Sans Terre, féministes, communistes, syndicalistes, afrodescendant(e)s : les mouvements populaires brésiliens dénoncent la désinformation sur les élections au Venezuela et appellent à la solidarité de la gauche mondiale

Les mouvements populaires brésiliens lancent un manifeste de solidarité avec le peuple vénézuélien :

« Compte tenu de la polémique autour du processus électoral vénézuélien, nous souhaitons exprimer notre opinion.

  1. Depuis la victoire d’Hugo Chávez aux élections de 1998, jusqu’à aujourd’hui, les États-Unis et ses lobbies pétroliers ont mené une guerre sans fin contre le peuple vénézuélien.
  2. Ils ont décrété le blocus de la vente de son pétrole, gelé ses comptes à l’étranger, volé ses fonds déposés dans plusieurs banques et, le mois dernier, ont même détourné un avion-cargo de la compagnie d’État vénézuélienne, voué aux missions humanitaires anti-blocus, lorsqu’il a fait escale à Buenos Aires. Bien qu’il avait été légalement vendu à une entreprise vénézuélienne, ils l’ont emmené à Miami avec l’aide du gouvernement Milei et l’y ont détruit, craignant qu’un tribunal international n’ordonne sa restitution.
  3. Ils ont imposé un président fantoche, M. Guaidó, qui a commis une série de crimes, en plus de s’approprier plus de 50 millions de dollars. Dénoncé par ses proches alliés d’extrême droite. Il vit aujourd’hui aux États-Unis, protégé par les autorités.
  4. Le Venezuela dispose d’un système électoral démocratique, qui utilise des machines à voter électroniques et des votes imprimés pour vérification. Il a organisé plus de 30 élections au cours de cette période. Le tout audité par les autorités judiciaires électorales internationales, y compris celles du Brésil.
  5. Lors de ces élections, des gouverneurs, des maires et des députés opposés au chavisme ont été élus, sans que personne ne proteste. La campagne contre les machines à voter électroniques est une pratique d’extrême droite dans plusieurs pays, dont le Brésil.
  6. Le pouvoir électoral est indépendant et se situe au même niveau que les pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif. Ses membres sont proposés par la société, les universités et les partis politiques et nommés par l’Assemblée Nationale. Dans le conseil actuel, deux des cinq membres ont été nommés par les partis d’opposition.
  7. María Corina Machado, représentante de l’extrême droite « bolsonariste », a tenté de se présenter aux élections toute en sachant qu’elle avait déjà été déclarée inéligible par la justice, il y a six mois, pour délits de corruption, trahison et tentatives de coup d’État, parrainés par elle et par son mouvement « Vente Venezuela » qu’elle a toujours refusé d’enregistrer comme parti politique. La Cour suprême a examiné son cas et a réaffirmé qu’elle n’était pas éligible, tout comme elle l’a fait ici pour Bolsonaro.
  8. Par pur effet de propagande, sachant qu’elle n’était pas éligible, elle a nommé au dernier moment Mme Corina Yoris qui n’avait le soutien d’aucun parti politique ET n’a même pas présenté les exigences légales de signatures de 5% des électeurs – norme électorale pour s’inscrire conformément aux lois. Le conseil électoral l’a rejetée à l’unanimité. Comme cela est déjà arrivé au Brésil.
  9. 13 candidats sont inscrits, dont 12 de l’opposition, parmi lesquels un gouverneur de l’État du Zulia qui s’était déjà présenté à la présidence contre Hugo Chávez en 2006. Au total, 37 partis politiques ont participé, dont 70 % sont des partis politiques d’opposition au gouvernement.
  10. La liberté de la presse est totale dans le pays, avec plusieurs chaînes de télévision et journaux ouvertement opposés au gouvernement, où les opposants disent ce qu’ils veulent. Contrairement au Brésil où n’ont accès qu’à la télévision que ceux qui défendent les thèses du Capital, même sur les questions internationales.
  11. Le blocus économique des ÉTATS-UNIS, l’impossibilité de disposer de pièces de rechange pour l’industrie pétrolière et la baisse des exportations ont entraîné d’énormes difficultés économiques pour la population et nombre d’entre eux ont décidé d’émigrer pour des raisons économiques. Comme cela est arrivé aux habitant(e)s de tous les pays d’Amérique latine, il suffit de regarder la frontière avec le Mexique. Et comme ici au Brésil avec les milliers de Brésiliens qui ont émigré aux États-Unis et au Portugal.
  12. Ces dernières années, le Venezuela a subi des tentatives d’invasion militaire, par voie maritime et depuis la Colombie, déjouées par les forces publiques avec le soutien de la population.
  13. Le président Maduro a été victime de plusieurs tentatives d’assassinat, notamment par des drones, qui ont également été déjouées et leurs auteurs arrêtés.
  14. Le peuple vénézuélien a besoin de justice internationale pour restituer ses avoirs à l’étranger, tels que ses réserves d’or, volées par l’Angleterre.
  15. Le peuple vénézuélien a besoin de mettre fin au blocus économique et de pouvoir utiliser ses principaux actifs pétroliers pour relancer le développement du pays.
  16. Il est clair qu’une campagne de diffamation organisée par les États-Unis et ses grands groupes économiques à travers les médias privés de tout le continent est en cours pour diffamer le processus électoral vénézuélien et in fine ne pas en reconnaître les résultats. Aucun gouvernement n’a le droit de s’immiscer dans les affaires intérieures des autres peuples. Et notre constitution défend le droit des peuples à l’autodétermination.
  17. Nous appelons tous les mouvements populaires, syndicats, partis politiques et associations de juges et procureurs brésiliens à se rendre au Venezuela et à suivre le processus électoral sur place.
  18. Nous appelons tous les mouvements populaires et la gauche brésilienne à être solidaires du peuple vénézuélien et dénonçons les actions du gouvernement états-unien et de ses satellites, menées dans le cadre de la guerre hybrides en cours depuis tant d’années.
  19. Nous appelons chacun à être également solidaire avec les pauvres des États-Unis, avec les peuples d’Haïti, de Palestine, de Cuba, de Porto Rico et des pays africains du SAHEL, qui affrontent les mêmes intérêts de l’empire états-unien et de ses alliés européens. L’empire français est chassé d’Afrique après avoir volé tant de richesses naturelles.
  20. Depuis 25 ans, le peuple vénézuélien subit les conséquences de la guerre hybride imposée par le gouvernement des États-Unis et ses compagnies pétrolières. Malgré les défaites et les difficultés, il a toujours gagné et gagnera encore.

Brésil, 2 avril 2024.”

Traduction : Thierry Deronne

Premiers signataires :

  1. Mouvements populaires et partis politiques :
    • Confederación Nacional de los Trabajadores y Trabajadoras de la
      Agricultura Familiar de Brasil – CONTRAF – Brasil
      Central de los Trabajadores y Trabajadoras de Brasil – CTB
      Centro brasileno por la paz – CEBRAPAZ
      Central de Movimientos Populares-CMP
      Centro de estudios de religiones de matriz africana – CENARAB
      Coordinacion nacional de comunidades Quilombolas – CONAQ
      Consejo Pastoral de los/las Pescadores/as – CPP
      Frente Evangélica por el Estado de Derecho
      Levante Popular de la Juventud – LPJ
      Marcha Mundial de Mujeres – MMM
      Movimiento de los Trabajadores Rurales Sin Tierra – MST
      Movimiento de Pescadores y Pescadoras Artesanales – MPP
      Movimiento Brasil Popular – MBP
      Movimiento de Mujeres Campesinas – MMC
      Movimiento de los Afectados por Barragem – MAB
      Movimeinto de los Pequenos Agricultores – MPA
      Movimiento de los Trabajadores Desempleados – MTD
      Movimiento por la Soberania Popular en la Minerania – MAM
      Movimiento de los Trabajadores y Trabajadoras del Campo – MTC
      Partido comunista de Brasil – Pcdob
      Rede de Médicos y Medicas Populares – RMMP
      Union de la juventud socialista – UJS

2. Personnalités et porte-parole de la société brésilienne:

Acilino Ribeiro – dirigente do PSB
Ariovaldo santos, Pastor evangélico
Beto Almeida, Periodista
Breno Altman, Periodista

Celia Gonçalves, makota de los pueblos de terreiro
Cesar Silva Fonseca, Periodista
David Stival, ex-presidente del PT-RS, professor universitário
Eduardo Moreira, empresario y comunicador
Frei Sérgio Gorgen, frade franciscano
Georgina de Queiroz, profesora
Guilherme Estrela, geólogo de la Petrobras
Joao Pedro Stedile, activista de la lucha por la Reforma Agraria.
José Reinaldo Carvalho, Periodista, presidente de Cebrapaz
Júlio Flávio Gameiro Miragaya, economista
Leila Jinkings, Periodista
Luis Sabanay, Pastor presbiterano
Marcelo Barros, Monge Beneditino
Maria luiza Busse, Periodista de ABI
Mario Vitor santos, Periodista
Monica Buckmann, professora universitária
Ney Stronzake – Abogado
Nilza Valeria, Periodista
Oswaldo Maneschy, Periodista
Paulo Miranda, Director de la TV Comunitária de Brasília
Pedro Augusto Pinho, ex-presidente de la AEPET y del Corpo Permanente de la
Escuela Superior de Guerra
Roberto Requião, ex-gobernador , y ex-senador del Estado de Paraná
Rosana Fernandes, Coordinadora General de la Escola Nacional Florestan Fernandes
Sandra de Barreto, socióloga
Socorro Gomes, ex-diputada Federal por el PcdoB y directora de relaciones
internacionales de Cebrapaz
Valter Pomar, miembro del Diretório Nacional del PT
Lucinha Barbosa, Secretaria de Movimientos Populares del PT
Airton Faleiro, Diputado Federal-Para
Dilson Marcom, Diputado Federal – PT-Rio Grande del Sur
Joao daniel, Diputado Federal- PT Sergipe
Marina del MST, Diputada Estadual – PT-Rio de Janeiro
Messias, Diputado Estadual – PT Ceara
Orlando Silva, Diputado Federal- Pcdob São Paulo
Rosa amorim, Diputada Estadual – PE-Pernambuco
Valmir assunção, Diputado Federal- PT-Bahia
Romenio Pereira, Secretario de las Relaciones Internacionales de PT (parti de Lula)

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Venezuela : les sept grandes transformations

Photo: Les présidents Lula et Maduro, le 2 mars 2024, à Kingstown (Saint-Vincent-et-les-Grenadines) pour le Sommet de la CELAC (Communauté des États latino-américains et des Caraïbes)

Depuis toujours, le président Lula est harcelé par le pouvoir médiatique au sujet du Venezuela, mais, contrairement à la gauche occidentale, il ose résister. Lors d’une conférence de presse avec son homologue espagnol Pedro Sanchez le 5 février à Brasilia, il a salué la décision du pays voisin de fixer la date des élections présidentielles au 28 juillet 2024 (fruit d’un dialogue de 97% des partis politiques et des acteurs de la société vénézuélienne). Élections, a-t-il rappelé, qui auront lieu en présence des observateurs internationaux (1). Le président du Brésil a conseillé de « cesser de pleurer » à la militante d’extrême droite Maria Corina Machado (liée au Likoud et aux déstabilisations violentes contre Chávez et Maduro), inéligible pour complicité de corruption avec Juan Guaido. Il lui a suggéré de laisser la droite choisir un autre candidat qu’elle. Un pied-de-nez aux États-Unis qui veulent l’imposer à tout prix.

Photo : Accord de « partenariat opérationnel » sur des thèmes comme « géopolitique et sécurité » entre deux partis d’extrême droite, le « Vente » vénézuélien de Maria Corina Machado, et le Likoud israélien.

Cette désobéissance aux injonctions des pouvoirs médiatique et impérial ne date pas d’aujourd’hui. Lula a déjà qualifié d’« excès de liberté » le record en nombre de scrutins organisés par le Venezuela depuis la révolution. En ce qui concerne le putschiste d’extrême droite Juan Guaido, lié à plusieurs tentatives de coups d’État, il avait déclaré qu’« avec tout ce qu’il a fait, il aurait dû aller en prison » (2). À noter qu’en 2012 Jimmy Carter qualifia le système électoral vénézuélien de « meilleur du monde » (3) et que les dernières élections, en 2021, ont été validées par l’ensemble des observateurs internationaux (4).

Mais au-delà de cette ligne de la lutte politique classique, « obligée », d’une démocratie représentative face aux pouvoirs de facto que sont les pouvoirs économique et militaire impériaux (blocus des USA, agressions paramilitaires et déstabilisations), ou le pouvoir médiatique (faire passer le Venezuela pour une dictature, l’isoler sur le plan mondial), la révolution bolivarienne travaille sur une deuxième ligne, stratégique, qui est son véritable objectif (et qui indiffère les médias) : poursuivre la refonte de l’État sur les bases du pouvoir direct des citoyen(ne)s, de l’économie productive diversifiée pour sortir de la dépendance du pétrole, de la justice sociale, de l’écosocialisme et de la participation au monde multipolaire.

Après un vaste processus de participation et de délibération populaires, le gouvernement bolivarien a approuvé le 26 février 2024 le Plan des sept transformations (7T). Il s’agissait avant tout d’une application du « pouvoir populaire en action », la forme politique constitutive du processus révolutionnaire bolivarien : plus de 60.000 assemblées communautaires, organisées dans tout le Venezuela selon la méthode de la Consultation, du Débat et de l’Action (CDA), ont discuté, intégré et finalisé le plan des 7T, jusqu’à son approbation finale dans ce que le président lui-même, Nicolás Maduro, a défini comme le moteur de la construction collective du socialisme en vue du développement du pays. La stratégie 7T couvre en fait tous les secteurs, les sphères économique, politique, sociale, environnementale, de paix et de sécurité.

Ces sept transformations sont les suivantes :

Transformation économique : modernisation des méthodes et des techniques de production, dans le but de consolider la diversification économique pour créer un nouveau modèle d’exportation.

Indépendance intégrale : actualisation et élargissement de la doctrine bolivarienne dans ses dimensions politique, culturelle, éducative, scientifique et technologique, dans le sens de l’autodétermination.

Consolidation de la paix et de la sécurité des citoyens : perfectionnement du modèle de coexistence civique, garantie de la justice, des droits humains et de la préservation de la paix.

Protection sociale : accélérer la consolidation, face aux conséquences dramatiques de la guerre économique, de l’État-providence, des missions bolivariennes, qui sont l’une des « valeurs » du Venezuela bolivarien.

Repolitisation : le blocus et ses effets sociaux (migrations, lutte pour la survie, ainsi que le surgissement de la nouvelle génération travaillée par les réseaux sociaux du capitalisme) rendent prioritaire la nécessité de renouveler la centralité de la dimension politique, et de consolider la démocratie participative et directe, qui est une autre des caractéristiques du processus bolivarien. Au début de 2024, le président Maduro a demandé à ses ministres « d’accélérer le transfert du pouvoir politique aux organisations populaires ».

Écologie : lutter contre la crise climatique, sensibiliser et protéger la population de l’impact environnemental, protéger l’Amazonie et les réserves naturelles face aux destructions telles que l’orpaillage. Plusieurs actions des forces armées ont permis de démanteler des réseaux extractivistes clandestins qui détruisaient et empoisonnaient les parcs naturels du sud du pays.

Géopolitique multipolaire : positionner le Venezuela dans la nouvelle configuration mondiale, à la fois en relançant l’intégration latino-américaine et caribéenne et en participant aux grandes stratégies de développement de la zone des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Le Venezuela a d’ailleurs formalisé sa demande d’adhésion aux BRICS lors du sommet de Johannesburg.

Photo : durant sa cinquième visite en Chine du 8 au 14 septembre 2023, qui a porté les relations bilatérales au plus haut niveau – « de tous temps et à toute épreuve » que la Chine réserve aux alliés stratégiques -, le Président Maduro s’est également entretenu avec le directeur général du Centre international de réduction de la pauvreté de Chine, Liu Junwen (5).

La stratégie de ces sept transformations s’inscrit dans un cadre stratégique plus large visant, comme l’a rappelé Maduro lui-même, à « accélérer la transition d’une économie dépendante du pétrole à une économie qui vise un processus de croissance bien au-delà du pétrole, qui vise à satisfaire d’abord les besoins matériels du pays ». En effet, le pétrole reste la principale source de richesse du Venezuela, et c’est pour cette raison qu’il est le secteur le plus directement visé par les mesures coercitives (unilatérales et illégitimes) imposées par les États-Unis.

Les « sanctions » contre l’industrie pétrolière vénézuélienne imposées par les États-Unis ont fait chuter la production d’environ trois millions de barils de pétrole par jour (2010) à 500 000 (2020). Ce déclin a entraîné une chute de 95% des ressources de l’État. En visite récemment au Venezuela, le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, Michael Fakhari, a déclaré que « les mesures coercitives unilatérales sous forme de sanctions économiques ont limité fortement la capacité à mettre en œuvre des programmes de protection sociale et à fournir des services publics de base ».

C’est pourquoi, avec le plan 7T, la diversification économique et productive prend une dimension centrale. Un « Agenda économique bolivarien » a été défini, divisé en dix-huit moteurs productifs : agroalimentaire ; pharmaceutique ; industrie ; exportations ; économie municipale, sociale et socialiste ; hydrocarbures ; pétrochimie ; mines ; tourisme ; construction ; sylviculture ; défense ; télécommunications et technologies de l’information ; banque ; industries de base, stratégiques et socialistes ; automobile ; crypto-monnaies ; et entreprenariat productif. L’objectif est la construction d’un modèle économique renouvelé, basé sur la diversification de la production et suivant une orientation socialiste.

06.03.24 – Gianmarco Pisa / Venezuelainfos

Notes :

  1. Le Centre National Électoral du Venezuela a invité la CELAC, la Communauté des Caraïbes (CARICOM), l’Union interaméricaine des organisations électorales (UNIORE), le Groupe d’experts des Nations Unies, l’Union africaine, l’Union européenne et le Centre Carter : https://venezuela-news.com/cne-anuncia-convocatoria-de-observacion-internacional/
  2. https://venezuelainfos.wordpress.com/2020/04/09/lex-president-lula-maduro-est-un-leader-democratique-guaido-devrait-etre-en-prison-le-blocus-etats-unien-tue-des-civils/
  3. https://venezuelanalysis.com/news/7272/
  4. https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/11/23/venezuela-alors-que-les-observateurs-internationaux-saluent-la-haute-transparence-du-scrutin-des-leaders-de-la-droite-appellent-a-tourner-la-page-du-putschisme-de-guaido/
  5. https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/09/13/les-relations-sino-venezueliennes-a-un-niveau-historique/

Références:

Gabriel Ovalles, Las 7 Transformaciones: rumbo al desarrollo del país, Ministerio del Poder Popular para el Proceso Social de Trabajo, 19.02.2024: www.mpppst.gob.ve/mpppstweb/index.php/2024/02/19/rumbo-al-desarrollo-del-pais

Lucas Estanislau, Com Zonas Econômicas Especiais, Venezuela quer superar bloqueio e dependência petroleira, Brasil de Fato, 10.07.2022: www.brasildefato.com.br/2022/07/10/com-zonas-economicas-especiais-venezuela-quer-superar-bloqueio-e-dependencia-petroleira

Prensa MPP- Despacho (ICA 21.09.2023), “Presidente Maduro insta a revisar y evaluar los 18 motores de la Agenda Económica Bolivariana”, 21.09.2023:

www.presidencia.gob.ve/Site/Web/Principal/paginas/classMostrarEvento3.php?id_evento=25229

TeleSUR – MS, “Venezuela aprueba el Plan de las Siete Transformaciones”, 27.02.2024: www.telesurtv.net/news/venezuela-aprueba-el-plan-de-las-siete-transformaciones-20240227-0001.html

Redazione, “Il relatore speciale delle Nazioni Unite chiede la revoca delle sanzioni contro il Venezuela”, l’AntiDiplomatico, 15.02.2024:

www.lantidiplomatico.it/dettnews-il_relatore_speciale_delle_nazioni_unite_chiede_la_revoca_delle_sanzioni_contro_il_venezuela/45289_53045

Source de cet article : https://www.pressenza.com/fr/2024/03/venezuela-les-sept-grandes-transformations/

Merci à Bernard Tornare https://b-tornare.overblog.com/

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/03/08/venezuela-les-sept-grandes-transformations/

Sandino, retour vers le futur (L’Huma Magazine, février 2024)

A l’occasion des 90 ans de l’assassinat du général nicaraguayen Augusto C. Sandino sur ordre de Washington, L’Humanité Magazine m’a demandé de lui consacrer un article. J’y mets en lumière un Sandino méconnu : constructeur de communes autogérées dans les zones libérées par sa guérilla paysanne, suivant une vision très proche des communes populaires organisées aujourd’hui au Venezuela; et prophète, avec son « Plan pour la réalisation du rêve suprême de Bolivar », des politiques de coopération reprises par la gauche latino-américaine, en particulier sous l’impulsion d’Hugo Chávez. Le 21 février, j’ai prononcé à l’Institut Simon Bolivar à Caracas une conférence intitulée « De Sandino a Chávez » pour développer cette continuité historique (photos ci-dessous)

Le 19 juillet 1979, lorsque s’effondre la dictature des Somoza – longue de près de 45 ans – et qu’entrent à Managua, juchés sur des blindés, les guérilleros du Front Sandiniste, les Nicaraguayens euphoriques découvrent à la télévision l’image en noir et blanc d’un général qui enlève et remet son chapeau. Ce salut de quelques secondes, passé en boucle, est l’unique image en mouvement de Sandino. Revanche pour celui que la longue nuit du somozisme a tenté d’expulser de l’Histoire après son assassinat perpétré sur ordre de Washington, il y a 90 ans, le 21 février 1934.

Dans Augusto C. Sandino, le « C » ne vient pas comme on le lit parfois de « César » mais de «  Calderon » – nom de sa mère, domestique au service d’un propriétaire terrien. De leur relation, le « bâtard » naît en 1895 dans le village de Niquinohomo, à une trentaine de kilomètres de la capitale du Nicaragua. « J’ai ouvert les yeux dans la misère et j’ai grandi dans la misère. Dès que j’ai pu marcher, je l’ai fait sous les plantations de café en aidant ma mère (…) C’est ainsi que j’ai grandi, ou peut-être est-ce pour cela que je n’ai pas grandi. »

C’est là qu’à 17 ans, en 1912, il voit passer le corps mutilé du général patriote Benjamin Zeledón –  un des chefs de l’insurrection contre le président fantoche Adolfo Diaz, agent des Etats-unis -, fusillé par les Marines intervenus massivement dans le pays, emmené dans une charrette à bœufs : « cela m’a donné la clé de la situation nationale ». Travailleur migrant, il part au Guatemala où il est témoin des exactions de la United Fruit Company (1) , empire de la production bananière qui domine déjà l’économie de l’Amérique Centrale. Puis il se fond parmi les travailleurs de la Huasteca Petroleum Company au Mexique, où il apprend énormément des luttes syndicales, au moment où parviennent les vents de l’anarchosyndicalisme, des utopies socialistes, de l’anti-impérialisme et de la révolution soviétique. La déflagration révolutionnaire du Mexique (1910), la grande rédemption des paysans sans terre et des peuples indigènes autour d’hommes à cheval comme Emiliano Zapata et Pancho Villa, le marquent profondément. Sandino y reconnaît la ligne insurrectionnelle initiée au Nicaragua par les leaders de la résistance indigène Diríangén et Nicarao lors de la Conquista espagnole au XVIe siècle, rallumée en 1881 par la rébellion, brutalement réprimée, du peuple indigène Matagalpa qui défend sa terre.

De retour dans sa patrie, Sandino s’enrôle dans l’armée des libéraux en guerre contre les conservateurs. Jusqu’au jour où il décide de rompre avec ce bipartisme de grands propriétaires terriens qui ne voient dans le paysan qu’une chair à canon pour leurs batailles du «pouvoir pour le pouvoir». Il refuse de signer le Pacte de l' »Espino Negro » qui place le pays sous la coupe des États-Unis. « Je ne me vends pas, je ne me rends pas. Patrie libre ou mourir ».

Autour d’un drapeau rouge pour la liberté et noir pour la mort, avec une poignée de mineurs, de paysans et d’artisans, avec toutes et tous ceux qu’ont invisibilisés des siècles de colonialisme, il lance en 1927 sa « guerre de libération nationale ». Le «  général des hommes libres », comme l’appelle l’écrivain communiste français Henri Barbusse, est un homme sûr de lui. Pour les paysans indigènes, il est le « huehualt », le vieux sage . “Justicia, redención, dignidad, libertad” : sa langue fluide parle aux exclus. Autodidacte, Sandino se forge une solide philosophique politique qui va de Bolivar a Lénine. Il entre dans la franc-maconnerie, étudie les alternatives aux religions de l’oppresseur, cherche dans la théosophie – utopie mystique de la fraternité et de l’égalité, les fondements de sa «commune universelle». Il s’intéresse à Gandhi, médite, croit dans la télépathie et dans la réincarnation. Mais son Dieu est anticlérical, c’est le Dieu des pauvres, et la cohésion de son armée repose sur l' »abrazo », l’accolade simple des « hermanos » – frères en toute chose.

Bien avant Guernica (1937), la première frappe aérienne contre une population civile a lieu à Ocotal, en 1927, lorsque les États-Unis bombardent un village où sont retranchés les combattants sandinistes. Sandino comprend qu’une guerre frontale est vouée à l’échec. Il réorganise sa guérilla dans les montagnes profondes de Nueva Segovia, au nord, près de la frontière avec le Honduras, et recrute des milliers de soldats parmi les paysans exploités, humiliés, dont les terres sont volées par les grands propriétaires, formant progressivement une « Armée de Défense de la Souveraineté Nationale ». « Nous ne sommes pas des militaires. Nous sommes du peuple, nous sommes des citoyens armés. Nous irons jusqu’au soleil de la liberté ou jusqu’à la mort ; et si nous mourons, notre cause continuera à vivre. ».

La « petite armée folle », comme l’a appelée la poétesse chilienne Gabriela Mistral, affronte les compagnies états-uniennes – dont la United Fruit – et déstabilise les Marines qui ne soupçonnent pas que derrière les cris d’oiseaux se cache le « télégraphe » de la guérilla. Le « Chœur des Anges », brigade d’enfants, accompagne les embuscades d’un tintamarre qui fait croire que la troupe sandiniste est plus nombreuse. Les prostituées recueillent les confidences des occupants sur l’oreiller.

Face à cette armée insaisissable, les Marines répondent par la terreur, ce qui ne fait que grossir les rangs des rebelles. Au contre-amiral Sellers qui lui propose de renoncer au combat, Sandino répond : « La souveraineté d’un peuple ne se discute pas, elle se défend les armes à la main. » En 1933, après six ans de guerre, les États-Unis retirent enfin leurs troupes non sans avoir armé, entraîné et installé derrière eux « leur » Garde Nationale. Un an plus tard, alors que Sandino s’est rendu à Managua pour signer la paix avec le président libéral Sacasa, il est trahi et assassiné sur ordre de Washington par le directeur de ce corps répressif, Anastasio Somoza García.

Sandino était-il un « bandit », « un assassin communiste » comme le martèleront les manuels scolaires de la dictature somoziste pendant 40 ans ?  « Un naïf », « un aventurier », un « caudillo bourgeois anticolonial » comme pontifiera une gauche liée à Moscou au moment où l’Internationale Communiste décida de substituer à sa ligne anti-impérialiste une ligne exclusive de «classe contre classe» ?

Pour comprendre Sandino, mieux vaut le conjuguer au futur. Dès 1932, il annonce son projet de créer des coopératives dans les zones libérées. Dans un continent où les élites ont les yeux fixés sur le nord, Sandino chambarde la politique. Son armée de paysan(ne)s ébauche une nouvelle géométrie du pouvoir qui puise aux racines du socialisme communard et du bien commun indigène. « La propriété privée est la source des guerres fratricides », explique-t-il. Là où les Yankees semaient la mort et la destruction, le travail agricole des combattant(e)s permet de créer l’embryon d’une société communautaire, autogérée, avec réseau de santé, logements décents, réfectoires communs, écoles d’alphabétisation. Les coopératives sandinistes sont d’authentiques communes, conçues pour vivre et produire collectivement. En faisant la guerre, en résistant, en cultivant, les nombreuses femmes qui se sont jointes à la rébellion acquièrent un statut nouveau. Sans être féministe au sens strict, le mouvement sandiniste marque pour elles le début d’un processus d’autodétermination, en rupture avec une société archaïque, violente, patriarcale, qui les avait complètement annulées. C’est sur cette base populaire que Sandino rêve de construire l’État nouveau. A Wiwili, sur les rives du Rio Coco qui connecte la paysannerie du nord avec les peuples autochtones de la côte caraïbe, il crée un modèle de coopératives qu’il envisage d’étendre peu à peu vers la région atlantique puis, pourquoi pas, au-delà du Nicaragua.

Pour l’élite des États-Unis comme pour l’oligarchie locale, Sandino n’est pas seulement le guérillero à abattre, mais le leader d’une dangereuse révolution qui rend le pouvoir au peuple et dont l’économie oppose la petite propriété aux « latifundios », vastes domaines agricoles aux mains d’une poignée de seigneurs féodaux qui exploitent jusqu’au sang les travailleurs journaliers 

Quelques heures après l’avoir assassiné, la Garde Nationale détruit les coopératives sandinistes et massacre tous leurs membres, y compris les personnes âgées, les femmes et les enfants. Jusqu’en 1979, la dynastie somoziste devient la « grande propriétaire » exclusive des secteurs clefs d’une économie où les relations de production s’apparentent plus au féodalisme qu’au capitalisme.

Une autre prophétie de Sandino inquiète l’Empire : « l’avènement du Nicaragua comme nation latino-américaine », un concept nourri par ses lectures bolivariennes. «  Profondément convaincu que le capitalisme américain a atteint la dernière étape de son développement en se transformant, par conséquent, en impérialisme ; qu’il ne tient plus compte des théories du droit et de la justice ; qu’il méconnaît les principes absolus d’indépendance de chaque section de la nation latino-américaine, nous considérons, écrit-il, que l’Alliance des nationalités latino-américaines nous est encore plus indispensable.»

En 1929, il envoie aux présidents latino-américains son « Plan pour la réalisation du rêve suprême de Bolivar » : une alliance des 21 nations latino-américaines avec conférence permanente de ses dirigeants, constitution d’une Cour de justice latino-américaine pour régler les litiges entre nations, citoyenneté latino-américaine, force de défense commune, base navale et canal interocéanique au service de tous, réparations pour les destructions causées par les États-Unis. Sans oublier la banque latino-américaine pour « financer, sans dépendre de l’extérieur, la construction d’ouvrages et de moyens de communication et de transport », l’union douanière pour stimuler le marché intérieur et « l’appui au tourisme latino-américain afin de promouvoir la connaissance mutuelle entre nos citoyens ». 44 articles au total qui prennent aujourd’hui tout leur sens, à l’heure de la révolution bolivarienne, de l’Alliance Bolivarienne pour les Peuples de nos Amériques (ALBA, créée en 2004), de la Communauté des États Latino-Américains et des Caraïbes (CELAC, 2010) et de l’Union des Nations Sud-américaines (UNASUR, 2008).

En 1934, Somoza fait disparaître le corps de Sandino et de ses compagnons, jamais retrouvés. Le désespoir s’abat sur les quelques survivant(e)s. Mais l’histoire de l’Amérique latine est une course de relais.

Trente ans plus tard, Carlos Fonseca Amador, le fils myope d’une couturière de Matagalpa, réveille la mémoire de l’Armée de Défense de la Souveraineté Nationale jusqu’à en faire l’acte de naissance du Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN, créé en 1961). Fonseca sait que « la mémoire de Sandino est plus vivante chez les paysans que chez l’habitant des villes ». Il rencontre des survivants comme Santos Lopez qui a combattu sous les ordres directs de Sandino. Pendant des années, Fonseca et son équipe recherchent, étudient tout ce qui reste des écrits du « général des hommes libres ». C’est l’époque du Che, et la rébellion des années 1930 confirme le caractère crucial de la guérilla pour la victoire des peuples sur l’impérialisme. Mais aussi, en fin de compte, l’unité nationale comme stratégie fondamentale. La réflexion historique de Fonseca nourrit l’école de cadres du FSLN et contribue puissamment à la victoire de 1979.

Au journaliste basque Ramón de Belausteguigoitia venu l’interviewer dans ses montagnes du nord en 1933, le général rebelle décrit une vision qui garde son mystère: « Depuis l’origine du monde, la terre n’a cessé d’évoluer. Mais c’est ici, en Amérique centrale, que je vois une formidable transformation… Je vois quelque chose que je n’ai jamais dit auparavant… (…) le Nicaragua enveloppé d’eau. Une immense dépression venant du Pacifique… Les volcans au-dessus seulement… Comme si une mer se vidait dans une autre. »

De la fraternité des communes autogérées à l’alliance entre nations-sœurs, la vision de Sandino a gardé sa puissance d’avenir. Celle d’un monde multipolaire, libéré du mythe occidental d’un «centre», avec ses «marges» et ses «périphéries».

T.D., Caracas, 18 février 2024.

Aperçu de l’édition enrichie de nombreuses photos. Pour celles et ceux qui souhaiteraient acheter la version numérique de cette édition de l’HM (avec l’article en p. 76-81) et une mise en page plus riche que la version Web, c’est ici : https://kiosque.humanite.fr/detail/publication/detail-top-right/17?issue_id=167775&switch_toc=archive. Pour une version résumée de l’article : https://www.humanite.fr/histoire/amerique-latine/nicaragua-augusto-sandino-le-sillon-de-la-revolution

L’auteur : Thierry Deronne, Cinéaste, universitaire, licencié en communications sociales http://ihecs.be. A vécu au Nicaragua (1986-88) et réside au Venezuela depuis 1994. Compte «X» : https://twitter.com/venezuelainfos

Notes:

(1) Voir « l’HD » n°641 du 10 janvier 2019 et sur humanite.fr, « 1899, naissance de la United Fruit Company. Bananes, massacres et coups d’État », par Marc de Miramon.

(2) Pour une iconographie intégrale, voir https://acsandino.org.ni/libro-fotos/ (livre de photos téléchargeable en PDF sur le site du petit-fils de Sandino) et http://www.sandinorebellion.com/index.htm (site états-unien).

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/03/02/sandino-retour-vers-le-futur-lhuma-magazine-fevrier-2024/

Exxon Mobil veut déclencher une guerre en Amérique latine, par Vijay Prashad

Photo: Le président du Venezuela, Nicolás Maduro (à droite) lors de la fête populaire à Caracas après le référendum consultatif sur El Esequibo. EFE/ Miguel Gutiérrez

Défaite cuisante des grands médias, d’Exxon Mobil et du Pentagone à la manœuvre pour s’emparer d’un territoire riche en pétrole appartenant au Venezuela (1). Le 3 décembre 2023, la population vénézuélienne a participé massivement à un référendum consultatif, et a répondu par l’affirmative aux cinq questions posées. Ces questions demandaient aux votant(e)s s’ils ou elles reconnaissaient la souveraineté de leur pays sur l’Esequibo. Une très forte majorité (droite et gauche confondues) a voté pour le respect de l’intégrité territoriale.

Loin de l’image construite par les médias, le Venezuela est non seulement la démocratie participative la plus avancée du monde, mais il bat tous les records en nombre de scrutins: 30 en 24 ans de révolution, validés par la majorité des observateurs internationaux. (2)

« Les campagnes médiatiques internationales ne pourront jamais le cacher. Le référendum consultatif a été un succès pour le peuple vénézuélien. Et nous devons respecter la décision de celles et ceux qui se sont exprimés dans les urnes », a expliqué le président Maduro, avant de proposer à l’Assemblée Nationale d’approuver une loi spéciale décrétant des zones de protection environnementale et de nouveaux parcs nationaux dans l’Esequibo, ou d’établir une règle interdisant la conclusion de contrats avec des entreprises comme Exxon Mobil qui exploitent les concessions unilatérales accordées par le Guyana dans la mer à délimiter. Maduro a également autorisé le lancement du plan d’assistance sociale pour la population de l’Esequibo, ainsi que la réalisation d’un recensement pour les aides sociales et la délivrance de cartes d’identité à ses habitants. » « Aujourd’hui, a conclu le président vénézuélien Nicolas Maduro, il n’y a ni gagnant ni perdant. Le gagnant est la souveraineté du Venezuela. » Le principal perdant, selon M. Maduro, est la compagnie extractiviste états-unienne ExxonMobil.

De quoi Exxon Mobil est le nom

En 2022, Exxon Mobil a réalisé un bénéfice de 55,7 milliards de dollars, ce qui en fait l’une des compagnies pétrolières les plus riches et les plus puissantes du monde. Les entreprises telles qu’Exxon Mobil exercent un pouvoir démesuré sur l’économie mondiale et sur les pays qui possèdent des réserves de pétrole. Elles ont des tentacules dans le monde entier, de la Malaisie à l’Argentine. Dans son ouvrage Private Empire : ExxonMobil and American Power (2012), Steve Coll décrit comment l’entreprise est devenue un « État corporatif au sein de l’État états-unien« . Les dirigeants d’Exxon Mobil ont toujours entretenu des relations étroites avec le gouvernement états-unien : Lee « Iron Ass » Raymond (directeur général de 1993 à 2005) était un ami personnel proche du vice-président états-unien Dick Cheney et a contribué à façonner la politique du gouvernement états-unien en matière de changement climatique ; Rex Tillerson (successeur de Raymond en 2006) a quitté l’entreprise en 2017 pour devenir le secrétaire d’État états-unien sous la présidence de Donald Trump. Coll décrit comment Exxon Mobil utilise le pouvoir de l’État états-unien pour trouver de plus en plus de réserves de pétrole et s’assurer qu’Exxon Mobil devient le bénéficiaire de ces découvertes.

En se promenant dans les différents centres de vote de Caracas le jour du référendum, il était clair que les personnes savaient exactement pour quoi elles votaient : nullement contre le peuple du Guyana, un pays avec une population d’un peu plus de 800 000 habitants, mais pour la souveraineté vénézuélienne, contre des entreprises telles qu’Exxon Mobil. L’atmosphère de ce vote – empreinte de patriotisme – était marquée sur le désir de supprimer l’influence des multinationales et de permettre aux peuples d’Amérique du Sud de résoudre leurs différends et de partager leurs richesses entre eux.

Quand le Venezuela a éjecté Exxon Mobil

Lorsque Hugo Chávez a remporté l’élection à la présidence du Venezuela en 1998, il a déclaré presque immédiatement que les ressources du pays – principalement le pétrole – devaient être entre les mains du peuple et servir dorénavant à financer le développement social du pays, et non les dividendes des compagnies pétrolières telles qu’Exxon Mobil. « El petroleo es nuestro » (le pétrole est à nous) était le slogan du jour. À partir de 2006, le gouvernement de Chávez a entamé un cycle de nationalisations, avec le pétrole au centre (le pétrole avait été nationalisé dans les années 1970, puis privatisé à nouveau deux décennies plus tard). La plupart des multinationales pétrolières ont accepté les nouvelles lois de régulation de l’industrie pétrolière, mais deux ont refusé : ConocoPhillips et Exxon Mobil. Les deux sociétés ont exigé des dizaines de milliards de dollars de compensation, bien que le Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI) ait estimé en 2014 que le Venezuela ne devait payer à Exxon Mobil que 1,6 milliard de dollars.

Rex Tillerson était furieux, selon des personnes qui travaillaient chez Exxon Mobil à l’époque. En 2017, le Washington Post a publié un article qui traduisait le sentiment de Tillerson : « Rex Tillerson s’est fait griller au Venezuela. Puis il s’est vengé. » Exxon Mobil a signé un accord avec le Guyana pour explorer le pétrole offshore en 1999, mais n’a commencé à explorer le littoral qu’en mars 2015, après le verdict négatif du CIRDI. Exxon Mobil a utilisé toute la force de la campagne de pression maximale des États-Unis contre le Venezuela à la fois pour consolider ses projets dans le territoire contesté et pour saper la revendication du Venezuela sur la région de l’Esequibo. C’était la revanche de Tillerson.

La mauvaise affaire d’Exxon Mobil pour le Guyana

En 2015, Exxon Mobil a annoncé qu’elle avait trouvé 295 pieds de « réservoirs de grès pétrolifères de haute qualité » ; il s’agit de l’une des plus grandes découvertes de pétrole de ces dernières années. Le géant pétrolier a entamé des consultations régulières avec le gouvernement guyanais, s’engageant notamment à financer tous les coûts initiaux de l’exploration pétrolière. La fuite de l’accord de partage de la production conclu entre le gouvernement guyanais et ExxonMobil a révélé la piètre position du Guyana dans les négociations. ExxonMobil s’est vu attribuer 75 % des recettes pétrolières pour le recouvrement des coûts, le reste étant partagé à parts égales avec le Guyana ; la compagnie pétrolière, quant à elle, est exonérée de tout impôt. L’article 32 (« Stabilité de l’accord ») stipule que le gouvernement « ne peut amender, modifier, annuler, résilier, déclarer invalide ou inapplicable, exiger une renégociation, imposer un remplacement ou une substitution, ou chercher à éviter, altérer ou limiter le présent accord » sans le consentement d’Exxon Mobil. Cet accord piège tous les futurs gouvernements guyanais dans un très mauvais accord.

Pire encore pour le Guyana, l’accord est conclu dans des eaux disputées avec le Venezuela depuis le 19ème siècle. L’incurie des Britanniques, puis des États-Unis, a créé les conditions d’un différend frontalier dans cette région qui ne connaissait que des problèmes limités avant la découverte du pétrole. Au cours des années 2000, le Guyana a entretenu des liens fraternels étroits avec le gouvernement vénézuélien. En 2009, dans le cadre du programme PetroCaribe, le Guyana a acheté du pétrole à prix réduit au Venezuela en échange de riz, une aubaine pour l’industrie rizicole guyanaise.Le programme « pétrole contre riz » a pris fin en novembre 2015, en partie en raison de la baisse des prix mondiaux du pétrole.Pour les observateurs de Georgetown et de Caracas, il est clair que le programme a souffert des tensions croissantes entre les pays au sujet de la région contestée de l’Esequibo.

ExxonMobil divise pour mieux régner

Le référendum du 3 décembre au Venezuela et la manifestation des « cercles d’unité » au Guyana suggèrent un durcissement de la position des deux pays. En marge de la COP-28, le président du Guyana, Irfaan Ali, a rencontré le président cubain Miguel Díaz-Canel et le premier ministre de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Ralph Gonsalves, pour discuter de la situation. M. Ali a demandé à M. Díaz-Canel d’exhorter le Venezuela à maintenir une « zone de paix ».

La guerre ne semble pas se profiler à l’horizon. Les États-Unis ont levé une partie de leur blocus sur l’industrie pétrolière vénézuélienne, permettant à Chevron de redémarrer plusieurs projets pétroliers dans la ceinture de l’Orénoque et dans le lac de Maracaibo. Washington n’a pas envie d’aggraver son conflit avec le Venezuela. Mais Exxon Mobil, si. Ni le peuple vénézuélien ni le peuple guyanais ne bénéficieront de l’intervention politique d’ExxonMobil dans la région. C’est pourquoi tant de Vénézuéliens venus voter le 3 décembre ont considéré qu’il s’agissait moins d’un conflit entre le Venezuela et le Guyana que d’un conflit entre ExxonMobil et les peuples de ces deux pays d’Amérique du Sud.

Vijay Prashad

Traduction et adaptation : Thierry Deronne

Source : https://peoplesdispatch.org/2023/12/05/exxonmobil-wants-to-start-a-war-in-latin-america/

Notes :

(1) Lire : « Venezuela : l’accaparement d’un territoire par Exxon Mobil et le Pentagone. » https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/12/03/venezuela-laccaparement-dun-territoire-par-exxon-mobil-et-le-pentagone/

(2) Lire « Venezuela: les observateurs internationaux saluent la transparence du scrutin. » https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/11/23/venezuela-alors-que-les-observateurs-internationaux-saluent-la-haute-transparence-du-scrutin-des-leaders-de-la-droite-appellent-a-tourner-la-page-du-putschisme-de-guaido/

L’auteur : Vijay Prashad est un historien, éditeur et journaliste indien. Il est chargé d’écriture et correspondant en chef de Globetrotter.Il est éditeur de LeftWord Books et directeur du Tricontinental Institute for Social Research.

Auteur de plus de 20 livres dont The Darker Nations et The Poorer Nations. Ses derniers ouvrages parus sont Struggle Makes Us Human : from Movements for Socialism et (avec Noam Chomsky) The Withdrawal : Iraq, Libya, Afghanistan, and the Fragility of U.S. Power.

Cet article a été produit par Globetrotter.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/12/06/exxon-mobil-veut-declencher-une-guerre-en-amerique-latine-par-vijay-prashad/

Le front commun des présidents de gauche Petro et Maduro.

«Importants consensus sur la protection de l’environnement, l’électricité, les investissements dans la sécurité énergétique, le gaz, le développement conjoint du pétrole, la lutte contre l’extractivisme illégal et prédateur.. Avec le Président Gustavo Petro nous réalisons un excellent travail sur le vaste programme de coopération bilatérale qui progresse sur la base de l’union et de la fraternité» : c’est en ces termes que le président vénézuélien Nicolas Maduro a résumé sa réunion avec son homologue colombien, à Caracas, le samedi 18 novembre 2023.

Depuis son élection il y a un an, Gustavo Petro s’est efforcé de reconstruire les liens économiques et politiques avec le Venezuela voisin, des liens que l’État narco-paramilitaire sur orbite états-unienne avait démantelés. La rencontre avec Maduro est la cinquième entre les deux chefs d’État. Dès 2022, le président Petro a reçu l’ambassadeur vénézuélien à Bogotá et qualifié Juan Guaido (le putschiste d’extrême droite lié aux narco-paramilitaires colombiens, nommé par Trump « président du Venezuela » sans élection) d’«aussi réel qu’une ombre dans la Caverne de Platon» (1). A Caracas, Petro a renouvelé ses critiques de cette longue politique anti-bolivarienne des gouvernements d’extrême droite colombiens: « Ce qu’ils ont fait est un véritable suicide économique et culturel. Nous ne devons plus jamais les laisser nous séparer. La Colombie et le Venezuela ont la même Histoire, le même sang. » Le 27 novembre, Petro a tweeté l’image de véhicules neufs à la frontière des deux pays : « Pour la première fois depuis des années, des véhicules assemblés en Colombie ont franchi la frontière vénézuélienne. »

Pour le mandataire colombien, le Venezuela devrait jouer un rôle important dans la reprise économique de son pays en 2024, notamment grâce à un partenariat potentiel entre Ecopetrol et PDVSA, leurs entreprises publiques respectives dans le secteur de l’énergie. Il a précisé qu’il était « très probable » qu’Ecopetrol s’associe officiellement à PDVSA pour explorer les gisements de pétrole et de gaz naturel à l’intérieur du Venezuela. Les deux chefs d’État ont également discuté de la réactivation d’un gazoduc qui s’étend du Venezuela à la Colombie.

La compagnie pétrolière publique vénézuélienne PDVSA remonte la pente du blocus décrété par les États-Unis et l’Union Européenne, à travers des accords passés avec le monde multipolaire pour augmenter sa production de brut, et à la suite de la décision de Washington d’alléger temporairement une partie de ses sanctions. Comme l’explique l’économiste et ex-président Rafael Correa, le blocus pétrolier mis en place par les occidentaux contre la révolution bolivarienne a privé le Venezuela de 95% de ses ressources d’État à partir de 2014 – ce qui a entraîné une détérioration de l’économie, des services publics, des salaires et un exode massif de population. La compagnie publique vénézuélienne PDVSA ne dispose pas encore des capitaux nécessaires pour réaliser des investissements à grande échelle, d’où ces accords avec d’autres entreprises. Le dirigeant colombien a ajouté que les efforts d’intégration énergétique pourraient aller au-delà des deux pays voisins. « Nous avons proposé un principe de véritable intégration énergétique; il peut être étendu au Panama, à l’Équateur et au Brésil. Nous voulons franchir sans hésiter les étapes d’une véritable intégration énergétique dans les deux sens ». La société brésilienne Petrobras aurait également manifesté son intérêt d’élaborer des projets énergétiques communs avec PDVSA. Outre Repsol et Eni, qui travaillent depuis un certain temps avec le Venezuela sur des projets gaziers, la société française Maurel et Prom a annoncé qu’elle reprenait ses activités au Venezuela, comme China Petroleum, Reliance et Indian Oil. Des discussions sont en cours avec Trinidad sur l’exploitation conjointe par Shell du gisement Dragon. Mitsubishi souhaite reprendre le projet pétrochimique Metor de Metanol de Oriente.

Pour le Venezuela, il ne fait aucun doute que la meilleure stratégie consiste à essayer par tous les moyens d’augmenter sa production et ses exportations pétrolières afin de profiter de prix encore favorables. C’est pour cela que l’allègement des sanctions est indispensable : à partir de la mi-2024 la production pourrait augmenter de manière significative. Dans ces conditions et sans les sanctions occidentales contre la Banque Centrale du Venezuela, le flux de devises pétrolières pourrait s’améliorer sensiblement, par l’augmentation des recettes fiscales et pourrait faire bouger une économie qui, au cours de l’année 2023, s’est ralentie par rapport à sa bonne performance de 2022. Ce serait une nouvelle opportunité pour le Venezuela d’augmenter ses revenus pétroliers et de réactiver son économie.

Les deux dirigeants ont abordé beaucoup d’autres sujets dont la coopération touristique, les efforts diplomatiques du Venezuela pour soutenir le processus de paix en cours entre le gouvernement colombien et la guérilla de l’ELN, et la migration. La Colombie a accueilli la majeure partie des migrants qui ont quitté le Venezuela à la suite du blocus occidental. Or, les prévisions de la CEPAL-ONU, confirmées par le FMI, indiquent que malgré ces sanctions, le Venezuela maintiendra en 2024 la croissance la plus forte des Amériques (4,5%) grâce à l’appui donné par le président Maduro à la production nationale (pas seulement pétrolière) et aux alliances multipolaires (2).

Tout cela permet au gouvernement bolivarien de chercher à étendre le rapatriement de ses ressortissants. Le Venezuela est ainsi le seul pays d’Amérique Latine à mettre à leur disposition des vols gratuits sur la compagnie publique Conviasa, une politique qui a permis de ramener au pays plusieurs milliers de familles (3). Dans le même sens, Petro a demandé à l’administration Biden (sans obtenir de réponse à ce jour) d’envisager le versement d’une prime de « stabilisation économique » aux migrants en Colombie, dans le cadre d’un effort visant à les aider à rentrer chez eux et à stimuler l’économie de leur pays d’origine. Le président colombien a plusieurs fois demandé aux États-Unis de lever leurs sanctions contre le Venezuela, et cette proposition récente fait suite à la réunion à Palenque, au Mexique, le 22 octobre, où en compagnie d’autres chefs d’État régionaux – dont Nicolas Maduro – il a été invité par le président mexicain Lopez Obrador pour discuter des causes profondes des migrations que subissent de nombreux pays de la région. L’ensemble des dirigeants ont rejeté la responsabilité de la crise migratoire sur les politiques coercitives des États-Unis ou ultra-libérales et ont appelé à des efforts conjoints pour s’attaquer aux causes profondes du problème (4).

Dans un premier temps, les pays ont convenu de « développer un plan d’action », qui se concentrera sur l’autosuffisance alimentaire, la protection de l’environnement, la sécurité énergétique, le commerce, l’investissement et la lutte contre la criminalité organisée. Le gouvernement mexicain a proposé de coopérer par le biais de ses programmes sociaux « Sembrando Vida » (Semer la vie), pour les agriculteurs, et « Jóvenes Construyendo el Futuro » (Les jeunes construisent l’avenir), pour le travail des jeunes, ainsi que dans le domaine du gaz et des énergies renouvelables. Les gouvernements se sont également engagés à promouvoir le commerce et à encourager la levée des sanctions et des « mesures commerciales ». La levée des sanctions et des « mesures coercitives » occidentales dans la région fait référence à Cuba et au Venezuela.

Le président colombien a prolongé son séjour à Caracas par une visite à la Foire Internationale du Livre du Venezuela 2023, où il a présenté au public son livre « Une vie, beaucoup de vies« , somme historique, écrite avant sa victoire, sur les défis de la gauche. A cette occasion il a dénoncé la destruction du Droit international par l’Occident en tant que complice du génocide des palestiniens. Dès le mois d’octobre, tant Nicolas Maduro que Gustavo Petro ont dénoncé ce génocide comme nouvelle étape d’une occupation coloniale menée depuis 75 ans par l’État d’Israël. A Caracas, le 18 novembre, Petro a dénoncé « un fou appelé Netanyahou (…) qui est en train de réaliser un génocide approuvé par ceux qui parlent de démocratie. Ils ne se rendent pas compte qu’il va jusqu’à massacrer des bébés ». Il a également critiqué le soutien des États-Unis à la guerre d’Israël contre le peuple palestinien, rappelant que « le capital israélien possède les banques états-uniennes ». Quelques jours plus tôt, aux côtés de l’Ambassadeur de Palestine au Venezuela Fadi Alzaben, le président Maduro avait dénoncé « 75 ans de racisme, de déshumanisation par les suprémacistes d’Israël qui rêvent de détruire non seulement le peuple palestinien mais aussi le reste du monde arabe. Le monde doit se lever pour mettre fin à temps au génocide. ».

Thierry Deronne, Caracas, le 26 novembre 2023, avec https://venezuelanalysis.com/news/colombias-petro-touts-deeper-cooperation-and-energy-integration-with-venezuela-during-visit/

Notes :

  1. Le phénomène Guaido est au cœur du nouveau roman de Maurice Lemoine : « Juanito la vermine, roi du Vénézuéla », Le Temps des Cerises éditeur, 2023 : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/10/03/juanito-la-vermine-roi-du-venezuela-le-nouveau-livre-de-maurice-lemoine-interview-de-lauteur-par-thierry-deronne/
  2. Lire à ce sujet « Pourquoi la croissance revient au Venezuela », https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/01/27/pourquoi-la-croissance-economique-revient-au-venezuela/
  3. Sur ce programme de rapatriement gratuit : https://venezuelainfos.wordpress.com/2020/10/05/le-venezuela-seul-en-amerique-latine-a-creer-un-programme-de-rapatriement-en-pleine-pandemie/
  4. Déclaration finale du Sommet de Palenque : https://petro.presidencia.gov.co/prensa/Paginas/CUMBRE-REGIONAL-SOBRE-MIGRACION-Encuentro-por-una-vecindad-fraterna-y-con-bienestar-PALENQUE-CHIAPAS-231022.aspx

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/11/26/le-front-commun-des-presidents-de-gauche-petro-et-maduro/

L’Amérique latine face au génocide du peuple palestinien

Photo: affiche appelant à une mobilisation au Mexique le 5 novembre avec la liste des organisateurs. Ce meeting a réuni environ 10 mille personnes.

Par contraste avec le silence relatif des gouvernements arabes de la région (sauf la Jordanie et l’Algérie) et en rupture totale avec la plupart des gouvernements occidentaux, l’Amérique latine – ses gouvernements et ses peuples -, font preuve d’une solidarité croissante avec le peuple palestinien face au génocide commencé par Israël en 1948 et soutenu par les États-Unis et l’Union Européenne.

Tandis que les (extrêmes) droites latino-américaines – soutenues par les groupes médiatiques liés à la vente d’armes, s’alignent sur l’extrême droite de Netanyahu et gomment 75 ans d’occupation, de colonisation et de nettoyage ethnique, les présidents du Venezuela, de Cuba, du Nicaragua, du Honduras, de Colombie ou du Brésil, entre autres, rejoignent l’avis de la Chine exprimé par l’ambassadeur Zhang Jun au Conseil de Sécurité : « Nous nous opposons au projet de créer un nouveau récit sur la question israélo-palestinienne qui occulte l’occupation du territoire palestinien depuis si longtemps ». Le 25 octobre, le président Lula a résumé l’opinion générale : « Ce n’est pas une guerre, c’est un génocide ». Une position qui lui a valu la vengeance et la pression de Tel Aviv qui, pendant plus d’un mois, a refusé d’autoriser 32 Brésilien(ne)s-Palestinien(ne)s et leurs familles à quitter Gaza. Ce n’est que le 13 novembre que le président Lula a enfin pu les accueillir à Brasilia. Revenant sur le massacre de plus de 4.600 enfants palestiniens par Israël, il a déclaré à cette occasion : « je n’aurais jamais pensé que les enfants puissent devenir les victimes privilégiées d’une guerre« . Ajoutant : « si le Hamas a commis un acte terroriste, alors Israël est un État multi-terroriste.« 

De Sao Paulo à Mexico Ciudad, les mouvements sociaux se mobilisent et font pression pour que les gouvernements rompent avec Israël et prennent des mesures pour stopper le génocide. Non sans succès. Le 31 octobre, le gouvernement bolivien de Lucho Arce a rompu ses relations diplomatiques avec Israël après que l’ex-président bolivien Evo Morales et les militant(e)s de base du MAS le lui ont demandé, ainsi que de déclarer Israël État terroriste. C’est le premier pays d’Amérique latine à rompre ses liens avec Tel Aviv depuis le 7 octobre. Le Venezuela l’avait déjà fait en 2009, lors d’un énième génocide du peuple palestinien. « Quel terrible massacre vient encore de commettre Israël ! Où est l’ONU ? Où est la Cour pénale internationale ? Où est le monde ? » s’était exclamé Hugo Chávez qui déclarait un an plus tard : « Si le monde avait un peu de dignité, les présidents d’Israël ainsi que des USA seraient depuis longtemps traduits devant la Cour pénale internationale. »

Photo : Mars 2013. Des citoyens palestiniens déploient un portrait de Hugo Chávez face à l’occupant israélien.

Autre mouvement social d’envergure, et qui ne se contente pas de mots, le Mouvement des Sans Terre du Brésil (MST) a envoyé le 30 octobre deux tonnes de nourriture de sa production aux habitant(e)s de Gaza. La cargaison de riz, de farine de maïs et de lait en poudre a été transportée par un avion de l’armée de l’air brésilienne. Le Mouvement a envoyé au total 100 tonnes de nourriture, avec le soutien du gouvernement Lula. La dirigeante nationale des Sans Terre Cassia Bechara souligne l’importance de la solidarité avec le peuple palestinien : « Les personnes qui ne meurent pas des bombardements risquent fort de mourir de faim, de manque d’eau potable, de manque de nourriture, ce qui explique l’urgence de cette action. Depuis le 21 octobre, l’aide humanitaire arrive par la frontière égyptienne, mais l’ONU et les organisations travaillant à Gaza font savoir que le volume est devenu nettement insuffisant, ne passe plus qu’au compte-goutte. C’est pourquoi nous devons exiger un cessez-le-feu et garantir les moyens de la solidarité avec le peuple de Gaza. ». Le 3 novembre un autre mouvement social, le Mouvement de Travailleurs de l’économie informelle de Buenos Aires, a collecté 10 tonnes de nourriture pour les envoyer au peuple de Gaza avec l’appui du Ministère des Affaires Étrangères argentin et du Croissant Rouge Égyptien.

Photos : le Mouvement des sans Terre organise la solidarité avec la Palestine, où il a envoyé plusieurs brigades de coopération ces dernières années.

Depuis le Venezuela bolivarien, le président Nicolas Maduro (1) a très vite fait expédier 30 tonnes d’aide d’urgence alimentaire après avoir conversé avec l’Autorité Palestinienne. « Nous montrons une fois de plus au monde que le Venezuela et la Palestine sont des peuples frères, qu’ils cherchent l’inspiration d’un monde nouveau, sans domination et sans empire » a déclaré l’ambassadeur de Palestine au Venezuela, Fadi Alzaben, lors de la mobilisation populaire organisée le 26 octobre dans les rues de Caracas par le #PSUV, principal parti chaviste, pour dénoncer le génocide commis par l’État d’Israël avec la complicité directe de l’Occident. Le 31 octobre, le Venezuela a dénoncé catégoriquement « le génocide perpétré par l’État d’Israël contre le peuple palestinien et le bombardement du camp de réfugiés de Jabalya » et a réitéré son exigence de l’application des résolutions de l’ONU et du Droit International constamment ignorés par Israël. Le 6 novembre, aux côtés de Fadi Alzaben, le président Maduro a dénoncé « 75 ans de racisme, de déshumanisation par les suprémacistes d’Israël. Le monde doit se lever pour mettre fin à temps au génocide du peuple palestinien« .

De son côté, dans son communiqué, le gouvernement nicaraguayen a ajouté sa voix à la dénonciation du génocide. « Nous condamnons fermement, comme toujours, la tragédie qui ne cesse de s’aggraver, face à l’arrogance, à l’aveuglement, à l’incompréhension et à l’inaction de la communauté internationale et en particulier de l’ONU« .

Bien que proche de Washington en politique étrangère, Gabriel Boric, président du Chili – où vit une communauté palestinienne nombreuse-, a rappelé le 31 octobre son ambassadeur à Tel Aviv, sans rompre toutefois les relations diplomatiques. Dans son communiqué, Boric dénonce « les plus de 8000 palestinien(ne)s tués lors d’un châtiment collectif qui viole de manière flagrante le droit international ». Le président colombien Gustavo Petro (qui n’avait pas rompu ses relations avec Israël comme certains l’ont cru) a rappelé, lui aussi, son ambassadrice à Tel Aviv : « si Israël ne cesse pas de massacrer les Palestiniens, nous ne pouvons rester là-bas. » Le mandataire colombien a publié sur son compte Twitter la photo d’un des massacres commis par l’État d’Israël : « C’est ce qu’on appelle un génocide. Ils le font pour faire sortir le peuple palestinien de Gaza et s’en emparer. Le chef d’État qui commet ce génocide est un criminel contre l’humanité. Ses alliés ne peuvent pas parler de démocratie. »

Israël l’a aussitôt accusé « d’appuyer le Hamas » (sic), à quoi Petro a répondu : « La Colombie n’appuie pas les génocides. » Le lendemain, lorsque Israël a bombardé un autre camp de réfugié(e)s, celui d’Al-Bureij, il a réagi: « La bombe que vous voyez dans la vidéo est composée de phosphore blanc. Ce produit chimique colle à la peau et pénètre jusqu’à l’os. Elle tue en provoquant une douleur intense. Elle a été larguée par l’État d’Israël. Le lieu où la bombe est larguée appartient aux Nations Unies, là où ces enfants sont en train de jouer. Le droit international qualifie cela comme crime de guerre. Le droit international ne doit pas être utilisé contre des rivaux, par commodité ; il lie toutes les nations de la terre, tous les peuples du monde. Le criminel de guerre, quelle que soit sa religion, son idéologie ou sa nation, doit être jugé et emprisonné. » (2)

Le 2 novembre 2023, alors que le Ministère de la Santé de Palestine informait que plus de 9000 personnes ont été tuées et 32000 blessées, Cuba a pris la parole à l’Assemblée Générale de l’ONU – où il venait de recevoir pour la 31ème fois un appui quasi unanime pour exiger la levée du blocus cruel des États-Unis. Le délégué cubain a dénoncé la complicité de Washington « avec le crime massif contre l’Humanité commis par Israël à Gaza« .

Le 3 novembre à Caracas, le Ministère des Affaires Étrangères du Venezuela, l’Ambassade de Palestine et l’Institut Simon Bolivar pour la Paix et la Solidarité entre les Peuples ont organisé la conférence pour le droit d’exister de la Palestine, pour le cessez-le-feu, et dénoncé le génocide commis par Israël (photos ci-dessous). Le même jour, le Honduras présidé par Xiomara Castro est devenu le troisième pays d’Amérique latine à rappeler son ambassadeur en Israël pour protester contre le nettoyage ethnique à Gaza. Le 14 novembre le Belize a suivi en rappelant ses diplomates à Tel Aviv et en supprimant l’accord de recevoir un ambassadeur israélien dans son pays (voir déclaration officielle ci-dessous).

Photo: 29 novembre 2023. L’Amérique Latine se mobilise contre le génocide.

Thierry Deronne, Caracas, le 1 novembre 2023.

Notes :

(1) Lire « le premier acte de politique étrangère du gouvernement Maduro : défendre les droits du peuple palestinien » (2013) https://venezuelainfos.wordpress.com/2013/04/18/premier-acte-de-politique-etrangere-du-gouvernement-maduro-defendre-les-droits-du-peuple-palestinien/

(2) Tweet du président Gustavo Petro avec la vidéo du bombardement au phosphore d’un camp de réfugié(e)s par Israël le 2 novembre 2023 : https://twitter.com/petrogustavo/status/1720060619032809874

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Photos :

Photo 1 et 2. La #Nakba ou l’exode forcé des Palestiniens en 1948, lors de la création de l’État d’Israël. Comprendre comment la Nakba de 1948 a été planifiée en détail et exécutée, et comment le monde n’a pas réagi, permet de comprendre la Nakba actuelle. A l’époque déjà, Israël disait que le nettoyage ethnique de la Palestine compensait l’Holocauste et des siècles d’antisémitisme en Europe.
Le «oui-mais-condamnez-vous-le-Hamas?» est une injonction médiatique qui vise à culpabiliser, sidérer l’interlocuteur pour l’empêcher de s’exprimer et d’agir. Comme l’explique l’historien israélien Ilan Pappe dans son nouveau texte : « La déhistoricisation aide Israël à poursuivre ses politiques génocidaires à Gaza. »
Photo 3 : la dernière photo de Gaza prise par Roshdi Sarraj, un des journalistes palestiniens assassinés par dizaines lors de ce septième génocide commis par l’État d’Israël depuis 2008.
Photo 4 : Fadia, sa femme Nour et leur bébé Fayrouz, trois rires que l’État d’Israël a fait taire à jamais.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/11/01/lamerique-latine-face-au-genocide-du-peuple-palestinien/

Au Brésil, huit pays latino-américains s’engagent à sauver l’Amazonie (déclaration finale intégrale)

« Avancées limitées » (Le Monde), « Sommet en demi-teinte » (Courrier international), « Un sommet qui n’arrêtera pas la déforestation » (Ouest-France) : les médias du Capital, en soulignant des différences internes, voudraient minimiser la portée historique du sommet qui a réuni les 8 et 9 août à Belém (Brésil) les huit pays du Traité de Coopération Amazonienne (OTCA). Pourtant, les cent objectifs de la déclaration finale témoignent d’avancées concrètes (dont une vingtaine sur la lutte contre la déforestation) qui contrastent avec la lettre morte des COP.

Invitée par le président Lula en compagnie des autres mandataires, la vice-Présidente du Venezuela Delcy Rodríguez a d’emblée proposé plusieurs actions : « déforestation zéro » et cartographie des zones critiques, création d’une banque de semences amazoniennes pour préserver la biodiversité, éradication des activités minières illégales, création du Centre de recherche sur l’Amazonie pour préserver la biodiversité, lancement d’un satellite amazonien permettant la protection de la région. Tout en dénonçant « trois graves menaces que nous ne pouvons pas ignorer : la voracité des transnationales pharmaceutiques et alimentaires, l’externalisation des fonctions de l’État aux mains d’ONGs transnationales et les plans de l’OTAN pour garantir la marchandisation de l’Amazonie. », elle a suggéré aux membres du Traité d’expulser les bases militaires des USA/OTAN/UE qui « surveillent » les richesses naturelles de la région. Le Venezuela est un des rares pays à n’être pas occupé par ces bases (7 en Colombie, 5 au Pérou, 2 au Brésil, 2 en Equateur, etc.). Le président Gustavo Petro a proposé une force militaire commune de protection de la région. Les propositions des peuples autochtones et des mouvements sociaux, formulées lors de la rencontre antérieure au sommet des chefs d’État, ont été prises en compte dans la déclaration finale.

Bien sûr, au sein du camp progressiste latino-américain, le débat sur la politique des ressources naturelles reste ouvert (voir par exemple le point de vue de Rafael Correa sur la position de Gustavo Petro). Mais ces points de vue différenciés renforcent la synthèse commune. Les énergies fossiles sont, comme l’a rappelé le président Petro, le moteur séculaire du capitalisme, et comme pour l’économie de la drogue, c’est au consommateur et principal émetteur de CO2 – l’Occident – de transformer ses pratiques. Par ailleurs l’immense dette sociale des peuples latino-américains – héritée du pillage colonial et du néo-libéralisme -, est une priorité pour les gouvernements de gauche. D’où l’importance de nationaliser les ressources naturelles pour financer des politiques visant à combler les énormes déficits d’éducation, d’alimentation, de santé, de logement, etc.. dont souffrent encore des millions de concitoyen(ne)s. Le débat porte en réalité sur la vitesse de sortie des énergies fossiles. Le sommet d’août 2023 – qui se poursuivra en Colombie en 2025 – montre une compréhension générale de la nécessité de sortir de la dépendance pétrolière entre autres, d’avancer vers les sources alternatives d’énergie, de développer la souveraineté alimentaire, etc.. Cette stratégie se concrétise dans une Amérique Latine où les États reprennent force grâce à des gouvernements capables d’écouter les mouvements sociaux. Les mouvements écologistes occidentaux, immergés dans des sociétés de consommation où les gouvernements ne pèsent plus grand-chose face au capitalisme, ne peuvent pour l’heure rêver de ruptures structurelles.

T. D., Caracas, 10 août 2023

Déclaration finale intégrale

Belém, État du Pará.- Avec la décision de mettre en œuvre les 113 objectifs et principes transversaux de la Déclaration de Belém, s’est achevé ce mercredi le Sommet Amazonien qui a réuni les 8 et 9 août les Présidents et hauts représentants des États parties au Traité de Coopération Amazonienne (OTCA).

Les parties s’engagent à éviter le point de non-retour en Amazonie et ratifient l’engagement de la Région à poursuivre le dialogue, afin de sauver le poumon végétal de 7 millions de kilomètres carrés.

En ce sens, les dirigeants des États parties au Traité de coopération amazonienne (OTCA), réunis dans la ville de Belém do Pará, le 9 août 2023,

Conscients de l’urgence du défi de protéger l’intégralité de l’Amazonie, de lutter contre la pauvreté et les inégalités dans la région amazonienne, et dans le but d’unir leurs efforts pour promouvoir un développement durable, harmonieux, global et inclusif dans la région ;

Gardant à l’esprit les résultats des consultations internes menées par les États parties au niveau gouvernemental et avec la société civile de leurs pays respectifs en vue de ce Sommet ;

Convaincus que la coopération, une vision intégrée et une action collective sont essentielles pour relever les défis politiques, sociaux, économiques et environnementaux de la région amazonienne, notamment ceux liés à la crise climatique, à la perte de biodiversité et à la pollution des eaux, des sols, la déforestation et les incendies de forêt, l’augmentation des inégalités, de la pauvreté et de la faim, dans le but d’empêcher l’Amazonie d’atteindre le point de non-retour ;

Déterminés, par conséquent, à relancer et à actualiser l’agenda commun de coopération entre nos pays, adapté aux nouvelles réalités régionales et mondiales, pour garantir la conservation, la protection et la connectivité écosystémique et socioculturelle de l’Amazonie, le développement durable, le bien-être de leurs populations autochtones, avec une attention particulière aux peuples autochtones et aux communautés locales et traditionnelles en situation de vulnérabilité ;

Soulignant le visage humain de l’Amazonie, la centralité des peuples autochtones et des communautés locales et traditionnelles pour la conservation de la biodiversité et des ressources naturelles de la région, la nécessité de garantir le bien-être des populations amazoniennes et la solidarité envers les générations présentes et futures ;

Soulignant l’urgence de convenir d’objectifs communs d’ici 2030 pour lutter contre la déforestation, éradiquer et stopper la progression de l’extraction illégale des ressources naturelles, et promouvoir des approches d’aménagement du territoire et la transition vers des modèles durables avec l’idéal d’atteindre le déboisement zéro dans la Région ;

Réaffirmant les principes de respect de la démocratie, de la dignité des peuples, de l’état de droit, des droits humains, y compris le droit au développement, des droits des peuples autochtones et des communautés locales et traditionnelles, de la justice sociale, de l’autodétermination des peuples et de la souveraineté territoriale, dans le cadre de l’engagement pour le développement durable en Amazonie ;

Réaffirmant les principes de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement et la Déclaration de principes sur les forêts de 1992, de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et l’Accord de Paris, de la Convention sur la diversité biologique (CDB), les protocoles et le Cadre mondial pour la diversité biologique de Kunming-Montréal, la Convention sur la lutte contre la désertification (UNCCD), la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages (CITES), de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, de la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), du document « L’avenir que nous voulons », approuvé par la Conférence des Nations Unies sur le Développement Développement (Rio+20), l’Agenda 2030 et ses Objectifs de Développement Durable, la Convention de Minamata sur le mercure et la Cadre de Sendai pour la réduction des risques et des catastrophes 2015-2030 ;

Prenant note des Lignes directrices pour la protection des peuples autochtones en isolement et en premier contact de la région amazonienne, du Gran Chaco et de la région orientale du Paraguay du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, du rapport sur les peuples autochtones en isolement volontaire et en Contact initial dans les Amériques de la Commission interaméricaine des droits de l’homme de l’OEA, les « Principes et lignes directrices pour les soins de santé des peuples autochtones isolés et en contact initial de l’OTCA et le Cadre stratégique pour la protection des peuples autochtones de l’OTCA en isolement et premier contact ;

Rappelant les Déclarations adoptées lors des précédentes Réunions des Présidents des États parties au Traité de coopération amazonienne tenues en 1989, 1992 et 2009 ;

Soulignant l’importance des réunions des présidents des États parties au Traité de coopération amazonienne en tant que mécanisme politique stratégique pour la prise de décisions et l’adoption de priorités dans le cadre de la coopération amazonienne, et l’opportunité de voir leurs réunions plus régulières, avec une rotation entre les États parties ;

Reconnaissant que des solutions efficaces aux problèmes de la région amazonienne ne peuvent être trouvées qu’avec la participation pleine et effective de ses populations, tant urbaines que rurales, des gouvernements infranationaux, de la société civile, en particulier des peuples autochtones et des communautés locales et traditionnelles, avec une attention particulière aux femmes, les jeunes et les autres acteurs sociaux, conformément à la législation nationale et aux spécificités locales ;

Reconnaissant que les femmes et les enfants sont touchées de manière disproportionnée par les effets néfastes du changement climatique et de la dégradation de l’environnement et que leur participation à la prise de décisions est essentielle pour le développement durable, la promotion de sociétés pacifiques justes et inclusives et l’éradication de la pauvreté sous toutes ses formes et dimensions;

Reconnaissant la centralité de la richesse naturelle et de la diversité culturelle pour la construction de stratégies de développement à moyen et long terme pour la région, conscient de l’importance de protéger ce patrimoine culturel, économique et environnemental, et notant que le respect de la diversité et de l’identité culturelle de chaque communauté joue un rôle fondamental dans la construction d’un avenir durable et harmonieux pour l’Amazonie ;

Reconnaissant la pertinence de l’eau en tant que source de vie dans la région amazonienne et la nécessité de continuer à promouvoir sa gestion durable, dans le cadre des efforts nationaux et régionaux en Amazonie ;

Reconnaissant les interrelations entre l’Amazonie et les autres biomes et régions des États parties, qui lui sont étroitement liées, et la nécessité de préserver ces interrelations pour garantir l’intégrité et l’équilibre de la région amazonienne ;

Constatant l’importance que les pays andins-amazoniens accordent au cycle de l’eau et aux fleuves qui prennent leur source dans la zone andine et qui composent le bassin amazonien ;

Soulignant que l’éradication de la faim, de la pauvreté et de la violence à l’encontre des populations amazoniennes sous toutes ses formes et dimensions, dans le cadre du respect de l’Agenda 2030 et de ses Objectifs de développement durable, est une exigence essentielle pour le développement de la région amazonienne et que le renforcement du multilatéralisme dans les domaines environnemental, social et économico-commercial est un outil important à ces fins;

Condamnant la multiplication des mesures commerciales unilatérales qui, fondées sur des exigences et des normes environnementales, se traduisent par des barrières commerciales et affectent principalement les petits producteurs des pays en développement, la recherche d’un développement durable, la promotion des produits amazoniens, les efforts d’éradication de la pauvreté et la lutter contre la faim et menacer l’intégrité du système commercial international ;

Exhortant les pays développés à remplir leurs obligations de fournir et de mobiliser un soutien prévisible et adéquat aux pays en développement, y compris le financement du développement, le financement climatique et la protection de la biodiversité avec la portée, l’échelle et la rapidité nécessaires et proportionnelles, ainsi que l’accès à la technologie et à ses marchés, et à la construction et au développement des capacités, comme mesures fondamentales de la coopération internationale pour la mise en œuvre des politiques et programmes nationaux pour le développement durable de l’Amazonie ;

Réitérant la promotion et le respect des buts et principes de la Charte des Nations Unies et du droit international, qui promeut le règlement pacifique des différends et un système international fondé sur des relations respectueuses d’amitié et de coopération, exempt de menaces, d’agressions et de mesures coercitives unilatérales des mesures contraires au droit international, dans un environnement de paix, de stabilité et de justice ;

Réaffirmant les principes d’égalité des États et de respect de la souveraineté des pays sur leurs territoires, ainsi que l’objectif de renforcement de la coopération régionale, exprimé dans le Traité de coopération amazonienne signé le 3 juillet 1978, et qui a motivé la création de l’Organisation du Traitéde Coopération Amazonienne (OTCA);

Considérant que certains pays reconnaissent les droits de la nature ou de la Terre Mère dans le cadre de la promotion du développement durable, et expriment la conviction que, pour parvenir à un juste équilibre entre les besoins économiques, sociaux et environnementaux des générations présentes et futures, il est nécessaire promouvoir l’harmonie avec la nature pour bien vivre, et noter l’importance pour certains du concept de « justice climatique » lors de l’adoption de mesures pour lutter contre le changement climatique ;

Prenant note des accords promus par certains ministres des finances, du trésor/de l’économie et de la planification des pays amazoniens pour accélérer les efforts conjoints visant à accroître le financement, partager les connaissances et améliorer la coordination régionale pour le développement durable, en répondant aux priorités des États parties à la région amazonienne ;

Reconnaissant l’indépendance des autres pouvoirs publics existants dans les États parties, et les invitant à envisager les actions pertinentes dans le cadre de leurs attributions pour l’application effective de la présente déclaration ;

Reconnaissant que l’OTCA est le seul organe intergouvernemental de coordination des huit pays amazoniens pour le développement conjoint de projets, d’actions qui produisent des résultats équitables et bénéfiques pour les pays amazoniens, en raison de son institutionnalisation, de sa connaissance approfondie de la région et de l’expérience pertinente de ses Secrétariat permanent dans la coordination du dialogue et la mise en œuvre des initiatives de coopération au développement ;

Notant également que, sur la base de cette coordination, les États parties favoriseront le dialogue, l’échange d’expériences et la coopération avec les pays en développement possédant d’importantes superficies de forêts tropicales dans différentes régions du monde ;

Appréciant l’orientation pragmatique et opérationnelle adoptée par l’OTCA, qui se manifeste dans l’expansion et l’exécution des projets et programmes, et dans les efforts visant à donner de la visibilité à l’agenda de coopération amazonienne dans les débats multilatéraux et régionaux sur les questions liées au développement durable ;

ONT DÉCIDÉ CE QUI SUIT :

Objectifs et principes transversaux pour la mise en œuvre de la Déclaration de Belém

  1. Combiner les efforts, au plus haut niveau, de leurs gouvernements pour faire avancer un nouvel agenda commun de coopération en Amazonie qui est mise en œuvre dans le cadre de l’objectif de développement, de conservation et d’utilisation durables gestion durable de la biodiversité, des forêts et des eaux, action urgente pour éviter le point de non-retour en Amazonie, lutter contre la déforestation et les activités illégales dans la région, la développement économique avec inclusion sociale et génération de revenu et d’emploi, fondés sur des mécanismes de participation sociale, en particulier des peuples autochtones et des communautés locales et traditionnelles, et le renforcement de l’OTCA. En ce sens, Ils respecteront les principes suivants :
  2. a) Participation active et respect et promotion des droits des peuples autochtones et des communautés locales et traditionnelle, avec une attention particulière aux populations en situation de vulnérabilité;
  3. b) La protection et la promotion des droits humains, l’égalité de toutes les personnes, sans distinction de race ou toute autre nature et la lutte contre toutes les formes de discrimination;
  4. c) Égalité des genres, avec participation active et promotion des droits de toutes les femmes, pour leur autonomisation ;
  5. d) Une approche interculturelle et intergénérationnelle qui favorise reconnaissance, respect de l’identité et de la diversité culturelle en Amazonie;
  6. e) La souveraineté de la États, y compris le respect des lois nationales de chaque pays;

Renforcement institutionnel de l’OTCA

  1.        Soutenir fermement le renforcement institutionnel de l’OTCA et l’élargissement de leurs domaines de coordination, de coopération et des moyens de la mise en œuvre comme instrument de développement durable, harmonieuse et inclusive de l’Amazonie et l’amélioration des capacités ressortissants des États parties, par l’échange de biens pratiques, connaissances et politiques publiques, coopération sud-sud et la mobilisation des ressources de la coopération International;
  2. Confier aux ministres de Affaires étrangères la négociation d’un protocole additionnel au Traité de coopération amazonienne instituant la Réunion des Présidents des États parties au traité de coopération Amazonienne en tant qu’instance de prise de décision et d’adoption de priorités politiques stratégiques dans le cadre de l’OTCA. Instruction à exécuter, dans le cadre du processus préparatoires aux réunions présidentielles, réunions qui inviteront les représentants du gouvernement, de l’académie, de la société civile et peuples autochtones et communautés locales et traditionnels, pour identifier d’éventuelles recommandations à examiner par la Réunion des présidents ;
  3. Réactiver les Commissions Spéciales, au niveau ministériel le cas échéant, dans le domaine de l’OTCA, y compris sur (i) l’environnement, (ii) la science et Technologie, (iii) Santé, (iv) Éducation, (v) Affaires autochtones, (vi) Transports, Infrastructures et Communications et (vii) Tourisme, sans préjudice de la mise en place de nouvelles commissions dédiées à d’autres domaines, comme la sécurité publique;
  4. Réactiver et renforcer la bon fonctionnement des commissions nationales permanentes (CONAPER), dans chacun des pays membres, des instances en charge de la l’application sur leurs territoires respectifs des dispositions de l’OTCA, ainsi que l’exécution des décisions adoptées par le réunions des ministres des affaires étrangères et par le Conseil de Coopération Amazonienne, sans préjudice d’autres activités qui qui leur sont confiées par chaque État ;
  5. Mettre en place le mécanisme amazonien des peuples autochtones, pour renforcer et promouvoir le dialogue entre les gouvernements et les peuples autochtones d’Amazonie pour la gestion et la coordination sur les questions qui concernent les peuples autochtones et contribuer aux objectifs de l’OTCA ;
  6. Établir un groupe de travail pour évaluer un mécanisme financier visant à la coopération amazonienne dans le cadre de l’OTCA, qui permet la captation et la capitalisation de ressources non financières remboursables de diverses sources, y compris les contributions volontaires des États parties, moyens de coopération internationales, banques de développement et autres donateurs soutenus par États parties aux fins de financement de projets, programmes, études et autres initiatives de portée nationale et régional, renforcement des capacités humaines et institutionnelles, ainsi que l’échange permanent d’expériences entre les pays Amazoniens;
  7. Institutionnaliser l’Observatoire de la Région Amazonienne (ORA), dans la structure de l’OTCA, et renforcer ses différents modules sur les thématiques économique, social, environnemental et culturel, en tant qu’instrument de veille permanente, consolidation des informations, données et connaissances, approuvées par les États parties, et demander aux différents secteurs de leurs gouvernements à collaborer à travers la fourniture régulière de données et d’informations qui alimentent différents modules ORA. L’OCTA facilitera l’accès à l’ORA et ses différents modules aux États parties et à leurs établissements;
  8. Établir un groupe de travail pour préparer une proposition de modernisation et de renforcement du Secrétariat Permanent de l’OTCA et un nouveau Règlement du Processus de succession, basé sur les travaux antérieurs, afin de renforcer l’institutionnalisation et la gouvernance des Organisation dans ses diverses instances;
  9. reprendre les négociations mise à jour de l’Agenda Stratégique pour la Coopération Amazonienne (ASCA);
  10. Renforcer la coopération pour le développement à travers la constitution d’un Groupe de travail sur la coopération Sud-Sud dans le cadre de l’OTCA pour coordonner, articuler et mieux rationaliser la coopération pour le développement et les activités des organes responsables de la coopération des États parties, en faveur de la région amazonienne, surtout dans ses zones frontalières ;
  11. Renforcer les canaux de communication et l’échange d’expériences entre les programmes la recherche scientifique et l’innovation technologique et ses mécanismes associés dans le cadre de l’OTCA avec d’autres mécanismes similaire international;
  12. Réaffirmer l’engagement à la mise en œuvre de la projets, programmes, études, négociations et autres initiatives en cours, tels que les programmes forestiers, la diversité biologique et le Projet Biomaz, d’Actions Stratégiques pour la Gestion Ressources en eau intégrales et le projet du bassin amazonien, le Protocole d’entente sur la gestion globale des incendies, le Projets Amazonas, aquifères amazoniens, Bioamazonía, Appui à l’élaboration et à la mise en œuvre des AECA, des Plans de Contingence pour la protection de la santé des peuples autochtones Hautement Vulnérables et en Premier Contact, la Plateforme Régionale Amazone des peuples autochtones, Études sur les inégalités et Écarts sociodémographiques et évaluation rapide de la Diversité Biologique et Services Ecosystémiques, l’ORA et la Chambre de la situation des ressources en eau, le Groupe de travail pour la Préparation d’un règlement pour la navigation commerciale dans le fleuves Amazone et, de même, le plan stratégique de santé, le plan de l’Amazonie intégrale et interculturelle et le Plan Régional de l’Eau, Assainissement et déchets solides ;

Villes amazoniennes

  1. Créer le Forum des Villes Amazoniennes, dans le domaine de l’ACTO, pour renforcer la coopération entre les collectivités locales dans les États parties, en particulier les villes des zones frontières pour la mise en œuvre, au niveau local, de l’Agenda 2030 pour le développement durable et ses objectifs de développement durable, le renforcement du leadership des femmes, des dirigeants autochtones et des communautés locales et traditionnelles et la promotion de l’interculturalité, dans laquelle il sera possible d’identifier des propositions d’action pour les principaux défis zones urbaines de l’Amazonie, comme l’accès des populations amazoniennes aux services publics, ainsi que le développement et la mise en œuvre des politiques publiques ;

Parlement amazonien

  1. Établir un groupe de travail de l’OCTA pour faire avancer examen d’un lien institutionnel entre le Parlement amazonien (PARLAMAZ) et l’Organisation ;

Science, éducation et innovation : savoir et entrepreneuriat en Amazonie

  1. Déterminer la création du Panel Technico-scientifique intergouvernemental de l’Amazonie, dans le domaine de l’OCTA, qui réunira chaque année des représentants des États parties, y compris techniciens, scientifiques et chercheurs spécialisés dans la région amazonienne, avec la participation permanente des organisations de la société civile, des peuples autochtones et des communautés locales et traditionnelles, afin de promouvoir le partage des connaissances et des discussions approfondies sur les études, les méthodologies, le suivi et les alternatives pour réduire la déforestation, promouvoir le développement durable et prévenir le déséquilibre environnemental en Amazonie alors qu’elle s’approche d’un point de non retour; le panel favorisera la systématisation de l’information et la préparation de rapports périodiques sur ces sujets prioritaires, en plus d’analyser la dynamique sociale et économique de la région, afin de faciliter la planification des actions préventives et d’identifier les goulots d’étranglement et le potentiel de production scientifique et technologique dans la région amazonienne, avec recommandations aux gouvernements des États parties, sur la en fonction de vos priorités et de vos besoins ;
  2. Promouvoir les échanges sur la conception, la mise à jour et l’articulation de Politiques nationales d’éducation à l’environnement qui garantissent l’intégration de la dimension environnementale dans le cursus des éducation pour la formation de citoyens éthiques et responsables, avec des connaissances, des compétences, des attitudes et comportements en matière de gestion durable de l’environnement, préparés pour prendre des décisions éclairées sur la gestion de l’environnement, respectueux d’eux-mêmes, des autres et de leur environnement;
  3. Promouvoir les réseaux de contacts et articuler les institutions de recherche et d’enseignement de la Région Amazon, y compris les universités autochtones, et celles axées sur l’enseignement professionnel et technologique, et créer des programmes d’action pour la mobilité académique et étudiante en Amazonie, y compris des stages et des bourses, afin de contribuer à la réduction des inégalités, à la prévention des déséquilibres socio-environnementaux, au développement scientifique et technologique, à la génération d’opportunités pour développement professionnel des jeunes de la région et de la renforcement et valorisation des pratiques durables de production et consommation, avec une attention particulière à la promotion de l’interculturalité et la protection des savoirs des peuples autochtones et des communautés locales et traditionnelles ;
  4. Promouvoir et soutenir les programmes la formation et l’échange d’enseignants et de chercheurs de Amazon, à tous les niveaux d’éducation, pour la reconnaissance d’expériences pédagogiques et scientifiques significatives qui permettre la qualification des éducateurs et des acteurs du secteur académique de manière contextualisée ;
  5. Renouer le dialogue et la coopération entre l’OCTA et l’Association des universités Amazonas (UNAMAZ), un espace privilégié pour la gestion des connaissances et informations scientifiques et technologiques de l’Amazonie;
  6. Promouvoir l’élaboration de stratégies, de programmes et de projets pour le développement et le renforcement de la science, de la technologie et de l’innovation dans le région amazonienne dans le cadre de la recherche et l’innovation axées sur la conservation et la reconnaissance de la valeur intrinsèque de la biodiversité et son utilisation durable, s’agissant de la faune, de la flore et du territoire ; promotion du droit humain à l’alimentation; à l’accès à l’énergie; à la santé et à la science pour la paix et le développement, entre autres;
  7. Améliorer les capacités techniques et la technologie pour la planification, la conception et la construction, capture, traitement, validation, analyse, diffusion et l’amélioration continue des informations environnementales et celles liées à la gestion durable de l’eau, qui contribue à la mise en place de actions et stratégies prioritaires à court, moyen et long terme atteindre les objectifs de l’OCTA en termes de suivi et évaluation environnementale et hydrique, conformément l’Agenda 2030 et ses objectifs de développement durable et autres instruments internationaux ratifiés et en vigueur par les États Partie;
  8. Renforcer les modèles de gouvernance nationale pour la génération et la gestion de l’information, favorisant l’interaction et l’interconnexion des acteurs, ce qui permet l’échange d’informations environnementales et la gestion durable de l’eau; combler les lacunes identifiées dans l’accès à l’information et la participation publique dans les décisions environnementales, et partager les leçons apprises entre les États parties ;
  9. Établir le réseau d’innovation et Diffusion technologique de l’Amazonie, dans le but de stimuler le développement régional durable et l’entrepreneuriat basés sur une technologie durable et faciliter la création de solutions à visée environnementale, économique et sociale dans la région. Le Réseau réunira des acteurs des écosystèmes de l’innovation en Amazonie, y compris les peuples autochtones et communautés locales et traditionnelles, et favorisera les rencontres entre agents publics, entreprises locales et startups, en plus d’assurer l’échange de bonnes pratiques entre parcs technologique, universités, instituts de recherche, les incubateurs et accélérateurs, et les agences de promotion commerciale, dans le respect des droits humains et les droits des peuples indigènes. En outre, on facilitera la diffusion de l’esprit d’entreprise auprès des jeunes de la région, à travers des stages spécialisé, avec un accent particulier sur les familles à faible revenu revenu, valorisant les savoirs traditionnels associés à la biodiversité, et on travaillera de manière intégrée avec l’Agenda Stratégique de Coopération Amazonienne (AECA) et un agenda stratégique de développement intégral de la production basée sur l’utilisation durable des ressources de la biodiversité dans les pays amazoniens;
  10. Encourager les récupération, extension et consolidation des infrastructures de la recherche scientifique et technologique en Amazonie, ainsi que stimuler les cours de troisième cycle sur les questions amazoniennes et les programmes de formation coopération internationale pour l’intégration et l’utilisation des mêmes par des chercheurs des États parties, ainsi que renforcer les actions de réduction des inégalités socio-économique, numérique et technologique, notamment dans le cadre des frontières;
  11. Soutenir la mise en œuvre de programmes et initiatives d’assistance technique et de vulgarisation rurale destinés à l’agriculture familiale, aux pêcheurs artisanaux et communautés traditionnelles de la région, en se concentrant sur production alimentaire durable et génération de revenus à travers des espaces commerciaux ;
  12. Promouvoir la création d’un Observatoire des femmes rurales pour l’Amazonie en le cadre de l’ACTO, avec une plate-forme de données interactive et d’autres des outils pour éclairer le développement de stratégies, de projets, programmes et politiques publics pour les femmes qui travaillent dans activités agricoles, forestières et aquicoles, et soutenir la organisation de réseaux de connaissances pour l’entrepreneuriat par une partie des femmes;
  13. Promouvoir la mise en place, dans le cadre du Mécanisme Amazonien des peuples autochtones, d’un forum de peuples et de communautés autochtones et locales et traditionnelles pour partager leurs connaissances, données et informations techniques ancestrales et sciences interculturelles pour l’avancement des technologies appropriée à la préservation et à la durabilité de l’Amazonie dans le domaine de la gestion et de la formulation des politiques publiques ;

Surveillance et coopération dans la gestion des ressources en eau

  1. Promouvoir des actions coordonnées pour garantir le droit humain à l’eau potable et à l’assainissement, équilibre et harmonie avec les écosystèmes liés à l’eau et à ses équilibre sain avec les besoins alimentaires et énergétiques Amazone;
  2. Mettre en place le Réseau des autorités de l’eau des États membres de l’OCTA pour la coopération dans la gestion durable des ressources en eau la région, dans le but d’établir des protocoles régionaux pour le suivi, la coopération et l’entraide dans la gestion des ressources en eau de l’Amazonie par les États parties, pour la revitalisation, conservation et protection des sources de l’eau et ses bassins, de critères et paramètres de la qualité d’eau; et soutenir la mise en œuvre de projets et initiatives régionales sur les eaux de surface et souterraines, planification et coopération dans la gestion durable des ressources en eau, y compris transfrontalières, le renforcement progressif des capacités techniques, technologiques et institutions, l’innovation technologique et dialogue interculturel, en fonction des circonstances nationales, y compris les engagements politique, social et culturel de chaque pays ;
  3. Renforcer la coopération et l’harmonisation des systèmes de surveillance intégrés et alerte hydrométéorologique des États parties pour la l’échange d’expériences, d’informations et de connaissances effectives, et l’amélioration des capacités de suivi grâce à renforcement des réseaux nationaux de surveillance; pour la génération d’alertes pour les risques environnementaux, la santé humaine, catastrophes et événements extrêmes de nature hydrométéorologique pour les populations de l’Amazonie ; pour la planification environnementale, l’élaboration de protocoles et d’actions pour la prévention, la prise en charge et l’atténuation des impacts des catastrophes naturelles ; et pour soutenir la gestion de l’eau comme instrument de prévention, adaptation et atténuation des effets du changement climatique, lutter contre la faim, assurer la qualité et la quantité de l’eau potable le bassin amazonien, pour cette génération et les générations futures ;
  4. Promouvoir le renforcement d’actions de surveillance de la qualité de l’eau destinée à la consommation humaine la région, y compris les études techniques et la recherche discussions scientifiques conjointes, axées sur l’exposition au mercure et autres substances dangereuses dérivées de l’exploitation minière/activité minière à petite et à grande échelle, en particulier celle qui touche les peuples les peuples autochtones et les communautés locales et traditionnelles, et mener à bien les activités de prévention et de remédiation et renforcer les coopération régionale et internationale dans la lutte contre exploitation minière illégale, trafic illicite et autres délits connexes ;

Changement climatique

  1. Souhaiter la bienvenue à la candidature brésilienne soutenue par Grulac pour la célébration de la COP-30 de la Convention Cadre des Nations Unies Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC) à Belém, en Amazonie, en 2025, exprimant sa volonté d’unir ses efforts pour sa pleine réussite et notant que le processus de la COP-28 à la COP-30 sera critique pour l’avenir de la réponse mondiale au changement climat;
  2. Établir un dialogue entre les États parties sur le traitement approprié qui devrait être accordée à l’Amazonie dans le contexte du changement climatique, en vue de travailler à la construction de positions communes des pays Amazoniens sur le sujet dans des déclarations et autres actions dans des forums les institutions financières internationales et multilatérales ;
  3. Exhorter les pays développés à respecter leurs engagements de mise à disposition et de mobilisation des ressources, dont l’objectif de mobiliser 100 milliards dollars par an en financement climatique, pour soutenir les besoins des pays en développement et reconnaissent la nécessité de faire des progrès substantiels dans les délibérations sur nouvel objectif de financement quantifié collectif pour le climatique, pour s’achever en 2024 compte tenu de l’urgence d’augmenter l’action climatique, en tenant compte des besoins et des priorités des pays en développement;
  4. Promouvoir des mécanismes innovants de financement de l’action pour le climat, parmi lesquels pourraient figurer considérer l’échange, par les pays développés, de la dette par l’action climatique ;
  5. Encourager la coordination et échange d’expériences en matière de planification et la mise en œuvre des politiques publiques liées au changement changement climatique, ainsi que la coopération pour canaliser les flux de financement pour la mise en œuvre des actions de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de la déforestation et de la dégradation des forêts. On cherchera à intégrer, dans les dites politiques et actions publiques, des opportunités des emplois et des revenus durables pour les populations locales, avec une attention particulière aux familles à faible revenu, aux femmes, aux peuples autochtones, aux communautés traditionnelles et producteurs de l’agriculture familiale paysanne, selon les réalités locales et en synergie avec les plans et initiatives les ressortissants des pays amazoniens ;
  6. Promouvoir la mise en œuvre de les programmes d’adaptation au changement climatique dans les États parties, favoriser l’accès aux financements extérieurs non remboursables pour réduire la vulnérabilité des peuples et des communautés autochtones locales et traditionnelles, selon les réalités et les plans nationaux ;
  7. Renforcer la coopération entre les institutions scientifiques et universitaires des États parties. Approfondir la compréhension des interrelations entre les changement climatique et écosystèmes forestiers et tourbières de la Région Amazonienne, en vue de favoriser les apports à la prise de décision de politiques publiques liées au changement climat, avec adaptation et résilience, avec reprise ou restauration de la végétation indigène dans les zones déboisées, dégradées ou altérées, avec la conservation des forêts, avec la gestion durable des forêts et avec la transition vers de nouvelles formes de production et de consommation durables, suivant la plans nationaux;
  8. Systématiser, échanger et mettre disponibles, dans le cadre de l’action pour le climat, des technologies et des stratégies pour consolider et améliorer les systèmes agroforestiers et d’autres pratiques agricoles liées à la gestion la foresterie durable, y compris l’agriculture familiale ou paysanne, sur la base de plans nationaux;
  9. Renforcer le leadership et la participation de toutes les femmes, des peuples autochtones et les jeunes dans les forums et espaces décisionnels; approfondir et construire des propositions qui les transforment en acteurs des solutions climatiques, et créer un espace de débat discussion intersectionnelle sur le genre, les cultures, l’ethnicité et le climat pour participer au débat sur la construction et la mise en œuvre de politiques publiques d’adaptation dans les États Parties, en coordination avec les plans nationaux ;
  10. Créer un espace de dialogue sur les perspectives communes concernant la mise en œuvre de l’article 6.8 d’approches non fondées sur le marché, y compris la possibilité d’établir un mécanisme conjoint pour la Gestion Intégrale et Durable des Forêts, dans le cadre de la décision 16/CP.21 de la CCNUCC, présentant les expériences concrètes des pays, favorisant la recherche de ressources financières pour la coopération à cette fin;
  11. Renforcer la participation de la perspective amazonienne dans la Plateforme des Communautés Locales et peuples autochtones de la Convention-cadre des Nations Unies sur Changement climatique, en coordination avec le Mécanisme amazonien pour les Peuples indigènes;
  12. Garantir les droits des peuples autochtones et communautés locales et traditionnelles en accord avec les différentes cadres réglementaires des États parties et notamment à travers l’application, le suivi, la notification et la vérification des garanties sociales et environnementales ;

Protection des forêts, des zones côtières amazoniennes, des écosystèmes vulnérables et de la biodiversité

  1. Créer l’Alliance Amazonienne de lutte contre la déforestation entre les États parties, promouvoir la coopération régionale dans la lutte contre déforestation, afin d’empêcher l’Amazonie d’atteindre le point de non-retour, en reconnaissant et promouvant le respect des objectifs nationaux, y compris ceux de la déforestation zéro, pour l’élimination de l’exploitation forestière illégale, le renforcement de l’application de la législation forestière des États parties, de la gestion durable des forêts, de la gestion intégrée pour la réduction des incendies de forêt, le rétablissement et l’augmentation des réserves de végétation indigène grâce à des incitations et des instruments financiers et non financiers et autres pour la conservation et la gestion durable des forêts, la promotion de la connectivité des écosystèmes, l’échange de technologies, expériences et informations pour faciliter les actions de prévention, suivi et contrôle, y compris la promotion de bureaux régionaux pour l’appui au contrôle forestier, la fourniture de programmes de formation pour les gestionnaires de zone et les gardes des aires protégées et le renforcement des écosystèmes amazoniens faire face aux impacts du changement climatique ;
  2. Assurer et activer conformément aux engagements pris au niveau multilatéral, la protection de nos zones terrestres et de nos eaux continentales et marines et les zones côtières, qui revêtent une importance particulière pour la biodiversité, développer la fourniture de fonctions/services écosystémiques, efficacement conservés et protégés en tant qu’unités de conservation, reconnaître et respecter les droits des peuples peuples autochtones et communautés locales, y compris sur leurs territoires traditionnel;
  3. Garantir les droits de peuples autochtones, communautés locales et traditionnelles, y compris le droit aux territoires et terres habités par les dits peuples, en pleine et effective possession, compte tenu de la connaissance et pratiques de conservation ancestrales, notamment par les processus de définition, de délimitation ou de démarcation, et titrage de leurs territoires et terres, conformément aux différents cadres réglementaires nationaux, ainsi que le développement de politiques autochtones de gestion territoriale et environnementale, condition essentielle pour la conservation de la biodiversité ;
  4. Établir, dans le cadre de l’OCTA, le réseau amazonien des autorités forestières pour renforcer la mise en œuvre du Programme Forêt OCTA et des actions pertinentes dans le cadre de l’agenda de coopération stratégique amazonienne, en vue d’améliorer la gestion des forêts et capacités locales, échanger des avancées technologiques, établir des projets de développement durable et favoriser l’accès au financement des dits projets, entre autres ;
  5. Promouvoir, dans le cadre du Programme des Forêts de l’OCTA, l’échange de bonnes pratiques sur les cadres réglementaires nationaux pour l’environnement liées à la régularisation des usages du sol, renforcer les mécanismes de planification et de gestion du territoire, favoriser la reconnaissance des terres et territoires des peuples autochtones et des communautés locales et traditions, y compris leur contribution aux efforts des conservation;
  6. Approfondir la coopération dans la gestion des risques et des catastrophes, en particulier pour faire face aux inondations, aux sécheresses intenses et aux incendies foresterie, avec une coordination dans les différents domaines de la réponse d’urgence des systèmes nationaux de protection civile et coopération humanitaire conformément à la demande de l’État où se produisent ces phénomènes;
  7. Développer une stratégie commune pour prévenir et atténuer les effets du phénomène du « Niño » en Amazonie, conformément aux lois ressortissants des États parties recommandant à l’OCTA d’explorer l’échange d’informations scientifiques avec des entités organisations internationales telles que la Commission permanente du Pacifique Sud (CPPS) et le Centre international d’investigation du phénomène d’El Niño (CIIFEN);
  8. Approfondir la coopération et les actions conjointes dans le cadre du protocole d’accord de coopération et d’assistance mutuelle pour une gestion globale des incendies entre les États parties, pour faire face aux incendies forestiers, par le développement de politiques, d’instruments, actions techniques, et utilisation de l’innovation et de la technologie, visant à la prévention, la maîtrise des incendies, la promotion d’alternatives à l’utilisation du feu dans les zones rurales, et le renforcement des capacités techniques, scientifiques et institutionnel, ainsi que communautaires;
  9. Renforcer la cartographie et le suivi des les zones dégradées, contaminées ou altérées et identifier les zones prioritaires pour la restauration et/ou la récupération du écosystèmes, en mettant l’accent sur la végétation indigène, avec l’objectif promouvoir des activités économiques durables, favoriser la gestion forestière durable et contribuer à la durabilité, à la productivité et la résilience des systèmes productifs locaux ;
  10. Promouvoir les opportunités d’emploi lié au développement durable et la génération de revenus pour les populations locales programmes et projets, y compris ceux des accords conclus par les États parties et la coopération internationale, visant à protéger les forêts, la biodiversité, la restauration et la récupération des zones dégradées;
  11. Unir les efforts pour créer un fonds destiné à financer des programmes de promotion de la gestion intégrale et durable et la valeur ajoutée des produits de forêts et biodiversité et la reconversion socio-professionnelle pour les acteurs sociaux, paysans et agriculteurs, pour leur participation aux efforts de conservation des écosystèmes, réduire la déforestation et la dégradation des forêts et des sols et les incendies de forêt et la perte de biodiversité, avec participation active des peuples et communautés autochtones locale;
  12. Prise en charge de l’identification, la reconnaissance, le maintien et la pérennité des plans et des gestion conservatrice des zones d’agrobiodiversité et de systèmes agricoles traditionnels de l’Amazonie, sauvant l’expérience du Programme International des Systèmes Importants du Patrimoine agricole mondial (GIAHS), créé par l’Organisation des l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) par l’intermédiaire de l’État et/ou des coopérateurs qui établissent des fonds pour leur maintien et leur pérennité ;
  13. Renforcer la conservation et gestion durable des écosystèmes des eaux intérieures et marines et côtières et leurs ressources, compte tenu de leurs fonctions écologique, les usages multiples et les modes de vie des communautés local et traditionnel, notamment grâce à la synergie entre les initiatives nationales et régionales pour la conservation et l’utilisation biodiversité durable des écosystèmes aquatiques de la Région amazonienne, y compris la mise en œuvre du Plan de Conservation (CMP) des dauphins du fleuve Amazone, adopté par les membres de la Commission baleinière internationale;
  14. Promouvoir la gestion participative et la durabilité de la pêche artisanale, renforçant la coordination des mesures communautaires et collectives de planification, ainsi que le suivi des réserves de pêche et la qualité du poisson, avec une attention particulière à la contamination par les activités économiques et les rejets de déchets, y compris de l’exploitation minière illégale;
  15. Promouvoir des actions pour le conservation et gestion des espèces menacées dans la Région Amazonienne, favoriser la veille et encourager les levées de fonds pour ces initiatives ;
  16. Créer un groupe de travail, dans le cadre de l’OCTA, destiné à l’intégration et à l’harmonisation des Systèmes Nationaux de Accès et partage des avantages (APA) des pays amazoniens, pour une utilisation durable du patrimoine de la génétique et des savoirs traditionnels associés aux processus de recherche, développement et innovation de produits et procédés exploités commercialement en vertu de la Convention sur la diversité biologique, du protocole de Nagoya et de la législation des États parties, ainsi que le dialogue et l’échange de positions sur l’agenda des ressources génétiques et savoirs traditionnels associés (APA) dans différents forums multilatéraux;

Coopération policière, judiciaire et de renseignement dans la lutte contre les activités illégales, y compris les délits environnementaux

  1. Renforcer et étendre la coopération policière et de renseignement pour la prévention, la répression et l’investigation des activités illégales, y compris les crimes environnementaux et les violations des droits des activistes des droits humains, des droits des peuples autochtones et les droits socio-environnementaux, qui affectent la Région Amazonienne, par l’échange d’informations, intelligence, expériences, les recherches et la coordination des opérations et la formation des ressources humaines, entre autres actions, toujours dans le respect de la protection des la biodiversité et les droits des peuples autochtones et communautés locales et traditionnelles, compte tenu notamment d’accords internationaux applicables; promouvoir, dans le cadre de l’OCTA, des discussions techniques entre représentants gouvernementaux, dans le but d’identifier les domaines prioritaires pour la coopération;
  2. De plus, est nécessaire une coopération efficace des pays concernés pour lutter contre le trafic illicite des espèces et produits amazoniens, y compris les espèces endémiques, les semences et les produits indigènes dérivés de l’exploitation illégale des minerais et des crimes s’y rapportant, conformément à la législation des pays d’origine, afin d’empêcher l’entrée et de décourager la demande de ces produits sur les marchés de consommation ;
  3. Développer la coopération régionale et intersectorielle : entre les acteurs en termes de contrôle administratif des contraventions, enquête et les poursuites judiciaires pour les délits environnementaux et connexes ; y compris l’échange d’informations, le renforcement de capacités de renseignement, l’élaboration de lignes directrices d’action en vue d’harmoniser la législation et d’élaborer des protocoles d’action complets et communs pour prévenir et enquêter et poursuivre les dits crimes qui affectent la déforestation et perte de biodiversité en Amazonie et menacent les droits des générations présentes et futures, les peuples autochtones et les communautés locales et traditionnelles ;
  4. Travailler conjointement à la mise en place d’actions pour éradiquer l’exploitation l’exploitation minière illégale et les crimes connexes, y compris le blanchiment d’argent actifs, notamment ceux liés à l’échange de informations sur le commerce et la contrebande de mercure et autres métaux lourds et l’harmonisation des politiques publiques pour leur réglementation et contrôle;
  5. Accueillir le futur création du Centre de coopération policière internationale de l’Amazonie, dont le siège se trouvera à Manaus, et qui s’articulera avec les instances et autorités de chaque État partie, pour l’échange d’information, le renseignement et le développement des enquêtes, alertes et activités de formation pour renforcer coopération régionale et aider à l’éradication des activités illicites, y compris les crimes environnementaux et connexes ;
  6. Lancer un processus de dialogue pour la création d’un système intégré de contrôle du trafic aérien entre les États parties, à coordonner avec les instances et autorités nationales compétentes, en vue de collaborer à la surveillance du trafic aérien illicite et la lutte contre le trafic de drogue et d’autres crimes connexes, la déforestation et l’exploitation illégale des ressources naturelles dans la région amazonienne ;
  7. Prendre note, avec satisfaction, de la proposition de convocation d’une réunion des ministres et autorités en matière de la sécurité publique des États parties à effectuer en Colombie, afin d’évaluer la situation actuelle des phénomènes des groupes criminels et du crime organisé transnational en Amazonie et promouvoir l’échange d’informations et la coopération policière et renseignement, pour lutter contre les activités illégales et les crimes qui affectent les conditions environnementales de la région amazonienne ;

Infrastructures durables

  1. Renforcer les politiques de relations publiques, coopération et dialogue ouvert sur l’intégration des normes de durabilité dans la planification du territoire et l’exécution de projets d’infrastructure dans la région amazonienne, compte tenu de ses enjeux environnementaux, sociaux et économiques directes et indirectes, en harmonie avec la conservation des écosystèmes, des paysages, des fonctions et services environnementaux et écosystèmes associés, en consultation et en mettant dûment l’accent sur les droits humains en relation des communautés affectées, y compris les peuples autochtones et les communautés locales et traditionnel, dès la phase de planification, conformément aux législations nationales respectives;
  2. Approfondir la coopération, afin de favoriser l’inclusion technologique, la réduction des écarts technologies numériques et formation, le développement durable, l’accompagnement et la surveillance environnementale, y compris en matière réglementaire pour la cartographie conjointe des infrastructures et de la demande de connectivité ; la promotion de nouveaux points d’interconnexion ; la coordination sur l’utilisation des bandes de fréquences ; et la certification/homologation des équipements utilisés pour la la protection du public, pour les secours en cas de catastrophe, pour la sécurité, pour la télédétection et pour les télécommunications par satellite;
  3. Approfondir les initiatives existantes pour intégrer et renforcer les réseaux électriques des communautes isolées dans les États parties, ainsi que d’identifier de nouveaux projets de production et interconnexion d’électricité et nouveaux modèles énergétiques propres, afin de favoriser l’accès à l’énergie, la sécurité l’énergie, le développement durable et l’intégration des région, en vue de tirer pleinement parti des complémentarités des différentes ressources de chaque pays ;

L’économie du développement durable

  1. Promouvoir l’innovation de technologies pour la durabilité, dans les chaînes productives de agriculture, élevage, pêche et aquaculture, foresterie, agroforesterie, agriculture familiale et autres domaines prioritaires, grâce à la gestion intégrée des forêts sur pied et l’utilisation durable des ressources naturelles, la génération de connaissances, la valorisation des zones dégradées, la promotion des pratiques agricoles durables et de l’agroécologie, reconnaître les savoirs et les pratiques de production agriculture traditionnelle, les autres approches innovantes, systèmes agricoles une production aquicole plus durable, la production et l’utilisation de les énergies renouvelables, la promotion de l’économie circulaire, la amélioration des systèmes agroalimentaires et de la sécurité alimentaire des populations amazoniennes, conformément aux lois et les mécanismes de suivi existants dans les territoires amazoniens respectifs ;
  2. Encourager et renforcer les études géochimiques du sol de la région amazonienne et de ses ressources hydrographiques afin de développer les instruments de zonage des risques agroécologiques et climatiques, pour définir les zones propices aux activités productives et leur échelle, profitant de la nécessité de renforcer la durabilité dans la région amazonienne et de récupérer les zones dégradées, contenir la déforestation dans les zones sensibles et renforcer la conservation de la biodiversité ;
  3. Développer, dans lecadre de l’Agenda stratégique de l’OCTA pour la coopération en Amazonie, un agenda stratégique pour le développement intégral de la production basée sur l’utilisation durable des ressources de la biodiversité en Amazonie, promouvoir un modèle de développement économique équitable et éthique, générant des produits, processus et services basés sur l’utilisation durable des ressources biologiques en particulier de la biodiversité, et la connaissance de la science, l’innovation, technologies, les savoirs ancestraux et traditionnels, en particulier des peuples autochtones et des communautés locales et traditionnelles, ainsi que des politiques de promotion et de consolidation de la recherche, du développement, de l’innovation et de la production basées sur l’utilisation durable de biodiversité des pays amazoniens et les connaissances traditionnelles associées;
  4. Établir, dans le cadre de cet agenda, un programme de filières productives pour l’utilisation durable de la biodiversité en faveur des peuples et des communautés autochtones locales et traditionnelles fondées, entre autres, sur l’objectif de la la gestion forestière et la récupération des forêts, pour cartographier ces chaînes de production, avec la protection et la reconnaissance des valeur de leurs pratiques et connaissances, avec génération de revenus et promotion de leur qualité de vie et de l’environnement, formation et renforcement des organisations productives desdites communes et les communautés, le développement et le partage de technologies pour donner une plus grande valeur ajoutée, la promotion de stratégies commerciales équitable et reconnaissance des services/fonctions environnementaux et de l’échange de bonnes pratiques de production d’une manière complémentaire aux activités des programmes forestiers et de Diversité Biologique de l’OCTA;
  5. Préparer un programme de promotion conjointe des produits et services d’Amazonie et produits compatibles avec la durabilité des forêts dans le marché international, pour ajouter de la valeur aux produits et promouvoir les initiatives pour améliorer la qualité des produits et la qualification des producteurs des peuples autochtones et de la communautés locales et traditionnelles, collecteurs et organismes communautaires, comme les associations et les coopératives des agriculteurs familiaux et les communautés riveraines, à travers des agences de promotion commerciale et autres organismes et entités des États parties, avec l’appui de la coopération Internationale;
  6. Agir en coordination avec les partenaires et des organisations internationales, en particulier l’Office Mondial des Douanes (OMD), dans le but de faciliter, lorsquec’est nécessaire, l’enregistrement des produits amazoniens dans le système de désignation et de codage harmonisés des marchandises ;
  7. Instaurer un dialogue pour développement d’un cadre de coopération régionale dans les domaines de certification et valorisation des produits amazoniens et d’incitations à la reconnaissance des services/fonctions environnementaux et écosystèmes;
  8. Promouvoir les investissements conjoints dans des activités et des réseaux régionaux de recherche et d’innovation permettre le développement de nouvelles solutions et technologies, le sauvetage des savoirs et savoirs traditionnels, afin d’élargir les possibilités de création de richesses associées à l’utilisation la conservation durable et forestière sur le territoire amazonien ;
  9. Amorcer un dialogue entre États parties sur la durabilité de secteurs tels que l’exploitation minière et des hydrocarbures en Amazonie, dans le cadre de l’Agenda 2030 pour le Développement Durable et ses politiques nationales souverains;
  10. Promouvoir le développement du tourisme durable, et surtout les typologies et morphologies plus associés à la région, tels que le tourisme de nature, culturel, autochtone, régénérateur, communautaire et agro-écotourisme, comme l’un des vecteurs du développement durable de la Région Amazonienne, afin de proposer, entre autres avantages, des alternatives de revenus, y compris par la formation et l’amélioration des services de voyage;
  11. Prendre des mesures urgentes pour concilier les activités économiques dans le but d’éliminer les la pollution de l’air, du sol et de l’eau, en mettant l’accent sur les fleuves amazoniens, en vue de protéger la santé humaine et l’environnement. Accueillir le leadership des pays Amazoniens à la présidence du Comité intergouvernemental de Négociation sur un instrument international juridiquement contraignant pour mettre fin à la pollution plastique, un instrument qui envisage une approche de l’ensemble du cycle de vie des plastiques et qui comprenne des moyens de mise en œuvre suffisants pour les pays en développement, basés sur la science. À cet égard, les États parties s’engagent à contribuer à l’élaboration d’un accord ambitieux, ainsi qu’à l’adoption de politiques publiques qui prennent en compte l’ensemble du cycle de vie des plastiques, en particulier liées à la production durable et au renforcement de la gestion sûre des déchets, la recyclabilité des matériaux et la pérennité des filières de recyclage produits, reconnaissant le rôle important joué par recycleurs et autres travailleurs de ces filières, les systèmes de connaissances traditionnelles indigènes, en plus de promouvoir des solutions durables qui n’aggravent pas les pressions déjà existantes sur l’Amazonie, ni créent de nouveaux impacts négatifs ;
  12. Inviter les banques de développement des États parties qui opèrent dans la région amazonienne à travailler de manière intégrée et concertée dans le développement durable du région par la formation et l’annonce d’une Coalition Verte, qui promeut des solutions financières conformes avec la programmation des États parties, pour, dans le respect des spécificités locales et régionales, créer et améliorer les activités productives locales et promouvoir la viabilité des entreprises socialement, écologiquement et économiquement durable. Accompagnement financier de projets publics et privés qui adhèrent aux objectifs de la Coalition et qui permettront de structurer et soutenir des alternatives économiques durables, inclusives, avec la création locale d’opportunités d’emploi et de revenu, en particulier pour les familles à faible revenu. Les solutions financières proposées doivent utiliser les ressources de catalyseurs publics et privés pour favoriser la réduction des risques et promouvoir la participation du secteur privé, avec l’objectif d’élargir et d’accélérer le développement durable de la région;
  13. Échanger des informations sur les actions menées par les États parties pour obtenir un financement non remboursable bilatéraux ou multilatéraux pour le développement durable et, lorsque c’est nécessaire, articuler les dites actions en faveur des projets groupés en Amazonie à mettre en œuvre par l’OCTA ;

Santé

  1. Promouvoir des systèmes universels de santé avec une approche interculturelle qui garantisse l’accès et réponde aux caractéristiques du territoire et des populations de la région amazonienne, avec un accent particulier sur les besoins des femmes;
  2. Promouvoir des actions et des services pour la connaissance et la détection des changements des déterminants sociaux et environnementaux qui interfèrent avec la santé considérant l’approche d’une Santé Unique, dans le but de recommander et adopter des mesures de promotion de la santé, de prévention et surveillance des facteurs de risque liés à la maladie ou problèmes de santé;
  3. Coopérer pour le développement et la mise en œuvre des plans nationaux de santé pour les peuples autochtones et communautés locales et traditionnelles, pour éliminer les obstacles persistants à l’accès aux services de santé, respectant le droit à une consultation préalable et éclairée et renforcer la participation sociale dans la construction d’actions, programmes et politiques destinés à ces populations ;
  4. Promouvoir la diffusion auprès des fournisseurs des pays amazoniens d’appels pour acquisitions et achats de technologies et de produits de santé, ainsi que des produits de médecine traditionnelle avec enregistrement sanitaire, dans le respect des cadres réglementaires nationaux, contribuant au développement durable;
  5. Améliorer les performances des programmes et institutions de santé publique environnementale, en donnant la priorité aux communautés et aux villes respectueuses de l’environnement durable et résilient, et promouvoir les études sur la santé épidémiologiques environnementales et générer des programmes d’intervention pour celles qui privilégient l’incidence des déterminants sociaux et de santé environnementale des peuples autochtones;
  6. Renforcer, dans le cadre de l’OCTA, les programmes et plans de contingence pour la protection des la santé des peuples autochtones très vulnérables et en contact initial ou en condition de dispersion géographique, visant à créer un contexte favorable à l’atténuation des menaces des pandémies et des maladies tropicales endémiques et maladies émergentes, réémergentes et associées à des maladies impacts du changement climatique;
  7. Développer la coopération dans le domaine de la santé en Amazonie, avec une attention particulière aux actions de la santé à la frontière et aux populations qui y vivent, à travers des actions communes pour la santé et la nutrition des peuples autochtones et des communautés locales et traditions, en mettant l’accent sur le respect de la culture et des habitudes alimentaires des peuples, avec une attention particulière à la santé des femmes, la lutte contre la malnutrition chronique enfants, la lutte contre le VIH/SIDA, tuberculose, hépatite virale, parasitose, paludisme, dengue, zika, chikungunya, maladies tropicales négligées et autres maladies, en proposant des actions de coopération humanitaire pour la santé et l’élargissement de la couverture vaccinale. Cette coopération comprendra une formation pour les peuples et les communautés autochtones locales et traditionnelles pour le développement de thérapies de réadaptation en cas d’invalidité et la gestion de la douleur, entre autres des mesures;
  8. Engager un processus de dialogue en vue de développer un système régional de surveillance épidémiologique et solliciter l’appui du Secrétariat Permanent de l’OCTA pour la coordination des États parties à cet égard ;
  9. Renforcer les actions de surveillance sanitaire des populations exposées aux produits chimiques notamment le mercure, les déchets dangereux et la pollution par les plastiques et la surveillance de la qualité de l’air face aux polluants atmosphériques en Amazonie, en favorisant l’échange d’expériences pour atténuer les risques et les impacts négatifs sur la santé humaine et la qualité de l’environnement, compte tenu des engagements assumés par les pays amazoniens dans les conventions, traités et accords internationaux sur le mercure, produits chimiques, déchets dangereux, pollution atmosphérique et plastiques;
  10. Promouvoir l’articulation des systèmes de médecine occidentale ou allopathique avec la médecine ancestrale ou traditionnelle, en respectant les connaissances des personnes qui pratiquent et promeuvent une approche globale et holistique basée sur réalité des peuples indigènes de l’Amazonie ;

Sécurité et souveraineté alimentaire et nutritionnelle

  1. Coordonner les actions pour la sécurité et la souveraineté alimentaires et nutritionnelles, conformément à la législation applicable et les accords internationaux, privilégiant les systèmes productifs traditionnels, familiaux et communautés, améliorant le flux et la qualité des produits dérivés des forêts, de la biodiversité et de l’agriculture sur le marché région amazonienne et sa présence internationale, y compris l’accès et la diffusion des technologies;
  2. Lancer un processus de dialogue pour l’élaboration d’une stratégie amazonienne de sécurité et de souveraineté alimentaire et nutritionnelle, avec une attention particulière à la production, disponibilité, approvisionnement et accès aux aliments issus de la biodiversité amazonienne, où la lutte contre la malnutrition chronique infantile soit prioritaire;
  3. Solliciter le soutien du Secrétariat Permanent de l’OCTA pour l’organisation d’événements et d’initiatives visant à promouvoir l’échange d’expériences et la collaboration en matière de sécurité et souveraineté alimentaire et nutritionnelle, assistance technique et vulgarisation rurale, notamment pour promouvoir les systèmes de la production alimentaire basée sur l’agriculture traditionnelle, l’agriculture, l’aquiculture familiale et la pêche artisanale, en mettant l’accent sur les produits et les particularités de la région. Ces actions doivent tenir compte des défis et des solutions spécifiques pour garantir la dignité, la subsistance et le droit à une alimentation adéquate, en particulier pour les peuples autochtones, communautés et populations traditionnelles pauvres dans les centres urbains de la région, en ce qui concerne leurs particularités culturelles, en vue de promouvoir une alimentation adéquate et saine et prévenir de multiples formes de malnutrition;

Protection sociale

  1. Envisager la protection sociale comme une politique comportant une approche interculturelle structurante pour la préservation du bien-être, des manières, des projets de vie et des coexistence sociale de la population amazonienne ;
  2. Coopérer au développement commun de technologies de connectivité et de soutien mutuel, coordonné et programmées, pour faciliter l’accès aux localités isolées par les eaux et les airs, à des fins sociales;
  3. Développer et partager des modalités de service qui identifient et traitent les phénomènes de vulnérabilité de communautés spécifiques, en reconnaissant le besoin de participation pleine et effective de ces populations aux processus de prise de décision, en cherchant la reconnaissance de leurs particularités et éviter les impacts négatifs sur leurs modes de vie ;

Droits de l’homme et participation sociale

  1. Mener des politiques les gouvernements sectoriels, y compris les gouvernements infranationaux, afin de prendre des mesures pour assurer la pleine, efficace, participation des peuples autochtones, des populations urbaines et des communautés locales et traditionnelles de la région amazonienne dans les processus de prise de décision et d’élaboration des politiques publiques, conformément à leur législation nationale, la Convention 169 de l’OIT, la Convention sur la diversité biologique et la Déclaration des Nations Unies sur les droits de peuples autochtones, la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des paysans et des autres personnes qui travaillent dans le zones rurales, notamment des protocoles de consultation gratuite, préalablement informée, pour les peuples autochtones;
  2. Promouvoir des actions pour protéger et garantir les droits humains des peuples autochtones et des droits collectifs sur leurs territoires et les terres situées dans le région amazonienne, en particulier les peuples autochtones en isolement et en premier contact, et renforcer les moyens politiques disponibles et publiques adaptées à cette région ;
  3. Prendre des mesures pour prévenir et éviter les impacts négatifs des projets d’infrastructures sur les terres et territoires autochtones et traditionnels et pour sauver et valoriser la diversité des pratiques, des savoirs traditionnels, ancestrales, et cosmovisions des peuples les communautés autochtones et locales et traditionnelles ;
  4. Renforcer la coopération pour la prévention de la violence basée sur le genre, la misogynie et le racisme dans la Région Amazonienne, sous toutes ses formes et dimensions, et avec l’intégration de la promotion et de la protection des droits des personnes afrodescendantes, des enfants et des femmes, comme thème transversal aux actions de conservation, restauration, gestion et utilisation durable de la biodiversité;
  5. Mettre en place des mesures pour assurer un environnement sûr et favorable dans lequel les personnes, groupes et organisations qui promeuvent et défendent les droits humains, l’environnement, les terres, les territoires et les ressources de les peuples autochtones et les droits culturels, peuvent agir sans subir de racisme, de violence, de discrimination, de menaces et d’insécurité, en promouvant des actions pour garantir le plus haut niveau de santé physique et mentale des défenseurs des droits humains et des victimes de violences sur le territoire où ils exercent leurs activités, sur la base des lois de les États parties ;
  6. Promouvoir, dans le cadre de l’OCTA, la création d’un Observatoire sur la situation des défenseurs des droits humains et des droits des peuples autochtones et questions environnementales en Amazonie, en vue de promouvoir l’échange de expériences et la coopération entre les États parties et d’identifier méthodologies, sources de financement et meilleures pratiques pour les activités de protection ;

Reconnaissance des cultures amazoniennes

  1. Promouvoir la conservation, revitalisation et reconnaissance des expressions culturelles amazoniennes, en particulier les langues et cultures indigènes, notamment dans le cadre de la Décennie internationale des langues des peuples autochtones de l’UNESCO, en encourageant la collaboration entre les États parties et soutenir les initiatives qui favorisent l’échange de connaissances et expériences;
  2. Promouvoir et soutenir, dans le cadre de l’OCTA, les réunions de promoteurs et de gestionnaires de la culture de la région amazonienne, pour stimuler le dialogue entre les agents culturels et institutionnels, en renforçant la compréhension collective des cultures de l’Amazonie en tant que patrimoine commun et avec la possibilité d’organiser des activités culturelles communes, de génération de revenus et d’inclusion sociale;
  3. Coopérer pour la construction de politiques nationales et autorités régionales visant à garantir la protection et l’utilisation respectueuse et digne du savoir des peuples autochtones et des communautés locales et traditionnelles habitant la région amazonienne;

Coopération diplomatique

  1. Permettre, à travers le Ministères des Affaires étrangères, que les Ambassades et Missions des États parties accrédités auprès des organisations internationales et des pays donateurs puissent, le cas échéant, échanger des informations et coordonner les actions sur des questions d’intérêt pour les États parties liés à l’OCTA et à la coopération amazonienne Négociations internationales;
  2. Confier à l’OCTA, un suivi régulier et alterné entre les différents États parties, de nouvelles éditions de cours sur la diplomatie amazonienne pour les jeunes diplomates des États membres de l’OCTA, pour promouvoir le dialogue et la coopération dans un domaine d’importance stratégique pour les académies diplomatiques ou équivalentes dans la région, et saluer le première édition, organisée par le Gouvernement du Brésil, dans le cadre de ce Sommet;

Mise en œuvre de la Déclaration de Belém

  1. Charger l’Assemblée de Ministres des affaires étrangères du traité de coopération Amazon (OTCA), d’adopter les mesures correspondant à la mise en œuvre et l’intégration progressive des actions de cette Déclaration, avec un calendrier prévisionnel, des délais et des moyens de mise en œuvre,mettant au point dès que possible les méthodes de travail de l’organisation et la prochaine version de l’Agenda Stratégique ;
  2. Accueillir la Rencontre Techno-Scientifique de l’Amazonie (Leticia, 5 au 8 juillet 2023) et les Dialogues Amazoniens (Belém, 4 au 6 août 2023), auxquels ont participé les représentants de différents secteurs des sociétés des États parties, et prendre note de leurs conclusions, qui seront également examinées par la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’OTCA pour décider de leur mise en œuvre progressive et de leur incorporation dans les cadres de travail de l’Organisation;
  3. Remercier l’offre du Président de la République de Colombie de convoquer et d’organiser la Vème Réunion des présidents des États parties au traité de coopération amazonienne au mois d’Août 2025.

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Europe – Amérique latine : retrouvailles au Sommet, par Maurice Lemoine (MEDELU)

Bruxelles, 16 juillet 2023. Réunis pour deux jours, vingt-sept dirigeants européens, trente-trois latino-américains. Discours d’ouverture du Premier ministre de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Ralph Gonsalves, en sa qualité de président pro tempore de la Communauté des Etats latino-américains et caraïbes (CELAC) : « Nous devons améliorer la situation pour tous, avec un multilatéralisme respectant le droit international et suivant les préceptes de la paix et du développement durable. » Suit le président en exercice du Conseil de l’Union européenne, le chef du gouvernement espagnol Pedro Sánchez : « Aujourd’hui, plus que jamais, nous devons renouveler notre confiance commune dans les valeurs du multilatéralisme. » S’extrayant un instant de sa principale préoccupation – faire nommer une Américaine proche des GAFAM [1], Fiona Scott Morton, à la tête de la très stratégique direction générale de la concurrence de la Commission européenne –, la présidente de la dite Commission, l’atlantiste Ursula von der Leyen, y va de son appréciation : « Nous sommes alliés pour renforcer l’ordre international fondé sur des règles, pour défendre la démocratie, les droits de l’homme et la paix. Nous avons intérêt à renforcer notre partenariat politique. »

Voilà. Tout le monde semble d’accord. Le Sommet Union Européenne-CELAC peut commencer.

Huit années que les deux organismes intergouvernementaux ne se sont pas retrouvés. De multiples causes : outre la crise du Covid, qui n’a pas favorisé les contacts, un relatif désintérêt de la « vieille Europe » pour ses partenaires de l’autre bord, la quasi-désagrégation de l’organisme latino-américain, auxquels se sont ajoutés, en 2017, un désaccord concernant la participation du Venezuela.

Née officiellement à Caracas les 2 et 3 décembre 2011, à l’initiative de la première vague des chefs d’Etat de gauche désireux de s’émanciper de l’influence pesante de Washington – Hugo Chávez (Venezuela), Luis Inácio Lula da Silva (Brésil), Rafael Correa (Equateur), Evo Morales (Bolivie), Néstor et Cristina Kirchner (Argentine), etc. –, le mécanisme d’intégration régionale qu’est la CELAC n’en a pas moins eu pour premier président pro tempore le conservateur chilien Sebastián Piñera. Le 28 janvier 2013, et pour une année, le cubain Raúl Castro lui succéda. Dans l’idée de ses créateurs, les divergences idéologiques devaient s’effacer devant la concertation politique et la coopération sociale et culturelle des trente-trois pays continentaux et insulaires de la région – sans les États-Unis ni le Canada.

Revenue un temps et majoritairement au pouvoir, la droite – Enrique Peña Nieto (Mexique), Mauricio Macri (Argentine), Pedro Pablo Kuczynski (Pérou), Lenín Moreno (Equateur), Jair Bolsonaro (Brésil), Iván Duque (Colombie), etc. – n’a eu de cesse que de détruire cet instrument en voie de concurrencer, voire supplanter, l’Organisation des Etats américains (OEA) si chère aux amis de la Maison-Blanche et du Département d’Etat. La création en août 2017 du Groupe de Lima, chargé par Washington des basses besognes dans la déstabilisation de la République bolivarienne du Venezuela, marqua le paroxysme de cette séquence de… désintégration de l’intégration [2].

Élection après élection, à commencer par la mexicaine et l’argentine, le vent a tourné. Le Groupe de Lima n’a pas survécu à ses turpitudes, au changement politique régional et à la solide résistance du président vénézuélien Nicolás Maduro. L’organisation par le mexicain Andrés Manuel López Obrador (AMLO) d’un VIe Sommet en octobre 2021 a marqué la résurrection d’une CELAC que, au cours des quatre années précédentes, beaucoup avaient prématurément enterrée. Le retour au pouvoir de Lula au Brésil et de Luis Arce en Bolivie (après un coup d’Etat s’étendant sur une année), l’arrivée de Gustavo Petro en Colombie, de Xiomara Castro au Honduras et (d’une façon moins affirmée) de Gabriel Boric au Chili n’ont fait que redonner du souffle au vieux rêve de l’émancipation. Que n’a jamais abandonné la « troïka de la résistance » (Cuba, Nicaragua, Venezuela).

Dans un contexte géopolitique chahuté par les crises en cascade, le ralentissement de la croissance des économies et du commerce, l’augmentation des niveaux d’inégalité ainsi qu’une destruction de l’environnement aux conséquences potentiellement catastrophiques se sont exacerbés. « Les impacts socio-économiques de la pandémie de Covid-19 et du conflit en Ukraine ont confirmé qu’aucun pays, région ou continent ne peut relever seul les défis du développement durable », a noté la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL) [3].

Pour faire face aux défis, les pays développés amorcent de nouvelles politiques industrielles, technologiques et environnementales – Pacte vert en Europe, CHIPS and Science Act et Inflation Reduction Act aux Etats-Unis – qui, inévitablement, auront un fort impact sur la compétitivité mondiale et ses conséquences sociales. Dans ce contexte, note toujours la CEPAL, « il est essentiel d’éviter d’aggraver les asymétries technologiques qui peuvent avoir de graves conséquences liées au retard de production et de revenu des économies en développement. Il sera donc essentiel d’explorer les possibilités pour l’Amérique latine et les Caraïbes de s’associer à ces politiques par le biais d’investissements et d’autres mécanismes de collaboration ».

Montée en puissance de la Chine et conflit OTAN-Russie sur le territoire ukrainien : l’Union européenne, en ce qui la concerne, doit revoir et/ou renforcer ses filières d’approvisionnement en matières premières et en minéraux stratégiques. Après l’avoir négligé, sauf pour appuyer les forces conservatrices et leur mentor Donald Trump ligués contre le Venezuela, l’UE redécouvre donc l’ensemble latino-américain. Et la CELAC. Laquelle a retrouvé tout son poids lorsque le Brésil de Lula l’a réintégrée – Bolsonaro l’en ayant retiré en 2020.

En octobre 2022, à Buenos Aires, une réunion bi-régionale des ministres des Affaires étrangères marqua la volonté commune de rétablir les liens et d’organiser un sommet. Quelque peu en difficulté dans son pays face à un Parti populaire (PP ; droite) « dans une bonne dynamique », Pedro Sánchez souhaitait faire de ce conclave l’événement phare de la présidence espagnole du Conseil de l’UE. De ce fait, il jeta tout son poids afin de convaincre Lula et Petro de ne pas déléguer leurs ministres des Affaires étrangères, mais de se déplacer personnellement, pour donner un maximum de brillant à la réunion qu’il co-présiderait.

Au-delà des sourires de circonstance, les relations ne sont pas particulièrement au beau fixe entre européens et « latinos ». L’UE a perdu chez ces derniers de son influence. Si elle est le premier investisseur dans cette partie du monde – 35 % des investissements étrangers directe (IED) –, elle n’est que son troisième partenaire commercial après la Chine et les Etats-Unis. Toutes tendances politiques confondues, les économies latino-américaines se sont en effet largement tournées vers la Chine, devenue le premier partenaire commercial de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Chili, de Cuba, du Paraguay, du Pérou, de l’Uruguay, et le deuxième de la plupart des autres pays [4]. De 10 milliards de dollars en 2000, la valeur des échanges est passée à 485,7 milliards de dollars en 2022.

Sur le grand échiquier des relations internationales, les BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud – sont beaucoup plus « tendance » au sein des gauches continentales que l’UE et les Etats-Unis. A l’occasion du dernier sommet des BRICS, l’ex-présidente brésilienne Dilma Rousseff est devenue présidente de leur Nouvelle Banque de Développement (NBD). Pour la seule Amérique latine, l’Argentine, Cuba, le Mexique, le Nicaragua et le Venezuela ont exprimé le souhait de rejoindre l’alliance, qui pourrait à terme devenir « BRICS+ » [5].

Une rude concurrence pour Bruxelles (et Washington, cela va de soi). Qui ne doit rien au hasard. Car, confie un brésilien de São Paulo à Jana Puglierin, directrice à Berlin du bureau du Conseil européen des relations extérieures, « quand les Américains viennent au Brésil, ils veulent parler de la Chine. Quand viennent les Chinois, ils parlent de développement [6].  »

Le nombre des Européens qui eux aussi font le déplacement a augmenté de façon considérable ces derniers temps. Le Haut représentant pour les affaires étrangères Josep Borrell en Argentine et en Uruguay (octobre 2022), puis à Cuba (juin 2023). Le chancelier fédéral Olaf Scholz et le président allemand Frank-Walter Steinmeier au Brésil en janvier dernier. La cheffe de leur diplomatie, Annalena Baerbock, au Brésil, en Colombie et au Panamá, du 4 au 9 juin. Ursula von der Leyen au Brésil, en Argentine, au Chili et au Mexique quasiment au même moment.

Chacune de ces visites permet de percevoir dans quelle direction souffle ostensiblement le vent. A Brasilia, Baerbock propose une relation plus étroite, sous réserve d’un changement de position à l’égard de la guerre en Ukraine et de Pékin. A Buenos Aires, Von der Leyen signe avec Alberto Fernández un protocole d’accord sur les matières premières, et notamment le lithium – dont la demande en Europe « sera multipliée par 12 d’ici 2030 », précise la présidente de la Commission. Un métal essentiel pour la stratégie de décarbonation de l’UE, qui, entre autres mesures, a prévu d’interdire la vente de voitures neuves à moteur thermique à partir de 2035. Sachant que 56 % (au moins) des ressources en lithium de la planète se trouvent dans le triangle formé par la Bolivie (première réserve mondiale), l’Argentine et le Chili. Et que la Bolivie, non seulement a nationalisé le secteur à travers l’entreprise publique Yacimientos de Litio Bolivianos (YLB), mais, ulcérée par l’appui implicite et explicite des Etats-Unis et de l’UE au coup d’Etat mené contre Evo Morales en novembre 2019 [7], vient de signer en juin un accord d’association avec une entreprise russe (Uranium One Group JSC, filiale de Rosatom) et un groupe chinois (Citic Guoan) pour l’extraction et l’industrialisation du nouveau métal précieux.

En préparant le Sommet, l’UE a donc en tête quelques objectifs bien précis. Aborder, bien entendu, tous les grands sujets inhérents à ce type de rassemblement : droits de l’homme, démocratie, réchauffement climatique, environnement, développement, coopérations multiples, etc. Mais aussi faire sortir les « latinos » de l’ « insupportable neutralité » qu’ils observent quant au conflit ukrainien et signer, après des années d’atermoiements, le traité de libre-échange UE-Mercosur (Marché commun du sud : Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay). Ce qui très vite, et malgré l’opération de séduction entreprise, va se révéler moins aisé qu’espéré.

Premier accroc d’importance, en amont du Sommet : l’Ukraine.

Le 2 mars 2022, lors de l’Assemblée générale des Nations unies réunie en urgence du fait du blocage du Conseil de sécurité (où la Russie dispose d’un droit de veto), la quasi totalité des pays latino-américains ont voté la résolution qui « déplore dans les termes les plus énergiques l’agression commise par la Fédération de Russie contre l’Ukraine en violation du paragraphe 4 de l’Article 2 de la Charte [de l’ONU] »  ; qui « exige également que la Fédération de Russie retire immédiatement, complètement et sans condition toutes ses forces militaires du territoire ukrainien à l’intérieur des frontières internationalement reconnues du pays [8]  ».

Si la Bolivie, Cuba et le Nicaragua se sont abstenus, si le Venezuela n’a pu s’exprimer (il n’a plus le droit de vote du fait d’arriérés de paiement), personne n’a voté contre. Compte tenu de leur histoire, le paragraphe 4 de l’Article 2 de la Charte dit « quelque chose » à ces pays : « Tous les Etats sont tenus de s’abstenir, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies, et de régler leurs différends internationaux par des moyens pacifiques. » En y faisant référence, ils ne pensent pas qu’à la Russie !

Ultérieurement, au sein des gauches latinas de gouvernement, nul n’appuiera l’invasion de l’Ukraine, mais nul ne « condamnera » Moscou (à l’exception du Chili). Nul n’acceptera de livrer des armes, fussent-elles très anciennes, à Kiev ; d’isoler diplomatiquement ou d’infliger des sanctions à la Russie. Les relations avec le Kremlin sont généralement bonnes. Et bien peu, lorsqu’ils analysent les origines du conflit, considèrent l’OTAN comme une colombe de la paix [9].

Aussi, le rejet est-il brutal lorsque la CELAC découvre que, sans l’avoir en rien consultée, Pedro Sánchez a invité Volodomyr Zelensky au Sommet. En mai 2022, déjà, le président Lula avait exprimé son sentiment au sujet de ce dernier : «  [Zelensky] est à la télévision le matin, le midi et le soir. Il est au Parlement britannique, au Parlement allemand, au Parlement français, au Parlement italien (…). Il veut la guerre. S’il ne la voulait pas, il aurait négocié un peu plus [10].  » En position de force au sein de la CELAC, les pairs de Lula partagent cette opinion. La réaction est telle que, sous pression à son tour, l’Union européenne doit annuler l’invitation.

Deuxième couac précédant l’atterrissage des délégations à Bruxelles : le Mercosur.

Quatre pays fondateurs : l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay. Des hauts, des bas, des réussites somme toute modestes. Deux partenaires dans l’antichambre : la Bolivie, au processus d’adhésion inachevé ; le Venezuela, intégré depuis 2012, mais suspendu en décembre 2017 du fait des tensions entre Caracas et les gouvernements néolibéraux. Avec l’UE, vingt années de négociations pour réduire les droits de douane et stimuler les échanges commerciaux ! En attendant mieux, le Mercosur exporte déjà vers l’Europe des productions agricoles, minérales et énergétiques ; l’UE expédie en retour des marchandises à contenu technologique et à haute valeur ajoutée.

Les deux blocs représentent ensemble environ 25 % de l’économie mondiale et un marché de 780 millions de personnes. Malgré les réticences de quelques pays européens tels que l’Autriche, la Belgique, la France, l’Irlande et les Pays-Bas, un accord a été présenté comme « finalisé » en juin 2019. Il a toutefois été mis en suspens. S’ils l’appuyaient à 100 % dans sa participation active à la destruction du Venezuela, les dirigeants de l’UE ne tenaient pas trop à apparaître sur la photo aux côtés d’un Jair Bolsonaro qui, en même temps, massacrait l’Amazonie.

Exit Bolsonaro. « Il serait bon que l’accord commercial soit signé avant la fin de l’année [2023] », a pressé Von der Leyen. Patatras ! Voici que Lula et l’argentin Alberto Fernández ruent dans les brancards. A l’accord de 2019, l’UE a ajouté en mars 2023 un strict « protocole additionnel » – la « side letter » – dont les normes environnementales (déforestation, pesticides, OGM) posent des conditions drastiques à l’entrée en Europe des produits latino-américains.

Nouvelle, l’approche européenne ne peut être purement et simplement rejetée. Elle est d’ailleurs jugée encore trop laxiste par l’ensemble des mouvements altermondialistes et des partis écologistes, qui, depuis les années 1990, contestent l’existence même de ce type de Traité de libre commerce (TLC). En mettant en avant quelques exemples emblématiques pour expliciter leur position. Ainsi : menée dans huit pays européens, dont la France, une enquête sur les citrons verts importés du Brésil publiée en avril 2023 montre que des produits phytosanitaires toxiques, pour certains non autorisés dans l’UE, sont exportés par les firmes de cette même UE vers le Brésil et reviennent en boomerang à leur point de départ, sous forme de résidus dans les denrées alimentaires – dont les citrons en question [11].

De même, il n’est pas scandaleux pour un pays comme la France, mais pas que lui, de vouloir protéger ses agriculteurs, déjà en forte difficulté et sommés de se reconvertir dans le « durable », du déferlement prévu de 99 000 tonnes de viande de bœuf supplémentaires par an, de 180 000 tonnes de volailles (et de 180 000 tonnes de sucre) – avec l’impact environnemental entraîné par la circulation transatlantique de tels chargements [12].

Toutefois, le fameux « protocole additionnel » reste en travers de la gorge des dirigeants de l’autre rive. En vertu d’un règlement « contre la déforestation » voté le 19 avril 2023 par les parlementaires européens, l’huile de palme, le bétail, le soja, le café, le cacao, le bois, le caoutchouc, ainsi que leurs produits dérivés, ne pourront plus être vendus dans l’UE à partir de 2026, s’ils proviennent de terres déboisées ou dégradées. Fort bien. Un Lula peut très bien comprendre ce type de nécessité. Sous ses précédents mandats (2004-2012), il est parvenu à passer de 30 000 km² défrichés par an à 5000 km², grâce à un contrôle renforcé. Après que, sous Bolsonaro, la déforestation moyenne annuelle ait grimpé de 75 % par rapport à la décennie précédente, Lula, depuis son retour au pouvoir, s’est engagé à respecter l’Accord de Paris [13] et a présenté un nouveau plan de lutte très ambitieux pour protéger l’Amazonie. Malgré les résistances d’un Congrès au sein duquel il ne dispose pas de la majorité, il a publiquement affirmé vouloir faire du Brésil un exemple mondial en réduisant ses émissions de gaz à effet de serre et en mettant fin à la déforestation illégale d’ici 2030. Et voici que l’UE « exige » un « objectif intermédiaire » de réduction de la déforestation d’au moins 50 % par rapport aux niveaux actuels jusqu’en… 2025 (c’est-à-dire demain). Et voici que l’UE « ordonne » que soit assuré « un développement durable et une transformation rurale inclusive », qu’elle est elle-même incapable de mettre en œuvre sur son propre territoire. Le tout, sous peine de sanctions !

Attitude insupportable, s’emportent tant l’Argentine que le Brésil. « Entre partenaires stratégiques, il doit y avoir une prémisse de confiance mutuelle et non de méfiance et de sanctions », ajoute Lula, qui préside le Mercosur. Employé à outrance par les Etats-Unis et l’UE, le concept de « sanction » ne passe plus chez des « latinos » excédés. Et il passe d’autant moins que, dans l’accord tel qu’ainsi modifié, les ambiguïtés ne manquent pas. Ainsi, note le ministre argentin des Affaires étrangères Santiago Cafiero, « si le Mercosur libère les droits de douane pour 95 % des exportations européennes de produits agricoles, l’UE ne libère que 82 % des importations agricoles en provenance du Mercosur et n’offre que des quotas ou des préférences fixes pour la plupart des autres produits ». Sachant que, pour les rubriques telles que le bœuf, la volaille, le miel, le fromage, le maïs et l’éthanol, ces futurs quotas permanents seraient inférieurs aux présentes exportations du Mercosur. « Ce qui signifie que, si cet accord est mis en œuvre, nous devrons réduire ce que nous exportons à l’heure actuelle ! » Et que, le critère des contingentements « ne s’applique pas dans le sens inverse : les biens industriels importés de l’UE ne sont soumis à aucun quota [14]. » Car, bien entendu, l’une des exigences de l’UE est d’avoir accès aux marchés publics des pays impliqués. Et de concurrencer sans entraves les industries locales, en particulier argentines et brésiliennes, les plus performantes du bloc. Sans parler des moyennes entreprises. « Le Brésil ne peut pas renoncer à son droit de se réindustrialiser. L’Argentine ne peut pas renoncer à être un pays doté d’une industrie forte. Un accord doit être bénéfique pour tout le monde », conclue Lula. Qui annonce avant même de quitter Brasilia : non acceptable en l’état, cet accord devra être renégocié [15].

Troisième motif de fort agacement, de l’autre côté de l’Atlantique : sous l’influence du Parti populaire européen (PPE ; droite de droite), aligné sur la politique hostile des Etats-Unis, le Parlement européen donne un très mauvais signal en se livrant à une véritable provocation. Le 12 juillet, sur la base d’un débat tenu le 13 juin en son sein, il condamne « les atteintes systématiques aux droits de l’homme à Cuba » (359 « pour », 226 « contre », 50 abstentions), réclame des sanctions contre le président Miguel Diaz-Canel et invite l’UE à « suspendre immédiatement le dialogue politique et l’accord de coopération » en cours avec La Havane.

Le lendemain, ce même Parlement s’en prend au Venezuela et, sur la base d’éléments très contestables, invite les participants au prochain sommet UE-CELAC « à publier une déclaration exigeant le plein respect des droits de l’homme, de la démocratie et des libertés fondamentales ». Dans le même élan, les eurodéputés réactionnaires mènent campagne pour que la République bolivarienne soit exclue du dit Sommet et que, s’il se présente à Bruxelles, le président Maduro soit « immédiatement détenu ».

Pour faire bonne mesure, les latino-américains découvrent enfin que, parallèlement à la célébration officielle, un forum « Société civile, jeunesse et autorités locales » est organisé par le Forum Policy of Development (plate-forme multipartite soutenue par la Commission européenne) et la Fondation UE-ALC (organisation intergouvernementale) dans la plus totale opacité et sans qu’ils aient été invités à donner leur avis sur le choix des mouvements et autres ONG appelés à y participer.

Compte tenu de ces précédents, il n’y a pas eu de véritable surprise dans le déroulement du Sommet [16]. En surface, aucun clash. Beaucoup de poignées de main. Suivant qui observait ou commentait la scène, des ondes de rage ou de jubilation ironique ont flotté lorsque Delcy Rodriguez, vice-présidente de l’ex-paria vénézuélien, a posé tout sourire pour la photo officielle entre Pedro Sánchez, Charles Michel et Ursula von der Leyen. Ensuite, chacun a continué à jouer sa partition [17]. La question du changement climatique, de ses effets et des mesures qu’il impose a été présente dans presque toutes les interventions. Par avance, lors de la cérémonie d’ouverture, le président du Conseil européen Charles Michel a parfaitement résumé la vision commune et très politiquement bienséante des chefs d’Etat et responsables politiques de l’UE : « Nous partageons des racines, des valeurs et une culture communes ainsi que des liens économiques et sociaux étroits. Et nous sommes une force puissante au sein de l’Assemblée générale des Nations unies, pour défendre la démocratie, le multilatéralisme et les droits de l’homme. » Sans oublier le récurent : « Tous les pays de notre planète doivent être en sécurité. C’est pourquoi nous ne pouvons pas laisser la Russie parvenir à ses fins. Ce serait un désastre pour le multilatéralisme et notre système fondé sur des règles. »

Côté latino, indépendamment des différences notables entre gouvernements de gauche et pouvoirs de droite, on a beaucoup entendu ce type de considération : « Nous ne pouvons pas et ne voulons pas maintenir le paradigme centre-périphérie. Nous refusons de continuer à être les fournisseurs de matières premières essentielles et de main-d’œuvre peu qualifiée aux salaires les plus bas » (Alicia Bárcenas, ministre mexicaine des Affaires étrangères). Ou encore : « L’Amérique latine et les Caraïbes ne sont plus l’arrière-cour des Etats-Unis. Nous ne sommes pas non plus d’anciennes colonies qui ont besoin de conseils, et nous n’accepterons pas d’être traités comme de simples fournisseurs de matières premières » (Diaz-Canel, président cubain). Très en pointe sur le sujet, Petro a plaidé pour « un premier Plan Marshall climatique à l’échelle mondiale ».

Toutefois, même les révoltés ont eu de bonnes manières. Rien qui ne risque, en apparence, de faire capoter la rencontre. On s’est raccompagnés, au terme des réunions, avec force tapes dans le dos.

Le Sommet s’est achevé le 18 juillet par une déclaration en 41 points dont plusieurs liés à la lutte contre le changement climatique, à l’environnement, à la promotion des énergies renouvelables, à la réforme du système financier international, à la santé publique et à l’éducation. Des accords bilatéraux ont été signés par l’UE avec le Chili (matières premières critiques, dont lithium), avec l’Argentine et l’Uruguay (énergies renouvelables). Au terme du raout, non sans un zeste d’ironie, Lula constatera : « J’ai rarement vu autant d’intérêt politique et économique des pays de l’Union européenne envers l’Amérique latine. Peut-être en raison du différend entre les Etats-Unis et la Chine. Peut-être en raison des investissements chinois en Afrique et en Amérique latine. Peut-être pour la nouvelle route de la soie. Peut-être à cause de la guerre. Le fait concret est que l’Union européenne a montré beaucoup d’intérêt à investir à nouveau en Amérique latine, annonçant un investissement de 45 milliards d’euros dans la prochaine période. »

Avec en arrière-fond la concurrence des « Nouvelles routes de la soie », la stratégie « Global Gateway » (« Passerelle mondiale ») : Von der Leyen vient effectivement d’annoncer 45 milliards d’euros d’investissement dans des projets d’infrastructure et des partenariats économiques jusqu’en 2027 (voir l’encadré en fin d’article). Tout en accueillant l’annonce avec intérêt et sympathie, les latinos demeurent prudents, pour ne pas dire circonspects. « En 2009, rappelle Ralph Gonsalves, on parlait déjà d’un fonds d’un milliard de dollars pour atténuer le changement climatique et rien ne s’est encore produit. » Un prochain sommet devant se tenir en Colombie dans deux ans, l’actuel président de la CELAC a complété : « On se retrouvera en 2025 et on verra bien si nous avons reçu l’argent d’ici là ! »

Comme en témoignera le même Gonsalves, la rédaction du communiqué final, en coulisse, loin des projecteurs, n’a pas été de tout repos : « Tout le monde n’a pas obtenu ce qu’il souhaitait dans la déclaration. Il y a eu des désaccords comme on s’y attendait, mais nous y sommes parvenus. Des sujets comme le financement de la lutte contre le changement climatique, la réforme de l’architecture financière mondiale ou le développement social inclusif. D’autres issus de notre histoire et qui laissent encore des traces comme l’esclavage ou la traite des esclaves… »

Il fallait s’y attendre. L’UE a fait de l’Ukraine l’alpha et l’oméga de sa politique extérieure. Un mois avant le Sommet, elle a fait parvenir à la CELAC un projet de déclaration finale mettant Moscou au ban des accusés. En réponse, les latinos et les caribéens ont renvoyé une contre-proposition supprimant tous les paragraphes sur le soutien à Kiev. Sans doute agacés par l’insistance des euro-atlantistes, ils ont introduit dans le texte un sujet les concernant de beaucoup plus près : « La nécessité de prendre des mesures appropriées pour restaurer la dignité des victimes [de la traite transatlantique des esclaves africains], y compris des réparations et des indemnisations ». Puis ils ont refusé la présence de Zelensky.

La rencontre débute. Non sans une certaine arrogance à l’égard de leurs interlocuteurs, dont ils connaissent désormais parfaitement la position, les Européens remettent le couvert. « Nous ne pouvons pas faire de ce sommet UE-CELAC un sommet sur l’Ukraine, doit réagir d’emblée Ralph Gonsalves, observant que la question « a été et continue d’être abordée dans d’autres forums plus pertinents ». Cause toujours… Le bras de fer continue. L’UE entend que, dans le communiqué final, les participants « condamnent fermement » la Fédération de Russie. Les latinos ne cèdent pas. « Il ne fait aucun doute qu’il y a une invasion impérialiste de l’Ukraine, a déclaré Petro dans sa première intervention, mais comment appelez-vous celle de l’Irak, de la Libye ou de la Syrie ? Pourquoi cette invasion provoque-t-elle cette réaction et pas les précédentes de ce siècle ? Ne vaudrait-il pas mieux travailler sur un concept général qui empêche quiconque d’envahir un autre pays ? »

La CELAC impose finalement un texte très succinct qui mentionne « une profonde préoccupation concernant la guerre en cours contre l’Ukraine », sans mentionner Moscou. Suivi, aux antipodes de l’approche guerrière maximaliste européenne, du credo d’une région qui se veut Zone de paix : « Nous soutenons la nécessité d’une paix juste et durable et les efforts en vue d’une solution diplomatique. »

Grand classique : en fonction de ses penchants, chaque média ou réseau social qui s’empare du paragraphe le rapporte à sa façon. Pour les uns, la profonde préoccupation exprimée concerne «  la guerre en cours en Ukraine ». Pour les autres, c’est «  la guerre en cours contre l’Ukraine ». Si l’on s’en réfère aux versions officielles en anglais – « We express deep concern on the ongoing war against Ukraine [18]… » – et en espagnol – « Expresamos nuestra profunda preocupación por la guerra en curso contra Ucrania [19] » –, c’est bien l’expression « guerre contre l’Ukraine » qui est employée.

Un point, malgré les reculs qu’ils ont dû concéder, pour les Européens.

Insuffisant ! Dans son habituel numéro de bon élève qui « fait de la lèche » pour s’attirer un sourire de la maîtresse, le président chilien « de gauche » Gabriel Boric fustige ses pairs latinos pour s’être opposés à une condamnation de Moscou. Par la même occasion, il s’en prend une nouvelle fois au Nicaragua, au Venezuela et à Cuba, qu’il considère comme des « dictatures ». Toutefois, s’agissant de l’île, il se rallie courageusement aux 185 pays sur 189 qui, en 2022, pour la vingt-troisième fois, à l’Assemblée générale des Nations unies, ont condamné le blocus auquel la soumettent Etats-Unis. Il critique même les sanctions appliquées par Washington au Venezuela, non pour leur caractère injuste, mais parce qu’elles « n’apportent rien ».

Plutôt indulgent antérieurement lors d’une situation similaire, Lula, cette fois, réagit. Attribuant les critiques de Boric à un criant déficit d’expérience – « Le manque d’habitude de participer à ces réunions rend peut-être un jeune plus assoiffé, plus pressé » –, il souligne : « Nous savons tous ce que pense l’Europe, nous savons tous ce qui se passe entre l’Ukraine et la Russie. Nous savons tous ce que pense l’Amérique latine. Je ne suis pas obligé d’être d’accord avec Boric, c’est sa vision. »

Considéré avec une suspicion croissante par les gauches latino-américaines, Boric, fort heureusement pour lui, se fait de nouveaux amis : « Concernant mon entretien avec Emmanuel Macron, va-t-il confier au quotidien Le Monde (25 juillet), nous avons discuté, notamment, des valeurs que nous partageons et de la manière dont nous pouvons lutter pour faire triompher la démocratie et les droits humains. » D’après la presse allemande, par son alignement sur la droite latina et l’UE, Boric « a sauvé le Sommet ».

Autre blocage prévisible : « Nous prenons note des travaux en cours entre l’UE et le Mercosur », se contente de pointer le communiqué final. Par rapport aux prémices, les positions n’ont pas évolué pas pendant le Sommet. Là encore, Lula résume la situation : « Nous allons devoir apprendre qu’en matière de négociation, nous n’obtenons pas tout ce que nous voulons, mais que nous ne cédons pas non plus sur tout ce que l’autre partie veut. Nous nous mettons d’accord sur ce qui est possible. C’est ce que je suis prêt à faire, c’est ce que le Mercosur est prêt à faire et c’est ce qui se passera. »

Il est de bon ton de dire que de tels sommets n’accouchent que de souris. Dans le cas présent, ce n’est que partiellement vrai. Côté UE, on a repris langue avec une partie du monde que, multilatéralisme oblige, il serait néfaste de négliger et dont il serait absurde d’être exclu. Côté latino-américain et caraïbe, on note avec satisfaction la tonalité de la déclaration finale. Il n’est pas si fréquent qu’un conclave tenu avec les Eurocrates rappelle la résolution de l’ONU enjoignant la levée du blocus imposé à Cuba ; critique le maintien de l’île, par Washington, sur la liste des Etats soutenant le terrorisme ; s’oppose aux lois extraterritoriales ; désigne les pays latinos et caraïbes comme appartenant à une Zone de paix ; réaffirme les principes de souveraineté, d’autodétermination, de non-intervention dans les affaires qui relèvent principalement de la compétence nationale des Etats et de non-recours, dans les relations internationales, à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ; revient sur le soutien sans réserve au processus de paix en Colombie et, notamment, à la mise en œuvre intégrale de l’accord de paix de 2016 conclu entre le gouvernement colombien et les FARC-EP ; évoque une réforme du système financier international ; offre « une victoire diplomatique historique » à Buenos Aires, d’après le président Alberto Fernández, en mentionnant l’appui historique de la CELAC « sur la question de la souveraineté des Iles Malouines » occupées par la Grande-Bretagne et revendiquées par l’Argentine. « Merci, le Brexit », sourient les latino-américains…
Seul un pays n’a pas signé ce communiqué final : le Nicaragua. En cause, le point 15, sur la « guerre contre l’Ukraine ». Mais aussi le fait que les Européens ont mis leur veto sur deux des propositions de Managua. La première : une mise en cause des sanctions contre Cuba, le Venezuela et le Nicaragua. Si l’exigence d’une levée du blocus contre Cuba a bien été retenue, note Managua, « ils n’ont pas accepté de mettre le Venezuela ni le Nicaragua. » Pas plus qu’il n’a été demandé aux Etats-Unis, comme le souhaitaient les sandinistes, de respecter la sentence de la Cour Internationale de Justice de La Haye (27 juin 1986) et d’indemniser (17 milliards de dollars) le Nicaragua pour les « actes de terrorisme » (activités militaires et paramilitaires) commis contre lui par Washington dans les années 1980.

Pour mémoire, on notera qu’à l’ombre du Sommet, s’est déroulée une réunion sur la crise au Venezuela. Y participaient la vice-présidente Delcy Rodríguez et le représentant d’une partie de l’opposition Gerardo Blyde, mais aussi les présidents Macron, Lula, Petro, Fernández, ainsi que le Haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères Josep Borrell. De cette rencontre qui a prôné « une négociation politique débouchant sur l’organisation d’élections équitables pour tous », s’accompagnant d’une « levée des sanctions » (sans préciser quand), on notera que, quand bien même elle serait portée par les meilleures intentions, elle demeure un chapelet de vœux pieux dans la mesure où le seul pays susceptible de lever les dites sanctions, les Etats-Unis, en était totalement absent et s’en désintéresse complètement.
Si l’on excepte la reconnaissance de Delcy Rodríguez comme vice-présidente légitime de la République bolivarienne, une victoire pour Caracas, le seul résultat tangible de l’événement est donc que les participants feront à nouveau « le point » lors du Forum de Paris sur la Paix du 11 novembre 2023.
On ne pourrait que se féliciter de l’implication croissante du président Macron dans une « tentative de résolution de la crise vénézuélienne » si, alors qu’il prônait une négociation saine et respectueuse face à Delcy Rodríguez et aux présidents de gauche latino-américains, il n’avait chaudement félicité Gabriel Boric, lors d’une rencontre à Paris, le 21 juillet, pour sa condamnation des atteintes aux droits de l’Homme au… Venezuela. Ce n’est plus du « en même temps », c’est du « je joue cyniquement sur tous les tableaux ».

De façon aussi symbolique que significative, un certain nombre de chefs d’Etat – Miguel Díaz Canel, Gustavo Petro, Luis Arce –, une vice-présidente – Delcy Rodríguez – et deux ministres des Affaires étrangères – Alicia Bárcena (Mexique), Iván Gil (Venezuela) – sont passés à un moment ou à un autre, et en particulier lors de sa clôture, à la « Cumbre de los Pueblos » (Sommet des Peuples). Ce chaud Forum a été organisé, également à Bruxelles, à l’initiative d’une centaine de collectifs, organisations populaires et sociales ainsi que partis politiques latino-américains et européens – représentés, entre autres, pour ces derniers, par Jean-Luc Mélenchon (LFI ; France), Raoul Hedebouw et Peter Mertens (Parti des travailleurs ; Belgique), Sandra Pereira (Parti communiste ; Portugal).
Les interventions des hauts dirigeants échappés du Sommet officiel et, dans le contexte de cette « Cumbre », beaucoup plus « libres » de parole, ne se sont en rien démarquées du ton très offensif de cette base que certains qualifieraient de « radicale », bien que n’étant en rien excessive. Elle aussi a délivré sa déclaration finale. Condamnant « les campagnes médiatiques visant à déstabiliser les gouvernements démocratiquement élus par leurs peuples en Amérique latine et dans les Caraïbes », pointant du doigt l’ingérence de l’impérialisme étatsuniens et de ses collaborateurs dans le renversement des gouvernements populaires, celle-ci a de plus stigmatisé le blocus contre Cuba, rejeté les mesures coercitives américaines contre le Venezuela et le Nicaragua, et répudié la politique de l’UE les approuvant.

Depuis en bas cette fois, mais en phase avec le sommet, une pierre de plus dans la revendication d’autonomie de l’Amérique latine et dans sa recherche d’une coopération avec l’UE, mais en condition de transparence, de respect et d’égalité.

Maurice Lemoine

Global Gateway

Telle qu’elle a été présentée, l’initiative « Global Gateway » impliquerait l’investissement de l’UE dans (environ) 130 projets aussi divers que (liste indicative, au conditionnel et non exhaustive) :

  • Argentine  : chaînes de valeur pour les matières premières essentielles (lithium et cuivre) ; production d’énergie renouvelable ; efficacité énergétique ; bio-économie.
  • Belize  : mini-infrastructures pour les communautés indigènes ; crédits pour les PME, les micro-entreprises et les agriculteurs
  • Bolivie  : exploitation du lithium.
  • Brésil  : prévention de la déforestation en Amazonie ; télécommunications, également en Amazonie ; promotion d’une bio-économie durable ; financement d’initiatives énergétiques vertes et promotion de l’hydrogène vert.
  • (Iles de la) Caraïbe (en général) : énergie solaire et éolienne ; lutte contre les pénuries d’eau ; adaptation au changement climatique ; lutte contre la pollution de l’océan.
  • Chili  : chaînes de valeur des matières premières essentielles (lithium, cuivre) ; production de carburants neutres en carbone (hydrogène vert).
  • Colombie  : production d’hydrogène vert et d’énergies renouvelables ; augmentation de la connectivité Internet ; contribution à la ligne 2 du métro de Bogotá.
  • Costa Rica  : pêche et agriculture durables ; électrification des transports publics.
  • Cuba  : industrie biotechnologique ; centrales éoliennes et solaires afin d’augmenter la production d’électricité.
  • Equateur  : extension et amélioration des systèmes d’assainissement et d’eau potable ; système andin d’interconnexion électrique.
  • Guatemala  : lutte contre la contamination des bassins hydrographiques ; maintien de l’approvisionnement en eau de la capitale Ciudad Guatemala.
  • Guyana  : soutien à la sylviculture, au traitement de l’eau et à la fabrication d’équipements sanitaires.
  • Haïti  : soutien à l’éducation.
  • Honduras  : construction d’un barrage pour production d’énergie durable.
  • Jamaïque  : rénovation urbaine ; gestion des déchets ; micro-entreprises ; réseaux G-5.
  • Mexique : développement de parcs industriels et de chaînes de valeur de l’économie verte.
  • Panamá  : projets de transition énergétique.
  • Paraguay  : plantation forestière ; nouvelle usine de pâte à papier ; modernisation du réseau de distribution d’électricité.
  • Pérou  : tourisme « durable » ; plans d’interconnexion électrique ; amélioration de la mobilité urbaine.
  • République dominicaine  : infrastructures de transport urbain ; gestion de l’eau et des déchets.
  • Salvador  : cofinancement du train du Pacifique et de la première ligne du métro de San Salvador.
  • Trinité-et-Tobago  : collecte et traitement de l’eau ; soutien à la transition numérique.
  • Uruguay  : production d’hydrogène renouvelable ; adaptation de l’infrastructure du port de Montevideo.
  • Venezuela  : programme de réduction des émissions de dioxyde de carbone et de méthane dans les raffineries et les puits de pétrole de la province pétrolière et gazière de Monagas (est du pays).

Avec Inter Press Service – https://ipsnoticias.net/2023/07/america-latina-y-la-ue-casi-unanimes-al-cerrar-su-cumbre/

Illustrations : Conseil de l’Union européenne


NOTES

[1] Acronyme reprenant l’initiale des « géants du net » : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft.

[2] A l’origine, le Groupe de Lima comprend l’Argentine, le Brésil, le Canada, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, le Guatemala, le Honduras, le Mexique, le Panamá, le Paraguay, le Pérou, le Guyana et Sainte-Lucie.

[3] Comisión Económica para América Latina y el Caribe (CEPAL), Oportunidades para la inversión y la colaboración entre América Latina y el Caribe y la Unión Europea (LC/TS.2023/78), Santiago, 2023 – https://repositorio.cepal.org/bitstream/handle/11362/48984/3/S2300118_es.pdf

[4] Christophe Ventura, Géopolitique de l’Amérique latine, IRIS et Editions Eyrolle, Paris, 2022.

[5] Les BRICS n’ont pas finalisé la documentation définissant les principes et critères permettant d’accueillir de nouveaux membres. Un tel document pourrait être prêt et présenté lors du Sommet de l’organisation, en Afrique du Sud, en août. Alors que trente pays ont déclaré leur intention de rejoindre le bloc, vingt demandes d’adhésions ont été enregistrées.

[6https://www.dw.com/es/prensa-alemana-europa-pierde-influencia-en-am%C3%A9rica-latina/a-66160232

[7] Lire « Les petits télégraphistes du coup d’Etat qui n’existe pas » (4 février 2020) – https://www.medelu.org/Les-petits-telegraphistes-du-coup-d-Etat-qui-n-existe-pas

[8https://press.un.org/fr/2022/ag12407.doc.htm

[9] Lire « OTAN, suspends ton vol » (14 mars 2022) – https://www.medelu.org/OTAN-suspends-ton-vol

[10https://time.com/6173232/lula-da-silva-transcript/

[11https://www.greenpeace.fr/accord-ue-mercosur-un-cocktail-toxique/

[12] Sur l’argumentation des opposants à l’Accord, lire : https://www.collectifstoptafta.org/IMG/pdf/dossier_militant.pdf

[13] L’Accord de Paris est un traité international juridiquement contraignant sur les changements climatiques. Il a été adopté par 196 Parties lors de la COP 21, la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques tenue à Paris, le 12 décembre 2015. Il est entré en vigueur le 4 novembre 2016.

[14https://ladiaria.com.uy/mundo/articulo/2023/7/cumbre-del-mercosur-canciller-argentino-planteo-actualizar-los-textos-del-acuerdo-alcanzado-con-la-union-europea-en-2019/

[15] Montrant un fort empressement à voir affluer les investissements étrangers, l’Uruguay fait bande à part et souhaite depuis longtemps s’extraire des règles du Mercosur, qui impliquent des négociations « en bloc », pour signer des accords bilatéraux.

[16] Outre le Sommet proprement dit, la réunion de la « société civile » a eu lieu les 14 et 15 juillet, sans grandes répercussions ; une table ronde des entreprises, le 17 ; une rencontre des ministres de l’Economie se tiendra à Saint-Jacques-de-Compostelle le 15 septembre.

[17] L’Amérique latine a été représentée par vingt-et-un chefs d’Etat – Argentine, Bahamas, la Barbade, Belize, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Cuba, Dominique, République dominicaine, Equateur, Guyana, Haïtí, Honduras, Jamaïque, Paraguay, SaintChristopheetNiévès, Surinam, Uruguay – , deux vice-president(e)s – Panamá, Venezuela –, huit ministres des Affaires étrangères – El Salvador, la Grenade, Guatemala, Mexique, Nicaragua, Pérou, Sainte-Lucie, Trinité et Tobago.

[18https://www.consilium.europa.eu/media/65920/st12000-en23.pdf

[19https://www.consilium.europa.eu/media/65925/st12000-es23.pdf

URL de cet article : https://www.medelu.org/Europe-Amerique-latine-retrouvailles-au-Sommet

« 2023, l’heure d’un monde nouveau » : l’interview de Nicolas Maduro par Ignacio Ramonet

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président, avant toute chose je vous remercie de me recevoir à nouveau pour cette entrevue, il est bon de poursuivre cette tradition – c’est déjà la septième occasion où nous rencontrons à la fin d’une année pour aborder la suivante sur la base de vos analyses et du bilan, mis aussi des perspectives sur ce qui aura lieu. Cet entretien va tourner comme d’habitude autour de trois thèmes principaux : d’abord nous allons parler de politique intérieure, de la situation interne du Venezuela. Ensuite nous parlerons d’économie et enfin, de politique internationale. Trois questions pour chaque thème. Commençons par la situation au Venezuela. 2022 a été marqué par une série d’inondations, de tempêtes causées en partie par le phénomène appelé “La Niña”, et qui a provoqué en particulier au Venezuela des catastrophes, comme à Tejerias en octobre dernier, et je voulais vous demander Président comment est la situation sur place, qu’a fait votre gouvernement pour tenter d’aider les victimes de Tejerías? Quelle réflexion vous inspire la situation qu’a vécue le Venezuela?

Nicolás Maduro – Tout d’abord, Ramonet, tu es toujours le bienvenu au Venezuela. C’est en effet la septième fois que nous réalisons cette interview pour commencer l’année, le premier janvier. Bonne année à vous, à vos proches et bonne année à tous ceux qui nous voient et à tous ceux qui nous écoutent.

Oui, en 2022, nous avons connu des situations résultant du changement climatique qui ont douloureusement affecté des milliers de familles au Venezuela, en particulier le cas de Las Tejerías, qui était une avalanche impressionnante où, à partir d’un petit ravin, une débordement gigantesque s’est produit, un glissement de terrain qui a causé la mort de plus de 50 personnes, un groupe a disparu et des centaines de personnes se sont retrouvées sans abri. Nous avons agi immédiatement dans ce cas et dans tous les autres, car nous avons également été touchés dans le centre du pays, dans une région, dans un secteur appelé El Castaño. Nous avons également été touchés dans l’État de La Guaira sur la côte vénézuélienne, à Caracas, dans l’est du pays, dans les Andes, Mérida, Táchira, Trujillo; nous avons été actifs pendant des mois, nous entrons maintenant dans une saison un peu plus calme, mais nous sommes toujours présents directement, en personne, sur le terrain. Ici il n’y a pas de peuple orphelin, Ramonet, ici le peuple a un gouvernement pour le protéger, pour l’accompagner en toutes circonstances, surtout dans les plus difficiles, adverses, douloureuses, comme dans le cas de ces destructions causées par les pluies torrentielles; nous avons garanti à la population une assistance directe, un toit, un accompagnement constant. Puis nous avons commencé un processus de rétablissement de tous les services commerciaux, des services publics pour la vie des gens de Las Tejerías, et la vie de toutes les villes affectées par ces pluies torrentielles, qui a fait des progrès extraordinaires.

Et la garantie la plus importante : la garantie du logement, le droit d’avoir un toit au-dessus de sa tête. J’ai dit aux personnes qui ont perdu leurs maisons à Las Tejerías : vous entrerez dans l’année 2023 avec votre propre maison, et grâce aux efforts de la Grande Mission du Logement Venezuela nous avons tenu notre promesse. Ces personnes qui ont été si horriblement touchées, qui ont perdu leur maison et souvent leurs proches, ont maintenant retrouvé un logement. Le Venezuela est donc prêt à réagir. Cette année 2022 qui s’est écoulée nous a mis à l’épreuve, mais une fois de plus, le pouvoir du peuple, le pouvoir des Forces armées nationales bolivariennes et le pouvoir politique du gouvernement national se sont unis pour répondre aux besoins de la population.

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président, vous avez lancé cette année une nouvelle façon de gouverner, que vous appelez le système 1×10 de bonne gouvernance, et vous l’avez définie comme une méthode innovante, pouvez-vous nous expliquer en particulier, pour le public international, de quoi il s’agit ?

Et d’autre part, comment évaluez-vous ce système dans les politiques développées par votre gouvernement dans des circonstances particulières, celles imposées par le blocus économique international ?

Nicolás Maduro – Eh bien, nous renouvelons des formes d’action politique directe avec le mouvement populaire, avec le pouvoir populaire. Au Venezuela, il y a un pouvoir puissant, si je peux utiliser l’expression : un pouvoir populaire, un peuple doté de pouvoir et qui exerce son leadership dans les rues, dans les communautés, à la base. Il y a des millions d’hommes et de femmes qui sont les leaders des communautés, il y a plus de 48.000 conseils communaux à la base, qui fonctionnent de manière très démocratique ; et nous avons aussi un peuple mobilisé en permanence à travers des programmes sociaux, des missions éducatives, la mission de santé, avec les Comités d’Approvisionnement et de Production, les CLAP, un peuple qui s’active dans ses communautés. Nous avons donc cherché depuis quelque temps déjà, une méthode par laquelle les gens pourraient communiquer leurs alertes, leurs plaintes, leurs besoins directement au gouvernement national, en coordination avec les gouvernements régionaux et municipaux. Au-delà d’un morceau de papier, au-delà d’autres formes d’expression que les gens peuvent avoir, nous avons conçu plusieurs mécanismes. Tout d’abord, une application, une App qui est un réseau social, Ven-App, et dans l’application Ven-App nous avons placé une fenêtre : la Ligne 58, pour que les gens puissent faire leurs plaintes et que ces plaintes, ces alertes parviennent à un poste de commandement présidentiel central. Nous avons expliqué à la population que nous allions agir par le biais de cette application – qu’on peut activer depuis le téléphone portable, depuis une tablette, un ordinateur, différentes modalités technologiques. Et en effet, les gens ont commencé à l’utiliser.

Et nous nous sommes fixé trois priorités pour commencer : les plaintes concernant les situations dans le service public de l’eau, qui, selon toutes les enquêtes, était l’une des questions les plus prioritaires, les plus préoccupantes pour les gens. L’éducation et la santé. Nous avons commencé avec ces trois-là. Et ça a été fabuleux.

Puis après deux, trois mois, nous avons incorporé les télécommunications, l’électricité et d’autres secteurs. Cela signifie que nous avons traité l’équation des problèmes qui touchent le plus la population, afin que celle-ci puisse formuler ses plaintes. Et le résultat a été merveilleux, car cela nous connecte directement au véritable problème de la communauté, et oblige également l’État, les institutions, les organisations à y répondre et à les résoudre en temps réel. Nous avons atteint une capacité de réponse de 85 % en matière de plaintes, d’alertes, de résolution, par exemple, de la rupture d’une conduite d’eau ou d’un tuyau d’égout.

Après cela j’ai mis en place “le 1×10 de la bonne gouvernance”, nous l’appelons “1×10” parce que nous demandons aux gens de s’organiser en équipes de travail de dix personnes pour recueillir les plaintes, les alertes, faire ce travail communautaire. Et cela a fonctionné, près de 7 millions de personnes se sont inscrites, notamment des citoyens qui sont déjà membres des 1×10 de la bonne gouvernance. Ce système trouve son origine, Ramonet, tu dois le savoir, dans des mécanismes que nous avons historiquement appliqués pour nos mobilisations électorales : un(e) militant(e) cherche dix personnes pour les inciter à voter. Alors j’ai dit, eh bien, si ça marche pour la vie électorale, pour la vie politique, pourquoi cet immense capacité que les gens ont montré dans le 1×10 ne pourrait-il pas marcher pour gouverner, pour résoudre les problèmes des gens ? Et ça a été merveilleux.

Sur cette base du “1×10” de la bonne gouvernance, face aux problèmes de l’éducation et de la santé très affectées par le manque d’investissement en raison des sanctions et du blocus, nous avons créé quelque chose qui s’appelle les Bricomiles, les Brigades communautaires militaires pour l’éducation et la santé, leur mission est la réparation structurelle totale des établissements scolaires, écoles, lycées, des établissements de santé, des cliniques, des centres de diagnostic intégral, etc. Et ça a été merveilleux.

Nous faisons des miracles, nous faisons des choses qui seraient impossibles à planifier en raison du manque de ressources, en raison du blocus, de la persécution criminelle de l’impérialisme ; nous faisons des choses avec les ressources du pouvoir populaire, des forces armées, et avec les ressources fournies par le gouvernement national, nous avons réparé des milliers d’écoles, réparées et rénovées à 100%. Nous avons réparé des centaines de cliniques et nous progressons sur les grands problèmes. Le 1×10 de la bonne gouvernance a donc été une heureuse création de 2022. Et cette année 2023, nous allons approfondir tous les mécanismes qui nous conduisent à une connexion directe avec les gens, leurs besoins, car c’est là que l’on se demande, Ramonet, pourquoi un gouvernement existe ?

Ignacio Ramonet – Révolutionnaire en particulier, parce que c’est une des dimensions, j’imagine, de la révolution bolivarienne, justement.

Nicolás Maduro – Exact.

Ignacio Ramonet – Réaliser une sorte de démocratie directe également, en articulant la société et le gouvernement, comme vous dites.

Nicolás Maduro – La méthode du 1×10 est une expression de la démocratie réelle, de la nouvelle démocratie, de la démocratie populaire, de la démocratie directe. Le 1×10 répond à la question : A quoi sert un gouvernement ? Un gouvernement doit servir le peuple, les citoyens. Et comment va-t-il s’y prendre ? Eh bien, nous créons des moyens technologiques à travers de nouveaux réseaux sociaux, à travers de nouvelles applications, et surtout à travers l’organisation et la responsabilisation du peuple, l’organisation et la responsabilisation du pouvoir populaire.

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président, parlons de la politique en termes concrets. Fin novembre de l’année dernière, après 15 mois d’interruption, les pourparlers ont repris avec une partie de l’opposition, disons l’opposition extra-parlementaire.

Quelle est votre évaluation du processus de dialogue qui a été relancé ? Et d’autre part, quels obstacles voyez-vous à la poursuite de ce processus de dialogue avec l’opposition ?

Nicolás Maduro – Eh bien, remarquons d’abord que le monde fait une erreur, une erreur induite par les agences de presse et les grands médias hégémoniques du capitalisme mondial : dire que le gouvernement bolivarien que je préside, et les forces bolivariennes, entament un dialogue avec « l’opposition ».

Ignacio Ramonet« L’opposition ».

Nicolás Maduro – Oui, car la première chose à comprendre est qu’il n’y a pas « une » mais plusieurs oppositions, et ce processus de fragmentation, de création et d’atomisation de l’opposition est le résultat des politiques extrémistes qui ont été appliquées pendant quatre ans par le gouvernement de Donald Trump, pour mettre le Venezuela à genoux, pour soumettre le Venezuela ; Suite aux graves dommages causés dans les domaines économique, financier, commercial, énergétique et social, l’opposition a implosé en tentant d’appliquer une politique déconnectée de la réalité, avec des gouvernements parallèles, des pouvoirs parallèles qui n’étaient pas enracinés dans la réalité. L’empire états-unien, certains en Europe, plusieurs gouvernements de droite en Amérique latine, ont cru comme nous disons ici, que « le travail était fait ». Qu’il suffisait de nommer “leur président”, point final.

Mais ils n’ont pas compris le Venezuela, ils n’ont pas compris la force institutionnelle républicaine du Venezuela, ils n’ont pas compris la force populaire de la révolution bolivarienne ; ils ont pensé  » ça y est « , qu’il suffisait de mener une campagne de dénigrement contre Maduro et le destituer. Ils ne comprennent pas que Maduro est le produit d’un processus historique, d’une force, d’une puissante union civile-militaire, avec des racines idéologiques, culturelles et politiques profondes. En ne comprenant pas cela, ils se sont autodétruits, ont volé en éclats. Donc, la première chose que nous devons dire est que nous sommes en dialogue avec toutes les oppositions.

L’opposition la plus connue en Occident, appelée Plate-forme Unie du Venezuela, qui a été dirigée par Guaidó de manière erratique pendant un certain temps, et qui rassemble des gens comme Capriles Radonski, Ramos Allup et d’autres, Manuel Rosales gouverneur de Zulia, eh bien, oui, avec eux nous avons une conversation, un dialogue permanent, nous avons une négociation et nous avons trouvé certains accords. Nous avons signé deux accords, entre le gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela et la plate-forme unitaire de l’opposition.

Le dernier accord que nous avons signé est un accord social élaboré dans le détail pour récupérer 3,15 milliards de dollars gelés, séquestrés dans des banques à l’étranger. Cet argent appartient à l’État vénézuélien, à la société vénézuélienne. Le plan est de récupérer cet argent pour l’investir dans les services publics – l’électricité, l’eau, l’éducation, la santé – et pour atténuer certains des dégâts causés par les pluies torrentielles de 2022. Cet accord a été signé, mais il a été difficile d’obtenir du gouvernement états-unien qu’il prenne les mesures nécessaires pour libérer ces ressources. J’ai vraiment confiance dans le pouvoir de la parole donnée par une personne honorable comme Gerardo Blyde, par exemple, qui est le chef de la commission de négociation de ce secteur de l’opposition, ils devront montrer au pays s’ils tiennent ou non leur parole. Espérons-le.

Maintenant, je peux aussi te dire, Ramonet, qu’en 2022, nous avons promu le dialogue avec toute les oppositions. J’ai eu des réunions au palais présidentiel avec l’Alliance démocratique, qui réunit les secrétaires généraux du parti Action démocratique, de Copei (parti social-chrétien), du parti Primero Venezuela, du parti Cambiemos et du parti Avanzada Progresista. Cette alliance est celle qui a obtenu le plus de voix lors des dernières élections de gouverneurs et de maires au Venezuela. J’ai également rencontré le parti Fuerza Vecinal, un mouvement jeune composé d’une quarantaine de maires du pays, j’ai écouté leurs critiques, leurs contributions, leurs propositions, nous nous sommes écoutés, nous avons eu un long dialogue. J’ai également rencontré un jeune dirigeant vénézuélien du parti Lápiz, qui regroupe un ensemble de mouvements éducatifs, culturels et sociaux, avec Antonio Ecarri, nous sommes donc dans un dialogue politique permanent avec tous les secteurs économiques, avec tous les secteurs sociaux et culturels du pays.
Si quelque chose nous caractérise, et me caractérise en tant que président de la République, c’est que j’ai toujours tendu la main, j’ai toujours été disposé à écouter, à dialoguer, à parler avec tous les secteurs, et je pense que c’est l’une des clés qui explique qu’en 2022 nous ayons consolidé ce climat d’harmonie, de paix, de coexistence que le Venezuela a aujourd’hui.

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président, nous allons passer au deuxième sujet, nous allons parler de l’économie. Et à cet égard, il y a une opinion majoritaire, peut-être en raison de l’atmosphère dont vous parliez, de l’harmonie qui a été créée. Et c’est que la plupart des observateurs considèrent que l’année 2022 a été spectaculairement positive pour l’économie du Venezuela. Votre gouvernement en particulier a remporté une victoire, que beaucoup de gens pensaient impossible, en vainquant l’hyperinflation, par exemple. Et maintenant, la Banque centrale du Venezuela dit que la croissance au Venezuela a été d’environ 19%, alors que la CEPAL (ONU) parle d’une perspective de croissance de 12%.

La question est donc la suivante : que pouvez-vous nous dire sur ce miracle économique vénézuélien, quelle en est la raison, comment l’expliquez-vous ?
Et d’autre part, quelles sont les perspectives économiques du Venezuela en 2023, quels sont les objectifs que vous vous fixez ?

Nicolás Maduro – Les années les plus difficiles ont été celles où tout ce groupe de sanctions criminelles a été activé, plus de 927 sanctions criminelles contre toute la société vénézuélienne, contre l’économie, contre l’appareil productif, contre l’industrie pétrolière – la grande industrie du Venezuela. Pendant plus de 100 ans, le Venezuela a vécu uniquement grâce au pétrodollar, d’une part le flux de dollars, et d’autre part il a dépensé avec un chéquier gigantesque pour importer tout ce qu’il consommait.
Pratiquement 80, 85% de tout ce qui est consommé au Venezuela provient des pétrodollars, et cela a permis au Venezuela d’avoir l’un des niveaux les plus élevés de dépenses publiques et de qualité de vie, surtout à l’époque du commandant Hugo Chávez.

Pendant ces années difficiles où l’industrie pétrolière a été attaquée, je peux te donner un chiffre : le Venezuela a perdu 232 milliards de dollars, et le produit intérieur brut a subi un préjudice économique de plus de 630 milliards de dollars. Ces chiffres sont gigantesques ; pour un pays, passer d’un niveau de revenus de 56 milliards de dollars à 700 millions de dollars en un an, c’est une catastrophe. Néanmoins, grâce à la politique sociale de la révolution, aux missions sociales de la révolution, nous avons réussi à résister à l’impact dévastateur des sanctions, des persécutions et de toute cette guerre de missiles économiques, de missiles lancés contre toute l’économie, contre toute la société.

Nous avons créé les bases d’un processus de redressement structurel : le premier fut l’activation des 18 moteurs de l’agenda économique bolivarien. Le second, l’établissement d’un nouveau système de taux de change. Et puis il y a tout un ensemble de décisions et de mesures qui ont été prises pour protéger le système industriel, le système de production agricole, le système bancaire. Il s’agit d’un ensemble de politiques publiques judicieuses qui ont été accordées avec tous les secteurs économiques, sociaux et politiques du pays et qui sont le fruit de débats, de conversations et de dialogues.

A la fin de 2020, l’année de la pandémie, nous avons commencé à voir les premiers signes de reprise. En 2021, le Venezuela a connu sa première année de croissance modérée, et cette année, en 2022, les forces productives du pays se sont libérées.

Je peux te donner un autre fait : le Venezuela, qui dépendait des importations pour 80, 85% de toute sa nourriture, produit aujourd’hui 94% de la nourriture qui arrive aux foyers vénézuéliens, un record, un miracle agricole. Grâce à quoi ? Au fait que des centaines de producteurs, d’entrepreneurs ruraux, ont commencé à travailler, à produire, et que leur production parvient aux principaux marchés du pays, directement aux foyers.

Il y a une croissance industrielle qui a un grand impact mais qui connaît encore une brèche, nous pouvons croître encore plus. Le Venezuela a une croissance à deux chiffres cette année, la Banque centrale du Venezuela a déjà donné quelques chiffres importants, la CEPAL en a donné d’autres en ce sens. Cette croissance, je peux te le dire, pour la première fois depuis plus de 100 ans, est une croissance de l’économie réelle non pétrolière, c’est une croissance de l’économie qui produit de la nourriture, des biens, des services, de la richesse, qui paie aussi des impôts. Parce que nous battons des records dans la collecte des impôts pour l’année 2022.

Ignacio Ramonet – En d’autres termes, il s’agit également d’une diversification de l’économie vénézuélienne, qui était auparavant trop étroitement liée au pétrole.

Nicolás Maduro – Exact. Et c’est ce que je suis déterminé à dire à tous les secteurs économiques, à tous les secteurs politiques, à tout le Venezuela, notre chemin ne peut pas être de revenir à la dépendance pétrolière, notre chemin doit être de nous libérer de la dépendance pétrolière de manière définitive, de nous libérer du vieux modèle capitaliste rentier dépendant du pétrole. Le Venezuela a ce qu’il faut, le Venezuela a un appareil industriel avec un bon niveau technologique, une bonne capacité productive, et il le prouve.

Dans les pires années : 2018, 2019, je disais cela, et certaines personnes me regardaient comme si j’étais fou, « Maduro est devenu fou ». Mais je savais que ce dont nous disposons, nous l’avons étudié. Je peux te le dire : nous avons une équipe du plus haut niveau, de la plus haute qualité technique, économique et académique, pour formuler les politiques publiques, nous avons une super équipe pour l’économie, qui s’est aussi diversifiée et qui écoute toutes les opinions. Ce qui pourrait faire le plus de dégâts à une économie qui sort du sous-développement, qui sort de la dépendance pétrolière, qui est soumise au harcèlement et à la persécution états-unienne et impérialiste, ce qui pourrait faire le plus de dégâts, c’est que nous tombions dans des dogmes. Non ! Nous sommes anti-dogmatiques, nous avons un projet national, le projet national Simón Bolívar, nous avons des objectifs très clairs dans la construction d’un modèle diversifié, productif, et nous nous adaptons, nous nous mettons d’accord sur des politiques publiques de récupération structurelle.

Le Venezuela, je peux le dire aujourd’hui, vit la première étape d’un long cycle de reprise et de croissance structurelle, d’une nouvelle structure, d’une nouvelle économie, et c’est le chemin que nous allons poursuivre.

Ignacio Ramonet – Président, il y a cependant quelques nuages dans ce panorama très positif, à savoir la question du dollar, la pression du dollar parallèle et aussi la hausse des prix qui a été observée ces derniers mois. Pensez-vous que ces deux questions, la pression du dollar parallèle et la hausse des prix, puissent constituer un danger pour la reprise économique du pays ? Quels outils comptez-vous utiliser pour limiter la pression de la hausse des prix et la pression du dollar parallèle ?

Nicolás Maduro – C’est une grande perturbation, ce sont les blessures qui restent des instruments de la guerre économique, une phase que nous sommes en train de surmonter pas à pas, progressivement. Il y a eu une guerre contre notre monnaie et il y a eu différents instruments pour cela : le Dollar Today, le Dollar Cúcuta, c’était un dollar fictif, pour la guerre économique. Maintenant les mécanismes sont plus sophistiqués, ils passent par les crypto-monnaies, qui régissent le taux de change de manière spéculative avec un objectif politique, ce sont effectivement des perturbations. Je peux te dire que si nous comparons avec les années 2020, 2021 et 2022, nous avons réussi à calmer une bonne partie de cette perturbation, mais au cours des trois derniers mois, elle a eu de nouveau un grand impact sur le nouveau système de taux de change qui existe dans le pays, qui est fondamentalement un système de taux de change lié au marché. Pendant 100 ans, Ramonet, le Venezuela a vécu avec des systèmes de change dépendant du pétrodollar ; aujourd’hui, il n’y a pas de pétrodollar, l’économie doit donc avoir un système de change où elle se nourrit du dollar, de devises dans son propre processus productif, suivant des cercles vertueux qui lui permettent d’avoir un approvisionnement suffisant en devises. Il existe des facteurs objectifs et non-objectifs. Parmi les facteurs objectifs à l’origine des turbulences que nous avons connues au cours des trois derniers mois, il y a la surchauffe du commerce. Les échanges commerciaux ont été multipliés par sept par rapport au reste de l’année ; par exemple, dans le Banco de Venezuela, notre plus grande banque, normalement au cours de l’année dans un bon jour d’activité commerciale on effectue jusqu’à 100 mille transactions par minute, puis en octobre cela a atteint 500 mille transactions, et maintenant en décembre il y a eu des jours où il a atteint 700 mille transactions par minute. Cette surchauffe a nécessité un montant plus important et plus élevé de devises étrangères pour faire bouger le marché. Il s’agit d’une raison économique, mais elle ne justifie en rien les raisons non objectives, à savoir la spéculation pour causer des dommages économiques, pour poignarder la reprise économique. Mais nous allons contrôler cette situation, tous les secteurs économiques et le gouvernement vont construire un système de taux de change stable, pour défendre la monnaie et pour que l’économie fonctionne avec des circuits vertueux à partir de maintenant; nous allons aussi guérir cette perturbation, cette blessure.

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président, à la fin du mois de novembre, votre gouvernement a annoncé des accords avec la compagnie pétrolière américaine Chevron et, à cet égard, je voudrais vous demander si cet accord avec Chevron signifie que Washington lève certaines des sanctions contre le Venezuela et quel pourrait être l’impact des accords avec Chevron sur l’industrie pétrolière vénézuélienne.

Nicolás Maduro – Eh bien, cela ne signifie pas que les sanctions ont été levées, elles donnent simplement à Chevron, une entreprise états-unienne qui produit au Venezuela depuis 100 ans maintenant en 2023, une licence pour venir travailler, produire, investir. Les relations avec Chevron et les négociations avec eux ont eu lieu dans le cadre de la Constitution, des lois ; le dialogue et les conversations avec eux sont extraordinaires, et j’espère que tous les projets qui ont été signés, tous les contrats qui ont été signés, seront effectivement réalisés.

Et j’envoie un message à toutes les entreprises énergétiques du monde, aux États-Unis, en Europe, en Amérique latine, en Asie ; ici, au Venezuela, nous avons les plus grandes réserves de pétrole certifiées du monde, ici, au Venezuela, nous sommes en train de certifier les quatrièmes plus grandes réserves de gaz du monde. Le Venezuela est une puissance énergétique, personne ne pourra nous sortir de l’équation énergétique mondiale. Nous sommes fondateurs de l’OPEP, fondateurs et leaders de l’OPEP-Plus, et nous allons poursuivre ce processus. Le Venezuela a donc les portes ouvertes, avec des conditions spéciales pour l’investissement, pour la production, avec la stabilité politique, avec la stabilité sociale. Donc, c’est un bon pas, cette licence Chevron, lorsqu’elle sera mise en pratique va démontrer que nous pouvons travailler ensemble et qu’ils peuvent venir au Venezuela pendant encore 100 ans, s’ils le veulent.

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président, nous arrivons maintenant à la dernière étape de cette interview, la politique internationale, un sujet que vous connaissez déjà, nul n’oublie que vous avez été ministre des Affaires étrangères de la République pendant au moins huit ans.

En juin dernier, vous avez effectué une tournée internationale réussie, vous avez visité des pays comme la Turquie, l’Iran, l’Algérie, le Koweït, le Qatar, l’Azerbaïdjan, et vous avez montré que vous n’étiez pas isolé, pas plus que le Venezuela. D’autre part, d’importants changements géopolitiques et énergétiques se produisent actuellement dans le monde, notamment en raison du conflit en Ukraine, et de nombreuses capitales – comme vous l’aviez suggéré à l’époque – se rapprochent à nouveau ou pourraient se rapprocher du Venezuela, qui, comme vous l’avez souligné, est l’une des principales réserves d’hydrocarbures au monde.

Dans ce contexte, je voulais vous demander, quelles perspectives voyez-vous à une éventuelle normalisation des relations entre le Venezuela et les États-Unis, et également une normalisation des relations avec l’Union européenne, ou avec d’autres puissances qui, à un moment donné, se sont jointes aux sanctions contre votre gouvernement ?

Nicolás Maduro – Eh bien, avec l’Union européenne, je dirais que les choses avancent bien, il y a un dialogue permanent avec M. Borrell, un dialogue avec l’ambassadeur de l’Union Européenne au Venezuela. Récemment, l’Espagne a nommé un ambassadeur à Caracas, et a donné son approbation à la diplomate vénézuélienne Coromoto Godoy comme nouvelle ambassadrice à Madrid, elle sera à Madrid très bientôt. Je pense qu’en général, pas à pas, avec une patience stratégique, avec de la diplomatie, avec du respect, nous pouvons progresser avec l’Union Européenne.

Avec les États-Unis, ils restent malheureusement piégés par leur politique insensée sur le Venezuela, en soutenant des institutions inexistantes, une présidence intérimaire, une assemblée fictive qu’ils continuent à soutenir, d’une manière ou d’une autre le chantage éléctoral de la Floride, de Miami-Dade, influence fortement la politique étrangère de la Maison Blanche, du Département d’État, c’est regrettable. Le Venezuela est prêt, totalement prêt à aller vers un processus de normalisation et de régularisation des relations diplomatiques, consulaires, politiques, avec ce gouvernement des États-Unis et avec les gouvernements qui pourraient venir ; une chose sont les différences politiques stratégiques, la vision que l’on peut avoir du monde, une autre qu’il n’y ait pas de relations. C’est l’anti-politique qui a été imposée par le modèle Trump. Trump a imposé un modèle au Venezuela, l’anti-politique du coup d’Etat, la menace d’invasions, des sanctions extrémistes, la tentative de briser le pays de l’intérieur, d’imposer un président de l’extérieur. Et toutes ces politiques ont échoué, elles ont été vaincues, d’abord par la réalité et ensuite par notre force. Nous sommes une réalité au Venezuela : le chavisme, le bolivarianisme, sont une réalité puissante au Venezuela, au-delà de Nicolás Maduro. Ils ressassent leur petite musique, la même qu’ils ont appliquée au Comandante Chávez, “le régime Chávez”, “le régime Chávez”. Il n’y a jamais eu de régime Chávez, il y a eu un régime constitutionnel, un état de droit social et démocratique, de justice ; et donc maintenant ils répètent la même formule : Le “régime de Maduro”. Moi, Maduro, je voudrais construire un régime pour moi ? S’il vous plaît ! un peu de considération, un peu d’intelligence.

Nous sommes prêts pour un dialogue au plus haut niveau, pour des relations respectueuses, et j’espère, j’espère, qu’un halo de lumière éclairera les États-Unis d’Amérique, qu’ils tourneront la page et laisseront de côté cette politique extrémiste, et arriveront à des politiques plus pragmatiques par rapport au Venezuela, nous sommes prêts, j’espère que cela arrivera.

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président, en Amérique latine, il y a eu de nombreux changements relativement positifs du point de vue, je pense, de Caracas ; ce premier janvier 2023, votre ami Lula da Silva va reprendre la présidence du Brésil, c’est une immense victoire, et il y a eu aussi la récente victoire de Gustavo Petro en Colombie. Nous pourrions dire que malgré la situation actuelle au Pérou, nous sommes globalement face à une nouvelle Amérique latine avec une majorité de gauche. La question est la suivante : quelle est votre analyse de cette nouvelle Amérique latine, et quelles perspectives lui voyez-vous ? Et en particulier, comment voyez-vous l’évolution des relations entre le Venezuela et la Colombie, lorsque ce premier janvier, en principe, la continuité et la liaison routière entre la Colombie et le Venezuela seront rétablies ?

Nicolás Maduro – En 2022, il y a eu de bonnes nouvelles, dans le contexte d’une Amérique latine caribéenne en conflit – le projet impérial de domination, de recolonisation, d’assujettissement de nos pays est en conflit avec les différents projets d’indépendance, de démocratisation, d’amélioration de la vie de nos peuples ; Il s’agit d’une lutte historique, une lutte historique entre les projets latino-américains et caribéens, avec leur propre empreinte et leur propre signe national, et les projets oligarchiques liés, malheureusement, et soumis, aux intérêts impériaux ; dans cette lutte, on a dit qu’une deuxième vague se lève, on l’a beaucoup dit. Par rapport à la première vague, nous savions tout ce qui découlait du triomphe du Commandant Chávez et des triomphes de Lula da Silva, Néstor Kirchner, Tabaré Vázquez, Evo Morales, Rafael Correa, le Front Sandiniste, Daniel Ortega, la force de Cuba…

Ignacio Ramonet – Fernando Lugo…

Nicolás Maduro – … Mel Zelaya, toute cette vague.

Ignacio Ramonet – Lugo au Paraguay.

Nicolás Maduro – Cette vague qui a surgi sur le continent avait beaucoup de cohésion, beaucoup de cohérence, beaucoup de force, beaucoup d’impact. Puis vint la contre-offensive de l’extrême droite et maintenant une nouvelle vague libératrice, démocratisante, avancée et progressiste semble se lever avec force. Le triomphe de Gustavo Petro en Colombie a signifié d’importants changements pour la vie et la recherche de la paix pour le peuple colombien ; le triomphe et l’accession à la présidence de la République par Lula da Silva signifie, enfin, une formidable avancée géopolitique pour les projets régionalistes, pour la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes, pour la reprise des projets du Sud, de l’UNASUR, de la Banque du Sud, pour la reprise des projets d’intégration dans nos pays. C’est donc une bonne nouvelle. Avec la Colombie, cette année nous avons fait beaucoup de progrès, comme l’ouverture libre et totale des passages frontaliers, maintenant l’ouverture du pont Antonio Ricaurte à Tienditas, sur la frontière entre notre état du Táchira et le nord de Santander en Colombie. Nous avons également pris des mesures importantes dans le domaine du commerce. On estime que la balance commerciale des premiers mois est passée à plus de 600 millions d’euros. La balance commerciale entre la Colombie et le Venezuela commence tout juste à atteindre 600 millions, ce qui représente un grand potentiel.

De même, au Venezuela, des pourparlers de paix ont été mis en place avec le projet de paix totale du président Petro, et nous soutenons pleinement toutes les initiatives de paix, y compris celle qui a été mise en place au Venezuela, dans les pourparlers de paix avec l’Armée de libération nationale. Je crois que dans ce sens, le Venezuela et la Colombie sont en train d’embrasser la réunion des frères, et c’est une bonne nouvelle pour les deux pays et pour toute l’Amérique latine.

Ignacio Ramonet – Monsieur le Président, une dernière question. Vous vous êtes récemment rendu en Égypte notamment pour participer au Sommet sur le Climat et vous avez pu y développer votre propre vision des solutions à apporter au changement climatique, ainsi que votre analyse de la situation géopolitique internationale, mais vous avez également profité de cette rencontre internationale pour établir des contacts directs avec des dirigeants internationaux. Pour conclure cette interview, j’aimerais vous demander quelle est votre vision du nouveau scénario international conflictuel, et quels sont, selon vous, les atouts et les espoirs d’un nouveau monde multipolaire ?

Nicolás Maduro – Au sommet sur le changement climatique, la COP-27 en Égypte, nous avons pu rencontrer pendant trois jours les délégations de plus de 190 pays. Je peux vous dire que j’ai serré la main de la grande majorité des chefs d’État, des chefs de gouvernement, des chefs de presque toutes les délégations ; nous avons eu de longues réunions, des conversations avec tous ces présidents et premiers ministres. Qu’ai-je ressenti, Ramonet ? Du respect. De l’admiration pour les actions du peuple vénézuélien. La reconnaissance des dirigeants du monde pour le Venezuela debout, pour le Venezuela victorieux, pour le Venezuela qui donne l’exemple et qui ne s’est pas laissé écraser, ni mettre à genoux par les empires du monde. Et c’est ainsi que les gens du monde entier m’ont dit en privé, dans des conversations, dans le couloir, dans la salle de réunion, dans des conversations bilatérales : admiration, respect, reconnaissance pour la révolution bolivarienne, pour le peuple du Venezuela, pour toute la trajectoire démocratique que nous avons accomplie pendant toutes ces années.

Nous avons porté la voix du Venezuela : véritablement les ravages causés par le modèle capitaliste en 200 ans nous ont conduit à une urgence climatique, nous vivons déjà une urgence climatique. Nous y avons rencontré le président Petro, le président du Suriname, et nous avons fait une proposition que le président Lula a acceptée, celle d’organiser très prochainement au Brésil un sommet de l’Organisation du traité de l’Amazonie, qui réunira tous les pays amazoniens d’Amérique du Sud ; Nous y porterons la voix du Venezuela pour réactiver l’Organisation du Traité de l’Amazone, et aussi pour parvenir à un plan d’urgence pour récupérer l’Amazonie, pour défendre l’Amazonie comme le grand poumon du monde ; c’est l’un des grands accords que nous avons conclus avec le président Petro, avec le président du Suriname et maintenant avec le président Lula da Silva du Brésil.

Le monde est sans aucun doute dans une situation très difficile, nous vivons les douleurs de l’accouchement d’un monde différent. Nous avons toujours prôné la construction d’un monde pluripolaire, multicentrique, de divers pôles de développement, de pouvoir, de centres qui accompagnent toutes les régions du monde. Le vieux monde des 15ème, 16ème, 17ème, 18ème, 19ème siècles, du colonialisme, puis du néo-colonialisme du 20ème siècle, doit être abandonné pour de bon. Personne ne peut croire qu’à partir de deux ou trois métropoles, on peut gouverner le monde, on peut soumettre les peuples. Il y a déjà des régions très fortes, comme l’Asie, le Pacifique, l’Afrique elle-même, l’Amérique latine et les Caraïbes, nous sommes des blocs de pays qui sont en train de devenir des pôles de la puissance mondiale. Devons-nous renoncer à nos droits à la paix, au développement, au progrès scientifique et technologique, à nos propres modèles culturels, à nos propres modèles politiques ? Devons-nous y renoncer ? Non. Devrions-nous assumer la domination unipolaire d’une métropole qui prétend dicter sa loi au monde ? Non. C’est l’heure d’un monde nouveau, d’une nouvelle géopolitique qui redistribue le pouvoir dans le monde. La guerre en Ukraine fait partie des douleurs de l’accouchement d’un monde qui va émerger.

Nous ne doutons pas que nous en serons, nous avons voulu être l’avant-garde, fermement, courageusement, depuis la diplomatie bolivarienne, depuis la diplomatie chaviste, de la construction de ce nouveau monde. Nous apportons notre contribution de manière humble mais significative, depuis les idées de Bolivar, depuis les idées de Hugo Chávez, dans la construction d’un autre monde où nous pouvons tous nous intégrer, où nous pouvons vivre ensemble en paix et où les peuples peuvent surmonter les séquelles de siècles de colonialisme et de néocolonialisme. Nous croyons en ce monde et ce monde va émerger, n’en doute pas, Ramonet.

Ignacio Ramonet – Merci beaucoup, Monsieur le Président, pour cette interview. Je profite de l’occasion pour vous souhaiter, ainsi qu’à votre famille, votre pays, votre peuple et la révolution bolivarienne, de bonnes fêtes de fin d’année et une nouvelle année prospère.

Nicolás Maduro – Bien, et mes salutations à tous ceux qui nous regardent et nous écoutent à la télévision, sur YouTube, sur Instagram, sur Facebook, sur Periscope, sur Twitter, de toutes les manières dont vous pouvez nous voir et nous entendre, mes salutations du Venezuela à tous nos amis du monde entier. Merci Ramonet.

Ignacio Ramonet – Merci, Monsieur le Président.

Entretien réalisé à Caracas et diffusé le 1er janvier 2023

Source : https://t.co/JFsB2jU18Z

Traduction : Thierry Deronne pour Venezuelainfos

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/01/01/2023-lheure-dun-monde-nouveau-linterview-de-nicolas-maduro-par-ignacio-ramonet/

Victoires de la gauche ou défaites de l’extrême droite ?, par Maurice Lemoine (Mémoire des Luttes)

Ils ont tenté de m’enterrer vivant et je suis là ! » Incarcéré pour « corruption » en avril 2018, au terme d’une conspiration politico-juridique, blanchi en mars 2021 par le Tribunal suprême fédéral, après un séjour de 580 jours dans une prison de Curitiba, Luiz Inácio « Lula » da Silva vient de remporter l’élection présidentielle brésilienne du 30 octobre 2022, avec 50,9 % des voix. Victoire étroite sur le président sortant Jair Bolsonaro (49,1 % des suffrages), mais victoire réelle – le plus grand nombre de voix (60 345 999) jamais obtenu dans l’histoire brésilienne par un candidat. Une victoire d’autant plus importante qu’elle empêche l’extrême droite de s’incruster à la tête de l’Etat. Car, avec Bolsonaro, c’est bien un néo-fasciste qui occupait le palais du Planalto, à Brasilia.

Comment en était-on arrivé là ?

Président de la République du 1ᵉʳ janvier 2003 au 1ᵉʳ janvier 2011 : Lula. Tant sur le plan matériel que symbolique, l’âge d’or pour les plus modestes des Brésiliens. Programmes sociaux, augmentation du salaire minimum, efforts sans précédents en matière de santé et d’éducation. Trente-six millions de personnes sortent de la pauvreté… Le tout en chef d’Etat réformiste, c’est-à-dire redistribuant, mais sans affronter le capital. Et bien que le Parti des travailleurs (PT) ne dispose au Congrès que de la première des minorités. Impossible d’y obtenir une majorité permettant de mettre en œuvre ces politiques inclusives, sans composer avec un marais de partis liés aux caciques régionaux et nationaux, formations dépourvues d’idéologie et de conscience, toujours prêtes à se vendre au plus offrant : le Centrão. D’où le recours à des expédients qui débouchent sur le scandale dit du Mensalão lorsque, en 2005, on découvre que le PT, pour s’assurer leur soutien, a acheté le vote d’un nombre conséquent de députés. Fixée sur les faits sans en analyser les causes, baptisant sans nuance le phénomène de « corruption », une première fraction de la classe moyenne prend ses distances avec le « lulisme » et le PT.

Cette première ombre sur le tableau n’empêche pas Lula d’être réélu pour un second mandat, puis Dilma Rousseff (PT) de lui succéder le 1er janvier 2011. Toutefois, dès juin 2013, des manifestations convoquées par des jeunes de la classe moyenne sur des revendications légitimes ayant trait à l’incurie des services publics et au pouvoir d’achat sont récupérées et instrumentalisées par la droite. Celle-ci expulse la gauche de la rue, y importe ses mots d’ordre et sa violence. Présentée comme « sociale », cette fronde amène la cheffe de l’Etat à promettre « un grand pacte » destiné à « oxygéner » le système politique pour le rendre « plus perméable à l’influence de la société ». Sur cette base, elle remporte l’élection 2014 – de très peu (51,6 % des voix). Mais, cette fois, la guerre est déclarée. La droite n’a plus en tête que de « corriger » le résultat d’un scrutin qui l’a plongée, à l’image d’Aecio Neves, le candidat battu du Parti social démocrate brésilien (PSDB), dans une rage infinie.

C’est que, à l’heure où la crise économique frappe le pays, les secteurs dominants n’acceptent plus ni le partage du gâteau négocié initialement avec Lula ni une quelconque forme de redistribution. D’un autre côté, mais en lien direct, démarre sous l’autorité d’un juge de Curitiba jusque-là inconnu, Sergio Moro, l’opération « Lava-Jato » (« lavage express »). Axée en grande partie sur des « delaçãos premiadas » (dénonciation récompensée par des remises de peine), l’enquête révèle un vaste système de marchés publics truqués liant l’entreprise pétrolière d’Etat Petrobras et des firmes du bâtiment et des travaux publics – Odebrecht, OAS, Camargo – au profit d’un grand nombre d’élus de toutes tendances politiques. Particularité des investigations : épargnant en grande partie la droite, elles s’acharnent, avec l’objectif clair de le détruire, sur le PT. Pain béni : de 2003 à 2005, Dilma Rousseff a été ministre de l’Energie et, de ce fait, présidente du conseil d’administration de Petrobras. Même si « Lava Jato » n’évoque son nom ni parmi les suspects ni parmi les coupables, les médias diffusent une pluie ininterrompue de missiles invoquant sa « responsabilité ».

Sans qu’on y prenne garde, une très forte odeur de pétrole flotte sur les événements : la désignation (par Lula) de Petrobras comme opérateur de l’exploration de champs pétroliers (dits « pré-salifères ») découverts en 2006 au large de Rio de Janeiro irrite profondément Washington. Ayant fait plusieurs voyages à Brasilia pour, entre autres points, suggérer à Dilma Rousseff d’en confier l’exploitation à des multinationales étatsuniennes, le vice-président de Barack Obama, Joe Biden, a été gentiment mais fermement éconduit. En septembre 2013, Rousseff a découvert que, comme Petrobras, elle a été espionnée par l’Agence nationale de sécurité (NSA). « Ces tentatives de violation et d’espionnage de données et d’informations sont incompatibles avec la cohabitation démocratique entre des pays amis, a-t-elle souligné. Nous prendrons toutes les mesures pour protéger le pays, le gouvernement et les entreprises. »

Brasilia dérange également pour d’autres raisons, ne serait-ce que pour ses relations cordiales avec la République bolivarienne du Venezuela, Cuba et le Nicaragua, ou son implication dans le renforcement des BRICS (alliance semi-formelle Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du sud). Cerise sur le « despacito » (un excellent gâteau brésilien), Rousseff a profondément indisposé les militaires en créant une Commission nationale de la vérité (CNV) ayant pour mission d’enquêter sur les violations des droits humains commis pendant la dictature (1964-1985) [1].

Sous le prétexte spécieux d’un « crime de responsabilité », le président de la Chambre des députés Eduardo Cunha, figure de proue du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB) et chantre ultra-conservateur des évangélistes, déclenche en décembre 2015 une procédure de destitution contre la cheffe de l’Etat – dont il était jusque-là l’« allié politique ». Le crime en question, un « pédalage budgétaire », n’est autre qu’une pratique courante destinée à minimiser le déficit public, en fin d’exercice, en recourant à l’emprunt. Depuis 1985, elle a été pratiquée par tous les prédécesseurs de la Présidente ainsi que par les édiles municipaux et fédéraux.

Dans son offensive, Cunha a pour principal partenaire le président du PMDB Michel Temer, professionnel de la politique élu sur le ticket de Dilma Rousseff à la fonction de vice-président, dans le cadre de l’inévitable alliance de circonstance permettant au PT de gouverner. Le 17 avril 2016, en plein hémicycle, au cours d’obscènes débats précédant l’« impeachment », le député d’extrême droite Jair Bolsonaro rend un hommage public à la mémoire du colonel Carlos Brilhante Ustra, tortionnaire de Dilma – jeune militante marxiste et rédactrice dans un journal clandestin – après son arrestation en 1970. Ce 17 avril, au terme de ce qui est en fait un « coup d’Etat juridico-parlementaire » ou « coup d’Etat institutionnel », la cheffe de l’Etat est destituée.

Temer devenu président, la droite traditionnelle attend avec impatience la présidentielle de 2018 pour conforter son retour aux affaires. Car plus rien ne s’y oppose. Poursuivant l’entreprise de destruction, le juge Moro et le procureur de la République Deltan Dallagnol, coordinateur de la Força-tarefa da Operação Lava Jato (Force de frappe de l’Opération Lava Jato) mènent une action coordonnée pour expédier Lula en prison et ainsi l’empêcher de se présenter à un scrutin dont tous les sondages l’annoncent gagnant. Ce qu’ils obtiennent sans coup férir lorsque, le 7 avril, le dirigeant charismatique du PT se rend à la police fédérale et est incarcéré dans la ville de Curitiba.

Echec et mat ! A un détail près… La bourgeoisie a mal calculé son coup. La situation lui échappe. Le PT est certes au sol, marqué du sceau de l’infamie : « corrompu ». Mais, les Brésiliens ne sont pas dupes : 60 % des parlementaires qui ont participé à la « destitution » de Rousseff ont ou ont eu à affronter la justice (pour des affaires allant de la corruption à des meurtre, enlèvement et séquestration en passant par de la déforestation illégale). Sept des vingt-quatre ministres du gouvernement Temer sont cités ou font l’objet d’une investigation judiciaire dans le cadre de l’affaire Petrobras. En mars 2017, Eduardo Cunha est condamné à quinze ans et quatre mois de prison pour corruption, blanchiment d’argent et évasion illégale de devises.

« Tous pourris » ! Il faut un « Monsieur propre ». Un candidat résolument antisystème. Après avoir mis le PT à terre, la droite classique est elle-même balayée. Et c’est ainsi que l’extrême droite, sans être encore un phénomène de masse, tire les marrons du feu.

Bolsonaro est propulsé au Planalto, sans aucun programme de gouvernement. La suite est connue. Recul dans tous les secteurs : économie, éducation, santé. Gestion négationniste de la pandémie : 670 000 victimes. Apologie de l’ex-dictature militaire, de la torture et de la peine de mort. En 2016, sur les ondes d’une radio, Bolsonaro ira jusqu’à déclarer que « l’erreur de la dictature a été de torturer sans tuer ».

Le triptyque « BBB » occupe le pouvoir : «  Biblia, balas, buey » (« Bible, balles, bœuf »). Dit autrement : les religieux conservateurs évangéliques, les militaires, les grands propriétaires terriens (éleveurs de bœuf) [2]. Si l’on rajoute Bolsonaro à ces puissants lobbys aux considérables capacités financières, on élargit le concept : « BBBB ».

De sa position de pouvoir, l’outsider Bolsonaro conforte et amplifie sa base. Pour complaire aux « fazendeiros », il met à mal la protection de l’environnement et la démarcation des terres des peuples indigènes. L’Amazonie en paie le prix. A travers une série de décrets et en émule de Donald Trump, il encourage la population à s’armer. D’après l’Institut Sou da Paz, spécialisé en thèmes de sécurité, une moyenne de 1 300 nouvelles armes sont achetées chaque jour par des civils [3]. Ex-capitaine médiocre, manquant cruellement de cadres techniques et politiques pour garnir son gouvernement, Bolsonaro s’entoure de militaires – une caste ravie d’élargir son pouvoir politique –, dont il glorifie les « exploits anticommunistes » passés.

Plus que dans les Forces armées, le noyau dur de ses appuis « musclés » se trouve toutefois au sein de la Police militaire (PM), sorte de gendarmerie (disposant actuellement de 500 000 hommes) créée sous la dictature et particulièrement répressive, en particulier à l’égard des « sans terre » et des paysans. Des milices paramilitaires organisées à l’origine pour combattre la délinquance des « favelas » en dehors des procédures légales et tombées elles-mêmes dans tous les trafics complètent le tableau [4]. Que bénissent les évangéliques. Considérable force de frappe : 30 % de la population dont, en 2018, 70 % ont voté pour Bolsonaro. Et pour cause… RecordTV, la deuxième chaîne de télévision du pays après Globo, appartient à l’Eglise Universelle du multimillionnaire Edir Macedo, tout comme Folha Universal, le journal le plus lu.

Les médias traditionnels font le reste pendant quatre ans en relayant le discours de Bolsonaro et en imprimant dans de très nombreux esprits, y compris des secteurs populaires, l’image d’un PT « corrompu » et du « voleur » Lula.

Ainsi nait une extrême droite, « de masse » cette fois, qui, malgré les absurdités proférées en permanence par son référent, lui offrira 49,1 % des suffrages le 30 octobre dernier.

Autres temps, autres méthodes

Au-delà du cas brésilien, ce « bolsonarisme » marque la montée en puissance d’une extrême droite latino-américaine distincte, dans ses méthodes, de celle connue par le passé. Laquelle, lorsqu’elle souhaitait passer à l‘action, dans un contexte de guerre froide mettant par définition Washington dans son camp, frappait directement aux portes des casernes. L’armée se chargeant du traditionnel coup d’Etat (Brésil, Chili, Argentine, Uruguay, Paraguay, Bolivie, etc.), épargnant ainsi l’image des cercles civils impliqués dans l’opération.

Le souvenir et la réprobation des dictatures des années de plomb ont rendu plus difficile (mais pas totalement impossible) pour les forces militaires de s’impliquer à nouveau dans des opérations aussi voyantes. Toutefois, faibles ou forts, les signaux envoyés par le radicalisme conservateur se multiplient.

Au Chili, l’explosion sociale d’octobre 2019, laissait présager une élection « confortable » de la gauche à la présidentielle du 19 décembre 2021. Cataclysme : au premier tour, le candidat arrivé en tête (27,91 % des voix) s’appelle José Antonio Kast. Un avocat multimillionnaire de 55 ans, porteur d’un programme ultra conservateur et nostalgique de Pinochet dont il revendique l’héritage. Face à Gabriel Boric, jeune candidat de gauche favorable à la mise en place d’un Etat providence « à l’européenne », Kast distille au second tour un discours de haine s’inspirant d’un « liberté ou communisme » digne de la Doctrine de sécurité nationale des années 1960-1980 [5]. Finalement battu, il n’en enregistre pas moins un très significatif 44,13 % des voix [6].

Deux ans auparavant (27 octobre 2019), en Argentine, en représentation du Front de tous (FDT : centre gauche, péroniste) Alberto Fernández et sa vice-présidente Cristina Fernández de Kirchner avaient battu le représentant d’une droite très néolibérale, mais somme toute classique, le chef de l’Etat sortant Mauricio Macri. La véritable « surprise » eut lieu en septembre 2021, lorsque Javier Milei arriva troisième, avec 13,66 % des suffrages, lors de la primaire aux législatives, dans la province de Buenos Aires – où vivent un tiers des 47 millions d’Argentins. Ex-rockeur, joueur de football professionnel et homme de radio, comparable à Trump et Bolsonaro, Milei relève à la fois de l’ultralibéralisme et de l’extrême droite libertarienne [7]. Antisystème, il dénonce « la caste politique » et n’hésite pas à faire campagne en proclamant délicatement : « Je ne suis pas venu ici pour guider des agneaux mais pour réveiller les lions ! »

Elu député de la ville de Buenos Aires en novembre 2021, à la tête de La liberté avance, parti créé pour l’occasion, il a, bien que proposant la suppression des aides sociales, fait son meilleur score dans les quartiers défavorisés. Le 12 juin 2022, à São Paulo (Brésil), Milei a participé à un forum en compagnie de Kast et d’Eduardo Bolsonaro (digne fils de son père et député fédéral), avant de se rendre en Colombie pour y appuyer la campagne de l’homme d’affaires Rodolfo Hernández, rival au second tour de Gustavo Petro.

Le 1er octobre suivant trouva Milei à Tucumán où il tint un important meeting en compagnie de Ricardo Bussi, le leader de Force républicaine. Ce parti a été créé après le retour de la démocratie par le général Antonio Bussi, surnommé « le boucher de Tucumán », condamné en 2008 à la peine perpétuelle pour crimes contre l’Humanité (et décédé en 2011). Lorsqu’il parle de son père, avec qui il a travaillé, Ricardo Bussi a coutume de répéter : « Tes valeurs sont celles dont Tucumán a besoin. » Présent dans les provinces de Mendoza, Córdoba et Tucumán, Force républicaine devrait apporter son soutien à Milei l’an prochain, dans la perspective de l’élection présidentielle à laquelle le FDT arrive divisé entre une aile centriste (Alberto Fernández) et un courant plus ancré à gauche (Cristina Fernández de Kirchner).

De gauche à droite : Javier Milei, Eduardo Bolsonaro et José Antonio Kast (São Paulo, juin 2022).

La Colombie – dans le contexte il est vrai très particulier d’un long conflit armé interne – a été gouvernée par l’extrême droite de 2002 à 2010 (Álvaro Uribe) et de 2018 à 2022 (Iván Duque). Si leur parti, le Centre démocratique, s’est électoralement effondré lors de la récente élection du candidat du Pacte Historique Gustavo Petro, ce courant n’en demeure pas moins dangereusement présent. Dans l’ombre, il conserve des liens avec certains groupes mafieux ou paramilitaires. Au grand jour, et suppléant au relatif effacement d’Uribe (en délicatesse avec la justice), de nouvelles figures émergent, telles les sénatrices María Fernanda Cabal et Paloma Valencia, fermement décidées à mener un combat aussi frontal que radical contre les gauches sociale et de gouvernement.

En Bolivie, depuis décembre 2005 et la première élection d’Evo Morales (pour ne parler que des années les plus récentes), l’extrême droite fascisante n’a jamais désarmé. Enkystée à Santa Cruz, ville la plus peuplée et la plus prospère du pays, capitale de l’oligarchie liée à l’agro-négoce, elle trouve à l’occasion de précieux alliés dans les départements de Beni, Pando et Tarija, qui constituent la Media Luna [8]. A Santa Cruz même, elle a pour bras politiques (et à l’occasion armés) le Comité civique pro-Santa Cruz et l’Union des jeunes cruceñiste (UJC), héritiers de la Phalange socialiste bolivienne (née en 1937), dont les militants se réclamaient du « caudillo » espagnol Francisco Franco. Avec comme leader le richissime boliviano-croate Branko Marinkovic, cette faction a mené en septembre 2008 une première tentative de renversement d’Evo Morales. Soutenue par Washington, mais heureusement neutralisée par l’action déterminée de la jeune Union des Nations sud-américaines (Unasur) récemment créée, le coup d’Etat échoua.

Poursuivi par la justice et exilé au Brésil depuis 2010, Marinkovic a été remplacé à la tête du Comité civique par cinq présidents successifs jusqu’à ce que, en février 2019, soit élu Luis Fernando Camacho. Riche catholique de 40 ans, authentique fasciste, proche des milieux évangéliques pentecôtistes, celui-ci a été le principal instigateur de la campagne de terreur qui a accompagné le coup d’Etat contre Evo Morales en novembre 2019 [9]. L’ont rejoint à l’époque le Comité civique de Potosí et des organisations de type paramilitaire telle la Résistance Cochala à Cochabamba. La sénatrice Janine Añez s’étant emparée du pouvoir, bénie par la hiérarchie catholique et adoubée par les ambassadeurs de l’Union européenne – Washington agissant dans l’ombre par l’intermédiaire de l’organisation des Etats américains (OEA) –, la répression a pu se déployer et Marinkovic revenir en Bolivie. Accueilli à bras ouverts par la dictature, il y occupera immédiatement la fonction de ministre de la Planification, puis, un peu plus tard, de l’Economie.

Un an de souffrance et de « k’encherío » (« malheur », en argot local)… La montée en puissance des mobilisations populaires a obligé Añez et son gouvernement de facto à organiser de nouvelles élections. En toute logique, le candidat du Mouvement vers le socialisme (MAS) Luis Arce, ex-ministre de l’Economie d’Evo Morales (qui, à ce moment poursuivi par la justice pour… « terrorisme et sédition », ne pouvait se présenter), l’a emporté le 18 octobre 2020 avec 55,10 % des voix. Pour ce faire, il a battu le représentant de la droite dite traditionnelle, Carlos Mesa (Communauté citoyenne ; CC ; 28,83 %) et le néofasciste Camacho (Creemos), crédité d’un modeste 14 % [10].

Avec un tel score, on pourrait considérer ce douteux personnage et son courant neutralisés. C’est oublier leur caractère factieux. Dès le 20 octobre 2020, un rassemblement tenu à Santa Cruz contestait le résultat électoral. Devenu gouverneur de ce Département, Camacho adressa rapidement un avertissement au chef de l’Etat : « Si l’attitude envers Santa Cruz ne change pas, si se poursuivent l’intimidation et la persécution, si l’on continue à nous faire du mal avec des mesures économiques qui nous étouffent, la seule chose qui nous reste est de nous défendre, et vous n’ignorez pas que nous savons le faire et que nous le faisons très bien. »

Le 22 octobre 2022, ce courant « fascistoïde » est repassé à l’action. Prétexte : l’organisation d’un recensement national. Initialement prévu en septembre 2023, celui-ci a été retardé de quelques mois du fait des difficultés apportées à sa préparation par la pandémie. Ce dénombrement de la population sert à recalculer la répartition des sièges au Parlement et les ressources publiques attribuées aux Départements, Santa Cruz étant le plus peuplé du pays. A l’instigation du gouverneur Camacho, du président du Comité civique Rómulo Calvo et du recteur de l’Université autonome Gabriel René Moreno (UAGRM) Vicente Cuéllar, Santa Cruz s’est vue paralysée par un « paro » exigeant la mise en œuvre du recensement avant 2024.

Si le blocage de la ville a affecté les petites entreprises, le commerce informel et l’approvisionnement des habitants, il est apparu rapidement qu’il laissait la totale liberté aux grandes firmes liées à l’oligarchie locale de poursuivre leurs activités. En conséquence, le gouvernement a interdit les exportations de produits alimentaires de base – dont le soja, le sucre, l’huile et la viande de bœuf –, qui, tout en alimentant les finances de ces factions politico-économiques, risquaient de provoquer des pénuries sur le marché intérieur. De leur côté, les mouvements sociaux proches du MAS ont entrepris d’encercler et isoler Santa Cruz par le biais de barrages routiers. Ils considéraient que la grève ne pouvait uniquement affecter ceux qui, de condition modeste, vivent au jour le jour, tandis que les patrons comploteurs et la classe dominante continuaient à produire et engranger des profits.

Tenue à Cochabamba, une « grande réunion plurinationale » a réuni tous les gouverneurs – sauf Camacho, qui a refusé d’y assister – ainsi que l’ensemble des maires, autorités indigènes et recteurs universitaires du pays. A son terme, et après consensus, un comité technique a établi que la réalisation du recensement aura lieu entre mars et avril 2024. Sur la base de ses résultats, la redistribution des ressources économiques destinées au développement régional et national devrait avoir lieu en octobre, soit cinq mois plus tard. « Dans aucun pays, un acte technique comme le recensement n’est un prétexte politique pour déstabiliser et affronter la population, a observé le président Arce, mais certaines personnes ont politisé un processus (…) convenu avec pratiquement toutes les autorités du pays. »

Le 12 novembre, le Comité pro-Santa Cruz a annoncé la poursuite illimitée du « paro ». Contrairement à ce qui s’est passé en 2008 et 2019, Camacho et ses ultras ne sont pas parvenue à étendre leur mouvement aux autres Départements. Même un maire très à droite, comme celui de Cochabamba, Manfred Reyes Villa, a pris ses distances avec ce néofascisme : « Si nous ne pacifions pas le pays, tout peut arriver. Nous ne voulons pas d’effusion de sang, surtout venant de jeunes irresponsables et sans scrupules [qui] veulent amener le problème à Cochabamba. J’ai déjà cette expérience, je ne la referai plus jamais. Nous l’avons fait [en 2008] dans la Media Luna, vous vous en souvenez [11] ? »

De fait, la situation s’est dangereusement tendue. Comme au Venezuela (2014 et 2017) et au Nicaragua (2018), l’extrême droite « cruceñiste » a laissé des délinquants recrutés dans le « lumpen » – « ivrognes, voyous et drogués », accuse le porte parole du Comité interinstitutionnel de Santa Cruz – occuper les points de blocage et, en particulier la nuit, terroriser ceux qui tentaient de circuler. Au 13 novembre, le conflit avait déjà fait 4 morts et 178 blessés. Parmi les victimes, et là encore comme au Venezuela en 2014 lors des « guarimbas », un motocycliste a été décapité le 8 novembre par un câble tendu en travers d’une avenue. L’Union des jeunes cruceñistes a multiplié les exactions. Le 11 novembre, une manifestation pacifique d’organisations sociales a été attaquée avec une extrême violence par des paramilitaires parfaitement organisés. Débordant la police anti-émeutes, ceux-ci incendièrent ensuite les locaux de la Fédération départementale des travailleurs paysans et mirent à sac la Centrale ouvrière départementale (COD).

Malgré un ultimatum lancé aux autres comités civiques du pays, Santa Cruz s’est finalement trouvée isolée dans sa contestation de la date du recensement. Un temps, les factieux ont changé leur fusil d’épaule. Reprenant les thèmes séparatistes employés sans succès en 2008, ils ont prétendu convoquer une commission constitutionnelle pour « examiner les futures relations politiques de Santa Cruz avec l’Etat bolivien ». Le 13 novembre, le président du Comité civique, Rómulo Calvo, déclarait que si le dit comité n’est pas écouté, « des actions seront entreprises vers le fédéralisme ». Avant de céder au bout de 36 jours de troubles, le rapport de forces ne permettant guère d’aller plus avant dans l’immédiat. En effet, au Brésil voisin, Bolsonaro qui eut pu être un allié de poids (il l’a été en 2019 en envoyant des armes au gouvernement de facto pour mater les protestations), venait de perdre l’élection présidentielle. « A partir de maintenant, nous faisons un entracte, levons la grève et les blocus, sans suspendre notre combat », a souligné, le 16 novembre, Rómulo Calvo.

Même mise pour l’instant en échec, une telle organisation du chaos porte un nom : tentative de déstabilisation.

Luis Fernando Camacho (à droite) et son complice Luis Almagro, secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (au centre), à Washington en décembre 2019.

Démocratique la droite péruvienne depuis que, le 19 juillet 2021, a été proclamé vainqueur de la présidentielle l’enseignant et syndicaliste Pedro Castillo ? Comme au Chili, mais en sens politique inverse, le premier tour avait été marqué par un séisme : si, pour la droite, Force populaire (FP) et Keiko Fujimori accédaient au second tour (13,35 % des voix), un parfait inconnu arrivait en tête, le candidat de la gauche radicale Castillo (19 %).

Keiko Fujimori n’est pas stricto sensu classée à l’extrême droite, même si elle est la fille de l’ancien dictateur Alberto Fujimori (1990-2000), condamné en 2007 à vingt-cinq ans de réclusion pour crimes contre l’humanité et à huit ans pour corruption. Il n’en demeure pas moins qu’elle se situe à la droite de la droite et, qu’entre les deux tours, des dizaines de militaires à la retraite lui apportèrent ouvertement leur soutien (comme le firent, depuis l’étranger, l’ancien président colombien Álvaro Uribe ou l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa).

Malgré ces appuis « de marque », son adversaire Castillo l’emporta le 6 juin. Avec, toutefois, un bémol de taille, peu noté sur le moment : une bonne moitié des électeurs qui lui offrirent sa très courte avance (51 % des voix) ne le firent pas par adhésion à son programme. Il s’agissait avant tout pour eux d’éliminer le danger « Fujimori ». A la Chambre, avec 37 des 130 sièges, le parti Pérou Libre, dont Castillo était le candidat, ne serait que la première minorité. En d’autres termes, plus qu’une victoire de la gauche, c’est la droite radicale qui fut battue. Provisoirement…

A partir de sa prise de pouvoir, Castillo a subi un calvaire. En mars 2022, après seulement sept mois de gestion, le Congrès avait déjà renversé plusieurs de ses ministres et premiers ministres. Dans une démarche ubuesque, le chef de l’Etat lui-même dut faire face à d’incessantes procédures de destitution. En août 2022, le prétexte en fut une très vague « permanente incapacité morale ». N’atteignant pas les deux tiers des votes nécessaire (87 voix), le Congrès repartit à l’offensive, appuyé par une campagne permanente des médias nationaux.

Cinquième enquête préliminaire : Castillo est accusé par la procureure Patricia Benavides de diriger une « organisation criminelle », de « trafic d’influence et de collusion ». « Un nouveau type de coup d’Etat a commencé au Pérou », dénonce le Président. Il n’a pas tort. Le 11 novembre, par 11 voix contre 10, la sous-commission des accusations constitutionnelles du Congrès l’accuse de « trahison de la patrie ». Prétexte : en 2018, à La Paz, lors d’un congrès syndical, bien avant son élection, il a déclaré que le Pérou « pourrait faciliter un accès à la mer à la Bolivie » – accès qui, depuis la Guerre du Pacifique, lui est nié par le Chili [12]. Eclair de lucidité ? Le 22 novembre, le Tribunal constitutionnel déclare fondée la demande d’habeas corpus déposée par les avocats du chef de l’Etat et, en conséquence, ordonne au Congrès d’annuler son accusation.

Un tel harcèlement politico-juridique a eu pour première conséquence de faire exploser le champ politique – de l’extrême gauche (Pérou Libre) au centre gauche de Veronika Mendoza (Ensemble pour le Pérou) – qui appuyait le chef de l’Etat. En permanence sur la défensive et faute de base sociale organisée, celui-ci s’agite dès lors comme un nageur en train de se noyer. En désespoir de cause, il sollicite l’Organisation des Etats américains (OEA) pour qu’elle active la Charte démocratique – engagement collectif supposé renforcer et préserver le système démocratique dans la région. De quoi provoquer des sourires lorsqu’on connaît le rôle de cette organisation dans la déstabilisation des gouvernements progressistes. L’OEA, en l’occurrence ne se « mouille » pas » : le 1er décembre, elle recommande d’« initier une trêve politique » en attendant que soit convoqué un dialogue et qu’« un consensus minimum soit atteint pour assurer la gouvernabilité ». En réponse, et le jour même, le Congrès lance cyniquement une troisième motion de destitution du chef de l’Etat – pour « incapacité morale permanente » à nouveau.

Acculé comme il l’est, Castillo ne peut plus mettre en œuvre une quelconque politique « sociale », mais, de réactions improvisées en manœuvres erratiques, il survit, tout simplement. Et le 7 décembre, l’opposition atteint l’un de ses buts : elle le pousse à la faute. Peu avant que le Congrès ne se réunisse pour débattre de la motion visant à le destituer, il tente de prendre les devants. Dans un message à la nation, il proclame la dissolution « temporaire » dudit Congrès, l’établissement d’un « gouvernement d’urgence nationale », et enfin l’établissement « dans les plus brefs délais » d’un Congrès constituant (prévu dans son programme de campagne et que l’opposition a tout fait pour empêcher). D’ici à la rédaction d’une nouvelle Constitution « dans un délai ne dépassant pas neuf mois », précise Castillo, « le pays sera gouverné par décrets-lois ».

Sur le fond, la démarche est politiquement cohérente. Dans la forme, elle a laissé de côté un détail qui n’a rien d’anodin : constitutionnellement, un président de la République n’a le droit de dissoudre le Congrès que si celui-ci refuse par deux fois d’accorder sa confiance à un cabinet ministériel.

Le 11 novembre, une telle question de confiance a été posée par l’Exécutif pour modifier la norme régissant l’appel à un référendum (en vue de la fameuse Constituante). Le Congrès a décidé de « rejeter purement et simplement » la demande, c’est-à-dire de ne pas y répondre – ce qui lui permet de prétendre qu’elle n’a pas « refusé ». Au-delà de l’hypocrisie de la démarche, il manque de toute façon une seconde censure ou refus de confiance du Congrès envers le Conseil des ministres. La décision de Castillo tombe dans le domaine de l’illégalité. Que l’opposition qualifie immédiatement d’« auto-coup d’Etat ».

Ce 7 décembre, la police arrête Castillo avant même que sa destitution ne soit approuvée par le Congrès (101 voix pour, 6 contre, 10 abstentions). Issue de la gauche radicale, la vice-présidente Dina Boluarte prête serment. Comme ses homologues Roberto Micheletti (Honduras), Francisco Franco (Paraguay), Michel Temer (Brésil) au moment des renversements de Manuel Zelaya, Fernando Lugo et Dilma Rousseff, elle affiche une évidente satisfaction d’accéder à la magistrature suprême. Exécute oralement Castillo. Demande au Congrès « une trêve politique » (comme l’OEA quelques jours auparavant). Annonce qu’elle va installer « un gouvernement d’union nationale » et convoque « un ample dialogue » avec toutes les forces politiques. La droite l’ovationne. Keiko Fujimori la félicite… La population ne bouge pas.

Pendant le cours des événements, l’ambassadrice américaine à Lima n’a pu s’empêcher de tweeter : « Les Etats-Unis demandent instamment au président Castillo de revenir sur sa tentative de fermer le Congrès et de permettre aux institutions démocratiques du Pérou de fonctionner conformément à la Constitution. » Après le dénouement, et lui aussi par tweet, le président mexicains López Obrador a fait entendre une autre chanson : « Nous considérons regrettable qu’en raison des intérêts des élites économiques et politiques, depuis le début de la présidence légitime de Pedro Castillo, une atmosphère de confrontation et d’hostilité ait été entretenue contre lui, l’amenant à prendre des décisions qui ont servi à ses adversaires pour consumer sa destitution. »

Prestation de serment de Dina Boluarte, Lima, 7 décembre 2022.

Préalablement, lors des élections régionales du 4 octobre 2022, Pérou libre (qui a fait élire Castillo) et Force populaire (de Keiko Fujimori) avaient subi une cinglante défaite. Partout ou presque, des partis « indépendants » ou « régionaux » l’ont emporté. Castillo renversé, nul ne peut prédire si Dina Boluarte passera un pacte avec la droite ou sera à son tour renversée par cette dernière – qui rêve de porter à la magistrature suprême le suivant dans la ligne de succession, José Williams, ex-général et président du Congrès. L’homme appartient au groupe Avanza País, un parti qui, avec le Fujimorisme et le parti néo-fasciste Rénovation populaire, forme le bloc de l’extrême droite péruvienne. D’où la question : que Boluarte termine ou non son mandat, et sachant que la population ne croit plus en personne, qui tirera la couverture à lui ?

Au premier tour de l’élection présidentielle, un certain López-Aliaga (Rénovation populaire) est arrivé troisième avec 11,7 % des suffrages, à seulement quatre points de Keiko Fujimori. Pendant la campagne, le candidat de la droite traditionnelle, l’économiste Hernando de Soto, avait déclaré qu’une victoire de López-Aliaga « serait le pire qui puisse arriver au pays ». Eliminé de la présidentielle, ce dernier n’en a pas moins resurgi à l’occasion des élections régionales et municipales du 4 octobre 2022. Dans la course pour la mairie de Lima, scrutin au cours duquel – pour reprendre la formule du journaliste français Romain Migus [13] – s’affrontaient « la droite, l’extrême droite et l’ultra-droite », López-Aliaga l’a finalement emporté. D’extrême justesse, il a battu le général à la retraite Daniel Urresti, poursuivi pour son implication présumée dans la mort d’un journaliste en 1991.

Homme d’affaire à succès, López-Aliaga est devenu le roi du ferroviaire péruvien en bénéficiant de la privatisation par Alberto Fujimori, dans les années 1990, de l’Entreprises nationale des chemins de fer (Enafer) et d’EnturPerú (hôtels Monasterio et Machu Picchu). Membre de l’Opus Dei, pratiquant l’auto-flagellation « pour s’unir à la passion du Christ », ce néolibéral a su conquérir tant les évangéliques qu’une partie des catholiques, sur un agenda ultraconservateur en matière de mœurs.

Affichant clairement la couleur, ce nouveau maire de Lima est signataire de la Charte de Madrid [14]. Elaborée en octobre 2020 par la Fondation Disenso, que préside Santiago Abascal, leader du parti d’extrême droite espagnol Vox, cette Charte « anticommuniste » compte parmi ses adeptes les inévitables José Antonio Kast, Eduardo Bolsonaro et Javier Milei, mais aussi María Corina Machado (« ultra » vénézuélienne), Arturo Murillo (ministre de l’Intérieur de la putschiste bolivienne Janine Añez, actuellement emprisonné aux Etats-Unis pour corruption), María Fernanda Cabal (du Centre démocratique, en Colombie), Otto Ramón Sonnenholzner (vice-président de Lenín Moreno en Equateur entre 2018 et 2020) et… la nouvelle première ministre italienne Giorgia Meloni.

On objectera que, surnommé « le Bolsonaro péruvien », López-Aliaga n’a été élu qu’avec 26,29 % des voix. De sa position stratégique à la mairie de Lima (30 % de la population nationale), il ne s’en trouve pas moins en situation très favorable pour poursuivre son offensive politique. Et éventuellement profiter de la chute de Dina Boluarte. A moins qu’un autre « antisystème » ne lui dame le pion s’il réussit sa résurrection : Antauro Humala.

Frère de l’ex-président Ollanta Humala (2011-2016), cet ex-militaire a été condamné à vingt-cinq ans de prison pour s’être soulevé contre le chef de l’Etat Alejandro Toledo, à Andahuaylas, le 1er janvier 2005. Pour avoir « travaillé et étudié », Humala vient de bénéficier d’une libération anticipée au terme de dix-sept ans et demi de détention. Idéologue de l’ethnocacérisme, ultra-nationaliste et quelque peu antisémite à l’époque de son incarcération [15], il a, à sa sortie de prison, été accueilli par des dizaines de partisans aux cris de « Antauro, président » !

« Personne ne sort après 18 ans de prison pour plaisanter, a-t-il lancé en conférence de presse le 8 octobre dernier, à Arequipa. Nous allons donner une leçon historique. » Quelque peu inquiétante si l’on en croit les détails qui ont suivi : « A l’été 2023, avec un demi-million d’ethnocacéristes, d’agriculteurs, d’étudiants et de travailleurs, nous allons arriver au Congrès pour le fermer ». S’il est élu président, fonction à laquelle il prétend postuler, Humala assure qu’il fera fusiller quiconque « ne défend pas les intérêts de la patrie ». Face à l’immigration, le discours n’est guère plus tendre : « Ma doctrine est le nationalisme. Il ne peut pas y avoir d’étranger employé alors qu’il y a un Péruvien sans emploi [16].  »

José Williams, López-Aliaga, Antauro Humala… Tristes présages. La « gauche » ayant été pulvérisée, de quoi faire apparaître Keiko Fujimori comme une aimable modérée.

De quoi, de qui, ces extrêmes droites montantes sont-elles le nom ? Des plus anciens aux plus récents, d’un faisceau de facteurs entremêlés à des degrés divers selon les pays.

Crises de foi

« Je ne sais pas si cela sera pour notre génération, ou quand, mais les évangéliques vont élire un président de la République (…)  », prophétisait au début des années 2010 l’évêque néo-pentecôtiste Marcelo Crivella, maire de Rio de Janeiro de 2017 à 2020, arrêté pour « corruption » quelques jours avant la fin de son mandat. Indépendamment des tribulations du personnage, sa prédiction s’est réalisée. Que ce soit en 2018 ou lors de la dernière campagne présidentielle, la pénétration des évangéliques dans la société et les sphères du pouvoir brésiliennes a été unanimement soulignée [17]. Pour le pire lorsque, en 2020, le chef de l’Eglise Universelle du Règne de Dieu Edir Macedo appelle ses ouailles à « ne pas se préoccuper du coronavirus », la pandémie étant orchestrée par une alliance « entre Satan, les médias et les intérêts économiques » pour « semer la terreur ». Pour le… pire encore quand la Première Dame Michelle Bolsonaro proclama que « le Seigneur » avait choisi son mari pour « vaincre le démon » incarné par Lula.

Dépassant le seul cas du Brésil, le phénomène s’inscrit dans le temps long (celui qui permet de se faire oublier). En 1969, à la demande du président Richard Nixon, Nelson Rockefeller, gouverneur de l’Etat de New York, membre du Parti républicain et fils du milliardaire John D. Rockefeller, dirigea une mission d’enquête sur la situation des pays latino-américains. Dans son rapport, il attira l’attention du gouvernement sur le danger représenté par l’Eglise catholique, alors en pleine vitalité, et sa « théologie de la libération » – l’option préférentielle pour les pauvres – « inspirée par la propagande communiste ». Pour contrebalancer ce courant, le même rapport préconisa le financement des groupes évangéliques américains présents au sud du Rio Grande.

Aux Etats-Unis même, subventionnés par plusieurs fondations, dont certaines proches du Parti républicain, naquirent des centres théologiques d’un type nouveau – le Département de théologie de l’American Enterprise lnstitute (dirigé par Michael Novak), l’Institute for Religion and Democracy (conduit par Peter Berger) – ayant pour objectif la lutte contre l’aile gauche de l’Eglise catholique. Une déferlante de groupes évangéliques étatsuniens s’abattit sur l’Amérique centrale (où couvaient les conflits armés des prochaines années 1980) et le Brésil (où des foyers de pentecôtisme étaient présents depuis les années 1910). Novak donna de nombreuses conférences en Amérique latine où ses ouvrages, traduits en espagnol, furent diffusés entre autres par les ambassades des Etats-Unis.

Base de la politique extérieure de Ronald Reagan, un rapport élaboré en 1980 par la commission dite de Santa-Fe désigna lui aussi l’Eglise populaire comme objets de sérieuses préoccupations pour la Sécurité nationale des Etats-Unis : « La politique étrangère américaine devrait commencer à confronter la théologie de la libération (et non pas se contenter de réagir a posteriori) […] En Amérique latine, l’Eglise joue un rôle vital dans la promotion du concept de liberté politique ; malheureusement, les forces marxistes-léninistes ont utilisé l’Eglise comme arme politique contre la propriété privée et le système capitaliste de production, infiltrant les communautés religieuses avec des idées qui sont plus communistes que chrétiennes. »

Le raidissement de la politique étrangère américaine coïncida avec l’élection d’un nouveau pape, en octobre 1978, le polonais Karol Józef Wojtyła – Jean-Paul II [18]. Dès sa première visite officielle en Amérique latine en janvier 1979, ce pape férocement anti-communiste monta au front contre le courant progressiste de l’Eglise et les initiatives pastorales qu’il inspirait. En étroite collaboration avec celui qui deviendrait son successeur, le cardinal Joseph Ratzinger, et en phase sur ce point avec l’Oncle Sam, Jean-Paul II réussira à affaiblir, contenir et finalement « casser » les théologiens de la libération – dont ne restent aujourd’hui que quelques rescapés [19].

La nature ayant horreur du vide, les évangéliques vont bousculer l’Eglise de Rome, jadis en situation de quasi-monopole religieux. Dans les grands pays (Argentine, Brésil, Mexique), le catholicisme, même s’il demeure majoritaire, perd de 20 % à 30 % de fidèles en une quarantaine d’années. En Amérique centrale, il devient minoritaire [20].

A l’approche très émotionnelle des dévotions, cultes, cérémonies et autres assemblées de prière des évangéliques s’ajoute leur « théologie de la prospérité » (née aux Etats-Unis). En gros : en plus du salut en Jésus-Christ, les chrétiens recevront richesse, santé et succès, pour autant qu’ils mettent leur foi en action (et en fonction des dons qu’ils font à leur pasteur, cela va de soi !). Aux antipodes de la croyance dans la vie publique et les luttes sociales, une vision particulièrement conservatrice de la vie. Une division du monde entre les « bons » et les « mauvais ».

Pour autant, on aurait tort de ne voir dans les évangéliques – qui, tous, d’ailleurs, n’appuient pas l’extrême droite – les seuls vecteurs de la montée du conservatisme dans les sociétés latinas. En effet, les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI ont sciemment favorisé l’essor de l’Opus Dei – parachevé par la nomination du premier cardinal de ce mouvement ultraconservateur en la personne de l’archevêque Juan Luis Cipriani en 1981 au Pérou.

Sur cette partie du continent encore emplie de « religiosité », et malgré la présence à Rome du pape argentin Francisco (Jorge Bergoglio), ouvertement en empathie avec les causes progressistes, nombre de hiérarchies catholiques jouent leur partition dans la droitisation radicale de la société. Au Venezuela, où, depuis le début des années 2000, l’épiscopat a béni toutes les tentatives de coups d’Etat et de déstabilisations menées contre Hugo Chávez, puis Nicolás Maduro, par les secteurs les plus extrémistes de l’opposition. Au Honduras où le cardinal Oscar Rodríguez Maradiaga a accompagné le renversement du président Manuel Zelaya (2009) et a ultérieurement maintenu une étroite alliance avec le « narco-pouvoir » qui s’est incrusté à Tegucigalpa [21]. Au Nicaragua où, sans remonter aux années 1980, la conférence épiscopale a joué un rôle majeur dans les violences insurrectionnelles de 2018.

L’unité de l’Eglise a vacillé en Colombie en 2016 lors du plébiscite sur les Accords de paix avec les FARC convoqué par le gouvernement de Juan Manuel Santos (un catholique pratiquant). Certains secteurs catholiques (et les votes des évangéliques) ont lourdement contribué à faire pencher la balance en faveur du « non », donnant une sorte de légitimité au président Iván Duque lorsqu’il entreprit de torpiller les dits accords, au prix de la stabilité du pays.

Sans entrer ici dans l’évocation du thème de l’avortement, qui unit catholiques et pentecôtistes dans une même lutte frontale, on notera que, pour l’archevêque de la ville de La Plata, Mgr Héctor Aguer, connu pour sa défense des positions les plus conservatrices de l’Eglise catholique, la vague de « féminicides » enregistrée en Argentine trouve son origine dans la crise du mariage, une institution devenue « un patchwork temporaire ».

Bolivie, 2019 : qui pourrait oublier l’entrée dans le Palais du Gouvernement, à La Paz, de la putschiste Jeanine Ánez, levant au-dessus de sa tête une énorme Bible tout en criant « Dieu revient au Palais ! Dieu est de retour ! » Qui pourrait oublier que c’est dans les locaux de l’Université catholique bolivienne (UCB) qu’eut lieu la réunion consolidant le « golpe »  ? Le 11 novembre 2019, alors que le coup d’Etat était consommé et présidant un service religieux, l’évêque auxiliaire de Santa Cruz, Estanislao Dowlaszewicz, soulignait : « Aujourd’hui, c’est la résurrection d’une nouvelle Bolivie, un jour historique pour notre pays… Merci pour le rétablissement de la démocratie, merci pour le sacrifice tout au long des grèves et des blocus… Merci à la police et aux forces armées… ».

En octobre et novembre 2022, c’est appuyé en sous-main par une partie conséquente de l’Eglise catholique que Luis Fernando Camacho a jeté ses néofascistes organisés et armés sur les quartiers populaires de Santa Cruz. Le 3 novembre, le secrétaire général de la Conférence épiscopale bolivienne, Mgr Giovani Arana, a lancé un appel urgent au gouvernement pour qu’il « assume ses responsabilités et cherche des solutions aux conflits qui affligent le peuple bolivien en rétablissant la paix, la coexistence démocratique et en apportant une réponse urgente aux demandes du peuple  ». Dix jours plus tard, le président de la Conférence épiscopale, Mgr Aurelio Pesoa, apportait lui aussi un soutien tacite aux positions radicales et antigouvernementales : « Dans la société bolivienne, on tente actuellement d’imposer un projet de pays, qui est le projet de certains, mais qui ne représente pas l’ensemble du peuple bolivien. »

Aux antipodes de cette meute de théologiens enragés, et sans le mentionner directement, un groupe d’évêques catholiques brésiliens a publié une lettre se prononçant contre la réélection de Jair Bolsonaro. Intitulé « Evêques du dialogue pour le Royaume », le document affirmait que le second tour des élections plaçait la population brésilienne « devant un défi dramatique » ne permettant pas « la neutralité ».

La loi du « lawfare »

Président, ex-président, homme ou femme politique, de droite ou de gauche, nul ne peut être considéré au-dessus de la loi. Par ailleurs, omniprésente en Amérique Latine depuis une éternité, la corruption touche autant les fonctionnaires de l’Etat que les acteurs privés. La confusion s’installe lorsque, instrumentalisée, la lutte anticorruption se transforme en persécution judiciaire destinée à détruire un leader populaire ou un courant politique.

La moitié du Brésil est persuadée que Lula, le président récemment élu, est un voleur. N’a-t-il pas été accusé, puis condamné pour « corruption active, détournement d’argent public, blanchiment, corruption passive et obstruction à la justice » ?

La publication en juin 2019, par le site The Intercept Brasil de messages échangés entre le juge Moro, le procureur Dallagnol et d’autres magistrats chargés de l’enquête « Lava Jato », a mis à jour leur collusion et leurs motivations politiques pour éliminer Lula en le condamnant, non pas avec des preuves, mais avec des « convictions » [22]. En récompense, Sergio Moro devint un temps ministre de la Justice de Bolsonaro, dont il s’éloignera, avant de l’appuyer lors de la dernière élection (et d’être lui-même élu sénateur).

En décembre 2020, en Argentine, à l’occasion d’un séminaire sur la politique régionale, Lula a déclaré : « Les Etats-Unis ne nous ont jamais permis d’être indépendants. Il y a eu des ingérences des ambassadeurs, plus tard des militaires, et maintenant du pouvoir judiciaire. C’est l’industrie de la construction du lawfare. »

Contraction des mots anglais « loi » (law) et « guerre » (warfare), le « lawfare » est l’instrumentalisation des appareils juridiques pour déstabiliser et éliminer les adversaires politiques. On en trouve une première mention lorsque, en 2001, le général de l’US Air Force Charles Dunlap prône l’utilisation des magistrats et procureurs comme « substituts aux moyens militaires traditionnels pour atteindre un objectif de guerre ». En décembre 2017, sous l’administration de Donald Trump, le document définissant la nouvelle stratégie de Sécurité nationale assumera clairement que la lutte contre la corruption est un moyen de déstabiliser les gouvernements des pays « concurrents » ou « ennemis » des Etats-Unis [23].

On n’entrera pas ici dans une description détaillée des lois – telles la Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) – à travers lesquelles Washington impose ses normes au niveau international. On ne dénombrera pas plus les multiples organismes, think tank et institutions (nationaux et multilatéraux) permettant aux Etats-Unis d’influencer, former et coopter une pléthore de magistrats latino-américains – Office of Overseas Prosecutorial Development, Assistance and Training (OPDAT), USAID, OEA, universités diverses, etc. On se contentera de résumer en précisant que le Federal Bureau of Investigation (FBI) a collaboré en sous-main et en violant les lois brésiliennes à la mise en cause de Lula dans le cadre de « Lava Jato ».

Destruction politique d’un dirigeant : le colombien Gustavo Petro y a eu droit une première fois lorsque, maire de Bogotá, en décembre 2013, il fut destitué et inhabilité à occuper un quelconque poste politique pendant 15 ans par le procureur général « uribiste » Alejandro Ordóñez. Après que le Tribunal supérieur de Bogotá ait ordonné son rétablissement dans ses fonctions, le 23 avril 2014, une deuxième tentative eut lieu. Désormais sénateur, Petro venait pour la première fois de porter très haut le score d’un candidat de gauche à la présidentielle, en juin 2018. Le thème mortel du « financement par le narcotrafic » sortit du chapeau. « Ils veulent éliminer de la vie politique légale le candidat qui a obtenu 8 millions de voix et qui a failli devenir président », s’insurgea Petro. Ils ne cherchent pas à ce que je quitte le Sénat, mais à ce que je ne sois plus candidat à la présidence du pays. » Dans ce cas précis, non sans laisser des traces dans une partie de l’opinion publique, la manœuvre échoua.

Sans aucune preuve irréfutable, le vice-président équatorien Jorge Glass a été condamné en 2017 à deux peines d’incarcération, l’une (« corruption aggravée ») de 8 ans, l’autre (« association illicite ») de 6 ans (il est sorti de prison, après appel, le 28 novembre 2022). Sa mise en cause a suivi une démarche du Département de la Justice des Etats-Unis dénonçant le versement par Odebrecht de pots de vin destinés à des « fonctionnaires corrompus ». Plus emblématique encore : promoteur de la révolution citoyenne (2007-2017), l’ex-président Rafael Correa, de même que certains de ses ex-ministres ou dirigeants de son parti, doit faire face à une multitude d’accusations plus ubuesques les unes que les autres. En 2018, Correa a ainsi été reconnu coupable d’« influence psychique » : si, selon le tribunal, il n’a commis aucun crime, il a « psychiquement influencé » d’autres personnes qui en ont commis ! Sur une telle base, il a été condamné par contumace à huit ans de prison et 25 ans d’interdiction de participation à la vie politique. Vivant actuellement en Belgique, il lui est impossible de rentrer dans son pays. Dans son cas, l’ « enquête » a démarré après la publication d’un article sur le site Mil Hojas – fondation « défenseuse de la liberté d’expression » financée par la National Endowment for Democracy (NED), organisme dépendant du Département d’Etat américain.

On passera rapidement sur le cas d’Evo Morales, accusé en décembre 2018 de « sédition », « terrorisme » et « financement du terrorisme », alors qu’il venait d’être renversé. Il ne dut son salut qu’au refuge alors offert par le Mexique d’Andrés Manuel López Obrador (AMLO), puis l’Argentine d’Alberto Fernández. D’où il participa à la reconquête du pouvoir – et de la démocratie.

On évoquera tout aussi brièvement le président paraguayen Fernando Lugo, qui dut subir, entre 2008 et 2012, sous les prétextes les plus divers, vingt-trois tentatives de « jugements politiques » (« juicios políticos »). On ne mentionnera que pour mémoire le péruvien Pedro Castillo, harcelé sous les accusations les plus diverses pour obtenir ou forcer sa démission.

Expérience toute particulière que celle de Nicolás Maduro, le chef de l’Etat vénézuélien. Le 26 mars 2020, le procureur général américain William Barr a mis sa tête à prix 15 millions de dollars ! – une récompense promise à qui aiderait à le capturer. Depuis 2018 et une requête des supplétifs de Washington – Argentine et Colombie (qui se sont rétractés depuis l’arrivée au pouvoir de Fernández et de Petro), Chili, Paraguay, Pérou et Canada –, la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une enquête sur les allégations de crimes contre l’humanité commis par « son » régime.

La reine du « lawfare » s’appelle incontestablement Cristina Fernández de Kirchner (CFK). Actuelle vice-présidente de l’Argentine, présidente de 2007 à 2015. Depuis 2004, 650 plaintes ont été déposées contre elle par des adversaires politiques [24]. La persécution est telle qu’un de ses collaborateurs les plus brillants et respectés, l’ex-ministre des Affaires étrangères Héctor Timerman, accusé comme elle dans le cadre de l’affaire de l’attentat contre l’AMIA [25], se vit interdire de sortir du territoire pour suivre aux Etats-Unis le traitement expérimental contre le cancer qu’il avait entamé (il en mourut le 30 décembre 2018).

Dans ce domaine, CFK aura tout vécu. En 2017, on essaya de transformer en affaire judiciaire la politique de taux de change mise en place par son gouvernement. En août 2022, malgré l’absence totale de preuves et trois années de procès, les procureurs fédéraux Diego Luciani et Sergio Mola ont requis contre elle une peine de douze années de prison pour corruption dans une affaire concernant l’attribution de marchés publics. Trois jours plus tard, le sénateur du Texas Ted Cruz, un Républicain ultra-droitier, a appelé le Département d’Etat américain à lui imposer des sanctions.

Après avoir rebaptisé ce procès « peloton d’exécution médiaco-judiciaire » et ajouté « ce n’est pas un procès de Cristina, c’est un procès du péronisme et des gouvernements populaires », CFK a demandé que les procureurs Luciani et Mola fassent l’objet d’une enquête pour prévarication. Sur la base de photos publiées dans la presse locale, on sait qu’ils jouent à l’occasion au football avec le président du tribunal, Rodrigo Giménez Uriburu, dans la propriété « Los Abrojos » de l’ancien chef d’Etat Mauricio Macri. En février 2020, impliqué dans un réseau d’espionnage et d’extorsion de fonds destiné à persécuter des personnalités politiques opposées au gouvernement néolibéral, le faux avocat Marcelo d’Alessio affirmait déjà : « Si je dis ce que je sais, les quatre affaires que la justice de Macri a ouvertes contre le kirchnérisme et l’ex-présidente Cristina Fernández de Kirchner s’effondrent [26]. »

Juges et procureurs jouant au football dans la propriété « Los Abrojos » de Mauricio Macri.

Attendu, le dénouement n’a pas surpris : le 6 décembre, déclarée coupable « d’administration frauduleuse au préjudice de l’Etat », CFK a été condamnée à six ans de prison et à l’inéligibilité à vie. Quelques minutes après le verdict, depuis son bureau au Sénat, la vice-présidente a réagi : « Il ne s’agit même plus de persécution politique ni de lawfare. C’est encore plus simple : il s’agit d’un Etat parallèle et d’une mafia judiciaire. »

L’assertion ne manque pas de pertinence. Quelques jours auparavant, grâce au quotidien Pagina12, un nouveau scandale de collusion politico-judiciaire avait éclaté. A l’invitation du Groupe Clarín, holding médiatique frontalement opposée à Alberto Fernández (et plus encore à Cristina Kirchner), un groupe de juges parmi lesquels Julian Ercolini (qui a entamé le procès contre CFK), le ministre de la Justice de la Sécurité de la Ville autonome de Buenos Aires (CABA) Marcelo D’Alessandro ainsi que d’autres notables et hommes d’affaires ont bénéficié tous frais payés d’un vol charter les amenant dans la propriété de Joe Lewis, homme d’affaires britannique milliardaire, grand ami de Mauricio Macri, sur le Lac Escondido.

Si elle nie toutes les charges et va faire appel, Cristina Kirchner a d’ores et déjà annoncé qu’elle ne se présentera pas à la prochaine élection présidentielle : « Je ne vais pas soumettre la force politique qui m’a fait l’honneur d’être deux fois présidente et vice-présidente au risque d’ être maltraitée en période électorale, en disant qu’elle a une candidate condamnée. » Objectif atteint pour la droite. Mais, dans une Argentine où la base péroniste et même le Président de la République ne peuvent cacher leur indignation, la polarisation, déjà très forte, vient de monter d’un cran. Le pays risque de tanguer très sérieusement.

Même en cas d’acquittement ou de doute quant à la justesse du verdict, l’effet du « lawfare » sur l’opinion publique est dévastateur. Car les accusateurs, pendant toute leur besogne, bénéficient d’une aide inestimable : celle des médias. Avant même d’être jugés en jouissant d’un juste droit à la défense (ce qui est rarement le cas), les accusés ont été exposés, dénigrés, lynchés et condamnés sans appel par le lobby du lavage de cerveaux. Le pape Francisco lui-même s’en est inquiété au moment de la crucifixion de Lula : « Des conditions obscures sont créées pour condamner une personne (…) Les médias commencent à dire du mal des gens, des dirigeants et, avec la calomnie et la diffamation, ils les salissent. Puis entre en jeu la justice qui les condamne et, à la fin, on fait le coup d’Etat. C’est un des systèmes les plus honteux [27].  » Diffamez, diffamez, il en restera toujours quelque chose…

Seulement, et comme au Brésil, l’opération agit comme un boomerang. Car même si les médias, cette fois, se taisent, il transpire à l’occasion que les accusateurs devraient être les accusés. Lorsque, en octobre 2021, éclate le scandale dit des « Pandora Papers » – une énième fuite de documents financiers menant à de discrets comptes dans les paradis fiscaux –, trois noms de chefs d’Etat latino-américains sautent aux yeux : l’équatorien Guillermo Lasso, le chilien Sebastián Piñera et le dominicain Luis Abinader. Leurs prédécesseurs César Gaviria et Andrés Pastrana (Colombie), Pedro Pablo Kuczynski (Pérou), Porfirio Lobo (Honduras), Alfredo Cristiani et Francisco Flores (Salvador), Horacio Cartes (Paraguay), Juan Carlos Varela, Ricardo Martinelli et Ernesto Pérez Balladares (Panamá) ainsi que quatre-vingt-dix dirigeants de haut niveau les accompagnent, parmi lesquels la vice-présidente colombienne Marta Lucía Ramírez, le séparatiste bolivien Branko Marinkovic, le ministre de l’Economie de Bolsonaro, Paulo Guedes, le président de la Banque centrale brésilienne, Roberto Campos Neto – sans parler des membres de la famille de Mauricio Macri.

Un tel panorama global mène à l’inévitable « Tous pourris ». Pour le plus grand profit de l’extrême droite – nous y revoilà. Avec une autre et redoutable dimension. La montée de la haine. L’incessante violence verbale, politique et judiciaire, les campagnes médiatiques qui l’accompagnent, échauffent les esprits, exacerbent les tensions. Le 1er septembre, désormais honnie par l’opposition, Cristina Kirchner a échappé par miracle à une tentative d’assassinat commise avec une arme de poing. Tatoué sur le coude d’un « soleil noir », un symbole néonazi, l’individu arrêté, Fernando André Sabag Montiel, peut apparaître comme un « loup solitaire » – selon l’expression consacrée. Malgré un appareil judiciaire cette fois passablement inerte, des liens avec un groupuscule d’extrême droite, Révolution fédérale, sont néanmoins fortement suspectés.

Cristina Fernández de Kirchner : « C’est un peloton d’exécution médiatico-judiciaire ».

Le grand air de la fraude

Bolsonaro innove-t-il lorsqu’il conteste par avance les résultats d’une élection qu’il sait perdue ? Quand, le 21 août 2021, il lance à ses partisans, à propos du Tribunal suprême fédéral : « Le moment est venu de dire que vous n’accepterez pas que quiconque à Brasilia vous impose sa volonté. » Quant, à Curitiba (22 mai 2022), devant une assemblée de pasteurs évangéliques, il professe : « Seul Dieu me sortira du fauteuil présidentiel. »

Le 18 juillet, face à plusieurs dizaines d’ambassadeurs du monde entier et critiquant le système de vote électronique, le chef de l’Etat se livre à une attaque en règle contre les institutions, dont il est censément le garant : « Ce que nous voulons, ce sont des élections propres, transparentes ! »

Nouveau ? Que non pas. On avancera : « banalisé ». Au Nicaragua, en novembre 2006, devant la probable victoire du sandiniste Daniel Ortega, alors dans l’opposition, la droite dénonce à l’avance une fraude – la sandiniste défroquée Dora María Tellez se chargeant d’en alerter l’ambassadeur des Etats-Unis Paul A. Trivelli [28]. Mêmes accusations, systématiques, à chaque scrutin présidentiel – 2011, 2016, 2021. Episode comique, qui aurait dû attirer l’attention : en 2008, lors d’élections municipales remportées par le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) – 109 villes sur 153 –, le banquier Eduardo Montealegre, battu à Managua, hurle à la fraude. Le Conseil supérieur électoral (CSE) annonce un recomptage des votes. Pris à leur propre piège, les libéraux refusent d’assister à l’opération. Ils n’apporteront ultérieurement aucune preuve sustentant leur accusation. Pas plus que ne le fera l’opposant vénézuélien Henry Ramos Allup après que, en 2004, Hugo Chávez ayant gagné un référendum révocatoire (59 % des voix), il a annoncé : « Nous allons réunir des éléments afin de prouver au Venezuela et au monde la gigantesque fraude qui a été perpétrée contre la volonté du peuple. »

Chaque scrutin et chaque victoire chaviste feront ultérieurement l’objet des mêmes accusations. En revanche, lorsque la droite l’emporte – gouvernorats, députations, mairies –, avec le même Conseil national électoral (CNE), jamais elle ne conteste le résultat. C’est ainsi en accusant le gouvernement de ne pas lui avoir donné de garanties suffisantes quant à l’organisation du scrutin, que la coalition de la Table de l’unité démocratique (MUD), principale force politique d’opposition, a décidé de boycotter l’élection présidentielle du 20 mai 2018. Alors que Nicolás Maduro l’emportait avec 67,7 % des voix (et 53,9 % d’abstention), la manœuvre a permis aux Etats-Unis, à l’Union européenne et aux Etats inféodés à Washington du Groupe de Lima [29] de faire de la République bolivarienne un paria international et de son chef de l’Etat un « dictateur ». Et donc de considérer également « frauduleuses » les législatives de décembre 2020.

C’est au nom d’une fraude tout aussi imaginaire qu’Evo Morales s’est vu privé de sa victoire du 20 octobre 2019, grâce à l’intense campagne menée par le secrétaire général de l’OEA Luis Almagro.

A chaque fois ou presque, Washington atteint ses objectifs. Les gauches de gouvernement qui dérangent s’en trouvent soit discréditées et affaiblies, soit (pour un temps) éliminées. Dès lors, pourquoi ce qui est accepté et prôné par tous, s’agissant des succursales, ne serait pas permis dans la maison mère ? Face au Parti démocrate, Donald Trump réplique la stratégie tant de fois appliquée et franchit le Rubicon. Dans la nuit du 19 décembre 2020, il diffuse vingt-et-un tweets, dont celui d’1 h 42 du matin : « Il est statistiquement impossible d’avoir perdu les élections. Grande manifestation à Washington le 6 janvier. Soyez-y, ce sera dingue ! »

On connaît la suite. Joe Biden et les démocrates l’apprécient moins que lorsqu’elle se déroule à Caracas, La Paz ou Managua.

Le serpent, évidemment, se mord la queue. Si, en plus de tous les subalternes, le « boss » Trump l’a fait, pourquoi hésiter ? Au Pérou où, dès le 16 juin 2021, l’Office national des processus électoraux (ONPE) a annoncé la victoire de Pedro Castillo, il faudra attendre plus d’un mois pour que celle-ci soit proclamée par le Jury national des élections (JNE), le 19 juillet. Refusant de reconnaître sa défaite, Keiko Fujimori s’est entretemps lancée dans une bataille judiciaire accompagnée d’une vaste campagne de désinformation pour contester des centaines de milliers de votes.

Bolsonaro, suit lui aussi le mouvement. Le 3 juin 2022, il déclare encore  : « Si c’est nécessaire, j’irai à la guerre pour défendre la liberté. » Il tente d’entraîner l’armée dans son aventure. Laquelle refuse, consciente de l’isolement international dans lequel la jetterait une telle aberration. Obligeant in fine Bosonaro, qui en outre n’a pas la Maison-Blanche de Biden dans la poche, à céder. Après un long silence qui incite ses partisans à manifester violemment et… à demeurer en alerte, en attendant des jours « meilleurs ». Comme en Bolivie.

« Alors, sortez de chez vous et votez Bolsonaro ! »

Du centre droit à l’ultra droite

On observe donc une montée l’ « extrémisme ». Celui-ci progresserait-il autant s’il n’était encouragé et nourri par la dérive de la droite dite classique (et même de certains secteurs de gauche) ? Depuis le début des années 2000, la présence de présidents et de gouvernements catalogués « progressistes », « socialistes » ou « révolutionnaires », a hystérisé les néolibéraux et leurs alliés. La démocratie ne serait acceptable que si elle les porte et maintient au pouvoir. Sinon, plus aucun cordon sanitaire n’existe, tout est permis…

Au Venezuela, ce sont les partis traditionnels, social-démocratie comprise, qui, en 2002, organisent le coup d’Etat contre Hugo Chávez. Ce sont eux qui – Action démocratique, Primero Justicia, Voluntad Popular, Un Nuevo Tiempo –, depuis 2013, ont accompagné sans critique les tentatives d’assassinat de Maduro (août 2018), les opérations mercenaires (mai 2020), l’imposition de sanctions dévastatrices, promus par les leaders les plus extrémistes et leurs sponsors étatsuniens.
Au Honduras, deux formations appartenant à l’ « arc démocratique » – Parti libéral et Parti national – s’unissent en 2009 pour renverser Manuel Zelaya. Au Paraguay, en 2012, c’est le Parti libéral radical authentique (PLRA) du vice-président Federico Franco qui défenestre le chef de l’Etat Fernando Lugo.
En Bolivie, la figure d’un néofasciste comme Camacho ne peut occulter le fait que le coup d’Etat de 2019 contre Evo Morales fut tout autant l’œuvre de l’ex-président Carlos Mesa, porte-parole de la classe dominante « fréquentable », des partis traditionnels et du capital financier. La large coalition qui, avec l’armée et la police mutinée, mena le putsch à son terme comprenait de larges pans de la classe moyenne urbaine et même des personnages bien en cour au sein de la gauche européenne – Pablo Solón [30] – ou de l’ « industrie de la défense des droits humains » – Waldo Albarracín et Amparo Carvajal. La mythique « société civile » qu’adore la tout autant mythique « communauté internationale ».

Au second tour de l’élection présidentielle chilienne, José Antonio Kast a pu compter sur l’appui des candidats de la droite trsditionnelle éliminés au premier tour, Sebastián Sichel et Joaquín Lavín, et de la coalition Chile Vamos, qualifiée de « centre droit ».
Keiko Fujimori a de même pu compter au Pérou sur le ralliement du technocrate libéral Hernando de Soto – « unique manière de l’emporter à long et à court terme sur le marxisme léninisme », d’après lui. Considéré comme appartenant au centre droit, Alfredo Barnechea a en ce qui le concerne ouvertement appelé à une intervention militaire et à la formation d’un régime civico-militaire pour empêcher l’entrée en fonction de Castillo.
En 2006, le futur « chouchou » argentin du FMI Mauricio Macri avait fait le voyage dans la province de Tucumán pour passer un pacte et une alliance politique avec Ricardo Bussi (actuel soutien de Javier Milei), allant jusqu’à faire l’éloge de son père, le tortionnaire Antonio Bussi.
Impossible enfin pour Bolsonaro d’obtenir le score de 49 % au second tour de la présidentielle sans le concours de larges pans des conservateurs et autres esprits conformistes dits « civilisés ». D’où un constat glaçant : la frontière de plus en plus poreuse entre droite classique, droite radicale et droite ultra explique en grande partie cette montée aux extrêmes et la menace qu’elle fait planer sur les sociétés.

Information, désinformation, mésinformation

L’Amérique latine n’échappe pas à la tendance mondiale : les médias privés y sont dans les mains de puissants groupes soucieux de diffuser les bontés du capitalisme. Canaux d’une information censément objective, ces médias non seulement exploitent les erreurs et les lacunes des gouvernements de gauche (ce qui est normal) mais font aussi passer en contrebande le pire des valeurs conservatrices en cas de besoin.
Le sujet étant trop vaste pour être ici traité en détail, on se contentera d’un bref survol en pointillés. En commençant par le Brésil où le puissant groupe multimédia Globo – télévision, radio, presse écrite – a activement soutenu l’opération « Lava Jato », la destitution de Dilma Rousseff, la condamnation et l’emprisonnement de Lula, ouvrant la voie, comme le firent entre autres les quotidiens O Estado do São Paulo ou Folha do São Paulo, à l’ascension de Bolsonaro. Les outrances de celui-ci ont rompu cette alliance en cours de mandat, amenant Globo à « réhabiliter » le Parti des travailleurs dans la perspective de 2022, mais tout en continuant à « étriper » Lula. L’espoir (non couronné de succès) était qu’un ralliement de la gauche, débarrassée de son leader naturel, permettrait à un candidat de droite classique de l’emporter sur Bolsonaro.
On retrouva le même type d’approche dans l’éditorial de l’ Estado do São Paulo du 26 mai 2022 : « Il n’y a aucun doute, Jair Bolsonaro et Lula sont nés l’un pour l’autre ; aussi bien le président de la République que le parrain PTiste s’associent dans la plus absolue absence de scrupules avec des niveaux qui feraient même rougir Machiavel [31]. » Que Lula mène demain une politique qui dérange et les mêmes n’hésiteront pas à redonner tout l’espace nécessaire aux discours d’extrême droite, à leur tour réhabilités.

Prenant prétexte du 99e anniversaire du quotidien équatorien El Universo, le président qui a trahi la gauche, Lenín Moreno, s’est personnellement déplacé dans ses locaux pour le décorer le 19 août 2020. Directeur du journal, Carlos Pérez a reçu le prix qu’on peut sans hésitation aucune qualifier de « récompense pour services rendus ». Une extravagante surenchère a poussé et pousse ce quotidien à débiter les contes les plus invraisemblables sur l’ex-président Rafael Correa, ses ministres et collaborateurs, son parti, les actuels députés se réclamant de lui, et à accompagner le « lawfare » qui, depuis l’arrivée au pouvoir de Moreno en 2017, tente d’expulser ce courant de la vie politique. Ardent défenseur de la « liberté d’expression », El Universo n’a eu de cesse de dénoncer la présence du « hacker australien Julian Assange, fondateur de WikiLeak » dans l’ambassade londonienne du pays, après que Correa lui eut accordé et l’asile et la nationalité équatorienne. Cela n’en fait pas un quotidien d’extrême droite, mais, incontestablement, un démolisseur de la gauche et de ses politiques sociales – au profit de qui ramasse le pouvoir, quel qu’il soit (pour l’instant le néolibéral Guillermo Lasso)…

Tandis que l’agence de presse mexicaine Article 19, résolument opposée au gouvernement d’Andrés Manuel López (AMLO), est financée depuis l’étranger et en particulier par le Département d’Etat américain, cinq groupes économiques contrôlent l’intégralité des grands opérateurs médiatiques en Colombie [32]. Représentant peu ou prou le même type d’intérêts, les quotidiens boliviens Pagina Siete, Los Tiempos et El Deber ainsi que les chaînes de télévision PAT, Unitel et, depuis Santa Cruz, Bolivisión, ont allégrement participé au coup d’Etat de 2019 et aux diverses tentatives de déstabilisation. En Argentine, les armes de la guerre idéologique s’appellent Clarín ou La Nación. Porte-parole du Groupe Clarín, Marcelo Longobardi, a récemment suscité une certaine émotion en déclarant : « Un jour, nous aurons une surprise car nous allons devoir formater l’Argentine de façon plus autoritaire pour gérer une telle catastrophe [33].  »

Démultipliés par le pouvoir destructeur des réseaux sociaux, que contaminent fake news et discours de haine, ces médias préparent le terrain de l’extrême droite de mille et une façons. Ne serait-ce qu’en justifiant, dans leur couverture de l’« international », toutes les opérations tordues affectant, hier et aujourd’hui, les pays gouvernés par un gouvernement progressiste.
Il est vrai qu’en la matière, la banalisation de l’extrémisme et l’acceptation de ses méthodes touchent autant les pays européens que les latino-américains. Ce qui permet aux forces obscures, à l’abri de ce bouclier protecteur, d’agir en toute impunité.

On ne prendra ici qu’un exemple, celui du quotidien français Le Monde, symbole dans un lointain passé d’un journalisme de qualité. Renversement de Dilma Rousseff – éditorial du 30 mars 2016 : « Ceci n’est pas un coup d’Etat ». « Golpe » contre le chef de l’Etat bolivien – édito du 15 novembre 2019 : « Les erreurs d’Evo Morales ». Tribune libre, le 12 juin 2020, « Sauvons le Venezuela ensemble ! », signée… Juan Guaido. Très peu de temps auparavant, le 3 mai, des mercenaires issus des rangs de l’armée vénézuélienne emmenés par deux anciens membres des forces spéciales américaines ont lancé des actions commando en deux endroits de la côte vénézuélienne. Au moment où Le Monde offre ses colonnes au président imaginaire, nul n’ignore (nous parlons là des journalistes compétents) que cette « opération » a fait l’objet d’un contrat de 212 millions de dollars signé par Guaido et le chef d’une compagnie de sécurité privée étatsunienne (SilverCorp), Jordan Goudreau, pour « capturer/détenir/éliminer Nicolás Maduro (ci-après l’objectif principal) ». Et si l’on connaît l’existence de ce contrat et de son sinistre propos c’est qu’aux Etats-Unis, Factores de Poder (Miami, 3 mai), CNN (7 mai), Diario Las Américas (Miami, 8 mai), Bloomberg (6 juin) en ont confirmé l’existence. The Washington Post l’a publié en intégralité (8 mai). C’est donc en toute connaissance de cause que le quotidien français offre cinq colonnes de propagande à un individu dont les méthodes font la jonction entre celles de l’extrême droite et celles de la mafia – car on parle bien, là, d’un éventuel « assassinat ». Sciemment désinformée, l’opinion publique – Le Monde n’étant que l’archétype des organes de propagande hexagonaux – continuera à considérer les extrémistes vénézuéliens comme des paladins de la démocratie. Et donc, s’agissant de la sphère politique, à les appuyer.

On objectera que Le Monde en particulier, et la presse française (ou européenne) en général n’ont manifesté aucune sympathie à l’égard de personnages comme Trump ou Bolsonaro. C’est vrai. Pour une raison très simple. En gérant comme ils l’ont fait la pandémie de Covid-19 et surtout en refusant de s’associer à la lutte contre le réchauffement climatique, tous deux ont profondément heurté la sensibilité d’observateurs cette fois directement concernés (surtout s’agissant du climat) par d’aussi contestables décisions. S’ils s’étaient contentés de harceler les gauches latino-américaines, de soutenir Guaido au Venezuela et Janine Añez en Bolivie, d’attaquer Cuba et le Nicaragua, ils auraient, comme leur homologue colombien Iván Duque – 1400 dirigeants sociaux assassinés en quatre ans –, bénéficié d’un traitement médiatique beaucoup plus indulgent. Pour l’ordre dominant, à certaines conditions et pour peu qu’il favorise le néolibéralisme, l’extrémisme n’est pas un danger.

« …une opération pour capturer/détenir/éliminer Nicolás Maduro (ci-après l’objectif principal)… »

Conjurer le pire

Portée par tous ces vents mauvais – auxquels on rajoutera la fatigue de populations confrontées à la criminalité dans la périphérie des grandes villes et les zones rurales, ainsi que, pour certains pays (en particulier le Chili), le rejet de flux migratoires en forte augmentation – l’extrême droite est montée en puissance.
Pourtant, de 2018 à 2022, treize présidents qu’on dira « progressistes » sont demeurés ou ont accédé au pouvoir en Argentine, en Bolivie, au Brésil, au Chili, en Colombie, à Cuba, au Honduras, au Mexique, au Nicaragua, à Panama, au Pérou, en République dominicaine et au Venezuela.
Reste à savoir si, d’une manière générale, il s’est agi du résultat d’un classique affrontement « droite-gauche » ou d’un bras de fer « néofascisme-démocratie ».

On mettra ici à part les trois pays de la « Troïka de la Résistance » – Cuba, le Nicaragua et le Venezuela.
Cuba : le 12 novembre 2022, 185 Etats ont voté en faveur de la résolution annuelle de l’Assemblée générale des Nations unies portant sur la « nécessité de lever le blocus économique, commercial et financier imposé à Cuba par les Etats-Unis » depuis six décennies. Ce blocus entraîne des dommages dévastateurs sur l’économie de l’île et donc sur la situation sociale de ses habitants. D’où, de notables manifestations de mécontentement en juillet 2021. Une insatisfaction parfaitement compréhensible si ce n’est que, de l’intérieur et de l’extérieur, les forces qui rêvent de « changement de régime » en provoquent les causes, puis les attisent et les exploitent : de l’arrivée de Trump à la Maison Blanche en janvier 2017 à la veille de ces manifestations très remarquées, l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID), avait investi près de 50 millions de dollars pour financer l’opposition cubaine, tandis que la National Endowment for Democracy (NED), financée par le Congrès américain, avait alloué plus de 23 millions de dollars à des fins similaires. « C’est bien cela que devraient prendre en compte ceux qui émettent des jugements sur notre modèle économique, faisant retomber toute la responsabilité des difficultés sur la seule gestion de l’Etat cubain et occultant le poids historique des administrations étatsuniennes dans la situation que vit l’île », ont fait remarquer les organisations de la société civile cubaine contre le blocus, depuis La Havane, le 7 juillet 2022.

Nicaragua : le pays vit toujours les conséquences de la tentative de renversement du président Daniel Ortega par l’opposition en 2018 (253 morts, d’après la Croix Rouge Internationale). A une agression permanente téléguidée depuis Washington, le pouvoir répond par des mesures judiciaires débouchant sur des emprisonnements. Contrairement à une idée amplement médiatisée par la droite, qu’assistent certains groupuscules d’extrême gauche, il ne s’agit pas là d’un combat de « la démocratie » contre « la dictature d’Ortega », mais d’un bras de fer, sans concessions de part et d’autre, entre « moyenne bourgeoisie mondialisée » et « secteurs populaires sandinistes ». D’où l’appui au gouvernement de larges pans de la gauche latino-américaine – Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA), Forum de São Paulo, Groupe de Puebla –, qui, plutôt que de se cantonner dans une surenchère émotionnelle, analysent politiquement la situation.

Venezuela : malgré la violence et l’énorme coût social de la déstabilisation menée de l’intérieur et de l’extérieur pour tenter de renverser le président Nicolás Maduro, la République bolivarienne a résisté grâce à la dignité des mouvements populaires et à la loyauté des Forces armées. L’hypocrisie de la « communauté internationale » s’étale désormais à la vue de tous, les pénuries d’hydrocarbures liées à la crise Russie-OTAN-Ukraine ayant amené le président Joe Biden à envoyer une délégation à Caracas pour y rencontrer le pouvoir légitime et le français Emmanuel Macron à serrer la main de Maduro –considéré et traité jusque-là comme un délinquant.

Ailleurs, la situation est moins tendue. Sans être pour autant d’une simplicité biblique… Chacun des nouveaux chefs d’Etats arrivant y répond et devra y répondre demain à sa façon.

Malgré les attaques systématiques dont il a été l’objet, le Parti des travailleurs a survécu. Mais il a perdu de sa force. Face à Bolsonaro et à son candidat à la vice-présidence, le général de ligne dure Walter Braga Netto, impossible de prendre le risque d’une défaite. D’où la nécessité d’alliances. Certaines naturelles, avec le Parti socialiste et liberté (PSOL), le Parti communiste du Brésil (PCdoB) ou le Mouvement des sans terre (MST). D’autres moins. Ainsi, l’union de Lula avec Geraldo Alckmin, aujourd’hui son vice-président, a-t-elle été abondamment commentée.
Ex-gouverneur de São Paulo (2001-2006, 2011-2018), membre pendant une trentaine d’années du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB), parfait représentant de la classe dominante, Alkmin a été l’adversaire malheureux de Lula lors de la présidentielle de 2006 et a, dix ans plus tard, appuyé le coup d’Etat contre Dilma Rousseff. Il a ensuite été l’un des principaux soutiens du président de facto Michel Temer. Seulement, le multimillionnaire et leader du PSDB João Doria ayant fait dériver le parti à la droite de la droite pendant la présidence de Bolsonaro, Alkmin a rendu sa carte et rejoint une formation plus présentable, le Parti socialiste brésilien (PSB). C’est là que, en décembre 2021, dans sa volonté d’« unir les divergents » Lula vint le chercher : « Peu importe que nous ayons été adversaires par le passé, que nous ayons échangé quelques coups de pied, que dans le feu de l’action nous nous soyons dit ce que nous n’aurions pas dû dire, expliqua le vieux lion Ptiste. L’ampleur du défi qui nous attend fait de chacun de nous un allié (…). »

Entre les deux tours, l’ex-président néolibéral Fernando Henrique Cardoso (1994-2002), rival historique de Lula, compléta l’attelage. Celui-ci fut également rejoint par l’écolo-évangélique Marina Silva, ex-alliée ayant pris ses distances avec le PT, puis par Simone Tebet, candidate du Mouvement démocratique brésilien (MDB) éliminée au premier tour (4,16 % des voix). Parti du « félon » Michel Temer – vice-président tombeur et successeur de Dilma Rousseff –, le MDB n’avait pas donné de consigne, laissant ses membres « suivre leur conscience » (moyennant quoi Temer soutint Bolsonaro). Malgré les fortes réticences de son leader Ciro Gomes (3 % des suffrages), pour qui Bosonaro serait « un fou », « un criminel » et Lula « l’expression d’un populisme sud-américain pourri », le Parti démocrate travailliste appela lui aussi à voter pour le candidat du PT.

Si l’on rajoute à cette configuration le fait que, à la Chambre, le Parti libéral de Bolsonaro est devenu la première minorité (99 députés sur 513) devant la fédération « Brésil de l’espoir » du PT (80 sièges) et qu’au Sénat les fidèles de Bolsonaro sont également les plus nombreux, Lula, pour gouverner, devra composer avec des élus qui penchent très à droite et nouer des alliances avec les partis opportunistes du « centrão ». Sachant par ailleurs que sur les 27 Etats du Brésil, 14 (dont São Paulo, Rio de Janeiro et le Minas Gerais) sont désormais dirigés par des gouverneurs pro-Bolsonaro.

On a vu dans un article précédent que le président colombien Gustavo Petro se trouve peu ou prou dans la même situation [34]. Numériquement minoritaire à la Chambre (28 représentants sur 167) et au Sénat (20 sur 107) avec son Pacte historique, il n’a pu y construire une majorité que grâce au ralliement de partis qui ont toujours considéré la gauche comme une ennemie – Parti libéral et Parti de la U. Il a de même établi un panachage « droite-gauche » au sein de son gouvernement.

Au Honduras, douze ans après le coup d’Etat contre son époux Manuel Zelaya, Xiomara Castro (Liberté et refondation ; LIBRE) l’a emporté le 28 novembre 2021 sur Nasry Asfura du Parti national (PN), parti au pouvoir depuis 2010. On ne parle pas, dans ce cas, de victoire sur l’extrême droite, mais de succès écartant un pouvoir particulièrement corrompu. En effet, bien qu’appuyé sans réserves par les Etats-Unis pendant ses deux désastreux mandats (2014-2022), l’ex-président Juan Orlando Hernández (JOH) a été accusé par ceux-ci de « narcotrafic » dès qu’il a quitté le palais présidentiel [35]. Extradé le 21 avril à New York, il s’y trouve en attente de jugement.

Toutefois, avant cet épisode, la victoire de Xiomara Castro n’avait rien d’assurée. Raison pour laquelle, dans la dernière ligne droite, elle a accepté le ralliement de Salvador Nasralla, leader du Parti sauveur du Honduras (PSH), en échange de la vice-présidence de la République pour lui et de la présidence du Congrès pour l’un des siens.
Au Parlement monocaméral de 128 membres, LIBRE ne dispose que de 50 députés, auxquels s’ajoutent les 10 élus du PSH de Nasralla. Face aux 44 représentants du Parti national, la formation au pouvoir doit donc, pour disposer d’une majorité, négocier avec les autres acteurs de droite – notamment le Parti libéral (22 sièges), le Parti anti-corruption et le Parti de la démocratie chrétienne (un élu chacun). Ce qui, déjà, constitue un handicap. Un deuxième se profile lorsqu’une vingtaine de « frondeurs » mettent à mal l’unité de LIBRE. Un troisième, aux conséquences potentiellement plus graves, finit de lézarder la coalition.
Par certains côtés, le PSH ressemble au « centrão » brésilien. Dans ses relations avec LIBRE, Nasralla lui-même a varié les postures – un coup en alliance, un coup en concurrence, un coup en ennemi – en fonction de ses intérêts du moment. Dès juillet 2022, il a exprimé son mécontentement : ses avis de vice-président n’étaient pas suffisamment pris en compte dans les décisions du gouvernement. Bien que le président du Congrès Luis Redondo et les ministres Manuel Matheu (Santé) et Pedro Barquero (Développement économique) soient alors (et sont toujours) membres de son parti, la rupture a été consommée en octobre : le PSH et LIBRE ont rompu leur alliance. D’après le député Jhosy Toscano, « le banc du PSH continuera à voter en faveur de tous les projets qui profitent au Honduras et s’opposera à ceux qui y font obstacle ».

Chili : victoire de Gabriel Boric, mais match nul à la Chambre basse. La droite extrême (15 députés), les libéraux classiques (53) et quelques indépendants (6) y font face à 37 députés du Front large et du Parti communiste (la coalition présidentielle) et 37 du centre gauche. Au Sénat, les différentes factions de la droite font jeu égal avec celles de la gauche (25-25). Boric devra négocier pour faire passer les réformes qu’il a promises. D’emblée, il a donc engagé des discussions avec les partis de feu la Concertation (Parti socialiste et Démocratie chrétienne, qui ont gouverné ensemble sur des programmes centristes) [36]. Et a largement fait appel à eux pour former son gouvernement. Après le rejet massif, le 4 septembre, d’une nouvelle Constitution, un certain nombre de ministres ont été remplacés par des personnalités issues du gouvernement social-libéral de Michelle Bachelet, comme Carolina Toha, à l’Intérieur, et Ana Lya Uriarte, au Secrétariat général, chargé des relations entre l’exécutif et le Parlement.

On l’aura compris : les récentes victoires électorales n’amènent pas au pouvoir des gouvernements susceptibles d’appliquer des programmes radicalement « de gauche », mais plutôt des coalitions cherchant à revenir sur les effets les plus désastreux des politiques néolibérales et à réintroduire des mesures d’inclusion et de justice sociale. En d’autres termes, ce n’est pas au sens propre du terme « la gauche » qui a gagné, ce sont la droite radicalisée et l’extrême droite qui ont été contenues.

Des bouteilles à moitié pleines valent mieux que des bouteilles vides

Pour limitées qu’elles paraissent, on ne sous-estimera pas ces victoires. Elles écartent le capitalisme dans sa forme la plus ténébreuse. Malgré des marges de manœuvre réduites, un « animal politique » tel que Lula saura manœuvrer pour revenir sur les mesures les plus néfastes de Bolsonaro. Parmi les 121 points du programme de gouvernement Lula-Alckmin, des mesures très concrètes – fin du plafonnement des dépenses publiques, remplacé par un mécanisme fiscal permettant d’augmenter le salaire minimum et d’accroître les dépenses d’aide sociale et d’infrastructures [37] – iront de pair avec l’interruption des privatisations prévues et pour certaines entamées d’Eletrobrás, Petrobrás et Correos.
En Colombie, Gustavo Petro fait feu de tout bois. A peine arrivé au pouvoir, il a présenté au Congrès la réforme fiscale la plus ambitieuse de l’histoire du pays. Destinée à « éradiquer la faim, réduire la pauvreté et les inégalités ainsi que les privilèges de quelques-uns, et à faire des progrès en matière d’inégalité » (d’après le ministre de l’Economie José Antonio Ocampo), celle-ci a été approuvée par les deux chambres début novembre, moyennant quelques modifications. La loi de Paix totale a également franchi l’obstacle. Elle permettra d’ouvrir des négociations avec les groupes armés de toutes natures – dont vingt-trois se sont déclarés intéressés. Principale organisation insurgée à caractère politique, l’Armée de libération nationale (ELN) a déjà entamé les pourparlers, à Caracas, avec les délégués du gouvernement.

Malgré les manœuvres des putschistes de Santa Cruz auxquelles s’ajoutent des tensions internes au sein du Mouvement vers le socialisme (MAS) entre « evistas » (partisans d’Evo Morales) et « rénovateurs » (proches du vice-président David Choquehuanca), la Bolivie de Luis Arce engrange les succès. Dans un contexte international troublé et grâce à l’application du Modèle économique social communautaire productif, dans lequel l‘Etat joue un rôle important à travers la production et la redistribution des revenus, le pays enregistre l’un des taux d’inflation les plus bas du monde (1,62 %) et, depuis le retour de la démocratie, reconstruit graduellement son économie. Pauvreté et extrême pauvreté ont régressé depuis 2020, grâce à la remise en route des programmes sociaux – à l’image de la prime Juancito Pinto distribuée à 2,3 millions d’élèves des écoles publiques, des écoles conventionnées et des centres d’éducation spécialisée du pays.

Au Chili où Boric a proposé une feuille de route comprenant 102 mesures à même de garantir les droits sociaux réclamés lors de la révolte sociale d’octobre 2019, la réforme du système de retraites a débuté dans la douleur son parcours législatif (la droite la trouve trop radicale, le mouvement social l’estime trop timorée). Son financement dépend de l’approbation d’un autre texte, celui de la réforme fiscale. Suite à un dialogue social (via des audiences publiques ainsi que des réunions citoyennes) entamé au mois d’avril, le contenu et le calendrier de celle-ci ont a été annoncés le 30 juin. De cette réforme, qui vise à mobiliser 3,6 % du PIB en introduisant une redevance sur l’activité minière et un impôt sur la fortune, dépend également le financement des programmes de protection sociale en matière de santé et d’éducation. Dans un Congrès où Boric n’a pas de majorité, cette réforme ne bénéficie pas non plus du soutien de l’opposition.

De tous les nouveaux présidents, Boric est celui qui a provoqué le plus d’enthousiasme au sein de la gauche et des médias européens. Passé directement des luttes étudiantes (2011) à la députation (2014), puis à la présidence (2021), sans transit par la « vie réelle », ne revendique-t-il pas très ostensiblement tous les paramètres – démocratique, féministe, LGBTiste, indigéniste, écologiste, droit-de-l’hommiste, anti-extractiviste – d’une « nouvelle gauche » en rupture avec celle du début des années 2000 ? Paradoxalement, malgré cet adoubement, Boric est sans doute le chef d’Etat progressiste dont la popularité régresse le plus vite dans les rangs de ceux qui l’ont élu.
Multipliant les critiques et donnant beaucoup de leçons, au nom des « droits de l’homme », à Cuba, au Venezuela et au Nicaragua, Boric, dans un pays que personne n’agresse, n’en a pas moins maintenu l’état d’exception et militarisé les provinces du sud – Biobío et Araucanía – affectées par les revendications des indigènes Mapuches. C’est sous l’autorité du même Boric que, en août dernier, a été arrêté le dirigeant mapuche et porte-parole de la Coordination Arauco Malleco (CAM) Héctor Llaitul – certes radical, mais infiniment moins dangereux pour le Chili que ne l’a été Juan Guaido pour le Venezuela. Pour « incitation et apologie de la violence, vol de bois, atteinte à l’autorité et usurpation », le parquet régional de La Araucanía a requis le 2 décembre une peine de 25 ans de prison contre Llaitul, dans le cadre de la loi sur la sécurité de l’Etat.
En voyage en Araucanía, où des manifestations organisées pour l’accueillir débouchent sur des violences, Boric se livre à des commentaires fort peu « indigénistes » et particulièrement maladroits : « Vous savez ce que me rappelle l’incendie de l’école et de l’église que nous avons vu aujourd’hui ? Cela me rappelle quand, dans les années 30, les nazis brûlaient les synagogues (…) Je ne veux pas entrer dans une polémique sémantique à ce sujet, je pense que cela nous fait beaucoup de mal. Je crois que dans la région, il y a eu des actes de nature terroriste. »

Dès son arrivés au pouvoir, Gustavo Petro a manifesté son intention de faire libérer les plus de 200 jeunes Colombiens – « la première ligne » – encore incarcérés du fait de leur participation à la révolte sociale de 2021. Le 3 décembre 2022, lors d’un dialogue avec les Conseils d’action communale de Pasto (département de Nariño), Petro a annoncé qu’ils sortiraient de prison avant le jour de l’an. A cette annonce, la sénatrice d’extrême droite María Fernanda Cabal a violemment réagi : « Ils n’ont pas le droit. Assez de grossièreté. Qu’ils paient, ce sont des délinquants. »
Comme Petro dans son pays, Boric est arrivé au pouvoir porté par le soulèvement populaire de 2019-2020 (30 morts, 3 600 blessés, plus de 25 000 arrestations). La comparaison s’arrête là. Au Chili aussi, une soixantaine de jeunes demeurent emprisonnés, dont le mouvement social réclame la libération. Boric détourne les yeux.

S’agissant du corps très répressif des carabiniers, « pacos » (flics) dont beaucoup demandent la disparition, il prend grand soin de distinguer « ceux qui violent les droits humains » et ceux qui ont tout son appui « pour combattre la délinquance et assurer l’ordre public dans le cadre de l’état de droit ». En revanche, déclare-t-il sur un ton très critique, « l’explosion sociale a été un champ fertile pour l’expansion de comportements violents et destructeurs, qui ont également fait des victimes et laissé des séquelles, ce que, depuis toutes les positions politiques, nous devons dire clairement ». L’ex-président de droite Sebastián Piñera ne dirait pas mieux. Et Boric ne lève pas le petit doigt pour, au minimum, examiner les cas de prisonniers victimes d’un abus grave de la part de l’Etat. En revanche, il a réussi la performance de se faire ovationner par les députés de droite violemment hostiles à AMLO, en déclarant, le 24 novembre, lors d’un discours devant le Congrès mexicain : « Nous ne pouvons pas détourner le regard devant les prisonniers politiques au Nicaragua. »

Comme au début du XXe siècle, plusieurs gauches arrivent donc au pouvoir. Indépendamment de leurs différences, le vaisseau « Amérique latine » a déjà modifié son cap en direction des mers de l’Indépendance. On en a eu un premier aperçu lorsque, à l’occasion du Sommet des Amériques tenu à Los Angeles en juin 2022, les Etats-Unis ont unilatéralement prétendu en exclure Cuba, le Venezuela et le Nicaragua. Emboîtant le pas à la décision du mexicain AMLO, les dirigeants de la Bolivie, du Honduras, de Grenade, de Saint-Vincent-et-les-Grenadines ont fait le choix de rester à la maison. Se plaignant de l’ingérence étatsunienne sur leurs territoires, les gouvernants de droite guatémaltèque et salvadorien les ont imités. A ces boycotts se sont ajoutées les condamnations du chef d’Etat argentin Alberto Fernández, mais aussi des représentants du Belize, de Trinité-et-Tobago et de la République dominicaine.

Les quatre plus puissantes économies latino-américaines – Brésil, Mexique, Argentine, Colombie – sont désormais dirigées par des gouvernements de gauche. Les réalités économiques et politiques ne pouvant être ignorées, aucun de ceux-ci (ni même des autres) n’a l’intention d’entrer en guerre avec les Etats-Unis. Mais bien peu semblent devoir se soumettre aux habituels diktats de Washington. Parmi ses toutes premières mesures, le colombien Petro a rétabli les relations diplomatiques avec le Venezuela et le Nicaragua. Il s’est offert le luxe souverain de rencontrer en tête à tête son homologue Nicolás Maduro.

Dirigeante d’un petit pays comme le Honduras, Xiomara Castro n’hésite pas à fustiger le capitalisme et l’impérialisme lors de son intervention du 30 octobre 2022 devant l’Assemblée générale de l’ONU : « Depuis notre arrivée à la fin du mois de janvier, nous avons fait preuve d’une volonté ferme de parvenir à des accords sur nos engagements, sans en renier aucun. Mais, l’intention de saper la volonté du peuple nous vient de toutes les directions, tandis que se fomentent des conspirations entre les mêmes qui ont pillé le pays et leurs alliés putschistes, enhardis par l’attitude éhontée anti-démocratique, parfois déguisée en diplomatie (…) Les nations pauvres du monde ne supportent plus les coups d’Etat, l’utilisation du lawfare, ni les révolutions de couleurs habituellement organisées pour piller nos vastes ressources naturelles. »

Gustavo Petro, reçu le 1er novembre 2022 à Caracas par son homologue vénézuélien Nicolás Maduro.

Rires polis : en marge du Sommet des Amériques, la Chambre de commerce américaine a distribué un sac bleu rempli de cadeaux censés promouvoir l’industrie US, mais contenant entre autres une gourde et des lunettes de soleil… « Made in China ».
En 2009, au cours de son second mandat, Lula fut l’un des fondateurs des BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud – avec les présidents Dmitry Medvedev et Hu Jintao, le premier ministre indien Manmohan Singh, rejoints un an plus tard par le sud-africain Jacob Zuma. Le retour du Brésilien au Planalto devrait renforcer la coopération entre ces pays, éloignés géographiquement et culturellement, mais convergents sur la nécessité de remettre en cause l’hégémonie américaine sur le système monétaire et financier international. Malgré un contexte particulièrement agité, et des Etats-Unis en confrontation directe avec la Russie et la Chine, l’Argentine et le Mexique font partie des pays qui (avec l’Iran, le Nigeria et l’Arabie saoudite) frappent à la porte de l’organisation.

S’ajoutant à l’arrivée de Petro, la réapparition de Lula modifie de fait totalement les rapports de force régionaux et internationaux. Habituelles courroies de transmission du Département d’Etat, l’Organisation des Etats américains (OEA) et son secrétaire général Luis Almagro ne sont plus en odeur de sainteté sur le sous-continent. Déjà réactivée par AMLO, la Communauté des Etats latino-américains et caraïbes (Celac) devrait reprendre de la vigueur et remettre à l‘ordre du jour l’intégration régionale. Que la destruction de l’Union des nations sud-américaines (Unasur) par la restauration conservatrice des « Macri-Duque-Moreno-Bolsonaro » était censée avoir définitivement enterrée. Rien n’indique qu’elle ne puisse renaître de ses cendres. Lorsqu’elle fut créée en 2008, l’Unasur réunit des gouvernements aussi radicalement de gauche – Venezuela d’Hugo Chávez, Argentine de Cristina Kirchner, Equateur de Rafael Correa – que radicalement de droite – Colombie d’Álvaro Uribe, Pérou d’Alán García, Paraguay de Nicanor Duarte – ou radicalement modérés – Chili de Michelle Bachelet, Uruguay de José Mujica. Pendant sa campagne électorale Lula n’a-t-il pas repris une idée de Chávez en préconisant la création d’une monnaie commune sud-américaine baptisée « Sur » (Sud), qui réduirait le rôle du dollar dans le commerce régional tout en garantissant la souveraineté des monnaies nationales ? Une hypothèse considérée d’autant plus nécessaire depuis que Washington et Bruxelles ont exclu la Russie du système de paiement international Swift en guise de sanction pour avoir envahi l’Ukraine. Un fâcheux précédent pour tout pays revendiquant sa souveraineté.

Le verre est plus qu’à moitié plein. Pour cette raison, précisément, la droite et l’extrême droite ne lâcheront rien. Pas plus que la « communauté internationale » (Etats-Unis, Union européenne et leurs médias) qui, derrière ses sourires de circonstance, ne facilitera nullement la tâche de ces gauches de gouvernement. Elles sont assises sur des trésors (pétrole vénézuélien, gaz bolivien, lithium du triangle Bolivie-Pérou-Argentine). Sans approuver la guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine, aucune d’entre elles (à l’exception de la chilienne) n’a suivi le « premier monde » dans la condamnation pure et simple de Moscou. Aucune ne lui a appliqué de sanctions. Aucune ne considère la Chine (deuxième partenaire commerciale de l’Amérique latine) et ses Routes de la soie comme des ennemis. Ouvertement ou sous le manteau, les coups pleuvront donc.

« Nous avons appris que la démocratie doit être une action permanente de mobilisation, de mobilisation autour de la construction de politiques publiques, de certaines lois pour renforcer la réalisation des droits, a eu l’occasion de déclarer Adriana Salvatierra, présidente du Sénat bolivien obligée de démissionner et de se réfugier à l’ambassade du Mexique pendant que les bottes et la Bible prenaient d’assaut le palais présidentiel en 2019. Quand on gouverne en écoutant le peuple, il y a une mobilisation permanente pour défendre le projet politique. (…) Aujourd’hui, les organisations sociales sont absolument claires : le processus de changement n’est pas seulement défendu par la gestion publique, mais aussi par une participation effective à toute décision prise par le gouvernement [38]. » De la capacité de s’appuyer sur un mouvement social mobilisé ou remobilisé dépendra de fait la capacité de résistance des gauches de gouvernement. Faute de quoi, l’actuelle « vague progressiste » prendrait le risque de ne constituer qu’une simple alternance, remplacée à terme par une autre alternance, qu’une nouvelle alternance déplacerait… Au risque que des régimes autoritaires inopportuns ne profitent de la situation pour bouleverser les règles du jeu.


Illustration : Lula à Porto Alegre le 19 octobre 2022. Mídia NINJA / Flickr CC


[1] Emis le 10 décembre 2014, le rapport final de la CNV a conclu que la pratique de la détention illégale et arbitraire, de la torture, des violences sexuelles, des exécutions et des disparitions forcées a représenté une politique d’Etat qui, étant donnée sa portée, constitue un crime contre l’humanité. Pour la période 1946-1988, 434 décès et disparitions ont été identifiés. Une liste de 377 fonctionnaires responsables à différents niveaux a été soumise à la Présidente. La CNV a été officiellement dissoute le 16 décembre 2014.

[2] D’près le dernier recensement agricole (2017), 1 % des propriétaires terriens contrôlent presque 50 % des zones rurales du pays.

[3https://soudapaz.org/noticias/o-globo-na-vespera-do-7-de-setembro-sou-da-paz-faz-libelo-antiarmas/

[4https://revistacrisis.com.ar/notas/lula-va-ser-muchos-lulas

[5] La Doctrine de Sécurité nationale est née en réalité en 1947 avec le vote, aux Etats-Unis, du National Security Act, qui a créé le Conseil national de sécurité (et la CIA). Elle prône l’intégration des forces armées de tout le continent, sous la houlette de Washington, pour lutter contre l’ « ennemi interne » lié au communisme international.

[6] Lire « L’âge d’or et la fin de cycle ne sont plus ce qu’ils étaient » (31 janvier 2022) – https://www.medelu.org/L-Age-d-or-et-la-Fin-de-cycle-ne-sont-plus-ce-qu-ils-etaient

[7] De l’anglais (Etats-Unis) « libertarian » (traduction du français libertaire), le terme libertarien désigne un courant de libéraux radicaux pour lesquels l’individu doit jouir d’une liberté absolue sur sa personne et sa propriété. Cet anarcho-capitalisme prône la réduction, voire la suppression des pouvoirs de l’Etat.

[8] Demi-lune : en référence à la position géographique de ces départements de l’est du pays, qui encerclent les hauts plateaux.

[9https://www.medelu.org/Les-petits-telegraphistes-du-coup-d-Etat-qui-n-existe-pas

[10] Luis Arce l’a emporté à La Paz (65,3 % des suffrages) et à Cochabamba (63 %). Potosí, Chuquisaca, Tarija et Beni ont majoritairement voté pour la droite en la personne de Carlos Mesa. Santa Cruz, sans surprise, a donné ses voix à Luis Fernando Camacho.

[11https://www.la-razon.com/nacional/2022/11/10/reyes-villa-afirma-que-nunca-mas-llevara-el-problema-de-la-media-luna-a-cochabamba/

[12] Alliés lors de la guerre du Pacifique (1879-1883) contre le Chili, le Pérou et la Bolivie n’ont pas oublié la perte des provinces d’Arica, Tarapacá et Antofagasta (les Boliviens s’étant vu privés de leur accès à la mer – plaie toujours béante – à cette occasion). Lire : « Pourquoi le thème de la mer fait des vagues entre la Bolivie et le Chili » – https://www.medelu.org/Pourquoi-le-theme-de-la-mer-fait

[13https://www.les2rives.info/

[14] Dénomination officielle : Charte de Madrid en défense de la liberté et de la démocratie dans l’ibéro-sphère.

[15] Ce courant s’inspire du maréchal Andrés Avelino Cáceres, qui, à la tête de troupes majoritairement indigènes, résista à l’occupation chilienne du Pérou pendant la guerre du Pacifique (1879-1883).

[16https://convoca.pe/agenda-propia/el-mensaje-extremista-que-antauro-humala-esta-llevando-las-regiones-del-peru

[17] Sur ce sujet, lire : Lamia Oualalou, Jésus t’aime. La déferlante évangélique, Les Editions du Cerf, Paris, 2018.

[18] Le 6 octobre 1979, Jean-Paul II fut le premier pontife de l’Histoire à se rendre à la Maison-Blanche.

[19] Voir, par exemple, le blog du prêtre français vivant en Equateur Pierre Riouffrait – http://padrepedropierrefrances.blogspot.com/

[20https://mission-universelle.catholique.fr/sinformer/amerique-latine/299691-basculement-religieux-latino-americain/

[21] Lire : « Honduras : du coup d’Etat au narco-Etat » (22 avril 2022) – https://www.medelu.org/Honduras-du-coup-d-Etat-au-narco-Etat

[22https://theintercept.com/2020/01/20/linha-do-tempo-vaza-jato/

[23] Lire Celso Amorim, Carole Proner, « Lawfare et géopolitique : focus sur l’Amérique latine » – https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2021/01/2-Prog-Amerique-Latine-Caraibe-Janvier-2021.pdf

[24https://www.celag.org/quienes-son-los-que-denuncian-a-cristina-fernandez-de-kirchner/

[25] Le 18 juillet 1994, à Buenos Aires, un attentat à la bombe contre l’Association mutuelle israélite argentine (AMIA), de caractère clairement antisémite, fit 84 morts et 230 blessés. Le procureur Alberto Nisman (mystérieusement assassiné depuis) a accusé CFK et Timmerman de collusion avec l’Iran pour avoir signé en 2013, avec Téhéran, un pacte levant les accusations contre des suspects iraniens, en échange de pétrole à un prix avantageux.

[26http://www.cubadebate.cu/noticias/2020/01/12/si-hablo-se-caen-las-causas-contra-el-kirchnerismo-y-cristina-dice-falso-espia-en-argentina/#.XhrXyS17R_8

[27] Homélie du pape François, le 17 mai 2018, « Contre le poison des commérages » – https://www.vatican.va/content/francesco/fr/cotidie/2018/documents/papa-francesco-cotidie_20180515_troupeau-pas-la-carriere.html

[28https://thegrayzone.com/2021/11/05/nicaragua-us-informant-dora-maria-tellez-mrs/

[29] Disparu à ce jour du fait retour des gauches au pouvoir, le Groupe de Lima comptait 14 pays : Argentine, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica, Guatemala, Guyana, Honduras, Mexique, Panama, Paraguay, Pérou, Sainte-Lucie.

[30https://france.attac.org/nos-idees/placer-l-altermondialisme-et-la-solidarite-au-coeur-des-relations/article/lettre-ouverte-au-mouvement-altermondialiste-sur-la-situation-en-bolivie

[31https://opiniao.estadao.com.br/noticias/notas-e-informacoes,nascidos-um-para-o-outro,70003314350

[32] Luis Carlos Sarmiento Angulo (l’homme le plus riche du pays) ; le Groupe Santo Domingo (immobilier, tourisme, logistique, transport, loisirs, industrie) ; l’OrganisationArdila Lülle ; le groupe Gilinski ; Prisa (multinationale espagnole).

[33https://www.panoramical.eu/america-latina-y-caribe/68579/

[34] « Nouvelle offensive de la paix en Colombie » (21 septembre 2022) – https://www.medelu.org/Nouvelle-offensive-de-la-paix-en-Colombie

[35] Lire « Du coup d’Etat au narco-Etat » (22 avril 2022) – https://www.medelu.org/Honduras-du-coup-d-Etat-au-narco-Etat

[36] Ont gouverné au nom de la Concertation : Patricio Aylwin (1990-1994), Eduardo Frei (1994-2000), Ricardo Lagos (2000-2006), Michelle Bachelet (2006-2010 et 2014-2018).

[37] En 2016, introduite dans la Constitution par le Congrès, la mesure-phare du président de facto Michel Temer limite pendant vingt ans la hausse des dépenses publiques à l’indice d’inflation de l’année précédente, y compris dans l’éducation et la santé.

[38https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/01/03/adriana-salvatierra-la-grande-lecon-de-letape-precedente-en-amerique-latine-est-que-nous-ne-pouvons-plus-gouverner-timidement/

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