « mettre toute la pression, toutes les sanctions, et l’asphyxie financière totale pour arriver au point de rupture et renverser Maduro » (29), et se prononce publiquement à partir de 2020, en faveur d’une intervention militaire menée par les États-Unis, en invoquant l’activation du traité TIAR.

12. Vingt-cinq ans après l’élection d’Hugo Chávez et le début de la révolution bolivarienne, les États-Unis n’ont pas renoncé à la détruire, en raison de son opposition au néo-libéralisme et à l’impérialisme, de ses alliances multipolaires et de ses politiques visant à mettre les ressources du pays, notamment pétroliers, au service des majorités historiquement exclues. En avril, la commandante générale du Southern Command Laura Richardson visitera Buenos Aires, comme l’a déjà fait le directeur de la CIA William J. Burns, pour y organiser avec le président d’extrême droite Javier Milei, une nouvelle base avancée contre l’axe du mal: Cuba-Venezuela-Nicaragua et bien sûr contre « l’influence croissante des BRICS », lire : de la Chine et de la Russie, en Amérique Latine.

La méthode de Washington est bien connue : faire campagne pour jeter le doute sur l’intégrité du processus électoral de manière à présenter le résultat comme frauduleux, quelles que soient les preuves réelles le jour de l’élection. Le rôle des grands médias est d’invalider la possible élection du favori des sondages, Nicolas Maduro, en installant l’idée qu’une élection sans Machado ne peut être considérée comme légitime. Le 30 janvier, quelques jours après le rejet de son appel par la Cour suprême du Venezuela, Machado a été interviewée par CNN et présentée comme « la principale dirigeante de l’opposition vénézuélienne ». Le Washington Post a titré: «Elle est la tête de liste dans la course pour chasser Maduro. Mais il veut la bloquer».

Le président français Emmanuel Macron s’était ridiculisé en recevant le putschiste d’extrême droite Juan Guaido à l’Élysée comme « président du Venezuela» avant de reconnaitre en 2023 le président élu, Nicolas Maduro. Dénoncé par ses alliés de droite pour sa corruption, Guaido a fui la justice du Venezuela et vit un exil doré aux États-Unis. Après ce désastre diplomatique, le mandataire français est vite retombé dans l’ornière états-unienne en déclarant au Brésil, le 28 mars 2024: «Nous condamnons très fermement l’exclusion d’une candidate très sérieuse et crédible de l’élection présidentielle au Venezuela, nous demandons sa réintégration (…) Nous ne devons pas désespérer aujourd’hui, si je puis dire, mais la situation est grave et s’est détériorée avec la décision qui a été prise.» (30)

Le gouvernement bolivarien a maintenu un principe simple : les forces politiques de toute idéologie peuvent participer aux élections tant qu’elles ne conspirent pas avec des puissances étrangères pour porter atteinte à l’indépendance du Venezuela. Ce principe est pratiqué dans le monde entier. Aux États-Unis par exemple, où le 14ème amendement interdit aux coupables d’insurrection d’exercer une fonction publique. Quand le porte-parole du département d’État états-unien Matthew Miller a critiqué l’inégibilité de Machado, Caracas a répondu : «Votre communiqué montre le vrai visage du propriétaire du cirque qui voudrait délégitimer les prochaines élections présidentielles.» Les autorités du Conseil National Électoral du Venezuela ont également critiqué « l’audace » du Département d’État états-unien à vouloir diriger les élections au Venezuela: «Le CNE ne peut pas assumer la responsabilité de l’inéligibilité de certains individus qui placent leurs intérêts au-dessus de la légalité nationale, se croyant oints par une puissance extérieure ». (31)

La cible prioritaire des médias sont les militant(e)s de gauche. Les menaces occidentales contre les élections présidentielles de juillet 2024 nous rappellent qu’on n’attaque pas le Venezuela parce qu’il est une «dictature» mais parce qu’il faut endiguer l’exemple contagieux de la démocratie de gauche la plus avancée des Amériques, celle où le record en nombre d’élections côtoie le progrès constant de la démocratie participative et des autogouvernements populaires. De même que l’Occident n’a jamais pardonné aux Jacobins noirs d’Haïti de fonder la première république libre des Amériques et fait tout, à la faveur du narco-chaos, pour y renforcer son emprise, les vénézuéliens savent que les États-Unis et l’Europe ne leur pardonneront jamais leurs racines : l’armée de Bolivar servit à libérer de l’esclavage et du joug impérial les peuples latino-américains, jamais à les asservir.

Thierry Deronne, Caracas, 31 mars 2024.

Merci pour leurs contributions à Joao Pedro Stedile, Zoe Pepper, Christian Rodriguez et Maria Luisa Nunez.

Notes :

(1) « Former US President Carter: Venezuelan Electoral System “Best in the World” » https://venezuelanalysis.com/news/7272/

  1. « Les observateurs internationaux saluent la transparence du scrutin » https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/11/23/venezuela-alors-que-les-observateurs-internationaux-saluent-la-haute-transparence-du-scrutin-des-leaders-de-la-droite-appellent-a-tourner-la-page-du-putschisme-de-guaido/
  2. Sur cet accord : « Venezuelan Gov’t, Opposition Resume Dialogue, Establish Electoral Conditions » https://venezuelanalysis.com/news/venezuelan-government-opposition-dialogue/
  3. « Les lois électorales vénézuéliennes sont conçues pour garantir la démocratie en dépit des ambitions personnelles » https://www.counterpunch.org/2024/04/01/venezuelan-election-laws-are-designed-to-guarantee-democracy-despite-personal-ambitions/ et « Une fois de plus, Washington s’immisce dans les élections d’un autre pays » https://b-tornare.overblog.com/2024/04/une-fois-de-plus-washington-s-immisce-dans-les-elections-d-un-autre-pays.html / (en anglais:) https://orinocotribune.com/yet-again-washington-meddles-in-another-nations-election/
  4. Sur les préparatifs de violences et d’attentats : « Venezuela: Authorities Arrest Two María Corina Machado Associates Over Alleged Violent Plot » https://venezuelanalysis.com/news/venezuela-authorities-arrest-two-maria-corina-machado-associates-over-alleged-violent-plot/ Voir aussi :https://twitter.com/latablablog/status/1772381434486866302 / http://www.mp.gob.ve/index.php/2024/03/26/fiscal-general-informo-detencion-de-dos-hombres-armados-cerca-de-tarima-presidencial-en-caracas/ / https://diariovea.com.ve/incendio-en-transaragua-destruyo-112-autobuses-no-se-descarta-sabotaje/
  5. Lire « Les élections présidentielles de 2024 auront le deuxième plus grand nombre de candidats depuis 31 ans » https://operamundi.uol.com.br/politica-e-economia/venezuela-eleicoes-presidenciais-de-2024-terao-2o-maior-numero-de-candidatos-em-31-anos/
  6. Sondages d’Hinterlaces : https://www.hinterlaces.net/monitor-pais-6-de-cada-10-venezolanos-votara-por-el-candidato-del-psuv-en-las-presidenciales/
  7. Les agences de renseignement de Washington confirment une probable victoire de Maduro aux présidentielles : https://es-us.noticias.yahoo.com/agencias-espionaje-eeuu-creen-maduro-204010134.html
  8. Sur les souffrances causées à la population par les mesures coercitives unilatérales (« sanctions ») occidentales : https://venezuelanalysis.com/analysis/on-unilateral-coercive-measures-part-ii-a-conversation-with-alena-douhan/
  9. Témoignage de Mark Weisbrot devant la sous-commission de l’hémisphère occidental, du Peace Corps et des affaires de stupéfiants de la commission des relations extérieures (Sénat), 24 juin 2004 https://www.cepr.net/democracy-venezuela/
  10. Lire le manifeste : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/03/sans-terre-feministes-communistes-syndicalistes-afrodescendantes-les-mouvements-populaires-bresiliens-denoncent-la-desinformation-sur-les-elections-au-venezuela-et-appellent-a-la-solidarite-de/. Les mouvements sociaux de l’ALBA défendent le processus électoral du Venezuela : https://albamovimientos.net/celebramos-la-democracia-defendemos-la-soberania-abrazamos-la-dignidad-del-bravo-pueblo-declaracion-de-apoyo-a-las-elecciones-presidenciales-en-venezuela/
  11. Communiqué de la Présidente du Honduras : https://twitter.com/XiomaraCastroZ/status/1773029865119154681
  12. Communiqué du Ministère des Affaires Étrangères de Bolivie du 30 mars 2024 : https://cancilleria.gob.bo/mre/2024/03/30/14485/
  13. Communiqué du Groupe de Puebla : https://www.grupodepuebla.org/comunicado-del-grupo-de-puebla-sobre-las-elecciones-presidenciales-en-venezuela/
  14. La Jornada : https://www.jornada.com.mx/noticia/2024/04/05/politica/venezuela-y-cuba-tienen-en-contra-a-toda-la-derecha-del-mundo-amlo-4492
  15. Déclarations du Ministère des Affaires Étrangères de la Chine : https://www.fmprc.gov.cn/eng/xwfw_665399/s2510_665401/202403/t20240329_11273709.htm
  16. Rencontre ONU/gouvernement bolivarien : https://twitter.com/yvangil/status/1775641308679307744
  17. https://twitter.com/VTVcanal8/status/1775935543374643471
  18. L’ambassade du Venezuela à Brasilia a demandé une réunion avec le gouvernement de Lula, estimant qu’il ne dispose pas « d’informations claires », et précise que la réunion se déroulera sur le même ton amical que d’habitude. La réunion s’est tenue avec Celso Amorim, conseiller en chef spécial de la présidence de la République au Brésil. Le Président Lula a expliqué à la presse, le 23 avril 2024, que la droite a enfin nommé un candidat unique aux présidentielles de juillet (écartant la putschiste Machado, inéligible), qu’il y aura des observateurs internationaux, que le Brésil en sera volontiers, et redemande aux USA – comme l’ont fait ses homologues colombien et mexicain, de lever les 936 « sanctions » pour favoriser le retour des migrants économiques.
  19. Continuité des relations Colombie/Venezuela : https://twitter.com/venezuelainfos/status/1777828843337679194. Sur la médiation vénézuélienne des négociations entre gouvernement colombien et guérilla : https://venezuela-news.com/eln-gobierno-petro-reuniran-venezuela-avanzar-proceso-paz/
  20. Zoe Pepper et Walter Smolarek, « Venezuela’s election in the crosshairs of new US regime change scheme » https://peoplesdispatch.org/2024/03/15/venezuelas-election-in-the-crosshairs-of-new-us-regime-change-scheme/
  21. Lorenzo Santiago, « Entenda por que Corina Yoris, motivo de discórdia com Brasil, não disputará as eleições da Venezuela », https://www.brasildefato.com.br/2024/04/03/entenda-por-que-corina-yoris-motivo-de-discordia-com-brasil-e-colombia-nao-disputara-as-eleicoes-da-venezuela
  22. Message vidéo de Juan Carlos Monedero : https://twitter.com/i/status/1774041151789527056
  23. Maria Corina Machado aurait pu choisir la troisième option prévue par la loi organique sur les processus électoraux : l’initiative individuelle. Dans ce cas, conformément aux dispositions de l’article 52, elle devait présenter au CNE des signatures de soutien correspondant à 05 % du nombre de votant(e)s enregistrés lors de la dernière élection, afin d’approuver sa candidature. La question est de savoir pourquoi elle ne l’a pas fait, surtout si comme elle l’affirme, elle a obtenu le soutien de plus de 2 millions d’électeurs lors de primaires organisées par son ONG… Voir aussi la déclaration du dirigeant de l’opposition Manuel Rosales : https://twitter.com/manuelrosalesg/status/1773115988612948270
  24. Voir https://twitter.com/elpoliticove/status/1780578535620427818
  25. Pour une « biographie non-autorisée » de Maria Corina Machado : https://twitter.com/latablablog/status/1773758289341280369
  26. Ce coup d’État est raconté dans le documentaire passionnant de Kim Bartley : « La révolution ne sera pas télévisée » (VO STF) : https://t.co/ieL3lUMVbQ
  27. « Ils ont brûlé vif mon fils parce qu’il était noir et chaviste », https://venezuelainfos.wordpress.com/2019/05/19/ils-ont-brule-vif-mon-fils-parce-quil-etait-noir-et-chaviste/
  28. Message audio de Maria Corina Machado : https://twitter.com/yvangil/status/1777086443879379106
  29. Déclaration d’Emmanuel Macron au Brésil : https://www.france24.com/es/francia/20240328-macron-culmina-su-visita-a-brasil-qu%C3%A9-acord%C3%B3-el-presidente-franc%C3%A9s-con-lula-da-silva. Sur l’histoire incroyable de Juan Guaido et les fourvoiements de Macron et de son ambassadeur à Caracas, on lira l’excellent «thriller» du journaliste Maurice Lemoine : « Juanito roi de la vermine », Le Temps des Cerises éditeur, 2023 https://www.amazon.fr/Juanito-vermine-Roi-du-Venezuela/dp/2370712759
  30. « Le Venezuela rejette l’intervention extérieure et la campagne de délégitimation du processus électoral » : https://venezuelanalysis.com/news/venezuela-rejects-foreign-interference-in-elections-denounces-us-delegitimization-campaign/

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/01/venezuela-douze-points-sur-les-i-delections-presidentielles/

(Vidéo ST FR) Coopération internationale avec la révolution bolivarienne : des architectes français et vénézuéliens créent un prototype novateur de logement.

Un prototype de logement révolutionnaire au Venezuela (sous-titres en français). Production: TERRA TV

Si « l’espace est politique » comme l’expliquait le philosophe Henri Lefebvre, cette question prend tout son sens dans la révolution bolivarienne, au Venezuela. Depuis plusieurs années le Laboratoire International d’Habitat Populaire (LIHP, Paris/Caracas) dirigé par Jean-François Parent et son équipe y travaille autour de la question du droit à la ville, et plus encore, du droit d’habiter en produisant un espace socialement et politiquement nouveaux. Ce prototype de logement est né du dialogue permanent du LIHP avec les acteurs sociaux, les communes urbaines, les autogouvernements populaires et différents organes gouvernementaux de la Révolution Bolivarienne (1). Avec, parmi les nombreux défis, celui de transformer la figure « centrale » de l’architecte en allié réflexif, créateur, des mouvements populaires.

La question de l’espace de vie allié à la participation populaire est une priorité pour le gouvernement révolutionnaire. En 2023, un total de quatre millions huit cent mille logements ont été construits pour les secteurs populaires dans le cadre de la « Grande Mission Logement » lancée par Hugo Chávez en 2012. Le président Maduro a indiqué que le gouvernement en construira 3 millions de plus entre 2025 et 2030, tout en insistant auprès du Ministre de l’Habitat et du Logement pour que soit renforcée la participation populaire dans ces (auto)constructions.

Le modèle proposé par le LIHP suppose d’industrialiser la filière du bois – une matière très disponible au Venezuela mais peu utilisée sur les chantiers. Avantages : le temps de construction très court (un mois environ), le fait qu’il s’agit d’une architecture sèche (pas besoin d’eau ni de ciment), légère, lumineuse, auto-ventilée, basée sur une structure de panneaux mobiles. L’espace est modifiable à souhait et adaptable aux contextes de vie et de travail les plus divers. Ce modèle arrive à point nommé pour répondre aux besoins de la population à un moment où le pays renoue avec la croissance, malgré la persistance d’un blocus économique occidental qui a réduit la disponibilité de certains matériaux et freiné l’essor de la grande mission logement.

Dans ce reportage réalisé par l’équipe de TERRA TV (sous-titré en français), plusieurs délégué(e)s de mouvements populaires, ainsi que le président du Laboratoire International pour l’Habitat Populaire, expliquent les nombreuses possibilités offertes par ce prototype. « Pour nous, le plus important, explique Jean-François Parent, est que ce prototype génère un débat dans l’ensemble de la société, dans sa diversité et ses contradictions, sur comment, à travers l’espace, transformer la société à laquelle nous appartenons. Produire une architecture populaire qui propose une libération culturelle à l’ensemble du corps social par de nouvelles formes d’habiter qui transforment nos relations à l’environnement, au sens large du terme.»

Thierry Deronne, Caracas, 19 mars 2024

Note :

(1) Le prototype d’unité familiale productive a été réalisé dans le cadre la mission confiée par le Gouvernement de l’État Bolivarien de Miranda au Laboratoire International pour l’Habitat Populaire au travers de l’alliance stratégique définie et signée en 2018 entre le Gouverneur Hector Rodriguez et Jean François Parent architecte. Étude et réalisation du Prototype : Equipe du LIHP – Laboratorio Internacional por el Habitat Popular. 25 rue Jean Jaurès, 93200 Saint-Denis, France. Au Venezuela : Parque Central, Torre Este, Piso 19, A.P. 1010, Caracas. Mail : contact@lihp.info / Site : http://www.lihp.info / @LIHP_FRANCE

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/03/19/video-st-fr-cooperation-internationale-avec-la-revolution-bolivarienne-des-architectes-francais-et-venezueliens-creent-un-prototype-novateur-de-logement/

Venezuela : les sept grandes transformations

Photo: Les présidents Lula et Maduro, le 2 mars 2024, à Kingstown (Saint-Vincent-et-les-Grenadines) pour le Sommet de la CELAC (Communauté des États latino-américains et des Caraïbes)

Depuis toujours, le président Lula est harcelé par le pouvoir médiatique au sujet du Venezuela, mais, contrairement à la gauche occidentale, il ose résister. Lors d’une conférence de presse avec son homologue espagnol Pedro Sanchez le 5 février à Brasilia, il a salué la décision du pays voisin de fixer la date des élections présidentielles au 28 juillet 2024 (fruit d’un dialogue de 97% des partis politiques et des acteurs de la société vénézuélienne). Élections, a-t-il rappelé, qui auront lieu en présence des observateurs internationaux (1). Le président du Brésil a conseillé de « cesser de pleurer » à la militante d’extrême droite Maria Corina Machado (liée au Likoud et aux déstabilisations violentes contre Chávez et Maduro), inéligible pour complicité de corruption avec Juan Guaido. Il lui a suggéré de laisser la droite choisir un autre candidat qu’elle. Un pied-de-nez aux États-Unis qui veulent l’imposer à tout prix.

Photo : Accord de « partenariat opérationnel » sur des thèmes comme « géopolitique et sécurité » entre deux partis d’extrême droite, le « Vente » vénézuélien de Maria Corina Machado, et le Likoud israélien.

Cette désobéissance aux injonctions des pouvoirs médiatique et impérial ne date pas d’aujourd’hui. Lula a déjà qualifié d’« excès de liberté » le record en nombre de scrutins organisés par le Venezuela depuis la révolution. En ce qui concerne le putschiste d’extrême droite Juan Guaido, lié à plusieurs tentatives de coups d’État, il avait déclaré qu’« avec tout ce qu’il a fait, il aurait dû aller en prison » (2). À noter qu’en 2012 Jimmy Carter qualifia le système électoral vénézuélien de « meilleur du monde » (3) et que les dernières élections, en 2021, ont été validées par l’ensemble des observateurs internationaux (4).

Mais au-delà de cette ligne de la lutte politique classique, « obligée », d’une démocratie représentative face aux pouvoirs de facto que sont les pouvoirs économique et militaire impériaux (blocus des USA, agressions paramilitaires et déstabilisations), ou le pouvoir médiatique (faire passer le Venezuela pour une dictature, l’isoler sur le plan mondial), la révolution bolivarienne travaille sur une deuxième ligne, stratégique, qui est son véritable objectif (et qui indiffère les médias) : poursuivre la refonte de l’État sur les bases du pouvoir direct des citoyen(ne)s, de l’économie productive diversifiée pour sortir de la dépendance du pétrole, de la justice sociale, de l’écosocialisme et de la participation au monde multipolaire.

Après un vaste processus de participation et de délibération populaires, le gouvernement bolivarien a approuvé le 26 février 2024 le Plan des sept transformations (7T). Il s’agissait avant tout d’une application du « pouvoir populaire en action », la forme politique constitutive du processus révolutionnaire bolivarien : plus de 60.000 assemblées communautaires, organisées dans tout le Venezuela selon la méthode de la Consultation, du Débat et de l’Action (CDA), ont discuté, intégré et finalisé le plan des 7T, jusqu’à son approbation finale dans ce que le président lui-même, Nicolás Maduro, a défini comme le moteur de la construction collective du socialisme en vue du développement du pays. La stratégie 7T couvre en fait tous les secteurs, les sphères économique, politique, sociale, environnementale, de paix et de sécurité.

Ces sept transformations sont les suivantes :

Transformation économique : modernisation des méthodes et des techniques de production, dans le but de consolider la diversification économique pour créer un nouveau modèle d’exportation.

Indépendance intégrale : actualisation et élargissement de la doctrine bolivarienne dans ses dimensions politique, culturelle, éducative, scientifique et technologique, dans le sens de l’autodétermination.

Consolidation de la paix et de la sécurité des citoyens : perfectionnement du modèle de coexistence civique, garantie de la justice, des droits humains et de la préservation de la paix.

Protection sociale : accélérer la consolidation, face aux conséquences dramatiques de la guerre économique, de l’État-providence, des missions bolivariennes, qui sont l’une des « valeurs » du Venezuela bolivarien.

Repolitisation : le blocus et ses effets sociaux (migrations, lutte pour la survie, ainsi que le surgissement de la nouvelle génération travaillée par les réseaux sociaux du capitalisme) rendent prioritaire la nécessité de renouveler la centralité de la dimension politique, et de consolider la démocratie participative et directe, qui est une autre des caractéristiques du processus bolivarien. Au début de 2024, le président Maduro a demandé à ses ministres « d’accélérer le transfert du pouvoir politique aux organisations populaires ».

Écologie : lutter contre la crise climatique, sensibiliser et protéger la population de l’impact environnemental, protéger l’Amazonie et les réserves naturelles face aux destructions telles que l’orpaillage. Plusieurs actions des forces armées ont permis de démanteler des réseaux extractivistes clandestins qui détruisaient et empoisonnaient les parcs naturels du sud du pays.

Géopolitique multipolaire : positionner le Venezuela dans la nouvelle configuration mondiale, à la fois en relançant l’intégration latino-américaine et caribéenne et en participant aux grandes stratégies de développement de la zone des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Le Venezuela a d’ailleurs formalisé sa demande d’adhésion aux BRICS lors du sommet de Johannesburg.

Photo : durant sa cinquième visite en Chine du 8 au 14 septembre 2023, qui a porté les relations bilatérales au plus haut niveau – « de tous temps et à toute épreuve » que la Chine réserve aux alliés stratégiques -, le Président Maduro s’est également entretenu avec le directeur général du Centre international de réduction de la pauvreté de Chine, Liu Junwen (5).

La stratégie de ces sept transformations s’inscrit dans un cadre stratégique plus large visant, comme l’a rappelé Maduro lui-même, à « accélérer la transition d’une économie dépendante du pétrole à une économie qui vise un processus de croissance bien au-delà du pétrole, qui vise à satisfaire d’abord les besoins matériels du pays ». En effet, le pétrole reste la principale source de richesse du Venezuela, et c’est pour cette raison qu’il est le secteur le plus directement visé par les mesures coercitives (unilatérales et illégitimes) imposées par les États-Unis.

Les « sanctions » contre l’industrie pétrolière vénézuélienne imposées par les États-Unis ont fait chuter la production d’environ trois millions de barils de pétrole par jour (2010) à 500 000 (2020). Ce déclin a entraîné une chute de 95% des ressources de l’État. En visite récemment au Venezuela, le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, Michael Fakhari, a déclaré que « les mesures coercitives unilatérales sous forme de sanctions économiques ont limité fortement la capacité à mettre en œuvre des programmes de protection sociale et à fournir des services publics de base ».

C’est pourquoi, avec le plan 7T, la diversification économique et productive prend une dimension centrale. Un « Agenda économique bolivarien » a été défini, divisé en dix-huit moteurs productifs : agroalimentaire ; pharmaceutique ; industrie ; exportations ; économie municipale, sociale et socialiste ; hydrocarbures ; pétrochimie ; mines ; tourisme ; construction ; sylviculture ; défense ; télécommunications et technologies de l’information ; banque ; industries de base, stratégiques et socialistes ; automobile ; crypto-monnaies ; et entreprenariat productif. L’objectif est la construction d’un modèle économique renouvelé, basé sur la diversification de la production et suivant une orientation socialiste.

06.03.24 – Gianmarco Pisa / Venezuelainfos

Notes :

  1. Le Centre National Électoral du Venezuela a invité la CELAC, la Communauté des Caraïbes (CARICOM), l’Union interaméricaine des organisations électorales (UNIORE), le Groupe d’experts des Nations Unies, l’Union africaine, l’Union européenne et le Centre Carter : https://venezuela-news.com/cne-anuncia-convocatoria-de-observacion-internacional/
  2. https://venezuelainfos.wordpress.com/2020/04/09/lex-president-lula-maduro-est-un-leader-democratique-guaido-devrait-etre-en-prison-le-blocus-etats-unien-tue-des-civils/
  3. https://venezuelanalysis.com/news/7272/
  4. https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/11/23/venezuela-alors-que-les-observateurs-internationaux-saluent-la-haute-transparence-du-scrutin-des-leaders-de-la-droite-appellent-a-tourner-la-page-du-putschisme-de-guaido/
  5. https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/09/13/les-relations-sino-venezueliennes-a-un-niveau-historique/

Références:

Gabriel Ovalles, Las 7 Transformaciones: rumbo al desarrollo del país, Ministerio del Poder Popular para el Proceso Social de Trabajo, 19.02.2024: www.mpppst.gob.ve/mpppstweb/index.php/2024/02/19/rumbo-al-desarrollo-del-pais

Lucas Estanislau, Com Zonas Econômicas Especiais, Venezuela quer superar bloqueio e dependência petroleira, Brasil de Fato, 10.07.2022: www.brasildefato.com.br/2022/07/10/com-zonas-economicas-especiais-venezuela-quer-superar-bloqueio-e-dependencia-petroleira

Prensa MPP- Despacho (ICA 21.09.2023), “Presidente Maduro insta a revisar y evaluar los 18 motores de la Agenda Económica Bolivariana”, 21.09.2023:

www.presidencia.gob.ve/Site/Web/Principal/paginas/classMostrarEvento3.php?id_evento=25229

TeleSUR – MS, “Venezuela aprueba el Plan de las Siete Transformaciones”, 27.02.2024: www.telesurtv.net/news/venezuela-aprueba-el-plan-de-las-siete-transformaciones-20240227-0001.html

Redazione, “Il relatore speciale delle Nazioni Unite chiede la revoca delle sanzioni contro il Venezuela”, l’AntiDiplomatico, 15.02.2024:

www.lantidiplomatico.it/dettnews-il_relatore_speciale_delle_nazioni_unite_chiede_la_revoca_delle_sanzioni_contro_il_venezuela/45289_53045

Source de cet article : https://www.pressenza.com/fr/2024/03/venezuela-les-sept-grandes-transformations/

Merci à Bernard Tornare https://b-tornare.overblog.com/

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/03/08/venezuela-les-sept-grandes-transformations/

« Faire du neuf avec du vieux » : Lana, jeune communarde dans la révolution au Venezuela

Lana Vielma, organisatrice et formatrice communarde de 21 ans, engagée dans la commune d’El Maizal à l’âge de 15 ans (Venezuelanalysis).

Lana Vielma est une jeune organisatrice de la commune phare d’El Maizal, à la frontière des États de Lara et de Portuguesa, au Venezuela. Fille d’un enseignante de la ville voisine de La Miel, Lana Vielma a commencé à s’engager et à travailler à l’organisation communarde à l’âge de 15 ans. Aujourd’hui, six ans plus tard, elle est directrice de la communication de la municipalité « communarde » de Simón Planas, qui comprend El Maizal et 12 autres communes. Au-delà de son rôle officiel, Vielma est également artiste et cinéaste.

À 21 ans, tu as déjà travaillé pendant six ans dans la commune d’El Maizal. Pourrais-tu nous raconter comment tu t’es engagée et ce qui t’a attirée dans cette commune ?

Sans la commune, je me serais enfermée chez moi et j’aurais été de plus en plus frustrée par la société… Je pense que je serais même en colère ! Les défis du monde sont nombreux, et plus encore pour ma génération, qui aspire à la liberté mais se heurte à tant d’injustices systémiques. En fait la commune m’a touché comme une baguette magique. Elle m’a offert une nouvelle vision du monde et m’a donné un but dans la vie – et cela n’est rien de moins que de la magie. Dans la commune, nous apprenons les uns des autres et nous résolvons les problèmes collectivement ; nous nous soutenons les uns les autres parce que nous avons une vision commune du monde. En bref, nous créons un espace dans la commune qui place l’être humain au centre.

En tant que jeune femme, la commune est devenue ma bouée de sauvetage et m’a changée à jamais. L’attrait des avantages tape-à-l’œil, mais le plus souvent inaccessibles, que le capitalisme propose aux jeunes n’est pas vraiment le moyen d’une vie épanouie. C’est pourquoi la jeunesse communarde est si importante : la commune est le moyen pour les jeunes d’avoir une existence significative et, en même temps, la commune a besoin d’eux.

Peux-tu nous en dire plus sur cette initiative d’une jeunesse communarde ?

Bien que nous vivions dans un territoire qui abrite la puissante commune d’El Maizal et que les gens l’admirent, l' »aimant » des médias sociaux projette le bonheur comme exclusivement basé sur la possession de certaines choses matérielles et ne laisse pas de place à la communauté. Tout en reconnaissant la nécessité de répondre aux besoins matériels, nous croyons fermement que les dimensions spirituelle et politique de la vie doivent être réintégrées dans la vie de nos jeunes.

La toxicomanie aussi est un problème pour certains jeunes de Simón Planas, ce qui contribue souvent aux problèmes familiaux et à la criminalité. On peut être surpris d’entendre cela et penser que dans un contexte rural, la consommation de drogue n’est pas un problème, mais c’est le cas. D’où l’importance de notre commune comme modèle d’attraction et qui réponde aux besoins de tous, en particulier des jeunes.

Le projet de la jeunesse communarde découle de la nécessité de rapprocher les jeunes générations du projet communal. La commune est un rendez-vous collectif pour l’éducation politique, l’activité culturelle et le débat. Commune d’El Maizal. (@ComunaElMaizal)

Tu joues un double rôle en tant que communarde et comme membre du gouvernement local (la marie). Comment navigues-tu sur ce double terrain ?

C’est complexe. Bien que la commune soit notre objectif stratégique, nous pensons que la construction de communes populaires nécessite une approche créatrice. Notre compagnon communard Ángel [Prado] est devenu maire de Simón Planas avec un objectif : renforcer les communes. Mais comment y parvenir ? En tant que communard, il doit démontrer que son administration est non seulement efficace, mais aussi centrée sur le bien-être quotidien de la population, tout en promouvant l’organisation communarde.

Cependant, les défis sont nombreux. Le vieux système bureaucratique est conçu pour se reproduire tout en négligeant souvent les besoins réels des gens. Pour nous, entrer dans le gouvernement local signifiait perturber son inertie, une tâche qui s’est avérée très difficile. Cependant, nous avons pris des mesures en faveur de ce que nous appelons le « gouvernement communal », qui encourage la participation directe des citoyens aux processus de prise de décision. Petit à petit, nous transformons les institutions et nous avons pu résoudre de nombreux problèmes, qui vont de l’accès à l’eau aux soins de santé. Cependant, les institutions ne sont pas des fins en soi, mais des moyens pour parvenir à des fins. Nous avons encore de nombreux défis à relever, qu’il s’agisse de la logique bureaucratique persistante ou de nos propres limites, mais nous poursuivons le projet de Chávez (la commune) et sa méthode (travailler avec les gens). Nous espérons continuer à ouvrir des chemins communaux où que nous soyons.

La commune d’El Maizal se trouve dans la municipalité de Simón Planas, état de Lara, à l’Ouest du Venezuela.

La commune populaire d’el Maizal est actuellement en plein processus de transformation, pour augmenter la production agricole et pour améliorer les conditions de vie des personnes qui y travaillent. Comment envisages-tu l’avenir de la commune et quels sont les moyens d’y parvenir ?

Créer les conditions réelles et tangibles d’une société prospère signifie créer les conditions économiques pour soutenir la vie quotidienne des communards, tout en projetant une lumière vers l’avenir. Maintenant, vous vous demandez peut-être si c’est vraiment possible ? Oui, nous le croyons ! L’humanité a besoin d’une alternative qui lui apporte la dignité et la paix, mais la transition doit se faire avec un certain confort, voire une touche de magnificence… Sur le plan matériel, cela signifie que les gens doivent disposer de bonnes conditions pour travailler, étudier et profiter de leurs loisirs.

Parallèlement, nous devons favoriser l’engagement politique aux niveaux local, régional, national et même mondial, ce que nous savons faire le mieux. Mais pour bien faire, nous devons disposer d’arguments tangibles et d’expériences concrètes ; nous devons être en mesure de prouver que notre projet fonctionne tant sur le plan politique qu’économique ; nous devons devenir un exemple convaincant que d’autres pourront suivre.

Tu as utilisé la métaphore de la reconstruction d’une maison pour parler de l’avenir de la commune d’El Maizal. Peux-tu développer cette idée ?

C’est une idée philosophique qui m’est chère. Si nous vivons dans une maison mais que nous voulons l’améliorer, nous ne pouvons pas la démolir et la laisser aux intempéries pendant que nous en construisons une nouvelle. Ce serait une mauvaise idée. Notre logement actuel, qu’on le veuille ou non, est capitaliste. Dans ces conditions, nous devrons construire la nouvelle maison de l’intérieur et autour de l’ancienne… jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de l’ancienne maison ! Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Nous devons construire le nouveau modèle progressivement, en forgeant une alternative réellement viable, tout en restant connectés – pour l’instant – au système existant. Ensuite, une fois le nouveau système consolidé, nous démolirons l’ancien. Concrètement, qu’est-ce que cela implique ? Ici, à Simón Planas, c’est un dirigeant communal [Ángel Prado] qui est à la tête de l’administration locale. Dans ces conditions, nous pourrions être tentés de nous concentrer uniquement sur la politique locale, en organisant une administration efficace à partir du bureau du maire. Cependant, cela ne répondrait pas à nos aspirations ; cela reviendrait à « améliorer » la vieille structure capitaliste sous une nouvelle peinture.

Notre idée va bien au-delà de la création d’un groupe de hauts administrateurs associés à la mairie et à la commune qui améliorent progressivement les conditions de vie à Simón Planas. Pour consolider l’hégémonie de la commune, notre projet doit présenter une alternative substantielle, englobant à la fois des dimensions politiques et économiques qui attireront et convaincront réellement les gens. En ce qui concerne la commune d’El Maizal, nous explorons activement de nouvelles approches pour organiser la production de manière à satisfaire les besoins des habitants qui consacrent leur vie, jour après jour, au projet. Le double objectif est clair : offrir une bonne vie aux habitants tout en améliorant la viabilité de notre modèle.

Nous savons qu’il s’agit d’un travail en cours, mais comment envisagez-vous les changements dans l’économie d’El Maizal ?

La commercialisation a toujours été un goulot d’étranglement pour nous, nous devons donc mieux planifier. Nous devons trouver des mécanismes pour que notre production atteigne le marché sans les obstacles dressés par les intermédiaires capitalistes. Ce n’est pas facile, mais c’est indispensable.

Nous pourrions créer une nouvelle EPS de commercialisation [entreprise de production sociale liée à la commune], et il est possible que nous puissions construire un réseau de distribution et de commercialisation avec l’Union Communarde ou en contact avec les Circuits Économiques du Ministère des Communes. Cependant, une chose est évidente : nous devons mieux planifier et rompre la dépendance à l’égard des intermédiaires privés. En outre, comme je l’ai déjà dit, nous pensons que le nouveau modèle économique doit créer les conditions pour que les communards les plus engagés puissent participer plus directement… Toutes ces considérations sont cruciales pour la construction d’une nouvelle hégémonie communale. Si la commune ne produit pas de bénéfices économiques tangibles, quelque chose doit changer. L’échec n’est pas une option pour nous !

Photos : ateliers réalisés en 2023 par l’École de Communication des Mouvements Sociaux « Hugo Chávez » (projet qu’on peut soutenir ici). L’École a aidé la commune d’El Maizal à créer sa propre école, baptisée « Yordanis Rodriguez El Pealo ».

Dans tout cela, la communication est également importante. Peux-tu nous parler de votre travail de reportage et de production de contenu sur la commune d’El Maizal et le gouvernement municipal de Simón Planas ?

Dans la commune d’El Maizal, nous sommes politiquement solides : les habitants de Simón Planas admirent Ángel Prado et la commune d’El Maizal. Néanmoins, il est essentiel de reconnaître que tout le monde ne perçoit pas la commune comme la solution ultime ou comme une alternative viable. Notre capacité à communiquer s’est accrue au fil des ans et nous pouvons aujourd’hui documenter toutes les assemblées qui se tiennent sur le territoire de Simón Planas. Nous sommes également en mesure de faire savoir que, depuis la mairie, nous faisons beaucoup de choses, qu’il s’agisse de réparer l’éclairage public et les routes, de répondre aux préoccupations sanitaires et aux problèmes d’eau, de construire des maisons ou de promouvoir des événements sportifs et culturels. Cependant, si ces efforts nous donnent un cachet politique, ils ne sont pas à la hauteur du projet communal, car ils ne transforment pas la société dans son ensemble.

C’est pourquoi nous avons inauguré il y a trois ans l’école de communication Yordanis Rodríguez « El Pelao » d’El Maizal. Notre objectif est de connecter les jeunes aux processus organisationnels et de leur donner les moyens de faire en sorte que la communication ne soit plus l’apanage des journalistes qui privilégieront toujours les contenus qui méritent d’être cliqués. Il est impératif de souligner l’importance de l’organisation communautaire, qui doit être racontée par ses acteurs. Et dans ce projet, le rôle des jeunes est essentiel.

Interview: Cira Pascual Marquina / Chris Gilbert (Venezuenalysis)

Source : https://venezuelanalysis.com/interviews/building-the-new-with-the-old-still-standing-a-conversation-with-lana-vielma/

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

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« Et au milieu coule l’Esequibo », par Maurice Lemoine (Mémoire des Luttes)

En « mission spéciale » à Georgetown le 11 janvier 2024, Mike Pompeo, l’ex-directeur de la CIA et secrétaire d’Etat de Donald Trump, informe le président du Guyana des nouveaux plans du Pentagone et d’ExxonMobil contre le Venezuela.

mardi 13 février 2024   |   Maurice Lemoine

Plusieurs semaines de fortes tensions entre Caracas et Georgetown – capitale du pays voisin, la République coopérative du Guyana. En guise d’explication, TF1 avance : « Le Guyana menacé d’invasion par le Venezuela » (1er décembre 2023). Information que complète Le Monde  : « Le Venezuela lorgne le pétrole du Guyana » (2 décembre). Radio France internationale (RFI) soulignant au passage « les discours belliqueux du Venezuela » (14 décembre).

Au cœur de cette actualité, un différend territorial concernant la région d’Esequibo, contrôlée par le Guyana, mais que le Venezuela revendique. Au large des côtes de la zone en question, la multinationale américaine ExxonMobil vient de découvrir des hydrocarbures. Donc…

« Opportuniste » et par ailleurs « en difficulté face à son opposition », le gouvernement de Nicolás Maduro lance une série de mesures pour s’approprier cette manne pétrolière. Le 3 décembre 2023, il organise un référendum, qui se solde par un oui massif de ses compatriotes au rattachement de la région au Venezuela. Une annexion en bonne et due forme ! La preuve : Caracas crée une « Zone de défense » de l’Esequibo et nomme un général pour la diriger. Désormais, tout un chacun comprend et compatit : il s’agit d’un combat du David guyanien (808 000 habitants) contre le Goliath vénézuélien (28 millions de sujets).

Agressée, Georgetown a saisi la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute instance judiciaire de l’ONU. Le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken affirme son « soutien inébranlable à la souveraineté du Guyana ». Secrétaire général de l’Organisation des Etats américaine (OEA), Luis Almagro fait de même. Ne voyant « aucun argument » susceptible de justifier ce type d’« action unilatérale », le ministre britannique des Affaires étrangères David Cameron appelle de son côté le Venezuela à cesser ses agissements.

En fait, ce qui se passe est bien plus grave que ce qu’on subodorait : le Guyana, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et ExxonMobil sont odieusement agressés par l’ogre vénézuélien.

La République coopérative du Guyana

Indépendant depuis 1966, enclavé entre l’Océan atlantique (au nord), le Venezuela (au nord-ouest), le Brésil (au sud-ouest) et le Suriname (à l’est), le Guyana – officiellement République coopérative du Guyana – couvre 215 000 kilomètres carrés et reste profondément marqué par sa longue appartenance, avec une partie des Antilles, à l’ensemble des Indes occidentales britanniques. Ce, bien qu’il ait été « découvert » par Christophe Colomb en 1498 et qu’il ait également subi la domination hollandaise.

Longtemps, les principales richesses de ce petit pays anglophone ont été la bauxite, clé de voute de son économie, la canne à sucre et le riz ; 90 % des habitants – Afro-Guyaniens (descendants d’esclaves ; environ 30 %), Indo-Guyaniens (travailleurs ultérieurement venus d’Inde ; 40 %), métis (20 %) et Amérindiens (10 %) – vit et travaille dans les zones de basse altitude, le long de l’étroite plaine côtière. La vie sociale repose sur des bases ethniques, héritées de l’époque coloniale, opposant Hindoustanis (affaires, commerce, agriculture) et Afro-Guyaniens (administration, police, armée). Un fort bipartisme, lui aussi plus identitaire qu’idéologique, caractérise la vie politique. D’une part, le Parti civique progressiste du peuple (PPP/C), qui a mené la bataille pour l’indépendance, représente peu ou prou la majorité hindoue. De l’autre, le Congrès national du peuple (PNC) possède une base électorale essentiellement afro-guyanienne.

Objet du conflit, à l’ouest du fleuve Esequibo, le plus long cours d’eau du pays, l’Esequibo ou Guayana Esequiba, tapissé de forêts tropicales, couvre sept dixièmes du territoire (159 542 km², à peu près la moitié de l’Italie) et, très peu peuplé, n’abrite que 125 000 habitants, soit un cinquième de la population.

Le 2 août 2020, au terme d’élections au résultat contesté pendant cinq mois par le président sortant David Granger, qui se représentait, Mohamed Irfaan Ali (PPP/C), fermement appuyé par le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo, est devenu le nouveau chef de l’Etat. D’emblée, il a confirmé vouloir porter le différend frontalier avec le Venezuela devant la CIJ, rappelant que – avant même le mandat de Granger, lui-même très hostile à Caracas – c’est son parti le PPP/C qui, en 2014, à mis un terme au « dialogue de bonnes manières » entretenu depuis plusieurs décennies avec le pays voisin. Le 18 décembre 2020, la CIJ déclara admissible la demande de Georgetown sur le respect d’un traité signé en 1899 (la Sentence arbitrale de Paris) lui attribuant la zone contestée. Quelques temps auparavant, l’ambassadeur des Etats-Unis au Guyana, Perry Holloway, avait abondé dans ce sens en estimant que si les deux pays voulaient « maintenir la paix et adhérer au droit international », la décision de 1899 devait être respectée [1].

Conquêtes, occupations et truanderies

Au commencement étaient les autochtones (Caraïbes, Arawak, Warao). L’inévitable Christophe Colomb (1498). Un an plus tard, les Espagnols entreprennent d’explorer la contrée – sans encore s’y installer. Les Indigènes peinent à prononcer le nom du conquistador. Ils transforment (Juan de) Esquivel en « Esequibo » (c’est du moins ce que prétendent certains historiens). Pirates et corsaires s’abattent sur la région – portugais (1541), français (1543,1544), anglais (1561), multinationaux (1567).

Surtout hollandais, mais aussi britanniques, des Européens plantent leurs cabanes en 1616 au milieu de l’exubérante végétation. En 1648, en vertu du traité de Münster, que signent le Roi catholique d’Espagne et les Seigneurs Etats Généraux des Provinces-Unies des Pays-Bas, les « hidalgos » abandonnent à la Hollande la zone située à l’est du fleuve Esequibo [2]. Quand, en 1814, la Hollande perd les guerres napoléoniennes, qu’elle a eu l’imprudence de livrer aux côtés des Français, le territoire tombe entre les mains de Londres. La Guyane britannique est née.

Trois ans auparavant, le 5 juillet 1811, Francisco de Miranda et Simón Bolivar ont arraché l’indépendance du Venezuela à l’empire espagnol. Toutes les cartes de l’époque en attestent : depuis 1777, les frontières de la capitainerie du Venezuela s’étendaient jusqu’à l’Esequibo [3]. Le 21 décembre 1811, l’ensemble du territoire appartenant à l’ex-capitainerie est inclus dans la première Constitution du Venezuela.

Lorsque les Anglais ont hérité de la Guyane britannique en 1814, ni eux ni les Hollandais qui la leur ont cédé n’ont précisément défini la frontière ouest. Profitant du chaos des luttes d’indépendance, qui se poursuivent au Venezuela, les « british » franchissent subrepticement le fleuve Esequibo et commencent à grignoter des pans entiers du pays voisin.

En 1822, Bolivar fait parvenir une première protestation formelle au Foreign Office avec pour unique réponse : « No way ! »

Sous l’impulsion des Hollandais d’abord, puis des Britanniques, le Guyana s’est peuplé d’esclaves noirs arrachés à l’Afrique et jetés dans les plantations. L’esclavage aboli en 1833, des travailleurs étrangers sous contrat – Portugais, Chinois, puis Indiens (des Indes) – débarqueront par dizaines de milliers.

En 1834, par le biais de la Royal Geographical Society de Londres, les Anglais engagent un naturaliste d’origine allemande, Robert Schomburgk, pour qu’il explore toute la région et en établisse la cartographie. Ce que fait le savant, révélant dans son premier rapport les immenses richesses existant côté vénézuélien du fleuve Esequibo. Des bords de la Tamise montent des murmures intéressés. En 1839, le gouvernement mandate Schomburgk pour fixer une ligne de démarcation, tout en lui enjoignant de « ne pas s’en tenir au traité de Londres de 1814 », mais de « s’étendre au territoire vénézuélien ».

Un an plus tard, tracée arbitrairement, la « Ligne Schomburgk » dépouille le Venezuela de 4 920 km2. Cette fois, la controverse s’envenime. En 1844, invoquant le principe de l’uti possidetis juris (« vous posséderez ce que vous possédiez déjà »), le ministre vénézuélien Alejo Fortique insiste auprès de la puissance coloniale pour que le fleuve soit reconnu comme étant la frontière naturelle entre les deux pays. Londres traîne les pieds, mais, comme Caracas, s’engage à ne pas occuper ni usurper le territoire « en dispute ». Toutefois, perfide Albion oblige, profitant des difficultés du jeune Etat à contrôler ses frontières, l’invasion va se poursuivre, arrachant au Venezuela 141 930 km2 en 1886, qui deviendront 167 830 km2 en 1887 puis 203 310 km2 en 1897 [4]. La découverte de gisements aurifères est passée par là.

Caricature d’époque.

Ivres de leurs succès, les Anglais ont définitivement dépassé les bornes. En 1890, après qu’ils eussent avancé jusqu’à l’embouchure de l’Orénoque, leur flotte a débarqué des troupes sur la côte vénézuélienne. Ils ont juste oublié une chose : la Doctrine de Monroe. Un « texte sacré » gravé dans le marbre en 1823 par les Etats-Unis.

A l’origine, la doctrine avertit : « Aux Européens le vieux continent, aux Américains le Nouveau Monde ». Dit autrement : l’ensemble des Amériques ne peut plus être soumis à la colonisation ou à l’ingérence européenne, qui, menace pour la sécurité et la paix, seront considérées comme hostiles par Washington. La proclamation n’étant pas passée inaperçue, Caracas se tourne vers le grand voisin du Nord. Qui traîne à réagir. Jusqu’à ce que l’un de ses ex-ambassadeurs au Venezuela, William Lindsay Scruggs, ne publie un pamphlet intitulé British agressions in Venezuela ; or The Monroe doctrine on trial (Agressions britanniques au Venezuela ; ou la doctrine Monroe à l’épreuve) [5]. Piqué au vif, Washington interpelle enfin Londres. Qui lui expédie un « bras d’honneur » quand le premier ministre conservateur, Lord Salisbury, rétorque que la Doctrine de Monroe « n’a aucune valeur au regard du droit international ». Ce qui objectivement n’est pas faux – mais le problème n’est pas là ! Une telle remise en cause de la sphère d’influence des Etats-Unis met le président Grover Cleveland en fureur. Cette fois, l’affaire est prise au sérieux.

Le 17 décembre 1895, dans un message au Congrès, Cleveland annonce que les États-Unis « résisteront par tous les moyens à toute appropriation par la Grande-Bretagne ou à l’exercice par celle-ci d’une juridiction gouvernementale sur tout territoire appartenant de droit au Venezuela ». A sa demande, la Chambre des représentants émet la Résolution 252 : un arbitrage international devra résoudre la dispute entre la Grande-Bretagne et le Venezuela.

Touché par une telle solidarité, le président vénézuélien Joaquín Crespo signe des deux mains. Londres grogne, mais se plie aux désidératas de la puissance montante. Le 2 février 1897, le « Traité entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis du Venezuela relatif au règlement de la question de la frontière entre la colonie de la Guyane britannique et les Etats-Unis du Venezuela » (dit plus simplement « traité de Washington ») entérine le principe de l’arbitrage. Au terme des discussions, le Venezuela se montre déjà moins emballé. Une forte pression étatsunienne le menaçant de le laisser seul, « à la merci de la Grande-Bretagne », a précédé la définition de la composition du tribunal : deux juges américains désignés par la Cour suprême des Etats-Unis (Weston Fuller et David J. Brewer) ; deux britanniques nommés par la Cour suprême de leur pays (Lord Charles Russell et Lord Richard Henn Collins) ; un cinquième magistrat désigné par le Roi de Suède et de Norvège – qui s’avérera finalement être un russe ouvertement anglophile, Federico de Martens. Les Vénézuéliens ne sont pas invités à la fête ! Ils seront représentés et défendus par l’ex-président des Etats-Unis Benjamin Harrison et deux avocats de même nationalité (Benjamin S. Tracy et Severo Mallet-Prevost).

Malgré une telle incongruité, comment ne pas faire confiance aux « yankees »  ? En protecteurs désintéressés du continent, ne viennent-ils pas d’intervenir militairement à Cuba pour y aider les patriotes à en chasser les Espagnols et à en faire un pays « libre et souverain » ? Convaincu que la justice lui donnera raison, le gouvernement vénézuélien accepte la formule qui lui est imposée avant d’expédier dix caisses de documents, de courriers et de cartes aux Etats-Unis, où ils seront traduits [6].

Juges et avocats de l’arbitrage de Paris.

C’est donc le 3 octobre 1899, à Paris, sans la présence d’un seul Vénézuélien, qu’est prononcée la sentence. Si elle restitue au Venezuela la totalité de l’embouchure de l’Orénoque, son vital débouché sur l’Atlantique, ainsi que les terres situées de part et d’autre de celle-ci, elle lui arrache la totalité des 159 542 km² illégitimement occupés par l’Angleterre, à l’ouest du fleuve Esequibo. Quelques jours plus tard, le juriste américain Mallet-Prevost, conseiller de la défense du Venezuela, s’épanche en mode discret auprès de son collaborateur et ami George Lincoln Burr : « Nos arbitres ont été contraints d’accepter la décision et, en toute confidence, je n’hésite pas à vous assurer que les arbitres britanniques n’ont été guidés par aucune considération de droit ou de justice et que l’arbitre russe a probablement été incité à adopter la position qu’il a prise pour des raisons totalement étrangères à la question (…) Le résultat, à mon avis, est une gifle à l’arbitrage [7].  »

Le Premier Ministre Lord Salisbury se félicite du résultat de l’Arbitrage et part en courant avec le butin pour le poser aux pieds de son souverain (caricature du Punch de Londres, 11 octobre 1899).

Le verdict passe tout de même comme une lettre à la malle-poste : à ce moment, le Venezuela n’a plus de gouvernement ! Aux prises avec une conspiration qui le renversera vingt jours plus tard, le président Ignacio Andrade s’apprête à quitter le pays. Son adversaire et futur successeur, le général nationaliste Cipriano Castro, n’est pas encore arrivé dans la capitale à la tête de son armée privée [8]. Dans quelques temps (1902), prenant prétexte de dettes non remboursées par Caracas, une coalition de puissances européennes – Allemagne, Angleterre, Italie – dépêchera une escadre de quinze navires pour s’emparer de la flotte vénézuélienne et verrouiller par un blocus les zones côtières du pays.

Pour mettre fin à l’outrage, il faudra que les Etats-Unis – qui viennent de favoriser la sécession du Panamá pour s’emparer d’un territoire jusque-là colombien où ils entendent construire un canal – serve tardivement de médiateur entre Vénézuéliens et Européens, au nom de l’inévitable doctrine de Monroe [9]. Mais, en tout état de cause, la spoliation de l’Esequibo passe alors au second plan. Entre novembre1900 et juin1904, composée de représentants du Royaume-Uni et du Venezuela, une commission mixte ad hoc réalise la démarcation de la frontière établie par la sentence de Paris.

De Paris à Genève

Un demi-siècle passe. En 1949, le scandale éclate au grand jour. Il y a eu de la magouille là-dessous ! Dans un mémorandum qu’il a ordonné de ne publier qu’après sa mort, feu Mallet-Prevost révèle que le « Laudo arbitral de Paris » a été une mascarade, résultat d’un « achat » du président russe du tribunal, Federico de Martens, par les deux juges britanniques et, au nom d’une forme de solidarité anglo-saxonne [10], d’un arrangement politique secret entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis.

La publication de ces révélations dans la prestigieuse revue étatsunienne The American Journal of International Law [11] coïncide, cinquante années s’étant écoulées depuis les faits, avec la possible ouverture des archives britanniques et d’archives privées aux Etats-Unis. Avec l’autorisation de leur hiérarchie ecclésiastique, deux jeunes jésuites qui se trouvent à Londres, Hermann Oropeza et Pablo Celigueta, se plongent dans l’étude des documents. Le résultat de leurs recherches, qui s’étendent sur une dizaine d’années, permet auVenezuela d’étayer la réclamation qu’il porte, en 1962, devant l’Organisation des Nations unies (ONU). Lors d’un contact direct avec son homologue britannique, le 5 octobre 1963, le ministre des affaires étrangères Falcón Briceño expose les arguments du Venezuela avant de conclure : « La vérité historique et la justice exigent que le Venezuela réclame la restitution intégrale du territoire dont il a été dépossédé. »

Après l’échec de discussions tenues à Londres, cette séquence revendicative se clôture les 16 et 17 février 1966 à Genève, à l’occasion d’une réunion entre les ministres des Affaires étrangères Iribarren Borges (Venezuela), Michael Stewart (Royaume-Uni) et Forbes S. Burnham, premier ministre d’une Guyane britannique qui, depuis 1953, jouit d’une autonomie limitée. Les deux jours de négociations débouchent sur un consensus qui, signé par tous en espagnol et en anglais, prendra le nom d’ « Accord de Genève. Lequel, officiellement transmis au Secrétaire général de l’ONU le 2 mai [12], sera validé par le Guyana, conformément aux dispositions de l’article VII, le jour de son accession à l’indépendance, le 26 mai suivant. Indépendance que reconnaît immédiatement le Venezuela.

Engageant donc la nouvelle nation guyanienne, le document signé au bord du Lac Léman prend note des réclamations de Caracas, qui considère la sentence arbitrale de 1899 « nulle et non avenue », et prévoit dans son premier article la mise en place d’une commission mixte pour régler le différend « amicalement » et de « manière acceptable » pour les parties dans un délai de quatre ans. Le texte stipule également (article IV) que, en cas d’échec des négociations bilatérales, les signataires devront « choisir sans délai l’un des moyens de règlement pacifique prévus à l’article 33 de la Charte des Nations Unies », et, si là encore il y a absence de résultat, s’en remettront au secrétaire général de l’ONU. Formule qui, on le découvrira bien plus tard, peut être diversement interprétée.

Accord de Genève.

Sur le coup, l’accord a satisfait tout le monde, mais pas pour les mêmes raisons. Vu depuis le Venezuela, il actait une remise en cause acceptée par tous de la vilenie de 1899 et le bon droit de sa revendication. La Grande-Bretagne y voyait une manière élégante de se laver les mains et de laisser les deux autres protagonistes trouver la solution de l’imbroglio qu’elle avait provoqué. A quelques semaines de l’Indépendance, Burnham considérait que, une fois la Grande-Bretagne évincée de la partie, il aurait les mains libres pour changer les règles du jeu.

Et les Etats-Unis (de Lyndon B. Johnson) ? Implicitement et explicitement, ils appuient fermement… Caracas ! Ex-premier ministre de la Guyane encore britannique, tribun populaire et indépendantiste aux sympathies affirmées pour les pays socialistes, fondateur du PPP, Cheddi Jagan, devenu leader de l’opposition dans le nouvel Etat – désormais gouverné par Burnham –, pourrait bien le transformer en un « nouveau Cuba » si des élections imprudemment « régulières » lui permettaient d’arriver au pouvoir.

Pour des raisons inverses à celles de Washington, Fidel Castro soutiendra le Guyana au cours de la décennie 1970 – Burnham, longtemps considéré comme une marionnette des Etats-Unis, affirmant graduellement son autonomie, stabilisant le pays, nationalisant la bauxite, reconnaissant tous les pays socialistes et contribuant à briser l’isolement de Cuba [13].

Soucieux pour sa part de contrôler l’ensemble du bassin amazonien tout en se préservant des accès sur la mer caraïbe, le Brésil, dans la durée, prendra parti pour le Guyana.

Quand, en 1970, les quatre ans impartis à la commission mixte arrivent à échéance, aucune solution n’a été trouvée. Les tensions s’accumulent. En 1968, oubliant déjà les engagements pris deux ans auparavant à Genève, Burnham a commencé à négocier avec des entreprises étatsuniennes l’exploitation des ressources de la zone contestée. Sachant que, dans cette même zone, en 1969, a éclaté une révolte qui a sacrément secoué le Guyana.

Le soulèvement indigène de Rupununi.

Située au sud de la Guyana Esequiba, la région de Rupununi (58 000 km2) étend ses vastes savanes entourées de forêts à 500 km de Georgetown (et à 1 600 km de Caracas). Seule la voie aérienne permet à l’époque de rejoindre Lethem, son agglomération et centre commercial les plus importants, à proximité du Brésil. Malgré cet isolement, l’agriculture et l’élevage (entre 120 000 et 150 000 têtes de bétail) offrent à la zone une certaine prospérité. Environ 40 000 indigènes wapishana (mais aussi makushi et lokono) la peuplent en compagnie d’une poignée d’Européens (anglais et écossais), d’Américains et de Canadiens à qui la couronne britannique, en son temps, a donné des terres en concession [14]. Laquelle autorité britannique avait également placé les territoires amérindiens sous sa protection.

L’indépendance venue, toutes ces terres sont devenues propriété de l’Etat guyanien. Celui-ci permet à leurs occupants, indigènes ou autres, de continuer à les exploiter, mais en vertu d’une licence renouvelable chaque année. Un statut lui permettant, si ou lorsqu’il le jugera nécessaire, d’expulser ces résidants.

Depuis l’arrivée au pouvoir de l’ « afro-centriste » Burnham en 1968, une forte agitation secoue les Amérindiens de Rupununi, grands oubliés des politiques économiques et sociales de l’Etat. Qui plus est, on prête à Burnham l’intention de confisquer les « haciendas » des grands propriétaires et les parcelles des Indigènes pour les répartir, sur une base ethnique, pour ne pas dire raciste à l’égard des autochtones, à des Noirs et à des Hindous incités à coloniser la région.

La révolte éclate le 1er janvier 1969. Le 2, un groupe de rebelles armés prend la station de police, neutralise, au prix de quelques morts parmi ces dernières, les forces de sécurité. Empêchant toute communication avec la capitale, les stations de radio sont occupées ; les pistes d’aviation secondaires ainsi que celle de l’aérodrome de Lethem sont obstruées par des obstacles et des futs de carburant.

De cette province désormais totalement isolée et sous contrôle, s’élève la voix de Valerie Hart. Une indigène, malgré son nom – qu’elle doit à un époux aviateur, Harry Hart. Depuis l’aéroport de Lethem, entourée d’une centaine de paysannes armées de fusils, Valerie Hart, au nom d’un « Mouvement Guyveno » (guyanien-vénézuélien) annonce la création du Comité provisoire du gouvernement de Rupununi.

Valerie Hart.

Grâce au silence radio qu’ils ont imposé, les rebelles pensent pouvoir contrôler l’ensemble du territoire avant que le pouvoir central n’ait pu réagir. C’est compter sans un missionnaire adventistes étatsuniens de Lethem, partisan de Burnham, qui, possédant un émetteur-récepteur, avertit l’ambassade des Etats-Unis.

La foudre s’abat immédiatement. Le modeste armement des insurgés ne fait pas le poids face à celui des Forces de défense guyaniennes, qui vont jusqu’à utiliser des lance-flammes pour les neutraliser. Très vite en grande difficulté, les révoltés se tournent vers Caracas : une annexion au Venezuela serait possible à condition que leur soient garantis « les droits de l’homme, la propriété de leurs terres et une période de transition plus ou moins longue pour adapter le système juridique de la région au système vénézuélien, ainsi que l’autonomie pour certaines questions locales [15] ».

Par radio, le pouvoir ordonne à la troupe de bombarder les populations indigènes de Pirara et d’Annai – dont les habitations sont réduites en cendre. Sous la pression, la retraite des plus vulnérables doit débuter. Femmes et enfants entreprennent une marche désespérée en direction du Brésil et du Venezuela.

Sans ambiguïtés, cette fois, Hart a lancé : « Nous, les habitants du Rupununi de Guayana et donc Vénézuéliens de naissance, conformément à l’article 35 de la Constitution nationale, lançons un appel au gouvernement, au peuple et aux Forces armées vénézuéliennes pour qu’ils nous aident et empêchent les hordes du Premier ministre du Guyana de nous massacrer. Une autre Baie des Cochons n’est pas conforme à la tradition historique de la patrie de Bolivar [16]. Dans la Baie des Cochons, les Etats-Unis ont abandonné des citoyens non américains. Nous espérons que les Vénézuéliens du Rupununi ne seront pas abandonnés par le Venezuela à une extermination tragique. »

Désormais en grand danger, Hart s’envole avec son pilote de mari pour Santa Elena de Uairén, dans l’Etat de Bolívar (Venezuela). Le 4 janvier, très amicaux à son égard, les militaires vénézuéliens affrètent un vol pour que le couple rebelle gagne Caracas. En tant que présidente du Comité provisoire du gouvernement de Rupununi, Hart y rencontre les ministres de l’intérieur et des Affaires étrangères, Reinaldo Mora et Ignacio Iribarren Borges et leur demande d’appuyer la création d’une région indépendante du Guyana, sous protection du Venezuela. Elle réclame également de pouvoir rencontrer le chef de l’Etat.

A Caracas, la cheffe de la rébellion guyanienne demande l’aide de troupes et d’armes au Venezuela.

Flottement à Miraflores (le palais présidentiel) et à la « Casa Amarilla » (le ministère des Affaires étrangères). Raúl Leoni va, le 11 mars prochain, céder le pouvoir au social-chrétien Rafael Caldera, qui, le 1er décembre 1968, a été élu président.

Nul n’ignore que, à tous les niveaux du pouvoir et par-delà les négociations avec Georgetown, le sort de la Guyana Esequiba a donné lieu en permanence à toutes sortes de spéculations. Ainsi, durant la dictature de Marcos Pérez Jiménez (1952-1958), un plan nommé « Hipótesis Negra » (« hypothèse noire ») a-t-il circulé au sein de l’Académie militaire, qui envisageait la récupération musclée de la Guyana Esequiba. Toutefois, tout despote qu’il fût, Jiménez n’a pas franchi le Rubicon.

Du ministère des Affaires étrangères, le président Leoni lui-même a reçu six possibles scénarii – genre « toutes les options sont sur la table » – pour la reprise du territoire perdu. D’après la chercheuse Sonia Romero Harrington, Leoni aurait considéré comme la moins problématique une sécession puis une annexion au Venezuela « par la libre volonté [des] habitants » [17]. Ce qui ressemble fort à la révolte de Rupununi et conforte l’historien Guillermo Guzmán quand il prétend que, dans les archives personnelles d’Iribarren Borges, figurent de nombreux documents attestant du rôle d’acteurs vénézuéliens dans la rébellion.

Informé des fameux plans par le ministre désormais sortant Iribarren Borges, le futur président Caldera rétorque prudemment qu’il va réfléchir à la question. Durant une visite à des installations militaires de Ciudad Bolivar, quelques semaines auparavant, il a affirmé qu’il traiterait « avec fermeté et conformément aux intérêts du pays la revendication sur la Guayana Esequiba, mais avec en même temps une approche pacifique et conforme aux accords signés à Genève ».

Pour l’heure, Léoni occupe toujours Miraflores. Les réfugiés de Rupununi déferlent sur Ciudad Bolivar. Par effet de contagion, des centaines d’Amérindiens du nord de la Guyana Esequiba passent au Venezuela.

Il est temps que – voyant les fourmis dévorantes du communisme cachées derrière toute manifestation de mécontentement social ou politique – les États-Unis interviennent. Washington fait savoir que ce « mouvement armé » représente une menace pour la région. De son côté, la CIA informe Caracas que, en cas d’appui aux rebelles, l’aide militaire antisubversive lui sera retirée (alors que la guérilla vénézuélienne marxiste des Forces armées de libération nationales [FALN] est encore en activité). Le Venezuela pourrait même voir arriver sur son territoire les « british » de la Royal Navy !

Valerie Hart ne rencontrera pas Leoni. Les ministres lui font comprendre que des « questions de politique internationale très délicates » interdisent toute intervention du Venezuela. Le réalisme ne se transforme toutefois pas en trahison. Accueillant à bras ouverts les milliers de réfugiés, Caracas leur accorde naturalisation et pièces d’identité en tant que « citoyens vénézuéliens de naissance » car originaires d’un territoire que le Venezuela considère lui appartenant.

Georgetown se déchaîne. Le 16 janvier, le Guyana remet une note de protestation au secrétaire général de l’ONU, lui demandant que ses accusations soient portées à la connaissance de tous les pays membres de l’Organisation. Les conséquences n’iront pas plus loin qu’une condamnation du Venezuela par les pays du Commonwealth [18]. Le Venezuela nie toute implication. Les relations diplomatiques ne sont pas rompues. La « pasionaria » Valerie Hart entre dans la légende. Et, aujourd’hui encore, certains Vénézuéliens critiquent vertement l’attitude de Leoni et Caldera, considérant le non appui au soulèvement de Rupununi comme une occasion perdue.

Une embellie nommée Hugo Chávez…

« Nous avons annoncé que nous ne voulions pas d’une situation d’hostilité militaire avec le peuple guyanien, a déclaré Caldera, maintenant installé pour son premier mandat à Miraflores… Cela ne veut pas dire que le Venezuela ne doit pas utiliser toutes ses ressources juridiques, morales et politiques pour la récupération de quelque chose dont il a été injustement privé ». Malgré les tensions, ou peut-être pour les aplanir, les deux gouvernements s’accordent le 18 juin 1979, par le « protocole de Port Spain » (Trinité-et-Tobago), sur un moratoire de douze ans pendant lequel les réclamations seront de part et d’autre gelées [19].

Au moment du dégel, en 1982, Caracas refuse de reconduire le moratoire et propose la reprise de négociations directes. Georgetown, pour la première fois, évoque la Cour internationale de justice – dite CIJ.

Nouveau changement de cap en 1987 : d’un commun accord, les deux pays entérinent la méthode des « bons offices » à laquelle, sous l’égide de l’ONU, béni par les présidents Carlos Andrés Pérez et Desmond Hoyte, se colle en 1989 et pour dix ans, l’ex-secrétaire général de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), le grenadien [20] Alister McIntyre.

Au Venezuela, la IVe République agonise. Arrive un ouragan : Hugo Chávez. Après réforme de la Constitution, le pays devient la République bolivarienne du Venezuela. Un objectif, une vision : l’intégration latino-américaine. Des instruments : paix, souveraineté, respect du droit international.

Le 19 février 2004 demeurera une date historique : tout sourire, un président vénézuélien atterrit à Georgetown pour une visite officielle. A son homologue Bharrat Jagdeo, Chávez propose de privilégier la coopération, y compris dans l’Esequibo. « Le gouvernement vénézuélien, déclare-t-il, ne s’opposera dans la région à aucun projet qui bénéficie aux habitants (…) projets hydrauliques, voies de communication, énergie, projets agricoles… »

En 2005, Chávez fait mieux encore : il incorpore le Guyana à l’initiative PetroCaribe qu’il vient de lancer en juin. L’accord permet à treize pays de la Caraïbe d’acheter du pétrole au Venezuela, avec des conditions de paiement particulièrement généreuses (ce qui les sauvera d’un naufrage assuré lors de la grande crise financière déclenchée en 2008 par la déréglementation du système financier aux Etats-Unis).

En mode de paiement original, Venezuela et Guyana procèdent à un échange « pétrole contre riz ». Sans que Caracas ne hausse un sourcil, le Guyana, cette même année 2005, commence à exploiter six gisements d’or, de bauxite et de diamants en Guyana Esequiba.

En 2010, Chávez est tombé d’accord avec Jagdeo pour relancer la mission de « bons offices » paralysée pendant deux ans du fait de la mort du diplomate nommé par l’ONU Oliver Jackman. Le Jamaïcain Norman Girvan a pris le relai. Le 26 novembre de cette même année, Georgetown accueille le IVe Sommet de l’Union des nations sud-américaines (Unasur), à laquelle participe Chávez, qui a tant œuvré pour la création de l’organisation. En remplacement de l’équatorien Rafael Correa, l’anglophone Bharrat Jagdeo va en devenir président pro tempore pour une durée d’un an. Sans être « latino », et grâce au rêve bolivarien, le Guyana occupe désormais toute sa place en Amérique du Sud.

Hugo Chávez et Bharrat Jagdeo, juillet 2010.

Qui, le premier, trahit l’esprit de cette sérénité retrouvée ?

En septembre 2011, sans en aviser Caracas, Georgetown présente à la Commission des limites du plateau continental de l’ONU (CLPC) une demande d’extension de son domaine maritime sur la zone en réclamation. N’importe quel juriste sait pourtant que la Convention de l’ONU sur les droits de la mer interdit toute démarcation entre pays qu’opposent des conflits territoriaux…

Exprimant sa « préoccupation » sans se croire obligée de hausser démesurément le ton, Chávez réagit en envoyant en terrain neutre, à Trinité-et-Tobago, son ministre des Affaires étrangères… Nicolás Maduro. Accompagné du « monsieur bons offices de l’ONU », celui-ci y rencontre son homologue guyanienne Carolyn Rodrigues-Birkett. Résumant l’entrevue, un communiqué exprime la « satisfaction quant aux excellentes relations qui se sont développées entre les deux Etats » et réitère « leur engagement à maintenir ce niveau [21] ».

Minute ! Tout le monde ne voit pas les choses de cette façon…

« La volonté intégrationniste et la construction d’un avenir harmonieux entre nos pays doivent être partagées, communique l’opposition vénézuélienne à travers la Table d’unité démocratique (MUD), mais il est inconcevable qu’elles soient unilatérales, provoquant l’abandon des droits du Venezuela au profit du Guyana ». Les critiques s’abattent sur Chávez et son ministre Maduro, venues d’une droite vénézuélienne que bientôt, chauffée par Washington et l’ « anti-chavisme primaire » des médias, la « communauté internationale » chouchoutera.

« Ils ne parviendront pas à alimenter la polémique, rétorque Chávez, évoquant les opposants (les mêmes qu’aujourd’hui). Ils brandissent des drapeaux de guerre contre le peuple frère du Guyana pour une question que nous sommes en train de traiter au niveau politique et diplomatique. Ils tentent de soulever une tempête dans un verre d’eau ! »

La découverte

Du verre d’eau, on repasse à l’Atlantique. Chávez mort, c’est en tant que chef de l’Etat que Maduro effectue une première visite à Georgetown, le 2 juillet 2013. De cette rencontre reste la forte déclaration qu’il fait en arrivant : « Il n’y aura jamais la guerre en Amérique du Sud ! »

Las, le 16 octobre 2013, la marine vénézuélienne intercepte le « Teknik Perdana ». Battant pavillon panaméen, loué par la compagnie texane Anadarko Petroleum, le navire mène un travail d’exploration dans le « Bloc Roraima », donné unilatéralement en concession par le Guyana à trois compagnies pétrolières, parmi lesquelles Esso, marque associée à la compagnie étatsunienne ExxonMobil. Non seulement le navire prospecte sur la zone contestée, mais il le fait également face au Delta Amacuro, pleinement vénézuélien. Après un bref passage par l’île de Margarita, le capitaine ukrainien du navire Igor Bekirov et ses hommes d’équipage sont relâchés.

Une demande d’explication et une nouvelle rencontre à Port Spain entre ministres des Affaires étrangères – Carolyn Rodrigues-Birkett et Elías Jaua – réitère que « le dialogue et la coopération sont le chemin pour la résolution pacifique des différends entre les Etats ».

Visite de Maduro au Guyana en juillet 2013.

Merci. Pas de quoi. Caracas a fait preuve de souplesse. Lors du VIIe Sommet des Amériques tenu au Panamá les 10 et 11 avril 2015, Georgetown renvoie l’ascenseur. Le 9 mars précédent, depuis la Maison-Blanche, le « good guy » Barack Obama a signé un décret qui, ouvrant le terrain juridique à une possible intervention, fait du Venezuela « une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique étrangère des Etats-Unis ». Comme la brésilienne Dilma Rousseff, l’Argentine Cristina Kirchner, le cubain Raúl Castro, le bolivien Evo Morales ou l’équatorien Rafael Correa, pour ne citer qu’eux, le président guyanien Donald Ramotar se solidarise avec Caracas et critique le « décret Obama ».

Néanmoins… Deux mois auparavant, le 26 janvier 2015, Washington avait invité tous les pays de la Caraïbe à un Sommet sur la sécurité de l’énergie. Animé à l’évidence des meilleures intentions, le vice-président Joe Biden y a averti ces petites nations insulaires aux équilibres fragiles que les livraisons de PetroCaribe pourraient bien, prochainement, subir une chute brutale. Mieux vaudrait, a-t-il suavement avancé, que dans le cadre de l’Initiative de sécurité énergétique des Caraïbes, en cours de création, cet accord soit remplacé par de nouvelles alliances avec un partenaire beaucoup plus fiable : les Etats-Unis.

Fin de l’éclaircie

Pour sortir d’une confrontation avec son Parlement, que domine l’opposition et qu’il a suspendu afin d’éviter une motion de censure à son encontre, le président Ramotar a convoqué des élections anticipées. Depuis 1992, le Parti civique progressiste du peuple (PPP/C), son parti, gouverne le Guyana. Le scrutin du 11 mai 2015 marque un changement historique : à la tête d’une coalition de cinq partis, que domine le Congrès national du peuple (PNC), David Granger est élu de justesse (50 % des voix) et devient le huitième président du pays.

Passé par les académies militaires de Grande-Bretagne, du Nigéria et du Brésil, perfectionné par l’Université nationale de défense de Washington, poli en Floride par la Joint Special Operations University du Commandement sud de l’armée des Etats-Unis, Granger, parfait produit « made in USA », a terminé sa carrière en 1992 comme commandant-en-chef de la Force de défense du Guyana. Depuis, il fait de la politique. Et se montre très hostile à l’égard du Venezuela.

Tout va très vite et semble avoir été soigneusement préparé. Le 20 mai, neuf jours après la victoire électorale de l’ex-général, ExxonMobil, qui en connaissait l’existence depuis le mois de mars précédent, révèle avoir découvert 1,4 milliards de barils de pétrole de grande qualité dans le « Bloc Stabroek », une zone de 60 000 km2, au large de la Guyana Esequiba. Dès le lendemain, Granger pose sur le pont du navire d’exploration « Deepwater Champion », à 120 milles (222 km) de la côte, en compagnie de dirigeants de la compagnie pétrolière et de membres de son gouvernement. Puis il part aux Etats-Unis.

Comme il était prévisible, Caracas s’insurge et exige d’Exxon qu’elle cesse ses opérations : « L’Esequibo est un territoire vénézuélien et, par conséquent, tant qu’il n’y a pas de décision sur notre territoire, les eaux ne peuvent pas être utilisées à quelques fins », déclare la ministre Delcy Rodríguez. Maduro demande à l’ONU d’activer le mécanisme des « bons offices. Une attitude si… terriblement agressive qu’elle amène Granger à retourner aux Etats-Unis en juillet pour alerter, lors d’un discours prononcé au William Perry Center of Hemispheric Defense Studies : « Le Guyana est actuellement confronté au défi d’un Etat plus grand et joue sa survie. »

En gendarme du monde censé représenter la raison, le Département de la Défense US feint s’inquiéter pour la région : « Une [autre] conséquence potentielle d’une guerre entre le Guyana et le Venezuela est la possibilité que l’un ou l’autre pays utilise des méthodes irrégulières ou asymétriques lors de l’escalade du conflit. Les méthodes irrégulières ou asymétriques décrivent des techniques telles que le terrorisme, la guérilla, la subversion et la cyber-guerre, qui évitent généralement les confrontations directes avec la puissance militaire des gouvernements [22]. »

Et pour quelques barils de plus…

ExxonMobil… En 1900, on l’appelait Standard Oil Trust – un regroupement de compagnies achetées en 1882 par John Rockefeller et ses associés. Méthodes peu orthodoxes ruinant les concurrents et organisant l’évasion fiscale ; acquisitions, fusions ; lois antitrust obligeant en 1911 le monopole à se partager en trente-trois sociétés séparées ; profusion de sigles et de marques – Standard Oil, Socony, Esso, Enco, Humble, etc…

L’actuelle ExxonMobil résulte de la fusion le 30 novembre 1999 des compagnies Exxon Corporation et Mobil Oil, respectivement numéros 2 et 4 mondiaux à l’époque, derrière BP-Amoco (BP).

Les dirigeants de la multinationale, désormais « numéro un » dans le domaine des hydrocarbures aux Etats-Unis, ont toujours entretenu des relations étroites avec la classe politique et les gouvernements. « Il s’agit, a écrit le journaliste et universitaire Steve Coll, d’un Etat corporatif qui, au sein de l’Etat américain, a ses propres règles de politique étrangère [23]. » Outre ses subventions aux « think tanks » néolibéraux, Exxon a entre autres financé les campagnes électorales des deux George Bush – Lee « Iron Ass » Raymond, directeur général de 1993 à 2005, étant pour sa part un grand ami du vice-président (de Bush II) Dick Cheney.

A Lee Raymond, succèdera Rex Tillerson, entré dans l’entreprise en 1975 en tant qu’ingénieur. En 2017, à la tête d’une fortune estimée à 151 millions de dollars, dont une bonne partie dans les paradis fiscaux (dixit les « Paradise Papers ») [24], Tillerson quittera la multinationale pour devenir le secrétaire d’Etat de Donald Trump. Sombre présage. Tillerson a un sérieux contentieux avec le Venezuela.

En 2006, alors que le gouvernement de Chávez entamait un cycle de nationalisations, la nouvelle loi sur les hydrocarbures a imposé à trente-deux compagnies pétrolières présentes dans le pays de nouveaux contrats faisant d’elle des entreprises mixtes ayant pour partenaire la compagnie publique nationale PDVSA, laquelle devenait majoritaire (60 %) dans les nouvelles associations. Qui plus est, elles ont été davantage imposées. Si la plupart des multinationales ont joué le jeu, deux ont refusé : ConocoPhillips et ExxonMobil.

Exerçant sa souveraineté, l’Etat vénézuélien a pris le contrôle des actifs des deux entreprises. Devant le Centre international pour le règlement des différends (CIRDI), une dépendance de la Banque mondiale, ExxonMobil a exigé 16,8 milliards de dollars de dommages et intérêts [25]. Et n’a obtenu, six ans plus tard, le 9 octobre 2014, que 1,6 milliard de dollars.

De quoi rendre Tillerson furibond. De mèche avec le Guyana depuis quelques années, il attend toutefois l’arrivée au pouvoir du faucon David Granger et, comble de bonheur, le « décret Obama », pour narguer la République bolivarienne en rendant public le résultat des recherches de la multinationale dans la zone contestée.

L’escalade

Suspendu par Caracas, l’accord « riz contre pétrole » subit le premier les conséquences de la provocation. Dur coup pour l’économie guyanienne : durant les quatre années précédentes, le Venezuela lui a acheté 40 % de sa production.

Schéma désormais classique : tandis que Maduro sollicite la médiation du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, le gouvernement guyanien fait savoir qu’il n’est « pas intéressé » par la poursuite du processus de « bons offices » de l’ONU. Pour lui, une résolution judiciaire devant la CIJ est « l’unique option ». Granger rejette tout autant une autre proposition de Caracas : une réunion avec les douze membres de l’Union des nations sud-américaines (Unasur) pour traiter du différend. Puis il félicite la transnationale canadienne Guyana Goldfields, qui vient d’entreprendre l’exploitation de mines d’or dans le « secteur 7 », contesté, de l’Esequibo.

La ministre des Affaires étrangères Delcy Rodríguez remet une lettre du président Maduro au secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, le 1er juillet 2015.

Alors que la Caricom et l’Association caribéenne de l’industrie et du commerce (CAIC) soutiennent, comme elles l’ont toujours fait, le Guyana, le Parlement (Parlasur) du Marché commun du sud (Mercosur) approuve les revendications territoriales avancées par le Venezuela et approuve « sa diplomatie pacifique pour résoudre le différend ». Dans le cadre de la XXIe Rencontre des partis de gauche latino-américains célébrée à Mexico, le Forum de São Paulo approuve lui aussi à l’unanimité une résolution de soutien au Venezuela et condamne ExxonMobil « pour générer des tensions politiques entre deux peuples frères ».

Un pas en arrière, un pas en avant – Georgetown invente une sorte de tango guyanien. Après une rencontre avec Maduro à New York, en septembre 2015, dans le cadre de l’Assemblée générale de l’ONU, Granger accepte la réactivation du mécanisme des « bons offices ». Pas de quoi satisfaire l’opposition vénézuélienne qui, comme elle le fera en 2023, attaque sous tous les angles, fussent-ils contradictoires, sur le thème du Guyana. La stratégie du pouvoir « semble être un renoncement à défendre nos droits sur l’Esequibo », tonne le secrétaire général du parti Primero Justicia, Tomás Guanipa (futur « ambassadeur » en Colombie du « gouvernement » du président autoproclamé Juan Guaido). « Seize ans d’une politique de sous-estimation d’un thème qui, pour nous, est vital », précise-t-il, avant d’ajouter : « Il semblerait que, comme arrivent les élections [législatives de décembre 2015], ils [le pouvoir] veulent faire une sorte de show – discours repris mot pour mot, par les mêmes, en 2023 ! – et on arrive au comble de ne pas s’en prendre au pays voisin, mais à l’entreprise [ExxonMobil] !  » » Sous prétexte de fustiger Maduro, s’agit pas de se fâcher avec les parrains de la multinationale aux Etats-Unis !

« Le Venezuela n’a pas été et ne sera pas un pays impérialiste, pro-impérialiste, pro-colonialiste, non, nous sommes anti-impérialistes, anticolonialistes, nous développons une doctrine bolivarienne et chaviste de fraternité et d’amitié profonde », a dû rétorquer une fois de plus Maduro. Message bien reçu par le Département d’Etat américain (DoE) : vingt-quatre heures après avoir présenté ses lettres de créance, le nouvel ambassadeur des Etats-Unis à Georgetown, Perry Holloway, déclare que le Venezuela et le Guyana doivent résoudre leur dispute en respectant… la sentence arbitrale édictée en 1899 à Paris.

Dans l’ombre, Rex Tillerson et ses réseaux s’activent déjà depuis longtemps. A ce stade, ce différend territorial rend juridiquement problématique la poursuite des investissements. Non seulement l’Accord de Genève n’offre pas de solution rapide, mais, de plus, il implique de négocier avec l’ennemi intime d’ExxonMobil. Les avocats de la multinationale préconisent d’abandonner définitivement cette voie et poussent à porter l’affaire devant la CIJ. L’influence des grandes puissances – Etats-Unis et Union européenne – voire du Commonwealth, permettent d’envisager une issue plus favorable pour une nation anglophone que pour un pays latino déjà accusé de tous les maux.

Le 16 décembre 2016, cinq semaines après l’élection de Donald Trump, Ban Ki-moon informe qu’il relance les « bons offices », mais qu’il leur impose unilatéralement un terme fixé au 31 décembre 2017.

De manière unilatérale, le Guyana a créé une limite maritime arbitraire qui, conjuguée avec la frontière maritime légale de Trinité-et-Tobago, implique la perte du débouché du Venezuela sur l’Atlantique.
Proyección Marítima de la Zona en Reclamación : projection maritime de la zone en réclamation.
Mar territorial de Venezuela : eaux territoriales du Venezuela.
Línea arbitraria trazada por Guyana : limite arbitraire tracée par le Guyana.

Une pierre de plus sur le chemin de la déstabilisation

Janvier 2017 : Trump s’installe à la Maison-Blanche. Le 1er février, Tillerson arrive à la tête du Département d’Etat. ExxonMobil annonce immédiatement qu’elle va investir 5 milliards de dollars dans la zone que le Guyana lui a concédée. La multinationale joue sur du velours : déjà entamée, la grande offensive pour mettre la République bolivarienne à genoux va bientôt atteindre des sommets.

Du 31 mars au 12 août, une vague de violence insurrectionnelle se solde par un bilan de « 142 morts et plus de 1 000 blessés ». Transformés en martyrs par l’internationale médiatique, la moitié des défunts, souvent chavistes ou sans camp défini, ne participaient pas aux protestations. Quant aux « manifestants pacifiques », ils réussissent la performance de tuer par balles sept membres des forces de l’ordre et d’en blesser vingt-et-un par arme à feu.

Résultat garanti : à l’instigation de Washington, et avec le relais du secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (OEA) Luis Almagro, les pays conservateurs du continent créent le 8 août 2017 le Groupe de Lima [26], destiné à « isoler diplomatiquement le gouvernement de Maduro » et, pour la galerie, à « récupérer la démocratie au Venezuela ». Le Guyana s’empresse de rejoindre la « camarilla » et de se mettre sous sa protection.

Réélu le 20 mai 2018, Maduro n’est pas reconnu par la « communauté internationale » – les Etats-Unis, l’Union européenne, le Groupe de Lima (soit une cinquantaine de pays sur les 193 présents à l’ONU). Le 4 août suivant, une tentative d’assassinat du chef de l’Etat vénézuélien échoue de peu. Sur ordre direct de Washington, le député d’opposition Juan Guaido s’« autoproclamera » président de la République le 23 janvier 2019. L’administration Trump met progressivement en œuvre les 930 mesures coercitives unilatérales illégales – dites « sanctions » – qui, en l’excluant des financements internationaux, en l’empêchant d’acheter des médicaments, de la nourriture et des équipements, de produire ou de vendre son pétrole et son or, vont étrangler économiquement le pays et imposer de très dures conditions de vie à la population.

Sautant dans le train de cette offensive générale, ExxonMobil joue sa partition. Et sait mettre la main à la poche quand il le faut. Comme le révélera l’ex-ministre des ressources naturelles du Guyana, Raphael Trotman, la multinationale a fait cadeau de 18 millions de dollars au gouvernement Granger pour financer une armée de lobbyistes et d’avocats chargés d’exercer une forte pression sur l’ONU [27]. Coïncidence ? En janvier 2018, Ban Ki-moon prend la décision unilatérale de recourir à la voie juridictionnelle et renvoie l’affaire devant la CIJ, sans l’aval du Venezuela. L’article 4#2 de l’Accord de Genève établit pourtant que les parties devront établir d’un commun accord les mécanismes de la solution Dès lors, le Guyana dépose son mémoire pour que « la validité juridique et l’effet contraignant de la sentence arbitrale de 1899 soient confirmés », arguant avec un cynisme éhonté que la dite sentence « est valide et a un caractère obligatoire pour les deux parties ». Bonne fille, la Cour internationale a ouvert le dossier. Un détail : l’article 38#5 de son règlement lui interdit d’entamer une procédure sans le consentement préalable de toutes les parties !

Fort de cette évolution positive pour lui, le duo Exxon-Granger se croit tout permis. Le 22 décembre 2018, la marine de guerre bolivarienne devra intercepter deux navires d’investigation sismique « dans la zone économique de la République coopérative de Guyana » – en réalité dans l’aire correspondant à la projection maritime du Delta Amacuro, sous totale souveraineté du Venezuela.

« Par respect envers la Cour », le président Maduro a annoncé que le Venezuela « fournirait des informations » afin d’aider celle-ci « à s’acquitter de ses obligations en vertu de l’article 53.2 de son statut ». De sorte que, le 18 juin 2018, lors de la première réunion tenue par le président de la CIJ pour recueillir les vues des parties sur des questions de procédure, la vice-présidente Delcy Rodríguez a fait le déplacement à La Haye. Ce qui lui a permis de confirmer que, pour son gouvernement, la Cour n’avait « manifestement pas compétence pour connaître de l’affaire » et que le Venezuela avait décidé « de ne pas prendre part à l’instance ».

On notera au passage que cette attitude – ne pas reconnaître de façon automatique la juridiction de la CIJ – est partagée par 118 pays, soit plus de 60 % de la communauté internationale (la vraie). S’agissant du Venezuela, il s’agit d’une position ancrée dans l’Histoire, fortement influencée par la spoliation de 1899 : ne pas faire dépendre de tiers, Cours ou arbitres les affaires relatives à l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale, considérés comme des intérêts vitaux [28].

Si l’on effectue ici un saut dans le temps, passant de 2018 à 2024, et si l’on se place dans l’optique de la République bolivarienne, on observera que la CIJ, composée de quinze juges choisis pour un mandat de neuf ans, n’a rien d’un organisme réellement neutre, froid ou indifférent. Joan Donoghue, sa Présidente depuis 2021, a occupé de 2000 à 2010 des fonctions de haut niveau – conseillère juridique d’Hillary Clinton puis de Barack Obama – au Département d’Etat américain.

Cadre de 2009 à 2013 dans ce même DoE, Sarah Cleveland a plus tard été la « modératrice »d’un débat « Droits humains et démocratie au Venezuela » auquel participait Nikki Haley (pré-candidate du Parti républicain pour la présidentielle de 2024, grande partisane des sanctions), événement au terme duquel Cleveland déclara : «  Le Venezuela pose un défi fondamental à nos institutions régionales et internationales des droits humains. »

Lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères de son pays, le magistrat roumain Bogdan Lucian Aurescu a lui reconnu en Julio Borges, comparse du président fantoche Juan Guaido, son homologue vénézuélien, ce qui, en 2022, lors d’une conférence de presse commune, lui a valu les compliments d’Antony Blinken : « Les Etats-Unis ne pourraient désirer un allié plus inconditionnel ou plus engagé que la Roumanie. »

Hilary Charlesworth ? Conseillère du gouvernement guyanien, elle a exercé les fonctions de juge ad hoc nommée par Georgetown pour siéger en son nom, le 29 mars 2018, lors de l’examen de la compétence de la CIJ sur le différend avec le Venezuela. Quant à l’ex-conseiller légal du ministère des Relations extérieures sud-africain, Dire Tladi, il a déjà tranché en 2020, sans tenir compte du contexte de l’agression multiforme menée contre Caracas :« Les attaques contre les institutions et organisations internationales impliquent le retrait du Venezuela du mécanisme interaméricain des droits de l’Homme. »
On hésiterait pour moins que cela à se lancer dans la gueule du loup.

Par rapport aux délais standard de l’industrie pétrolière, ExxonMobil avance avec une rapidité déconcertante. En 2019, cinq ans à peine après la découverte de potentiels 11 milliards de barils, la multinationale inaugure les activités du premier navire flottant de production, stockage et déchargement (FPSO).
Parallèlement, le 18 décembre 2020, par douze voix pour et quatre contre, la CIJ déclare admissible la demande du Guyana. Une décision d’autant moins acceptable pour Caracas que le Royaume-Uni, partie indispensable pour régler la controverse, car ayant signé l’Accord de Genève, n’interviendra pas.
Le chef d’orchestre s’est lui manifesté un peu plus tôt quand, en septembre, lors d’une visite à Georgetown, le secrétaire d’Etat Mike Pompeo en personne a paraphé l’Accord de Shiprider. Sous prétexte de lutte contre le narcotrafic, celui-ci permet la réalisation de patrouilles maritimes et aériennes conjointes dans les eaux légalement ou non guyaniennes. Cet accord, a précisé Pompeo, oubliant « le narcotrafic », « nous permet d’aider le Guyana à résoudre le problème de sa souveraineté et, en outre, permet aux Etats-Unis de disposer de forces navales susceptibles d’agir pour protéger la zone économique exclusive guyanienne ».
L’escalade est maintenant évidente. En janvier 2021, le chef du Commandement sud de l’Armée des Etats-Unis (SouthCom), le général Craig Faller, l’un des principaux relais des menaces bellicistes de Trump, arrive au Guyana pour assister à des manœuvres militaires conjointes des deux pays.

La concomitance des actions hostiles amène Caracas à réagir en créant un Territoire de développement du front atlantique et une Commission de défense de l’Esequibo à l’Assemblée nationale – laquelle approuve la mesure à l’unanimité.

Le conflit, dès lors, prend sa forme actuelle. L’ « opération Guaido » ayant périclité sur le plan intérieur avant d’échouer lamentablement fin 2022 [29], le différend avec le Guyana devient un élément clé dans la poursuite de la mise au ban de la République bolivarienne, présentée cette fois comme belliciste et peu respectueuse du droit international.
Nouveaux acteurs, même stratégie. A la Maison-Blanche, Joe Biden. Au Guyana, Mohamed Irfaan Ali. Au SouthCom, une nouvelle cheffe, la générale Laura Richardson. Qui défend publiquement, sans vergogne, l’hégémonie des USA sur la région et menace ouvertement le Venezuela. Qui organise en juillet 2023, au Guyana, les exercices « Tradewinds 2023 » – 1500 militaires de vingt pays pour promouvoir l’interopérabilité régionale et renforcer la sécurité et la stabilité dans la Caraïbe [30].
Pour cette seule année 2023, vingt-et-une rencontres ont lieu entre chefs militaires des Etats-Unis et du Guyana. Un défilé de notables, de personnalités officieuses, officielles et de diplomates américains déferle sur Georgetown – dont le secrétaire d’Etat Antony Blinken, le 6 juillet. Quelques jours avant de présenter ses lettres de créance, le 25 octobre, au président Irfaan Ali, la nouvelle ambassadrice étatsunienne Nicole Therlot passe par le bureau de la générale Richardson, au siège du SouthCom, à Miami, pour y discuter de « l’association de sécurité » entre les deux pays.

La générale Laura Richardson et l’ambassadrice Nicole Theriot.

Avec de tels parrains, pourquoi se gêner ? Fin octobre, après appels d’offres, le gouvernement guyanien autorise huit compagnies pétrolières à effectuer des forages au large de l’Esequibo. Parmi elles, ExxonMobil et Hess (étatsuniennes), la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC), toutes trois déjà présentes et associées, mais aussi TotalEnergies (en partenariat avec Qatar Energy et la société malaisienne Petronas), International Group Investment (basée au Nigeria), Liberty Petroleum Corporation (Etats-Unis) et SISPRO (guyanienne).
Cette fois, c’en est trop. La tension monte de plusieurs crans. « Vous transformez le Guyana en une succursale d’ExxonMobil », réagit Maduro sur son compte X. Sur la base de l’article 71 de la Constitution – « Les questions d’importance nationale particulière peuvent être soumises à un référendum consultatif » –, l’Assemblée nationale annonce une consultation des citoyens vénézuéliens.

Le référendum

Le 3 décembre 2023, « el pueblo » devra répondre à cinq questions : « Rejetez-vous l’arbitrage de Paris de 1899 » ? « Approuvez-vous l’accord de Genève de 1966 comme seul mécanisme contraignant pour résoudre le problème » ? « Acceptez-vous de ne pas reconnaître la compétence de la Cour internationale de justice » ? « Vous opposez-vous à l’appropriation unilatérale des eaux territoriales de l’Esequibo par le Guyana » ? « Acceptez-vous la création d’un nouvel Etat, appelé Guayana Esequiba, sur le territoire contesté, l’octroi de la citoyenneté vénézuélienne à ses habitants et la mise en œuvre de programmes sociaux accélérés » ?
« Dans le pays, entend-on fréquemment, quel que soit l’interlocuteur, il y a deux thèmes qui nous unissent : la Vinotinto [l’équipe nationale de football] et le Guyana. » Dans les collèges, tous les élèves vénézuéliens ont eu sous les yeux les cartes géographiques avec une portion hachurée – la zone en réclamation. Et de fait, partout surgit le slogan : « L’Esequibo est à nous ». Aucun des dirigeants d’une opposition tiraillée entre ses convictions patriotes et son hostilité au pouvoir n’ose appeler à voter « non ». A l’exception de Volonté populaire (VP) des extrémistes Leopoldo López (luxueusement exilé en Espagne) et Juan Guaido (confortablement installé à Miami), les principaux partis de droite – Acción Democrática, Un Nuevo Tiempo, Primero Justicia, El Lápiz, Fuerza Vecinal, Primero Venezuela – appellent à participer.
Vainqueure des primaires auto-organisées de la droite le 22 octobre malgré une inéligibilité connue de tous, l’ultra María Corina Machado s’aligne, elle, sur le Guyana : après l’avoir qualifiée de « distraction », elle appelle à suspendre la consultation. En effet, dénonçant une « menace existentielle » pesant sur son pays, le gouvernement guyanien s’est lancé dans une opération des plus baroques en demandant lui aussi, mais à la CIJ… d’interdire le référendum organisé dans le pays voisin.

L’ensemble de l’opposition radicale vénézuélienne sonne en tout cas le tocsin pour « chauffer un peu » l’opinion internationale : cette agitation va être utilisée par le pouvoir chaviste pour suspendre l’élection présidentielle qui doit avoir lieu en 2024 !

Les instituts de sondage prévoyaient une participation allant de 8,2 millions (Datanálisis) à 12,3 millions de votants (International Consulting Services). Le 3 décembre, d’après le Conseil national électoral (CNE), il en vient 10,4 millions (51 % de l’électorat), soit rien d’extravagant. Sans surprise, 95 % des citoyens répondent « oui » aux cinq questions posées. Aucune surprise non plus du côté de l’opposition : elle polémique immédiatement sur les chiffres et, accusant le pouvoir de masquer une forte abstention, tente de délégitimer un référendum auquel elle a majoritairement participé et dont l’issue la satisfait !

Tout en réitérant son souhait d’«  un accord diplomatique juste, satisfaisant pour les parties et amical », le président Maduro s’appuie sur ce résultat pour mettre à son tour la pression sur Georgetown. « Nous devons respecter la décision de celles et ceux qui se sont exprimés dans les urnes », déclare-t-il. Trois jours après le référendum, il propose à l’Assemblée nationale d’approuver une loi spéciale créant la province (l’Etat) de Guyana Esequiba, demande qu’un recensement y soit conduit et que soit lancé un plan d’assistance sociale pour la population. Les autorités publient également une nouvelle carte officielle de la République bolivarienne du Venezuela, qui inclue la région Guyana-Esequiba, et désignent une autorité unique pour gérer celle-ci en la personne du général Alexis Rodríguez Cabello.

Cette fois, Georgetown ne rit plus. Là où, sur un sommet de la zone contestée, dans la Sierra de Paracaima, Irfaan Alí avait par pur défi, quelques jours auparavant, hissé le drapeau guyanien,un groupe d’Indigènes – lointains héritiers de la révolte de Rupununi – descend l’emblème de son mat et le remplace par l’étendard vénézuélien.

Le 6 décembre 2023, l’Assemblée nationale vénézuélienne commence ses discussions sur la « Loi organique pour la défense de la Guyana Esequiba » qui, en quatre chapitres et vingt-deux articles, prévoit la création du vingt-quatrième Etat de la Nation. Trois jours plus tard, les huit premiers articles seront approuvés (mais, depuis, l’élaboration de la loi a été interrompue sans qu’on sache si ou quand elle sera reprise).

Alors qu’ Irfaan Ali traite Maduro de « criminel » et compare l’attitude de son voisin à celle de la Russie envahissant l’Ukraine, le procureur général Anil Nandlall fait savoir que, en cas d’aggravation de la situation, le Guyana invoquera les articles 41 et 42 de la Charte des Nations unies, qui habilitent le Conseil de sécurité à prendre des mesures militaires et à appliquer des sanctions. «  Il peut autoriser l’utilisation des forces armées par les Etats membres pour contribuer à l’exécution des ordonnances de la Cour », a-t-il précisé. Maduro de son côté prévient qu’il va proposer une loi spéciale interdisant « aux sociétés qui opèrent ou collaborent aux concessions unilatérales données par le Guyana dans la mer à délimiter » d’opérer à l’avenir au Venezuela. Celles déjà présentes dans la zone contestée ont trois mois pour obtempérer – Maduro se disant toutefois « ouvert à la discussion  ». Et pour cause : Caracas risque de se heurter en la matière à quelques difficultés.

Guerre en Ukraine. Les sanctions imposées à Moscou ont d’importantes répercussions sur les marchés de l’énergie. Les Etats-Unis puisent massivement dans leurs réserves stratégiques, tombées à leur plus bas niveau en quarante ans. Il faut trouver de nouveaux fournisseurs pour remplacer une partie du pétrole « de Poutine ». Le gouvernement de Joe Biden se souvient qu’il existe un pays producteur nommé Venezuela. L’autre paria, Maduro, redevient magiquement un interlocuteur possible. Fin 2022, la multinationale Chevron est autorisée par Washington à réactiver en partie sa co-entreprise passée avec PDVSA. Depuis, la République bolivarienne exporte une petite partie de sa production aux Etats-Unis.

Signé par le pouvoir et la Plateforme d’unité démocratique (opposition), sur l’île de la Barbade, le 17 octobre 2023, un accord permettant l’organisation de l’élection présidentielle de 2024 donne à Washington le prétexte pour alléger un peu plus, partiellement et pour six mois, les « sanctions » sur le gaz et le pétrole vénézuéliens. Il s’agit d’une décision purement pragmatique, pas d’un dégel dans les relations : « Nous ne sommes pas prêts à un changement des relations diplomatiques avec le Venezuela », précise le Département d’Etat.

Par définition, l’avertissement du gouvernement vénézuélien ne concerne pas directement ExxonMobil, sortie du pays dans les conditions que l’on connaît. Toutefois, si la multinationale a depuis 2015 découvert quarante-six gisements au large des côtes du Guyana, dont quatre en 2023, c’est en collaboration avec ses partenaires minoritaires, le groupe pétrolier new-yorkais Hess (35 % de participation) et la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC ; 20 %).
Premier problème : Chevron, qui grâce à l’autorisation de Washington opère au Venezuela en tant que premier partenaire de PDVSA, a annoncé le 23 octobre 2023 l’acquisition pour 53 milliards de dollars de… Hess. Il s’agit pour Chevron de se renforcer face à son rival ExxonMobil et, entre autres projets, d’extraire du pétrole… au Guyana.
Second embarras : également présente en République bolivarienne en tant que second associé de PDVSA, la China National Petroleum Corporation (CNPC) a le même propriétaire que la CNOOC, qui opère avec Exxon côté guyanien – CNPC et CNOOC appartenant à l’Etat chinois.

Parmi tous ces protagonistes – gouvernement vénézuélien, Hess, CNPC, CNOOC – qui négociera, qui transigera, qui choisira telle ou telle alliance ? Diplomatiquement proche de Caracas et directement intéressé, Pékin a réagi en demandant aux deux pays de résoudre leur différend « de manière correcte » car,a précisé le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Wang Wenbin, cela répond « aux intérêts des peuples des deux pays et favorise également la stabilité, la coopération et le développement en Amérique latine et dans la région des Caraïbes ». Pour sa part, sans s’étendre sur les considérations qui compliquent la présence de sa multinationale dans les deux pays, le président exécutif de Chevron, Mike Wirth, s’est déclaré confiant « dans une solution pacifique et négociée ».

Pour qui Exxon le glas

Le gouvernement de Georgetown peut sans doute s’amuser de la situation complexe que doit affronter son adversaire – pour ne pas dire son ennemi. Dans l’un des pays les plus pauvres d’Amérique du sud, gangrené par le favoritisme politique, les Guyanien ont peut-être moins de raisons de jubiler. Certes, le début d’exploitation de ce pétrole pur et relativement facile à extraire, aux coûts de production bas (entre 25 et 35 dollars le baril), a permis un taux de croissance record (62 % en 2022, 38 % en 2023). De là à considérer que cette nouvelle manne va « ruisseler »…
C’est la Banque centrale du Guyana qui est chargée de la gestion opérationnelle du fonds souverain, Natural Resource Fund (NRF), créée en 2019 et alimenté par les revenus pétroliers. L’actuelle législation ne permet pas à l’opposition de nommer des représentants à son conseil d’administration. « Une préoccupation, dans un pays où la corruption est endémique », ne manquent pas de se plaindre les opposants.

« Comment Exxon s’est emparé d’un pays sans tirer un coup de feu », a pu titrer en juin 2023, pour le site étatsunien The Intercept, la journaliste Amy Westervelt, faisant allusion au Guyana [31]… L’accord de partage des revenus pétroliers prévoit que 75 % des recettes sont initialement affectées au recouvrement des coûts initiaux liés aux travaux d’exploration et d’exploitation menés par ExxonMobil et ses partenaires. Considérés comme du profit, les 25 % restant vont pour 50 % à l’Etat guyanien et 50 % aux groupes pétroliers (la part de l’Etat n’est censée augmenter qu’une fois atteint le recouvrement du coût des investissements initiaux). L’accord fixe également une redevance de 2 % sur les ventes de pétrole. Tous calculs faits, Exxon laisse à peine 14,5 % du total des revenus pétroliers au Guyana. Pratiquement, cela signifie que, entre 2018 et juin 2023, ExxonMobil et ses associés ont récupéré la somme colossale de 19 milliards de dollars, le Guyana se contentant de 3,057 milliards [32]. On est là très loin des standards vénézuéliens !
Dans le contrat passé avec l’Etat guyanien, l’article 32 (« Stabilité de l’accord ») stipule que le gouvernement « ne peut amender, modifier, annuler, résilier, déclarer invalide ou inapplicable, exiger une renégociation, imposer un remplacement ou une substitution, ou chercher à éviter, altérer ou limiter le présent accord » sans le consentement d’ExxonMobil. En imaginant un gouvernement futur désireux de changer les règles du jeu, cela s’appelle « être pieds et poings liés ».

Quelque peu indolent, le pouvoir guyanien a également omis de mettre en place un système lui permettant de vérifier le nombre de barils quotidiens déclaré par le géant pétrolier. Deux rapports d’audit ont bien été remis au gouvernement, mais ils n’ont pas été rendus publics, provoquant l’ire de l’opposition.
Le 3 mai 2023, saisie par des défenseurs de l’environnement, la Haute Cour guyanienne a exigé que le consortium dirigé par Exxon fournisse « une assurance illimitée et non plafonnée pour tous les coûts associés » au « nettoyage et à la restauration de tous les dommages causés » par « le déversement de tout polluant résultant de ses activités » sur les côtes du pays. Sage demande. L’un des plus hauts faits d’arme de l’entreprise remonte à 1989, quand l’un de ses superpétroliers, l’Exxon Valdez, a déversé plus de 40 000 tonnes de pétrole brut sur les côtes de l’Alaska. Sur plus de 7000 km2 et 800 kilomètres de côtes, sans compter l’ensemble des îlots touchés, la catastrophe écologique a provoqué la mort de plus de 200 000 oiseaux marins, de centaines de loutres, de phoques, d’aigles, d’orques et d’innombrables poissons. Dépendantes de la pêche, les communautés riveraines ont été économiquement fort affectées.

Initialement condamnée à payer cinq milliards de dollars pour aider les victimes de la tragédie, Exxon a, pendant quinze ans et devant divers tribunaux, contesté le montant de la peine. D’appel en appel, y compris devant la Cour suprême des Etats-Unis, la somme a été ramenée à 4,5 milliards en janvier 2004, puis à 2,5 milliards en 2006 avant d’être divisée par 10 pour atteindre 507 millions de dollars en 2007. Un dixième du coût des dommages causés par sa marée noire !

Le 3 mai dernier, la Haute Cour guyanienne a donné jusqu’au 10 juin au géant pétrolier pour produire les garanties demandées, sous peine de devoir stopper sa production. En faisant appel, le président d’ExxonMobil Guyana, Alistair Routledge, rétorqua immédiatement qu’une telle suspension aurait «  des conséquences financières importantes pour tous les investisseurs, mais aussi pour le pays en termes de pertes de revenus ». Message bien reçu. Le juge de la Cour d’appel a suspendu la décision et ordonné à Exxon de déposer une simple provision de 2 milliards de dollars auprès de l’Agence de protection de l’environnement (EPA) – ce qui fut fait.
En cas de fuites ou de marée noire, plus de dix pays de la Caraïbe peuvent être affectés.

Les négociations

Voisin du Venezuela et du Guyana, le brésilien Luiz Inácio Lula da Silva plaide le bon sens. Son conseiller et ex-ministre des Affaires étrangères Celso Amorín se déplace beaucoup. Grâce à leurs efforts, Caracas et Georgetown renouent le contact et s’engagent à « garder les canaux de communication ouverts ». Ce qui n’empêche pas les Etats-Unis d’annoncer des exercices militaires « de routine » au Guyana. La solution venant forcément d’ailleurs que de Washington, la Communauté des Etats latino-américains et caraïbes (CELAC) et la Caricom se mobilisent et manifestent leur intention d’organiser une réunion entre les deux chefs d’Etat pour tenter de faire baisser la tension.
La rencontre a lieu le 14 décembre 2023 à Argyles, où est situé l’aéroport international de Kingstown, la capitale de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, que gouverne le progressiste Ralph Gonsalves (président pro tempore de la CELAC). Trois jours auparavant, Irfaan Ali n’a pu s’empêcher de provoquer, au micro de la BBC  : « Bien sûr, nos frontières ont été établies en 1899. [Il y a eu] une fixation totale et complète de nos frontières. Tous nos partenaires dans cette région, y compris le Brésil, la Caricom, la CELAC, les Etats-Unis, l’hémisphère occidental et la communauté internationale, respectent la sentence arbitrale de 1899 comme un accord plein et entier. »
« Je viens avec un mandat du peuple vénézuélien, une parole de dialogue, une parole de paix, mais aussi pour défendre les droits du peuple, de notre patrie »,
se contente de déclarer Maduro en arrivant.

Sont présents Celso Amorín, deux représentants du secrétaire général de l’ONU António Guterres, les premiers ministres Roosevelt Skerrit (République dominicaine), président en exercice de la Caricom, Philip Davis (Bahamas), Mía Amor Mottley (Barbade), Dickon Mitchell (Grenade), Philip Pierre (Sainte-Lucie), Terrence Drew (Saint-Kitts-et-Nevis), Keith Rowley (Trinité-et-Tobago), ainsi qu’Alvaro Leyva, ministre des Affaires étrangères de Colombie.
Pendant son intervention, Maduro interroge : « Que se passerait-il si c’était le Venezuela qui organisait des exercices militaires [dans la zone contestée] avec le Commandement sud des Etats-Unis ? Tout le monde nous tomberait dessus ! »
Maduro s’amuse en sortant la liste des 119 pays qui ne reconnaissent pas la juridiction obligatoire de la CIJ. Parmi eux, les Etats-Unis, bien sûr, mais aussi, gouvernés par les dirigeants assis autour de la table, les Bahamas, Trinité-et-Tobago, la Grenade, Saint-Kitts-et-Nevis, Saint-Vincent-et-Grenadines, Sainte-Lucie et même… le Guyana !
Au terme de la réunion, un texte lu par Ralph Gonsalvez – la « Déclaration conjointe d’Argyle » – permet de comprendre que les deux Etats «  s’accordent pour la création d’une commission conjointe composée des ministres des Affaires étrangères et des personnels techniques des deux Etats pour traiter des sujets mutuellement établis. » Ralph Gonsalves (au nom de la CELAC), Roosevelt Skerrit (pour la Caricom) et Lula suivront les développements de l’affaire en tant qu’ « interlocuteurs », Antonio Guterres (ONU), le fera en tant qu’ « observateur. Détail important : le point 2 de l’accord stipule que les deux pays ont convenu que tout différend entre les deux Etats serait résolu conformément au droit international, « y compris l’Accord de Genève du 17 février 1966 ».

Rencontre Mohamed Irfaan Ali – Nicolás Maduro, 14 décembre 2023.

« Les deux Etats coopéreront sur le terrain pour éviter des incidents qui pourraient engendrer des tensions entre eux », a également précisé le point 6 des Accords d’Argyle. Dix jours plus tard, pas un de plus, le ministère de la Défense britannique annonce le déploiement dans les eaux controversées d’un navire militaire, le HMS Trent, « en raison des menaces d’annexion de l’Esequibo par le Venezuela ». Une ingérence d’autant plus insupportable que, par ailleurs, depuis 2019, la Grande-Bretagne a confisqué 31 tonnes des réserves d’or (1,3 milliards de dollars) déposées par la République bolivarienne dans les coffres-forts de la Banque d’Angleterre.
Caracas réplique en mobilisant spectaculairement 5 600 soldatsn sa marine et son aviation, pour des « manœuvres de caractère défensif » sur la frontière de l’Esequibo et sur sa côte atlantique. Les ducs et les duchesses de l’opinion mondiale s’enflamment contre « le boute-feu Maduro ». Le Brésil, lui, manifeste sa préoccupation en précisant que, d’où qu’elles proviennent, « les démonstrations militaires » sont contraires aux engagements pris à Argyles.

Provocation de la frégate britannique HMS Trent.
(ML) Caracas, janvier 2024.

Une fois la frégate militaire britannique disparue à l’horizon, le 31 décembre, au terme de ses absurdes ronds dans l’eau, les opérations de la Force armée nationale bolivarienne (FANB) ont été immédiatement interrompues. Il va de soi qu’aucun observateur digne de ce nom ne croit à une possible agression du Guyana par le Venezuela. Quand bien même il le souhaiterait, l’état de son économie, très affaiblie par les mesures coercitives unilatérales des Etats-Unis, ne l’y inciterait pas. Très en pointe par ailleurs quand, le 29 janvier 2014, avec La Havane comme hôte et la présence de plusieurs chefs d’Etat des trente-trois pays de la région, la CELAC a proclamé le continent « zone de paix » – renonçant ainsi à recourir à la force pour résoudre les conflits entre voisins –, Caracas n’a jamais remis en cause cette philosophie et la grande cause de l’intégration. Quant à sa supposée voracité, s’agissant des richesses de ses voisins…

Le 25 décembre 2023, Caracas et Puerto España (Port Spain en anglais) ont signé un accord pour l’exploitation commune du champ de gaz « Dragon » – 120 millions de mètres cubes – situé dans les eaux territoriales vénézuéliennes, au nord-est du Venezuela, près de la frontière maritime avec Trinité-et-Tobago, mais près de gisements trinidadiens exploités par Shell. Plus gros producteur de gaz des Caraïbes, Trinité-et-Tobago avait signé un protocole d’accord avec le Venezuela en 2016, pour des études techniques et commerciales en vue d’une exploitation aux revenus partagés, mais, les « sanctions » étatsuniennes ont paralysé le projet.
Il a fallu le récent assouplissement de l’embargo pétrolier pour que les deux Etats, pourtant souverains, puissent enfin avancer dans leur coopération. En décembre, Caracas a octroyé une licence de trente années à Shell et à la Compagnie nationale du gaz (NGC) de Trinité pour le développement et l’exportation du gaz (sous forme de gaz naturel liquéfié ; GNL) situé entre les deux pays. « Nous avons parcouru un long chemin pour arriver à ce grand jour, a déclaré le ministre trinidadien de l’Energie Stuart Young (…) c’est une étape historique. » Ce à quoi la vice-présidente vénézuélienne Delcy Rodríguez a rétorqué que « beaucoup plus de projets » sont à venir, exemples « de relations de coopération, d’amitié et de fraternité » entre les deux pays.

C’est dans ce même état d’esprit « de dialogue et de paix » que le ministre des Affaires étrangères vénézuélien Yván Gil a rencontré son homologue guyanien Hugh Todd, le 25 janvier 2024, à Brasilia. En présence du chef de la diplomatie brésilienne Mauro Vieira, la réunion a permis aux deux parties d’exprimer une fois de plus « leurs divergences ». – CIJ ou pas CIJ. Si le ministre guyanien a affirmé que son pays reste engagé à résoudre la controverse « d’une manière très pacifique », le vénézuélien a incité à « rejeter absolument la possibilité que des tierces parties interfèrent ou puissent tirer profit » de ce conflit.
Nul ne parie encore qu’il a été entendu.

Depuis la fin 2023, un défilé de fonctionnaires civils et militaires étatsuniens (et britanniques) s’abat sur Georgetown – parmi lesquels le conseiller adjoint à la Sécurité nationale US, Jon Finer, le directeur des affaires de l’hémisphère occidental au Conseil de sécurité nationale, Juan González, le commandant de la Force aérienne du Southern Command, le général de division Evan L. Pettus (trois jours en février). Le 4 février 2024, le gouvernement américain a annoncé une augmentation de son « aide militaire urgente » au Guyana.
Deux jours plus tard, le président d’ExxonMobil Guyana, Alistair routledge, proclamait que sa multinationale avait « parfaitement le droit » d’exploiter le Bloc Starbroek et annonçait la prochaine perforation de puits exploratoire à l’ouest des zones Liza et Payara, puis Trumpet Fish et Redmoth – à nouveau dans les eaux contestées. Caracas ayant élevé la voix, Routledge mit un peu plus d’huile sur le feu : « Les mesures prises par le Guyana pour renforcer ses relations bilatérales avec des pays comme les Etats-Unis dans le domaine de la défense et de la sécurité sont de bon augure ».

Le secrétaire adjoint à la défense des États-Unis pour l’hémisphère occidental, Daniel Erikson, au Guyana le 11 janvier 2024, dans le cadre du « renforcement des capacités des forces armées du Guyana ». https://newsroom.gy/2024/01/11/u-s-to-help-develop-guyana-defence-force-capabilities/
A Georgetown, le 11 janvier 2024, Mike Pompeo, l’ex-directeur de la CIA et secrétaire d’Etat de Donald Trump, informe le président du Guyana des nouveaux plans du Pentagone et d’ExxonMobil contre le Venezuela.

D’après le président Maduro, « plus que le Guyana, ce sont ExxonMobil et le Southern Command qui prétendent s’emparer de la mer qui appartient au Venezuela ». Voyant d’un œil inquiet une militarisation supplémentaire de la Caraïbe et du nord du sous-continent par les Etats-Unis, certains des voisins de Venezuela ne pensent pas très différemment. Le président Irfaan Ali n’envisage-t-il pas, sans s’en cacher, l’installation de bases militaires US dans son pays ? Sommé de prendre position sur le conflit par Irfaan Ali et par sa propre opposition de droite, le président colombien Gustavo Petro, après un appel à la désescalade, a souligné : « Depuis des années, on tente d’établir un conflit dans notre coin continental, les Colombiens apatrides et Trump en ont discuté. Reproduire le conflit OTAN/Russie sur nos propres terres, dans la jungle amazonienne, ne ferait que nous faire perdre un temps vital dans notre progrès et dans nos vies [33]. »

Au vu de l’ensemble du dossier, on est là loin des affirmations rabâchées à n’en plus finir sur l’Esequibo qui « a avivé la convoitise du Venezuela depuis que du pétrole y a été découvert » (La Tribune, 6 décembre 2023). Loin des explications simplistes des « attrape-bobos » de « gauche » Libération ou Politis« En première raison, cette agitation [du référendum], dans le style propre aux dirigeants autoritaires, a une visée intérieure. Maduro, à la tête du pays depuis mars 2013 (…) se maintient depuis des années au pouvoir par des artifices antidémocratiques grossiers, et il aspire à un troisième mandat lors de la prochaine présidentielle, qui doit se tenir au premier semestre 2024. » (Politis, 7 décembre 2023). Loin des valeureux libelles du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) : « Quelles que soient les combinaisons de l’impérialisme et le degré d’avilissement des gouvernements bourgeois qui leur sont soumis, les communistes révolutionnaires se tiennent du côté des nationalités opprimées et menacées, ici les Guyanais [34]. »
Encore un effort, camarades : à quand des Brigades internationales sponsorisées par ExxonMobil ?


[1https://media.defense.gov/2023/Apr/25/2003208200/-1/-1/0/3338.PDF

[2] Conclu le 30 janvier 1648, le traité de paix de Münster entérine la reconnaissance définitive de l’indépendance des Pays-Bas Unis, jusque-là sous souveraineté espagnole depuis que l’Empereur Charles Quint les a léguées à son fils, Philippe II.

[3] Entité administrative et politique créée en 1777, la capitainerie générale du Venezuela comprenait les actuels territoires du Venezuela et de l’île de Trinité (Trinité-et-Tobago).

[4https://www.aporrea.org/actualidad/a209870.html

[5] On en retrouvera le texte intégral (38 pages) in William Lindsay Scruggs, British aggressions in Venezuela, or, The Monroe doctrine on trial, ‎ Forgotten Books, Londres, 2018.

[6] Delia Picón, Historia de la Diplomacia Venezolana, Universidad Católica Andrés Bello, Caracas, 1999.

[7] George Lincoln Burr Papers, Box n°5, Cornell University (Ithaca, Etats-Unis).

[8https://revista.eneltapete.com/eneltapete/notas/22316/el-acuerdo-de-ginebra

[9] Le 14 février 1904, la levée du blocus sera la contrepartie d’accords par lesquels le Venezuela s’engagea à payer sa dette.

[10] Par solidarité anglo-saxonne, on entend ici celle qui unit les pays dont la colonisation britannique a fortement influencé l’organisation sociale, politique, culturelle, et où la langue principale est l’anglais (actuellement le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et certaines îles de la Caraïbe).

[11] Vol.43, n° 3, juillet 1949.

[12] Nations Unies, Recueil des traités, vol. 561, n° 8192, p.322.

[13] Lire Bernard Cassen, « La Guyana est bien partie », Le Monde diplomatique, juillet 1974.

[14https://lagranaldea.com/2023/09/29/guayana-esequiba-el-dia-en-que-venezuela-evito-una-guerra-pero-perdio-una-oportunidad/

[15http://www.visconversa.com/index.php/2019/01/04/la-rebelion-de-rupununi/

[16] Allusion à la tentative d’invasion de Cuba par une troupe mercenaire financée et entraînée par la CIA, le 17 avril 1961.

[17Ibidhttp://www.visconversa.com/index.php/2019/01/04/la-rebelion-de-rupununi/

[18] Organisation intergouvernementale actuellement composée de 56 Etats membres, presque tous anciens territoires de l’Empire britannique..

[19https://peacemaker.un.org/sites/peacemaker.un.org/files/GY-GB-VE_700618_Protocol%20of%20Port%20of%20Spain_0.pdf

[20] Habitant de l’île de La Grenade.

[21http://www.elnuevoherald.com/2011/09/30/1035455/venezuela-y-guyana-ratifican-buena.html#ixzz1ZWB8cCC9

[22https://media.defense.gov/2023/Apr/25/2003208200/-1/-1/0/3338.PDF

[23] Steve Coll, Private Empire. ExxonMobil and American Power, Penguin Press, New York, 2012.

[24https://www.commondreams.org/news/2017/11/06/probe-demanded-after-wilbur-ross-rex-tillerson-implicated-paradise-papers

[25] ConocoPhillips exigeait quant à elle 21 milliards de dollars. Le Ciadi lui en accordera 8,7 milliards en avril 2019.

[26] Argentine, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica, Guatemala, Honduras, Mexique, Panamá, Paraguay, Pérou, Guyana et Sainte-Lucie.

[27] Raphael Trotman, From destiny to prosperity, Isaiah Publications, Georgetown, 2023.

[28https://alefleming.wordpress.com/2020/07/12/guyana-contra-venezuela-la-competencia-de-la-corte-internacional-de-justicia-parte-ii/

[29] Lire « Un président imaginaire renversé par une Assemblée qui n’existe pas » (17 janvier 2023) – https://www.medelu.org/Un-president-imaginaire-renverse-par-une-Assemblee-qui-n-existe-pas

[30] Participent : Etats-Unis, Guyana, Antigua-et-Barbuda, Bahamas, Belize, Bermudes, Canada, Dominique, République dominicaine, Royaume-Uni, France, Grenade, Jamaïque, Mexique, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les Grenadines, Suriname et Trinidad et Tobago.

[31https://theintercept.com/2023/06/18/guyana-exxon-mobil-oil-drilling/

[32https://www.kaieteurnewsonline.com/2023/12/28/guyana-would-have-been-receiving-full-50-today-from-three-oil-projects/

[33https://www.elcolombiano.com/colombia/petro-ya-se-pronuncio-sobre-el-conflicto-entre-venezuiela-y-guyana-EC23305177

[34https://nouveaupartianticapitaliste.fr/maduro-veut-assimiler-une-grande-partie-du-guyana/

L’auteur : Maurice Lemoine, Journaliste

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