Médecins du peuple et du monde. Conversation avec Vanessa Almeida et John Chikuike Ogbu, étudiants au Venezuela.

Cira Pascual Marquina, Caracas, 1 mars 2024

Photo : Vanessa Almeida est la porte-parole principale des étudiants de l’ELAM. John Chikuike Ogbu est le porte-parole adjoint. (Venezuelanalysis)

À la fin des années 1990, deux puissants ouragans ont balayé les Caraïbes, faisant des dizaines de morts et de blessés. La catastrophe humanitaire a mis en évidence la nécessité d’augmenter le nombre de médecins dans la région. C’est à ce moment que Fidel Castro a fondé l’École latino-américaine de médecine (ELAM) à La Havane. Inspiré par l’internationalisme de la révolution cubaine, le Venezuela a fondé sa propre ELAM en 2007. L’école a diplômé des milliers de médecins du monde entier. En parcourant son siège, dans le centre de Caracas, on peut surprendre dans les couloirs des conversations allant de l’arabe au créole haïtien, en passant par le portugais et l’anglais.

Nous nous sommes entretenus avec deux jeunes étudiants de l’ELAM sur leurs expériences à l’ELAM. Vanessa Almeida est une étudiante de cinquième année, membre du Mouvement des sans terre du Brésil, originaire d’Itamaraju, une petite ville rurale. John Chikuike Ogbu est un étudiant de deuxième année issu d’une famille de la classe ouvrière de la ville d’Enugu, au Nigeria.


Vanessa, en tant que porte-parole des étudiants, peux-tu nous expliquer le projet de l’ELAM ?

Vanessa Almeida : L’École latino-américaine de médecine fut la prunelle des yeux de Chávez, et un héritage de la révolution cubaine, c’est une communauté de futurs médecins du monde entier, en particulier du Sud, qui s’engagent à retourner dans leur pays d’origine et à travailler avec des populations mal desservies. L’ELAM date de 1999, elle a été fondée à Cuba alors que la situation était très difficile. Qu’a fait Fidel face à l’adversité ? A-t-il renoncé à l’internationalisme de la révolution ? Non, il a dit : « d’autres envoient des armes et des armées pour occuper des pays, nous, nous enverrons une armée de médecins pour sauver des vies. Cela faisait partie de la « bataille des idées ». Puis, en 2007, Chávez a introduit le projet ELAM au Venezuela.

Aujourd’hui, on trouve des médecins ELAM dans les « barrios » et les « favelas » (quartiers populaires), ainsi que dans les zones rurales les plus reculées du monde. Chávez estimait que les soins de santé étaient un droit universel. La solidarité internationale était au cœur de sa politique. C’est pourquoi l’école fondée à Cuba correspondait parfaitement à la révolution bolivarienne. L’ELAM est peut-être le projet qui exprime le mieux l’engagement du Venezuela à promouvoir la justice sociale et l’égalité dans le monde entier… même aux heures les plus difficiles !

Photos : Fidel Castro a inauguré l’ELAM de Cuba en 1999. (ELAM)

Le Venezuela a connu de graves difficultés ces dernières années en raison du blocus et des sanctions des États-Unis. Bien que l’ELAM n’a jamais fermé ses portes, il est certain qu’elle a dû affronter de grandes difficultés.

Vanessa : Les choses n’ont pas été faciles : le blocus, la pandémie, les attaques politiques contre la révolution. Pourtant, le Venezuela nous a ouvert ses portes et est devenu notre « maison loin de chez nous ». Lorsque le blocus a rendu la vie vraiment difficile, Nicolás Maduro aurait pu dire : « concentrons-nous d’abord sur notre peuple ». Au lieu de cela, il a décidé de maintenir en vie le projet de Chávez. Même lorsque la situation était très difficile, l’école nous a nourris et logés. Elle a pris en charge les frais liés aux études. Je lui en suis reconnaissante : la plupart d’entre nous n’auraient jamais pu étudier la médecine dans leur pays, ou si nous en avions eu la possibilité, cela nous aurait coûté les yeux de la tête.

Comment l’exercice de la médecine est-il conçu à l’ELAM ?

John Chikuike Ogbu : La conception de la médecine à l’ELAM est radicalement différente de la conception conventionnelle. Notre cursus est axé sur la « médecine communautaire intégrale », ce qui implique une perspective humaniste qui associe la science et l’engagement envers la société. L »amour et l’humilité sont les clés pour devenir des médecins de proximité. Nous apprenons tout cela en étudiant l’anatomie, la biochimie et l’éthique médicale. Les médecins de l’ELAM vont dans le monde, se consacrant au bien-être des communautés ; ils ne s’assoient pas dans un cabinet médical sophistiqué en attendant que les malades viennent à eux pour être « guéris » par un médecin qui ressemble à Dieu. En outre, le type de soins de santé promu par l’ELAM est avant tout préventif.

Le capitalisme marchandise tout, même la santé. L’ELAM, quant à lui, la dé-commercialise. Vanessa, peux-tu nous en parler ?

Vanessa : C’est vrai, le capitalisme marchandise tout, même la santé ! Les médecins conventionnels sont formés pour « soigner » un patient, lui passer la facture et le renvoyer sur le marché du travail capitaliste. Ils ne sont pas formés pour comprendre la douleur psychologique des patients, leurs soucis, leurs contextes socio-économiques, en amont. En revanche, un médecin formé dans notre ELAM comprend la communauté dans laquelle il exerce parce qu’il y vit, parce qu’il parcourt la ville pour se rendre au cabinet, parce qu’il parle aux habitant(e)s et qu’il rend visite aux malades chez eux si nécessaire. Un médecin de l’ELAM n’est pas formé pour s’enrichir, mais pour servir la population. Dans mon cas, lorsque j’obtiendrai mon diplôme, soyez sûrs que je ne participerai pas à la marchandisation de la santé. La médecine promue par l’ELAM est « intégrale », surmontant la conception selon laquelle les patients ne sont que la somme de leurs organes. Nous considérons les patients de manière holistique, les diagnostics tenant également compte du contexte culturel, des facteurs socio-économiques et du contexte familial.

Cette approche nous permet de nous attaquer aux causes profondes d’un mal de tête récurrent ou d’un terrible mal de ventre, et d’offrir potentiellement des solutions qui ne reposent pas uniquement sur des médicaments. Bien entendu, cela ne signifie pas que les connaissances scientifiques ne sont pas importantes pour nous, mais elles ne constituent qu’une partie de la solution.

Photo : École latino-américaine de médecine « Salvador Allende » (ELAM) au Venezuela

Quel est le rôle de l’internationalisme à l’ELAM ?

John : L’ELAM accueille actuellement des étudiants de plus de 20 pays, principalement des pays du Sud. L’institution a une solide perspective Sud-Sud et un engagement véritable pour les peuples opprimés. Chávez rêvait que l’ELAM devienne une communauté internationale, et c’est précisément ce qui s’est réalisé. Nos camarades de classe et d’études viennent d’Amérique latine, des Caraïbes et d’Afrique, et un important groupe d’étudiants de frères et sœurs palestiniens étudient ici.

Vanessa, tu es une militante du MST [Mouvement des Travailleurs Sans Terre] brésilien, une organisation liée de longue date au processus bolivarien. Quelle importance revêt pour toi l’héritage de Chávez ?

Vanessa : Au sein du Mouvement des Sans Terre, nous aimons beaucoup Chávez, parce qu’il a modifié le cours de l’histoire de l’Amérique latine, parce qu’il était un véritable internationaliste et parce qu’il se souciait des travailleur(se)s du monde entier. Il a également établi un lien particulier avec les paysans. Dans notre école, Chávez est vivant ! Il y a une histoire sur lui que j’ai trouvée très émouvante. Lorsqu’il était soigné pour un cancer à Cuba, il demandait constamment des nouvelles de son peuple : « Comment va mon peuple ? C’était sa première question en se réveillant de l’opération, et il interrogeait toutes les personnes qui lui rendaient visite. En tant que médecins de l’ELAM, nous devons imiter cette attitude : le peuple, le peuple, est notre première, deuxième et troisième priorité.
Les études sont intenses. Je me lève tous les jours à 5 heures du matin et me couche tard. Je dois profiter au maximum de cette opportunité. Lorsque j’aurai obtenu mon diplôme, je rentrerai chez moi et j’offrirai à la communauté ce que la révolution bolivarienne m’a donné.

John, en tant que Nigérian, vous êtes assez loin de chez vous et vous avez dû apprendre une nouvelle langue. Pourriez-vous partager cette partie de votre histoire ?

John : En effet, tout n’a pas été facile. Tout d’abord, lorsque je suis arrivé, j’ai dû passer par une longue période d’isolement. Ensuite, il y a le défi de la langue. Je ne parlais pas espagnol à mon arrivée, et j’ai encore du mal avec cette langue. Je me souviens qu’en tant que pré-médecin, j’ai dû étudier la biochimie, ce qui est déjà un défi en soi. Essayer de naviguer dans le contenu tout en apprenant la langue était stressant, mais j’étais déterminé à réussir. Je me tournais vers Youtube, j’empruntais des livres et, si nécessaire, mes camarades de classe venaient à ma rescousse. Petit à petit, mes compétences linguistiques se sont améliorées, et bien que le régime universitaire reste intense, la plupart du temps, je n’ai pas de difficultés avec la langue.

Il y a eu d’autres obstacles : nous sommes tous loin de chez nous et nos journées sont très longues, si bien qu’il m’arrive de ne pas pouvoir appeler ma famille, ce qui est difficile. Heureusement, mes camarades de classe et mes professeurs sont en train de devenir ma deuxième famille, et même si ma famille dans mon pays me manque, je ne me sens plus aussi seul.

Vanessa, peux-tu nous parler du travail universitaire à l’ELAM et de son programme ?

Vanessa : à l’ELAM, nous avons un programme d’études et de pratique très exigeant. En tant qu’étudiante en cinquième année, j’ai de longues heures de rotation dans les hôpitaux, et 24 heures de cours par semaine. Nos professeurs, originaires de Cuba et du Venezuela, sont très engagés dans la révolution mais ils ne nous imposent aucune politique : notre cœur est tourné vers le processus bolivarien, non par obligation, mais parce que nous ressentons tout cet amour au Venezuela. Nos professeurs nous enseignent à devenir des scientifiques humanistes, des professionnels de la santé engagés.

Vous êtes tous deux activement impliqués dans la pratique médicale. Penchons-nous sur cet aspect de votre formation.

John : Je fais un stage au Centre de diagnostic intégral Amelia Blanco [CDI], où nous apprenons la médecine préventive et curative. Nous effectuons également des visites de maison en maison pour cartographier la communauté et comprendre le profil socio-économique du « barrio » (quartier populaire). C’est la clé pour devenir un docteur « intégral ». Apprendre à travailler et à s’occuper des gens dès le début est très important à l’ELAM. Sans ces bons rapports avec les gens, comment les aider à guérir ?

Vanessa : Actuellement, je suis en rotation à l’hôpital Victorino Santaella dans les « Altos Mirandinos ». L’expérience a été extraordinaire. J’ai beaucoup appris des résidents, des médecins et des spécialistes, ainsi que de la directrice de l’hôpital, vraiment engagée. On la voit souvent dans les couloirs de l’hôpital en train de résoudre des problèmes, de s’assurer qu’il y a du matériel médical, etc. C’est ainsi que tout fonctionnaire médical devrait être : sur le terrain. Lors de mes stages en médecine, j’ai appris à traiter et à soigner une femme âgée ou un nourrisson, ainsi qu’à pratiquer certaines interventions chirurgicales. Parallèlement, j’ai acquis les compétences nécessaires pour accompagner des personnes dans des moments très difficiles.

Pour en revenir à l’impact du blocus auquel le Venezuela est confronté, avez-vous observé ses effets sur le système médical ?

Vanessa : Oui. Le blocus a un impact évident sur les hôpitaux et les installations médicales. Malgré ces difficultés, des médecins et du personnel médical dévoués se sont montrés à la hauteur de la situation, réalisant des miracles pour sauver des vies.

Le gouvernement veille également à ce que les hôpitaux soient correctement approvisionnés. J’ai personnellement constaté que certaines alliances Sud-Sud donnent des résultats. Les installations médicales sont désormais mieux approvisionnées. Si certains emballages et instructions peuvent être rédigés en chinois ou en arabe – ce qui présente son lot de difficultés -, nous avons désormais les compétences nécessaires pour identifier les fournitures. Nous tirons le meilleur parti de ce que nous avons. Le blocus états-unien est criminel et son impact sur la santé du peuple vénézuélien est bien réel, mais nous sommes en mesure de soigner nos patients.

Entretien réalisé par Cira Pascual Marquina pour Venezuelanalysis.

Source : https://venezuelanalysis.com/interviews/internationalist-doctors-a-conversation-with-vanessa-almeida-and-john-chikuike-ogbu/

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/14/medecins-du-peuple-et-du-monde-conversation-avec-vanessa-almeida-et-john-chikuike-ogbu-etudiants-au-venezuela/

Loin des médias, le Venezuela

Depuis douze ans, ce modeste blog « de terrain » cherche à témoigner de la nature profonde de la révolution bolivarienne : démocratisation, socialisme participatif, autogouvernements populaires. Le Venezuela n’est pas seulement la victime de l’impérialisme, de ses blocus, de ses agressions ou de ses « sanctions ». C’est un peuple en marche, qui tire de son Histoire anticoloniale et de « l’équilibre du monde » cher à Simon Bolivar, les formes politiques de sa révolution.

Contrairement à ce que font les grands médias, ce blog transmet des expériences utiles à toutes celles et ceux qui veulent changer la vie. C’est une manière de se libérer du piège de « la remorque » qui consiste à passer sa vie à répondre au mensonge du jour (et oblige de ce fait à légitimer des thématiques étrangères aux intérêts des citoyen(ne)s.)

On sait depuis longtemps comment marche le journalisme dominant. Pour épauler le capitalisme dans sa guerre contre les gouvernements rebelles, il isole les peuples et fragmente le réel (sous-thèmes au lieu de la structure, effets au lieu des causes, individualités politiques au lieu des processus collectifs, extinction du temps sous la dictature du « présentisme », etc…). Sa cible, ce sont les militant(e)s de gauche. Il n’attaque pas le Venezuela parce qu’il est une « dictature » mais parce qu’il faut endiguer l’exemple de la démocratie de gauche la plus avancée des Amériques, celle où le record en nombre d’élections côtoie le progrès de la démocratie participative. Bref, tant que durera le quasi-monopole privé des médias, il faudra maintenir ce travail forcé de « réponse ». Comme dans nos « douze points sur les « i » d’élections présidentielles ».

Mais revenons à nos moutons. Force est de constater qu’après 24 ans de révolution, la machine à démocratiser ne se refroidit pas. Deux événements, auxquels j’ai assisté ces derniers jours, en témoignent.

Le Ministère vénézuélien de la Culture a organisé du 21 au 31 mars 2024 la troisième édition annuelle de son Festival International de Théâtre Progressiste. 150 troupes de théâtre nationales, et des troupes théâtrales de 20 pays, ont participé. Dans tout le pays, le public a pu assister à 830 représentations et découvrir le travail de près de 2000 artistes. L’entrée était très modique et, dans la plupart des cas, gratuite. Avec en parallèle, des ateliers et des activités de plein air pour les enfants. École artistique mais aussi prise de conscience. Tous ces spectacles venus d’Amérique latine, d’Europe, d’Afrique et d’Asie, ont permis au peuple vénézuélien de découvrir un monde que les médias prennent tant de soin à occulter.

Venue de Tunisie, d’Afrique, la pièce « L’Albatros » parle de la migration, du cimetière de la Méditerranée et pose des questions urgentes, fondamentales : « Qu’est-ce que l’égalité ? Qui a des droits ? ». Elle parle des mouvements de masse et de la rage des peuples causés par le capitalisme et l’impérialisme global. Ils sont cinq. Le sixième est un petit bateau en papier, brisé par les vagues déferlantes de la mer. « Je remercie la mer de nous avoir accepté sans visas ni passeports. Je remercie les poissons qui nous mangeront sans nous connaître. Lorsque les amis iront frapper à ta porte pour te donner leurs condoléances, refuse-les. » « Quel beau poème, poignant ! » s’écrie une spectatrice vénézuélienne. « Et quel public ! Concentré, chaleureux, intime, respectueux » répond la tunisienne Jamila Chihi. J’ai conversé avec Chedly Arfaoui qui a écrit et mis en scène cette pièce magistrale ainsi qu’avec ses actrices et acteurs – Fatma Ben Saïdane, Abdelkader Ben Saïd, Ali Ben Saïd, Meriem Ben Hamida et Malek Zouaidi. Voici mon reportage (VO FR ST ESP) :

Quelques jours plus tard, j’ai participé à une conférence de presse au Ministère des Communes et des Mouvements Sociaux. Entouré de délégué(e)s de communes (autogouvernements populaires) de plusieurs régions du pays – des femmes en majorité -, le ministre Guy Vernáez explique le processus de la consultation populaire nationale du 21 avril 2024. Près de 4500 communes voteront pour le projet qu’elles considèrent comme prioritaire. Le gouvernement fournira les ressources pour qu’elles puissent l’exécuter, avec leurs propres organisation et leur propre main d’œuvre. Il ne s’agit pas, comme dans d’autres pays, d’une simple consultation. Ici, le vote oblige le gouvernement à financer chacun des projets.

Ces dernières années, le président Maduro a insisté auprès de ses ministres pour qu’ils accélèrent le transfert du pouvoir et des ressources aux organisations populaires. Pour cette élection-ci, plus de 27.000 projets ont déjà été présentés dans les assemblées citoyennes. Venue de l’État de Carabobo, la déléguée communarde Ofelia García explique : « la plupart des projets présentés visent à améliorer les services publics, les routes, la santé, l’éducation, l’environnement, les plans de production, les sports, les processus industriels, les transports publics et le système de production agricole. Tous les conseils communaux de notre territoire ont été convoqués et les projets ont été classés en fonction de leur intérêt commun et non individuel. »

Thierry Deronne, Caracas, le 8 avril 2024.

Photos : ci-dessus, mes questions au Ministre des Communes et mouvements Sociaux Guy Vernaez. Ci-dessous : assemblées citoyennes pour informer sur le vote qui permettra aux organisations communardes de choisir leur projet prioritaire.

Notre reportage (VO ESP) de la conférence de presse :

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/08/loin-des-medias-le-venezuela/

Venezuela : les sept grandes transformations

Photo: Les présidents Lula et Maduro, le 2 mars 2024, à Kingstown (Saint-Vincent-et-les-Grenadines) pour le Sommet de la CELAC (Communauté des États latino-américains et des Caraïbes)

Depuis toujours, le président Lula est harcelé par le pouvoir médiatique au sujet du Venezuela, mais, contrairement à la gauche occidentale, il ose résister. Lors d’une conférence de presse avec son homologue espagnol Pedro Sanchez le 5 février à Brasilia, il a salué la décision du pays voisin de fixer la date des élections présidentielles au 28 juillet 2024 (fruit d’un dialogue de 97% des partis politiques et des acteurs de la société vénézuélienne). Élections, a-t-il rappelé, qui auront lieu en présence des observateurs internationaux (1). Le président du Brésil a conseillé de « cesser de pleurer » à la militante d’extrême droite Maria Corina Machado (liée au Likoud et aux déstabilisations violentes contre Chávez et Maduro), inéligible pour complicité de corruption avec Juan Guaido. Il lui a suggéré de laisser la droite choisir un autre candidat qu’elle. Un pied-de-nez aux États-Unis qui veulent l’imposer à tout prix.

Photo : Accord de « partenariat opérationnel » sur des thèmes comme « géopolitique et sécurité » entre deux partis d’extrême droite, le « Vente » vénézuélien de Maria Corina Machado, et le Likoud israélien.

Cette désobéissance aux injonctions des pouvoirs médiatique et impérial ne date pas d’aujourd’hui. Lula a déjà qualifié d’« excès de liberté » le record en nombre de scrutins organisés par le Venezuela depuis la révolution. En ce qui concerne le putschiste d’extrême droite Juan Guaido, lié à plusieurs tentatives de coups d’État, il avait déclaré qu’« avec tout ce qu’il a fait, il aurait dû aller en prison » (2). À noter qu’en 2012 Jimmy Carter qualifia le système électoral vénézuélien de « meilleur du monde » (3) et que les dernières élections, en 2021, ont été validées par l’ensemble des observateurs internationaux (4).

Mais au-delà de cette ligne de la lutte politique classique, « obligée », d’une démocratie représentative face aux pouvoirs de facto que sont les pouvoirs économique et militaire impériaux (blocus des USA, agressions paramilitaires et déstabilisations), ou le pouvoir médiatique (faire passer le Venezuela pour une dictature, l’isoler sur le plan mondial), la révolution bolivarienne travaille sur une deuxième ligne, stratégique, qui est son véritable objectif (et qui indiffère les médias) : poursuivre la refonte de l’État sur les bases du pouvoir direct des citoyen(ne)s, de l’économie productive diversifiée pour sortir de la dépendance du pétrole, de la justice sociale, de l’écosocialisme et de la participation au monde multipolaire.

Après un vaste processus de participation et de délibération populaires, le gouvernement bolivarien a approuvé le 26 février 2024 le Plan des sept transformations (7T). Il s’agissait avant tout d’une application du « pouvoir populaire en action », la forme politique constitutive du processus révolutionnaire bolivarien : plus de 60.000 assemblées communautaires, organisées dans tout le Venezuela selon la méthode de la Consultation, du Débat et de l’Action (CDA), ont discuté, intégré et finalisé le plan des 7T, jusqu’à son approbation finale dans ce que le président lui-même, Nicolás Maduro, a défini comme le moteur de la construction collective du socialisme en vue du développement du pays. La stratégie 7T couvre en fait tous les secteurs, les sphères économique, politique, sociale, environnementale, de paix et de sécurité.

Ces sept transformations sont les suivantes :

Transformation économique : modernisation des méthodes et des techniques de production, dans le but de consolider la diversification économique pour créer un nouveau modèle d’exportation.

Indépendance intégrale : actualisation et élargissement de la doctrine bolivarienne dans ses dimensions politique, culturelle, éducative, scientifique et technologique, dans le sens de l’autodétermination.

Consolidation de la paix et de la sécurité des citoyens : perfectionnement du modèle de coexistence civique, garantie de la justice, des droits humains et de la préservation de la paix.

Protection sociale : accélérer la consolidation, face aux conséquences dramatiques de la guerre économique, de l’État-providence, des missions bolivariennes, qui sont l’une des « valeurs » du Venezuela bolivarien.

Repolitisation : le blocus et ses effets sociaux (migrations, lutte pour la survie, ainsi que le surgissement de la nouvelle génération travaillée par les réseaux sociaux du capitalisme) rendent prioritaire la nécessité de renouveler la centralité de la dimension politique, et de consolider la démocratie participative et directe, qui est une autre des caractéristiques du processus bolivarien. Au début de 2024, le président Maduro a demandé à ses ministres « d’accélérer le transfert du pouvoir politique aux organisations populaires ».

Écologie : lutter contre la crise climatique, sensibiliser et protéger la population de l’impact environnemental, protéger l’Amazonie et les réserves naturelles face aux destructions telles que l’orpaillage. Plusieurs actions des forces armées ont permis de démanteler des réseaux extractivistes clandestins qui détruisaient et empoisonnaient les parcs naturels du sud du pays.

Géopolitique multipolaire : positionner le Venezuela dans la nouvelle configuration mondiale, à la fois en relançant l’intégration latino-américaine et caribéenne et en participant aux grandes stratégies de développement de la zone des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Le Venezuela a d’ailleurs formalisé sa demande d’adhésion aux BRICS lors du sommet de Johannesburg.

Photo : durant sa cinquième visite en Chine du 8 au 14 septembre 2023, qui a porté les relations bilatérales au plus haut niveau – « de tous temps et à toute épreuve » que la Chine réserve aux alliés stratégiques -, le Président Maduro s’est également entretenu avec le directeur général du Centre international de réduction de la pauvreté de Chine, Liu Junwen (5).

La stratégie de ces sept transformations s’inscrit dans un cadre stratégique plus large visant, comme l’a rappelé Maduro lui-même, à « accélérer la transition d’une économie dépendante du pétrole à une économie qui vise un processus de croissance bien au-delà du pétrole, qui vise à satisfaire d’abord les besoins matériels du pays ». En effet, le pétrole reste la principale source de richesse du Venezuela, et c’est pour cette raison qu’il est le secteur le plus directement visé par les mesures coercitives (unilatérales et illégitimes) imposées par les États-Unis.

Les « sanctions » contre l’industrie pétrolière vénézuélienne imposées par les États-Unis ont fait chuter la production d’environ trois millions de barils de pétrole par jour (2010) à 500 000 (2020). Ce déclin a entraîné une chute de 95% des ressources de l’État. En visite récemment au Venezuela, le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, Michael Fakhari, a déclaré que « les mesures coercitives unilatérales sous forme de sanctions économiques ont limité fortement la capacité à mettre en œuvre des programmes de protection sociale et à fournir des services publics de base ».

C’est pourquoi, avec le plan 7T, la diversification économique et productive prend une dimension centrale. Un « Agenda économique bolivarien » a été défini, divisé en dix-huit moteurs productifs : agroalimentaire ; pharmaceutique ; industrie ; exportations ; économie municipale, sociale et socialiste ; hydrocarbures ; pétrochimie ; mines ; tourisme ; construction ; sylviculture ; défense ; télécommunications et technologies de l’information ; banque ; industries de base, stratégiques et socialistes ; automobile ; crypto-monnaies ; et entreprenariat productif. L’objectif est la construction d’un modèle économique renouvelé, basé sur la diversification de la production et suivant une orientation socialiste.

06.03.24 – Gianmarco Pisa / Venezuelainfos

Notes :

  1. Le Centre National Électoral du Venezuela a invité la CELAC, la Communauté des Caraïbes (CARICOM), l’Union interaméricaine des organisations électorales (UNIORE), le Groupe d’experts des Nations Unies, l’Union africaine, l’Union européenne et le Centre Carter : https://venezuela-news.com/cne-anuncia-convocatoria-de-observacion-internacional/
  2. https://venezuelainfos.wordpress.com/2020/04/09/lex-president-lula-maduro-est-un-leader-democratique-guaido-devrait-etre-en-prison-le-blocus-etats-unien-tue-des-civils/
  3. https://venezuelanalysis.com/news/7272/
  4. https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/11/23/venezuela-alors-que-les-observateurs-internationaux-saluent-la-haute-transparence-du-scrutin-des-leaders-de-la-droite-appellent-a-tourner-la-page-du-putschisme-de-guaido/
  5. https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/09/13/les-relations-sino-venezueliennes-a-un-niveau-historique/

Références:

Gabriel Ovalles, Las 7 Transformaciones: rumbo al desarrollo del país, Ministerio del Poder Popular para el Proceso Social de Trabajo, 19.02.2024: www.mpppst.gob.ve/mpppstweb/index.php/2024/02/19/rumbo-al-desarrollo-del-pais

Lucas Estanislau, Com Zonas Econômicas Especiais, Venezuela quer superar bloqueio e dependência petroleira, Brasil de Fato, 10.07.2022: www.brasildefato.com.br/2022/07/10/com-zonas-economicas-especiais-venezuela-quer-superar-bloqueio-e-dependencia-petroleira

Prensa MPP- Despacho (ICA 21.09.2023), “Presidente Maduro insta a revisar y evaluar los 18 motores de la Agenda Económica Bolivariana”, 21.09.2023:

www.presidencia.gob.ve/Site/Web/Principal/paginas/classMostrarEvento3.php?id_evento=25229

TeleSUR – MS, “Venezuela aprueba el Plan de las Siete Transformaciones”, 27.02.2024: www.telesurtv.net/news/venezuela-aprueba-el-plan-de-las-siete-transformaciones-20240227-0001.html

Redazione, “Il relatore speciale delle Nazioni Unite chiede la revoca delle sanzioni contro il Venezuela”, l’AntiDiplomatico, 15.02.2024:

www.lantidiplomatico.it/dettnews-il_relatore_speciale_delle_nazioni_unite_chiede_la_revoca_delle_sanzioni_contro_il_venezuela/45289_53045

Source de cet article : https://www.pressenza.com/fr/2024/03/venezuela-les-sept-grandes-transformations/

Merci à Bernard Tornare https://b-tornare.overblog.com/

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/03/08/venezuela-les-sept-grandes-transformations/

Sandino, retour vers le futur (L’Huma Magazine, février 2024)

A l’occasion des 90 ans de l’assassinat du général nicaraguayen Augusto C. Sandino sur ordre de Washington, L’Humanité Magazine m’a demandé de lui consacrer un article. J’y mets en lumière un Sandino méconnu : constructeur de communes autogérées dans les zones libérées par sa guérilla paysanne, suivant une vision très proche des communes populaires organisées aujourd’hui au Venezuela; et prophète, avec son « Plan pour la réalisation du rêve suprême de Bolivar », des politiques de coopération reprises par la gauche latino-américaine, en particulier sous l’impulsion d’Hugo Chávez. Le 21 février, j’ai prononcé à l’Institut Simon Bolivar à Caracas une conférence intitulée « De Sandino a Chávez » pour développer cette continuité historique (photos ci-dessous)

Le 19 juillet 1979, lorsque s’effondre la dictature des Somoza – longue de près de 45 ans – et qu’entrent à Managua, juchés sur des blindés, les guérilleros du Front Sandiniste, les Nicaraguayens euphoriques découvrent à la télévision l’image en noir et blanc d’un général qui enlève et remet son chapeau. Ce salut de quelques secondes, passé en boucle, est l’unique image en mouvement de Sandino. Revanche pour celui que la longue nuit du somozisme a tenté d’expulser de l’Histoire après son assassinat perpétré sur ordre de Washington, il y a 90 ans, le 21 février 1934.

Dans Augusto C. Sandino, le « C » ne vient pas comme on le lit parfois de « César » mais de «  Calderon » – nom de sa mère, domestique au service d’un propriétaire terrien. De leur relation, le « bâtard » naît en 1895 dans le village de Niquinohomo, à une trentaine de kilomètres de la capitale du Nicaragua. « J’ai ouvert les yeux dans la misère et j’ai grandi dans la misère. Dès que j’ai pu marcher, je l’ai fait sous les plantations de café en aidant ma mère (…) C’est ainsi que j’ai grandi, ou peut-être est-ce pour cela que je n’ai pas grandi. »

C’est là qu’à 17 ans, en 1912, il voit passer le corps mutilé du général patriote Benjamin Zeledón –  un des chefs de l’insurrection contre le président fantoche Adolfo Diaz, agent des Etats-unis -, fusillé par les Marines intervenus massivement dans le pays, emmené dans une charrette à bœufs : « cela m’a donné la clé de la situation nationale ». Travailleur migrant, il part au Guatemala où il est témoin des exactions de la United Fruit Company (1) , empire de la production bananière qui domine déjà l’économie de l’Amérique Centrale. Puis il se fond parmi les travailleurs de la Huasteca Petroleum Company au Mexique, où il apprend énormément des luttes syndicales, au moment où parviennent les vents de l’anarchosyndicalisme, des utopies socialistes, de l’anti-impérialisme et de la révolution soviétique. La déflagration révolutionnaire du Mexique (1910), la grande rédemption des paysans sans terre et des peuples indigènes autour d’hommes à cheval comme Emiliano Zapata et Pancho Villa, le marquent profondément. Sandino y reconnaît la ligne insurrectionnelle initiée au Nicaragua par les leaders de la résistance indigène Diríangén et Nicarao lors de la Conquista espagnole au XVIe siècle, rallumée en 1881 par la rébellion, brutalement réprimée, du peuple indigène Matagalpa qui défend sa terre.

De retour dans sa patrie, Sandino s’enrôle dans l’armée des libéraux en guerre contre les conservateurs. Jusqu’au jour où il décide de rompre avec ce bipartisme de grands propriétaires terriens qui ne voient dans le paysan qu’une chair à canon pour leurs batailles du «pouvoir pour le pouvoir». Il refuse de signer le Pacte de l' »Espino Negro » qui place le pays sous la coupe des États-Unis. « Je ne me vends pas, je ne me rends pas. Patrie libre ou mourir ».

Autour d’un drapeau rouge pour la liberté et noir pour la mort, avec une poignée de mineurs, de paysans et d’artisans, avec toutes et tous ceux qu’ont invisibilisés des siècles de colonialisme, il lance en 1927 sa « guerre de libération nationale ». Le «  général des hommes libres », comme l’appelle l’écrivain communiste français Henri Barbusse, est un homme sûr de lui. Pour les paysans indigènes, il est le « huehualt », le vieux sage . “Justicia, redención, dignidad, libertad” : sa langue fluide parle aux exclus. Autodidacte, Sandino se forge une solide philosophique politique qui va de Bolivar a Lénine. Il entre dans la franc-maconnerie, étudie les alternatives aux religions de l’oppresseur, cherche dans la théosophie – utopie mystique de la fraternité et de l’égalité, les fondements de sa «commune universelle». Il s’intéresse à Gandhi, médite, croit dans la télépathie et dans la réincarnation. Mais son Dieu est anticlérical, c’est le Dieu des pauvres, et la cohésion de son armée repose sur l' »abrazo », l’accolade simple des « hermanos » – frères en toute chose.

Bien avant Guernica (1937), la première frappe aérienne contre une population civile a lieu à Ocotal, en 1927, lorsque les États-Unis bombardent un village où sont retranchés les combattants sandinistes. Sandino comprend qu’une guerre frontale est vouée à l’échec. Il réorganise sa guérilla dans les montagnes profondes de Nueva Segovia, au nord, près de la frontière avec le Honduras, et recrute des milliers de soldats parmi les paysans exploités, humiliés, dont les terres sont volées par les grands propriétaires, formant progressivement une « Armée de Défense de la Souveraineté Nationale ». « Nous ne sommes pas des militaires. Nous sommes du peuple, nous sommes des citoyens armés. Nous irons jusqu’au soleil de la liberté ou jusqu’à la mort ; et si nous mourons, notre cause continuera à vivre. ».

La « petite armée folle », comme l’a appelée la poétesse chilienne Gabriela Mistral, affronte les compagnies états-uniennes – dont la United Fruit – et déstabilise les Marines qui ne soupçonnent pas que derrière les cris d’oiseaux se cache le « télégraphe » de la guérilla. Le « Chœur des Anges », brigade d’enfants, accompagne les embuscades d’un tintamarre qui fait croire que la troupe sandiniste est plus nombreuse. Les prostituées recueillent les confidences des occupants sur l’oreiller.

Face à cette armée insaisissable, les Marines répondent par la terreur, ce qui ne fait que grossir les rangs des rebelles. Au contre-amiral Sellers qui lui propose de renoncer au combat, Sandino répond : « La souveraineté d’un peuple ne se discute pas, elle se défend les armes à la main. » En 1933, après six ans de guerre, les États-Unis retirent enfin leurs troupes non sans avoir armé, entraîné et installé derrière eux « leur » Garde Nationale. Un an plus tard, alors que Sandino s’est rendu à Managua pour signer la paix avec le président libéral Sacasa, il est trahi et assassiné sur ordre de Washington par le directeur de ce corps répressif, Anastasio Somoza García.

Sandino était-il un « bandit », « un assassin communiste » comme le martèleront les manuels scolaires de la dictature somoziste pendant 40 ans ?  « Un naïf », « un aventurier », un « caudillo bourgeois anticolonial » comme pontifiera une gauche liée à Moscou au moment où l’Internationale Communiste décida de substituer à sa ligne anti-impérialiste une ligne exclusive de «classe contre classe» ?

Pour comprendre Sandino, mieux vaut le conjuguer au futur. Dès 1932, il annonce son projet de créer des coopératives dans les zones libérées. Dans un continent où les élites ont les yeux fixés sur le nord, Sandino chambarde la politique. Son armée de paysan(ne)s ébauche une nouvelle géométrie du pouvoir qui puise aux racines du socialisme communard et du bien commun indigène. « La propriété privée est la source des guerres fratricides », explique-t-il. Là où les Yankees semaient la mort et la destruction, le travail agricole des combattant(e)s permet de créer l’embryon d’une société communautaire, autogérée, avec réseau de santé, logements décents, réfectoires communs, écoles d’alphabétisation. Les coopératives sandinistes sont d’authentiques communes, conçues pour vivre et produire collectivement. En faisant la guerre, en résistant, en cultivant, les nombreuses femmes qui se sont jointes à la rébellion acquièrent un statut nouveau. Sans être féministe au sens strict, le mouvement sandiniste marque pour elles le début d’un processus d’autodétermination, en rupture avec une société archaïque, violente, patriarcale, qui les avait complètement annulées. C’est sur cette base populaire que Sandino rêve de construire l’État nouveau. A Wiwili, sur les rives du Rio Coco qui connecte la paysannerie du nord avec les peuples autochtones de la côte caraïbe, il crée un modèle de coopératives qu’il envisage d’étendre peu à peu vers la région atlantique puis, pourquoi pas, au-delà du Nicaragua.

Pour l’élite des États-Unis comme pour l’oligarchie locale, Sandino n’est pas seulement le guérillero à abattre, mais le leader d’une dangereuse révolution qui rend le pouvoir au peuple et dont l’économie oppose la petite propriété aux « latifundios », vastes domaines agricoles aux mains d’une poignée de seigneurs féodaux qui exploitent jusqu’au sang les travailleurs journaliers 

Quelques heures après l’avoir assassiné, la Garde Nationale détruit les coopératives sandinistes et massacre tous leurs membres, y compris les personnes âgées, les femmes et les enfants. Jusqu’en 1979, la dynastie somoziste devient la « grande propriétaire » exclusive des secteurs clefs d’une économie où les relations de production s’apparentent plus au féodalisme qu’au capitalisme.

Une autre prophétie de Sandino inquiète l’Empire : « l’avènement du Nicaragua comme nation latino-américaine », un concept nourri par ses lectures bolivariennes. «  Profondément convaincu que le capitalisme américain a atteint la dernière étape de son développement en se transformant, par conséquent, en impérialisme ; qu’il ne tient plus compte des théories du droit et de la justice ; qu’il méconnaît les principes absolus d’indépendance de chaque section de la nation latino-américaine, nous considérons, écrit-il, que l’Alliance des nationalités latino-américaines nous est encore plus indispensable.»

En 1929, il envoie aux présidents latino-américains son « Plan pour la réalisation du rêve suprême de Bolivar » : une alliance des 21 nations latino-américaines avec conférence permanente de ses dirigeants, constitution d’une Cour de justice latino-américaine pour régler les litiges entre nations, citoyenneté latino-américaine, force de défense commune, base navale et canal interocéanique au service de tous, réparations pour les destructions causées par les États-Unis. Sans oublier la banque latino-américaine pour « financer, sans dépendre de l’extérieur, la construction d’ouvrages et de moyens de communication et de transport », l’union douanière pour stimuler le marché intérieur et « l’appui au tourisme latino-américain afin de promouvoir la connaissance mutuelle entre nos citoyens ». 44 articles au total qui prennent aujourd’hui tout leur sens, à l’heure de la révolution bolivarienne, de l’Alliance Bolivarienne pour les Peuples de nos Amériques (ALBA, créée en 2004), de la Communauté des États Latino-Américains et des Caraïbes (CELAC, 2010) et de l’Union des Nations Sud-américaines (UNASUR, 2008).

En 1934, Somoza fait disparaître le corps de Sandino et de ses compagnons, jamais retrouvés. Le désespoir s’abat sur les quelques survivant(e)s. Mais l’histoire de l’Amérique latine est une course de relais.

Trente ans plus tard, Carlos Fonseca Amador, le fils myope d’une couturière de Matagalpa, réveille la mémoire de l’Armée de Défense de la Souveraineté Nationale jusqu’à en faire l’acte de naissance du Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN, créé en 1961). Fonseca sait que « la mémoire de Sandino est plus vivante chez les paysans que chez l’habitant des villes ». Il rencontre des survivants comme Santos Lopez qui a combattu sous les ordres directs de Sandino. Pendant des années, Fonseca et son équipe recherchent, étudient tout ce qui reste des écrits du « général des hommes libres ». C’est l’époque du Che, et la rébellion des années 1930 confirme le caractère crucial de la guérilla pour la victoire des peuples sur l’impérialisme. Mais aussi, en fin de compte, l’unité nationale comme stratégie fondamentale. La réflexion historique de Fonseca nourrit l’école de cadres du FSLN et contribue puissamment à la victoire de 1979.

Au journaliste basque Ramón de Belausteguigoitia venu l’interviewer dans ses montagnes du nord en 1933, le général rebelle décrit une vision qui garde son mystère: « Depuis l’origine du monde, la terre n’a cessé d’évoluer. Mais c’est ici, en Amérique centrale, que je vois une formidable transformation… Je vois quelque chose que je n’ai jamais dit auparavant… (…) le Nicaragua enveloppé d’eau. Une immense dépression venant du Pacifique… Les volcans au-dessus seulement… Comme si une mer se vidait dans une autre. »

De la fraternité des communes autogérées à l’alliance entre nations-sœurs, la vision de Sandino a gardé sa puissance d’avenir. Celle d’un monde multipolaire, libéré du mythe occidental d’un «centre», avec ses «marges» et ses «périphéries».

T.D., Caracas, 18 février 2024.

Aperçu de l’édition enrichie de nombreuses photos. Pour celles et ceux qui souhaiteraient acheter la version numérique de cette édition de l’HM (avec l’article en p. 76-81) et une mise en page plus riche que la version Web, c’est ici : https://kiosque.humanite.fr/detail/publication/detail-top-right/17?issue_id=167775&switch_toc=archive. Pour une version résumée de l’article : https://www.humanite.fr/histoire/amerique-latine/nicaragua-augusto-sandino-le-sillon-de-la-revolution

L’auteur : Thierry Deronne, Cinéaste, universitaire, licencié en communications sociales http://ihecs.be. A vécu au Nicaragua (1986-88) et réside au Venezuela depuis 1994. Compte «X» : https://twitter.com/venezuelainfos

Notes:

(1) Voir « l’HD » n°641 du 10 janvier 2019 et sur humanite.fr, « 1899, naissance de la United Fruit Company. Bananes, massacres et coups d’État », par Marc de Miramon.

(2) Pour une iconographie intégrale, voir https://acsandino.org.ni/libro-fotos/ (livre de photos téléchargeable en PDF sur le site du petit-fils de Sandino) et http://www.sandinorebellion.com/index.htm (site états-unien).

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/03/02/sandino-retour-vers-le-futur-lhuma-magazine-fevrier-2024/

L’aube se lève partout et le monde se réveille

Sheroanawe Hakihiiwe (Venezuela), Hema ahu (Toile d’araignée avec rosée le matin), 2021.

Chers amis,

Salutations du bureau de Tricontinental, Institut de recherche sociale.

Le 2 février 2024, le peuple vénézuélien a célébré le vingt-cinquième anniversaire de la révolution bolivarienne. Ce jour-là, en 1999, Hugo Chávez a pris ses fonctions de président du Venezuela et a entamé un processus d’intégration latino-américaine qui, en raison de l’intransigeance des États-Unis, s’est accéléré pour se transformer en un processus anti-impérialiste. Le gouvernement de Chávez, conscient qu’il ne serait pas en mesure de gouverner au nom du peuple et de répondre à ses besoins s’il restait lié à la Constitution de 1961, a oeuvré à une démocratisation de plus en plus avancée. En avril 1999, un référendum a été organisé pour établir une Assemblée constituante, chargée de rédiger une nouvelle constitution ; en juillet 1999, 131 députés ont été élus à l’Assemblée ; en décembre 1999, un autre référendum a été organisé pour ratifier le projet de constitution ; enfin, en juillet 2000, des élections générales ont été organisées sur la base des règles établies dans la Constitution nouvellement adoptée. Si je me souviens bien, il pleuvait à verse le jour où la nouvelle constitution a été soumise au peuple. Néanmoins, 44 % de l’électorat s’est rendu aux urnes lors du référendum, et une écrasante majorité de 72 % a choisi un nouveau départ pour le pays.

En vertu de la nouvelle constitution, l’ancienne Cour suprême du Venezuela – que l’oligarchie du pays avait utilisée comme mécanisme pour empêcher tout changement social majeur – a été remplacée par le Tribunal suprême de justice (Tribunal Supremo de Justicia) ou TSJ. Au cours du dernier quart de siècle, le TSJ a été perturbé par plusieurs controverses, en grande partie dues à des interventions de l’ancienne oligarchie, qui a refusé d’accepter les changements majeurs impulsés par Chávez dans ses premières années. En effet, en 2002, les juges du TSJ ont acquitté les chefs militaires qui avaient tenté un coup d’État contre Chávez, décision qui a indigné la majorité des Vénézuéliens. Cette ingérence permanente a finalement conduit à l’élargissement de la magistrature (comme l’avait fait le président étasunien Franklin D. Roosevelt en 1937 pour des raisons similaires) ainsi qu’à un contrôle législatif accru sur le pouvoir judiciaire, comme c’est le cas dans la plupart des sociétés modernes (comme aux États-Unis, où le contrôle des tribunaux par le Congrès est institutionnalisé par des instruments tels que la « clause d’exception »). Néanmoins, ce conflit sur le TSJ a fourni une première arme à Washington et à l’oligarchie vénézuélienne pourt tenter de délégitimer le gouvernement Chávez.

Oswaldo Vigas (Venezuela), Alacrán (Le Scorpion), 1952.

En 2024, le nombre de personnes qui se rendront aux urnes dans le monde sera supérieur à celui de toutes les années précédentes. Environ soixante-dix pays, représentant collectivement près de la moitié de la population adulte mondiale, ont déjà tenu des élections ou en tiendront cette année. Parmi eux figurent l’Inde, l’Indonésie, le Mexique, l’Afrique du Sud, les États-Unis et le Venezuela, dont les élections présidentielles sont prévues au second semestre de cette année. Bien avant que le gouvernement vénézuélien ne proclame la date des élections, l’opposition d’extrême droite du pays avec le gouvernement étasunien avaient déjà entrepris d’intervenir, tentant de délégitimer les élections et de déstabiliser le pays en rétablissant des sanctions financières et commerciales. Au cœur du conflit actuel se trouve le TSJ qui, le 26 janvier 2024, a refusé d’annuler une décision de juin 2023 visant à inhabiliter la personnalité politique d’extrême droite María Corina Machado – impliquée dans le réseau de corruption de Juan Guaido, qui a appelé à des sanctions contre son propre pays et à une intervention militaire des États-Unis contre le Venezuela –et la déclarer inéligible au Venezuela au moins jusqu’en 2029, voire 2036. Dans le cadre de la procédure, le TSJ s’est penché sur le cas de huit personnes qui s’étaient vu interdire d’exercer une fonction publique pour diverses raisons. Six d’entre elles ont été réhabilitées, et deux, dont Machado, ont vu leur déchéance confirmée.

Washington a crié secours miséricorde suite à la décision du TSJ. Quatre jours après la décision du tribunal, le porte-parole du département d’État, Matthew Miller, a publié un communiqué de presse dans lequel il déclarait que les États-Unis désapprouvaient « l’exclusion des candidats » aux élections présidentielles et qu’ils allaient donc sanctionner le Venezuela. Les États-Unis ont immédiatement révoqué la licence générale 43, une licence du Trésor qui avait permis à la société d’extraction d’or du secteur public vénézuélien Minerven d’effectuer des transactions commerciales normales avec des personnes et entités étasuniennes. En outre, le département d’État a averti que si le gouvernement vénézuélien n’autorisait pas Mme Machado à se présenter aux élections de cette année, il ne renouvellerait pas la licence générale 44 qui permet au secteur pétrolier et gazier vénézuélien de mener des activités normales et qui expire le 18 avril. Plus tard dans la journée, Miller a déclaré à la presse : « en l’absence d’un changement de ligne de la part du gouvernement, nous laisserons expirer cette licence générale et nos sanctions reprendront ».

Elsa Gramcko (Venezuela), R-33 « R-33  Todo comienza aqui, tout commence ici », 1960.

La Charte des Nations Unies (1945) permet au Conseil de sécurité d’autoriser des sanctions en vertu de l’article 41 du chapitre VII. Elle souligne toutefois que ces sanctions ne peuvent être mises en œuvre que par le biais d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. C’est pourquoi les sanctions étasuniennes contre le Venezuela, imposées pour la première fois en 2005 et aggravées depuis 2015, sont illégales. Comme l’a écrit la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les mesures coercitives unilatérales, Alena F. Douhan, dans son rapport de 2022, ces mesures unilatérales sont susceptibles d’entraîner une conformité excessive et des sanctions indirectes résultant de la peur des pays et entreprises d’être punis par les États-Unis. Les mesures illégales imposées par les États-Unis ont entraîné des dizaines de milliards de dollars de pertes depuis 2015 et ont servi de punition collective contre la population vénézuélienne (forçant plus de six millions de citoyens à quitter le pays). En 2021, le gouvernement vénézuélien a formé le Groupe d’amis pour la défense de la Charte des Nations Unies pour rassembler les pays voulant préserver l’intégrité de la Charte et s’opposer à l’utilisation de ce type de mesures violentes, unilatérales et illégales. Les échanges commerciaux entre les membres de ce groupe ont augmenté, et bon nombre d’entre eux (en particulier la Russie et la Chine) ont fourni au Venezuela des alternatives au système financier et commercial dominé par les États-Unis et leurs alliés.

Jacqueline Hinds (Barbade), Le sacrifice des bâtisseurs du canal de Panama, 2017.

Le mois dernier, Tricontinental, Institut de Recherche Sociale a publié une étude historique, Hyper-Imperialism, et un dossier, The Churning of the Global Order, dans lesquels nous analysons le déclin de la légitimité du Nord global, le nouvel état d’esprit du Sud global et les mécanismes violents utilisés par les pays du Nord pour s’accrocher désespérément à leur pouvoir. L’année dernière à Bridgetown, à la Barbade, une rencontre, parrainée par le Mexique et la Norvège, s’est tenue entre les gouvernements des États-Unis et du Venezuela qui ont signé l’Accord de la Barbade. Selon les termes de cet accord, le Venezuela devait permettre que la disqualification de certains candidats de l’opposition soit contestée devant le TSJ et les États-Unis devaient commencer à lever leur embargo contre le Venezuela. Il s’agit d’un accord que les États-Unis ont signé non pas en position de force, mais en raison de l’isolement auquel ils sont confrontés par rapport à l’OPEP+ (composée de pays du Sud qui, en 2022, représentaient 59 % de la production mondiale de pétrole) et de leur incapacité à affirmer pleinement leur autorité sur l’Arabie saoudite. Pour tenter de relever ces défis, les États-Unis ont cherché à ramener le pétrole vénézuélien sur le marché mondial. Après avoir refusé de participer aux conditions fixées par l’Accord de la Barbade, Mme Machado a contesté sa disqualification devant le TSJ, dont elle prétendait honorer l’autorité. Mais lorsque le verdict lui a été défavorable, Machado et les États-Unis ont puisé dans leur boîte à outils et ont constaté qu’il ne leur restait que la force : retour aux sanctions et retour à la menace d’une intervention militaire. Le ministre vénézuélien des Affaires étrangères, Yvan Gil, a qualifié la réaction étasunienne d’« interventionnisme néocolonial ».

Le retour de Washington aux sanctions intervient alors que l’Associated Press a publié un rapport basé sur une note secrète du gouvernement étasunien datant de 2018 et qui prouve que les États-Unis ont envoyé des espions au Venezuela pour cibler le président Nicolás Maduro, sa famille et ses proches alliés. Wes Tabor, ancien responsable de la Drug Enforcement Agency des États-Unis, a déclaré à l’Associated Press : « Nous n’aimons pas le dire publiquement mais, de fait, nous sommes la police du monde », ignorant sans vergogne la violation du droit international que constitue cette opération. Telle est l’attitude des États-Unis. Ce genre de pensée, qui rappelle les clichés des westerns hollywoodiens, sous-tend la rhétorique des hauts fonctionnaires étasuniens. C’est sur ce ton que le secrétaire étasunien à la Défense, Lloyd Austin, menace les milices en Irak et en Syrie, affirmant que si celles-ci ont peut-être « de grandes capacités, j’en ai bien davantage ». Dans le même temps, Austin déclare que les États-Unis répondront aux frappes sur leur base militaire en Jordanie « quand nous le voudrons, où nous le voudrons et comme nous le voudrons ». Nous ferons ce que nous voudrons . Cette arrogance est l’essence même de la politique étrangère des États-Unis, qui font appel à l’Armageddon quand ils en ont envie. « Ciblez Téhéran », dit le sénateur John Cornyn, sans se soucier des implications d’un bombardement étasunien en Iran ou ailleurs.

Mario Abreu (Venezuela), Mujer vegetal (‘Femme végétale’), 1954.

Bien sûr, la frontière est mince entre la persécution des opposants politiques et la disqualification de ceux qui réclament l’invasion de leur pays par une puissance étrangère, en l’occurrence « la police du monde ». Il est vrai que les gouvernements dénigrent souvent leurs opposants en les accusant d’être des agents de l’étranger (comme l’a fait récemment la sénatrice Nancy Pelosi à l’égard de ceux qui, aux États-Unis, protestent contre le génocide d’Israël contre les Palestiniens, en les qualifiant d’agents de la Russie et en demandant au Federal Bureau of Investigations, le FBI, de les surveiller). Machado, cependant, a ouvertement fait des déclarations appelant les États-Unis à envahir le Venezuela, ce qui, dans n’importe quel pays, serait considéré comme inacceptable. Elle a pris part non seulement au coup d’État manqué contre Chávez en 2002, mais à bien d’autres tentatives depuis lors. En fait, elle incarne l’aile dure de l’extrême droite, celle de la vieille oligarchie vénézuélienne, raciste, dont la mentalité est restée coincée dans la Colonie espagnole, et qui n’a jamais accepté l’inclusion des secteurs populaires dans le champ politique. Son inhabitation vient de sa participation au vaste « système de corruption » construit par Juan Guaidó (l’ex-fake-président nommé par Trump sans la moindre élection, aujourd’hui en fuite aux États-Unis).

Maria Corina Machado et George W. Bush en 2002.
Scène de la vie quotidienne sous « la-dictature-bolivarienne » : la dirigeante d’extrême droite Maria Corina Machado, impliquée dans plusieurs tentatives de coup d’État depuis 2002, explique aux médias « bâillonnés » qu’il n’y a pas de liberté au Venezuela et qu’il faut relancer les confrontations « non-dialogantes » (sic) pour forcer le président Maduro à partir.
L’accord de coopération intégrale entre « Vente Venezuela », le parti d’extrême droite de Maria Corina Machado et le Likoud, parti d’extrême droite israélien.

En décembre 2020, j’ai rencontré plusieurs dirigeants de l’opposition vénézuélienne qui s’étaient élevés contre les positions de changement de régime défendues par des personnes comme Machado. Timoteo Zambrano, un dirigeant du Cambiemos Movimiento Ciudadano, m’a dit qu’il n’était plus possible de se présenter devant le peuple vénézuélien tout en appelant à la fin du chavisme, le programme socialiste mis en place par Hugo Chávez. Cela signifie qu’une grande partie de la droite, y compris la formation social-démocrate de Zambrano, a dû reconnaître qu’il serait difficile que ce point de vue obtienne le soutien populaire. Les gens d’extrême droite, comme Juan Guaidó et María Corina Machado, sont peu enclins à de véritables processus démocratiques, et préfèreraient se balader à Caracas à bord d’un F-35 Lightning II.

Quelques mois à peine après avoir promis un allègement des sanctions à l’encontre du Venezuela, les États-Unis en sont revenus à leurs pratiques hyper-impérialistes. Mais le monde a changé. En 2006, Chávez s’est rendu aux Nations Unies et a demandé aux peuples du monde de lire Hégémonie ou Survie de Noam Chomsky, avant d’ajouter : « L’aube se lève partout… C’est que le monde se réveille. Il se réveille partout. Et les gens se lèvent ». Le 31 janvier 2024, Maduro s’est rendu au siège du TSJ, où il a déclaré : « Nous ne dépendons pas des gringos ou de qui que ce soit dans ce monde pour l’investissement, la prospérité, le progrès, l’avancement [ou] la croissance ». Faisant écho aux déclarations de Chávez il y a dix-huit ans, Maduro a affirmé : « Un autre monde est déjà né ».

Chaleureusement,

Vijay

Traduction, Chris & Dine

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« En 2024, le Venezuela se prépare à une grande victoire électorale » : l’interview de Nicolas Maduro par Ignacio Ramonet

Alors que le monde reste sous le coup des conflits en Ukraine et à Gaza, l’actualité ne s’est pas arrêtée au Venezuela. Tout au contraire. L’actualité s’est accélérée et même précipitée ces dernières semaines à Caracas, qui est revenue à la une des grands médias internationaux.
Après les accords inattendus entre le parti au pouvoir et l’opposition extraparlementaire à la Barbade en octobre dernier, et la suspension par Washington de plusieurs mesures coercitives unilatérales contre le Venezuela, les tensions avec le Guyana se sont intensifiées lorsque les autorités de ce pays, en alliance avec ExxonMobil et la marine états-unienne, ont multiplié les provocations dans la région – revendiquée par le Venezuela depuis deux siècles – de l’Esequibo.

Le succès du référendum du 3 décembre au Venezuela sur cette revendication territoriale a été suivi par la signature des accords d’Argyle entre les présidents du Venezuela et du Guyana. Mais l’arrivée récente d’un navire de guerre britannique dans les eaux de la région, en contradiction avec les accords d’Argyle, a considérablement ravivé les tensions et les dangers.
Au milieu de ces turbulences, le Venezuela a remporté un succès diplomatique majeur le 20 décembre avec la libération d’Alex Saab, qui avait été injustement kidnappé et retenu en otage par les États-Unis pendant près de quatre ans. Nous avons entrepris de parler au président Nicolás Maduro de tout cela, et de bien d’autres questions importantes. Celui-ci a une fois de plus accepté, avec beaucoup de gentillesse, de nous accorder cette désormais traditionnelle interview du premier janvier.

Ignacio Ramonet : Monsieur le Président, bonsoir. Merci beaucoup d’avoir accepté cette invitation à cette nouvelle édition, qui est déjà la septième ou huitième, de notre « premier entretien de l’année ».

Président Nicolás Maduro : Oui, cette interview est toujours une très bonne occasion de faire un bilan réflexif de chacune de toutes ces années difficiles, pleines d’efforts et de sacrifices ; c’est un bilan, mais aussi une perspective pour l’avenir. Toujours à ta disposition, Ramonet.

« NOUS AVONS RÉSOLU L’ÉNIGME DE CANSERBERO ».

IR : Merci beaucoup. L’objectif de cet entretien est de faire le point sur l’année écoulée. En particulier, de faire le point sur les réalisations, les victoires, les progrès accomplis au Venezuela. Et aussi si vous pouviez définir quelques perspectives. Nous le verrons au cours de l’entretien.
Mais, si vous me le permettez, je voudrais d’abord commencer par un événement un peu hors sujet, mais qui a eu un impact énorme, notamment pour les millions de jeunes qui sont fans du rappeur vénézuélien Canserbero. Il y a quelques jours, nous avons appris que l' »énigme Canserbero » avait été résolue. On pensait que Canserbero s’était suicidé, mais le Ministère public vénézuélien a révélé qu’il avait en fait été assassiné. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette information ?

NM : Oui, il s’agit vraiment d’un travail scientifique et professionnel de reconstitution des événements, des circonstances, qui a permis d’aboutir à une conclusion définitive sur les auteurs intellectuels et matériels de l’assassinat de ce jeune artiste, de ce créateur vénézuélien qui, en un temps si court, avait eu un si grand impact sur les jeunes. Nous, Cilia (épouse de Nicolas Maduro, NdT) et moi, avons des petits-enfants de tous âges, et nos petits-enfants de huit, neuf, dix, douze, treize, quatorze, quinze ans sont des connaisseurs et des adeptes de l’art, de la musique, de la composition et des paroles de Canserbero. Je suis très surpris.

IR : D’autant plus qu’il est décédé il y a environ huit ans, n’est-ce pas ?

NM : Il y a neuf ans maintenant. Et cela me surprend parce que je l’avoue, je suis un homme de musique, et même je suis plus porté sur la salsa, le rock, je suis au courant des tendances actuelles… En 2023, je suis allé sur Spotify et j’ai découvert une liste de lecture très populaire, très chargée, très riche en musique de toutes sortes. Mais jusqu’à il y a peut-être deux ans, je ne savais pas qui était Canserbero… Je l’ai découvert parce que mes petits-enfants me l’ont expliqué, et qu’ils m’ont fait écouter chaque chanson, nous l’avons analysée l’une après l’autre. C’est ainsi qu’est né mon intérêt pour l’art de Canserbero. À un moment donné, j’ai parlé avec le Procureur Général, lui aussi admirateur de l’art de Canserbero, et lui, après avoir rassemblé un ensemble d’éléments qui formaient une hypothèse solide sur ce qui s’était passé… Tous les médias et les réseaux avaient sali le nom de Canserbero, ils avaient dit que c’était un assassin… Même le Ministère Public antérieur l’avait accusé d’assassinat après sa mort.

IR : Il a été accusé d’avoir commis un homicide avant son suicide.

NM : Oui, et puis ils ont imposé toute la thèse de l’homicide suivi du suicide, de la schizophrénie et de la folie. Et malgré cette tache injuste et brutale, son nom, ses paroles, son art, tout ce qu’il a fait s’est diffusé et Canserbero est maintenant reconnu dans le monde comme, sinon le principal, du moins l’un des principaux rappeurs de langue espagnole. L’enquête a donc été ouverte par le Ministère Public. J’ai exprimé et donné au Procureur, comme toujours, mais dans ce cas particulier, tout mon soutien. Il a mené toutes les investigations avec les moyens les plus avancés de la médecine légale et de la criminalistique. Les résultats ont été concluants. Justice a été rendue, le nom d’un jeune et noble créateur vénézuélien a été revendiqué, et je dirais même que sa renommée est en train de croître.
J’ai parlé avec ses proches le jour où le Procureur général Tarek William Saab a présenté les résultats, avec les aveux enregistrés en vidéo de l’assassin et du meurtrier, des deux meurtriers, et j’ai parlé avec sa famille, et sa famille a ressenti un soulagement dans son âme. Son père Cheo, ses sœurs, ses nièces. Je leur ai transmis mon abrazo au téléphone. Je leur ai dit qu’il s’agissait d’un esprit fort, quel que soit l’endroit où se trouve Canserbero, c’est un esprit très fort. Et que maintenant, son nom va grandir parmi la jeunesse du Venezuela, de l’Amérique latine, des Caraïbes et bien au-delà. Justice a enfin été rendue, ce qui est à l’honneur du Ministère public vénézuélien.

« NOUS AVONS RENDU LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE BEAUCOUP PLUS DYNAMIQUE ».

IR : C’est l’une des réalisations des derniers jours de 2023, mais comme nous l’avons dit, il y en a eu d’autres. 2023 a été une année symbolique, car c’était la dixième année de votre gouvernement. En particulier, je voudrais souligner certains des contacts internationaux que vous avez eus, certains voyages à l’étranger, des réunions : plusieurs réunions avec le président Gustavo Petro de Colombie, qui a organisé une conférence sur le Venezuela à Bogota ; une réunion avec le président Lula, qui est récemment revenu au pouvoir au Brésil, vous étiez à la rencontre organisée par Lula sur l’Amérique du Sud ; d’autres voyages stratégiques, en particulier en Turquie et en Arabie saoudite, et surtout le voyage très important en Chine, votre réunion avec le président Xi Jinping.
Comment ces contacts et ces voyages s’inscrivent-ils dans la diplomatie géopolitique traditionnelle de la révolution bolivarienne ?

NM : Le monde est déjà entré dans une nouvelle époque. L’ère des empires occidentaux est définitivement révolue, et le dernier des empires occidentaux, l’empire états-unien, connaît un processus de déclin historique qui est structurel, définitif. Comme la Grande- Bretagne, qui était un super-empire militaire, économique, commercial, naval… Et bien, elle a cessé, de l’être, elle a décliné… Même si elle reste un pays puissant, important.

Aujourd’hui, un monde plus équilibré a vu le jour, tel qu’en rêvait le libérateur Simón Bolívar. Nous nous trouvons d’ailleurs à Caracas, ville natale de notre héros, de notre Père fondateur, le libérateur Simón Bolívar, qui, très tôt au XIXe siècle, a parlé de la nécessité de « construire un univers d’équilibre« , un « monde d’équilibre » ; Le Libérateur a conçu la stratégie que nous pourrions appeler aujourd’hui la « stratégie d’un monde multipolaire », où notre Amérique, libérée par son épée, par son armée, par notre armée, serait l’un des grands blocs. En effet, la « Grande Colombie« , fondée sur les rives de l’Orénoque le 17 décembre 1819, est née comme une puissance atlantique, caribéenne, pacifique (océan Pacifique), amazonienne, andine, englobant ce qui est aujourd’hui le Venezuela ainsi que la Colombie, le Panama et une partie de l’Amérique centrale et de l’Équateur. Elle est née comme une puissance territoriale, démographique, militaire et économique.

IR : Presque comme un autre Brésil…

NM : Oui, pratiquement, et avec ses deux bras, l’un sur la mer des Caraïbes et l’Atlantique, et l’autre sur le Pacifique, avec toute la cordillère des Andes et un espace gigantesque sur l’Amazone. Et cette puissance fut appelée – comme le Libérateur tenta de le faire au Congrès de Panama en 1826 – à former un puissant bloc de nations, une union de républiques… La trahison l’emporta, la conspiration impériale l’emporta, et le projet de Bolivar fut poignardé, trahi, sali, oublié… Là où aurait dû naître un bloc puissant, il ne resta que quinze, vingt « républiquettes » entre guillemets – ceci dit en tout respect de chacun – chacune de son côté, toutes dominées.

C’est aujourd’hui que ce concept de « l’équilibre de l’univers« , d’un « monde multipolaire« , qui fut le grand rêve du géant, de notre Libérateur, voit le jour. Et nous y sommes attentifs. Le commandant Hugo Chávez a parlé d’une « nouvelle géopolitique mondiale » et il a mis en place la diplomatie bolivarienne de la paix. Son axe transversal est la construction d’un nouvel axe de puissance mondiale, et l’insertion du Venezuela dans cet axe.

Depuis l’Amérique latine en premier lieu, depuis l’Amérique du Sud, depuis les Caraïbes et depuis l’Amérique latine et les Caraïbes vers le monde. C’est pourquoi, cette année, nous avons rendu notre politique étrangère très dynamique. Nous avons participé à la tentative de Lula de rétablir l’UNASUR, qui est très importante et qui avance pas à pas, mais non sans menaces et conspirations impériales pour l’en empêcher. Cette année, nous avons participé à la consolidation de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC). Nous avons participé au sommet de Palenque à l’invitation du président mexicain López Obrador pour aborder avec d’autres leaders régionaux toute la question du changement climatique, de la migration, du développement et de l’indépendance. Et nous avons reçu le soutien de toute l’Amérique centrale et d’une partie de l’Amérique du Sud sur la question des sanctions, pour demander la levée des sanctions.

Photo : de gauche à droite, le président cubain Miguel Díaz-Canel, la présidente hondurienne Xiomara Castro, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador, le Premier ministre haïtien Ariel Henry, le président colombien Gustavo Petro et le président vénézuélien Nicolás Maduro posent lors du sommet de Palenque, au Chiapas (Mexique), le 22 octobre 2023.

« NOTRE VISITE EN CHINE A ÉTÉ MONUMENTALE. »

Cette année, nous avons consolidé nos relations avec la Turquie, l’Inde, la Russie et la Chine. Notre visite en Chine a été monumentale. Je me suis rendu en Chine six ou sept fois en tant que ministre des Affaires Étrangères, pour accompagner le Président Chávez, et j’y suis allé cinq ou six fois en tant que président. Et je peux te dire que le niveau des relations, des accords signés et des politiques définies entre le président Xi Jinping, entre la Chine et le Venezuela au cours de cette visite de six jours, est inégalé. Tout d’abord, nous avons élevé nos relations au rang de relations stratégiques de haut niveau, « infaillibles à tout moment« .

IR : C’est l’expression qui figure dans le document ?

NM : Oui, c’est l’expression officielle, c’est un concept que, pour la première fois, la Chine attribue à une relation conjointe avec un pays d’Amérique latine et des Caraïbes. Ce qui élève le niveau. Je dirais donc que nous progressons au milieu du siège impérial, au milieu de l’agression permanente, nous progressons dans le tissage du nouveau monde. Le Venezuela, humblement, modestement, mais avec la grandeur de la pensée de Bolivar, avec la grandeur de la nouvelle géopolitique mondiale de Chávez, persévère dans la construction d’un monde multipolaire, d’un monde de pays et de peuples vraiment libres.

« ALEX SAAB A DÉJÀ FAIT L’OBJET D’UNE TENTATIVE D’ASSASSINAT SUR ORDRE D’IVÁN DUQUE ».

IR : Monsieur le Président, parmi les réalisations de votre gouvernement, je voudrais en citer trois récentes. Premièrement : les accords de la Barbade en octobre, qui ont permis d’établir un accord avec l’opposition de droite extraparlementaire. Deuxièmement, le référendum sur l’Esequibo du 3 décembre, qui a été une grande victoire en termes de mobilisation électorale. Et la récente libération du diplomate Alex Saab.
Sur ce dernier point – nous reviendrons plus tard sur les deux autres – j’aimerais que vous nous apportiez des précisions, car vous avez déjà fait une déclaration à ce sujet, sur la manière et la difficulté avec lesquelles a été négociée la libération d’Alex Saab.


NM : Tout d’abord, comme nous l’avons dit, Alex Saab est un homme d’affaires d’origine colombienne, qui s’est installé au Venezuela et a commencé à développer un ensemble d’investissements très importants, il a été associé à un certain moment, en 2011, aux plans de ce qui allait devenir la Gran Misión Vivienda Venezuela (Grande Mission Logement du Venezuela). Plus tard, au cours de la phase dont j’ai été responsable, il s’est investi dans les programmes sociaux, mais il a surtout commencé à jouer un rôle très important et croissant lorsque les sanctions criminelles nous ont été imposées.

IR : Depuis 2016.

NM :
Oui, 2016, 17, 18, parce qu’il s’est investi… J’ai commencé à penser… Premièrement, il est colombien, il a du sang colombien ; deuxièmement, il a du sang palestinien, c’est de là que vient ce côté rebelle. Et il a commencé à travailler très habilement pour surmonter les sanctions qui étaient prises contre le Venezuela.

IR : De sa propre initiative ? Par patriotisme ?

NM : De sa propre initiative et aussi grâce à un ensemble de politiques que j’ai mises en œuvre en faisant appel au secteur privé pour que, grâce aux capitaux, aux investissements privés, nous puissions aller de l’avant, étant donné que tous nos comptes bancaires avaient été pillés, gelés, Ramonet. Il faut comprendre ce que signifie concrètement pour un pays de voir tous ses comptes bancaires gelés, et non seulement gelés, mais dont tout l’argent a été volé, plus de 21 milliards de dollars, un pays dont les propriétés à l’étranger ont été gelées, dont les produits sont interdits de vente dans le monde, dont l’industrie principale est persécutée, l’industrie pétrolière, tout cela nous a fait perdre, je le dis toujours parce qu’il y a peut-être des gens qui ne l’ont pas entendu, nous a fait perdre 99 % des revenus du pays, nous sommes passés de 54 milliards de dollars environ, une année, à 700 millions de dollars l’année suivante… Et l’objectif manifeste et direct de l’impérialisme était de faire s’effondrer la société et de procéder à un changement violent de gouvernement, ce qu’ils appellent dans leurs manuels stratégiques, un « regime change« . Et Fidel nous disait toujours : « Les crises créent des hommes« , « elles créent des leaderships« .

Je dirais que, dans cette crise, un homme a émergé : Alex Saab, et il a commencé avec des importations financées avec son capital, il a commencé à apporter de la nourriture, les colis alimentaires du CLAP (Comité local d’approvisionnement et de production, aide gouvernementale aux familles vénézuéliennes face aux pénries induites par le blocus, NdT) dans les moments difficiles de 2017, 2018. Et c’est pourquoi ils l’ont sanctionné, lui et toute sa famille, ses frères, sa sœur, son père, sa mère, ils les ont tous sanctionnés. Et puis ils ont commencé à le persécuter… Et les entreprises où il fabriquait les boîtes des CLAP, au Mexique et dans d’autres pays, ils ont également commencé à les persécuter, à les menacer de différentes sanctions.

En 2019 et surtout en 2020, il a joué un rôle important dans trois domaines clés, en particulier en 2020, lorsque la quarantaine, la pandémie de Covid, est arrivée. Grâce aux efforts de milliers de producteurs agricoles, de paysans, d’agriculteurs de la campagne vénézuélienne, nous produisons aujourd’hui 85 % des aliments consommés au Venezuela, un miracle agricole réalisé par qui ? Par les travailleurs, par les producteurs… Mais à l’époque, nous devions importer 90 % des colis des CLAP de l’étranger pour aider 7 millions de familles. Et Saab a été un homme clé dans l’articulation de ces importations.

Mais aussi, compte tenu du blocus, la raffinerie, les quatre raffineries pétrolières du Venezuela étaient à l’arrêt, nous ne pouvions pas obtenir de pièces de rechange, nous ne pouvions pas les acheter. Si nous les obtenions, nous n’avions pas de compte bancaire pour les payer, à cause des sanctions… Ensuite, nous avons fait des triangulations pour résoudre le problème et récupérer les quatre raffineries d’une manière miraculeuse et héroïque, grâce à l’ingénierie et aux connaissances des travailleurs du pétrole au Venezuela, et au soutien de nos amis dans le monde; des amis importants dans le monde. Alex Saab était l’homme qu’il fallait pour commencer à acheminer le carburant au Venezuela.
Il avait également noué des contacts dans le monde entier pour apporter des médicaments aux patients les plus démunis, et en particulier des médicaments essentiels pour lutter contre la pandémie de Covid. C’est à ce moment-là qu’il a été kidnappé.

IR : Au Cap-Vert.

« ALEX SAAB A LA TÉMÉRITÉ D’UN CHE GUEVARA ».

NM : Oui, au Cap-Vert. Deux jours plus tôt, ils avaient essayé de le tuer. Cela n’a jamais été dit… Deux jours auparavant, un groupe de criminels engagés par Iván Duque de Colombie avait tenté de tuer Alex Saab à son domicile à Caracas… Il en a miraculeusement réchappé. Et puis lui, avec son dynamisme, parce que c’est un homme entreprenant, avec du dynamisme, de l’initiative, je dirais téméraire, je dirais qu’Alex Saab a la témérité d’un Che Guevara pour affronter les risques et les dangers. Il est parti, il se rendait en Iran, pourquoi allait-il en Iran ? Pour garantir l’approvisionnement en essence du Venezuela pendant un an, 2020, 2021, pendant que nous récupérions la raffinerie. Pourquoi ce voyage ? Pour obtenir des médicaments triangulés à partir de l’Iran. Et en chemin, il a été capturé, kidnappé sans aucune preuve.

IR : Sans mandat…

« JE N’AI JAMAIS EU D’HOMME DE PAILLE ! »

NM : Non, il n’y avait pas de mandat d’arrêt international, tout d’abord. Deuxièmement, il bénéficiait de la protection d’un passeport diplomatique, en tant que fonctionnaire diplomatique du Venezuela, un gouvernement légitime, reconnu par les Nations Unies. En l’enlevant, ils ont violé les conventions qui protègent l’immunité diplomatique dans le monde entier, ce qui est très grave. Et puis, tout ce que l’on sait déjà : les tortures….

La première chose qu’ils ont essayée – comme il l’a expliqué – c’est qu’en juillet, en pleine quarantaine du Covid, ils lui ont demandé, par un coup de téléphone, d’arrêter les cargos transportant l’essence ; par un coup de téléphone, d’arrêter les expéditions de médicaments… Il y a un médicament clé, Ramonet, le Remdesivir, qui venait juste de sortir à l’époque comme le grand antiviral contre le coronavirus. Ils voulaient à tout prix l’arrêter. Lorsque le Remdesivir est arrivé à Caracas, en juillet 2020 et jusqu’à aujourd’hui, il a permis de sauver des milliers de vies de patients très graves qui étaient intubés dans tout le pays.

Ils voulaient aussi, sur un simple coup de fil, qu’Alex Saab arrête d’importer les aliments pour les colis des CLAP, pour produire quoi ? la mort par manque de médicaments, la famine et la pénurie totale d’essence, une situation nous avons frôlée… En fait, je peux te dire que sur les cinq bateaux qu’il a commandés – nous les avons payés mais il les a triangulés – sur les cinq bateaux d’essence qui devaient arriver, seuls deux bateaux ont pu arriver en juin 2020… Inoubliable ! Ce fut une fête pour le Venezuela… Les trois autres navires ont été volés par les États-Unis… Oui, tout simplement volés ! Ils les ont emmenés aux États-Unis… Pirates, corsaires, voleurs !

Ensuite, il y a eu toute l’étape de la torture pour l’obliger, disons, à valider les infamies, les mensonges qui circulent encore… Parce que les médias orduriers comme par exemple Semana de Colombie, qui est un magazine de l’oligarchie du narcotrafic colombien, Semana écrit encore : « Alex, l’homme de paille de Maduro« . Je n’ai jamais eu de prête-nom ! Je n’ai jamais eu de compte bancaire à l’étranger. Mes relations avec les hommes d’affaires nationaux et internationaux ont été et sont des relations de travail au bénéfice du pays ; à tel point que l’impérialisme n’a jamais pu montrer, malgré trois ans et demi de prise en otage de Saab dans ses prisons, une seule preuve, un seul papier sur les prétendus hommes de paille, les affaires sales et toute la pourriture qu’ils inventent dans leur justice ordurière et dans leurs médias orduriers.

Mais nous, nous n’abandonnons jamais personne derrière nous, nous n’avons jamais abandonné personne… Jamais ! Nous sommes toujours, nous avons toujours été aux côtés de sa famille, de sa femme Camila, qui de femme au foyer est devenue la dirigeante d’un puissant mouvement, le mouvement « Free Alex Saab » ; aux côtés de ses fils, de ses filles, de toute sa famille; avec amour… Surtout Cilia, qui parlait pratiquement à Camila toutes les semaines, nous recevions des informations ici et là. Et comme je l’ai dit à Alex lorsqu’il est sorti de la voiture et que je l’attendais à la porte du palais de Miraflores : « Alex, je savais que ce jour viendrait. Et il est arrivé. » Un miracle ? Un miracle comme seuls les révolutionnaires peuvent en faire, nous qui sommes fermes et qui affrontons l’empire avec notre vérité. Un miracle.

IR : Ce fut une belle victoire, Monsieur le Président. Dans le monde entier, de nombreuses personnes se sont réjouies de cette libération, parce qu’elles s’étaient battues pour dénoncer tous les mensonges qui avaient été proférés au sujet d’Alex Saab.

NM : Ramonet, je ne peux pas dire… mais j’ai reçu des mots de félicitations de la part de personnes que tu ne peux même pas imaginer, qui sont probablement en train de regarder ceci, de partout dans le monde, tu ne peux même pas l’imaginer. Des gens qui m’ont envoyé des félicitations. Des gens des États-Unis d’Amérique. Je ne citerai pas de noms, de grands artistes mondiaux… Je ne connais même pas certains d’entre eux. Et j’ai reçu des messages ici et là. Ils me disaient : voilà comment on traite un homme innocent. Nous avons procédé à un échange qui a dû être négocié… comme le disait José Martí : « Cela a dû se faire en silence« . Avec la prudence et la diplomatie nécessaires, nous avons réussi à libérer miraculeusement un homme innocent. Et en échange, nous avons remis un groupe de terroristes condamnés après avoir avoué qu’ils avaient commis des crimes et des délits dans le pays. C’est le prix que nous avons payé pour l’enlèvement. Pour la liberté de la personne enlevée. Et je pense que cela en valait la peine.

Photo: une des nombreuses mobilisations populaires à Caracas pour exiger la libération du diplomate Alex Saab après son enlèvement et son emprisonnement aux États-Unis.

« NOUS SOMMES EN TRAIN DE CONSTRUIRE UN NOUVEAU MODÈLE ÉCONOMIQUE DIVERSIFIÉ QUI NOUS DONNE UNE INDÉPENDANCE ABSOLUE VIS-À-VIS DU MONDE ENTIER. »

IR : Monsieur le Président, pour continuer avec le bilan de l’année, vous avez défini huit axes de travail très importants pour 2023. Et parmi eux, les lignes de l’économie. J’aimerais vous demander quelle est votre évaluation de cette approche et quelles sont les principales réalisations dans ces huit lignes de travail ?

NM : Je pense que 2023 a marqué un pas en avant, aussi. Nous avons dix trimestres de croissance économique continue qui ont commencé à la fin de 2021. Et nous avons réussi à maintenir la croissance dans ce que j’ai défini comme l’agenda économique bolivarien, 18 moteurs, les 18 moteurs vont étape par étape ; ces 18 moteurs ont besoin de politiques publiques, d’incitations, d’investissements, d’un marché national, d’un marché international, d’une bonne gestion publique, d’une bonne gestion privée, d’une bonne coordination. Je pense que nous sommes parvenus à une coordination parfaite avec tous les acteurs économiques internes du pays, et je pense que nous avons un niveau très élevé de dialogue et de compréhension avec les acteurs économiques internationaux qui arrivent avec leurs nouveaux investissements. Il s’agit là d’une grande réussite de ces dernières années, qui sera consolidée en 2023. J’ai quelques chiffres importants à te communiquer.

IR : La croissance en 2022 a été de 12 % environ ?

NM : C’est exact.

IR : En 2023, quelle est la croissance du Venezuela ?

NM : La Banque Centrale n’a pas encore donné de chiffres, mais on me dit que les 4,5 % prévus par la CEPAL (ONU) pourraient être atteints. Cela représente dix trimestres consécutifs de croissance. Tout cela, encore, au milieu d’un siège et avec nos propres investissements. Comme je l’ai dit, avec nos propres forces.
Une croissance de 5 % de l’activité agricole. Nous avons déjà cinq trimestres consécutifs de croissance de plus de cinq points de l’activité agricole, en produisant notre propre nourriture. Nous exportons même une partie de cette nourriture. Dix trimestres de croissance soutenue de 4 % de l’ensemble de l’activité manufacturière privée du pays, dans le cadre d’une reprise soutenue et durable, il reste encore une grande marge de croissance pour l’ensemble du secteur manufacturier. Environ 4 % de croissance de l’activité commerciale jusqu’au troisième trimestre. Ce quatrième trimestre, qui vient de s’achever en décembre, a atteint un niveau beaucoup plus élevé, l’activité commerciale s’est intensifiée, avec une force impressionnante. La production de l’industrie alimentaire et des boissons a augmenté de plus de 1,6 %. J’ai d’autres données ici. Je ne vais pas te noyer avec toutes les données.

IR : Mais la tendance est très positive ?

NM : Oui, la tendance est positive. En ce qui concerne les prises de pêche, le rétablissement de la capacité de pêche du pays, nous avons enregistré cette année une croissance de 25 %. Dans l’aquaculture, qui est également une activité à laquelle nous avons accordé une attention particulière, nous avons enregistré cette année une croissance de 20 %. Dans le seul secteur de la crevette, qui est un secteur d’exportation, nous avons enregistré une croissance de 98 % en 2023. Une augmentation de la production industrielle, agro-industrielle… Et l’arrivée d’importantes entreprises européennes, états-uniennes, chinoises, indiennes, etc., etc., pour investir dans le pétrole, le gaz et les entreprises de base.

Cela signifie que, dans les conditions établies par notre Constitution et nos lois, nous sommes en progression. Cette année, les recettes fiscales ont augmenté de 25,8 %, mais je dirais que, conformément aux besoins du pays et aux attentes de nos plans sociaux pour le redressement de l’État de bien-être social, les recettes fiscales – bien qu’elles aient beaucoup augmenté cette année – ont encore beaucoup de chemin à faire pour garantir des revenus qui nous permettront d’améliorer les revenus des travailleurs, des travailleuses et les investissements sociaux.

Cette année, jusqu’au mois de novembre, nous dépassons les 5.181 millions de recettes. Cela signifie qu’il y a un ensemble d’éléments très importants, la stabilité des taux de change, la fin définitive de l’hyperinflation, nous avons combattu l’inflation comme un mal structurel, séculaire, de l’économie, et avec les politiques que nous mettons en œuvre, nous avons de sérieuses chances d’améliorer cet élément, cette variable dans les mois et les années à venir.

Le portefeuille de crédit a augmenté de 91 % par rapport à 2022. Quatre- vingt-onze pour cent. Il s’agit de chiffres encore modestes, de l’ordre de 1,4 milliard de dollars. Le Venezuela aurait besoin de quatre, six, huit milliards de dollars, pour le portefeuille de crédit, ou beaucoup plus pour l’investissement ; mais c’est quelque chose qui a été réalisé d’une manière soutenue, durable.

IR : Et tout cela dans le contexte d’un pays bloqué et assiégé. Ce qui est d’autant plus méritoire.

NM : C’est bien de le rappeler. Car malgré les progrès que nous avons réalisés avec les accords de la Barbade, dont nous allons parler, et les discussions avec le gouvernement des États-Unis, le Venezuela n’a aujourd’hui aucun compte à l’étranger, il continue d’être un pays persécuté et assiégé. Nous avons obtenu tout cela grâce à nos propres efforts, nous les Vénézuéliens, nous seuls, je peux te le dire, avec fierté. Le secteur privé, petit, moyen, grand, avec quelques investissements venant de l’étranger, avec des politiques publiques consensuelles, correctes, pertinentes, justes, nous y sommes parvenus grâce à nos propres efforts, pratiquement seuls dans ce monde.

IR : Sans investissements étrangers significatifs ?

NM : Pour le dire avec le grand Ho Chi Minh, il s’agit de « penser avec notre tête, marcher avec nos pieds et construire avec nos mains », sans dépendre de personne. Sais-tu ce que l’on ressent ? Que nous sommes à un stade – et je le dis ici, dans la maison où est né Bolivar, le géant de l’Amérique – où nous construisons un nouveau modèle économique diversifié qui nous donne une indépendance absolue vis-à-vis du monde entier, si nécessaire. Un autre élément pour ton analyse, et pour l’analyse de tous ceux qui nous lisent ici dans le monde : en 2023, le Venezuela a atteint le niveau le plus élevé d’approvisionnement interne de son marché intérieur au cours des vingt-cinq dernières années, soit 97 %, essentiellement grâce à sa propre production et à l’activité des secteurs économiques privés avec des importations complémentaires, avec une politique très claire sur ce qui est importé, sur ce qui n’est pas importé et sur la protection du producteur national.

Je pense donc que nous faisons de grands progrès. Je dis toujours, bien sûr, qu’il y a encore un long chemin à parcourir, surtout pour générer la richesse, l’argent dont nous avons besoin pour avoir un impact sur les salaires et les revenus. Nous avons fait de notre mieux pour améliorer le revenu intégral des travailleurs, le revenu intégral minimum des travailleurs. Nous avons également réalisé un circuit avec les Grandes Missions et les Missions pour protéger la santé publique, l’éducation publique, la construction de 500.000 logements par an, pour protéger, avec le CLAP et les programmes alimentaires, le droit des personnes à l’alimentation, et pour placer les êtres humains au centre et les protéger intégralement pendant que nous récupérons la capacité, non seulement de générer et de produire des biens, des produits, des services, mais aussi de la richesse liquide, qui est l’objet de notre principal effort, et je sais que nous y parviendrons. Je sais que nous allons y parvenir. J’en suis sûr.

« NOUS AVONS DÉMANTELÉ LES MAFIAS CARCÉRALES ».

IR : Monsieur le Président, il y a une autre réalisation importante que vous n’avez pas mentionnée, à savoir la sécurité. Pendant longtemps, l’une des critiques les plus systématiques des médias internationaux, y compris pour critiquer la révolution bolivarienne, était de dire que le Venezuela était un pays très peu sûr, très dangereux, que Caracas était une ville dominée par la criminalité, la délinquance ; tout cela a changé jusqu’à un certain point. Aujourd’hui, Caracas est une ville de plus en plus paisible, de plus en plus sûre, les nuits de Caracas sont redevenues vivantes, comme peuvent le constater les touristes, les voyageurs, les correspondants étrangers ; c’est une réussite énorme. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez réussi à obtenir ce résultat, qui semblait presque impossible ?

NM : Un énorme travail a été réalisé sur la base d’un concept appelé « Cuadrantes de Paz » (zones de paix). Ces zones de paix sont un concept territorial. Aujourd’hui, nous avons trois mille « cuadrantes de paz ».

IR : Dans tout le pays ?

NM : Oui, dans tout le pays. Cette zone de paix, qui réunit-elle ? Les forces de police et de sécurité, l’organisation populaire, tout le pouvoir populaire dans sa diversité, et toutes les institutions impliquées dans la sécurité. Ces zones de paix ont contribué à libérer les territoires où le taux de criminalité était plus élevé et à établir les règles de fonctionnement des communautés de paix ; je pense que les zones de paix, les communautés de paix, sont l’un des éléments.

L’autre élément concerne le travail de renseignement pour démanteler les gangs criminels les plus dangereux, qui sont comme des gangs de nouvelle génération, des gangs plus armés, plus organisés, avec beaucoup d’argent. Nous avons mené des opérations de renseignement et des frappes chirurgicales contre des gangs dans différentes villes et différents endroits du pays. Par exemple, à Caracas, on se souvient de la frappe chirurgicale que nous avons menée contre les gangs d’un quartier connu dans le monde entier, la Cota 905. Cela a permis d’instaurer à Caracas un climat de coexistence, de tranquillité et de paix, car il y avait là un foyer, la Cota 905, un foyer incroyable, lié aux bandes criminelles de Colombie à l’époque d’Iván Duque. Lorsque nous sommes entrés dans leur repaire, la première chose que nous avons trouvée était une vingtaine de paramilitaires colombiens sur une montagne, s’entraînant pour une prétendue « insurrection populaire » à Caracas qu’ils allaient diriger, pour te donner une idée.

Troisièmement, cette année, 2023, des progrès ont été réalisés dans le démantèlement des mafias carcérales dans des prisons très représentatives du centre du pays, de l’ouest, des Andes, de l’est et du sud du pays.
Je pense que cela a été un coup très important pour mettre fin à ces mafias carcérales, pour leur enlever ce centre de criminalité. C’est une politique, que nous appelons l’opération Gran Cacique Guaicaipuro, et elle va se poursuivre.
En ce sens, je suis convaincu que nous allons continuer à progresser au Venezuela en tant que territoire de sécurité et de paix. Et j’en appelle toujours à la population : cela ne dépend pas d’un seul homme, cela dépend de l’effort commun que nous déployons dans les zones de paix, c’est la méthode.
Je l’ai même dit à certains gouvernements d’Amérique latine – je ne vais pas citer de noms – : je voudrais partager avec vous l’expérience de ces zones de paix pour que vous puissiez voir que la fusion et l’union sur le territoire des forces de l’ordre, des forces de police et de l’organisation sociale – dans le cas du Venezuela, le pouvoir populaire – donne des résultats importants.

« LE PRÉSIDENT DU GUYANA SE MOQUE DE LULA, DE LA CELAC ET DE LA CARICOM… »

IR : Monsieur le Président, une autre réalisation importante, comme nous l’avons mentionné précédemment, est le récent référendum sur la région de l’Esequibo, qui a été un succès parce qu’on a vu le soutien que la population a apporté à cette revendication. Le succès de ce référendum a contraint le président du Guyana à s’asseoir avec vous pour discuter directement du sort de l’Esequibo. Mais depuis, il y a eu l’envoi – que vous avez dénoncé – d’un navire de guerre britannique au large du Guyana. Dans ces conditions, comment voyez-vous l’avenir des négociations avec le Guyana sur l’Esequibo ?

NM : Pour l’instant, nous pourrions dire que nous traversons un moment de turbulence. Parce que le Guyana n’agit pas comme la République Coopérative du Guyana, il agit encore comme la « Guyane britannique », et accepte qu’un navire de guerre se rende sur ses côtes et de là, menace le Venezuela. Parce que ce navire de guerre, dès qu’il est parti vers ses côtes, a menacé le Venezuela. Et les déclarations impertinentes et insolentes du ministère britannique des affaires étrangères ont réaffirmé cette menace à l’égard du Venezuela. C’est ainsi qu’ils se comportent, le président du Guayana se comporte comme le président d’une Guyane britannique coloniale. Il se comporte comme un pays prisonnier, soumis. Je n’accepte pas ses excuses, je ne les accepte pas ! Le président Irfaan Ali tente de s’excuser en affirmant que le Guyana ne menacera jamais le Venezuela. Mais ce n’est pas lui qui a proféré un mot de menace, ce sont ses maîtres, c’est le vieil empire britannique, déclinant, en pleine décomposition, qui a envoyé un navire de guerre… Ils croient que le Venezuela est le Venezuela de 1902, quand ils sont venus avec leurs navires bombarder Maracaibo, Puerto Cabello, La Guaira ; quand ils sont venus massacrer le peuple du Venezuela pour imposer la sentence arbitrale de 1899, pour recouvrer les dettes illégales et immorales du XIXe siècle. Non, le Venezuela n’est plus celui de 1902, le Venezuela de Cipriano Castro. Non, non. C’est un Venezuela qui dispose de la puissance militaire pour se défendre. Et je le dis avec humilité, avec simplicité. Parce que je connais très bien les militaires vénézuéliens. Et je sais qu’elles donneraient leur vie pour défendre la souveraineté de ce pays, pour protéger ce pays. Je vous l’ai dit, nous sommes un peuple de paix. Pour faire le bien, comptez toujours sur nous. Pour les mauvaises choses, il vaut mieux ne pas nous chercher. Ne nous cherchez pas !

Que fait le gouvernement de Londres et que fait le président du Guyana ? Se moquer des médiateurs – du président Lula, se moquer du président de la CELAC, Ralph Gonsalves, se moquer de tous les pays de la Caricom… C’est ce qu’ils ont fait, se moquer d’eux, en menaçant le Venezuela avec un navire militaire, ce qui revient à rompre l’accord d’Argyle. Nous sommes actuellement dans une situation de turbulence. Nous savons y faire face, parce que nous ne sommes pas nés le jour des lâches, vois-tu Ramonet ? Je ne suis pas né le jour des lâches et je sais très bien, en tant que chef de l’État et commandant en chef des forces armées, ce que je dois faire pour défendre la dignité du Venezuela. Et ici, personne ne viendra nous menacer avec des navires de guerre. Ni aujourd’hui ni jamais. Nous ne sommes pas le Venezuela de 1902. Qu’on ne s’y trompe pas. Ne vous méprenez pas !

« AVEC LES ÉTATS-UNIS, NOUS AVONS TOUJOURS CHERCHÉ LE DIALOGUE, LA COMPRÉHENSION, LA COEXISTENCE »

IR : Monsieur le Président, après les Accords de la Barbade avec l’opposition de droite extraparlementaire, l’administration Biden a été contrainte de suspendre une partie des sanctions contre le Venezuela. Quelles prochaines étapes prévoyez-vous sur la voie de la normalisation des relations avec les États-Unis ?

NM : Nous devons d’abord dire deux choses. Premièrement, j’ai encouragé le dialogue plus d’un millier de fois avec tous les secteurs de l’opposition. Y compris avec le secteur extrémiste de la tendance « Guaido », l’opposition d’extrême droite, qui est l’opposition privilégiée et préférée des États-Unis, l’opposition pro-états-unienne, « Pitiyanqui » comme on dit ici… et qui est réuni dans la Plateforme Unitaire, la PUV. J’ai favorisé ces dialogues et nous les maintenons en permanence, toujours et sans arrêt. Ce sont des dialogues publics qui sont connus. Mais lors de dialogues privés, je les ai tous rencontrés. En 2020, et en 2021. Ils m’ont dit du mal de Guaidó. Je leur ai dit : agissez, mais ils n’osaient pas.

Finalement, ils se débarrassent de Guaidó alors qu’il est déjà une figure politique en décomposition, Guaidó sent déjà très mauvais, les gringos l’emmènent hors du pays, ils l’emmènent à Miami, milliardaire comme il est, il a volé la moitié du monde, il a volé les gringos, il a volé l’opposition, il a volé tout le monde ; et ils l’ont destitué parce que son discrédit pour ce secteur de l’opposition devenait insoutenable. Mais nous avons toujours maintenu le dialogue avec eux. Même si des secteurs de cette opposition s’assoient pour discuter mais continuent de conspirer en secret, et continuent toujours à conspirer. Chercher à faire un coup d’État au Venezuela, chercher à me tuer, etc., etc. Mais je crois au dialogue, en permanence.

Deuxièmement avec les États-Unis. Le président Chávez a toujours cherché et m’a appris à rechercher le dialogue, la compréhension et la coexistence avec les États-Unis d’Amérique. Et c’est ce que nous avons toujours fait. Ce que le président Chávez a fait avec Bill Clinton. Avec George W. Bush à deux reprises, bien que Bush ait mené un coup d’État ici les 11, 12 et 13 avril 2002 ; c’est ce que l’on a cherché à faire avec Barack Obama, le premier Obama. Le deuxième Obama, avec qui j’ai dû traiter étant président, a émis le décret déclarant le Venezuela « ennemi des États-Unis« . Face à face, Obama m’a dit : « Maduro, c’était une erreur, je vais la corriger« . Il ne l’a pas corrigée. Je lui ai dit : « Obama, le problème ce n’est pas toi, le problème est celui qui viendra après toi, qui pourra utiliser ce décret pour nous menacer, nous sanctionner ou nous envahir« . Et c’est ce qui s’est passé.
Avec Donald Trump, nous avons eu la relation que tout le monde connaît. Il a pris 930 mesures de sanctions contre le Venezuela. Il a mis ma tête à prix, cette tête que tu vois, ils l’ont mise à prix. Ils ont essayé de me tuer en 2018, le 4 août, depuis la Maison Blanche, ils ont essayé de me tuer. Le jour de l’attaque par drone, ils étaient réunis à la Maison Blanche, aujourd’hui la vérité est connue, et ils attendaient le résultat de l’attaque. Ils ont essayé de nous envahir à plusieurs reprises, ils ont formé des mercenaires de Colombie. Et pourtant, nous avons toujours cherché le dialogue et entretenu des liens de dialogue avec l’administration Trump, à tel point que nous avions presque conclu un échange pour libérer Alex Saab dans les derniers jours de Trump, avant les élections. Et quand Biden est arrivé, pareil. Nous avons toujours voulu un dialogue. Espérons qu’on progressera. Espérons-le. Nous avons fait de notre mieux pour établir une nouvelle ère dans les relations avec les États-Unis.

IR : Des étapes sont-elles prévues ?

NM : Il y a des idées communes, il y a un chemin, une feuille de route établie. Mais on ne peut pas dire, Ramonet, que les États-Unis ont levé les sanctions contre le Venezuela. Au contraire, les sanctions sont toujours en place. Ce que les États-Unis ont accordé, ce sont des licences, comme si le Venezuela était une colonie états-unienne. Des licences, comme à l’époque de la Guipuzcoana Company, qui contrôlait entièrement ce pays et accordait des licences d’exportation et d’importation, n’est-ce pas ? À l’époque de ce qu’on appelait les créoles blancs, jusqu’à ce que les créoles blancs en aient assez de la Guipuzcoana Company et déclarent l’indépendance de toute l’Amérique. C’est à peu près ce qui s’est passé. Le modèle que les États-Unis ont l’intention d’appliquer est un modèle de type Compañía Guipuzcoana contre le Venezuela. Donner les licences.
Mais nous sommes fermes. Et nous le disons à tous les gouvernements d’Amérique latine, de la CELAC et du monde : le Venezuela exige la levée complète et permanente de toutes les sanctions illégales, immorales et criminelles qui pèsent sur l’économie et la société. Toutes. Et ce sera notre objectif.
Et nous ne nous reposerons pas, nous persévérerons comme nous l’avons toujours fait jusqu’à ce que nous l’atteignions. Et sur ce chemin, en regardant la boule de cristal, je pense que nous y parviendrons.

« LES BRICS SONT L’AVENIR DE L’HUMANITÉ ».

IR : Monsieur le Président, nous sommes le 1er janvier et à ce jour, les BRICS, cette organisation formée par le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, ont constitué une sorte de nouveau pouvoir ou de contre-pouvoir, un peu dans la lignée de ce que vous avez mentionné plus tôt, de cette nouvelle géopolitique multipolaire. À ce jour, six nouveaux pays ont adhéré ou devraient adhérer. En fait, cinq d’entre eux sont en train d’adhérer, pour être précis : L’Iran, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte et l’Éthiopie. L’Argentine devait adhérer, mais le nouveau président Javier Milei vient de décliner l’invitation.
D’une part, j’aimerais que vous nous donniez votre avis sur l’importance des BRICS. Et d’autre part, si le Venezuela pourrait rejoindre ces nouveaux BRICS élargis ?


NM : Les BRICS sont l’avenir de l’humanité, les BRICS sont déjà une puissance économique définitive, ils ont une banque puissante, j’étais au siège de leur Banque de développement à Shanghai avec sa présidente Dilma Rousseff, nous avons de bonnes relations, qui vont de l’avant, avec la banque des BRICS. Je n’ai pas pu me rendre au sommet de l’Afrique du Sud en raison d’une forte otite, malheureusement. Lors du sommet d’Afrique du Sud, le Venezuela a été accepté comme partenaire. Et j’espère que lors du prochain sommet en Russie, avec la faveur de Dieu, toujours si Dieu le veut, le Venezuela rejoindra les BRICS+ en tant que membre permanent.

Nous parions sur les BRICS comme un élément de ce nouveau monde, du nouvel équilibre, comme faisant partie du concept géopolitique bolivarien d’un monde d’équilibre, d’un monde d’égaux. Et aussi comme une composante de l’avenir de l’humanité pour le développement des investissements des BRICS au Venezuela, pour le développement de grands marchés pour les produits vénézuéliens, pour le développement de relations multiples et diverses dans les sphères culturelles, politiques, institutionnelles et sociales. Ce sont de grandes civilisations, les civilisations chinoise, russe, indienne, notre frère le Brésil, notre sœur l’Afrique du Sud, l’Afrique ! Les cinq pays sont de grandes civilisations et nous faisons partie de la civilisation mixte de l’Amérique du Sud, des Caraïbes, de l’Amérique latine. Les BRICS nous remplissent donc d’émotion.
Le pas franchi par Javier Milei, de l’Argentine, ramène l’Argentine au 19e siècle. Je le dis aux Argentins et au monde entier, le projet de Milei est une opération élaborée pour s’emparer de l’Argentine, la sortir du monde multipolaire, en faire un vassal du monde impérial unipolaire, et la transformer en une nouvelle colonie, détruire l’État, détruire son économie, détruire son identité ; et la mesure qu’a prise Milei de sortir l’Argentine de cette immense organisation que sont les BRICS est une des choses les plus maladroites et les plus idiotes qu’il a faites à l’encontre de l’Argentine. Parce qu’en excluant l’Argentine des BRICS, il agit contre les Argentins, contre les travailleurs argentins, contre les hommes d’affaires argentins. Cela montre ce qu’est un projet colonial rétrograde du 19e siècle, un projet qui a échoué depuis le début. Et cela montre par contraste ce qu’est la diplomatie bolivarienne, la géopolitique mondiale, la nouvelle géopolitique que nous portons depuis le Venezuela, avec notre révolution.
J’aspire donc à passer rapidement du statut de partenaire des BRICS à celui de membre à part entière des BRICS.

« CE QUI EST COMMIS EN PALESTINE N’A PAS DE NOM… ».

IR : Monsieur le Président, le monde est aujourd’hui secoué par deux conflits majeurs : L’Ukraine et Gaza. Sur l’Ukraine, le Venezuela a décidé dès le départ de ne pas prendre parti, défendant un projet diplomatique à la recherche d’une solution négociée. Concernant le conflit israélo-palestinien, Caracas a rompu ses relations avec Israël en 2009. Pensez-vous que le Venezuela a pris la bonne décision dans les deux cas ? Comment voyez-vous l’évolution de ces deux conflits ?

NM : Je pense que ces deux guerres ont pour point commun les grandes entreprises de l’appareil militaire des États-Unis et de l’appareil militaire israélien, totalement liés. Les grands propriétaires de l’appareil militaire des États-Unis sont des investisseurs israéliens. Et je pense que ces deux guerres ont profité aux verseurs de sang, aux fabricants de la mort et des armes.
Une guerre est une menace contre la Russie… Pendant deux décennies entières, la Russie a mis en garde contre la menace de l’encerclement stratégique qui était en train de s’opérer à partir de l’Ukraine, et des pays de l’Europe de l’Est, et aussi sur l’attitude des fascismes, des « Milei d’Ukraine » et de tout le groupe qui a pris le pouvoir à Kiev en 2014, qui s’est mis au service de la stratégie de la provocation contre la Russie.
Toutes les guerres, disons-le, devraient être évitées et dans le cas de la guerre en Ukraine, une solution de paix devrait être recherchée, mais on ne veut pas la rechercher, on veut mettre la Russie à genoux et l’humilier. À l’heure actuelle, la Russie est en train de gagner la guerre contre l’ensemble de l’OTAN, malgré toutes ses dépenses militaires. Au milieu d’un effort énorme parce qu’elle a été sanctionnée économiquement, comme l’a dit récemment le président Vladimir Poutine, la Russie a gagné la guerre économique contre les sanctions, et la Russie a aujourd’hui de meilleurs indicateurs économiques de croissance, de stabilité économique, de prospérité économique que l’ensemble de l’Europe, y compris les États-Unis. Cela montre la grande force interne de la Russie en tant que nation puissante, nation productive, et de son économie. L’Occident est tout simplement obsédé par la russophobie, par l’idée de détruire la Russie. Il n’y a qu’une seule façon d’avancer : s’asseoir et discuter avec Poutine, avec la Russie, sur la base du respect, et parvenir à un accord qui réponde à la nécessité de garantir la sécurité et la paix pour la Russie et pour l’ensemble de la région.

Photo: Le 6 novembre, aux côtés de l’ambassadeur de Palestine au Venezuela Fadi Alzaben, le président Maduro a dénoncé « 75 ans de racisme, de déshumanisation par les suprémacistes d’Israël. Le monde doit se lever pour mettre fin à temps au génocide du peuple palestinien« .

Dans le cas du conflit en Palestine, il n’y a plus de doute. Il s’agit d’un génocide contre le peuple palestinien. Un génocide vieux de plus de soixante-quinze ans, ouvert, brutal. Et il n’y a pratiquement rien, personne pour élever la voix. Le pire dans ce génocide, c’est le silence complice de ce génocide. Le silence complice des élites européennes. La complicité des élites états-uniennes qui fabriquent des armes et des armes et des armes pour bombarder et tuer des Palestiniens innocents. Plus de 21.000 Palestiniens ont été tués. Onze mille d’entre eux étaient des enfants. Il semble qu’ils se sont attaqués aux enfants pour les exterminer. Plus de six mille femmes.

Ce qui est commis en Palestine n’a pas de nom, c’est seulement comparable à l’holocauste que le peuple juif a subi à l’époque d’Hitler, à l’époque nazie. La justice internationale devrait fonctionner. Mais nous ne voyons tout simplement pas apparaître la justice internationale. Un génocide en plein jour diffusé en direct sur les médias sociaux. Et rien ne se passe.
Tous ces génocides, toutes ces brutalités ne seront peut-être pas punis aujourd’hui, mais peut-être à l’avenir. Et le monde qui émerge demandera un jour des comptes à tous ceux qui ont encouragé ce génocide aujourd’hui. Nous sommes solidaires. Particulièrement en cette période de Noël. Nous avons gardé à l’esprit les enfants de Palestine. Là où l’enfant Jésus est né, Noël n’a pas pu être sauvé, Ramonet, le 24 décembre, tous les lieux de Bethléem ont été fermés. Et la crèche avec l’enfant Jésus entourée de chars. C’est le symbole : l’enfant massacré, Hérode encore. Mais nous verrons ce que l’avenir réserve à la lutte et à la résistance du peuple palestinien, et à la lutte et à la résistance de notre peuple.

« CELUI QUI GAGNERA LA BATAILLE DES RÉSEAUX GAGNERA LA GUERRE CULTURELLE ».

IR : Monsieur le Président, pour conclure, je voudrais vous poser une question qui va au-delà de la politique. De tous les présidents que je connais, vous êtes celui qui a le plus réfléchi à la relation avec les médias. Vous avez une émission de télévision très réussie que vous avez lancée récemment, « Avec Maduro plus », et vous êtes très présent sur les réseaux. Quelle est votre relation avec les médias ? Quels sont vos objectifs ? Et quelle relation pensez-vous qu’un président devrait avoir avec les médias aujourd’hui ?

NM : Il est essentiel de pouvoir communiquer. Et comme tu l’expliques toi-même, je l’ai entendu de ta bouche : nous sommes dans une nouvelle ère de communication. Je l’ai pris comme exemple et je l’ai expliqué à nos collaborateurs. L’humanité a connu cinq grands moments de communication.
Le premier, quand l’homo sapiens, a commencé à parler et à communiquer par la parole, partout où il existait sur la planète Terre.
Le deuxième, lorsqu’il a commencé à écrire et a commencé à communiquer par l’écriture. D’abord par des symboles, puis par l’écriture, en Chine, en Inde, etc.
Troisièmement, lorsque l’imprimerie est apparue, que les livres et les journaux sont apparus et qu’un journal pouvait circuler d’un continent à l’autre.
Quatrièmement, et c’est un moment de communication étroitement lié au 20e siècle, l’émergence du cinéma, de la radio et de la télévision, qui ont dominé pratiquement tout le 20e siècle et une partie du 21e siècle. Le président Chávez était un maître dans la gestion des médias traditionnels et a été l’initiateur de l’ère Twitter, un maître avec son compte @chavezcandanga, dans le premier réseau social de masse qu’était Twitter.

Et nous sommes dans un cinquième moment de communication, décisif, déterminant, total, dominant : celui des réseaux sociaux. Aujourd’hui, Instagram, Facebook, TikTok et ce qu’on appelle maintenant X dans une moindre mesure, et YouTube sont les réseaux sociaux dominants. Où l’on interagit pendant des heures, où l’on s’informe, où l’on communique. N’importe quel être humain, dans le quartier le plus reculé de Caracas, à Shanghai, à Mexico, à New York, à l’heure dont nous parlons, ouvre son Instagram, ouvre son TikTok, ouvre son Facebook et lance un message. Et il arrive souvent que ce message devienne viral. Parfois en raison du contenu, de la nature accrocheuse de ce qu’il poste. D’autres fois, grâce aux algorithmes des propriétaires eux-mêmes, ceux qui sont des propriétaires invisibles.
Avant, vous saviez qui possédait Venevisión ici au Venezuela, qui possédait Televen, qui possédait je ne sais quelle station de radio, le propriétaire de « El Nacional », Miguel Otero Silva, ton ami. Maintenant, vous ne savez pas où il vit, ni qui est le propriétaire, qui est le patron de TikTok au Venezuela. Où ? Dites-moi. Si vous avez une plainte à formuler, si TikTok a fait ceci, cela et cela contre ma famille, où dois-je m’adresser ? Quelle est la loi qui la régit ? C’est une question qui doit être étudiée.

C’est pourquoi je dis que nous devons construire un nouveau système. J’ai dit au peuple vénézuélien : nous devons construire un nouveau système de communication, d’influence permanente. Et je l’ai appelé le système GRC -Redes, Calles, Medios y Paredes (Réseaux, Rues, Médias et Murs). Je te laisse y penser. Je fais des efforts, je contribue à maintenir TikTok en vie, actif, attrayant, avec des choses pour maintenir mes autres réseaux sociaux, pour maintenir une voix différente dans ces réseaux qui sont dominés par les puissances transnationales, et pour communiquer dans les réseaux. Mais nous ne pouvons pas en rester là, nous devons continuer à communiquer dans les rues, dans les médias traditionnels et sur les murs, pour que les murs parlent aussi.
Il s’agit donc d’une question vitale de la nouvelle ère qui ne doit pas être négligée, c’est une priorité. Celui qui gagnera la bataille dans les réseaux, dans les rues, dans les médias et sur les murs, gagnera la bataille des idées, comme l’a dit Fidel, gagnera la bataille politique, gagnera la guerre culturelle. Elle est décisive.

« CETTE ANNÉE 2024, LE PEUPLE VÉNÉZUÉLIEN VA DONNER UNE NOUVELLE LEÇON À LA DROITE OLIGARCHIQUE ».

IR : Monsieur le Président, dernière question : 2024 sera une année électorale exceptionnelle dans le monde. Il y aura des élections dans près de soixante-quinze pays. Plus de 4 milliards de personnes seront mobilisées par les élections. Des élections aux États-Unis, en Russie, en Inde, en Ukraine. En Amérique latine, il y aura des élections au Mexique, en Uruguay, au Panama, au Salvador, en République dominicaine… et aussi au Venezuela. L’opposition a déjà désigné neuf candidats, semble-t-il. Et les analystes considèrent votre candidature comme acquise… J’aimerais donc vous demander si vous serez bien le candidat du chavisme à l’élection présidentielle de 2024 ?

NM :
Ce que je peux te dire, c’est que c’est encore prématuré. L’année ne fait que commencer. Seul Dieu le sait… Pas Diosdado (Maduro ironise à propos du nom d’un dirigeant et ami chaviste, NdT), mais Dieu. Attendons que les scénarios électoraux du processus qui aura lieu cette année soient définis, et je suis sûr qu’avec la bénédiction de Dieu, nous prendrons la meilleure décision.
Je suis président non pas parce que j’ai un ego et qu’un jour j’ai dit : « Je veux être président« . Ni parce que je suis de la noblesse. Ou parce que je porte le nom de Maduro comme un noble, un seigneur de ses terres, ou que je suis né pour être président, comme ces abrutis politiques de l’oligarchie rance, qui pensent qu’ils sont prédestinés à être président parce qu’ils ont du sang noble ou un nom de famille. Je suis un homme à pied, c’est dans la vie que j’ai trouvé les moyens de défendre une idée, une cause, un projet. Et sur cette route, nous avons rencontré le plus grand des maîtres, notre président Hugo Chávez, un père pour tous, qui a construit un projet, qui nous a ramené Bolívar. Il a fait entrer Bolívar dans le XXIe siècle et en a fait un projet pour la Patria Grande, un projet pour le pays, il en a fait la conscience du peuple.

Nous, je dis nous parce que je fais partie d’un collectif, faisons partie d’une cause historique. Je ne suis pas moi, je fais partie d’une cause historique, je fais partie d’un projet national, je fais partie d’un puissant mouvement populaire de millions d’hommes et de femmes. Je fais partie d’une équipe : le haut commandement politico-militaire de la révolution. Je ne me dois pas à moi-même, je ne m’impose pas un ego, une prédestination. Non. Pourquoi ai-je été président ? Eh bien, parce que le commandant Chávez, à un moment donné, en raison d’une maladie très grave, a dû prendre une décision… Et ce choix, le peuple l’a ratifié lors d’une élection héroïque, le 14 avril 2013. Ensuite, je me suis soumis aux épreuves d’une guerre brutale, et lorsque 2017 est arrivé – rappelle-toi les guarimbas (violences de l’extrême droite, NdT), quatre mois de violence, de tentatives de coups d’État, de tentatives d’assassinat – nous avons fait appel à l’Assemblée Constituante. La paix a été rétablie avec la Constitution en main. Ensuite, nous avons remporté les élections des gouverneurs de manière consécutive. Nous avons donné ce qu’on appelle au Venezuela une « pela » (KO électoral, NdT) à la droite réunie. Elle s’est enhardie. Je me souviens de Ramos Allup [du parti Acción Democrática] : « Nous allons gagner vingt-cinq gouvernorats sur vingt-trois« , avait-il déclaré.

Sur vingt-trois, nous en avons gagné dix-neuf… Les États les plus grands et les plus importants du pays… Un miracle populaire, un miracle chaviste. Et le 10 décembre de la même année, nous avons remporté les mairies, 80 % des mairies. Et en 2018, à l’aube de l’année 2018, nous avons tenu un débat au sein du mouvement populaire vénézuélien, du pouvoir populaire, du Grand pôle patriotique, du Parti socialiste unifié du Venezuela, et j’ai de nouveau été candidat en leur nom. Parce qu’ils l’ont décidé, et non parce que j’ai dit « je suis prédestiné« , ou « j’ai du sang noble« , ou « je suis le plus sympa« , ou « je suis indispensable« .
Donc ici, dans cette décision sur mon éventuelle candidature en 2024, ni les ambitions personnelles, ni les ambitions individualistes, ni l’ego, ni le titre de noblesse, ne passeront avant les intérêts de la patrie. Et quand la décision sera prise, quelle qu’elle soit, nous irons tous à la bataille… Ce que je peux te dire aujourd’hui, ce que je peux affirmer aujourd’hui, c’est qu’en cette année 2024, le peuple vénézuélien va donner aux empires du monde, à la droite oligarchique, aux extrémistes, une nouvelle leçon qu’ils n’oublieront pas de sitôt. Le mouvement populaire, les forces populaires et notre pays tout entier se préparent à une grande victoire électorale et à une nouvelle période de révolution avec le Plan national Simon Bolivar et les projets historiques que nous a légués le président Hugo Chávez. Je peux te l’assurer : 2024 sera une année de grands triomphes qui ouvrira les portes à de grandes réalisations pour l’avenir, en 2025 et au-delà.

IR : Merci beaucoup, Monsieur le Président. Je vous souhaite une bonne année et tout ce qu’il y a de mieux pour vous, pour votre famille et pour votre pays. J’attends avec impatience une nouvelle rencontre l’année prochaine.

NM : Bien sûr. Nous nous reverrons. Bonne année à toutes et à tous.

Interview réalisée dans la Maison Natale du Libérateur Simón Bolívar, Centre historique de Caracas, lundi 1er janvier 2024.

Traduction de l’espagnol : Thierry Deronne

Source : https://mondiplo.com/en-2024-nuestro-pais-se-prepara-para-una-gran

Photos : I.R. / Prensa Presidencial.

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/01/01/en-2024-le-venezuela-se-prepare-a-une-grande-victoire-electorale-linterview-de-nicolas-maduro-par-ignacio-ramonet/

Les relations sino-vénézuéliennes à un niveau historique

La cinquième visite d’État du Président Nicolas Maduro en République Populaire de Chine marque un tournant historique. Lors des retrouvailles avec son homologue vénézuélien, le président Xi Jinping a annoncé que la Chine et le Venezuela élèvent leur relation au partenariat stratégique « de tous temps et à toute épreuve » – un statut réservé aux « happy few ». « Nous continuerons à soutenir fermement les efforts du Venezuela pour défendre la souveraineté nationale, la dignité nationale et la stabilité sociale. Nous le soutenons résolument contre l’ingérence extérieure » a ajouté le président chinois.

Xi a évoqué la réforme et l’ouverture de la Chine, en particulier le développement des zones économiques spéciales, et a indiqué que ces outils ont permis à la Chine de progresser à pas pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui. « L’établissement du partenariat stratégique tous temps Chine-Venezuela répond aux attentes communes des deux peuples et correspond à la tendance générale du développement historique« , a-t-il ajouté, exhortant les deux parties à « faire avancer une coopération stratégique plus fructueuse, à apporter de plus grands bénéfices aux deux peuples et à injecter davantage d’énergie positive dans la paix et le développement mondiaux. »

Un peu d’histoire…

L’histoire des relations diplomatiques entre la Chine et le Venezuela a commencé en 1974, lorsque des relations diplomatiques formelles ont été établies et que l’existence d’une seule Chine a été reconnue par Caracas face aux tentatives séparatistes soutenues par l’Occident de certains secteurs politiques et économiques de Hong Kong et de Taïwan. Pour Nicolas Maduro, le passage des relations formelles nouées en 1974 au niveau actuel a commencé avec la visite du Président Hugo Chávez en Chine en octobre 1999, porteur de la vision d’« équilibre du monde » de Simon Bolivar, et n’a cessé de se renforcer ensuite, notamment avec la visite du Président Xi Jinping à Caracas en juillet 2014. Cette coopération a été freinée en 2018, lorsque les sanctions et le blocus occidentaux ont torpillé la fluidité de la coopération entre les deux pays. Dans cette étape, « douloureuse et difficiled’une économie de guerre » – plus de 900 mesures coercitives unilatérales, tout un système étanche de blocus financier, bancaire, pétrolier par lesquels les États-Unis et l’Union Européenne ont fait perdre à l’État vénézuélien 99% de ses revenus -, « le Venezuela a pu compter sur l’aide de la Chine. Quand, par exemple, l’UE et les USA ont bloqué l’accès du Venezuela aux médicaments et aux vaccins pendant la pandémie, la Chine a envoyé son vaccin VeroCell qui a permis de protéger le peuple vénézuélien ». Et quand l’Occident a empêché le Venezuela d’exporter son pétrole, c’est encore la Chine qui a ouvert son marché au brut vénézuélien.

Aujourd’hui, les travaux de la septième Commission Mixte de Haut Niveau Chine-Venezuela ont permis aux deux pays de signer 31 accords de coopération scientifique, technologique, industrielle, environnementale, éducative, de santé publique, ainsi que commerciale dans le cadre l’initiative « Route de la Soie« . Pour le président bolivarien, « cette nouvelle étape qui s’ouvre à un niveau plus élevé, historique, est cohérente avec les défis du XXIe siècle. Cette relation va s’accélérer. Sa base concrète est dans les documents. Ni protocole, ni bureaucratie : chacun doit obtenir des résultats à court, moyen et long terme. (..) Ces documents, a expliqué Nicolas Maduro, incarnent l’engagement à travailler bilatéralement dans les domaines de l’énergie – « l’épine dorsale » des accords, a-t-il souligné -, des finances et de la monnaie, en renforçant la capacité du yuan, de l’économie, du commerce et de l’industrie, ainsi que dans le domaine de l’éducation commerciale pour la phase d’exportation de notre production » : la Chine va augmenter ses importations du Venezuela, notamment des produits de la pêche en mer Caraïbe.

Autre point développé par Maduro : « Nous allons progresser dans le domaine minier ; le potentiel industriel du Venezuela dans ce domaine est important si l’on tient compte des grandes réserves certifiées non seulement de pétrole et de gaz naturel mais aussi de cobalt, d’or, de diamants, de nickel, de bauxite, de fer, parmi d’autres matériaux fondamentaux dans les chaînes de production mondiales, et d’un intérêt particulier pour les industries chinoises et le développement scientifique. (..) Une zone économique spéciale de 9 millions d’hectares sera décrétée dans la partie orientale du Venezuela qui dispose d’un potentiel agricole », où la vocation d’exporter des produits agroalimentaires vers la Chine sera également développée.

L’objectif essentiel des zones économiques spéciales, selon la législation vénézuélienne en vigueur, est de développer des mécanismes d’investissement public et privé, national et étranger, d’intérêt stratégique pour l’État vénézuélien. Leur centre d’activité consisterait à stimuler les développements antérieurs et à promouvoir de nouvelles activités dans des domaines tels que l’industrie, la science et la technologie, le tourisme et le commerce de biens et de services. Plusieurs documents sont en cours de signature pour poursuivre et approfondir la coopération aérospatiale – la Chine a largement contribué à doter le Venezuela de satellites d’observation dans les dernières années – dont « l’intégration au projet de station lunaire », ainsi que dans le domaine du tourisme aérien. « Conviasa, la compagnie publique aérienne du Venezuela, est prête à assurer un vol direct Chine-Venezuela« .

Sans oublier les échanges en matière de formation politique et de travail social, entre le Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV, le parti chaviste) et le Parti Communiste Chinois (PCC). Car on aurait tort de croire que ces accords ne concernent que le volet économique. Durant cette visite qui s’est déroulée du 8 au 14 septembre, le Président Maduro s’est entretenu avec plusieurs responsables régionaux du Parti Communiste ainsi qu’avec le directeur général du Centre international de réduction de la pauvreté de Chine, Liu Junwen (photo ci-dessous) pour signer d’autres accords de coopération. Fondé en 2005, le Centre international de réduction de la pauvreté est non seulement un canal stratégique pour le développement de la coopération Sud-Sud, mais aussi une plateforme de recherche, de formation, d’échange et de coopération pour contribuer à la cause de l’éradication de la pauvreté dans le monde.

La République Populaire de Chine a réussi à sortir 800 millions de personnes de la pauvreté, dont 100 millions sous l’administration du président Xi Jinping. Dans les zones rurales, le taux de pauvreté est passé de 10,2 % en 2012 à 0,6 % en 2019, tandis que la population à faible revenu a diminué de 98,99 millions en 2012 à 5,51 millions en 2019.

Le Venezuela consacre 77,1 % du budget national à l’investissement social. Il est le seul pays au monde à accorder une attention prioritaire à la population en renforçant la production, l’achat et la distribution de denrées alimentaires à un prix symbolique, (système des CLAP), ainsi que les programmes de logement (près de 5 millions de logements à bas prix depuis le lancement de ce programme par Hugo Chávez), d’éducation, de santé et de sécurité sociale.

Les deux nations vont par ailleurs renforcer leur collaboration dans le cadre de mécanismes multilatéraux tels que les BRICS, les Nations Unies, le G77+Chine, et renforcer la solidarité et la coopération avec d’autres pays émergents. Elles défendront les intérêts communs de ces derniers et encourageront la coopération entre la Chine et l’ensemble de l’Amérique latine et des Caraïbes.

Au début de son séjour en Chine, Nicolas Maduro a retrouvé une vieille amie : l’ex-présidente du Brésil Dilma Rousseff, actuelle présidente de la Banque de Développement des BRICS (installée à Shanghai), pour plancher ensemble sur une architecture financière libérée des sanctions occidentales et des chantages politiques du dollar. Il lui a exprimé l’intention du Venezuela d’adhérer en tant que membre à part entière aux BRICS et d’ici là « de demander notre incorporation à leur Nouvelle Banque de Développement« .

« Sous la direction du président Xi Jinping, la Chine est devenue un grand pays engagé en faveur de la paix, du développement et du bien-être de toute l’humanité, ainsi qu’un moteur important pour la promotion d’un monde multipolaire. Entre la Chine et le Venezuela existe un type de relation qui peut être considéré comme un modèle pour les relations entre les pays du Sud. Un modèle de ce que doit être la relation entre une superpuissance comme la Chine, la grande superpuissance du 21e siècle, et un pays émergent, héroïque, révolutionnaire et socialiste comme le Venezuela » a expliqué Nicolas Maduro qui, après sa longue visite en Chine, s’est réuni en Algérie avec le premier ministre Aiman Benabderrahmane puis a rejoint Cuba pour le sommet du G77 + la Chine, vaste alliance de 134 pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine où il a retrouvé des interlocuteurs aussi divers que le Secrétaire Général de l’ONU Antonio Guterres, le Président Diaz-Canel de Cuba, le Président João Lourenço d’Angola, la Ministre des Affaires Étrangères du Mexique Alicia Bárcena, le Ministre des Affaires Étrangères de Saint-Kitts-et-Nevis Denzil Douglas, la présidente du honduras Xiomara Castro, etc… Il a invité le G77 + la Chine à travailler en commun à mettre fin aux blocus et sanctions occidentaux, et proposé au Sud Global de construire une souveraineté communicationnelle et numérique.

Carte: les pays du G77 + la Chine. Ci-dessous : leur sommet à La Havane, Cuba, 15 septembre 2023.

Thierry Deronne, Caracas, 13 septembre 2023, avec Xinhua et Mision Verdad

Déclaration finale conjointe de la République Populaire de Chine et de la République Bolivarienne du Venezuela en espagnol : https://mppre.gob.ve/2023/09/13/declaracion-conjunta-republica-popular-china-republica-bolivariana-venezuela-establecimiento-asociacion-estrategica-prueba-y-todo-tiempo/ et en anglais : https://mppre.gob.ve/2023/09/13/joint-statement-between-peoples-republic-china-bolivarian-republic-venezuela-establishment-all-weather-strategic-partnership/

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/09/13/les-relations-sino-venezueliennes-a-un-niveau-historique/

Version à l’italien de cet article : https://contropiano.org/news/internazionale-news/2023/09/17/maduro-a-pechino-le-relazioni-tra-cina-e-venezuela-ai-massimi-storici-0164197

« On ne peut être décolonial sans être anti-impérialiste » : Ramon Grosfoguel.

« Peut-être qu’avec toutes les difficultés que l’Empire vous a créées, nous perdons de vue le moment historique et ce que vous êtes en train de construire ici et qui n’existe nulle part ailleurs en Amérique latine » : Ramon Grosfoguel, un des principaux penseurs décoloniaux du continent, s’adresse à un autogouvernement populaire du Venezuela, le 20 avril 2023 (photos). Avec d’autres intellectuel(le)s et chercheur(se)s latino-américain(e)s tels que Katya Colmenares, Enrique Dussel, Juan José Bautista, Rafael Bautista, José Romero Lossaco ou Karina Ochoa, il suit de près l’expérience de démocratie participative au Venezuela, alliant visites de terrain, conférences et ateliers de formation. Grosfoguel partage l’analyse du Mouvement des Sans Terre du Brésil, présent sur place avec ses équipes, qui voit dans la commune vénézuélienne un exemple stratégique, nécessaire, pour l’ensemble de la région. « Vous, les communardes et les communards, êtes au cœur de la décolonisation du Venezuela et de l’Amérique latine. Vous vivez un moment historique de possibilités qui n’existent pas en dehors du Venezuela. La commune est l’alternative au projet civilisateur de la mort. Il faut avoir une vision critique du socialisme du 20e siècle, afin de ne pas reproduire ses erreurs. Je suis certain que nos ancêtres, ceux qui ont donné leur vie pour cet idéal, pour ce projet de société nouvelle au 20e siècle, nous disent : « Hé, regardez d’un œil critique ce que nous avons fait ».

Pour le penseur portoricain, la commune doit être consciente de la question écologique. Il est contradictoire de continuer à reproduire l’imaginaire capitaliste du « développement » et d’appliquer les mêmes technologies du projet moderne/colonial. Aujourd’hui, la cosmologie moderne met la vie en échec ».

Pour mieux connaître la vision de Ramon Grosfoguel, nous publions ci-dessous l’interview réalisée en avril 2023 par José Ernesto Narvaez pour La Jiribilla (Cuba).

« J’ai rencontré Ramón Grosfoguel lors d’un événement au Venezuela. Ouvert et bavard, nous avons rapidement tissé des liens et j’ai pu, au cours de longues promenades dans les rues de Caracas, confronter nos idées et en apprendre un peu plus sur ses réflexions concernant diverses questions d’actualité. Son statut de Portoricain – il est né à San Juan en 1956 – l’a amené à aborder, comme problème central, la question du colonialisme et du néocolonialisme, ainsi que la recherche d’alternatives à ces modèles de domination. Il combine actuellement son enseignement à l’université de Berkeley, en Californie, avec une vaste activité politique et une œuvre littéraire abondante, qui font de lui l’un des penseurs essentiels du riche panorama intellectuel du continent.

José Ernesto Narvaez – Il est clair que nous assistons aujourd’hui – en Amérique latine et dans toute cette partie du monde qui a été une colonie et qui a émergé dans une large mesure comme une république médiatisée, avec d’importantes limitations en termes de liberté politique – à un nouveau projet colonisateur qui vise non seulement à la colonisation directe des sociétés et des individus, mais qui a aussi dans la conscience l’un de ses points fondamentaux. Toute colonisation a la conscience comme point fondamental, mais il semble que le projet de colonisation contemporain privilégie la domination de la conscience des sujets par rapport à d’autres aspects. Quels sont vos critères à cet égard et quelles sont les caractéristiques de cette nouvelle configuration du monde néocolonial d’aujourd’hui ?

Après les premières indépendances, la décolonisation de nos pays est restée inachevée, parce qu’il restait beaucoup de hiérarchies de domination qui n’avaient pas été surmontées. C’est pourquoi, dans la deuxième déclaration de La Havane, lorsque Fidel parle de la deuxième émancipation ou de la deuxième indépendance, il attire l’attention sur la nécessité de résoudre maintenant ce qui n’a pas été résolu lors de la première émancipation. Parmi les choses qui n’ont pas été résolues, il y a évidemment la néo-colonisation économique, politique et culturelle de nos peuples. Nous sommes passés de colonies espagnoles dans une grande partie de l’Amérique latine à des néo-colonies britanniques dans un premier temps, et à des néo-colonies américaines dans un second temps. La division internationale du travail entre le centre et la périphérie et les formes de domination néocoloniales se poursuivent encore aujourd’hui.

En termes de domination raciale, de domination patriarcale, de domination de classe, de domination capitaliste et coloniale, de domination épistémologique. En termes épistémologiques et culturels, nous nous retrouvons avec des mentalités eurocentriques, qui considèrent toujours l’Europe comme le savoir supérieur, qui doit être importé ici. En d’autres termes, nous importons des théories d’autres parties du monde et nous rejetons les théories qui ont été produites sur notre continent pour penser la libération de nos peuples. Aujourd’hui, ce phénomène a atteint des niveaux stratosphériques, car les réseaux sociaux, les nouvelles technologies et les algorithmes des médias sociaux façonnent l’opinion publique, les goûts, etc. de manière impressionnante. Les gens ne se rendent même pas compte du nombre de choses qui circulent dans ces réseaux et qui permettent aux algorithmes d’apprendre à connaître votre personnalité, vos goûts et vos caractéristiques, et à travers eux, ils commencent à insérer des messages et des significations qui renforcent chaque jour la colonisation mentale.

José Ernesto Narvaez – Dans l’une des conversations que nous avons eues ces jours-ci, vous avez dit qu’on ne pouvait pas parler de décolonisation sans parler du problème de l’impérialisme. Je profite de l’occasion pour vous interroger sur un débat au sein de la gauche, entre ceux qui ont encore tendance à interpréter l’impérialisme dans le sens donné par Lénine dans son ouvrage L’impérialisme. Stade supérieur du capitalisme, et d’autres secteurs qui soutiennent que le XXe siècle et jusqu’à présent le XXIe siècle ont représenté une transformation importante de l’impérialisme, non pas dans son essence, mais dans les formes dans lesquelles il s’exprime et se projette. J’aimerais donc que vous me parliez de la nature de l’impérialisme aujourd’hui et de la manière dont la relation impérialisme-colonialité est configurée dans le monde contemporain.

D’un côté, il y a la gauche qui pense que l’impérialisme a disparu. C’est une gauche qui se retrouve toujours dans des positions de droite, dans la social-démocratie ou des choses de ce genre. Une bonne partie de la gauche latino-américaine en est malheureusement là aujourd’hui, et c’est pourquoi elle dérape au Venezuela, à Cuba, etc. Ils dérapent parce qu’ils pensent que l’impérialisme appartient au passé, ils supposent que les problèmes de Cuba et du Venezuela aujourd’hui n’ont rien à voir avec un blocus impérialiste, mais avec un mauvais gouvernement ou une dictature. En d’autres termes, ils sont des proies faciles pour les fake news et les mensonges qui circulent sur les réseaux.

Il y a une autre gauche, plus orthodoxe, qui regarde Lénine comme si rien n’avait changé depuis. Nous devons parler, par exemple, des choses dont Lénine a parlé à propos du capital financier, de la fonction du capital bancaire-industriel, qui définit le capital financier, et de la manière dont celui-ci s’est considérablement autonomisé dans les États. En d’autres termes, le capital financier d’aujourd’hui, et les bourses, investissent, font entrer et sortir de l’argent du monde, presque sans restriction, surtout depuis que le modèle néolibéral a déréglementé les marchés mondiaux. Nous avons un capital financier vorace, dont la logique d’accumulation le conduit à faire des choses impensables à l’époque de Lénine. Ils démantèlent les industries, vendent les pièces et spéculent ensuite sur les marchés financiers. Les niveaux de spéculation que nous connaissons aujourd’hui sont énormes. Il y a des bulles financières qui font que le capital financier gagne de l’argent d’une manière tout à fait artificielle, détachée de la production matérielle. Nous voyons cela partout. Grâce aux nouvelles technologies, ces choses se produisent en quelques secondes. Ce qui prenait des jours d’investissement se fait aujourd’hui en quelques secondes. En d’autres termes, on peut quitter un pays sans investissement du jour au lendemain et réinvestir une somme d’argent ailleurs dans le monde en quelques secondes. En termes de mobilité du capital, le temps et l’espace ont été comprimés.

Nous sommes dans une phase de déclin impérial, une phase où une partie importante des élites mondiales, représentées à Davos, se rendent compte que le système va s’effondrer. Et elles savent que si le système s’effondre, elles tomberont avec lui. Ils réinventent de nouvelles dystopies et réfléchissent à la manière dont ils pourront rester au sommet si le système s’effondre. Ils inventent un nouveau système historique, que je qualifierais de pire que le capitalisme, avec de nouvelles technologies. C’est ce que certains ont appelé le techno-féodalisme, et que d’autres appellent le capitalisme numérique. Ceux qui soutiennent l’idée du techno-féodalisme affirment que ce qui se passe, c’est que, tout comme dans les marchés féodaux le seigneur féodal devait payer un loyer usuraire pour utiliser l’espace du marché, aujourd’hui les grandes plateformes numériques fonctionnent comme le seigneur féodal, qui loue un espace dans l’univers numérique et vous fait payer un loyer comme dans le marché du Moyen-Âge. En d’autres termes, les profits des capitalistes sont limités, car il existe un seigneur féodal qui, pour vendre votre marchandise aujourd’hui, vous fait payer un espace sur ses plateformes numériques. C’est le cas d’Amazon, de Google, de toutes ces plateformes numériques par lesquelles la vente de biens est canalisée à l’échelle mondiale, et qui fonctionnent selon une logique qui commence à contredire la logique du capitalisme classique.

Dans son étude de la transition du féodalisme au capitalisme, Wallerstein remet en question les récits marxistes et wébériens classiques, selon lesquels le capitalisme est né d’une classe commerciale bourgeoise, née dans les villes et qui, au fil du temps, a concurrencé l’aristocratie féodale des campagnes, notamment par le biais de révolutions politiques qui ont écarté cette aristocratie féodale du pouvoir et ont progressivement imposé le système capitaliste. Selon Wallerstein, face à la crise terminale du système féodal au XVe siècle, l’aristocratie féodale, qui savait que son destin était lié à celui du système, a inventé un nouveau système historique. Elle a résolu la crise du féodalisme par l’expansion coloniale européenne et a ainsi créé le système capitaliste mondial. Cette aristocratie féodale est alors devenue le capital financier du XVIe siècle.

Selon Wallerstein, si nous examinons les familles bancaires et le capital financier de la conquête, tant de l’État espagnol dans les Amériques que du Portugal et plus tard de la Hollande, il s’agit des mêmes familles de l’aristocratie féodale, qui ont été recyclées avec l’expansion coloniale et sont devenues des capitalistes financiers. Elles sont ensuite remplacées par les sociétés transnationales, qui constituent déjà un capital monopolistique et ne fonctionnent pas comme une famille, parce qu’il s’agit d’un autre niveau de capitalisme. C’est dans ce sens qu’il faut lire Lénine.

José Ernesto Narvaez – Mais à l’époque de Lénine, le grand capital financier était encore largement associé à l’État-nation au sens traditionnel du terme.

En effet, pour se développer, il avait besoin de l’appareil militaire. C’est pourquoi les Britanniques, les Néerlandais et tous ces empires avaient ces sociétés semi-privées qui fusionnaient avec l’État et l’armée. En ce sens, ils étaient très dépendants de leur État pour faire face à l’expansion coloniale.

L’argument de Wallerstein est qu’après l’aristocratie féodale du 15e siècle, un nouveau système historique a été inventé, pire que le féodalisme, à savoir le capitalisme mondial, le capitalisme historique. Il dit que nous sommes maintenant à un moment – et il l’a signalé dans les années 1980 – où, entre 2020 et 2050, nous entrerons dans un cycle qu’il appelle une bifurcation, dans lequel ce système et ses mécanismes de reproduction, vieux de plus de 500 ans, atteindront une crise terminale. Il n’était pas possible pour le système de se reproduire à nouveau. Par exemple, l’un des mécanismes que le capitalisme utilise pour résoudre ses crises est de s’étendre à d’autres territoires. Aujourd’hui, avec tous les territoires de la planète couverts, il n’y a plus de place pour l’expansion. Autre exemple, avec les crises écologiques, le coût des matières premières augmente et le capitalisme ne peut plus produire de plus en plus à bas prix. Tout est de plus en plus cher. Le coût du développement ne peut donc pas être répercuté sur les autres.

Les coûts de l’eau, du pétrole, de la nourriture – qui étaient supportés par les pays du tiers monde – et les coûts de la défense – qui étaient supportés par les États – doivent maintenant être payés par le grand Capital. Les États ne sont plus en mesure de défendre leur capital où qu’il se trouve, mais le capital lui-même est obligé d’avoir une armée privée et de payer pour la sécurité.

José Ernesto Narvaez – Et cela vaut aussi pour l’État états-unien dans sa relation avec le grand Capital ?

Oui, la plupart des guerres que les États-Unis ont menées à l’étranger sont privatisées, avec des sociétés de mercenaires comme Blackwater. En d’autres termes, ils versent beaucoup d’argent au complexe militaro-industriel américain pour couvrir les coûts des guerres. En réalité, ceux qui bénéficient de ces guerres sont les entreprises de ce complexe militaro-industriel, les compagnies pétrolières, comme dans le cas de l’Irak, de la Libye, etc. D’une manière générale, le coût de la reproduction et de la production du capital est hors de contrôle avec la crise écologique.

Il y a un autre élément que Wallerstein a souligné : la question idéologique, la crise de l’idéologie du progrès. Les gens ne croient plus que s’ils travaillent pendant 30 ans, leur situation s’améliorera. Cela signifie que les gens veulent que leurs demandes sociales soient satisfaites immédiatement, ce qui exerce une pression insoutenable sur le système. Il a mentionné une série de mécanismes et montré comment le système arrive à un moment de bifurcation et de crise terminale. La bifurcation, parce qu’elle peut aller dans un sens ou dans l’autre, est imprévisible. Elle peut s’améliorer si les mouvements anti-impérialistes et les mouvements sociaux hégémonisent cette transition et mènent le processus vers un nouveau système historique plus démocratique et plus juste, ou si les élites donnent au système une porte de sortie en créant quelque chose de pire.

À Davos, nous assistons à une transition dans laquelle ils envisagent une dystopie. Ils reconnaissent la crise écologique, mais ils la comprennent dans un sens malthusien : le problème n’est pas le système, mais la surpopulation, et la solution consiste donc à réduire la population mondiale. Ces écofascistes proposent de réduire la population mondiale de huit milliards d’individus à deux milliards. Pour eux, il y a six milliards de personnes à épargner. Ils identifient les problèmes, mais les solutions sont génocidaires. Ils envisagent ce qu’ils appellent le new reset, ils en ont parlé au Forum 2021. Il s’agit de la réduction de la population mondiale, des nouvelles technologies comme forme de contrôle des désirs des gens, d’un gouvernement mondial, etc. Ils envisagent même ce qu’ils appellent le transhumanisme, c’est-à-dire la robotisation de l’homme, l’amélioration artificielle de toutes nos capacités. Ils dépassent déjà la question de l’humain pour passer à la robotisation de l’humain. Ils transcendent déjà l’humain et passent à la robotisation de l’humain. Dans les dystopies de cette élite, c’est l’avenir de l’humanité qui est en jeu. Car dans cette crise terminale et cette bifurcation à venir, que Wallerstein a annoncées il y a quelque temps, cette élite veut faire ce que l’aristocratie féodale du 15e siècle a fait et se recycler dans un nouveau système, pire que celui-ci, où elle reste au sommet. Il n’y a pas encore de langage clair pour nommer ce système, mais il dépasse déjà le capitalisme à bien des égards ; ils n’envisagent même plus la concurrence pour les marchés, mais le contrôle technologique des plateformes numériques, le contrôle des désirs et de la consommation des gens, le contrôle de leurs pensées. La technologie existe déjà pour cela, et ils sont déjà très sérieux à ce sujet.

Une autre partie de l’élite impérialiste mondiale est nationaliste ; son processus d’accumulation du capital ne concerne pas tant le capital financier. Cette élite est représentée par quelqu’un comme Trump. Leur processus d’accumulation matérielle dépend beaucoup de l’État-nation, du territoire où ils investissent leur argent. Les dystopies des mondialistes ne les intéressent pas. Les deux élites sont fascistes, ne vous y trompez pas, ce qui se passe, c’est que les mondialistes nous embrouillent. Trump ne génère pas de confusion, Marine Le Pen ne génère pas de confusion, ce sont des fascistes nationalistes qui veulent protéger leurs capitaux de l’impulsion dévorante du capital financier mondial.

Et puis il y a des élites nationalistes d’extrême droite qui veulent protéger leur nation, leur territoire. C’est le conflit actuel entre les différentes factions des élites capitalistes dans le monde. Ces deux factions se disputent l’avenir du monde. Un projet multipolaire s’oppose à ceux qui veulent un gouvernement unique, l’unipolarité, etc. Et bien sûr, l’armée impérialiste a été jusqu’à présent fondamentale pour cette élite mondialiste, car c’est elle qui va de l’avant dans la réalisation de ses projets de domination. Par exemple, la guerre en Afghanistan. Ils savaient qu’ils ne la gagneraient pas. Il s’agissait d’un marché d’armes. Cela devient très cynique, car il ne s’agit même pas de gagner les guerres, mais de les faire durer assez longtemps pour gagner plus d’argent. C’est la logique de ces entreprises. Si vous tuez des millions de personnes, cela n’a pas d’importance, et c’est ce qu’elles ont fait ces 20 dernières années au Moyen-Orient.

Nous sommes dans une situation de crise systémique, qui peut avoir des conséquences dangereuses pour l’Humanité, comme la guerre nucléaire, les dystopies de ces élites mondialistes – qui projettent de créer un nouveau système historique au prix du sacrifice de six milliards d’êtres humains – ou une crise écologique catastrophique. Un nouveau système n’a pas encore émergé, mais nous sommes dans la lutte pour l’émergence de ce nouveau système. Les 20 prochaines années sont décisives.

José Ernesto Narvaez – En substance, les deux projets répondent à une logique plus large de domination impériale. Soit par les États-nations renforcés, soit par le capital financier transnational, qui a un caractère beaucoup plus liquide, mais qui a toujours des intérêts de domination très concrets. Il est clair qu’il y a une lutte entre les deux groupes d’intérêts : ceux qui trouvent dans l’État-nation la base de leur reproduction et ceux qui, au contraire, cherchent à affaiblir l’État-nation traditionnel afin d’obtenir un flux de capitaux plus important et plus rapide.

Moins il y a de souveraineté, mieux c’est pour les mondialistes. Plus il y a de souveraineté, mieux c’est pour ceux qui dépendent de l’État-nation. C’est là que réside le conflit des élites du système.

José Ernesto Narvaez – Cette lutte prend également des formes politiques concrètes. Dans des processus tels que la guerre en Ukraine, ce n’est pas seulement l’hégémonie d’un État-nation spécifique qui est négociée, mais aussi l’hégémonie de certains groupes et intérêts financiers qui émergent dans le monde contemporain et qui sont des alternatives à ceux du grand capital occidental. L’exacerbation des contradictions que nous observons en Europe et en Asie est également le reflet de l’opposition entre les nouveaux et les anciens acteurs économiques et nationaux du monde contemporain.

Exactement. Dans ce dilemme unipolaire-multipolaire, je suis de ceux qui affirment que même si ce monde multipolaire est problématique, parce qu’il reste capitaliste et contradictoire, je le préfère au monde unipolaire. Au moins, dans ce monde multipolaire, il y a un certain respect de la souveraineté des peuples et des marges de manœuvre, contrairement au monde unipolaire. Le monde unipolaire ne fait que sanctionner, bloquer, envahir, parce que c’est la volonté du système impérialiste occidental. Le monde multipolaire crée des relations à l’échelle internationale qui, au moins, offrent une marge de manœuvre permettant à des pays comme Cuba et le Venezuela de se débarrasser du blocus impérialiste états-unien et d’avoir des relations alternatives avec d’autres pays. Cela permet de radicaliser les transformations politiques. Les Chinois, par exemple, n’ont pas de projet universaliste. Ils négocient avec les pays sans s’intéresser à leur mode de pensée, leur religion, leurs coutumes, etc. L’Occident pille et se mêle aussi de ces questions. Il y a une ingérence permanente dans la souveraineté des peuples qui entrave le potentiel révolutionnaire. D’autre part, cet autre monde, s’il parvient à voir le jour, peut ouvrir un espace pour les luttes socialistes et anti-impérialistes dans le monde, qui n’existe pas pour le moment.

José Ernesto Narvaez – Dans l’environnement latino-américain, il existe de nombreux projets clairement sociaux-démocrates, mais masqués derrière un discours à caractère social qui se présente comme une alternative à la domination impériale dans la région et qui finit en fait par être organique à cette domination. Est-il donc possible d’être anticolonial sans projet anti-impérialiste ?

Non, c’est impossible. Il y a tout un débat à ce sujet, parce qu’il y a un secteur des réseaux décoloniaux en Amérique latine qui ne considère pas la lutte anti-impérialiste. En fait, il croit que l’impérialisme a disparu ou qu’il s’agit de quelque chose d’abstrait. Ils ne se rendent pas compte que l’économie politique de tous nos pays, y compris Cuba et le Venezuela, est fortement constituée par le système impérialiste mondial. Il n’y a pas moyen d’y échapper. C’est pourquoi je dis toujours que tout anti-impérialiste n’est pas décolonial, mais que tout décolonial doit d’abord être anti-impérialiste. Sinon, de quoi se décolonise-t-on ? C’est le système mondial impérialiste qui produit la multiplicité des formes de domination : capitaliste, patriarcale, classiste, eurocentrique, environnementale, et j’en passe. Cela vient de ce système impérialiste. Ce système ne sera pas vaincu sans une lutte contre lui. Lutter contre l’impérialisme de manière abstraite, sans comprendre qu’il s’agit d’une structure de domination économique et politique réelle, aboutit à une attitude spiritualiste new age qui ne change rien. Il faut un projet anti-impérialiste, avec une orientation décolonisatrice, pour faire culminer tout ce qui n’a pas été conclu lors de la première indépendance.

José Ernesto Narvaez – Vous venez d’un pays qui est une colonie. Vous avez la chance d’être assez proche de la révolution bolivarienne au Venezuela, ce qui vous a permis de connaître l’expérience d’un pays qui, vivant d’un passé néocolonial, tente consciemment de rompre avec ce passé. Par ailleurs, vous vivez aux États-Unis, au cœur même du capitalisme contemporain dans ses deux projets de domination. Comment voyez-vous, dans ces différentes réalités, le projet de domination coloniale chez le sujet colonisé ? Comment le colonialisme est-il vécu et projeté chez un sujet colonial comme le Portoricain, chez un sujet qui fait partie d’une révolution qui tente de transformer cette réalité ? Comment est-il projeté chez les sujets qui vivent au sein même des sociétés du capitalisme développé, qui sont également victimes de cette structure de domination et d’asservissement ?

Dans le cas des États-Unis, sa projection n’est pas si différente de celle des pays de la périphérie. Les désirs et les aspirations consistent à consommer davantage. C’est le modèle de réussite qui est inculqué aux pays de la périphérie. Le sens de la vie consiste à consommer davantage, et c’est ce que l’on constate aux États-Unis et à l’extérieur. Aux États-Unis, les expériences de la colonisation sont diverses. Il y a les Indiens d’Amérique qui vivent dans des conditions de grande pauvreté, d’abandon, de problèmes sociaux, d’alcoolisme, de drogue, etc. Si l’on considère les populations afro-américaines, coincées dans les ghettos des grandes villes américaines, on constate qu’elles sont victimes d’une violence continue et brutale de la part des appareils répressifs de l’État. Il en va de même pour les communautés latinos. Nous avons des personnes appauvries qui optent idéologiquement pour le système capitaliste impérialiste ; qui pensent que vivre bien signifie consommer plus et posséder plus. C’est quelque chose qui se produit à l’échelle mondiale ; ce n’est pas particulier à un sujet colonisé à l’intérieur des États-Unis. Ce qui est particulier à un sujet colonisé aux États-Unis, c’est que, par exemple, le concept de blancheur est assez restrictif. Ce qui est blanc en Amérique latine ne l’est pas aux États-Unis ; cela appartient au groupe des Latinos ou des Hispaniques, et c’est une catégorie raciale. Cela signifie que l’on sera discriminé en tant que sujet racialisé au sein de l’empire. L’idée que le racisme est une couleur de peau s’effondre dans le système américain, car le concept de blancheur est un concept d’exclusion construit culturellement et politiquement. Ainsi, de nombreux Latino-Américains qui vivent le privilège racial d’être blancs dans leurs pays respectifs se retrouvent, lorsqu’ils franchissent la frontière, face à des réalités qu’ils n’ont jamais vécues, telles que l’infériorité raciale. Cela a toute une série de conséquences dans les relations avec la police, lorsque vous sortez dans la rue, lorsque vous faites vos courses dans un supermarché ; vous êtes soumis à des niveaux de violence que vous n’avez pas connus dans votre pays d’origine.

Il existe une relation complexe entre la classe et la race. Si vous êtes un travailleur et que vous n’êtes pas blanc, cela a des conséquences économiques et politiques plus importantes. De même, un petit entrepreneur peut être victime de discrimination parce qu’il n’est pas blanc. Il y a un certain niveau à ne pas dépasser. Cela pose un problème complexe aux États-Unis, différent de celui des pays d’Amérique latine.

D’autre part, les luttes de libération sont compliquées, car elles se déroulent à l’intérieur de l’empire. Des changements démographiques très importants se produisent actuellement aux États-Unis. Le pays évolue vers une situation où les Blancs deviennent une minorité démographique. Les majorités vont être constituées par ceux qui sont maintenant des minorités, et au sein de ce groupe se trouvent les Latinos, qui connaissent actuellement une croissance exponentielle. D’où l’obsession de Trump pour la frontière. Dans 15 ans, les Blancs deviendront une minorité démographique dans le pays. C’est déjà le cas dans certains États. Cela a un potentiel, je ne dis pas automatiquement, mais c’est le cas. Il peut y avoir un changement révolutionnaire possible pour transformer l’empire de l’intérieur, avec un changement démographique de ce type. Cela nécessite une organisation politique, un changement de subjectivité, etc., afin que cette croissance démographique des non-Blancs ait des répercussions politiques anti-impérialistes. Il y a là un potentiel de travail politique important.

Cela dépend de la transformation de la subjectivité et il y a beaucoup à faire alors que les Blancs deviennent une minorité démographique dans leur propre pays. Cela pourrait changer le monde de manière très significative, si les États-Unis devaient disparaître en tant qu’empire en raison d’une révolution politique à l’intérieur du pays. J’ai écrit un article en 2005 ou 2006, intitulé « Les Latinos et la décolonisation de l’empire américain au 21e siècle », qui traitait des changements démographiques et politiques. Il y a un potentiel de transformation anti-impérialiste, et c’est pourquoi aujourd’hui il n’est plus possible de concevoir une lutte anti-impérialiste comme avant. Il faut penser à une lutte anti-impérialiste à l’extérieur et à l’intérieur de l’empire. Il faut se coordonner, s’organiser à l’intérieur de l’empire, et mener une lutte comme celle qui s’est déroulée au Vietnam. Le ViêtNam a été gagné, entre autres, parce qu’il existait une organisation politique aux États-Unis qui a mobilisé des millions de personnes dans les rues et a fait en sorte qu’entre la guerre du ViêtNam et la guerre populaire en soutien au ViêtNam, en solidarité avec le Viêt Nam, les troupes états-uniennes ont dû se retirer de ce pays. Les pressions intérieures ont été brutales. Sans cette pression, la guerre aurait probablement duré plus longtemps.

Nous devons réfléchir à un projet anti-impérialiste pour le 21e siècle, un projet qui tienne compte du nombre de Latinos qui sont là et qui ne peuvent être ignorés. Je ne parle pas des Cubains de Miami, mais des travailleurs latinos, des Portoricains, des Mexicains, etc. En outre, il existe toute une littérature anti-impérialiste, anticapitaliste et décolonisatrice aux États-Unis. Cette littérature est inconnue. C’est une littérature très puissante, écrite par de grands penseurs. Elle est inconnue en espagnol, car nombre d’entre eux n’ont pas été traduits. Il existe également une pensée indigène états-unienne. Une pensée puissante, anti-impérialiste, anticapitaliste, décoloniale, mais également inconnue. Il y a beaucoup de choses de ce genre aux États-Unis qui sont peu connues.

José Ernesto Narvaez – Dans le cas du Venezuela et de Porto Rico, existe-t-il des différences dans la projection du colonialisme sur les sujets ?

Porto Rico et le Venezuela partagent l’aspiration à consommer davantage. Bien vivre, c’est consommer plus. Il s’agit d’une idéologie de la consommation, d’une idéologie rentière. Dans le cas du Venezuela, il s’agit du pétrole ; dans le cas de Porto Rico, il s’agit des transferts du gouvernement fédéral américain. C’est une sorte de loyer pour le peuple. Nous avons cela en commun : ce sont des sociétés rentières avec peu de production et de productivité. Bien sûr, la situation et les conditions sont très différentes. Alors que le Venezuela est un pays doté de nombreuses ressources, Porto Rico en a très peu. Le Venezuela est l’un des pays les plus riches du monde et possède son propre État. La révolution bolivarienne a été fondamentale.Dans le cas de Porto Rico, le gouvernement n’a aucune souveraineté, il se trouve dans un état colonial. Il n’y a pas de perspective d’un État indépendant pour le moment. Il n’y a pas d’économie portoricaine, mais une extension de l’économie états-unienne. Le scénario des possibilités est donc totalement différent. Au Venezuela, on peut envisager un projet anti-impérialiste de rupture radicale (regardez les difficultés qu’ils ont rencontrées, mais ils peuvent encore survivre), ce qui n’est pas le cas à Porto Rico. Porto Rico ne peut pas faire cela. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas l’économie politique pour le soutenir. Porto Rico importe 95 % de ce qu’il mange. Toute l’industrie qui existe à Porto Rico est liée, branchée, à l’industrie états-unienne.

À Cuba, de nombreuses choses ont été nationalisées dans les années 1960. Aujourd’hui, à Porto Rico, si vous nationalisez et vous déconnectez du circuit de production industrielle des États-Unis, vous devez fermer, car vous n’avez aucun moyen de tenir. En d’autres termes, tout est bloqué. Les pièces, les matières premières, tout est lié à l’industrie états-unienne. Je nationalise une entreprise pharmaceutique à Porto Rico, par exemple, et je fais une rupture anti-impérialiste, et je la ferme. Ce n’est qu’un maillon de la chaîne. Il existe un autre schéma de production ; un schéma qui a été imposé dans les années 60, 70 et 80 et qui consistait à cesser de produire dans de grandes usines unifiées et à segmenter les chaînes de production. Ce que vous obtenez, c’est un petit maillon. Si vous nationalisez le maillon, on vous a déjà déconnecté.

José Ernesto Narvaez – Existe-t-il une conscience anti-impérialiste parmi les habitants de Porto Rico ?

Les gens ont une conscience culturelle anti-impérialiste, mais pas une conscience politique. À Porto Rico, le nationalisme culturel est impressionnant. Tout le monde s’identifie clairement comme Portoricain et les gens ont un sentiment anti-américain au niveau culturel. Cela ne se traduit pas au niveau politique. D’où la complexité de la situation. Beaucoup de gens sont conscients de ce problème : comment faire la transition entre le Porto Rico d’aujourd’hui et une future société anti-impérialiste. Si cette question n’a pas de réponse claire dans un endroit comme le Venezuela, imaginez à Porto Rico, où il n’y a rien. Rien. Ce qu’il y a, c’est l’économie états-unienne étendue à Porto Rico. Vous voyez ce que je veux dire ?

Beaucoup de gens à Porto Rico pensent des choses comme : « Vous avez mangé la viande, sucez les os ». En d’autres termes, nous allons mener une lutte anti-impérialiste en pénétrant à l’intérieur d’eux. Maintenant que la majorité démographique sera latino, mettons-y un État latino. Et ce sont des annexionnistes anti-impérialistes. Une chose qui ressemble à un court-circuit mental. La première fois que j’ai entendu cela, j’ai failli m’évanouir. Mais en réalité, il y a des gens à Porto Rico qui pensent à ces choses.

J’ai été très impliqué dans la lutte de Vieques[1]. Je me souviens que la plupart des militants de Vieques étaient des annexionnistes. Nous sautions les clôtures des bases militaires, occupions le territoire et paralysions les manœuvres. Ce fut une lutte de plusieurs années. J’ai eu de nombreuses disputes avec mes compatriotes de Vieques, en particulier les pêcheurs, parce que j’étais venu en tant qu’indépendantiste, en tant qu’indépendantiste socialiste, pour soutenir leur lutte. Ils me regardaient et me disaient : « Vous êtes quoi ? un indépendantiste socialiste ? Ah, c’est vrai. Nous sommes des annexionnistes anti-impérialistes ou des antimilitaristes anti-impérialistes« . Ils me disaient des choses comme ça. La plupart des personnes qui se battaient à Vieques pour fermer les bases militaires et les manœuvres militaires étaient des annexionnistes. Comment le formulaient-ils ? Ils disaient : « Si nous étions un État des États-Unis, cela n’arriverait pas« . J’étais choqué. « Si nous étions un État, ce serait encore pire« , disais-je. « Non, parce qu’aux États-Unis, l’obstruction existe » [2], me répondaient-ils. Je parle de gens qui n’ont pas d’éducation universitaire ou quoi que ce soit d’autre, et moi qui avais une éducation universitaire, je ne savais pas de quoi ils parlaient. « Je leur demandais : « Qu’est-ce que c’est que l’obstruction parlementaire ?  » « Un sénateur peut se lever et parler et paralyser le Congrès états-unien. Et avec ça, parce que c’est évident et que c’est comme ça, ils doivent s’asseoir et négocier« , ont-ils dit. Je n’ai pas compris de quoi ils parlaient jusqu’à ce que je voie les sénateurs d’Hawaï, deux Asiatiques, qui ont fait cela au Congrès états-unien pour menacer de le paralyser. Ils ont dû s’asseoir et négocier avec eux, parce qu’ils voulaient fermer les bases militaires sur les îles. Et ils les ont fermées. Lorsque cela s’est produit, je me suis souvenu de ce que ces camarades disaient.

Ils m’ont expliqué : « Nous allons nous battre. Nous allons nous adresser à la Cour fédérale états-unienne. Et nous disons ceci : Si vous ne bombardez pas les Blancs en Virginie, vous ne pouvez pas bombarder les Noirs à Vieques, parce que nous sommes des citoyens au même titre qu’eux. Ils sont donc partis avec leurs avocats là-bas, tandis qu’ici, ils ont rendu les bases militaires inopérantes grâce à la désobéissance civile. Et beaucoup de prisonniers. Ils vous ont pris en prison et vous ont mis à Atlanta pendant deux ans, ils vous ont emmené hors du pays dans les prisons fédérales là-bas. Mais la désobéissance civile s’est poursuivie, elle est devenue systématique, si bien qu’ils n’ont pas pu utiliser les bases militaires. Et ils ont dû les fermer en 2003. Entre la lutte au tribunal et la lutte dans les rues, ils les ont fermées en 2003.

La situation à Porto Rico est très complexe. Il est difficile de l’expliquer en dehors de Porto Rico. La lutte anti-impérialiste pour la décolonisation passe par des registres qui ne sont pas encore vus ou compris en Amérique latine. Par exemple, de nombreuses personnes se rendent à Porto Rico et ne comprennent pas pourquoi la majorité des gens votent pour l’annexion et non pour l’indépendance. Que vous disent les gens lorsque vous travaillez avec eux dans la rue ? Que l’indépendance que nous allons avoir sera néocoloniale. Une indépendance où les gringos nous exploiteront comme ils le font en République dominicaine, en Haïti, en Jamaïque et dans les îles voisines. Parce qu’à Porto Rico, l’économie n’est pas assez bonne pour faire autre chose. Vous allez dépendre de l’empire. Vous ne pourrez rien faire d’autre que d’être subordonnés et de ne pas bénéficier des avantages de la colonie. C’est ainsi que les gens vous parlent.

Le calcul qu’ils font est que nous avons plus de chances de mener une lutte anti-impérialiste en allant à l’intérieur et en nous y battant en alliance avec les autres peuples, dans une lutte anti-impérialiste où nous finissons par devenir une néo-colonie. C’est pourquoi, aux États-Unis, les élites impérialistes ne veulent pas de l’annexion de Porto Rico. Chaque fois qu’un référendum est organisé, elles l’annulent, parce que dans les enquêtes, dans les sondages, l’annexion semble l’emporter. Les Blancs, les élites blanches, ne veulent pas de nous, parce que nous ne sommes pas des Américains blancs ; parce que cela va leur coûter cher d’avoir un pays qu’ils ont détruit. Je ne sais pas combien de milliards de dollars nous ne recevons pas aujourd’hui parce que nous ne sommes pas un État des États-Unis. Si l’annexion devait se produire, ils devraient dépenser plus pour Porto Rico, plus qu’ils ne le font aujourd’hui. C’est pourquoi, à chaque fois qu’un référendum sur la création d’un État se présente, en 1991, en 1998, en 2012 et aujourd’hui, ils l’annulent.

En revanche, si Porto Rico votait pour l’indépendance ce soir, ils la lui accorderaient demain. Ils la leur donnent ce soir, pas demain, ils n’attendent pas demain. Parce que c’est la colonie sans les coûts de la colonie. C’est du néocolonialisme. Très peu de gens à Porto Rico votent pour cela. C’est le grand test que nous, les indépendantistes portoricains, avons à faire. Je vous parle de cette façon, un peu comme l’avocat du diable, pour que vous compreniez comment les gens pensent.

Les gens pensent que si vous rendez Porto Rico indépendant, vous allez exproprier les Portoricains de tout, et nous allons devenir une main-d’œuvre bon marché pour les industries américaines sous un régime d’indépendance néo-coloniale. C’est ce qui ressort du programme du parti de l’indépendance portoricaine. En d’autres termes, les soupçons des gens ne sont pas si exagérés. Cette explication, je suis sûr que vous ne l’avez jamais entendue de votre vie, parce qu’il faut être sur place et parler aux gens.

Notes :

[1] Vieques est une île située au sud-est de la grande île de Porto Rico. Entre 1941 et 1948, la marine états-unienne a procédé à une série d’expropriations forcées et à la concentration des habitants dans le centre urbain. En conséquence, 66 % de Vieques sont devenus une zone restreinte sous le contrôle de la marine. La résistance populaire a finalement conduit George W. Bush, en 2003, à ordonner à la marine de quitter la municipalité de l’île.

[2] Terme désignant une pratique d’obstructionnisme parlementaire très répandue aux États-Unis.

Source : http://www.lajiribilla.cu/no-se-puede-ser-descolonial-sin-ser-antiimperialista-conversacion-con-ramon-grosfoguel/

Interview réalisée par José Ernesto Narvaez pour La Jiribilla : http://www.lajiribilla.cu/colaborador/jose-ernesto-novaez-guerrero/

Traduction de l’espagnol : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/05/22/on-ne-peut-etre-decolonial-sans-etre-anti-imperialiste-ramon-grosfoguel/

« S’éloigner de l’Occident, se concentrer sur l’Asie » : l’Amérique Latine et la nouvelle économie mondiale.

Interview par Kawsachun News de l’économiste équatorien Juan Fernando Terán* à propos des sanctions occidentales et de la manière dont l’Amérique latine peut protéger son économie.

Kawsachun News L’industrie bananière équatorienne s’est effondrée quand lui a été fermé le marché russe. Qui paie le prix des sanctions occidentales contre la Russie ?

Juan F. Terán : Les pays qui exportent des denrées alimentaires et des produits agricoles sont aujourd’hui dans une position très difficile. L’Équateur, la Colombie, le Brésil et l’Argentine sont parmi les plus touchés. Ces pays importent presque toutes les fournitures dont ils ont besoin pour la production agricole : engrais, produits agrochimiques et même semences dans certains cas. Les sanctions ont interrompu ces approvisionnements. Nous aurions pu éviter cette situation.

L’Amérique Latine a connu un âge d’or de développement et d’intégration à l’époque de dirigeants tels que Hugo Chavez, Rafael Correa, Evo Morales, Ignacio Lula da Silva et d’autres. Au cours de ces années, de nombreux travaux ont été consacrés à la question de savoir comment la région pouvait commencer à produire ses propres approvisionnements agricoles. Il s’agissait même d’un projet phare de l’UNASUR. L’objectif était de garantir la sécurité alimentaire face aux fluctuations des marchés internationaux. Il y avait également la proposition d’une banque à l’échelle de l’Amérique latine et d’une monnaie commune. Cela aurait pu aider l’économie de la région à survivre à la crise monétaire actuelle.

Or que se passe-t-il aujourd’hui ? Prenons le cas de l’Équateur : nous avons deux sources principales de revenus dans les exportations. La première est le pétrole, et logiquement, les conséquences de la guerre en Ukraine auraient dû être, à travers l’augmentation de son prix, une croissance des revenus pour l’Équateur. Cependant, le président conservateur Guillermo Lasso a promis au FMI de le payer au moyen des futures ventes de pétrole. Donc même si le prix du pétrole passe à 300 dollars, cela ne profitera aux citoyens ordinaires.

Et qu’en est-il de l’agriculture ?

Le pays gagne aussi beaucoup en exportant des produits comme les bananes, le café, les crevettes et les fleurs. Le principal marché pour la production de fleurs équatoriennes est la Russie. Aujourd’hui, ces producteurs sont confrontés à une crise dramatique car les sanctions les ont coupés de leurs clients. C’est une industrie énorme pour l’Équateur, dans les provinces de Pichincha et Cotopaxi, il y a des régions entières consacrées presque entièrement à la production de fleurs. Ils ont même des aéroports là-bas car ces fleurs sont exportées dans le monde entier par avion. Une petite partie de leur production va aux États-Unis et en Europe, mais la grande majorité va en Russie. La Russie est l’un des rares pays où les gens achètent des fleurs toute l’année et pas seulement pour certaines dates comme la Saint-Valentin. Hé bien, qu’en est-il de nos exportations de crevettes, de café ou de cacao ? Elles nécessitent des engrais et d’autres fournitures agricoles importés. Il y a maintenant une pénurie mondiale, la Russie était le premier producteur mondial et la voilà sanctionnée.

Quelle a été la réponse du gouvernement ?

Les pays peuvent survivre à cette tempête s’ils ont un parapluie d’État, mais l’Équateur est soumis à un gouvernement néolibéral. Notre économie n’a plus de parapluie maintenant. Quelle a été la réponse néolibérale à cette crise actuelle ? Les producteurs de fleurs ont été les premiers à demander de l’aide. Ils ont demandé des prêts afin de pouvoir subvenir temporairement à leurs besoins. Le président Lasso a répondu en disant que prendre ce genre de mesures suppose d’assumer un risque et que l’État n’a aucune obligation de renflouer qui que ce soit. Cette idée de ne renflouer personne est une excellente idée…. si elle est appliquée uniformément. Nous ne devrions pas avoir à renflouer les banquiers quand ils ont une « crise », mais bien sûr, le banquier Guillermo Lasso n’abandonnera jamais « son » peuple… Il abandonne seulement les petits agriculteurs. L’élection de gouvernements progressistes en Amérique latine n’est pas seulement une question d’idéologie ; il s’agit aussi pour les citoyens de défendre leur économie et leur niveau de vie. Si un banquier gagne une élection, ne soyons pas surpris du résultat.

De nombreux pays considèrent désormais Washington comme un allié peu fiable et cherchent à commercer dans d’autres monnaies. Pensez-vous que le dollar états-unien va perdre son hégémonie internationale ? Et qu’est-ce que cela signifierait pour l’Amérique latine ?

Lorsque les pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) commenceront à commercer entièrement en Yuan, ou dans toute autre monnaie autre que le dollar, le monde changera vraiment. Je pense que nous pouvons nous attendre à voir cette transformation dans les cinq prochaines années. Cela représentera la défaite définitive de l’empire états-unien. L’histoire nous montre que la puissance militaire d’un pays est liée à la puissance de sa monnaie.

Lorsque la Grande-Bretagne régnait sur le monde, la livre sterling dominait le commerce international. Même la dette extérieure de l’Équateur était calculée en livres sterling. Les réserves de notre banque centrale s’exprimaient en livres sterling. Cette situation a changé après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, car les États-Unis sont devenus la nouvelle puissance dominante et ont créé les institutions financières et monétaires du monde à leurs propres fins, puis ont supprimé l’étalon-or du dollar. La guerre actuelle en Ukraine est également une question de monnaie. Les États-Unis participent à ce conflit contre la Russie parce qu’ils ont besoin de défendre à tout prix la puissance du dollar-papier alors que la Russie ou l’Inde amarrent leurs monnaies à la valeur de matières premières.

Que peut faire la région ?

L’Amérique latine doit lentement se désolidariser du dollar états-unien. Nous devons diversifier nos réserves monétaires internationales. Rafael Correa avait commencé à le faire en Équateur en investissant dans des réserves d’or, ce qui avait été critiqué par la droite. Cependant, cette diversification ne peut se faire que si nous apportons les changements nécessaires à nos relations commerciales. Si nous devons commencer à constituer des réserves en yuan chinois, nous devons approfondir nos relations commerciales avec la Chine pour y parvenir.

Carte 1 : bien qu’ils totalisent 14% de la population mondiale, les pays qui sanctionnent la Russie incarnent encore la « communauté internationale » pour la plupart des journalistes occidentaux.
Carte 2 : la vraie taille de l’Amérique Latine. Merci à Ollie Vargas.

Je pense que nous devrions revenir à la proposition de l’UNASUR de créer une monnaie commune latino-américaine avec sa propre banque centrale. Nous avons également besoin d’un système de paiement latino-américain. Regardez comment les États-Unis utilisent SWIFT pour exclure de l’économie mondiale tout pays qui ne leur plaît pas. La Russie et la Chine créent leurs propres systèmes de paiement. Il y a des années que le Venezuela est sorti du SWIFT. Nous devrions également avoir notre propre système.

Il ne sert à rien de se plaindre de l’agression états-unienne. C’est dans leur nature d’envahir et d’attaquer des pays dans le monde entier. Le vrai problème est que l’Amérique latine est exposée et incapable de faire face à ce type de guerre économique. En réponse, nous devons nous tourner vers l’Asie de manière sérieuse. Pourquoi le gouvernement équatorien n’assure-t-il pas de nouveaux marchés, par exemple pour nos crevettes et nos bananes, en Chine ? Il y a une énorme demande là-bas. La Bolivie et l’Équateur possèdent tous deux de vastes richesses minérales. Nous devons contourner l’Occident et nous concentrer sur l’Asie en matière de commerce et d’investissement dans les produits de base.

Les médias états-uniens ont attaqué des pays comme le Mexique, le Brésil ou l’Argentine pour ne pas avoir imposé de sanctions économiques à la Russie. Pensez-vous que cette demande des États-Unis va, à terme, briser leur sphère d’influence ici et dans le monde non-occidental ?

Ces sanctions provoquent une crise d’inflation pour les gens partout dans le monde. Les Européens paient déjà 8-9 euros pour un gallon d’essence. Aux États-Unis, il est à 4,75 dollars, voire 6 dollars dans des endroits comme la Californie et Miami. C’est choquant. Les sanctions ont un effet boomerang sur les États-Unis et leurs citoyens. Bien que tout le monde ne souffre pas : les fabricants d’armes ne souffrent pas. Des gens comme le fils de Biden, qui a des relations douteuses dans le secteur du gaz, ne vont pas souffrir. Des rapports d’analyse financière ont été publiés cette semaine, indiquant que si le prix de l’essence reste à 4,75 dollars en moyenne nationale aux États-Unis, l’économie entrera en récession à la fin de l’année. Rien de ce qu’ils font n’est lié aux intérêts des citoyens ordinaires.

  • * Économiste, coordinateur de recherches à l’Instituto de la Ciudad del Distrito de Quito (Équateur), Juan Fernando Terán enseigne actuellement les « Politiques économiques appliquées en Amérique latine » et les « Économie et politique des ressources naturelles et de l’énergie » à l’Université Andine Simón Bolívar. Parmi ses publications : « Las quimeras y sus caminos : la gobernanza del agua y sus dispositivos para la producción de pobreza rural en los Andes Ecuatorianos » (Buenos Aires : CLACSO), « La sequedad del ajuste : implicaciones de la gobernanza global del agua para la seguridad humana en Ecuador » (Quito : CEN) et « La ecología del agua : una introducción a sus temas y problemas en Ecuador » (Quito : Camaren).

Source : https://kawsachunnews.com/interview-latin-america-in-the-new-global-economy

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/04/04/seloigner-de-loccident-se-concentrer-sur-lasie-lamerique-latine-et-la-nouvelle-economie-mondiale/

Le Venezuela multipolaire renoue avec la croissance

Photo : le président Maduro est accueilli par le Ministre des Affaires Étrangères du Mexique Marcelo Ebrard lors du Sommet de la CELAC (Communauté des États Latino-américains et des Caraïbes), en septembre 2021.

Fidèle à la stratégie multipolaire du Sommet de Bandoeng souvent évoquée par Hugo Chávez et à l’« équilibre du monde » rêvé par Simon Bolivar, le Venezuela a renforcé ses alliances avec la zone asiatique, la Russie, la Chine, l’Iran, la Guinée Équatoriale, ce qui lui a permis d’augmenter sa production et son exportation de pétrole en 2021. Le gouvernement Maduro commence à surmonter le blocus inhumain organisé par l’Europe et les États-Unis et a décidé de consacrer 77% du budget 2022 aux investissements sociaux : éducation, santé, construction de logements, production nationale, alimentation, allocations, etc… (on trouvera plus de détails  à ce sujet dans http://observatorio.gob.ve). C’est aussi une bonne nouvelle pour les pays des Caraïbes bénéficiaires des programmes de coopération mis en place par le Venezuela, notamment via l’ALBA et PetroCaribe.

Selon le dernier rapport de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP), la nation des Caraïbes a pompé 625.000 Barils par jour (BPJ) en novembre, soit 15.000 de plus qu’en octobre. La compagnie pétrolière publique PDVSA, dont le président Chávez avait repris le contrôle pour financer les programmes sociaux de la révolution, a enregistré un chiffre beaucoup plus élevé de 824.000 BPJ, soit une augmentation de 68.000 par rapport au mois précédent.

La production n’avait pas atteint cette barre des 600.000 Barils par Jour depuis le début de 2020, Washington et l’UE ayant renforcé les sanctions visant à fermer les marchés internationaux à l’industrie pétrolière vénézuélienne. À partir de 2017, l’ancienne administration Trump a intensifié les efforts de changement de régime en imposant des sanctions financières, un véritable embargo pétrolier et une foule d’autres mesures coercitives illégales. Les revenus extérieurs de l’État se sont réduits de 99%, provoquant une forte détérioration de l’économie et des services publics, d’où de grandes souffrances sociales et un exode de population dénoncés par les rapporteurs spéciaux de l’ONU tels qu’Alfred de Zayas et Alena Douhan (1).

L’actuel gouvernement de Joe Biden n’a rien fait pour alléger ou lever les sanctions contre la principale industrie publique du Venezuela, malgré les appels de plus en plus nombreux de l’ONU, de ces experts indépendants en matière de droits humains et même de membres du Congrès états-unien, en faveur de la levée de ces mesures.

L’administration du président Nicolas Maduro a cherché à relancer la production de brut en trouvant d’autres sources de capitaux, de marchés et de matériaux indispensables, notamment la Russie, la Chine et l’Iran.

Un approvisionnement régulier en condensat iranien a été la clé de la récente augmentation de la production de pétrole. Selon Bloomberg, l’Iran a envoyé au moins trois cargaisons contenant 4,6 millions de barils de ce produit de mélange depuis juillet. Le condensat est mélangé au brut extra-lourd produit dans la ceinture pétrolière de l’Orénoque pour être transporté, traité et exporté. Une quatrième cargaison aurait été déchargée au Venezuela cette semaine.

L’aide iranienne s’inscrit dans le cadre de la coopération entre les deux pays pour contourner les sanctions états-uniennes, un accord d’échange de condensat contre du brut ayant été conclu en septembre. En outre, le 6 décembre, le président Maduro a eu un entretien téléphonique avec son homologue iranien Ebrahim Raisi afin de renforcer les liens pour l’année prochaine. Au cours de la conversation, M. Raisi a réaffirmé son engagement à élargir l’alliance Iran-Venezuela, appelant à des « mesures plus importantes » pour accélérer les projets énergétiques.

« La coopération pétrolière entre les deux pays doit prendre une nouvelle forme, et dans le domaine du raffinage et des ressources pétrochimiques, nous devons prendre des mesures plus importantes », a déclaré le président iranien. Raisi a de même condamné le régime de sanctions imposé par le « système arrogant des États-Unis au peuple et au gouvernement vénézuéliens. » Téhéran fait face aux mesures coercitives unilatérales de Washington depuis 1979.

Les exportations du Venezuela ont également augmenté au cours des derniers mois. La moyenne des exportations de PDVSA a atteint 500.000 Barils par Jour sur l’année, la Chine étant le principal facilitateur et la destination finale du commerce du brut vénézuélien. Selon des documents consultés par Reuters, les revenus pétroliers croissants financeront 61 % du budget du pays pour 2022.

Le 14 décembre, l’Assemblée Nationale du Venezuela, à majorité chaviste, a approuvé le budget 2022 pour un montant total de 62 milliards de bolívars (environ 13 milliards de dollars américains), soit quelque 60 % de plus que l’équivalent de 2021. Lors de la présentation du plan annuel, la vice-présidente Delcy Rodríguez a expliqué que 77 % des ressources seront allouées aux programmes sociaux.

La vice-présidente a par ailleurs présenté un projet de loi visant à réformer partiellement les taxes sur les grandes transactions afin de privilégier l’utilisation de la monnaie locale et de continuer à stimuler la production nationale. La législation doit encore être discutée et approuvée par le parlement. « Le budget 2022 est encadré par des politiques qui nous ont permis de défendre notre monnaie et d’avancer dans la lutte contre l’hyperinflation », a déclaré Rodríguez.

Photo: Signature de l’accord de confidentialité entre le ministère des Mines et des Hydrocarbures de la République de Guinée équatoriale et le ministère du Pétrole de la République bolivarienne du Venezuela, le 22 décembre 2021.

La stratégie du gouvernement pour le rebond économique de l’année prochaine s’appuie sur les efforts en cours pour ralentir la spirale inflationniste, en stabilisant le taux de change entre le bolívar numérique et le dollar américain. Ces mesures ont vu le pays connaître trois mois consécutifs d’inflation à un chiffre pour la première fois depuis 2016.

La Banque centrale du Venezuela (BCV) a fait état d’une inflation de 8,4 % en novembre, après les 6,8 et 7,1 % enregistrés en octobre et septembre, respectivement. La décélération de l’inflation n’est pas le seul signe de stabilité économique. L’Association vénézuélienne des exportateurs (AVEX) a enregistré une augmentation de 30 % des ventes à l’étranger cette année par rapport à 2020. La majorité des exportations correspond aux produits de la mer, au cacao, au chocolat, au bois, aux fruits tropicaux et au secteur automobile.

De même, les agences internationales ont pris connaissance de la reprise économique du Venezuela après une récession de sept ans. En octobre, le Crédit Suisse a prévu que le produit intérieur brut (PIB) de la nation sud-américaine augmenterait de 5,5 % en 2021, des prévisions confirmées par l’agence EMFI (Londres). Bien que ces prévisions constituent un changement de tendance important par rapport à ces dernières années, il faut garder en tête que les sanctions financières et pétrolières états-unienne et européenne pèsent toujours sur le pays. Mais le président Maduro considère que la relative stabilisation économique et politique de 2021 ouvrira la voie à des perspectives favorables l’année prochaine. « Aucune de toutes ces agressions ne pourra empêcher le peuple vénézuélien d’atteindre son objectif de bien-être social », a-t-il tweeté vendredi dernier.

Signe des temps : chaque mois des centaines de vénézuélien(ne)s rentrent au pays, fuyant l’exploitation et la xénophobie dans des pays que les médias privés leur avait présentés comme « prospères et accueillants » (Colombie, Equateur, Pérou, Chili, etc..). Le gouvernement bolivarien met à leur disposition des vols gratuits de la compagnie publique CONVIASA.

Texte : Andreína Chávez Alava / édité par Ricardo Vaz depuis Caracas.

Source : https://venezuelanalysis.com/news/15414

Note (1): Deux importants experts du Droit international dénoncent les vraies causes des migrations et des morts au Venezuela : https://venezuelainfos.wordpress.com/2020/02/27/deux-importants-experts-du-droit-international-denoncent-les-vraies-causes-des-migrations-et-des-morts-au-venezuela/

Traduit de l’anglais par Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/12/21/le-venezuela-multipolaire-renoue-avec-la-croissance/